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Nekfeu - Humanoïde
Est-ce que tu t'es d'jà fait rabaisser par celle que t'aimais secrètement ? Gentille en privé mais, d'vant les gens, cruelle et légère Est-ce que t'as d'jà tapé quelqu'un juste pour qu'on te respecte ? Sans excuse, est-ce que t'as d'jà regretté au point d'ber-ger ? Est-ce que tu t'es d'jà dit : "Faut qu'j'me secoue, j'ai plus 16 ans" ? N'être plus qu'une âme perdue, errer et rôder des heures Voir un mec s'faire racketter, appeler au s'cours et pisser l'sang Dans le même wagon du RER où t'étais seul Est-ce que t'as détourné l'regard ? Dégoûté face à ta propre lâcheté Est-ce qu'après t'as fait des trucs de malade juste pour t'racheter ? Est-ce pour ça qu't'as été violent quand la prof t'a jeté ? Est-ce que tu t'es identifié au taf de Kourtrajmé ? Est-ce que tu gardais, à l'époque Des secrets d'famille lourds dont tu peux même pas parler à tes potes ? Même pas deux balles pour un café, rêvais-tu d'sauter la serveuse ? L'été, à Paris, dans les parcs, tu sortais la serviette Est-ce que t'as d'jà ressenti l'ivresse en t'imaginant la tristesse De ceux qui te connaissent si tu t'faisais sauter la cervelle ? Est-ce que t'as d'jà ressenti la nature Au point qu'ça en soit douloureux ? Aimerais-tu partir en souhaitant bonne chance à tous les reufs ? Est-ce que tu t'es d'jà menti à toi-même ? Est-ce que t'as été surpris quand on t'a dit : "On tient à toi, mec" ? Est-ce que tu serais fidèle, même terrifié avec un flingue sur la tempe ? Est-ce que t'as honte de vérifier qu't'es bien coiffé sur la tof ? As-tu déjà brisé d'tes mains la vitrine d'un zin-gam ? Victime du seum et du stress qui détruit nos organes En regardant goutter ton sang, t'es-tu déjà planqué Pour recompter ta somme jusqu'à c'qu'un condé t'assomme ? Est-ce que tu t'réveilles au milieu d'la nuit ? Encore une inspi' En sachant qu'l'alcool et les spliffs abîment le corps et l'esprit T'es-tu remis avec elle après qu'elle t'ait été infidèle ? Est-ce que t'oublies que tu l'as détestée et t'as envie d'elle ? Est-ce que, pour n'pas la gifler, t'as dû te battre contre l'instinct ? T'es-tu juré que plus jamais tu perdrais l'contrôle à c'point ? Est-ce que t'étais comme vide quand ils t'ont annoncé ? T'en es-tu voulu de n'pas pleurer sa mort ? Est-ce que tu t'es forcé ? Est-ce que c'est venu plus récemment, pour un détail anodin ? Au point de chialer toute la nuit sur un vieux son de rap français ? J'ai pas fait d'études, j'emmerde tes politiques, j'ai pas fait HEC J'ai pas b'soin d'ça pour m'exprimer Quand j'vois des pauvres sur la chaussée J'connais les tafs de merde, les potes qui partent, le shit dans la chaussette J'me suis longtemps d'mandé si j'pouvais faire quelque-chose mais, là, je sais Non, j'ai pas fait l'ENA ni Sciences Po, j'ai pas fait HEC J'ai pas b'soin d'ça pour m'exprimer quand j'vois des pauvres sur la chaussée J'connais les tafs de merde, les potes qui partent, le shit dans la chaussette J'me suis longtemps d'mandé... J'viens d'un monde où même les morts sont à vendre, j'avance car l'avenir m'attire Et j'réponds aux questions du morceau d'avant par l'affirmatif Personne pour alléger nos peines, tu f'rais quoi à notre place ? Y'a des choses qu'on doit faire seul, personne pourra lécher nos plaies �� notre place, parcourir la ville avec mes chats crevés Partager chaque grain, noyer notre chagrin dans chaque rre-ve Trempés jusqu'aux os sous l'averse, des chats de gouttière Dans cette vie sans saveur, on cherche les goûts d'hier Alors le sang se verse, elle attend son sauveur, ma princesse Mais, un jour, j'partirai sans affaire, attiré par les sens inverses Cette envie d'bombarder quand tous les feux sont rouges J'ai l'esprit daltonien, toi, tu fais l'mal quand t'étales ton bien Mes pensées enfermées dans une tôle hermétique Un amour infini pour mes proches qui m'pardonnent, ceux qui tolèrent mes tics Peu d'respect pour les colleurs d'étiquettes, vu qu'mon cœur a la couleur des tigres Le sang glacial sous la polaire, j'médite J'te parle d'honneur, d'éthique, nos parents ont souffert debout Chaque victoire, ils sont fiers de nous, pour ça qu'on leur dédie J'ai la colère des p'tits à qui on d'mande de choisir d'un coup leur métier Qui a conseillé la conseillère d'orientation ? Ma jeunesse : son cœur est en sang, l'oseille est en rotation Profiter sans faire attention t'emmène en centre de rétention Obligé d's'enterrer dans l'son, trouver une putain d'raison d'vivre J'ai frappé dans les murs, mais ça résonne vide C'est pour les gosses à l'allure bizarre, les voleurs, les Elephant Man Les mecs instables qu'ont des putains d'valeurs mais les défendent mal, humanoïde Entrer dans ce monde plat nous dessert ; j'plane, est-ce le désir ? J'ai peur que d'moi car le sage n'est pas d'ceux qui craint le sabre Écrivain le soir, j'rappe sur les dunes pendant des heures Un petit grain de sable, la solitude m'inspire des airs Et j'entends tout ce rap dans mon crâne, comme des mantras qui m'entravent Et, même quand on montera, y'a toujours quelque chose qui manquera Tant que j'continuerai à reculer pour compter mes pas Le pire, c'est d'capter qu'c'est même pas qu'on t'aimait pas, C'est juste qu'on t'ignorait Pire qu'un robot d'Asimov, ta vie : un casino T'es quasiment en liberté enfermé dans des cases immenses Une femme battue se fait carna, carnage désincarné Sang écarlate sur le carrelage, moi, je garde ça dans un carnet Trop de mômes en prison, fuis ce monde oppressant Trop de moments précieux, vis le moment présent J'emmerde l'horloger, tu f'rais mieux de réfléchir Famille de réfugiés jamais relogée Quand j'parle de valeurs, ils m'parlent de premiers prix Ils méprisent la maîtrise, je maîtrise le mépris En dépit de l'esprit, on est pris dans les cris Seul face à mon reflet : aucune symétrie Et puis j'ai rendu la seule qui m'aimait triste Celle qui s'était éprise de mes tristes débris Et mes regrets, mes tripes, car j'ai vu depuis Mes écrits la détruire, la déprime l'amaigrir Quand l'amour rend aigri, ça t'vient fatalement Comme la fin d'un monde où l'soleil mourant est gris Meurtri comme un ermite, je ne décris que l'éternité Putride devient l'esprit qu'on a pétri de modernité Je ne vois que des vitrines mais, ce qui brille, nous le ternissons Des crises, des crimes, des cris, des griffes que nous vernissons C'est pour les cyborgs défectueux, les Elephant Man Les mecs instables qu'ont des putains d'valeurs mais les défendent mal, humanoïde Comme si ça pouvait m'porter malheur de croire à mon propre bonheur Je crois qu'ça m'fait peur tellement j'ai souffert Encore un texte rempli d'aveux, pour toi, si l'amour rend aveugle Pourquoi l'ai-je embrassée les yeux ouverts ? Comme si ça pouvait m'porter malheur de croire à mon propre bonheur Je crois qu'ça m'fait peur tellement j'ai souffert Encore un texte rempli d'aveux, pour toi, si l'amour rend aveugle Pourquoi l'ai-je embrassée les yeux ouverts ?
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THE CALENDAR HUNG ITSELF - Bright Eyes
Does he kiss your eyelids in the morning when you start to raise your head? And does he sing to you, incessantly, from the space between your bed and wall? Does he walk around all day at school, with his feet inside your shoes? Looking down every few steps to pretend he walks with you? Oh, Does he know that place below your neck that's your favorite to be touched? And does he cry through broken sentences like, "I love you far too much"? Autos entkommen knapp Totalcrash auf verschneiter Straße Does he lay awake listening to your breath? Worried you smoke too many cigarettes? Is he coughing now? On a bathroom floor? For every speck of tile There's a thousand more You won't ever see But must hold inside yourself Eternally Well, I drug your ghost across the country And we plotted out my death In every city, memories would whisper, "Here is where you rest." I was determined in Chicago But I dug my teeth into my knees And I settled for a telephone Sang into your machine, "You are my sunshine, My only sunshine. You are my sunshine, My only sunshine." And I kissed a girl with a broken jaw That her father gave to her She had eyes bright enough to burn me; They reminded me of yours And in a story told, she was a little girl in a red-rouge, sun-bruised field And there were rows of ripe tomatoes, where a secret was concealed And it rose like thunder Clapped under our hands And it stretched for centuries To a diary entry's end Where I wrote, "You make me happy, Oh, when skies are gray. You make me happy Oh, when skies are gray, and gray, and gray." Well the clock's heart it hangs inside its open chest With its hands stretched towards the calendar hanging itself But I will not weep For those dying days For all the ones who've left There's a few that stayed And they found me here And pulled me from the grass Where I was laid
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#HeforShe
(...) The more I spoke about feminism, the more I realized that fighting for women’s rights has too often become synonymous with man-hating. If there is one thing I know for certain, it is that this has to stop.
For the record, feminism by definition is the belief that men and women should have equal rights and opportunities. It is the theory of political, economic and social equality of the sexes.
I started questioning gender-based assumptions a long time ago. When I was 8, I was confused for being called bossy because I wanted to direct the plays that we would put on for our parents, but the boys were not. When at 14, I started to be sexualized by certain elements of the media. When at 15, my girlfriends started dropping out of sports teams because they didn’t want to appear muscly. When at 18, my male friends were unable to express their feelings.
I decided that I was a feminist, and this seemed uncomplicated to me. But my recent research has shown me that feminism has become an unpopular word. Women are choosing not to identify as feminists. Apparently, I’m among the ranks of women whose expressions are seen as too strong, too aggressive, isolating, and anti-men. Unattractive, even.
Why has the word become such an uncomfortable one? I am from Britain, and I think it is right I am paid the same as my male counterparts. I think it is right that I should be able to make decisions about my own body. I think it is right that women be involved on my behalf in the policies and decisions that will affect my life. I think it is right that socially, I am afforded the same respect as men.
But sadly, I can say that there is no one country in the world where all women can expect to see these rights. No country in the world can yet say that they achieved gender equality. These rights, I consider to be human rights, but I am one of the lucky ones.
My life is a sheer privilege because my parents didn’t love me less because I was born a daughter. My school did not limit me because I was a girl. My mentors didn't assume that I would go less far because I might give birth to a child one day. These influences were the gender equality ambassadors that made me who I am today. They may not know it, but they are the inadvertent feminists that are changing the world today. We need more of those.
And if you still hate the word, it is not the word that is important. It’s the idea and the ambition behind it, because not all women have received the same rights I have. In fact, statistically, very few have.
In 1997, Hillary Clinton made a famous speech in Beijing about women’s rights. Sadly, many of the things that she wanted to change are still true today. But what stood out for me the most was that less than thirty percent of the audience were male. How can we effect change in the world when only half of it is invited or feel welcome to participate in the conversation?
Men, I would like to take this opportunity to extend your formal invitation. Gender equality is your issue, too. Because to date, I’ve seen my father’s role as a parent being valued less by society, despite my need of his presence as a child, as much as my mother’s. I’ve seen young men suffering from mental illness, unable to ask for help for fear it would make them less of a man. In fact, in the UK, suicide is the biggest killer of men between 20 to 49, eclipsing road accidents, cancer and coronary heart disease. I’ve seen men made fragile and insecure by a distorted sense of what constitutes male success. Men don’t have the benefits of equality, either.
We don’t often talk about men being imprisoned by gender stereotypes, but I can see that they are, and that when they are free, things will change for women as a natural consequence. If men don’t have to be aggressive in order to be accepted, women won’t feel compelled to be submissive. If men don’t have to control, women won’t have to be controlled.
Both men and women should feel free to be sensitive. Both men and women should feel free to be strong. It is time that we all perceive gender on a spectrum, instead of two sets of opposing ideals. If we stop defining each other by what we are not, and start defining ourselves by who we are, we can all be freer, and this is what HeForShe is about. It’s about freedom.
I want men to take up this mantle so that their daughters, sisters, and mothers can be free from prejudice, but also so that their sons have permission to be vulnerable and human too, reclaim those parts of themselves they abandoned, and in doing so, be a more true and complete version of themselves.
(...)
All I know is that I care about this problem, and I want to make it better. And, having seen what I’ve seen, and given the chance, I feel it is my responsibility to say something.
Statesman Edmund Burke said, “All that is needed for the forces of evil to triumph is for good men and women to do nothing.”
In my nervousness for this speech and in my moments of doubt, I told myself firmly, “If not me, who? If not now, when?” If you have similar doubts when opportunities are presented to you, I hope those words will be helpful. Because the reality is that if we do nothing, it will take seventy-five years, or for me to be nearly 100, before women can expect to be paid the same as men for the same work. Fifteen and a half million girls will be married in the next 16 years as children. And at current rates, it won't be until 2086 before all rural African girls can have a secondary education.
If you believe in equality, you might be one of those inadvertent feminists that I spoke of earlier, and for this, I applaud you. We are struggling for a uniting word, but the good news is, we have a uniting movement. It is called HeForShe. I invite you to step forward, to be seen and to ask yourself, “If not me, who? If not now, when?”
Emma Watson’s inspiring speech on gender equality, 2014
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Pâques à New York - Blaise Cendrars
Seigneur, c’est aujourd’hui le jour de votre Nom, J’ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion,
Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes paroles Qui pleurent dans le livre, doucement monotones.
Un moine d’un vieux temps me parle de votre mort. Il traçait votre histoire avec des lettres d’or
Dans un missel, posé sur ses genoux. Il travaillait pieusement en s’inspirant de Vous.
À l’abri de l’autel, assis dans sa robe blanche, il travaillait lentement du lundi au dimanche.
Les heures s’arrêtaient au seuil de son retrait. Lui, s’oubliait, penché sur votre portrait.
À vêpres, quand les cloches psalmodiaient dans la tour, Le bon frère ne savait si c’était son amour
Ou si c’était le Vôtre, Seigneur, ou votre Père Qui battait à grands coups les portes du monastère.
Je suis comme ce bon moine, ce soir, je suis inquiet. Dans la chambre à côté, un être triste et muet
Attend derrière la porte, attend que je l’appelle! C’est Vous, c’est Dieu, c’est moi, — c’est l’Éternel.
Je ne Vous ai pas connu alors, — ni maintenant. Je n’ai jamais prié quand j’étais un petit enfant.
Ce soir pourtant je pense à Vous avec effroi. Mon âme est une veuve en deuil au pied de votre Croix;
Mon âme est une veuve en noir, — c’est votre Mère Sans larme et sans espoir, comme l’a peinte Carrière.
Je connais tous les Christs qui pendent dans les musées; Mais Vous marchez, Seigneur, ce soir à mes côtés.
Je descends à grands pas vers le bas de la ville, Le dos voûté, le coeur ridé, l’esprit fébrile.
Votre flanc grand-ouvert est comme un grand soleil Et vos mains tout autour palpitent d’étincelles.
Les vitres des maisons sont toutes pleines de sang Et les femmes, derrière, sont comme des fleurs de sang,
D’étranges mauvaises fleurs flétries, des orchidées, Calices renversés ouverts sous vos trois plaies.
Votre sang recueilli, elles ne l’ont jamais bu. Elles ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul.
Les fleurs de la Passion sont blanches, comme des cierges, Ce sont les plus douces fleurs au Jardin de la Bonne Vierge.
C’est à cette heure-ci, c’est vers la neuvième heure, Que votre Tête, Seigneur, tomba sur votre Coeur.
Je suis assis au bord de l’océan Et je me remémore un cantique allemand,
Où il est dit, avec des mots très doux, très simples, très purs, La beauté de votre Face dans la torture.
Dans une église, à Sienne, dans un caveau, J’ai vu la même Face, au mur, sous un rideau.
Et dans un ermitage, à Bourrié-Wladislasz, Elle est bossuée d’or dans une châsse.
De troubles cabochons sont à la place des yeux Et des paysans baisent à genoux Vos yeux.
Sur le mouchoir de Véronique Elle est empreinte Et c’est pourquoi Sainte Véronique est Votre sainte.
C’est la meilleure relique promenée par les champs, Elle guérit tous les malades, tous les méchants.
Elle fait encore mille et mille autres miracles, Mais je n’ai jamais assisté à ce spectacle.
Peut-être que la foi me manque, Seigneur, et la bonté Pour voir ce rayonnement de votre Beauté.
Pourtant, Seigneur, j’ai fait un périlleux voyage Pour contempler dans un béryl l’intaille de votre image.
Faites, Seigneur, que mon visage appuyé dans les mains Y laisse tomber le masque d’angoisse qui m’étreint.
Faites, Seigneur, que mes deux mains appuyées sur ma bouche N’y lèchent pas l’écume d’un désespoir farouche.
Je suis triste et malade. Peut-être à cause de Vous, Peut-être à cause d’un autre. Peut-être à cause de Vous.
Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le Sacrifice Est ici, parquée, tassée, comme du bétail, dans les hospices.
D’immenses bateaux noirs viennent des horizons Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons.
Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols, Des Russes, des Bulgares, des Persans, des Mongols.
Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens. On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens.
C’est leur bonheur à eux que cette sale pitance. Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance.
Seigneur dans les ghettos grouille la tourbe des Juifs Ils viennent de Pologne et sont tous fugitifs.
Je le sais bien, ils t’ont fait ton Procès; Mais je t’assure, ils ne sont pas tout à fait mauvais.
Ils sont dans des boutiques sous des lampes de cuivre, Vendent des vieux habits, des armes et des livres.
Rembrandt aimait beaucoup les peindre dans leurs défroques. Moi, j’ai, ce soir, marchandé un microscope.
Hélas! Seigneur, Vous ne serez plus là, après Pâques! Seigneur, ayez pitié des Juifs dans les baraques.
Seigneur, les humbles femmes qui vous accompagnèrent à Golgotha, Se cachent. Au fond des bouges, sur d’immondes sophas,
Elles sont polluées par la misère des hommes. Des chiens leur ont rongé les os, et dans le rhum
Elles cachent leur vice endurci qui s’écaille. Seigneur, quand une de ces femmes me parle, je défaille.
Je voudrais être Vous pour aimer les prostituées. Seigneur, ayez pitié des prostituées.
Seigneur, je suis dans le quartier des bons voleurs, Des vagabonds, des va-nu-pieds, des recéleurs.
Je pense aux deux larrons qui étaient avec vous à la Potence, Je sais que vous daignez sourire à leur malchance.
Seigneur, l’un voudrait une corde avec un noeud au bout, Mais ça n’est pas gratis, la corde, ça coûte vingt sous.
Il raisonnait comme un philosophe, ce vieux bandit. Je lui ai donné de l’opium pour qu’il aille plus vite en paradis.
Je pense aussi aux musiciens des rues, Au violoniste aveugle, au manchot qui tourne l’orgue de Barbarie,
À la chanteuse au chapeau de paille avec des roses de papier; Je sais que ce sont eux qui chantent durant l’éternité.
Seigneur, faites-leur l’aumône, autre que de la lueur des becs de gaz, Seigneur, faites-leur l’aumône de gros sous ici-bas.
Seigneur, quand vous mourûtes, le rideau se fendit, Ce que l’on vit derrière, personne ne l’a dit.
La rue est dans la nuit comme une déchirure, Pleine d’or et de sang, de feu et d’épluchures.
Ceux que vous aviez chassés du temple avec votre fouet, Flagellent les passants d’une poignée de méfaits.
L’Étoile qui disparut alors du tabernacle, Brûle sur les murs dans la lumière crue des spectacles.
Seigneur, la Banque illuminée est comme un coffre-fort, Où s’est coagulé le Sang de votre mort.
Les rues se font désertes et deviennent plus noires. Je chancelle comme un homme ivre sur les trottoirs.
J’ai peur des grands pans d’ombre que les maisons projettent. J’ai peur. Quelqu’un me suit. Je n’ose tourner la tête.
Un pas clopin-clopant saute de plus en plus près. J’ai peur. J’ai le vertige. Et je m’arrête exprès.
Un effroyable drôle m’a jeté un regard Aigu, puis a passé, mauvais, comme un poignard.
Seigneur, rien n’a changé depuis que vous n’êtes plus Roi. Le Mal s’est fait une béquille de votre Croix.
Je descends les mauvaises marches d’un café Et me voici, assis, devant un verre de thé.
Je suis chez des Chinois, qui comme avec le dos Sourient, se penchent et sont polis comme des magots.
La boutique est petite, badigeonnée de rouge Et de curieux chromos sont encadrés dans du bambou.
Ho-Kousaï a peint les cent aspects d’une montagne. Que serait votre Face peinte par un Chinois ? ..
Cette dernière idée, Seigneur, m’a d’abord fait sourire. Je vous voyais en raccourci dans votre martyre.
Mais le peintre, pourtant, aurait peint votre tourment Avec plus de cruauté que nos peintres d’Occident.
Des lames contournées auraient scié vos chairs, Des pinces et des peignes auraient strié vos nerfs,
On vous aurait passé le col dans un carcan, On vous aurait arraché les ongles et les dents,
D’immenses dragons noirs se seraient jetés sur Vous, Et vous auraient soufflé des flammes dans le cou,
On vous aurait arraché la langue et les yeux, On vous aurait empalé sur un pieu.
Ainsi, Seigneur, vous auriez souffert toute l’infamie, Car il n’y a pas de plus cruelle posture.
Ensuite, on vous aurait forjeté aux pourceaux Qui vous auraient rongé le ventre et les boyaux.
Je suis seul à présent, les autres sont sortis, Je me suis étendu sur un banc contre le mur.
J’aurais voulu entrer, Seigneur, dans une église; Mais il n’y a pas de cloches, Seigneur, dans cette ville.
Je pense aux cloches tues: — où sont les cloches anciennes? Où sont les litanies et les douces antiennes?
Où sont les longs offices et où les beaux cantiques? Où sont les liturgies et les musiques?
Où sont tes fiers prélats, Seigneur, où tes nonnains? Où l’aube blanche, l’amict des Saintes et des Saints?
La joie du Paradis se noie dans la poussière, Les feux mystiques ne rutilent plus dans les verrières.
L’aube tarde à venir, et dans le bouge étroit Des ombres crucifiées agonisent aux parois.
C’est comme un Golgotha de nuit dans un miroir Que l’on voit trembloter en rouge sur du noir.
La fumée, sous la lampe, est comme un linge déteint Qui tourne, entortillé, tout autour de vos reins.
Par au-dessus, la lampe pâle est suspendue, Comme votre Tête, triste et morte et exsangue.
Des reflets insolites palpitent sur les vitres… J’ai peur, — et je suis triste, Seigneur, d’être si triste.
« Dic nobis, Maria, quid vidisti in via? » – La lumière frissonner, humble dans le matin.
« Dic nobis, Maria, quid vidisti in via? » – Des blancheurs éperdues palpiter comme des mains.
« Dic nobis, Maria, quid vidisti in via? » – L’augure du printemps tressaillir dans mon sein.
Seigneur, l’aube a glissé froide comme un suaire Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs.
Déjà un bruit immense retentit sur la ville. Déjà les trains bondissent, grondent et défilent.
Les métropolitains roulent et tonnent sous terre. Les ponts sont secoués par les chemins de fer.
La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées, Des sirènes à vapeur rauques comme des huées.
Une foule enfiévrée par les sueurs de l’or Se bouscule et s’engouffre dans de longs corridors.
Trouble, dans le fouillis empanaché des toits, Le soleil, c’est votre Face souillée par les crachats.
Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne … Ma chambre est nue comme un tombeau …
Seigneur, je suis tout seul et j’ai la fièvre … Mon lit est froid comme un cercueil …
Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents … Je suis trop seul. J’ai froid. Je vous appelle …
Cent mille toupies tournoient devant mes yeux … Non, cent mille femmes … Non, cent mille violoncelles …
Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses … Je pense, Seigneur, à mes heures en allées …
Je ne pense plus à vous. Je ne pense plus à vous.
New York, avril 1912
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Noce à Tipasa - Albert Camus
Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. À certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L'odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. À peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village, et s'ébranle d'un rythme sûr et pesant pour aller s'accroupir dans la mer.
Nous arrivons par le village qui s'ouvre déjà sur la baie. Nous entrons dans un monde jaune et bleu où nous accueille le soupir odorant et âcre de la terre d'été en Algérie. Partout, des bougainvillées rosat dépassent les murs des villas ; dans les jardins, des hibiscus au rouge encore pâle, une profusion de roses thé épaisses comme de la crème et de délicates bordures de longs iris bleus. Toutes les pierres sont chaudes. À l'heure où nous descendons de l'autobus couleur de bouton d'or, les bouchers dans leurs voitures rouges font leur tournée matinale et les sonneries de leurs trompettes appellent les habitants. À gauche du port, un escalier de pierres sèches mène aux ruines, parmi les lentisques et les genêts. Le chemin passe devant un petit phare pour plonger ensuite en pleine campagne. Déjà, au pied de ce phare, de grosses plantes grasses aux fleurs violettes, jaunes et rouges, descendent vers les premiers rochers que la mer suce avec un bruit de baisers. Debout dans le vent léger, sous le soleil qui nous chauffe un seul côté du visage, nous regardons la lumière descendre du ciel, la mer sans une ride, et le sourire de ses dents éclatantes. Avant d'entrer dans le royaume des ruines, pour la dernière fois nous sommes spectateurs. Au bout de quelques pas, les absinthes nous prennent à la gorge. Leur laine grise couvre les ruines à perte de vue. Leur essence fermente sous la chaleur, et de la terre au soleil monte sur toute l'étendue du monde un alcool généreux qui fait vaciller le ciel. Nous marchons à la rencontre de l'amour et du désir. Nous ne cherchons pas de leçons, ni l'amère philosophie qu'on demande à la grandeur. Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages, tout nous paraît futile. Pour moi, je ne cherche pas à y être seul. J'y suis souvent allé avec ceux que j'aimais et je lisais sur leurs traits le clair sourire qu'y prenait le visage de l'amour. Ici, je laisse à d'autres l'ordre et la mesure. C'est le grand libertinage de la nature et de la mer qui m'accapare tout entier. Dans ce mariage des ruines et du printemps, les ruines sont redevenues pierres, et perdant le poli imposé par l'homme, sont rentrées dans la nature. Pour le retour de ces filles prodigues, la nature a prodigué les fleurs. Entre les dalles du forum, l'héliotrope pousse sa tête ronde et blanche, et les géraniums rouges versent leur sang sur ce qui fut maisons, temples et places publiques. Comme ces hommes que beaucoup de science ramène à Dieu, beaucoup d'années ont ramené les ruines à la maison de leur mère. Aujourd'hui enfin leur passé les quitte, et rien ne les distrait de cette force profonde qui les ramène au centre des choses qui tombent. Que d'heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d'accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d'insectes somnolents, j'ouvre les yeux et mon cœur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n'est pas si facile de devenir ce qu'on est, de retrouver sa mesure profonde. Mais à regarder l'échine solide du Chenoua, mon cœur se calmait d'une étrange certitude. J'apprenais à respirer, je m'intégrais et je m'accomplissais. Je gravissais l'un après l'autre des coteaux dont chacun me réservait une récompense, comme ce temple dont les colonnes mesurent la course du soleil et d'où l'on voit le village entier, ses murs blancs et roses et ses vérandas vertes. Comme aussi cette basilique sur la colline Est : elle a gardé ses murs et dans un grand rayon autour d'elle s'alignent des sarcophages exhumés, pour la plupart à peine issus de la terre dont ils participent encore. Ils ont contenu des morts ; pour le moment il y pousse des sauges et des ravenelles. La basilique Sainte-Salsa est chrétienne, mais chaque fois qu'on regarde par une ouverture, c'est la mélodie du monde qui parvient jusqu'à nous : coteaux plantés de pins et de cyprès, ou bien la mer qui roule ses chiens blancs à une vingtaine de mètres. La colline qui supporte Sainte-Salsa est plate à son sommet et le vent souffle plus largement à travers les portiques. Sous le soleil du matin, un grand bonheur se balance dans l'espace. Bien pauvres sont ceux qui ont besoin de mythes. Ici les dieux servent de lits ou de repères dans la course des journées. Je décris et je dis : « Voici qui est rouge, qui est bleu, qui est vert. Ceci est la mer, la montagne, les fleurs. » Et qu'ai-je besoin de parler de Dionysos pour dire que j'aime écraser les boules de lentisques sous mon nez ? Est-il même à Déméter ce vieil hymne à quoi plus tard je songerai sans contrainte : « Heureux celui des vivants sur la terre qui a vu ces choses. » Voir, et voir sur cette terre, comment oublier la leçon ? Aux mystères d'Éleusis, il suffisait de contempler. Ici même, je sais que jamais je ne m'approcherai assez du monde. Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celle-là, et nouer sur ma peau l'étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. Entré dans l'eau, c'est le saisissement, la montée d'une glu froide et opaque, puis le plongeon dans le bourdonnement des oreilles, le nez coulant et la bouche amère - la nage, les bras vernis d'eau sortis de la mer pour se dorer dans le soleil et rabattus dans une torsion de tous les muscles ; la course de l'eau sur mon corps, cette possession tumultueuse de l'onde par mes jambes - et l'absence d'horizon. Sur le rivage, c'est la chute dans le sable, abandonné au monde, rentré dans ma pesanteur de chair et d'os, abruti de soleil, avec, de loin en loin, un regard pour mes bras où les flaques de peau sèche découvrent, avec le glissement de l'eau, le duvet blond et la poussière de sel. Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure. Il n'y a qu'un seul amour dans ce monde. Étreindre un corps de femme, c'est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer. Tout à l'heure, quand je me jetterai dans les absinthes pour me faire entrer leur parfum dans le corps, j'aurai conscience, contre tous les préjugés, d'accomplir une vérité qui est celle du soleil et sera aussi celle de ma mort. Dans un sens, c'est bien ma vie que je joue ici, une vie à goût de pierre chaude, pleine de soupirs de la mer et des cigales qui commencent à chanter maintenant. La brise est fraîche et le ciel bleu. J'aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté : elle me donne l'orgueil de ma condition d'homme. Pourtant, on me l'a souvent dit: il n'y a pas de quoi être fier. Si, il y a de quoi : ce soleil, cette mer, mon cœur bondissant de jeunesse, mon corps au goût de sel et l'immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu. C'est à conquérir cela qu'il me faut appliquer ma force et mes ressources. Tout ici me laisse intact, je n'abandonne rien de moi-même, je ne revêts aucun masque : il me suffit d'apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tout leur savoir-vivre. Un peu avant midi, nous revenions par les ruines vers un petit café au bord du port. La tête retentissante des cymbales du soleil et des couleurs, quelle fraîche bienvenue que celle de la salle pleine d'ombre, du grand verre de menthe verte et glacée ! Au-dehors, c'est la mer et la route ardente de poussière. Assis devant la table, je tente de saisir entre mes cils battants l'éblouissement multicolore du ciel blanc de chaleur. Le visage mouillé de sueur, mais le corps frais dans la légère toile qui nous habille, nous étalons tous l'heureuse lassitude d'un jour de noces avec le monde. On mange mal dans ce café, mais il y a beaucoup de fruits - surtout des pêches qu'on mange en y mordant, de sorte que le jus en coule sur le menton. Les dents refermées sur la pêche, j'écoute les grands coups de mon sang monter jusqu'aux oreilles, je regarde de tous mes yeux. Sur la mer, c'est le silence énorme de midi. Tout être beau a l'orgueil naturel de sa beauté et le monde aujourd'hui laisse son orgueil suinter de toutes parts. Devant lui, pourquoi nierais-je la joie de vivre, si je sais ne pas tout renfermer dans la joie de vivre ? Il n'y a pas de honte à être heureux. Mais aujourd'hui l'imbécile est roi, et j'appelle imbécile celui qui a peur de jouir. On nous a tellement parlé de l'orgueil : vous savez, c'est le péché de Satan. Méfiance, criait-on, vous vous perdrez, et vos forces vives. Depuis, j'ai appris en effet qu'un certain orgueil… Mais à d'autres moments, je ne peux m'empêcher de revendiquer l'orgueil de vivre que le monde tout entier conspire à me donner. À Tipasa, je vois équivaut à je crois, et je ne m'obstine pas à nier ce que ma main peut toucher et mes lèvres caresser. Je n'éprouve pas le besoin d'en faire une œuvre d'art, mais de raconter ce qui est différent. Tipasa m'apparaît comme ces personnages qu'on décrit pour signifier indirectement un point de vue sur le monde. Comme eux, elle témoigne, et virilement. Elle est aujourd'hui mon personnage et il me semble qu'à le caresser et le décrire, mon ivresse n'aura plus de fin. Il y a un temps pour vivre et un temps pour témoigner de vivre. Il y a aussi un temps pour créer, ce qui est moins naturel. Il me suffit de vivre de tout mon corps et de témoigner de tout mon cœur. Vivre Tipasa, témoigner et l'œuvre d'art viendra ensuite. Il y a là une liberté. Jamais je ne restais plus d'une journée à Tipasa. Il vient toujours un moment où l'on a trop vu un paysage, de même qu'il faut longtemps avant qu'on l'ait assez vu. Les montagnes, le ciel, la mer sont comme des visages dont on découvre l'aridité ou la splendeur, à force de regarder au lieu de voir. Mais tout visage, pour être éloquent, doit subir un certain renouvellement. Et l'on se plaint d'être trop rapidement lassé quand il faudrait admirer que le monde nous paraisse nouveau pour avoir été seulement oublié. Vers le soir, je regagnais une partie du parc plus ordonnée, arrangée en jardin, au bord de la route nationale. Au sortir du tumulte des parfums et du soleil, dans l'air maintenant rafraîchi par le soir, l'esprit s'y calmait, le corps détendu goûtait le silence intérieur qui naît de l'amour satisfait. Je m'étais assis sur un banc. Je regardais la campagne s'arrondir avec le jour. J'étais repu. Au-dessus de moi, un grenadier laissait pendre les boutons de ses fleurs, clos et côtelés comme de petits poings fermés qui contiendraient tout l'espoir du printemps. Il y avait du romarin derrière moi et j'en percevais seulement le parfum d'alcool. Des collines s'encadraient entre les arbres et, plus loin encore, un liséré de mer au-dessus duquel le ciel, comme une voile en panne, reposait de toute sa tendresse. J'avais au cœur une joie étrange, celle-là même qui naît d'une conscience tranquille. Il y a un sentiment que connaissent les acteurs lorsqu'ils ont conscience d'avoir bien rempli leur rôle, c'est-à-dire, au sens le plus précis, d'avoir fait coïncider leurs gestes et ceux du personnage idéal qu'ils incarnent, d'être entrés en quelque sorte dans un dessin fait à l'avance et qu'ils ont d'un coup fait vivre et battre avec leur propre cœur. C'était précisément cela que je ressentais : j'avais bien joué mon rôle. J'avais fait mon métier d'homme et d'avoir connu la joie tout un long jour ne me semblait pas une réussite exceptionnelle, mais l'accomplissement ému d'une condition qui, en certaines circonstances, nous fait un devoir d'être heureux. Nous retrouvons alors une solitude, mais cette fois dans la satisfaction. Maintenant, les arbres s'étaient peuplés d'oiseaux. La terre soupirait lentement avant d'entrer dans l'ombre. Tout à l'heure, avec la première étoile, la nuit tombera sur la scène du monde. Les dieux éclatants du jour retourneront à leur mort quotidienne. Mais d'autres dieux viendront. Et pour être plus sombres, leurs faces ravagées seront nées cependant dans le cœur de la terre. À présent du moins, l'incessante éclosion des vagues sur le sable me parvenait à travers tout un espace où dansait un pollen doré. Mer, campagne, silence, parfums de cette terre, je m'emplissais d'une vie odorante et je mordais dans le fruit déjà doré du monde, bouleversé de sentir son jus sucré et fort couler le long de mes lèvres. Non, ce n'était pas moi qui comptais, ni le monde, mais seulement l'accord et le silence qui de lui à moi faisait naître l'amour. Amour que je n'avais pas la faiblesse de revendiquer pour moi seul, conscient et orgueilleux de le partager avec toute une race, née du soleil et de la mer, vivante et savoureuse, qui puise sa grandeur dans sa simplicité et debout sur les plages, adresse son sourire complice au sourire éclatant de ses ciels. (1938)
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