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cercledenikine · 4 years
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MISERERE MEI DEUS, LA MARQUE DES ANGES D’ALLEGRI
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An de grâce 1639, le 2 avril. Nous sommes au cours de la semaine Sainte. Le Pape Urbain VIII est assis dans la chapelle Sixtine à Rome. Sa Sainteté n’a pour l’instant pas connu un règne pontifical des plus reposants : les famines successives en Europe, les mauvaises récoltes qui s’enchaînent, les séquelles des guerres de religion qui sont encore présentes, le procès de Galilée et l’acharnement de l’Inquisition d’Espagne...
Un compositeur aux frontières du génie  
Un homme est présent dans la chapelle sixtine, et dirige un chœur scindé en deux groupes, l’un de 4 choristes et un autre de 5 choristes. Cet homme, qui est plus exactement un prêtre, un chantre d’église, Maître d’Eglise de la chapelle sixtine depuis 1629 qui depuis 1638 travaille et compose l’œuvre majeure de sa vie mais également de toute l’histoire de l’art baroque : il s’agit de Gregorio Allegri.
Né à Rome en 1582, frère cadet de Domenico, Gregorio Allegri reçoit une éducation pieuse et solide, recevant avec son frère un enseignement théologique mais aussi musical. Les deux frères vont donc logiquement embrasser la vie ecclésiastique et sacerdotale.
Gregorio Allegri fut également compositeur à la basilique, avant de devenir en 1629 jusqu’à sa mort Maître de la Chapelle Sixtine, un honneur et une fonction occupée par quelques rares personnes appartenant à une élite musicale.
Incontestablement, son génie musical et son travail acharné vont profondément marquer les esprits, à commencer par ses contemporains mais aussi l’Histoire de la musique et de l’art baroque. Mais les premières remarques à son encontre venant de ses contemporains en font d’abord ressortir un homme profondément agréable et très simple, d’autres ne craignent pas de souligner qu’un tel travail est à la frontière du génie en matière de polyphonie baroque, alors même que cette pratique passait de mode.
Une œuvre unique d’une maîtrise absolue
Quand il entend le Miserere pour la première fois, sa Sainteté le Pape Urbain VIII n’en revient toujours pas, que ce soit au niveau du contenu du Miserere ou de sa maîtrise musicale par Allegri.
Le Miserere qu’Allegri a mis en composition se chante a capella, c’est à dire sans orgues ni accompagnement. Il est chanté à neuf voix, cinq hommes et quatre femmes. La règle ne permettant pas la présence de femmes lors de cette cérémonie dans la Chapelle Sixtine, Allegri a l’idée de les faire chanter du haut d’un perron de la chapelle, alliant à la fois le respect de la règle et la prestation de son œuvre géniale.  
Le Miserere est avant tout un psaume, plus précisément le psaume 50 du Roi David, que l’on trouve dans le livre des Psaumes dans l’Ancien Testament. Allegri va en composer le thème de chant en l’an 1638, soit neuf ans après sa prise de fonction en tant que Maître de la Chapelle Sixtine. Au fur et à mesure des années, le Miserere devient incontestablement l’œuvre de l’époque baroque la plus écoutée et la plus enregistrée ; dans le chant a capella, un verset sur deux était psalmodié d'une manière spécifique, dite monodique (comme cela se pratiquait depuis des siècles), à la fin de l'Office des Ténèbres, alors que les cierges qui éclairaient la chapelle étaient progressivement éteints.  
Lorsque le Miserere était chanté en présence du pape et des cardinaux, agenouillés, les chantres de la chapelle improvisaient de somptueux ornements sur la psalmodie, inscrite dans un canevas polyphonique, en style de faux-bourdon, une méthode relativement simple pour la musique baroque mais d’une efficacité redoutable et d’une très grande beauté. Ainsi il n’est pas habituel de ressentir l’impression d’entendre un instrument de musique qui accompagnerait, mais il n’en est rien, chaque voix a sa propre place. Thomas Tallis utilisera le même procédé pour la composition d’une autre œuvre sublime de l’art baroque, le Spen In Allium.
Nous sommes donc en présence d'une mise en forme post-tridentine basée sur une rhétorique baroque, d'une maîtrise absolument parfaite, cette maîtrise résultant que  Gregorio Allegri lui-même était chantre et prêtre.  
Une décision sévère du Vatican
Le résultat ne se fait pas attendre, face à un tel succès et un tel travail le Pape instaurera une règle très stricte à Allegri : désormais il est interdit que le Miserere soit chanté en dehors de la Chapelle Sixtine, et il devra être chanté uniquement deux fois dans l’année liturgique, le Mercredi Saint et le Vendredi Saint. Dure, très dure décision pour une œuvre musicale aussi géniale d’Allegri.
L’explication d’une telle décision des instances ecclésiastiques de Rome est assez simple, le Pape veut absolument garder le caractère unique et exclusif, interdisant également sa reproduction.  
À l'époque, le concept, l'idée même de droit d'auteur n'était pas encore née, et il n’était pas rare d’entendre que le transcrire ou le chanter ailleurs qu'en ces lieux, en dehors de la Chapelle Sixtine aurait été puni d'excommunication, et plus spécialement pour les choristes qui étaient les seules personnes à même de diffuser l'œuvre dans son intégralité. Celle-ci était alors propriété du commanditaire et de la chapelle musicale du Vatican, puisque aucun artiste n'exerçait de manière indépendante.
“Prends pitié de moi Seigneur”
Il est inévitable de ne pas prendre le temps de lire et de méditer sur le contenu de ce psaume, ô combien magnifique :
Miserere mei, Deus : secundum magnam misericordiam tuam.
Et secundum multitudinem miserationum tuarum, dēlē iniquitatem meam.
Amplius lavā me ab iniquitate mea : et peccato meo mundā me.
Quoniam iniquitatem meam ego cognōscō : et peccatum meum contra me est semper.
Tibi soli peccāvī, et malum coram te fēcī : ut justificeris in sermonibus tuis, et vincās cum judicaris.
Ecce enim in iniquitatibus conceptus sum : et in peccatis concepit me mater mea.
Ecce enim veritatem dilexisti: incerta et occulta sapientiæ tuæ manifestasti mihi.
Asperges me, Domine, hyssopo, et mundābor : lavābis me, et super nivem dēalbābor.
Auditui meo dabis gaudium et lætitiam : et exsultabunt ossa humiliata.
Averte faciem tuam a peccatis meis : et omnes iniquitates meas dele.
Cor mundum crea in me, Deus : et spiritum rectum innova in visceribus meis.
Ne projicias me a facie tua : et spiritum sanctum tuum ne auferas a me.
Redde mihi lætitiam salutaris tui : et spiritu principali confirma me.
Docebo iniquos vias tuas : et impii ad te convertentur.
Libera me de sanguinibus, Deus, Deus salutis meæ : et exsultabit lingua mea justitiam tuam.
Domine, labia mea aperies : et os meum annuntiabit laudem tuam.
Quoniam si voluisses sacrificium, dedissem utique : holocaustis non delectaberis.
Sacrificium Deo spiritus contribulatus : cor contritum, et humiliatum, Deus, non despicies.
Benigne fac, Domine, in bona voluntate tua Sion : ut ædificentur muri Jerusalem.
Tunc acceptabis sacrificium justitiæ, oblationes, et holocausta : tunc imponent super altare tuum vitulos.
Voici le texte sacré dans sa traduction française :
Pitié pour moi, mon Dieu, dans Ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense.
Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi.
Contre Toi, et Toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.
Ainsi, Tu peux parler et montrer Ta justice, être juge et montrer Ta victoire.
Moi, je suis né dans la faute, j’étais pécheur dès le sein de ma mère.
Mais Tu veux au fond de moi la vérité ; dans le secret, Tu m’apprends la sagesse.
Purifie-moi avec l’hysope, et je serai pur ; lave-moi et je serai blanc, plus que la neige.
Fais que j’entende les chants et la fête : ils danseront, les os que Tu broyais.
Détourne Ta face de mes fautes, enlève tous mes péchés.
Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de Ta face, ne me reprends pas Ton Esprit Saint.
Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne.
Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins ; vers toi, reviendront les égarés.
Libère-moi du sang versé, Dieu, mon Dieu sauveur, et ma langue acclamera Ta justice.
Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera Ta louange.
Si j’offre un sacrifice, Tu n’en veux pas, Tu n’acceptes pas d’holocauste.
Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; Tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.
Accorde à Sion le bonheur, relève les murs de Jérusalem.
Alors Tu accepteras de justes sacrifices, oblations et holocaustes ; alors on offrira des taureaux sur Ton autel.
Une difficulté à maintenir une prestation parfaite
La prestation du Miserere ne peut être éternelle car il faut bien changer et remplacer les choristes, qui ne donnent pas toujours le résultat initial.
Progressivement, la technique vocale des membres de la chapelle perdant en éclat et leur capacité à improviser de savants contrepoints s'étiolant, les ornements disparurent et à la fin du XVIIIe siècle il ne restait plus, des ornements, que les plus aigus : ceux qui étaient réservés aux castrats et qui étaient appris par cœur par deux sopranos. Ces derniers, avec le reste de la partition, ont été publiés par le biais de la première publication, faite par Charles Burney, en 1771.
Le “vol” et la reproduction “approximative” du Miserere
L'individualisme musical finira par apparaître à la fin du XVIIIe siècle, avec des compositeurs comme Joseph Haydn et Mozart, mais ne se développera réellement qu'au XIXe siècle.
Malgré toutes les nombreuses transcriptions supposées du Miserere parmi les cours royales d'Europe, jamais aucune n’a pu atteindre la qualité de la partition qui était chantée à Rome. Selon de nombreuses lettres, en 1770, Mozart, âgé de quatorze ans, réussit à retranscrire l'œuvre après seulement une ou deux écoutes. Alors qu'il visitait Rome, avec son père Leopold, il eut la chance de pouvoir écouter le Miserere le mercredi de la Semaine sainte, le 11 avril. Le soir même, il retranscrivait le morceau uniquement de mémoire. Il l'écouta encore une fois le vendredi qui suivit pour pouvoir faire quelques modifications. Le Miserere obtenu fut publié en 1771 à Londres par le Docteur Burney, historien de la musique et voyageur renommé et l'interdiction papale levée. Malheureusement cette version n'incluait pas l'ornementation baroque qui faisait une grande partie du succès et de la beauté du chant.
Mozart fut accusé d'avoir volé la partition car il paraissait impossible qu'un enfant de quatorze ans pût, en aussi peu d'écoutes, retranscrire la partition. La polyphonie était tout de même d'une relative simplicité et les aspects répétitifs de l'œuvre, nés de la succession des nombreux versets du psaume, avaient facilité le travail du jeune homme.
Felix Mendelssohn fit une autre transcription en 1831 tandis que le prêtre Pietro Alfieri transcrivit les fioritures en l’an 1840. L'édition avec ornementation jouée actuellement est un mélange assez réussi de ces deux transcriptions.
Le Miserere au XXIème siècle
Le Miserere a conservé une réputation de mystère et d'inaccessibilité pendant les siècles écoulés depuis sa composition jusqu'à l'époque moderne, surtout par le caractère exceptionnel d'une méditation qui semble imiter les voix angéliques, avec une certaine et remarquable magnificence, sur un schéma musical très simple et atteignant très régulièrement le suraigu, il s’en dégage un grand et profond sentiment de pureté. Il reste aujourd’hui une œuvre unique de l’art baroque, sans doute le plus représentatif de l’art religieux et sacré. La prouesse d’Allegri, laissant apparaître un génie comme il est difficile d’en trouver, a su traverser les âges et les siècles pour laisser en émoi chacun qui écoute et découvre une œuvre d’une telle beauté.
Chronique de Monsieur James-Olivier ARMIEGNOLA
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