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Hamlet(hyste)
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hamlethyste · 5 years ago
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Journal Ă  rebours, Colette
La nouvelle est probablement la forme littéraire que je chéris le plus chez Colette. Je sais y retrouver ces envolées vers les souvenirs joyeux, décomposés à travers des prismes sensoriels dont l’émotion accompagne chaque choix de mot. Dans ces courts textes publiés çà et là et réunis en un seul ouvrage, Colette reconquiert la beauté de ses inspirations. Simone de Beauvoir lui trouvait un défaut dans sa difficulté – voire incapacité – à saisir la nature dans « sa liberté inhumaine1 », comme savait le faire Virginia Woolf. Je me suis interrogée là-dessus ; je pense que personne aussi bien que Colette sait s’approprier la nature comme une vieille présence réconfortante, voluptueuse et sibylline car indépendante. Elle s’en saisit comme inspiration avec cette dévotion humble et lui rend hommage au travers de mots incroyablement doux et porteurs de sens. Je voudrais citer deux passages de mes nouvelles préférées, « Automne » et « Fièvre », en tant que lectrice que l’on a bercée :
J’ai bien pesé, tourné et retourné le mot dans le panier immatériel où je range les mots. Un était trop gonflé, un autre déjà ridé. Va pour siliceuse, car le dos de ma main, brûlant, sent la pierre à fusil2.
Un charmant visage s’est penché sur moi. Il embaumait la nuit et l’arrosage du soir3.
Septembre ! Septembre ! Il n’était pas là encore, mais il soufflait sa forte haleine de corruption délicate, un renouveau qui sentait la prune, la fumée, l’écale de noix4.
Tout dans l’écriture de Colette est sujet à une considération matérielle, toute entité physique se fond au décor dans une brume sensorielle, et est portée par la douceur des métaphores. Ma lecture résonne encore dans le choix de mes mots ; des envolées lyriques à tout rompre mais c’est probablement l’émotion qui prend le dessus. En cette période difficile et encombrante, les prunes dont l’on sent les odeurs à travers les phrases, les feuilles d’automne dont l’on reconnaît le jaune et le rouge sous les pieds sont une très belle évasion vers ces campagnes du XXè siècle, bien plus clémentes que la ville d’aujourd’hui. Alors Colette et sa campagne figurative, ses chats susceptibles et ses nombreux autres compagnons de vie ont fait de ces jours de lecture les plus douces balades du monde.
  © hamlethyste
1 Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe [1949], éd. Gallimard, coll. « Folio », p. 626
2 Colette, « Fièvre », Journal à rebours [1941], éd. Fayard, 2004, p. 58
3 Ibid. p. 59
4 « Automne », p. 94
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hamlethyste · 5 years ago
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Ravages, Violette Leduc
J’ai lu Ravages comme on savoure un verre. Près d’un mois me sépare du début de l’histoire et seulement quelques minutes de la fin. Je n’en attendais rien. Il en faut de la maîtrise pour ne pas tomber dans les artifices, dans les stéréotypes ou les lieux communs, et écrire sincèrement comme pour répondre à un besoin personnel. J’ai acheté Ravages dans l’inconnu le plus total. Je ne connaissais ni l’œuvre ni l’autrice. Mais que m’a-t-il fait ? Je pensais d’abord y être relativement hermétique. Les livres que j’adore et qui me passionnent, je les dévore, je n’en dors plus, je ne pense qu’à eux le temps d’en finir. Ravages, je l’ai laissé des jours, je ne le reprenais que pour lire deux lignes, je l’ai abîmé, je l’ai laissé s’imbiber dans l’eau sans regretter les pages gondolées. Mais lui, que m’a-t-il fait ?
Tout commence avec la quatrième de couverture qui laisse davantage penser à une intrigue digne de Marivaux et sa Double Inconstance et non au récit d’inspiration autobiographique plongé dans les sentiments de Violette Leduc que l’on découvre au fur et à mesure. L’histoire commence presque in medias res. La salle de cinéma plongée dans le noir dresse le décor d’une rencontre, celle de deux inconnus dont l’on ne connaît pas même le prénom. Leur connivence nous bouscule. Ils agissent et réfléchissent plus qu’ils ne parlent. Ils savent que l’autre comprend. 
Thérèse est en ménage avec Cécile dans une petite maison de campagne. Le cadre est idyllique, le temps semble idéal, Cécile est sincèrement amoureuse de Thérèse et un petit chat vient même leur rendre visite pour quelques caresses. Mais tout dans ce quotidien irrite Thérèse, qui tombe dans les aises de la méchanceté et de l’ingratitude.
Il est probable que je l’aime mais je l’aime ailleurs. « Défroisse mon cœur, Cécile. » Elle s’est endormie.
– Ne dors pas, Cécile, ne dors pas…
J’appelle une sourde, je me crispe sur les lèvres d’une muette.
Je me lève, j’allume l’électricité. Elle se frotte les yeux.
– Avoue que tu dormais, avoue-le !
– J’avoue, dit-elle.
Elle se soulève, elle appuie l’oreiller contre le mur, elle veut résister mais sa tête croule. Elle se ressaisit :
– Je ne dors pas.
Je jouis de ses efforts, je souhaite sa défaite.
– Tu n’auras donc jamais sommeil ! dit-elle avec douceur.
[…]
Je la voulais coupable et elle se sent coupable 1.
Les lecteurs et lectrices expérimentent avec Ravages la perversion de l’épuisement amoureux. L’arrivée de Marc dans cette intimité à deux finit de perturber Thérèse. Un ménage à trois s’installe le temps d’une journée, d’une nuit, dont Cécile est pourtant entièrement exclue. La jalousie et le mépris de Marc rencontrent les incertitudes de Thérèse et créent cette atmosphère malsaine à laquelle Cécile tente pourtant de remédier avec son apparente crédulité. Elle s’enquiert du bien-être de Marc, lui cuisine des gâteaux lorsqu’il tombe gravement malade sans exiger en retour plus d’explications. Le temps et les relations semblent alors se figer dans ce théâtre de plusieurs jours où chacun ment aux autres.
Dans Ravages, les relations sont affaires de positions : on domine ou on se soumet. En rompant avec Thérèse, Cécile met un terme à cette subordination créée par l’indécision. Thérèse se raccroche alors de toutes ses forces à Marc et s’abandonne à son tour à son mépris et sa lassitude. 
Violette Leduc représente dans Ravages des réalités plutôt que des fantasmes. Elle répond tout du long à cette promesse d’authenticité en représentant les pans les plus durs de ces relations ravagées où les identités sont biaisées par les rôles que les personnages jouent. L’écriture de Leduc est animée par sa capacité à venir à bout de la honte et des tabous. Elle expose les sentiments les plus bruts, les émotions les plus illégitimes et raconte à la perfection un amour des plus déséquilibrés. Seuls les êtres ravagés, ceux qui ont expérimenté la douleur de la dépendance, et la peur de perdre cet autre en qui on étouffe sa propre identité, peuvent entendre raison dans ce récit.
L’écriture est animée par un rythme souvent haché, plongé dans les métaphores et prosopopées où chaque image invoquée forme un microcosme de la douleur. Elle révèle l’identité ankylosée de Thérèse, enfermée dans la dépendance et condamnée à l’oubli, dont s’extrait finalement l’autrice en écrivant. La distinction de la réalité et de la fiction est vaporeuse. La fiction influence la réalité, l’autrice crée son personnage et fixe dans la fiction des douleurs bien personnelles.
1 Leduc Violette, Ravages, éd. Gallimard, coll. “Folio”, 1955, p. 116-117
©  hamlethyste
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hamlethyste · 5 years ago
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Bilan culturel de mon été 2020 (les doudous)
Après un an à trimer sur mon mémoire et mes dossiers scolaires, j’ai enfin pu respirer. En raison du temps d’écriture que représenterait le compte-rendu de toutes mes lectures, j’ai décidé de ne répertorier ici que ce qui a représenté pour moi les moments les plus doux de mon été. En attendant un prochaine article où je serai (je l’espère) davantage concise et où je pourrai peut-être parler plus globalement du reste.
✩  Harry Potter, J. K. Rowling   ✩
J’ai d’abord passé une longue partie de l’été à relire tous les Harry Potter en anglais – la culpabilisation de la relecture... – loin de tout, dans des endroits solitaires ou accompagnée d’un chat ou deux à ne penser à rien d’autre. J’ai attendu plusieurs années avant de m’accorder le plaisir absolu de retrouver cette saga qui, comme pour beaucoup de gens, a changé ma vie. Comme un travestissement, je lisais cachée. Je menais de front ma vie de lycéenne avec celle de lectrice comme un secret. Peu de livres finalement m’ont rendue aussi possessive, m’ont aussi peu donné envie de partager et pourtant...
En redécouvrant Harry Potter cette année, j’ai ressenti à nouveau ce que j’avais laissé en moi comme un doux souvenir de mes dix-sept ans. L’univers nous enveloppe de ce que l’on connaît déjà, ce qui en découle au fil des relectures et des années et ce que l’on retient différemment.
✩ She-Ra et les princesses au pouvoir, Noelle Stevenson ✩
J’ai probablement passé une semaine entière à bingewatcher She-Ra avec de la glace. Un univers de science-fiction vs fantasy où les femmes tiennent les premiers rôles. Fondée sur une série animée réalisée en 1985 aux codes bien vieillots (l’héroïne blonde qui combat en mini-jupe aux côtés des hommes, et qui obtient son pouvoir de son frère jumeau Adam1), She-Ra multiplie par cinq, dix, vingt les pouvoirs féminins et transforme l’histoire de la princesse du pouvoir en celle des princesses AU pouvoir.
L’univers fantasy vient légitimer une conception du corps politique utopique
Les femmes sont à la tête de plusieurs royaumes et dirigent des troupes. S’il y a conflit il y a avant tout volonté de protéger. Des alliances se créent alors dans un très bel éloge de la sororité. L’univers est volontairement empreint de stéréotypes  –les princesses, pégase, les couleurs pastel, les pierres de lune, les pouvoirs magiques etc. – mais il détonne pourtant dans la diversité de ses représentations. Des princesses ? D’accord. Mais des princesses grosses, noires, baraquées, lesbiennes etc. qui ne sont pas cantonnées à l’éternelle fragilité, blancheur et passivité habituellement mises en valeur chez les personnages de femmes. Elles incarnent parfaitement cette puissance guerrière allouée ordinairement aux hommes. Il ne s’agit pas d’inverser les rapports de force et de domination. Le système sur lequel se base Eternia n’est simplement pas patriarcal. Il s’agit donc de laisser les femmes s’exprimer dans un univers utopique dans lequel on leur donne la possibilité d’être puissantes. Outre les aspects purement politiques et les revendications super chouettes, She-Ra reprend bien-sûr des thèmes fondamentaux autour de l’amitié, de la solidarité, des disputes etc. et s’inscrit parfaitement dans la lignée des dessins-animés que l’on adore regarder de nos premières années de vie à l’âge adulte. L’amour purement sentimental n’est jamais un enjeu en soi. Il s’agit avant tout de respect fondamental. Les sentiments qui se développent entre les personnages ne prennent jamais trop de place et viennent très joliment agrémenter et parfaire l’atmosphère toute particulière de She-Ra. C’est une réussite totale.
✩ Le Chant d’Achille, Madeline Miller  ✩
La première fois que j’ai entendu parler du Chant d’Achille c’était à la rentrée de l’année dernière. Cet été, alors que mes lectures m’ennuyaient et que je n’arrivais pas à finir un seul livre, j’ai décidé de me le procurer. 
Une fanfiction légitimée par le statut professoral
Achille est une figure ambiguë. Si Homère ne met en aucun cas l’accent sur la potentielle bisexualité d’Achille dans l’Iliade, d’autres auteurs ont vu en son cri de désespoir devant le cadavre de Patrocle la preuve, ou du moins, la démonstration d’un amour intense. La récupération au Moyen-Âge du mythe troyen par l’Europe médiévale et des auteurs comme Benoît de Sainte-Maure2  a poussé notamment la transposition de figures héroïques en figures christiques, afin de légitimer le païen. L’ambiguïté de la relation entre Achille et Patrocle s’est alors conformée à l’idée d’une amitié exemplaire. Pourtant, comme le souligne Nicolas Evzonas :
De tous les deuils évoqués dans l’Iliade (deuils de Priam, d’Hécube, d’Andromaque…), celui d’Achille est le plus poignant et le plus furieux : errances solitaires au fil de nuits sans sommeil, cris terribles qui épouvantent Grecs et Troyens, lamentations déchirantes entendues par Thétis du fond de l’océan, provocation directe envers Apollon, violation des règles sacrées de l’hospitalité, tentation suicidaire, délire de vengeance, rage et carnages3.
Je trouve ce sujet passionnant, et il y a tant à dire sur ce que l’on considère comme vrai dans un mythe. Après tout, Eschyle et Platon ne portaient quant à eux aucun doute sur les sentiments d’Achille.
Il y a eu des longueurs, que je trouvais incroyablement bien menées si l’on pense à toute la richesse et tous les imbroglios que constitue ne serait-ce que l’épisode de la colère d’Achille. Il s’agit vraiment d’une prouesse synthétique. Hormis cela, j’ai adoré la linéarité de cet amour qui laissait plutôt présager une relation intense, passionnée et donc soumise à la violence. Peut-être était-ce facile de la part de Madeline Miller de proposer une relation davantage basée sur des sentiments purs mais j’ai aimé l’audace de ne pas tomber dans les pièges des stéréotypes. Achille est un demi-dieu et l’amour des deux amants semble indéfectible et porté au-delà des limites divines – il n’y a qu’à penser aux nombreuses et originales tentatives de Thétis pour séparer les deux garçons alors qu’ils sont adolescents –. Plus le récit défilait, plus je me demandais comme l’autrice allait intégrer Briséis sans pour autant tourmenter l’entièreté de son travail. Il est évident que son point de vue est influencé, et ce de manière entièrement assumée, par notre conception contemporaine des relations et des enjeux amoureux. Nous n’avons aucune difficulté à comprendre ou même s’immiscer entre eux.  Sans trop y croire, on aime voir Achille complètement désintéressé par Briséis ou Déidamie, on veut croire en cet amour absolu et le nombre incroyable de versions du mythe nous aide à accepter ce qui n’est finalement qu’une réécriture de plus. C’est donc un plaisir absolu que de suivre ces deux héros aux promesses d’amour sublimes à travers le point de vue de Patrocle.
1  Raccords bibliques relativement assumés. Adam crée Eve à partir d’une de ses côtés, Adam crée She-Ra à partir de l’épée.
2 Colette Beaune, “L'utilisation politique du mythe des origines troyennes en France à la fin du Moyen Âge”, Publications de l’Ecole Française de Rome, 1985, p. 331-355, https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1985_act_80_1_2792
3  Nicolas Evzonas, “Achille, un héros homérique épris d’absolu”, Topique, n°125, 2013, p. 139-155, https://www.cairn.info/revue-topique-2013-4-page-139.htm
©  hamlethyste
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