jeanremyt
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La vie quotidienne au temps du Coronavirus
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jeanremyt · 5 years ago
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La leçon
Dimanche 10 mai 2020
Nous voici arrivés au terme de cette aventure. Demain le confinement s'achèvera plus ou moins, et ces pages se cristalliseront dans les glaces du temps qui passe et qui fige l'infini beauté de l'instant. Le plaisir d'écrire ces lignes, et de les lire peut-être, se perdra dans un passé s'éloignant inexorablement. Mais que retenir de cette expérience qui nous parut interminable et qui se termine aujourd'hui ?
Sur le plan personnel, l'harmonie qui a régné, ici, entre nous, la force des sentiments qui n'a jamais fléchi, l'absence complète de nuages dans nos relations, pendant près de deux mois de vie commune permanente, constituent le trésor le plus précieux qu'on puisse imaginer. C'est là le socle inaltérable d'un bonheur que je ne peux imaginer transitoire. La période a permis aussi à chacun d'entre nous d'éprouver ses ressources pour faire de ce temps apparemment perdu un temps fructueux, profitable. La lecture, les réalisations utiles à tous, les jeux, si essentiels au développement ou à l'entretien de la vivacité intellectuelle, les discussions, la réflexion partagée, tout ceci a incontestablement été favorisé par cet enferment qui nous a finalement si peu pesé. Et en ce qui me concerne, l'expérience de l'écriture, quelle que soit la qualité du propos, a été essentielle pour moi, primordiale. Écrire et proposer sa production à la lecture d'un « public » est très intimidant, c'est un dévoilement de l'intime, une mise à nu, qui suppose ou une folie furieuse, ou un grand équilibre, ou peut-être un peu des deux, à dose variable. La lecture des commentaires sur mes écrits m'a certes apporté de grandes bouffées de satisfaction, cela engage et encourage à poursuivre, mais comment ? Dans quelle direction ? Sous quelle forme ? L'avenir le dira...
Sur le plan individuel, chacun de nous, confiné seul ou en famille, dans un lieu vaste et accueillant ou dans un logement exigu et inconfortable, s'est retrouvé en tête à tête avec lui-même. Cela a nécessairement suscité une réflexion, ou tout du moins un questionnement, sur ce qui permettait de supporter ce huis-clos permanent, sur nos ressources morales, sur notre tolérance vis à vis de l'autre, des autres, compagnons d'errance confinée. En cela, la période aura probablement été un moment unique et mémorable, une fenêtre ouverte sur la possibilité d'une introspection salutaire, d'un dialogue avec soi-même, qui aura, à n'en pas douter, des conséquences bénéfiques sur le développement personnel de chacun. Ce fut aussi l'occasion d'une appréhension du temps différente, propice,donc, à la réflexion, voire à la méditation, une occasion de cesser d'être esclave d'une temporalité dictée par les contingences extérieures. Ce fut une occasion d'occuper autrement son esprit en le cultivant de mille manières, de repenser ses priorités, de redéfinir, voire de définir, sa place dans la communauté, dans la société devenue lointaine, abstraite, donc plus facile à analyser en fonction de soi.
Sur le plan collectif, on ne peut que se laisser aller à formuler des vœux pieux, mais rêvons un peu… Et si la gestion du confinement avait pu apprendre la modestie, l'humilité, même, à nos dirigeants, incapables de prévenir les conséquences d'un si terrible accident, empêtrés jusque là dans leurs préoccupations gestionnaires de bouts de chandelles au lieu de penser l'avenir en grand ?… Et si nos dirigeants se mettaient à appréhender différemment ce qui touche au bien public, en soignant à leur tour la fonction publique, visiblement indispensable en temps de crise ; en proclamant que si l'intérêt particulier est une affaire individuelle, l'intérêt collectif doit être le souci premier de l'action politique ; en affichant leur détermination à protéger tous les citoyens plutôt que des premiers de cordée à l’œil rivé sur le sommet, ne faisant aucun cas de ceux qui ont dévissé  ? Mais sur le plan collectif, on a vu surtout de formidables élans de solidarité, partout, sans hiérarchie d'engagement. On a vu les personnalités du spectacle et de l'art fourmiller d'idées pour offrir aux confinés de quoi soulager l'angoisse d'une réclusion forcée, on a vu partout des anonymes donner de leur temps pour aider leur prochain, de la confection de masques à l'aide apportée aux personnes isolées, on a vu des gens faire les courses pour leurs voisins, s'inquiéter de leur sort, applaudir à 20h les soignants, donner quelques sous pour l'hôpital public. Beaucoup de choses se sont passées durant ces longues semaines de confinement, beaucoup de petits miracles ont eu lieu, mais qu'en restera-t-il à partir de demain ? L'individualisme, l'égoïsme, le matérialisme, la bêtise, la promotion de l'inculture et de la pensée primaire redeviendront-ils la règle de notre existence collective ? Ou bien l'exercice de la discipline intelligente, la réflexion voire l'introspection, l'expression continue de la solidarité, auront changé nos esprits, nos âmes, assez profondément pour que cette expérience qui nous parut interminable et qui se termine aujourd'hui ne soit que le début d'une nouvelle ère. Puisse du brouillard émerger la lumière, il ne tient qu'à chacun...
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jeanremyt · 5 years ago
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Enfance
Samedi 09 mai 2020
Le confinement aidant, l’écriture de ces quelques lignes quotidiennes aussi, les souvenirs lointains remontent à la surface comme des corps longtemps lestés, mais que le temps a peu à peu libérés de leurs liens pour les laisser revenir hanter le monde des vivants. Ce soir, tout est parti d’un générique de film marqué des lettres “WB”, et qui m’a renvoyé il y a une quarantaine d’années en arrière. Les vacances de Noël étaient caractérisées par l’attente des réjouissances familiales, du mystère des cadeaux apparus au matin, au pied de l’arbre. Mais il m’est revenu à la mémoire ces autres journées de vacances passées à la maison, en pyjama, alors que dehors il faisait froid, à inventer des jeux avec mes frères, à lire des bandes dessinées, et surtout à regarder en famille, le soir, ces compilations de dessins animés, marquées du sceau et du jingle caractéristique de la  “WB”, soirées de rires, soirées de chaleur familiale, tous blottis les uns contre les autres, nous endormant finalement malgré nos protestations de grande forme. Et de proche en proche, d’autres souvenirs ont reparu : l’odeur sèche des genêts et des tamaris bordant le front de mer, à Laredo, en Espagne, où nous passions quelques semaines d’été, dans les studios achetés par mon grand-père. Cette lumière blanche, la chaleur du bitume sous nos pieds, le goûts des biscuits que j’ai toujours dans ma mémoire gustative, mais que je ne parviens pas à définir, celui du miel vendu par des marchands ambulants, au pied de l’immeuble, le bruit des vagues déferlant sur la longue plage où nous faisions la course avec mon père qui me félicitait inlassablement pour mes bien modestes performances, la pluie chaude qui tombait dans les hauteurs des monts Cantabriques, nous obligeant à nous réfugier dans un pâtisserie, ou un bar (mais c’était toujours au même endroit) où, parfois trempés, nous dégustions à l’heure du goûter des gâteaux à la noix de coco. Et puis, du coq à l’âne, c’est la cour de l’ancienne ferme où nous logions, dans la Drôme, aux murs pas tous bien crépis, au sol défoncé, écrin mal en point de mes premières rêveries d’aventure, et où quelques potiers se relayaient pour façonner des pots qui me fascinaient. J’ai toujours dans les narines l’odeur de l’argile humide tourbillonnant sur le tour, à la merci du fil et du couteau, sous les doigts experts de ces artisans de la terre, qui me laissaient parfois monter un petit vase, bien maladroit, mais qui me rendait fier, parce que j’avais l’impression d’avoir fait quelque chose à partir de rien, peut-être comme à présent... A force de contrainte, l’esprit se gonfle de réminiscences, et en laisse échapper quelques unes, comme une outre trop pleine, pressée sur les flancs, expulserait quelques gouttes d’une eau aussi pure que les souvenirs d’enfance.
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jeanremyt · 5 years ago
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La guerre et la paix
Vendredi 08 mais 2020
Aujourd’hui, c’est jour de commémoration, jour de souvenir d’une victoire sur les forces du mal parmi les plus inhumaines et les plus violentes que le monde ait connues. Il y a soixante quinze ans exactement, quasiment l’âge de ma mère, l’abomination finissait, l’abomination c’est à dire la justification de l’usage de la force imbécile (bel oxymore !) pour détruire et conquérir, ce qui revient au même. Et sur quoi cet usage reposait-il ? Sur une propagande habilement distillée qui présentait les raisonnements les plus absurdes comme allant de soi, qui proposait des solutions radicales comme étant des solutions logiques, qui justifiait la violence du plus fort sur le plus faible, qui parlait de pureté, d’origine, de race, de sang noble, de civilisations conquérantes par nature... Lorsqu’aujourd’hui on aborde les conséquence de cette propagande (la barbarie nazie, la Shoah, les camps, les tortures, les massacres, l’impérialisme militaire des puissances de l’axe...) chacun est absolument convaincu qu’il s’agit d’abominations qu’on doit condamner et ne jamais voir reparaître. Mais si l’on revient sur les discours qui ont conduit à ces abominations, beaucoup ne trouvent rien à redire, voire les cautionnent, et sans aller jusque là : qui à présent songerait à faire l’effort intellectuel d’en réfuter de façon argumentée et informée les fondements ? La nuance, la complexité, l’intelligence, la culture qui permettent d’analyser les messages et les faits en approchant un tant soit peu de la vérité, semblent s’effacer devant les jugements définitifs, les conclusions faciles, les prétendues évidences et les prises de positions radicales. Nous ne sommes pas à la veille d’un nouveau 5 mars 1933, certes, mais l’abdication de la pensée, la promotion de la bêtise et de l’inculture, l’attitude irresponsable de beaucoup de nos dirigeants et de sinistres histrions des plateaux télévisés qu’on adule comme des gourous radicaux, tout cela est largement de nature à faire accepter n’importe quel discours haineux et simpliste, et les conséquences en seraient catastrophiques en cette période de triomphe de l’irrationnel. Il suffirait pourtant de se concentrer sur les valeurs fondatrices de notre République, dont celles que l’on peut lire aux frontons de nos mairies, sans parti pris, sans arrière-pensée, avec la générosité et la sagesse des législateurs d’il y a presque deux cent cinquante ans, pour que l’armistice que nous fêtons aujourd’hui reste pour longtemps une véritable victoire sur la bêtise barbare.
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jeanremyt · 5 years ago
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L’aiguille creuse
Jeudi 07 mai 2020
Une bonne partie de l’après midi fut marqué par deux activités concomitantes, mais dont l’association peut prêter à sourire, pour le moins, voire apparaître comme incongrue et même surréaliste. Je me suis lancé dans de la couture, mais sans nécessité impérieuse, pour un besoin assez secondaire : il me fallait coudre des pattes d’accrochages sur des essuie-mains de tissu, pour le lavabo des toilettes. Dis comme ça, on imagine l’intense extase éprouvée pendant ces quelques heures. Mais, outre l’intérêt et la satisfaction d’accomplir un travail manuel dont l’achèvement est valorisant, nous avons déjà abordé ce sujet, il est aisé de comprendre que cela donne au temps de confinement, qu’on pourrait croire perdu, une utilité qui valorise finalement notre enfermement. Mais cette activité s’est accompagnée de l’écoute intégrale des trois premiers albums du groupe Dire Straits, ce qui ne va pas de soi de prime abord. La couture laissant mon esprit assez dispos, j’étais tout entier à la musique, me laissant porter comme Aladin sur son tapis, revenant 35, 40 ans en arrière... Tunnel of love, Sultans of swing, c’était les années lycées, les premiers cafés bus entre deux parties de baby-foot, les premiers albums achetés (Brothers in arms). On écoutait Police, Supertramp, Pink Floyd, on dansait sur U2 dans les soirées. Au son de Portobello Belle ou de Romeo and Juliet, par le chas de l’aiguille passaient des images de quais de Tamise embrumés, de banlieue écossaise enfumée, et tire et pousse le fil et me voilà, avec Lady writer, dans un pub à l’odeur poisseuse, un peu écœurante, de bière et de sueur. Et pique, pique, en écoutant Solid Rock, et voilà une route du vieux sud américain qui revient à ma mémoire, entre Nashville et Memphis, un peu d’Elvis, un peu de country. Coupe le file, fais un nœud, et la voix de Knopfler, aux teintes écossaises qui n’est pas sans annoncer l’épais accent de Calvin Russell que je découvrirai quelques années plus tard, et la guitare de Knopfler, suave et nerveuse en même temps, aux sons ronds mais aux riffs endiablés... Merci à l’aiguille creuse d’avoir fait revivre ma jeunesse et mes voyages, et de m’avoir fourni une des rares choses qui me transporte dans ce qu’a pu nous imposer le monde anglo-saxon : cette musique métissée, énergique et envoûtante, magnétique et virevoltante, qui vous saisit tout entier et vous laisse comme un shaman en transe. Où nous conduira le confinement ?...
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jeanremyt · 5 years ago
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Art
Mercredi 06 mai 2020
Durant cette période de confinement, les artistes ont rivalisé d’idées et d’énergie pour offrir au public les prestations les plus diverses, participation à l’effort de guerre, don de soi généreux, nécessité de rester en vue pour capitaliser sur l’avenir, qu’importe, le résultat est là, le monde de la culture, en France, a montré tout son foisonnement et sa vitalité. Les réseaux sociaux sont envahis par les interventions des uns et des autres, par dizaines, peut-être par centaines : petits concerts “privés”, chansons du soir, “tutos” musicaux, lectures, rétrospectives, détournements, sketchs, mini conférences, causeries... Ne pouvant suivre tout le monde, mon choix s’est porté sur quelques lectures et sketchs, que je suis assidûment, et surtout sur les interventions de Françoise, petite fille d’Aimé Maeght, à l’origine de la célèbre fondation azuréenne qui porte son nom. Ces petites émissions présentent un mélange très habile d’histoire familiale et d’histoire de l’art, étroitement imbriquées, d’analyses d’œuvres et d’échanges avec des artistes contemporains ou des galeristes. Et tout ceci est véritablement incarné, les plus grands génies du vingtième siècle jouent avec les enfants Maeght comme de vieux oncles attendris, Prévert et Montand s’amusent comme des petits fous pendant qu’Ella Fitzgerald déambule un soir entre les sculptures de Giacometti. Si j’aime écouter ces interventions, c’est qu’elles nous rappellent que les plus grandes productions artistiques de tous les siècles ont été le fait d’hommes, faits comme chacun de nous, simples finalement, hormis leur rapport à la beauté et à la création. Et cela, je pense, doit nous guider lorsque nous contemplons leurs œuvres. Tout le bagage savant qui peut aider à éclairer notre rapport à l’art est utile, il enrichit notre perception, il informe, mais il ne doit pas déformer, il ne doit pas rendre ce rapport sec et intellectuel, désincarné et débarrassé de toute dimension affective. Lorsque je fais visiter à mes élèves des musées d’art moderne ou contemporain, je les laisse déambuler et s’arrêter où ils veulent. Je ne leur propose aucune explication, aucun apport notionnel a priori. Je déambule avec eux, toujours fortement ému de leur expression devant tel ou tel œuvre, et seulement s’ils le demandent je leur donne des informations sur l’œuvre ou l’artiste, je leur donne surtout des pistes de réflexion qu’ils exploreront à leur guise. Les voir ainsi évoluer me procure un plaisir aussi intense que la contemplation de ce qui nous entoure alors. C’est ce sentiment que j’ai en assistant aux petites émissions sur la Fondation Maeght, le sentiment qu’on me tient la main, en silence, devant la manifestation du génie, qu’on m’accompagne en me laissant éprouver mes propres émotions. Et j’attends avec une impatience extrême de pouvoir retourner dans nos musées, nos fondations, dont notre sud est si bien doté, pour déambuler, indifférent ou irrésistiblement attiré, ignorant telle peinture, mais restant de longues minutes à me perdre dans telle autre, admirant cette sculpture merveilleusement intégrée au cadre naturelle qui lui sert d’écrin, retrouvant l’émerveillement face au mystère de la création qui dut être celui de nos très lointains ancêtres contemplant les insondables beautés de la nature.
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jeanremyt · 5 years ago
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Travailler fatigue
Mardi 05 mai 2020
Le confinement, comme nous le vivons ici depuis mi-mars, n’implique pas de tomber dans une paresse apathique, voire aboulique, qui deviendrait bien vite pathologique. Notre temps de confinement est utilisé à plein et il nous reste peu de temps pour souffler un peu, finalement. Ce que nous imaginions confusément être une période reposante, finit par être plus fatigant qu’en temps normal. Nous accusons tous, paradoxalement, une certaine fatigue physique, ce qui est étrange vu la modestie de l’espace dans lequel nous nous mouvons, et le calme qui préside à nos mouvements. Mais de ce fait, nous nous efforçons, je l’ai déjà évoqué, de faire de l’exercice physique, finalement assez intensif et de manière bien plus fréquente qu’en temps “normal”. Et depuis bientôt deux mois, cela doit jouer sur l’organisme. Il se peut aussi que le rythme de vie étrange qui s’est peu à peu instauré n’aide pas à la récupération. Se coucher tard, se lever assez tôt pour l’enseignement à distance, rester devant les écrans une bonne partie de la journée, par nécessité ou par choix, tout ceci épuise, et en premier lieu physiquement, cela peut même créer quelques légères affections, de petits maux de crâne, une digestion moins facile... travailler fatigue. Le fait de tirer sur les ressources du corps a bien évidemment des conséquences plus intérieures, plus profondes. Sur le plan nerveux, tout d’abord, les effets de l’épuisement se font sentir par une légère irritabilité, une impatience un peu plus fréquente. La relation avec l’autre n’en est pas encore altérée, mais on sent bien la nécessité de s’isoler un peu plus souvent, quelques désaccords un peu plus fréquents. Lorsque le corps et l’esprit faiblissent, la fatigue devient morale, et la motivation qui nous a habité pendant tant de semaines s’émousse peu à peu. Il faut dire que la période est à l’incertitude, et que la clarté de la situation n’est pas particulièrement patente, comment trouver alors l’énergie pour rendre le confinement encore agréable ? Le déconfinement ne sera certes pas une grande libération, nous l’avons dit ailleurs, mais au moins il est un terminus et en même temps un point de départ, pouvant compenser sur le plan psychosomatique les effets du confinement. Travailler fatigue mais reprendre le travail pourrait nous rasséréner... ou nous tuer.
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jeanremyt · 5 years ago
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De la servitude volontaire
Lundi 04 mai 2020
Dans une semaine, ce devrait être le début du déconfinement. La complexité des sentiments vis à vis de ce qui devrait être une libération est soulignée partout. On peut la comprendre... nous sommes des “animaux politiques”, dirait Aristote, des êtres sociaux qui trouvent leur raison d’exister dans les interrelations avec les autres, d’où l’importance des réseaux de communication durant cette période, qui ont rempli le rôle d’agora, de café du commerce, de tribune, de place du marché. Mais la relation physique et directe semble bien être nécessaire à notre existence, tant l’attente est forte de pouvoir rencontrer les autres dans un monde réel où l’on pourrait se mouvoir librement. Et c’est la seconde raison, probablement, qui explique l’impatience avec laquelle nous espérons un déconfinement rapide : la liberté, que nous avons oblitérée volontairement pendant de longues semaines, montrant par là à quel point toute la société avait intégré cette idée rousseauiste d’une abdication d’une partie de notre liberté au profit du bien commun, chacun veut de nouveau pouvoir en faire l’expérience quotidienne. L’effort induit par cette offrande à la déesse raison d’un bien chèrement acquis, a ses limites, et doit être, par définition, temporaire. La récompense doit être donnée : le retour à la liberté, avec le sentiment d’avoir été utile, un droit fondamental recouvré pour avoir exercé son civisme. Mais en même temps, ce retour à la vie sociale, la plus ouverte possible, est perçu comme lourdement chargé de menaces sur notre intégrité physique, sur notre santé. Il est marqué du sceau de la mort dont le décompte macabre se poursuit dans les média. Ajoutons à cela toutes les incertitudes liées à une communication difficile de la part des dirigeants, principalement car ils n’en savent pas plus que quiconque, mais peut-être aussi pour préserver, à tort ou à raison, certains intérêts, et ces incertitudes deviennent fondements de soupçons, peurs, craintes paranoïaques. Il est rare que les Français aient peur d’être libres, mais dans cette nation qui a contribué ô combien à fonder les démocraties modernes, qui a su sans cesse évoluer, en s’accusant sans cesse de ne pas savoir le faire, dans cette nation si fière des valeurs qu’elle n’arrête pas de promouvoir, avec raison, cette paralysie devant l’inconnu qui fait préférer la servitude à la liberté, les fers de la force aux ailes de l’émancipation, on la retrouve régulièrement au cours des deux siècles qui viennent de s’écouler... le premier empire n’est-il pas né de cela ? Le retour de la monarchie peut-être aussi. C’est Thiers qui triomphe du temps des cerises, c’est Pétain qui obtient les pleins pouvoirs, c’est la raison économique bourgeoise qui étouffe mai 68. Ces raccourcis et ce méli-mélo historico-politique feront bondir les spécialistes, n’empêche... Nous avons toujours un rapport passionnel avec la liberté, et dans la passion, il y aussi des ruptures... On pourra mettre cela sur le dos d’une immaturité politique chronique, ou bien on peut se dire que cette valse perpétuelle est la marque des peuples qui expérimentent, et c’est un sacré signe de maturité. “Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau !”
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jeanremyt · 5 years ago
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Jours de Kabylie
Dimanche 03 mai 2020
Le temps suspendu pendant ces quelques semaines a englouti dans son maelstrom nombre d’anonymes, mais aussi, nous en avions parlé, des personnalités connues qui ont marqué parfois notre histoire personnelle. Manu Dibango : c’était la musique du monde qui faisait une entrée fracassante sur les radios libres que j’écoutais dans les années 80, c’était son saxo magique avec Gainsbourg, c’était la libération de Mandela quelques années plus tard... Christophe : sans être un fan absolu, ce chanteur m’a toujours paru lunaire et inaccessible, pas exceptionnel non plus, bien que certaines de ses chansons soient ancrées dans notre mémoire musicale collective. Je me souviens d’un des premiers quarante-cinq tours entrés dans la famille grâce à mon frère, c’était Succès fou, cette voix atmosphérique me fascinait, la musique lancinante de ce slow était pour moi d’une grande sensualité, et il y eut aussi le retour de Señorita, qui donnait davantage envie de danser, tout en restant un brin nostalgique. Et ce matin, nous apprenons la mort d’Idir, certes sans lien apparent avec le virus, mais qui vient s’ajouter à la liste des disparus. Idir n’est pas qu’un chanteur pour moi, je l’ai vu plusieurs fois en concert, et le plus souvent dans des lieux ou des circonstances atypiques. Le première était à La Courneuve, à la fin des années 90, dans une petite salle, quasiment un gymnase. Il y avait une grande proximité avec le public, et une grande chaleur se dégageait de ce petit homme, géologue de formation, mais kabyle avant tout, dans l’âme, et dans sa poésie héritée des femmes de sa famille. Et puis, quelques années plus tard, nous sommes allés l’écouter dans les minuscules arènes de Barbentane, près d’Avignon. Là encore, tout était informel : sa façon de s’adresser au petit nombre de spectateurs qui étaient là, les danses et chants improvisés par les femmes en costumes traditionnel, debout tout le long du concert, mais respectant le travail de l’artiste, dans une sorte de communion laïc, car Idir tenait à la laïcité, comme aux valeurs républicaines du pays dans lequel il vivait, le nôtre. Et puis nous l’avons revu à la fin des années 2010. Mon épouse travaillant pour le lieu de spectacle où il se produisait, elle avait pu passer du temps auprès de lui, obtenir des mots sympathiques pour les pochettes de disques que nous possédions, et là encore, malgré sa fatigue, une ferveur, une chaleur, une joie d’être ensemble qui dépassait l’ambiance d’un concert habituel. Idir représentait, me semble-t-il, ce que pourrait être un Kabyle algérien si l’Algérie était paisible, tolérante, sur le plan politique et sur le plan religieux, un Kabyle algérien moderne, mais fidèle à la tradition, engagé pour la tolérance et la paix, mais convaincu et ferme sur ses positions, progressistes et pacifiques. C’est l’image que j’ai et que je garde de ce petit homme qui laisse un grand vide aujourd’hui et qui incarnait un peu de la Kabylie et de l’Algérie dont je rêve, ayant abrité une si longue histoire familale.
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jeanremyt · 5 years ago
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Sur les falaises de marbre
Samedi 02 mai 2020
La chaleur commence à se faire sentir, le ciel se dégage, l’été pointe son nez. Allongé dans le jardin, je laisse un instant mon livre et fixe les grands cyprès qui nous dominent et qui détachent leurs sombres silhouettes sur les tâches de ciel bleu qui grandissent chaque instant un peu plus avec la fuite des nuages gris et lourds d’une pluie qui n’a pas voulu tomber. Ce spectacle me fascine, et je me laisse peu à peu absorber par cette immensité insondable qui nous entoure, mais qui se laisse sentir, percevoir, deviner, pressentir. C’est comme une aspiration de l’âme, et cela dans les deux sens du terme : je me sens comme “aspiré” irrésistiblement par cette nature énorme et mouvante, par la beauté gigantesque de l’agencement des formes, des mouvements, des phénomènes, par la musique des sphères, tellement perceptible, même si elle ne s’entend pas ; et en même temps mon esprit  se tend, “aspire” à la  compréhension impossible de la marche de l’univers, du microcosme au macrocosme, ma raison voudrait saisir le sens globale et ultime des choses, l’ensemble des mécanismes qui régissent ces énormités qui nous entourent... en vain. Mais cet état de sidération, naissant de la contemplation des phénomènes naturels qui nous dépassent infiniment, me plonge dans un état que je pourrais qualifier d’extatique, une douce abdication de la raison au profit d’un abandon à la sensibilité pure, aboutissant à une sorte d’adhésion de tout l’être avec l’univers perceptible. Ce n’est pas la première fois que j’expérimente cet état, un peu perturbant mais très doux : nous étions en Grèce avec ma mère et mes frères, j’avais 18 ans, nous campions sur la côte ouest de l’Attique, à quelques kilomètres au sud d’Athènes. Il faisait chaud, et j’allais m’isoler sur des rochers dominant la mer de quelques mètres. La blancheur de la roche, l’éclat du soleil sur la mer qui scintillait comme seule la Méditerranée scintille, le grincement lancinant des cigales, tout était réuni pour que l’état quasi extatique décrit plus haut puisse s’actualiser. De temps en temps, j’avais une sorte d’intuition fulgurante, et j’associais de manière quasi évidente Socrate, Platon, l’élaboration de la mythologie grecque, à ce spectacle écrasant et inhumain. J’ai encore en mémoire la puissance de ce moment de grâce. Plus tard, j’ai eu l’occasion d’en revivre d’autres, toujours seul, toujours devant l’immensité de la nature brute... Le confinement offre parfois des échappées inattendues mais bien salutaires...
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jeanremyt · 5 years ago
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La promesse de l’aube
Vendredi 1er mai 2020
Et voilà... insensiblement, le printemps s’est affirmé, le mois d’avril s’est écoulé, a fondu, s’est dissout, laissant derrière lui le parfum frais des premières fleurs, les chaleurs inédites et de grandes journées de ciel bleu, probablement pour nous faire mieux sentir notre insignifiance et notre finitude, mais aussi pour nous faire jouir pleinement de l’instant présent. Mai est arrivé, et nous sommes même le 1er de ce mois qu’on dit marial, mais que je qualifierais volontiers de panique. Le 1er mai, jour plein de promesses : promesse de la saison des amours, du jour ensoleillé et doux qui gonfle les cœurs et aiguise les sens, promesse de la vie renaissante, aussi fraîche et parfumée que le muguet, promesse de cette énergie universelle qui fait monter la sève dans les arbres et qui donne la force aux travailleurs d’imposer les conditions d’une existence meilleure. Mois de renaissance, mois de naissances aussi, celles de ma grand-mère aux mille paradoxes, née un 1er mai, jour de revendication ouvrière, mais qui a toujours cherché à se fondre dans le moule de cette bourgeoisie lettrée, bohème, manifestant avec Aragon, mais prononçant jusqu’à la fin de sa vie le mot “ouvrier” en exagérant le côté guttural du “r”, dévoilant toute la répugnance qu’elle pouvait avoir pour le “bas peuple”. Naissance de mon père, ce passager éphémère de ma vie, ce héros au sourire si doux, amoureux des blagues, des jeux de carte en famille (mes derniers souvenirs : des soirées passées tous les deux à jouer à la belote alors que j’ai onze ans...), de la nature, de la cigarette et du pastis au café, absorbé par la grande tâche de sa vie : les enfants en difficulté, actif, parfois trop, engagé, aimé de tous. Naissance d’un de mes frères, à la vie compliquée, en perpétuel malaise, à la remarquable aptitude à créer le vide, autour et au fond de lui, trou noir de la famille, refusant toute main tendue, toute marque d’affection ou d’amour, mais en ayant tellement besoin... Naissance de ma fille aînée, belle comme un soleil, capable depuis toujours de prendre en main son destin, possédant cette douce force des gens qui connaissent leurs fragilités mais qui s’en servent pour avancer, socialement et intérieurement, une perle, un trésor. Naissance de ma belle-mère, femme-enfant éternelle, naissance d’une de mes nièces, au caractère marqué de sa mère, et à l’ouverture éclairée de son père... Le joli mois de mai aux mille promesses, souhaitons que celui-ci ne déroge pas...
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jeanremyt · 5 years ago
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L’allégorie de la caverne
Jeudi 30 avril 2020
L’expérience que nous vivons depuis des semaines est inédite, cela a été dit et redit, et il est vrai que dans l’histoire je ne crois pas que plusieurs millions de personnes, de par le monde, se soient enfermés de leur propre chef (ou presque...), en tout cas aient accepté de le faire, avec une certaine discipline, que l’on peut espérer la plus acceptée possible, pendant autant de temps. Rien dans l’histoire ne ressemble à cette réclusion volontaire, ni l’expérience des assiégés, ni celle des naufragés, ni celle des mineurs prisonniers au fond de leur mine, ni encore celle des otages. Notre époque allie ces conditions exceptionnelles : la majorité des peuples se pense, à plus ou moins juste titre, en démocratie et fait donc relativement confiance aux dirigeants ; le niveau de confort matériel et de bonne marche économique, quoi qu’on en dise, n’a jamais été aussi élevé, et le confinement, même s’il est difficile, reste viable pour la plupart des gens ; les réseaux sociaux et les média ont permis une diffusion ultra-rapide de l’information, et constitue un opium gratuit et indolore pour les consciences recluses. Ceci étant dit, sur le plan individuel, j’essaie de retrouver les maigres occasions qui m’ont été données, au cours de ma vie, d’expérimenter le confinement, en m’efforçant de revivre la manière dont je l’avais alors supporté. L’exercice n’est pas aisé... Du plus loin où remontent mes souvenirs, ces moments sont souvent liés à des événements concernant mon intégrité physique. Petit, les brefs séjours dans les hôpitaux, pour une opération bénigne ou pour un membre cassé, rendait l’enfermement pénible,certes, mais  toujours rendu vers la venue de mon père, qui invariablement me retrouvait pour me rassurer, un album de Tintin ou d’Astérix sous le bras, et cette douce attente suffisait à rendre le séjour agréable. Plus amusant, il m’arriva un jour, à la Cité Universitaire de Paris, de participer à une petite rencontre de rugby, impromptue et joyeuse... jusqu’au moment où un coup de tête au niveau de mon visage me fit faire un petit voyage dans le limbes, puis me força à un retour rapide dans ma chambre universitaire, que je décidai de ne plus quitter pendant une petite semaine. En effet mon visage, était devenu hideux et je n’imaginais pas me présenter devant le monde avec une face à la Elephant man (d’un œil au beurre noir enflé, cela passa à la moitié du visage tuméfié et jaunâtre, puis verdâtre...). Le confinement fut plutôt agréable, car je pouvais sortir faire trois courses, dans l’anonymat parisien, et rentrer chez moi discrètement, sans croiser de connaissances, et la vie s’écoula, doucement, avec la certitude que la fin de mon calvaire, très prochain, marquerait le retour à une vie normale. Il y a quelques années, une blessure à la cheville, lors d’un match de volley, m’obligea à rester chez moi, sans marcher, pendant dix jours. Ce fut un des rares moments de ma vie vraiment comparable à ce que nous vivons. Je ne pouvais pas sortir de chez moi, j’étais reclus, sur mon canapé, le temps semblait passer avec une vitesse étrange, j’en perdais mes repères spatio-temporels, tout comme ce que nous vivons aujourd’hui, à ceci près que ce que je vivais était individuel et non collectif, et que je n’avais pas cette impression, qui est la mienne présentement, que le monde s’était figé tout autour de nous, comme après une catastrophe nucléaire. Enfin, me revient en mémoire le souvenir d’une visite de Mammoth Cave, dans le Kentucky, qui constitue probablement l’expérience de confinement la plus totale que j’aie jamais vécue : après une longue, très longue déambulation dans d’immenses galeries souterraines, des tours et des détours, des montées et des descentes dans un univers rocheux assez monotone, où le son se faisait mat et la maigre lumière de notre guide suffisait à peine à voir où nous allions, nous arrivâmes dans une salle située très profondément dans les entrailles de la terre. Là, quelques sièges nous permirent de nous asseoir, et la lumière fut soudain coupée. Nous restâmes quelques minutes dans le noir le plus profond et le silence le plus absolu. Il me semblait toucher là la véritable nature de ce que l’on nomme “ténèbres”. Cette expérience fut, je pense, l’exacte préfiguration de notre confinement actuel : une altération complète de la perception du temps, de l’espace, une absence totale de vision, une impossibilité de se projeter dans l’instant d’après et d’imaginer quand nous pourrons atteindre la sortie. Cette visite à caractère géologique, fut la plus parfaite métaphore de notre confinement. Il n’est pas sûr que je retourne de si tôt dans une grotte...
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jeanremyt · 5 years ago
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Comme un roman
Mercredi 29 avril 2020
Allez, je reviens sur le petit jeu proposé l’autre fois avec les sonnets, mais aujourd’hui, ce sont des romanciers que je me propose de pasticher, en tenant compte, toujours de notre situation de confinés... Je vous laisse chercher les parentés, sachant que je me suis inspiré de quatre auteurs : Zola, Céline, Giono et Duras :
-Les gens sont confinés, la belle affaire. Parce qu’en temps normal, elle n’est pas confinée peut-être, la populace qui s’entasse dans les cages à poule de banlieue, la foule des heureux qui s’enferme dans les appartements des beaux quartiers ? On croit toujours qu’on échappe à la misère en se barricadant, et quand on l’est vraiment, barricadé, on s’aperçoit que la misère, elle est en soi. On pense qu’on va être plus heureux après le déconfinement, qu’on va aller danser, s’amuser dans les bistrots, sortir le rire et la joie des grands jours. Mais on sait bien que c’est pas vrai du tout, que c’est factice, tout ça, emplâtre sur jambe de bois et tout le toutim.Les hommes sont toujours prompts à la déprime, et quand on leur montre un petit bout de fête foraine, les voilà retournés en enfance, bernés par leur propre bêtise. Le jour où chacun ouvrira les yeux sur sa misère particulière, là, oui, on dira qu’on est déconfiné. Mais jusque là, la maladie, on l’a, et pour longtemps.
-Parfois dans le train-train du confinement, on entend une musique qui vient de la chambre d’en haut. C’est d’abord comme des gouttes qui tombent sur les tuiles d’un clapier, quand le gros orage gronde dans la montagne et que le déluge va s’abattre sur la terre assoiffée. Et puis ça grossit, ça bouillonne, le torrent des notes dévale de là-haut, et ça fait des remous, des cascades de sons frais, qui vous inondent comme quand on renverse sur sa tête une grande jatte d’eau glacée après les moissons d’août, sous le soleil qui vous incendie le crâne. Entre ces quatre murs, on deviendrait vite fou, sans cette chose, la guitare de l’épouse qui vous emmène bien loin, au-delà des pierres moussues et des troupeaux de montagnes, dans le grand vent de la liberté.
-Elle regarde par la fenêtre. C’est si loin, le reste du monde. Et si près. Elle se souvient d’avant, quand on vivait, vraiment, quand les autres étaient là, quand la vie était là. Et puis elle détourne les yeux. Elle avance dans le couloir qui lui semble si long et si sombre. Il n’y a plus que ça, le couloir, le salon, la chambre, la cuisine, le couloir, la salle de bain, l’autre chambre, celle des enfants. Elle marche. Elle avance car il le faut bien, il faut faire semblant, mimer la vie d’avant, rire comme s’il ne s’était rien passé. Elle rit, mais c’est un rire sec, et bref. Les enfants jouent dans leur chambre, et le mari téléphone. A qui peut-on téléphoner dans une telle situation ? A quoi bon ? Elle semble se dire que ce n’est plus la peine d’essayer de communiquer avec les autres, que c’est trop tard, qu’ils n’existent plus que comme des idées, comme des souvenirs. Elle marche. Dans la salle de bain, elle lève les yeux vers le miroir et se met à pleurer.
-Lorsque la fin du confinement fut proclamée, on vit sur les boulevards la foule du petit peuple descendre vers le cœur de la ville, guidée par l’espoir, le rêve que plus rien ne serait comme avant. Un grondement sourd s’élevait au-dessus des rues, expression du soulagement de recouvrer la liberté, et menace lancée aux puissants qui n’avaient agi, depuis des mois, que pour asseoir leur pouvoir et favoriser la banque. D’ailleurs, de temps à autre, des rideaux tremblaient aux fenêtres, masquant, invisibles à la masse mouvante qui célébrait sa libération, les fantômes du pouvoir s’agitant déjà, fébriles, et préparant des lendemains où il faudrait rendre des comptes et affronter les accusations sur leurs responsabilités. Les nuages s’écartèrent au-dessus de la grande ville, et le soleil parut, alors un chant s’éleva de la multitude en marche, un chant comme on n’en avait plus entendu depuis les grandes heures où le peuple avait pris en main sa destinée.
Je vous laisse vous amuser au jeu des identifications, en tout cas, sa rédaction m’a fort diverti, c’est déjà ça...
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jeanremyt · 5 years ago
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La reprise
Mardi 28 avril 2020
Voilà un jour creux en terme d’inspiration... D’habitude, quelque chose me trotte dans la tête et les doigts courent sur le clavier, sans trop d’erreurs ou de repentirs, tout vient facilement. Ce soir, je n’ai pas de sujet précis et j’ai l’impression de prendre le départ d’une course de fond dans une nuit de brouillard... Mais après tout, pourquoi pas ? Ce genre d’expérience (je veux dire la course de nuit...) est stimulante et procure la satisfaction de constater qu’on est capable de puiser dans ses ressources pour aller jusqu’au bout. Si l’acte d’écrire est véritablement un plaisir sans cesse renouvelé : le plaisir d’aller chercher les moyens pour exprimer sa pensée au plus juste, le plaisir de l’imagination qui travaille, le plaisir de coucher des mots de manière harmonieuse sur la “page”, il n’en reste pas moins qu’il faut bien centrer le discours sur un sujet, qu’il ait une trame... et lorsque, comme ce soir, l’on se sent un peu à court, il y a comme un sentiment schizophrène d’avoir envie d’écrire, mais de ne pas trouver l’angle. “Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire nous viennent aisément”... oui, c’est bien là le problème. Mais que faire lorsque les mots “viennent aisément” mais qu’on conçoit mal ce que l’on a à dire ? Le cas mérite d’être envisagé. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’intérêt de certains ouvrages qui semblent répéter à l’infini la pensée d’un auteur. Les aficionados ne manqueront aucun de ses livres, vantant son écriture, son style, mais passant outre la carence d’originalité qui fait de chaque œuvre un apax, ne s’attachant en aucune manière à découvrir un nouvel univers,une nouvelle trame d’intrigue. Et après tout pourquoi pas ? La sociologie nous a appris à apprécier ces éternelles redites (en écrivant, j’ai, là, en tête, la jeune étudiante du film Le Magnifique, s’intéressant à la somme indigente écrite par François Merlin (l’enchanteur des gares...) pour ses études de sociologie, alors même que chaque opus reprend inlassablement le contenu des autres... film absolument génial par ailleurs), redites qui permettent de dégager des structures de pensée, des invariants, pour ne pas dire des lois dans l’organisation collective et individuelle de la conscience. Si donc, l’écriture, même répétitive, même redondante, même palilalique, a au moins cette qualité de permettre aux sciences sociales de s’exercer, ce sera sa moindre qualité certes, mais une qualité tout de même... Sauvons les meubles !
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jeanremyt · 5 years ago
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L’emploi du temps
Lundi 27 avril 2020
C’est la rentrée, mes élèves me retrouvent comme je les retrouve, le fil virtuel ne s’est visiblement pas rompu, ils sont toujours là, à suivre mon modeste enseignement. Heureusement que le rythme scolaire vient rompre le rythme des vacances, non que celles-ci fussent désagréables, mais parce que dans ce temps dilué qui est le nôtre depuis le début du confinement, il est bon de changer de pulsation, d’emploi du temps... Et il faut bien le dire, le maigre contact que je peux avoir avec les élèves me redonne une satisfaction profonde, mais il m’est fort pénible de ne pas pouvoir retourner dans la salle de classe et de les avoir devant moi. Ce n’est pas que j’ai une grande idée de la qualité de mon enseignement, mais être en classe avec des élèves me procure une véritable et profonde joie. Bien sûr, il y a des moments plus tendus, de grandes déceptions (de part et d’autre...), un sentiment de grande solitude parfois, mais tout ceci reste extrêmement marginal en comparaison de l’indicible plaisir d’être en classe. Quelle satisfaction de sentir qu’on apporte quelque chose à des êtres dont la pensée se forme et qui vous font confiance ! Quelle joie de voir des esprits s’enrichir, des raisonnements s’affiner, des jugements devenir plus critiques ! Quelle émotions de partager le plaisir de la connaissance, de susciter la curiosité, d’être poussé dans ses retranchements pour éclaircir un point obscur, et qui l’était peut-être aussi pour soi ! La classe, les classes, les élèves me manquent donc, cette complicité construite semaine après semaine, ces traits d’humour qui réveillent une classe tout en faisant travailler la perception du second degré, la compréhension de l’implicite, en un mot l’intelligence. Car le maître mot est là, c’est en travaillant en bonne intelligence avec les élèves qu’on les amènent à devenir plus intelligents, quelle que soit leur vivacité d’esprit, leur capacités et leur culture... L’emploi du temps confiné n’est pas l’emploi du temps scolaire et cela commence finalement à me peser un peu...
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jeanremyt · 5 years ago
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La nuit des temps
Dimanche 26 avril 2020
Dès le début du confinement, beaucoup ont pensé que ce huis-clos allait être favorable à la réflexion, à l’introspection, et, à l’usage, il me semble que cela n’aura pas été si aisé. Notre rapport au temps et à l’espace a été éprouvé de manière probablement fort intéressante, notre existence, en ce 26 avril, n’a sûrement rien à voir avec celle d’avant le 17 mars, les expériences de partage d’informations, de vie familiale, de gestion du quotidien, ont été inédites pour tout le monde. Mais finalement, je trouve que tout cela n’a fait que conforter les tendances de nos vies respectives, et pour ma part, j’ai l’impression de poursuivre avec bonheur le cours d’une existence déjà perçue comme heureuse. Je saute du coq à l’âne, pendant que je suis en train de préparer des activités pour mes élèves autour de l’archéologie, et cela me permet de me pencher sur cette discipline que j’affectionne tant. Si j’effectue une “retro”spective, plus qu’une “intro”spective, je me souviens d’abord d’expéditions dans les caves de la maison familiale, lorsque nous étions enfants, en quête de trésors à la Moulinsart (et il y en avait !!!). D’étranges boîtes et cartons gisaient sous une voûte, emplis d’objets de matières et de formes diverses. Pendant longtemps, cet amas d’os, de céramique épaisse ou fine, de scories métalliques, de verre et de métal, me parut pour tout dire assez surréaliste et bien mystérieux... En grandissant, j’appris que tout ceci était le produit de “fouilles” effectuées par mon oncle, et mon grand-père me semble-t-il, dans notre jardin, et que notre maison reposait sur les vestiges d’une grande villa romaine. Je pense qu’à partir de ce moment-là, mon imaginaire s’est construit avec cette idée que la surface des choses, aussi riche soit-elle, masque toujours des strates elles aussi riches de significations, quel que soit le domaine, et que l’aventure de la vie consiste à explorer ces strates pour tenter d’entrevoir le sens profond des choses. Quelques années plus tard, j’ai quatorze ans et demi, ma mère est seule pour s’occuper de nous quatre et les étés sont longs : alors qu’elle travaille, nous campons chez des amis à La Roquebrussanne, et l’on m’informe que des fouilles ont lieu dans un champ de vignes à quelques kilomètres de là. Je dois surmonter ma terrible timidité pour aller demander aux archéologues si je peux participer aux fouilles. Leur accueil est chaleureux et bienveillant, je me sens bien dans cet univers où la science et le sérieux s’associent joyeusement à une décontraction et une bonne humeur bien méridionales. Le soleil tape, mais j’ai les mains dans la terre fraîche et suis tout heureux de découvrir nombre de vestiges... ce ne sont malheureusement que des tuiles sans intérêt, qui finiront sur un tas non loin de là. Mais quels moments de plaisir indicible : chercher, découvrir, dévoiler... et cela aussi bien avec la tête qu’avec les mains (et avec les mains nues, car aujourd’hui encore j’ai le plus grand mal à mettre des gants pour fouir la terre, ce contact charnel, sensuel, m’agrée davantage qu’avec un filtre...). Depuis une grosse quinzaine d’années, maintenant, je mène des projets liés à l’archéologie et j’aide les archéologues de temps en temps lors de fouilles dans la région. L’intérêt est toujours aussi intense... c’est que l’archéologie n’est pas seulement une science auxiliaire de l’histoire, c’est une pratique qui épaissit le présent, qui donne à voir la densité culturelle, historique, artistique, anthropologique d’un carré de terre, d’un carré de temps, d’un carré de notre vie, ici et maintenant. Elle ne met pas à jour ce qui est mort, elle inscrit le vivant dans une éternité qui le transcende. L’archéologie nous rend immortels, pas seulement parce qu’elle révèle les vestiges les plus anciens, mais parce qu’elle nous inscrit dans la chaîne ininterrompue des comportements humains sans cesse différents, sans cesse identiques...
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jeanremyt · 5 years ago
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Le parfum
samedi 25 avril 2020
Je ne répéterai jamais assez quelle chance nous avons d’avoir un jardin, de connaître un printemps radieux et de vivre en Provence... Ces trois faits établis, l’un de nos sens les plus agréablement sollicités en ce moment est très certainement l’odorat. Dès le matin, une petite sortie dans le jardin permet de profiter d’une douce odeur de rosée en train de s’évaporer, odeur d’humidité fraîche, qui aurait certainement plu à Cyrano, mais pas lourde et terreuse comme en d’autres saisons, odeur verte, légèrement acidulée... et qui disparaît sitôt que le soleil s’est mis à inonder les parterres. A midi, nous avons mangé dehors, au milieu des odeurs de viandes grillées et de fromage étalé sur un pain moelleux. C’est un autre plaisir, une autre stimulation, un autre appel, un autre univers olfactif. Mais c’est durant les occupations de l’après-midi que le nez fut à la fête. En effet, après l’odeur de bois chauffé qui émanait de la planche que je travaillais pour en faire un dessus de table, ce fut une farandole de fragrances florales au moment de passer au jardinage : le parfum aigu et sucré du muguet cueilli fraîchement pour en faire un petit bouquet ouvrait le bal, puis ce fut au tour du jasmin qui couvre notre mur nord en déployant son odeur douce, mais enivrante, envoûtante même, alors que juste à côté se tiennent bien sages, de petites roses blanches aux senteurs discrètes, très légèrement citronnées, délicatement capiteuses, contrairement aux grosses roses rouges qui agrémentent notre façade sur la rue, et qui, elles, ont un parfum plus franchement capiteux... Et ces roses-là me ramènent des décennies en arrière, au côté de ma grand-mère, à qui je connaissais deux talents principaux : lire et relire toute l’œuvre de Proust, inlassablement, jusqu’à ses derniers instants, et jardiner. Et je me souviens de ces printemps chauds et ensoleillés, comme aujourd’hui, pendant lesquels elle soignait ses roses, souvent grosses et rouges, et au parfum capiteux, avec moi dans ses jambes, fourrant mon nez dans le tourbillon des pétales pour m’enivrer de douces sensations, au point d’avoir l’impression que tous les souvenirs que j’ai de ma grand-mère sentent la grosse rose rouge... En fin d’après-midi, mon épouse revint d’une cueillette prometteuse car elle fit bientôt bouillir, successivement, des fleurs de sureau et des fleurs d’acacia qui embaumèrent à tour de rôle toute la maison, avant de finir en sirops et gelées. Le soir charma un peu moins mes narines, car faire une heure de sport n’est pas pour conférer au corps et aux vêtements la meilleure des odeurs, et il me fallut respirer les vapeurs de vinaigre, mêlé à l’eau de cuisson des œufs pochés... peu agréable à la vérité. Mais c’est aussi tout le charme des odeurs, de nous embarquer pour un fabuleux voyage immobile, notre imagination chevauchant une à une les senteurs, nous ramenant des années en arrière, ou nous permettant de faire de l’instant une expérience d’une rare densité, et instantanément de nous faire redescendre sur terre, dans l’immédiateté prosaïque de nos activités quotidiennes. Le résumé parfait de ces journées de confinement...
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jeanremyt · 5 years ago
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L’ennui
Vendredi 24 avril 2020
Plus d’un mois de confinement, de tours et détours dans nos logis devenus des cages bien étroites, quelle que soit leur taille, et comment ne pas aborder, bien modestement, le thème de l’ennui ? Évidemment, je commence par enfoncer des portes ouvertes, mais il convient tout de suite de clairement faire la part entre ce qui relève de l’oisiveté, de l’otium, ce temps libéré de toute activité social, de tout “négoce”, pendant lequel on a le loisir de choisir comment s’occuper, et ce qui relève de l’ennui, de ce qui crée en nous un malaise, un sentiment qui nous afflige, nous “nuit”, et conspire à nous nuire... L’oisiveté débouche sur un état d’âme positif, de disponibilité à une occupation ludique ou enrichissante, l’ennui procède plutôt d’un état d’esprit négatif, où se mêle l’aboulie et la mélancolie, en d’autres termes un embryon de dépression, l’ennui fait souffrir, il n’est pas ouvert sur un avenir radieux. On le voit, en cette période de repli sur soi, les deux notions sont des réalités alternatives, et selon notre complexion, c’est vers l’une ou l’autre que nous penchons. Pour ma part, et apparemment en ce qui concerne mes proches, c’est plutôt la première qui l’emporte, tellement notre temps est occupé de manière enjouée et passionnée à mille entreprises diverses, créatives et récréatives, utiles et constructives, enrichissantes voire érudites. Mais l’angoisse liée à la diffusion de l’épidémie, l’hyperactivité moderne qui s’accorde mal avec les longues plages de temps dans un lieu clos, tout ceci est de nature, chez les adultes, à créer un état d’esprit négatif, d’autant plus important qu’il s’appuie souvent sur un certain manque de richesse intérieure, sur une imagination qui a peut-être toujours été bridée, et l’ennui s’impose alors, terreau de dépression et de réactions irrationnelles. Il ne faut pas confondre cet ennui profond, quasi existentiel, avec ce qu’on nomme abusivement l’ennui chez les enfants, et qui n’est rien d’autre qu’un temps de latence permettant à l’esprit de mettre en œuvre tous les mécanismes de l’imagination créatrice, c’est pour cela que l’ “ennui” chez l’enfant est souvent qualifié de moteur de la créativité, et en le moment actuel se prête particulièrement à l’expression de cette créativité. Un peu comme chez l’artiste, qui, de manière plus douloureuse, utilise aussi l’ennui non seulement comme moteur de sa créativité, mais bien souvent aussi comme sujet de création. Cette période de confinement, avec tout l’ennui qu’elle a pu faire naître, verra-t-elle l’éclosion d’un nouveau Moravia ?...
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