Les nouvelles expériences d’une vie sans fin (5.2/15)
(Partie 2/2)
Le ciel commençait doucement à s’obscurcir, certaines étoiles piquant même par endroit la sombre voute, lorsque le groupe se réunit à nouveau près du quai de gare pour les ramener vers le Palais royal. Suite à leur session d’exploration matinale et à une pause déjeuner amplement méritée au regard de l’énergie dépensée, que cela soit dans l’art de la fuite ou de la négociation, la fin de journée avait été occupée par la visite de dernières échoppes ; les membres de la Confrérie en profitant pour commenter sur les découvertes de chacun, ou s’essayant à quelques jeux de foire.
Qilby, s’il préféra demeurer en retrait durant cette seconde période et tout au long du trajet-retour, fut néanmoins relativement gardé occupé par les discussions qu’entretenait Maître Joris. Le petit émissaire de Bonta, bien que ne le laissant transparaît à aucun moment, avait été surpris, mais surtout concerné par l’état du scientifique que lui avaient rapporté Ruel et Yugo. N’ayant pas eu l’opportunité d’échanger avec le vieil Éliatrope en dehors de « l’affaire Néphylis », il n’en demeurait pas moins fasciné par la perspectve d’un être ayant assisté à la naissance, ainsi qu’à la disparition de tant de siècles, si ce n’est de millénaires. Profitant de la présence des deux jumeaux pour détourner l’attention de Phaeris, il s’était alors étonné de son changement de ton concernant les créations douziennes, la curiosité ayant pris la place du désintérêt et du mépris. Étonnament, Qilby engagea lui-même certains sujets, touchant pour la plupart à la gestion politique et environnementale de leur monde :
Comment vos quatre factions se sont-elles élevées ?
Pourquoi concevoir une distinction entre les appartenances nationale et religieuse ?
Existe-t-il des territoires neutres ?
Avez-vous achevé de découvrir toutes les frontières de cette planète ?
La dernière souleva plusieurs interrogations, avant que l’autre ne lui explique que lui-même n’avait pas vraiment eu l’occasion d’en tenir une carte détaillée, car « occupé » selon ses propres dires, tout en soulignant que celle-ci ne ressemblait plus réellement à la version originale sur laquelle lui et son peuple avaient attéri… Si Maître Joris se contenta de réponses murement réfléchies, préférant ne pas dévoiler plus que nécessaire à celui qu’il considérait toujours comme une menace potentielle, il ajouta cependant qu’il verrait à lui pourvoir quelques revues (triées sur le volet), ce une fois la crise présente réglée. Le hochement de tête tardif ainsi que le regard désabusé qui lui furent renvoyés ne firent que renforcer ses craintes… Comme si l’Éliatrope ne se voyait pas à leurs côtés quand ils-…
« Répète un peu ça ?!
- Je constate simplement que ta cervelle de Iop n’est pas assez performante pour faire la différence entre une réelle arme et un bête instrument de musique. » Constata la princesse Amalia.
« C’est pas n’importe quelle arme d’abord, mais une arcépée : cet honorable maître d’arme l’a forgée lui-même et je ne te laisserai pas salir son illustre gé-… ! » Tenta de riposter Tristepin en brandissant l’item désigné, avant de se faire interrompre par un Énutrof moqueur.
« Et t’as-t-il seulement dit comment te battre avec ?! Regarde donc : on ne peut clairement pas porter le moindre coup, et même ton archère de p’tite amie s’rait bien incapable de tirer la moindre flèche avec ce bidule ! »
En y regardant de plus près, il apparaissait en effet que la large planche de bois, malgré sa parrure de métal ciselé, purement décorative, et ses cordes, dorées mais bien trop fines pour un usage militaire, avait tout d’un splendide Kokoto ; un instrument dont le nom provenait de la famille de créatures à sève, auxquelles les ébénistes aventuriers prélevaient leur écorce pour les fabriquer. Les airs sobres et contemplatifs qui résultaient du pincement léger des cordes inspiraient des paysages lointains, des îles étrangères aux levers de soleil resplendissants… Mais en aucun cas une quelconque arme futuriste, qui se briserait, d’ailleurs, bien trop aisément sur le crâne du premier adversaire venu…
« Je ne crains malheureusement que Sir Ruel n’ait raison, Sir Tristepin : il ne s’agit là que d’un Kokoto, un instrument à cordes prisé lors de certaines célébrations ou rituels sacrés. » Devant la mine déconfite du guerrier, il se pressa d’ajouter. « Toutefois c’est un ouvrage d’excellente facture que vous tenez. Je suis certain que vous saurez lui trouver une utilisation des plus prof-…
- Hum ? Voilà qui est amusant : êtes-vous certain de cela ? » Malgré l’étroitesse du wagon, l’assemblée se retourna vers Qilby. « Ce… Kokoto, c’est cela ? Notre peuple possédait un instrument relativement similaire, à quelques détails près, appelé Nawgo. Jadis, nous l’employions également en période de fêtes, en accompagnant les mélodies de chants afin de remercier notre Déesse pour ses bénédictions, et en la priant de bien vouloir continuer à veiller sur ses enfants. »
Si l’air quelque peu détaché et dubitatif du scientifique concernant la dernière partie de son récit ne passa pas inaperçu, cela n’empêcha pas le regard de ses cadets de s’illuminer à la mention de la culture de leur famille :
« Vraiment ? Quel genre de musique était-ce ? » Demanda Adamaï, souriant même au vieil Éliatrope. « L-les dragons aussi avaient le droit de participer ?!
- Oh ! Oh ! » S’exclama Yugo en bondissant presque sur son siège. « Tu dois bien les connaître, non ? T-tu pourrais peut-être nous en chanter une !
- C’est vrai que ça pourrait être sympa ! » Renchérit Ruel en soulevant Junior pour le poser sur ses genoux. « Et puis ça permettra de faire passer le voyage !
- J’aimerai, moi aussi, beaucoup entendre l’une des partitions de votre peuple... » Murmurra timidement Amalia, soutenue par un hochement de tête franc et sincère de son amie Évangéline.
« Bah, si ça peut rentabiliser un minimum ce… machin, je n’suis pas contre !
- Je ne vois pas d’objections à cela. » Se contenta d’ajouter Maître Joris, conscient que son approbation permettrait de contenir les réprobations de l’autre passager à écailles à leur opposé.
L’attention simultanée d’autant de personnes, pour la plupart de parfaits inconnus, et qui en outre, semblaient exiger une pièce de leur histoire comme des rapaces drapés de soie auxquels il avait déjà eu affaire par le passé, donna un instant au scientifique l’envie de clore le sujet aussi vite qu’il était venu : la culture Éliatrope devait renaître, non pas devenir une pièce de musée pour ces peuples les ayant devancé sur leurs propres terres !
Et puis…
Ce n’est pas comme si mes performances
vocales étaient des plus, voyons, « renommées ».
Nora était bien plus douée que moi
pour ce genre de choses.
…
Toutefois…
Toutefois, en effet, il mentirait en affirmant qu’il ne se languissait pas lui-même de pouvoir à nouveau entendre les balades et mélopées de leur temps révolu. De même, peu importe si Nora ou Efrim n’étaient pas là pour donner de la voix ou battre la mesure. Après tout, ces individus étaient parfaitement naïfs à ces chants… qu’il avait d’ailleurs enseignés personnellement à ses frères et sœurs, et dont il en était même, pour certains, le compositeur. Tant d’heures passées auprès d’un berceau ou d’un jeune esprit encore bien trop excité par les aventures du jour pour se laisser tenter par le sommeil ! Et enfin…
« Ma foi, pourquoi pas… » Répondit l’aîné, offrant son sourrire le plus simple à son auditoire. À Phaéris… « Cependant, la partie instrumentale n’a jamais été mon fort, malheureusement… En revance, notre très cher « Puissant » ici-présent possède, si ma mémoire est bonne, une griffe plutôt experte en la matière. »… son rictus le plus moqueur et crû.
Instantannément, Yugo et Adamaï étaient aux genoux du dragon turquoise, les yeux émerveillés et l’inmanquable requête aux lèvres. Phaéris, quant à lui, ne put s’empêcher de montrer quelques peu les crocs envers son frère rival.
Désolé, mon vieux,
mais si je dois sombrer dans le ridicule,
alors autant partager le plaisir
et t’y entrainer aussi !
Après moults demandes et regards plaintifs, Phaeris céda finalement, sans un mot si ce n’est un soupir agacé. L’instrument fut passé de mains en mains, et, une fois quelques réglages et faux accords, les premières notes s’élèverent enfin. Douces. Laconiques. Oubliées.
Qilby ferma les yeux. Il se remémorait, s’octroyait une poignée de secondes au cours desquelles il revenait dans une chambre au plafond peint, aux abords d’une cour illuminée de lampions, sous un arbre agité par une bise d’été… Se raclant légèrement la gorge, préférant laisser le film de ses souvenirs se prolonger sous ses paupières closes plutôt qu’affronter la foule de visages captivés, il laissa les premiers vers s’envoler :
« Au pied de ces collines ; où se tient mon village
Tous ont aux lèvres cet air du vent enchanteur,
Qui mène à d’autres rivages ; qui traverse les âges ~ !
Ô, ma douce mésange ; chante donc ton refrain ~ !
Puisse-t-il me faire découvrir les couleurs
À l’horizon lointain… »
Ce soir-là, en s’enfermant à nouveau dans sa chambre et ses livres, le scientifique eut comme l’impression qu’un poids avait été ôté de ses épaules. S’agissait-il d’un soulagement temporaire, dû à cette excursion, ou la perspective que, peut-être, leur histoire avait encore des pages vierges ? La passion des deux jeunes jumeaux ne lui avait pas échappé aujourd’hui, et il avait même cru déceler moins d’animosité à son égard de la part d’Adamaï.
Les autres Douziens, la « Confrérie du Tofu » comme ils aimaient à se présenter, n’était pas en reste. Il n’avait pas eu la possibilité d’approcher davantage le vieillard à l’étrange pelle (Ruel, n’est-ce pas ?) depuis leur repas avec Yugo, mais il n’avait pas manqué les petits hochements de tête encourageants qui lui étaient indéniablement adressés chaque fois qu’il prenait la parole face au groupe. Ce « Maître Joris » avait été d’une conversation surprenamment agréable, sans pour autant manquer de sincérité à défaut d’être toujours sur la réserve, et le couple de guerriers ne semblaient plus aussi prompt à l’abattre au moindre mot de travers... Fort aimable de leur part.
Quant à la princesse des Sadida, la fille des Sheran Sharms…
« Hum ? Qu’est-ce que… ? » S’étonna-t-il, sa conscience captant l’élément perturbateur.
Sur la table basse, de laquelle avaient été soigneusement écartées plusieurs de ses notes, se trouvait une petite cage de verre et d’argent. D’abord prudent vis-à-vis de l’objet, il se décida finalement à l’inspecter davantage, préférant se rassurer sur le fait que les gardes à sa porte n’auraient pas laissé un parfait inconnu pénétrer dans la cellule d’un criminel de son envergure. C’est ainsi qu’il s’aperçut qu’en son sein, étaient alignées trois petits pots de terre cuite abritant diverses plantes grasses et autres succulentes, qui, si elles lui évoquaient bien quelques noms éloignés, appartenaient définitivement à cette planète. Ce n’était donc pas un coffret, mais une sorte de serre miniature ! Et si le silence de sa cellule n’avait pu répondre à ses précédentes interrogations, ce fut néanmoins le cas de la note qu’il récupéra aux côtés de celle-ci :
« Voici de quoi embellir un brin votre chambre.
Elles ne sont, certes, pas aussi ravissantes que celles de Zeden,
mais j’espère qu’elles pourront vous apporter un peu
de réconfort en attendant que nous trouvions une… « solution ».
Si vous veniez à vouloir en apprendre davantage sur celles-ci
(ce que je ne doute pas)
sachez que je serai ravie de vous les présentez !
Je suis également certaine que vous adorerez la roseraie royale :
nous devrions y faire un tour à l’occasion !!
~ Princesse Amalia Sheran Sharm
PS : Pas plus d’un arrosage par semaine ! »
Voilà qui était des plus… inattendus. Il avait cru déceler un intérêt commun avec la jeune fille concernant la botanique, mais ne s’était très certainement pas appesanti sur ce point… Après tout, qui était-il si ce n’est celui qui avait battu deux de ses gardes, trahi la confiance de son père et de son peuple, tenté d’envahir leur monde par un portal inter-dimensionnel pour enfin presque achever la dynastie des Éliatropes, et par cela même le garçon qui faisait battre son cœur de lierre ? Comment ? Évidemment qu’il avait relevé la dance maladroite et timide qui se tenait chaque fois que la Sadida et son frère se rencontraient : il était myope mais pas aveugle ! Après des centaines de réincarnations, il avait fini par reconnaître ce genre d’indices, auxquels Yugo, lui, semblait demeurer naïf.
Tss…
Dire qu’il y a encore quelques siècles,
j’aurai encore été responsable de
« la discussion ».
Enfin, il s’agit là d’une fonction que
je lègue sans mal à ce cher Alibert… Bon courage à lui.
Tout au long de son monologue intérieur, ses yeux n’avaient pas cessé leurs allers-retours entre les épaisses feuilles au vert éclatant et l’écriture élégante digne d’une fille de la Cour. Il ne se priverait pas d’un allié supplémentaire en ces lieux, pas quand son avenir rechignait toujours à se dessiner clairement. Ces derniers jours avaient été chaotiques, exténuants… Mais, Déesse, comme il avait pu se sentir vivant ! Revenir explorer les couloirs du Zinit, devenir un instant le spectateur de sa propre civilisation, se retrouver plonger au cœur de son ancien laboratoire envahi par une faune et une flore qu’il ne maîtrisait qu’aux yeux de parfaits novices ! Courir dans les avenues d’un marché tel des enfants s’imaginant vauriens !... Ne pas songer un seul instant à se retourner… Cela lui rappelait…
Aroh…
Je me demande ce qu’il se serait passé si nous avions su- si je…
Si seulement j’avais eu le courage de…
Alors peut-être que nos deux familles auraient pu apprendre comment vivre en paix…
Peut-être serais-tu toujours là,
peut-être aurais-tu même accepté de rester à mes côtés…
Aux anciennes images, vinrent se superposer les visages des compagnons de la Confrérie du Tofu, tous si différents les uns des autres, si étrangers de leur peuple, de l’histoire de leur ami… et qui n’avaient pourtant pas hésité un seul instant à mettre leurs vies entre ses projets destructeurs et leurs idéaux de paix. Derrière leur abri de verre, des bourgeons charnus laissaient déjà entrapercevoir de larges pétales multicolores qui ne tarderaient pas à paraître.
Tant de choses étranges sont survenues.
Des évènements que je n’avais pas pu prévoir,
qui se s’étaient jamais produits auparavant.
Alors…
Peut-être que cette fois…
Un léger tapotement le fit brusquement sortir de ses contemplations. Un bref regard vers la porte, ou plus particulièrement le faible interstice de l’encadrement, le rassura : le soleil s’était couché depuis un peu plus de deux heures, et l’ombre des gardes devant sa porte avait disparue. Conformément à ses observations, la relève devrait arriver dans à peine quelques minutes, après avoir brièvement échangé avec la précédente sur le moindre élément « suspect » venant de sa part. Toutefois, une inspection n’ayant lieu qu’au moment des repas, il ne devrait pas s’inquiéter avant celle du lendemain. Excellent. Une seconde frappe plus insistante cette fois-ci, se fit entendre, forçant le scientifique à accourir près de la ridicule ouverture qui faisait office de fenêtre.
« Voilà, voilà, un instant ! » Maugréa-t-il le plus discrètement possible avant d’ouvrir cette dernière. « Faites attention au rebord juste ici et- oui, donnez-moi donc votre sac, vous pourrez sans aucun doute passer plus facilement par la suite. »
Deux ou trois murmures anxieux et craquements étouffés plus tard, une nouvelle silhouette se trouvait dans la chambre du vieil Éliatrope, dont les oreilles demeuraient à l’affut du moindre pas dans le couloir adjacent. Habitudes d’une vie passée sous les regards d’une ancienne Couronne. L’autre individu, quant à lui, semblait plus occupé par les harnais et le matériel d’escalade intégré qu’il devait à présent déséquiper de son armature d’origine :
« Eh bien, eh bien ! Tout cela n’est plus de l’âge de mes rouages ! » Un crachotement mécanique vint appuyer ses propos. « Vous savez, fut un temps, j’étais un savant itinérant ! Et puis, j’ai pris une flèche dans le rotor, et-… !
- Vous n’avez pas été suivi ? Personne ne vous a vu ? » Préféra s’enquérir Qilby.
« Non, calmez-vous très cher confrère, ma présence en ces lieux est inconnue de tous si ce n’est de vous ! » Les dernières lanières de cuir aux accroches métalliques furent soigneusement rangées. « Il m’est déjà arrivé de devoir me dissimuler quelques temps aux yeux du Congrès et même de nos dirigeants, qui devraient songer à émerger plus souvent tant leurs neurones semblent manquer d’oxygène, haha ! »
Il se releva enfin, avant d’ajouter sur un ton dont le sérieux tranchait inhabituellement avec son attitude :
« Croyez-moi, mon cher Heydel Weiß, vous n’avez rien à redouter de mes motifs… Foi d’Ayssla, ces maudits cols blancs ont par trop de fois ruiné mes projets pour que je puisse leur accorder le respect qu’ils exigent : c’est bien la moindre des choses que d’utiliser leurs couleurs pour tenter de subvenir à mes besoins ! » Le Steamer se dirigea vers l’imposant bagage qu’il avait emmené. « Mais jamais la Science ne devrait avoir à se plier à de telles dérisions politiques.
- Décidemment, voilà encore un autre point sur lequel je ne peux vous contredire… » Approuva le chercheur Éliatrope.
« Haha, parfait, parfait ! Durant ces mois d’errances, où je ne pouvais me résoudre à simplement attendre un énième démenti ou une autre recommandation, j’ai appris deux principes fondamentaux chez les ingénieurs de l’ombre… » Il leva un index rutilant. « Premièrement, « en cas de consentement, fait des plus rares en ces conditions, alors l’expérimentateur n’a pas le luxe de connaître les raisons du sujet», ce qui nous amène au second point…
- « si le sujet consent à l’expérience, alors il accepte d’être le seul responsable des conséquences qu’il encoure »… » Silence pesant. « Ou quelque chose d’approchant, je présume ? »
Pendant quelques secondes, l’être de métal contempla ces paroles… Avant qu’un large sourire ne vienne étirer vis et boulons.
« Tout à fait ! » Chantonna-t-il presque. « Nous sommes deux scientifiques, enfreignant actuellement de multiples règles internationales, ou simplement de bienséance, ce dans l’unique but de nous entraider, hum ?! Moi, je gagne la possibilité d’appliquer mes recherches, et vous vous… ! »
À ces mots, Qilby releva le large pan d’étoffe dissimulant son flanc gauche. Un bref coup d’œil analyste de l’autre, un roulement à bille grinçant.
« Et vous… vous gagnez votre honnête part du marché.
- Tout à fait. » Conclut l’autre.
L’inventeur solitaire se mit alors à remuer dans ses outils, plans et autres ressources, visiblement excité, tandis que la coiffe ivoire vint docilement s’asseoir à sa table de travail, finissant de se débarrasser de sa tunique. Une dernière inspection auprès de l’unique entrée lui certifia qu’à partir de cet instant, il ne pouvait plus reculer :
« Les gardes sont à deux pas d’ici : ils ne vont pas tarder à reprendre leur poste. » Signifia-t-il au Steamer. « Comme convenu, nous ne pourrons plus échanger si ce n’est par écrit et en cas d’extrême nécessité… Et les feuilles seront brulées à l’aube, bien entendu… Cela vous convient-il ?
- Il est un peu tard pour ce genre de questions, partenaire, ne croyez-vous pas ? » Plaisanta Ayssla, avant d’ajouter. « Êtes-vous certain que voir de la lumière si tard ne risque toutefois pas de les alerter ?
- Aucun risque : je pense avoir déjà fait montre de mes insomnies chroniques au cours de mon séjour. Ils ne viendront pas nous déranger. »
Les dits soldats ne tardèrent en effet pas à faire entendre leur marche cadencée à la suite d’un prompt salut à leurs collègues. Plus que quelques secondes…
« Bien, une dernière chose mais non des moindres… » Qilby ne s’était pas imaginé que des cordes vocales d’acier étaient capables de susurrer ainsi. « Mon très cher Weiß, acceptez-vous de vous soumettre à cette expérience ? »
« Tss, vieille école, hum ? » Lui lança-t-il, un rictus malin en coin pour masquer la boule qui lui nouait la gorge. « … J’y consens. »
Phaeris arpentait les couloirs sans répit, n’osant s’éloigner un seul instant pour évacuer ses ruminations dans une tournée des airs qui aurait au moins eu le mérite de soulager ses vieux nerfs. Ce satané Qilby ! Le dragon avait dû faire face à de nombreux défis dans sa longue existence, mais rien ni quiconque n’avait jamais réussi l’exploit de dépasser le scientifique en termes d’exaspération et de rage : c’était bien simple, à chaque fois que se présentait une intersection, il devait se retenir de s’y jeter comme si ce-dernier l’y attendait, un mauvais tour dissimulé dans son dos !
Ou tout simplement une dague…
Il était déjà parvenu à terroriser deux malheureux servants, qui n’avaient pas jugé nécessaire de l’avertir de leur présence. Leurs racines s’en étaient trouvées racornies d’effroi face aux crocs et aux griffes, acérés bien que jaunis.
Nous ne pouvons pas lui faire confiance.
Le Traître n’a d’honneur que pour son titre.
Il récidivera et recommencera le cycle à nouveau…
Ce n’est qu’une question de temps.
Je suis désolé, Yugo,
mais Phaeris ne partage pas ta patience ni tes faux espoirs…
Nous pouvons oublier les erreurs du passé…
Lui en semble incapable.
Il ne sortira pas du rôle qu’il s’est donné,
car cela reviendrait à avouer ses torts,
et ça, jamais il ne le s- !
« S-Sieur Phaeris ! P-Pardonnez-moi, m-mais auriez un instant pour… ?!
- Hum ? »
L’un des dits serviteurs se trouvait à quelques mètres derrière lui, et semblait reprendre difficilement son souffle… Du fait de sa course ou de la présence de leur hôte à écailles, nul ne le sait.
« V- Il… » Inspiration profonde. « U-un messager en provenance de B-Bonta ! I-Il demande audience ! »
Comme invoqué par ces paroles, un individu, tout de bleu et d’argent vêtu et porteur des sceaux officiels de la nation de la Justice apparut. Ses habits de voyages, à l’instar de son teint pâle et de ses cernes, témoignaient d’un long périple à bride abattue… Et sa mine exténuée n’occurrait qu’un mauvais présage :
« Je- rahum… Messire Phaeris, dit Le Puissant, frère de Yugo l’Éliatrope et d’Adamaï le dragon, défendeur des Dofus, allié de-…
- Quel est le problème ? »
Il avait beau aimer les honneurs, l’heure n’était plus aux politesses d’usage. L’autre soupira, le relâchement de ses muscles forçant presque le servant à venir l’assister… Enfin, la voix grave, la confirmation de ses craintes, se matérialisa :
« C’est la bête, Sir, elle… N-Nous avons perdu contact avec la tour Est. L-les prairies de Montay, nous… Nous les avons perdues ! »
Alors, alors,
« petite fleur » ?
Cela n’est pas très poli de faire
ainsi des cachoteries,
tu le sais, non ?!
Fais bien attention à toi,
certains sont tombés pour
moins que cela ~♪
~ Fin du Chapitre 5
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