penseeephemere
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penseeephemere · 2 years ago
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C'est l'histoire d'une fille dans un corps de garçon qui fait des œuvres d'art. Ses créations sont inattendues, violentes, punitives. C'est marcher treize heures dans la nuit avec une bougie qui ne doit pas s'éteindre. C'est rester recroquevillée au fond d'une crevasse pour éprouver les limites du physique, pour voir jusqu'où ce corps qui n'est pas le sien peut résister. C'est avoir froid jusqu'à ne plus se sentir exister. C'est pour épuiser cette naissance qui n'est pas la sienne.
Elle m'a dit "je pense que tu es l'automne de l'été", qu'il y avait en moi quelque chose de solaire occulté par des noirceurs, et ça a résonné quelque part.
Je me reconnais dans cette capacité à la violence inconsciente envers soi même. Ce piétinement de soi, cette trahison constante, cet effacement dans les rapports avec les autres. Cela se situe sur un autre plan. Je doute de l'amour que les gens me portent. Je doute sans cesse et je m'abîme dans mes larmes. Je dilue la tristesse en écrivant dans mon lit. Je ne veux plus la diluer, je veux la faire disparaître.
Mon frère dit qu'il faut être soi-même et tant pis pour les gens qui ne l'acceptent pas. Je ne sais pas comment il a grandi avec une telle confiance au même endroit où j'ai grandi en me rejetant sans cesse. Je ne sais pas comment il a appris à parler aux autres là où je n'ai su parler qu'aux absents.
Je vois mes amis trouver une place. Je reste à côté, je ne fais que lutter contre des monstres intérieurs, des chimères qui me murmurent des obscénités, et les araignées tissent leur toile autour de moi. Je voudrais percer ma coquille. Et qu'enfin les fantômes de ceux qui m'ont abandonnée cessent de me hanter.
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penseeephemere · 3 years ago
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Racines
L’arbre grandit. Dans l’arbre, un nid. Dans le nid, un petit oiseau gris. Je meurs dans l’œuf, ça ne se voit pas que je n’ai pas assez de force pour fissurer ma coquille. L’arbre grandit, depuis longtemps enraciné dans des croyances qui ont l’âge de l’enfance, qui est aussi l’âge de l’immortalité. C’est quelque chose à l’intérieur qui se répand comme une eau noire. Ce n’est pas dicible, ce n’est pas visible – les choses invisibles prennent le plus de place. C’est ancré et abandonné, je l’ignore pour m’inventer des histoires qui meurent dans des incendies, pour croire que ça ne fait pas mal, que ça ne m’assèche pas le cœur et les mots. Depuis toujours cette manie de ne pas se regarder en face. Non, à la place je compte les fissures au plafond, les rides qui plissent le coin des yeux, les gens qui restent, et mes doutes avec eux.
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penseeephemere · 3 years ago
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Ivresse
Embrasser des garçons et des filles, embrasser des fantômes. Se perdre entre deux yeux qui ne comprendront ni tes failles ni tes ardeurs, mais c’est pour croire aux amoureux en hiver, c’est pour croire aux promesses que l’on se fait tard le soir, c’est pour ne pas se noyer par accident. Tu voudrais arrêter de trébucher sur des cœurs qui te disent non, je ne veux pas de toi, arrêter d’être ivre à te jeter entre des bras qui ne te tiendront jamais ; tu es fuyante, tu n’es pas toi-même, blottie dans leurs mains froides comme un oiseau écorché. Tu déploies tes ailes mais tu perds tes plumes, seule, toujours seule dans l’appartement vide, entre tes draps bleus et des petits mots sur la table qui ne sont adressés à personne. Ivresse ou tristesse, il n’y a que cela – entre les deux, tes hésitations grandes comme la nuit, pour habiller tes attentes et les nourrir d’un espoir qui n’y croit déjà plus.
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penseeephemere · 3 years ago
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Herbier
Les herbiers c’est faire pousser des fleurs entre les pages des livres qu’on ne lit pas. Des mauvaises herbes sur des idées qui s’ennuient. Il aurait fallu, pour « bien faire », ajouter un sommaire, avec des entrées et une pagination ; mais elle n’est pas une enfant ordonnée. Marguerite, jasmin, capucine, violette, sèchent entre les pages de son encyclopédie qui prend la poussière, qui prend les âges – comme pour s’abreuver de l’eau des fleurs fanées. Elle colle des pensées et des boutons d’or au hasard, les dérange avec des mots savants. Les livres endormis parlent des choses, certes, mais racontent aussi les arbres, les roches, les insectes, les étoiles, et tous les pays du monde. Les fleurs palpitent entre ses mots, ce sont des poèmes qui ouvrent des portes, et les portes ne se referment jamais. Elle vit au milieu des courants d’air ; dans sa tête toute la forêt s’est allongée, avec ses sentiers et ses créatures, plongée dans l’encre, entre les pages d’un herbier à la taille du monde.
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penseeephemere · 3 years ago
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Train
Une incompréhension sourde et vaguement angoissante, l’impression d’avoir manqué quelque chose, sans parvenir à trouver quoi. Six mois plus tard, sa fuite dans l’escalier ce matin-là reste incompréhensible, soudaine et inexpliquée ; il ne préfère pas que l’on se revoie, d’accord, mais c’est le genre de phrase qui transperce un cœur vivant. Les mots sonnent durs, comme ceux qui ravivent des vieilles croyances, les mêmes mots qui pourrissent les gens jusqu’à l’os, sales de mélancolie, qui les font errer dans des pays bleus-gris-infinis. Je n’ai, pourtant, pas cessé de respirer tout de suite. C’est venu plus tard, sournoisement, une fois la nuit tombée, une fois les portes refermées, les amis rentrés chez eux, la vaisselle propre et rangée. C’est venu sans un bruit m’arracher à mon sommeil et m’étrangler dès le petit déjeuner.
Il aura pris un train pour Genève, je l’aurai su trois mois plus tard. Il y a des évènements que l’on ne comprendra jamais et avec lesquels il faudra continuer de vivre, de voyager en train d’un bout à l’autre de la France pour être ramenée, de force, des mois en arrière. Mais les trains n’y seront pour rien, sauf à me remettre en face des mêmes carcasses noires à l’intérieur. Ce n’est qu’immobile au creux des paysages étirés que je serai en mesure de regarder en face ce qui me terrifie.
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penseeephemere · 3 years ago
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L’odeur de la vie
Mais comment revient-on de ce qui nous a brisée ?
On fait trois pas dans le jardin, on achète des pommes et des fleurs, on rêve d’immenses fenêtres et de cigales. Il fera beau demain. On écrit tous les jours, même une seule phrase, même un seul mot, pour se protéger. On se protège. On se lave et on se rendort. On apprend sa valeur, même dans le silence des absents. On essaye de se remettre à parler petit à petit pour éloigner la peur. On recoud les morceaux. On se pardonne le mal que l’on s’est fait. On laisse, enfin, la tristesse couchée dans l’herbe, lui dire qu’on l’aime mais que c’est terminé, que ce n’est pas contre elle mais qu’on a besoin d’autre chose. Parce que l’on veut se rappeler de l’odeur de la vie, de son goût sous la langue et des élans qui nous ont traversés, il y a longtemps, avant l’enfance, avant la honte, avant la haine de soi – et tous ses désastres.
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penseeephemere · 3 years ago
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Voyage dans le temps
J’ai dans la tête une machine qui tourne à l’envers. Valse au passé – jamais au présent. Au présent il faudrait : étudier, ranger la vaisselle, sécher le linge, faire à manger, prendre des trains, aller au travail – tendre vers un avenir incertain que mes doutes m’empêchent de regarder. C’est trop soudain, ça ne se contrôle pas. Le présent me rend entièrement visible, entièrement révélée. Mais les instants révolus font acte d’inexistence, d’insignifiance et de beauté. Je ne suis perméable qu’aux histoires et aux souvenirs, qui ont quelque chose d’implorant qui me renverse, auquel je ne peux résister. Il faudrait voyager à l’époque des villes avant les ruines, des déesses incomprises qui se font mortelles par amour des hommes, des étendues sauvages. Jusqu’ici les récits et les contes ont été ma seule manière de me soustraire au monde. Cultiver l’amour des choses imaginaires, voilà ce qui a su me révéler à moi-même.
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penseeephemere · 3 years ago
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Le désir immobile
Ce n’est pas tellement que je ne bouge pas : c’est que je n’ai plus d’instinct. Je fais taire mon instinct, en le recouvrant de mille attitudes empruntées. Il n’y a aucun geste qui ne soit pas calculé, aucun espace qui ne soit pas maîtrisé. Je ne désire que le contrôle, du corps, des mots, des actes. Je ne désire que ce que les autres désirent. Inadaptée, j’ai copié leur rire, leurs expressions, leur humour. C’est pour plaire à des inconnus, c’est pour ne plaire à personne, et encore moins à moi-même. C’est étrange, cette sensation de ne pas s’appartenir. Je ne promène que des choses cassées sous mes doigts. Je ne sens aucune consistance dans ma présence. Irréelle, j’aurais aimé franchir cette vitre épaisse, derrière laquelle se trouve une femme spontanée. Je reste devant et je ne suis qu’un être au désir factice. Je reste muette entre mes quatre murs, avec mes carnets et mes fleurs séchées, à réprimer mes colères et mes envies silencieuses. Comment ravive-t-on ce qui a été endormi pendant des années ?
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penseeephemere · 3 years ago
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Du sel sous les paupières
La sorcière a des mains de soie, des yeux de louve et du sel sous ses paupières. Elle pleure souvent entre les ruines des hommes et des dieux ; c’est ce qui remplit les mers. Elle pleure parce qu’elle n’est ni humaine ni déesse, qu’elle se trouve à mi-chemin, dans un entre-deux qui l’écartèle constamment. De cette déchirure naissent des créatures monstrueuses qui répandent un poison épais dans son sang. Elle est née des orages et du ciel qu’elle redoute, elle voudrait vivre parmi les hommes qu’elle ensorcelle. Mais elle a des paupières salées qui lui maintiennent les yeux clos et le visage tourmenté. Elle sait seulement que si elle les ouvre, elle inondera ce qu’il reste des lieux habitables et des vivants – que les êtres ne seront alors plus pour elle que des visions englouties.
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penseeephemere · 3 years ago
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Les mots sont des arbres
Les mots sont des graines qui se plantent dans ma tête et dont poussent des arbres, protecteurs parfois, envahissants souvent. Cette année, les arbres ont laissé passer la lumière tout l’hiver mais voilà qu’ils obscurcissent à présent le ciel de juillet – luxuriants, humides et étouffants. Je pensais aller mieux mais mon sourire, en réalité, avait poussé entre les racines des mots des autres. Ils sont partis, et ne restent que les marécages, les bêtes nocturnes qui s’abreuvent près des étangs. Il n’y a plus rien pour apaiser ma soif. Le travail me rend sourde, lourde, le travail me mange toutes les heures de la journée, et je n’entends que de l’indifférence dans les mots des autres – leurs mots devenus des ronces autour de ma colonne vertébrale.
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penseeephemere · 3 years ago
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Chaos
Après ton passage il reste : quelques miettes sur la nappe, des mégots de cigarette au bord de la fenêtre, tes paroles dans ma tête. Le salon est en ordre mais rempli d’épines et d’amertumes. Je suis comme une coquille d’œuf brisée, qui laisse des brisures dans les miroirs, des éclats sur le parquet, dans tes repas, dans tes nuits blanches. Tu ne veux rien entendre. On s’allonge sur nos défaillances et l’absence m’enveloppe comme un drap qui garde la forme de ton corps.
Le lendemain, trois messages envoyés – j’attends une réponse qui ne viendra pas. Tu ne viendras plus. Le chaos n’aura jamais été aussi silencieux. Tu tourneras sous mon crâne, feras la valse avec mes pensées et je me nourrirai des vides que tu auras laissés. J’épouserai un fantôme. Ce n’est pas grave. J’aurai appris à fabriquer les regrets, à avaler des couleuvres et arracher mon cœur de ma poitrine, comme on enlève une écharde sous la peau. Je m’endormirai sur mes désastres d’enfant sage. Tu ne me laisseras que des yeux fous et mes méfiances de louve que l’on n’apprivoisera pas.
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penseeephemere · 3 years ago
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Tu
Je n’ai jamais su m’adresser à toi sans m’effriter sous ton regard. C’est plus fort que moi : j’ai peur de toi comme d’un reflet blanc, peur de ce que tu peux révéler de moi et de ce que tu me fais taire. De ce qui nous oppose et nous assemble. Je ne saisis pas qui tu es sous le maquillage. Le « tu » est pour moi inaccessible. Et pourtant, tu creuses en moi des sillons d’où poussent des fleurs épineuses. Je les arrose d’une tristesse poisseuse et collante qui leur donne une couleur étrange – insaisissable. Tu m’habites et me dévore. Tu t’échappes de mes failles béantes. Je voudrais parfois disparaître pour ne pas entendre tes mots qui cognent sur ma peau. Je me dévide sans cesse, et lentement m’évapore sur ton absence qui a peuplé tous les pays où j’ai grandi.
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penseeephemere · 3 years ago
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Némésis
Je rêve parfois de me venger de tous les hommes qui m’ont fait du mal. Tous ceux qui m’ont oubliée et qui me hantent. Je les ai désirés, d’un désir immobile et j’attendais que l’on me dise quoi faire comme une poupée désarticulée. Tout ce qui me touche me dévaste. A présent je reste immobile et je suis toujours un peu cassée en dedans.
Je me sens exsangue, vidée, sans savoir où se situe la racine de ce qui souffre en moi, le nerf atrophié d’où coule ma douleur. Cette nuit, en dansant, j’ai pleuré. Sans aucune raison. Il n’y a jamais de raison. Je ne sais pas gérer ce qui en moi se réveille inopinément, et qui ravage tout à l’intérieur. Je fais semblant, je force le sourire et les gestes. Mais c’est un immense carnage : l’intruse en moi me rend froide, distante, étrange aux yeux de ceux qui m’entourent. Son courroux reste insaisissable. Mon propre sens m’échappe. Je ne me comprends pas, je deviens liquide, je deviens fuyante, je ne veux pas me regarder en face. A l’intérieur : une fille née sans père, de la nécessité, de la nuit, de l’océan. Némésis me rend jalouse des gens heureux. Elle fait prendre aux choses des proportions démesurées, elle distille le poison de l’interprétation dans tous les gestes et les mots dirigés vers moi, elle les teint de la couleur grise du ressentiment.
J’ai relu quelque chose que j’avais écrit la dernière fois que ça m’est arrivé : « mon désir n’est pas en accord avec l’image sociale que je veux incarner ». Je ne me souviens plus d’où est venue une telle pensée. J’ai beaucoup de notes dans mon téléphone avec des bribes échappées des moments où mon cœur se brisait. J’aimerais faire taire en moi ce bavardage noir. La vérité c’est : j’occulte mon désir. Mais le problème est ailleurs, est intérieur, remonte parfois dans ma gorge, m’empêche de parler sans m’éparpiller, sans me fondre instantanément dans tout ce que je ne parviens pas à dire. Les émotions exprimées me terrasseraient.
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penseeephemere · 3 years ago
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FenĂŞtre
Je connais des histoires tristes. Des paysages de pluie qui n’ont jamais connu autre chose qu’un ciel tourmenté. Je m’assois toujours près des fenêtres lorsque je suis dans les cafés, dans les amphithéâtres, dans les trains, de manière à ce que mon regard puisse s’égarer. Je ne peux pas rester immobile devant mes idées fixes. A défaut d’être exprimées, mes pensées emprunteront un autre chemin. Puisque mon crâne est une boîte noire qui n’entend que la langue des bêtes. Qui ne comprend que les désharmonies, le chaotique, le brouillon. Les fleurs sauvages. Cela ne relève pas du langage articulé. C’est ailleurs, caché dans mon ombre, dans un lieu peuplé par les absences. Les fenêtres, quant à elles, resteront muettes pendant mes nuits d’orage.
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penseeephemere · 3 years ago
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Pokémon
On y a joué pendant des heures. On les a collectionnés, évolués, régénérés. Il fallait nous y voir toutes les deux, à marcher dans les rues vides de Paris les dimanche après-midi. C’était quelque chose qui n’avait aucun but utile, mais dont nous avions pourtant besoin. Changer un peu de réalité. Ce n’était pas vraiment satisfaisant, mais ça nous faisait du bien de retourner quelques instants dans un monde insouciant et enfantin. On en a profité pour sortir le chien. Quelques petits tours du quartier et puis s’en vont. Il en fallait peu pour nous distraire. On a parcouru des kilomètres une heure par jour juste pour attraper des Pokémons, quand j’y repense, ça me paraît ridicule, mais au fond, ça ne l’était pas. Juste un moyen comme un autre de tromper l’ennui.
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penseeephemere · 3 years ago
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Ils seront détruits par la bête qu’ils ont créée
Elle avait toujours été un peu mélancolique, un peu à côté. C’était quelque chose dans le corps, dans sa chair même, qui la dévorait jour et nuit, qui lui dérobait son sourire et sa légèreté, les emportant ailleurs pour les rendre inaccessibles. C’était une bête précieuse et viscérale, qui s’abreuvait des plaies ouvertes. Qui grandissait avec sa tristesse. Quand la bête se réveillait, elle demeurait là, alors que tous les lieux devenaient soudain inhabités. Elle n’en est jamais revenue. Elle gardait, dans les moments où cette autre en elle surgissait, un objet serré fort entre les doigts – des clefs, un briquet, son téléphone ; comme animée par le besoin de se ramasser autour de quelque chose. Pour faire corps contre l’absence qui vivait à ses côtés. Elle avait créé les épines et les roses. Elle avait élevé une bête noire pour la protéger, pour contrer la solitude, les injonctions, les attentes que tout le monde avait placé en elle. Mais l’intruse était restée dans ses entrailles. La bête qu’elle avait créée, parfois, se taisait – mais ne disparaissait jamais, s’endormait seulement quelques instants, puis revenait se nourrir des soupirs de son âme en peine. Elle avait grandi avec, et sans qu’elle puisse s’en défaire, et sans qu’elle puisse vivre sans elle, la bête était devenue partie intégrante de son être, quelque chose de fondamental, d’aussi vital que destructeur, qui répondait à un besoin de définition identitaire à la fois illusoire et humain. Une masse sombre et silencieuse, qui lui volait sa voix et lui mangeait le cœur.
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penseeephemere · 3 years ago
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Miroir
Petite, je voulais savoir comment on fabriquait les miroirs. Le processus en cause me fascinait. Je m’imaginais qu’il avait fallu développer une technologie prodigieuse pour me permettre ainsi de m’avoir en face de moi, telle quelle, pour afficher mon reflet de manière si précise, et reproduire ainsi tous mes mouvements, même les plus imprévisibles. Je m’efforçais de trouver la faille, de tromper la mécanique, j’attendais immobile puis je faisais des gestes soudains, mais sans succès. Je finissais toujours par abandonner, vaincue par l’ingéniosité de la technicité mystérieuse qui régissait les rouages de cette curieuse invention.
Depuis que j’ai compris qu’il n’y a pas de secret, que tout n’est qu’une histoire de physique, que Narcisse a tout inventé ; il me semble que les miroirs me fabriquent.
Ils me font tour à tour coquette, prétentieuse, joyeuse, sérieuse, triste, enjouée. Ils me dictent la façon dont je vais me donner au monde chaque matin. Ce que je vais dire de moi, et ce que je vais choisir de ne pas montrer. Ils m’enferment dans mon reflet. L’image est devenue déterminante dans tous mes rapports. Depuis que j’ai compris, la graine du doute a poussé dans ma tête. J’entends les autres me juger, je leur prête des mots qu’ils ne disent pas, comme autant de poignards que je me plante dans le cœur. Toute cette violence pour leur plaire.
J’essaye de sortir de ce miroir trop étroit. Ou peut-être que c’est moi qui ait diminué. J’avale tout de travers. Je dévore tous les oiseaux et je vomis des petits monstres. C’est la place que je prends dans le monde. Le miroir me renvoie à ma propre existence – souvent, il aspire ce qu’il reste de courage. Je voudrais l’oublier. Mais c’est ma manière d’être, de me perdre dans mes yeux trop grands pour mon visage, qui papillonnent dans leur cage. C’est peut-être ça, de passer du côté des fantômes. C’est peut-être d’avoir compris au point de vouloir fuir, ouvrir la fenêtre, et cesser de se cogner sans cesse sur la réalité aride d’un physique fabriqué.
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