Paroles d'étudiant-e-s en soins infirmiers Vos témoignages : [email protected]
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Dès la fermeture des écoles, le Week end qui a suivi j’ai perdu mon grand-père. Sachant que je pouvais être appelée par les services je demande à ma formatrice de me laisser un ou deux jours pour vivre mon deuil, je ne me sentais pas apte psychologiquement à aller au front.
Finalement j’ai reçu un appel le lundi qui a suivi pour venir travailler le lendemain. Sans savoir dans quoi j’allais m’embarquer, on me parle de faire un stage, que celui-ci s’inscrit dans la formation. Mais je ne comprends pas qu’est ce qu’on attend de moi ? Dois-je faire un stage infirmier alors que je n’ai ni convention ni feuille de stage ? « On a envers vous des attentes d’étudiants infirmiers de 3eme année » me dit un des responsables du GH.
Le week-end qui précédé je n’ai pas arrêté de vomir, mon médecin m’a prescrit un arrêt de travail pour 2 jours. Je lui explique que je suis actuellement malade et que venir demain ne sera pas possible pour moi « Ah ce n’est rien ça, venez quand même, vous rentrerez chez vous après. » me répond toujours le même responsable. Je ne peux qu’accepter. Je comprends qu’il faut être là, et venir aider quoi qu’il arrive parce c’est une crise et on ne peut pas vaincre une crise s’il n’y a pas suffisamment de monde pour la combattre. C’est le métier que j’ai choisi de faire en rentrant dans cette formation, à situation exceptionnelle mesures exceptionnelles, je dois y aller.
Le lendemain je m’y rends avec la boule au ventre. Je ressens toujours des nausées. On est environ une dizaine d’étudiants de la promo à être appelé. On m’affecte en maladies infectieuses avec deux autres étudiantes.
J’ai finalement compris dès mon premier jour que ce « stage » ne serait pas un vrai stage. La cadre nous explique clairement qu’on occupera un poste d’aide-soignante. Je ne connais rien de ce service et me sens totalement livrée à moi-même. J’ai tout de même eu la chance d’être formée en même temps que l’équipe pour savoir comment s’habiller face à un patient Covid. Mais très vite je ressens des incohérences sur le port du masque ffp2. La direction nous laisse entendre qu’on ne doit porter que des masques chirurgicaux sauf s’il y a un risque de projection de particules virales. Mais comment estimer ce risque dès lors qu’un patient présente des signes respiratoires? Plus les jours défilent et les deux étages du service se transforment tous les deux en unité covid. Je fais au mieux pour me protéger au maximum mais nous faisons tellement de manipulation de matériel que je sais que le risque de contamination est là.
Deux semaines plus tard, j’ai été contacté par l’école pour me dire qu’un autre hôpital parisien à besoin de moi. J’y vais toujours avec la même motivation de vouloir aider. On me dit de venir le matin. Une fois arrivée à 8h, finalement la direction des soins me dit qu’on est trop d’étudiant, de revenir l’après-midi. Je reviens l’après midi et j’apprend que j’occuperai un poste à la suppléance en tant que renfort AS. Je demande à la cadre d’avoir un casier pour pouvoir y laisser mes chaussures de l’hôpital elle me fait comprendre qu’elle ne me donnera pas de casier. Tous les soirs je transporterai avec moi mes chaussures infectées par le covid jusqu’à ce qu’une étudiante me montre des vestiaires libres au sous-sol. Je change tous les jours de services : Soins palliatif covid, MIT, Urgences, Médecine interne. Je ressens un profond étonnement de voir des étudiants en 3ème année de médecine faire faisant fonction infirmier en n’ayant suivi que 4h de formation à réaliser des soins infirmiers alors que j’ai moi-même un bac+3 en soins infirmiers, en quoi suis-je moins légitime ?
Chaque service à sa spécificité et je me dois de m’adapter à l’organisation de chacun. J’occupe toujours des postes vacants AS, seule ou avec d’autres étudiants souvent. Rare, sont les fois où j’étais réellement considérée comme un renfort et non pas comme une aide-soignante en poste fixe. Et pendant ce temps, l’école nous parle toujours de stage ? Un stage sans encadrement ?
Je me dois de réaménager mes moyens de transports pour rentrer chez moi tous les soirs. Car, au-delà du fait que je travaille plus de 7h par jour, à partir de 22h les métros ferment. J’en ai vécu la mauvaise expérience en me retrouvant bloquée à l’intérieur du métro, les grilles étant déjà fermées, ne pouvant sortir dehors sans devoir appeler la RATP.
L’école m’a proposé de bénéficier des taxis gratuits pour les soignants. Je bénéficie des autorisations de mes cadres, c’est cool au moins un service qui facilite grandement ma vie pour ma propre sécurité. Je l’utilise donc tous les soirs de mes mises à disposition. Aujourd’hui j’apprends que je vais devoir créer tout un dossier parce que finalement il y aura des modalités de remboursements au cas pas cas pour les étudiants.
Ce que je vivais en service était tellement intense et unique, j’étais dans l’action mais dès lors que je passais le palier de mon appartement je réfléchissais à tout ce que je venais de vivre. Nombreuses sont les nuits où les corps des mourants tournaient dans ma tête m’empêchant de dormir. Je préférais aller travailler que de me hanter l’esprit en restant chez moi. Mais quand on se donne à fond dans les services et qu’on voit qu’on a aucune reconnaissance ni de l’hôpital ni de l’école c’est dur. On se sent seul, lâché dans la nature sans armes. Oui sans armes, parce que j’ai été amenée à travailler en maladies infectieuses covid avec que des masques périmés depuis 2013 a en donner la migraine à force de respirer cette odeur de moisi. Sans parler des surblouses qu’on réutilisais sans cesse. Mais je tiens, il le faut.
Jusqu’à ce matin, je n’arrive plus à sortir du lit j’ai des courbatures partout, je me sens essoufflée. J’aurai tenu 1 mois. Mon médecin m’a mise en quarantaine. Mais, quel en sera la suite ? Je n’arrive pas à joindre la médecine du travail qui s’occupent des étudiants. Sera-t-il déclarée comme maladie professionnelle ? Ou serais-je désavantagée pour la diplomation si mon état de santé ne me permet plus de retourner en service ? Parce que oui, au-delà de la mise à disposition j’ai un stage pré professionnel de 10 semaines qui m’attend dans 2 semaines. Comment l’envisager quand on nous dis qu’on peut continuer à être mis a disposition en même temps que notre stage? Comment l’envisager quand psychologiquement on sait qu’on est en train de tirer sur la corde ?
J’ai été dans des services où nous étions quasiment que des étudiants, quand est-ce que les pouvoirs publics vont enfin penser à nous ? Nous sommes tout autant en première ligne que les soignants avec en plus une année à valider et un mémoire à rendre.
Aujourd’hui quand je pense a notre rôle nous étudiants infirmiers en 3eme année dans cette situation de crise, je suis partagée entre deux sentiments : celui d’avoir accompli notre devoir en tant que futurs soignants envers la société mais aussi celui d’avoir été en première ligne sans y avoir été préparé et être actuellement oubliés et profondément en difficultés.
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P.
Premier jour, première heure et déjà, retour à l’envoyeur. Nous ne nous étions jamais vus, jamais parlés, je ne connaissais pas ne serait-ce que ton prénom. Nous étions deux inconnus partageant une première fois, mis ensemble à l’épreuve d’une initiation croisée : à toi la mort, à moi son spectacle.
Et puisque l’alignement était visiblement de mise, première victime du COVID19 dans l’hôpital où je suis réquisitionnée.
La mort est pudique avec moi, elle se dévoile par pièces de puzzle. Je l’ai vu toute proche, sur des visages comme des messages prévenant de son arrivée. J’ai l’ai vu passée depuis plusieurs heures déjà, sa visite presque oubliée car le monde des vivants reprend vite ses droits. Aujourd’hui je l’ai vu de dos, s’éloignant alors que s’éteignait les dernières machines. Je sais que bientôt je l’apercevrai tout entière, certainement très souvent, me rappelant indubitablement que moi aussi, un jour, j’aurais rendez-vous, il ne reste que la date à fixer.
La mort a fait de nous des intimes. J’ai vu les dernières gouttes de sang qui perlaient de ton bras, éponger les dernières traces de ta sueur, j’ai touché ton ventre et été saisi par l’étrangeté de son immobilité.
En ces moments difficiles où les proches ne peuvent souvent pas venir se recueillir, nous devenons les seuls témoins de ce passage, à nous de nous recueillir, à nous de donner du sens. Pas évident, lorsque l’époque est la procédure, lorsque le corps devient une menace sanitaire. Lorsqu’il faut le sceller dans deux bâches blanches qu’il faut désinfecter. Lorsqu’il faut suivre une check-list, nous faisant perdre de vue notre véritable but lors de la toilette mortuaire : rendre un dernier hommage, reconnaitre à la personne son droit de toujours être Homme.
Mais n’aie crainte, P., je me fais dépositaire de ce souvenir. Je le garde pour le moment dans une toute petite boîte. Et lorsque cet enfer sera fini, je le mettrai en terre et de lui poussera un grand arbre sur lequel je graverai ton prénom.
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Etudiante en soins infirmiers à L’APHP en troisième année
Les messages dégoûtants : « sur le front », « héroïsme », les applaudissements pour saluer ceux qui sont assez bêtes ou assez misérables (trop besoin du salaire) pour aller s’exposer à cette merde. Applaudir au sacrifice idiot résultat d’une gestion chaotique, applaudir parce qu’il y en a encore qui sont assez braves pour croire à l’héroïsme : « allez-y c’est magnifique ! ». Oui c’est magnifique quand on regarde de sa fenêtre mais le nez dans cette merde c’est différent je vous assure.
Je suis étudiante en troisième année à l’APHP. La première semaine je voulais en être : m’engager oui ! Et quand je suis revenue de ma seconde nuit j’étais fière oui : « j’y étais ! ». Mais là j’ai juste envie de me barrer. Rien n’est organisé, tout est à l’arrache. Pas de matériel suffisant pour nous protéger. Pas de corps enseignant pour nous protéger ou poser la question de notre protection.
Au contraire nos formatrices se sont transformées en caporals : « c’est votre devoir de soignant ! imaginez-vous si tout le monde refuse d’y aller ! Il faut être sur le terrain ! Mes enfants y sont ! ». Nous sommes envoyés dans les services Covid. Beaucoup sont en réanimation, médecine interne, maladies infectieuses. Les plus durs, ceux où les infirmiers professionnels refusent déjà d’aller. On les entend dans les services de réanimation improvisés : « moi je ne veux pas être là ! J’ai dit à la cadre que je voulais être en non Covid, j’ai des enfants ! » ou « ça me casse les couilles d’être là je vous le dis tout de suite ». Ambiance. Nous non plus, étudiants, on n’en mène pas large.
Mais au JT on parle du « volontariat » des étudiants infirmiers…c’est beau ! La solidarité ! Mais c’est faux. Personne n’a choisi de faire 2 heures de transports quotidiens parce qu’un petit cadre de santé du groupe hospitalier APHP décide que vous irez ici et pas là. Et quand on lui dit que c’est un peu loin en transports en commun et qu’on risque et d’attraper le virus et de le propager un peu plus vite, il répond : « mais je ne vais pas entrer dans ce genre de considération ! cela ne me regarde pas ! voyez avec votre directrice d’école ! ». Celle-ci impose une fin de non-recevoir : vous allez où on vous dit d’aller, vous faites ce qu’on vous dit.
Pourquoi ne pas faire confiance aux étudiants ? Leur laisser le choix de proposer leurs services dans des hôpitaux proches de chez eux ? Parce que l’APHP fuit de partout. Et les étudiants, bonnes pâtes, y vont, ils se lancent les braves ! Se lancent sans matériel.
Une étudiante avec deux masques chirurgicaux dans un service Covid+ de 88 patients, deux masques chirurgicaux pour une nuit. Dans un grand hôpital parisien de l’APHP. Rappelons que ce type de masque protège à 80% du virus et que le masque est gâché dès qu’on le touche (donc dès qu’on va boire de l’eau, manger, etc). Mais la cadre a dit qu’un masque durait 4h ! Nous voilà rassurés : en restant figé toute une nuit, sans boire, sans manger, sans se gratter le nez, nous serons protégés pour 8h ! Merci madame !!! Mais la nuit dure 10 heures, non ? Bref, des détails. On pinaille mademoiselle ! L’unité du corps soignant !
L’étudiante en question reste : on lui a promis que la semaine prochaine ça changerait. Courageuse ! Ou obéissance démesurée ? À qui ? À quoi ? Au devoir ? Aux formatrices devenues chefs des recrues (en dehors de tout cadre légal) : « au front ! », « c’est la guerre ! ». La guerre pour qui ? Pour qui cette « guerre » ?
En ces temps inédits, nous, étudiants infirmiers, devrions être protégés par notre statut même d’étudiants. Nous sommes à l’étude et pas « en service ». Ou au moins accompagnés dans nos choix. Parce que la situation travaille chacun de nous différemment et que la décision « d’en être ou pas » est, somme toute, très personnelle.
Mais non. Au lieu de cela nous sommes surexposés. La situation est dégoûtante. L’obéissance à l’autorité non consentie est dégoûtante. Et au 20H ce soir on parlera du nombre de médecins touchés par le Covid. Certainement pas des infirmiers touchés. Encore moins des étudiants. C’est ce qui s’appelle, comme dit une amie, être « au bout de la chaîne alimentaire ». Une autre se sent comme de « la chair à canon ».
Mais dans une guerre on consent à s’engager. On consent à faire partie du corps d’armée. Mais là ? Où est le consentement dont on nous rabat les oreilles depuis 3 ans ? Aurais-je signé pour un corps d’armée sans m’en apercevoir ? Où est stipulé que les étudiants doivent être envoyés en première ligne ? Qui l’a décidé ? Le sacrifice oui pourquoi pas pour ceux à qui ça parle. Mais consenti ce serait mieux, non ?
« Ohlala ces pinailleurs qui sapent la vague d’héroïsme…ils devraient être heureux d’être applaudis chaque soir et se sacrifier en se taisant ! Les rabats joie de la fierté nationale ! Courbez-vous sous ces applaudissements ! C’est votre métier qui le veut ! ».
Un copain, sachant que je choisissais de devenir infirmiere m’avait dit « quoi ?!! Mais c’est les esclaves des temps modernes les infirmières !!!! ». Finalement il a peut-être raison. Ce recrutement forcené annonce la suite de notre métier si rien n’est fait, si rien n’est jamais dit pour améliorer notre condition. Et peut-être que ça commence sur les bancs de l’école.
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