Tumgik
#tu as eu le temps de devenir professeur à l'isipca en attendant ma réponse
helshades · 4 years
Note
Hola Hel! Je t'avais il y a longtemps demandé ton avis pour un parfum "hors niche", après que mes proches m'eurent offert une carte cadeau Sephora; tes excellents conseils m'avaient conduit à découvrir L'air de temps de Nina Ricci, dont je ne me passe plus. Eh bien je me trouve dans la même situation aujourd'hui et je voulais savoir si tu avais d'autres recommandations inspirées! J'avais envisager de tester Jardins de Bagatelle, mais la politique de Guerlain me déplaît et les flacons sont laids.
Je ne me fais pas entièrement l’avocate du Diable en faisant charitablement remarquer que Guerlain n’est pas, au fond, responsable de son propre sort, dans la mesure où c’est l’acquisition de la maison par LVMH en 1994 qui a signé la déchéance artistique d’un monument patrimonial. Je partage le rêve de bien des parfumeurs de voir au moins les parfums historiques inscrits au patrimoine français – ce qui permettrait par exemple de sauvegarder des recettes et des matières premières, face au rouleau-compresseur européen.
Pierre-François-Pascal Guerlain, 1853 : l’Eau de Cologne impériale. Aimé, son fils : Cuir de Russie (1872), Jicky (1889), Eau de Cologne du Coq (1892), Jacques, petit-neveu d’Aimé :  Après l’Ondée (1906), L'Heure Bleue (1912), Mitsouko (1919), Shalimar (1925), Vol de nuit (1933). Jean-Paul, petit-fils de Jacques : Habit Rouge (1965), Chamade (1969), Eau de Guerlain (1974), Nahéma (1979), Jardin de Bagatelle (1983), Samsara (1989). Et encore, j’ai opéré des coupes franches.
Thierry Wasser & Delphine Jelk : La Petite Robe noire (2012, puis environ un million de flankers), dans le flacon historique de L’Heure bleue (!!!), horreur bonbonnesque fétichisée par toutes les jeunes filles en fleur qui aiment tant se sentir unique en portant le même parfum que 73% de leurs copines (les autres porteront un machin à la vanille et au caramel).
Bon, bref, les parfums chez Sephora. Avec une carte cadeau. Euh... elle est généreuse, cette carde cadeau ? Pas au point, j’imagine, de pouvoir te conseiller la collection « Hermessences » de chez, et oui, Hermès, c’est-à-dire le « laboratoire d’idées » de Jean-Claude Ellena qui s’était fait drôlement plaisir avant la retraite, et qui m’oblige à arpenter EBay et Vinted comme une âme en peine pour dénicher des flacons de la collecque à moitié prix, au moins (235€ les 100ml, 359€ les 200ml, je vendrais mon âme pour Cèdre Sambac, j’irais même jusqu’à faire le repassage). Quoique je viens de vérifier : aucune n’est vendue chez Sephora. J’imagine qu’ils connaissent leur public, qui doit être moins désaxé que celui du Printemps – et arrête de me regarder comme ça, je n’achète rien au Printemps, je vais juste sentir, en espérant qu’une vendeuse me prendra en pitié et me glissera une pièce et des échantillons.
Donc, pas d’Hermessence. En revanche, je te somme d’aller respirer Rouge Hermès, l’extravagant floriental d’Akiko Kamei (autrefois Parfum d’Hermès, 1983, jusqu’à sa refondation en 2000, le cas excessivement rare d’un parfum amélioré par une reformulation !) qui est... Et bien, c’est un Jardin de Bagatelle sous stéroïdes, tiens, où le côté « tralala promenons-nous dans des champs totalement réalistes mais zéro bouse de vache » tout en exubérance juvénile s’est changé en sensualité tapageuse façon grande bourgeoise croqueuse d’amants mais grande classe jusqu’au bout de ses longs ongles laqués de rouge. Rouge, c’est la rencontre explosive, exponentiellement florale, de la rose (Damas, pas turque, jamais rose mais rouge, rouge), du santal (laiteux à souhait, épicé, hypnotique), de l’ylang (moins été-à-la-plage, ici, que nuit torride en forêt tropicale avec risques de venin) et de l’iris, qui apporte la poudre, une poudre de riz Art Nouveau qui aurait donné des vapeurs à Zola. Le tout souligné par des épices, du cèdre, et surtout – donnant un aspect fabuleusement ténébreux au fond – de la myrte (arbuste cousin du giroflier et de l’eucalyptus).
Comme tu as parfaitement le droit d’être terrifiée par la perspective, je m’en vais également te conseiller le grand classique 24, Faubourg (créé par le grand Maurice Roucel en 1995, complètement à contre-courant de la mode gel douche & crustacés de l’époque), qui finalement est aussi un concurrent de Jardins de Bagatelle en plus classieux : naturaliste, lumineux, floral blanc et jaune, dans l’esprit il me fait beaucoup penser à L’Air du temps, justement, à la fois délicat, sensuel, joyeux, intemporel et plein de caractère. Fleur d’oranger, jasmin, iris, ylang, gardénia, jacinthe, orange et pêche, sur un lit très doux d’ambre, c’est un parfum tout en retenue mais plein de sensibilité, élégant sans affection ni hauteur, naturel sans être simpliste, un vrai bouquet savamment composé, beau et agréable. Quant à la tenue : remarquable ! Rouge Hermès est un monstre, bien entendu, mais 24, Faubourg est suffisamment opulent pour se défendre, et son évolution est passionnante. Côté popularité, il est très célèbre mais le Jeune® ne porte pas souvent Hermès. C’est dommage, parce qu’en termes de rapport qualité-prix, on reste ici dans l’abordable.
Je ne te recommanderai les Serge Lutens qu’à sentir chez Sephora : on trouve à acheter facilement d’occasion au moins à moitié prix, alors que les tarifs en boutique grimpent pathologiquement. Tom Ford et Armani sont hors de prix, et pas nécessairement supérieurs au reste. Jo Malone aussi c’est un peu cher pour ce que c’est, l’étage en-dessous : très à la mode, un peu cheap dans la confection, personnellement je ne suis pas convaincue mais c’est à voir (à sniffer) par soi-même. J’ai vu aussi que Sephora vend maintenant des Goutal (ses titres les plus populaires en tout cas, comme L’Eau d’Hadrien, très joli mais célèbre pour son évanescence, Petite Chérie le fruité dans l’air du temps, et le magnifique L’Heure Exquise, lequel fait en revanche très mature) et des Comme Des Garçons, qui sont très intéressants dans le genre conceptuel, ce qui peut être assez rebutant suivant les sensibilités, tout le monde n’aimant pas les notes d’encre ou de bitume – personnellement je crains l’aspect parfois un peu industriel de leurs compositions mais je conseille volontiers d’aller s’y pencher dessus pour s’en faire une idée, c’est probablement plus « niche » que ce qu’on sent en grande surface parfumistique d’habitude. À découvrir.
Moins générique comme recommandation, un Chanel, ou plutôt deux Chanel, mais deux facettes d’un même parfum : N°19 et N°19 Poudré. Ce dernier étant l’un de mes jus les plus chéris, tant il est vrai que dès que l’on m’ajoute de la poudre à quelque chose, je ne réponds plus de rien. N°19, c’est un peu le parfum de la résurrection pour la maison Chanel, « Coco » s’étant retirée des affaires quelque temps, puis étant revenue accompagnée de ce concurrent à l’historique N°5, portant cette fois le nombre de sa date d’anniversaire, le 19 août. Gabrielle Chanel mourut quelques semaines après le lancement de ce parfum, ce qui lui confère un rien de nostalgie vintage encore accentué par ses célèbres notes poudrées, très vertes, en fait une alliance de galbanum (le vert) et d’iris (la poudre) extrêmement élégante et sophistiquée. Le vert absolu, bien sûr, c’est l’ancien Vent Vert de Balmain (Germaine Cellier, 1947), et N°19 en est un successeur transparent, mais plus sage. Malgré tout, sa tête où les belles fleurs blanches sont précédées par la férule gommeuse (le galbanum est une gomme-résine longtemps utilisée dans des thériaques pour ses propriétés médicinales, adorée en parfumerie pour ses notes puissantes, balsamiques et herbacées) caractéristique et un peu dérangeante, et les fleurs sont posées sur un fond cuiré, boisé de cèdre, lié de vétiver et de mousse de chêne qui leur confère une espèce de fraîcheur ténébreuse envoûtante. La version véritable est bien l’eau de toilette et non l’eau de parfum, mais la déclinaison N°19 Poudré est une eau de parfum arrondie de muscs blancs, plus douce sans doute, peut-être plus sensuelle encore.
Oh ! ça me fait penser: Mémoire d’une odeur, chez Gucci. Étonnant objet d’Alberto Morillas, à la fois léger et complexe, c’est une étrangeté fascinante dont l’amertume herbeuse surprend beaucoup. En gros, c’est une camomille, très réaliste d’ailleurs, mais c’est bien plus que cela, Morillas s’étant complu à mettre avant des notes habituellement réservées au bruit de fond en parfumerie, comme l’hédione et le salicylate, de sorte que la composition est incroyablement aérienne, moelleuse comme un nuage, impressionniste. Un parti pris vraiment différent des fragrances ci-dessus évoquées, à sentir pour se faire une autre idée du parfum.
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