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C' est un printemps qui s'ouvre comme une fleur dans l'eau du ciel.
Joelle ( contexte)
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Sur le chemin
Immobile tout d'abord
la danse commence
Sur chaque pavé
le pas dérobe l'espace.
Joëlle ( contexte)
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Texte sans contexte 1
Entre tes dents une cigarette dont la fumée montait en volubilis.
Le paysage s’incrustait sur la vitre comme de la buée...dans le silence.
C’était une attente claire.
Une alternance blanc, gris, noir, lumière, juste avant l’action.
Encore un baiser à la cigarette.
Joelle Contexte 2021
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Suite 18
Marcus.
-Tu ne veux pas me montrer la plaie ? Augustine le regarda mal à l’aise, sortit son porte-monnaie et paya.
– Non, Marcus, tu es très gentil, mais déjà avec le docteur ça me gène, alors avec toi…
Marcus haussa les épaules.
– Mais tu m’as connu quand j’étais môme Augustine, c’est pas comme si j’étais le toubib…
- Justement, je t’ai connu tout petit, alors, j’ai ma dignité.
Marcus sourit, haussa les épaules et emballa les pansements, les désinfectants, et autres crèmes antibiotiques qu’on peut délivrer sans ordonnance. Il en fit un paquet très soigneux qu’il posa sur le comptoir.
– As-tu donné quelque chose pour la tombola ? Je sais que c’est pour ton musée, mais cela ferait bien que tu y participes aussi, non ? C’est bientôt…
Marcus leva la tête et rougit un peu.
- Oui j’y ai pensé bien sûr, Il regarda autour de lui comme s’il cherchait la réponse.
– Bin, tu vois, reprit-il, ma boutique n’offre pas vraiment de marchandises aguichantes. Je pensais aller à la tombola et plutôt consommer, acheter des tickets, et participer de cette façon.
Augustine contempla les parfums au milieu des cosmétiques anti- allergéniques.
– Tu pourrais faire un lot de maquillage, et d’eau de toilette ?
Marcus s’approcha des étagères.
– Oui, pas bête, j’avais oublié ces trucs…pourquoi pas ? Mais ce qui m’intéresse, c’est surtout aller à la soirée.
Augustine sourit.
– Ca n’empêche pas, tu peux faire les deux, en plus ça te donne un prétexte supplémentaire pour aller au café.
Elle le regarda droit dans les yeux, avec insistance, et un sourire finaud.
– Augustine, qu’est-ce que tu cherches à me dire ? Mais il avait compris et souriait aussi.
– Ainsi tout le monde sait ? Il avait l’air ennuyé.
– Pas tout le monde, moi je sais…il faut tenter ta chance, même si elle est mince comme la glace. Elle allait se détourner, quand il la retint.
– Augustine, toi, tu es fine, tu sais que je n’ai aucune chance avec Mathilde, tu le sais non ?
La vieille jeune dame sourit.
– Tu sais Marcus, l’amour se moque des préférences sexuelles, un jour on aime un être humain et le lendemain, avant de savoir pourquoi, on aime un autre être humain…c’est comme ça.
Elle posa le paquet dans son cabas.
– Alors, tu sais ça aussi ? J’espère que…
Augustine leva la main.
– Tu me connais…je regarde, et je me tais.
Sur ce, elle quitta la pharmacie. Marcus regarda partir la silhouette fragile et droite.
Il resta un long moment derrière son comptoir avec un air à la fois rêveur et inquiet.
Rose (Préparation de la soirée)
Rose s’était démenée, elle avait rassemblé tous les articles de la boutique qui se vendaient mal et en avait fait un gros sac qu’elle posa dans la salle du Café des Deux routes.
– Et voilà ! Je crois que nous sommes parées ! Nous avons de quoi récompenser pratiquement tous les participants.
Elle regarda ses amies qui l’avaient vu déballer son grand sac, un peu effrayées.
– Oui, effectivement, mais ce qui nous ennuie maintenant, c’est le prix des billets ? Comment déterminer le prix ? Elles s’assirent toutes les trois autour d’une table et commencèrent à discuter.
Il ne fallait pas le mettre trop bas, car pour chaque ticket, il y avait une consommation offerte, mais pas trop haut non plus, car elles voulaient que tout le monde, ou plutôt, que le plus de monde possible au village puisse participer.
- 10 euros ? Beaucoup non ? Je dirais 5euros, c’est le prix d’une bière en ville, pas mal ?
Elles se mirent d’accord pour ce prix là, quand elles virent Marie, l’une des vieilles dames, entrer dans le café.
Elle était visiblement intimidée, mais semblait aussi résolue.
Elles lui souhaitèrent la bienvenue et lui offrirent une boisson sous le prétexte qu’elle était une participante bénévole. Marie en fut touchée, elle remercia, et commanda une limonade qu’elle se mit à boire avec distinction. Puis, elle se lança.
– Je vous ai entendu discuter du prix, 5 euros, c’est bien, vous allez avoir du monde et c’est le principal. Les gens pourront même acheter plusieurs tickets…il y a une chose à laquelle vous n’avez pas pensée ; il vous faut des gens pour vendre vos tickets avant la soirée, sinon, vous allez être débordées…
Devant l’air surpris des trois femmes, elle se mit à sourire, très satisfaite d’elle-même.
– Mais oui, s’exclama Mathilde, effectivement, vous avez raison !
– Et puis, reprit Marie, vous savez, moi je ferais des lots de 10 tiqckts et je ne donnerais de boissons et des gâteaux qu’à ceux qui achètent un carnet ! Enfin, je vous dis ça comme ça, parce que si vous le faites à l’unité et si vous donnez une boisson à chaque fois…
Elle fit la moue, et les femmes suivirent parfaitement son raisonnement.
Elle voyait juste.
La tombola ne rapporterait rien.
C’était une évidence. Il fallait vendre des carnets et offrir une boisson, une seule par carnet.
– Et puis voilà, nous avons eu une idée, mes amies et moi, comme nous connaissons bien les gens du village, nous vous proposons d’aller vendre les carnets. Les trois amies sourirent toutes ensembles, car elles avaient eu la même idée. Les vieilles dames seraient trop contentes d’avoir ce prétexte pour s’inviter chez les gens, discuter, fouiner, colporter, se donner de l’importance aussi.
Ce qui était parfait.
Mathilde se leva, prépara une boisson de sa composition, et servit tout le monde, de rasades généreuses. Marie était aux anges, elle avait l’impression de faire partie d’un réseau actif, et la boisson un peu alcoolisée de Mathilde lui peignit la soirée et ses compagnes présentes sous de belles couleurs rose- bonbon. Elle en aurait à raconter aux autres !
Lorsqu’elle se leva, elle avait un peu la démarche mal assurée d’un matelot qui rentre à terre, mais un beau sourire sur le visage.
Après son départ, Rose soupira, elle était fatiguée et un peu découragée. Etrangement, plus la tombola approchait, et plus elle doutait de son efficacité. – Nous allons rencontrer les gens, les apprivoiser, mais de là à les faire parler, j’ai un doute.
Mathilde s’ébouriffa les cheveux, elle avait le visage tiré, elle aussi et se sentait les jambes lourdes.
– Oui, je pense qu’il faudrait un détonateur pour qu’ils parlent, il faudrait que Dimitri soit là, à cette soirée.
Mais Apolline se récria vivement.
– Tu plaisantes, s’il est présent, tous les gens diront qu’il se fiche de la disparition de sa femme, je vois d’ici les commentaires !
Il y eu un silence pénible, tant c’était l’évidence même.
Elles burent en se regardant, à court d’idée.
Les lots étaient épars, un peu partout dans la grande salle dans un vague début de tri. Bientôt, il faudrait se lever afin de tout ranger, avant que des clients n’arrivent, car ce serait l’heure des parties de cartes.
Rose leva subitement la tête.
– Il faut prendre un risque…Elle hésita une seconde, il faut mettre les vieilles dans la confidence. Elles vont aller chez les gens, elles vont parler avec eux, elles sont connues, elles pourront nous apprendre des choses que jamais…
Mathilde et Apolline ne la laissèrent pas finir.
– Tu as raison, il faut que ça bouge !
Alors, elles se mirent à ranger le bar, cacher les lots, faire des paquets sommaires.
Elles décidèrent d’en parler le jour où les trois vieilles reviendraient.
Mercredi matin, il n’était pas dix heures que les trois vieilles amies étaient déjà arrivées, et s’étaient installées à une table, devant une tasse de thé, offerte par Augustine.
– On ne va pas les laisser tout le temps nous offrir les boissons, c’est ma tournée ! Avait-elle décidé et elle en était toute rose de contentement.
Pour l’occasion, Mathilde vit immédiatement qu’elles avaient soigné leur apparence. Francine s’était faite une nouvelle couleur bleutée dans les cheveux, la poitrine d’Albertine s’ornait d’un lourd collier de jais qui devait lui tenir chaud et Augustine avait mis une touche de rouge à lèvres, tandis qu’un doux parfum l’entourait vaguement.
Elles regardaient toutes avec impatience les clients autour d’elles qui accaparaient leurs nouvelles amies, mais elles prirent leur mal en patience et attendirent une accalmie, pour pouvoir parler et prendre les décisions qui s’imposaient.
Rose avait réussi à faire imprimer des tickets à temps et Mathilde les posa sur la table de leurs trois complices avec fierté.
– Et voilà ! Y’a plus qu’à faire le plus difficile !
Les trois vieilles en furent flattées, elles avaient bien conscience de rendre service, mais en somme, elles joignaient surtout l’utile à l’agréable.
Elles furent très surprises, quand Mathilde et Apolline s’attablèrent avec elles.
Apolline approcha sa tête, le moment était propice, il n’y avait personne, mais elle voulait renforcer le sentiment de secret et elle se mit à murmurer, pour tout expliquer aux trois comparses. Elle y alla directement, sans fioritures, franchement, en disant, tout ce qu’elles ressentaient à propos de l’Affaire. Elle peignit la vie de Dimitri, il fallait qu’on sache s’il était innocent ou coupable. Il fallait qu’on retrouve Sonia, au moins pour sa mère ! Mathilde et Rose, se joignirent au récit elles aussi.
A la fin de son exposé, Apolline laissa leurs recrues potentielles, libres d’accepter, ou de refuser en conscience.
Albertine et Marie avaient été touchées par la description qu’elle avait faite de Dimitri et elles étaient toutes prêtes à coopérer. Augustine pendant le récit d’Apolline s’était comme mise en retrait et à la fin, avait objecté.
« Oui, je comprends, Dimitri, vous semble innocent, mais que savez vous vraiment de la réalité, est-ce qu’il ne vous manipule pas ?
– C’est tout à fait possible, admit Mathilde, nous n’avons que son récit, nous voulons en savoir plus…si Sonia est morte, il faut qu’il soit puni et il le sera, mais il faut qu’on trouve le corps…Dimitri, en ce moment est soupçonné de meurtre par tout le village, il n’a plus de travail et a perdu pratiquement tous ses amis : il faut soit qu’on trouve le corps, soit qu’on la retrouve !
Augustine s’était un peu reculée et avait approuvé.
Les trois femmes se levèrent dignement, conscientes qu’on leur faisait une confiance totale, qu’on les jugeait digne de sauver un homme, de chercher, et peut-être d’aider à trouver la vérité.
Augustine paya le thé et laissa ses amies partir devant. Elle demanda alors à Apolline.
– Ca fait longtemps que vous le connaissez, Dimitri ?
Elle secoua la tête.
– Non, avant, il n’était venu que quelques fois au café.
Augustine insista.
– Rose, elle aime cet homme depuis longtemps ?
Apolline se récria, elle ne pensait pas que Rose soit intéressée par cet homme.
- Ou alors, elle ne le sait pas elle-même. En tous cas, il n’y a rien d’officiel. A quoi pensez- vous ?
Mais Augustine se dirigea vers la porte.
– Oh, à rien, je posai juste une question…
Et elle sortit lentement rejoindre ses amies qui l’attendaient à l’ombre de la place, près de la fontaine muette.
Francine Augustine…
La tombola avait été fixée juste après le 15 Aout, avant, il y aurait eu trop de monde, avaient jugé Mathilde et Apolline et des gens qui n’auraient rien de particulier à apporter.
Rose semblait de plus en plus fatiguée, en fait, elle dormait mal. Elle n’arrêtait pas de douter d’elle. Elle changeait d’avis d’heure en heure. Dimitri était innocent et la minute d’après il était coupable. Mais coupable de quoi exactement ? Comment pouvait-on déceler le mensonge ? Comment être sûr de quelqu’un ?
Elle téléphonait souvent à Stan, pour lui soumettre ses doutes et il essayait comme il pouvait, de la rassurer. Mais lui-même avait tellement douté, qu’il sentait bien que ses arguments étaient sans valeur réelle.
Dimitri de son côté se sentait totalement impuissant, enfermé dans une situation qu’il ne comprenait pas. Il se sentait victime et tout le monde le considérait comme un coupable possible.
Rose l’aimait, c’était certain et rassurant, mais lui ne pouvait pas se donner à fond dans cet amour, il avait peur. Peur d’être accusé d’avoir tué Sonia pour pouvoir aimer Rose en toute tranquillité. Il ne savait plus où il en était. Il trouvait l’idée de la tombola assez vaine. Comment espérer que les gens pourraient parler ? Comment espérer que quelqu’un avait vu quelque chose de significatif, et l’ai enregistré comme tel ?
Lucien, dans son château, était impatient. Il ne voyait pas Augustine aussi souvent qu’il l’aurait voulu et parfois, il s’ennuyait. Cela l’étonnait, c’était la première fois que cela lui arrivait.
Alors, il se prit aussi au jeu et décida d’aller voir Dimitri. Après tout, pourquoi pas ? Qu’est-ce qui l’empêchait de faire cette démarche ? Le seul problème était le prétexte.
Il fallait trouver une raison plausible et suffisante.
Et s’il mentait ? Ou plutôt, s’il racontait une chose anodine qu’il monterait en épingle… ?
C’était une très belle journée, le vent s’était levé et l’atmosphère était moins accablante. Il descendit d’un bon pas vers le village et salua les trois chèvres au passage. Le chat n’était pas venu chez lui depuis deux jours et il nota qu’il n’était pas avec elles non plus. Les trois bêtes le regardèrent passer, immobiles comme jamais.
Cela le fit sourire.
Arrivé devant la maison de Dimitri, il ne réfléchit pas et frappa. Il entendit des bruits de pas et presque aussitôt, la porte s’ouvrit. Dimitri était soigneusement rasé, portait une chemise propre et sentait bon.
Il considéra le comte d’un œil inquiet, mais s’efforça de sourire.
-Je suis confus de vous déranger si tôt, mais je viens vous apporter un renseignement qui peut peut-être vous aider. Lucien avait bêtement balbutié.
Dimitri ouvrit la porte en grand et le laissa passer à l’intérieur.
- Oh, il n’est pas si tôt et je n’avais pas vraiment…Il fit un geste vague. Voulez vous une tasse de café ?
Lucien accepta avec empressement et s’installa sur un des tabourets face au bar.
– Le jour où votre femme a disparu, j’ai vu quelqu’un, une femme, que je ne connaissais pas, se promener vers chez moi. Sur le coup, je n’y ai pas fait attention, il y a beaucoup de touristes, mais après, j’y ai repensé.
Lucien disait n’importe quoi, ce qui lui était venu par la tête, ce qu’il guettait, c’était la réaction de Dimitri.
Celui-ci avait levé les yeux vers lui.
– C’était à quelle heure ? C’est important…
Le comte répondit qu’il était midi et demi. Il avait aussi lancé l’horaire au hasard. Dimitri lui demanda alors comment était vêtue la femme.
– De rose…un chemisier, ou un tee-shirt rose. Là aussi, pris de court, il avait sorti la première couleur qui lui était venue.
Les épaules de Dimitri s’affaissèrent.
– Non, Sonia ne met jamais de rose, absolument jamais, elle n’a rien de cette couleur. Il avait baissé la tête et Lucien regretta immédiatement sa démarche. Mais pas tout à fait. Si Dimitri avait espéré qu’on pouvait avoir vu Sonia après les événements, c’est qu’il n’était pas coupable, or, tout dans son attitude corporelle avait indiqué qu’il souhaitait ardemment une piste.
– Vous savez, reprit Lucien, les gens ne disparaissent pas comme ça. Pas là, dans ce village et juste à ce moment, je n’y crois pas une seconde. Je pense qu’il y a une solution.
Dimitri avait servi le comte, et s’était assis lourdement en face de lui.
– Bien sûr qu’il y en a une…dit-il découragé, elle est sortie de la maison et elle est allée mourir quelque part, parce que je l’ai frappée à la tête. Elle a voulu partir, mais elle est tombée inconsciente et elle est morte et c’est de ma faute, je l’ai tuée…qu’on le veuille ou non. Pas le choix…
Il avait l’air totalement découragé.
Lucien se leva, vint vers lui et lui posa la main sur l’épaule.
– Ne vous découragez pas, je suis sûr que ça va s’arranger, vous avez des amis… Dimitri le regarda, et lui sourit gentiment.
– Oui, c’est vrai, vous êtes venu me voir et puis, j’ai des amies que je ne connaissais pas, les filles du café. Elles sont vraiment formidables.
Il avait les paupières gonflées et rouges.
Lucien se dit que les larmes allaient forcément couler et chercha quelque chose du regard, pour le lui donner. Il se dirigea vers le divan et prit un foulard qui traînait. Il le lui tendit d’un geste gauche, Dimitri s’en saisit et machinalement le passa sur ses yeux.
Un parfum léger en émanait.
– Ce parfum, c’est celui de votre femme ?demanda t-il doucement.
Dimitri confirma d’un mouvement de tête. Lucien respira profondément.
- Le chat Pouf est à vous ? Dimitri le regarda sans comprendre.
– Un chat ? Quel chat ? Nous n’avons pas de chat…
- Est-ce que le chat du café vient chez vous ?
Dimitri sourit à travers ses larmes.
– Non…aucun chat ne vient me voir…pas même ce sacré Pouf.
Dimitri se dit que le comte était très gentil, mais légèrement…à la dérive.
Sonia.
- Il est hors de question que j’y aille ! Absolument hors de question.
Elle était toute rouge, les cheveux en bataille. Dans sa main, elle tenait une petite cuillère qu’elle avait déjà tordue pendant la discussion.
Elle regardait Augustine méchamment. Elle détourna les yeux un instant, elle avait parfaitement conscience qu’ils trahissaient ce qu’elle pensait de la vieille chouette.
– Pourquoi me demandez-vous ça ? Vous ne comprenez pas que c’est une brute ? Vous voulez qu’il recommence ?
Augustine, fatiguée, légèrement apeurée par ce qu’elle avait surpris dans les yeux de la jeune femme, s’entêta pourtant.
– Je ne te demande pas de retourner vivre avec lui, je te demande de te montrer, de dire que tu es vivante, en bonne santé…ça va trop loin, je ne suis plus d’accord. Tu t’es assez vengée…non, tu ne trouves pas ? Tu vas vivre cachée toute ta vie ?
Elle se détourna pour ranger les restes du repas qu’elles avaient pris ensemble à midi.
– Je te donne jusqu’à ce soir pour réfléchir à une autre solution. Sonia regarda le dos de la vieille femme. Droite, encore souple, mais fine, très fine, légère. Elle se saisissait des objets avec une précision délicate, précieuse, à la manière d’un oiseau picorant.
Sonia étouffait, il fallait la faire changer d’avis et vite. Elle ne voulait pas y aller, elle ne voulait pas changer de statut, elle entendait rester victime encore quelque temps. Elle ne comprenait pas ce qui avait retourné la vieille dame.
– Mais enfin, qu’est-ce qu’on vous a dit ? Augustine la regarda en face.
– On ne m’a rien dit de particulier, mais tout le monde te cherche, partout, tu as bien vu l’autre jour, quand les gendarmes sont passés.
Elle posa le sucrier sur l’étagère.
- Tu as bien vu, tout le village était après toi. Tu lui as donné la leçon qu’il méritait peut-être, mais maintenant il faut arrêter, ça va beaucoup trop loin…
Sonia se dressa de toute sa taille.
– Peut-être !!!! Il m’a blessée, laissée toute seule, comme j’étais…vous le savez très bien…vous voulez que je lui fasse des excuses en plus ? C’est vraiment un comble !
Elle était maintenant au-delà de l’énervement. Elle s’avança vers Augustine, qui recula instinctivement. Ce geste de recul, craintif, fut la goutte d’eau.
– Vous avez peur de moi maintenant ? Vous avez raison, je ne vous laisserai pas faire ! Je ne vous laisserai pas dire…
Une voix se fit entendre du jardin, précise et tranchante.
– Pas dire quoi ?
Les deux femmes se retournèrent pour faire face au comte.
Il avait passé la porte qu’il avait ouverte sans qu’elles n’entendent rien. Il avait entendu pratiquement tout ce qu’elles avaient dit. Elles ne furent saisies qu’un instant.
Sonia se reprit très vite et courut dans sa chambre, elle prit son sac à main et voulut sortir en courant. Elle bouscula le comte, mais celui-ci l’arrêta net dans son élan.
– Où allez- vous ? Rassurer votre mari ?
Sonia leva la main et le gifla à toute volée. Le comte ne lâcha pas prise, il la laissait se débattre tandis qu’Augustine se tordait les doigts.
– Vous vouliez attendre jusqu’à quand ? La dépression ? Le suicide ?
Sonia essaya de se dégager, mais le vieil homme n’avait de fragile que l’allure, il avait une sacrée poigne et une forte volonté de ne pas la laisser partir.
– Augustine, téléphone aux gendarmes.
Sonia se mit à hurler, puis s’arrêta net de bouger.
Elle se laissa tomber sur une chaise et se mit à pleurer. Le comte la regardait impassible.
Augustine avait pris le téléphone.
– Qu’est-ce que c’est le numéro de ton mari ?
Mais Sonia pleurait trop pour pouvoir parler.
Augustine attendait, alors Lucien lui tendit son portable.
– Appelle le Café des Deux routes, les filles sauront.
La tombola.
C’était une nuit parfaite, douce et chaude, sans être étouffante. Des volontaires, les jeunes du village (le fils du boucher, la fille de la belle épicière) à la demande de Pétra, étaient venus aider. Le fils d’Augustine était également présent pour la fête, avec son accordéon...Pour l’instant, il installait des bouquets de fleurs en plastique sur les tables. Les fleurs venaient des réserves de petit Jean, il en vendait beaucoup au marché.
Ils avaient accroché des lampions de toutes les couleurs à l’entrée du Café des Deux routes, avaient répandu de l’eau sur la terrasse, pour faire du frais, et avaient aidé à étendre de belles nappes à carreaux sur les tables à l’intérieur, pour disposer une masse énorme de gâteaux.
Mathilde avait mis sa belle robe à volants qui décolletait ses taches de rousseur.
Apolline, après avoir grincé des dents, s’était maquillée. Cela lui faisait un visage d’une beauté surprenante, délicat et ardent à la fois.
Mathilde la contemplait avec appréhension.
– Je crois que tu vas me piquer Marcus ce soir…non ? Tu es si belle !
Apolline s’approcha d’elle doucement avec un beau sourire aux lèvres, qu’elle déposa sur les siennes. Mathilde se recula doucement :
– C’est étrange, on dirait que tu as le même rouge que moi.
Pétra les regardait du coin de l’œil, très intéressée.
– Ah ! D’accord ! C’est donc comme ça qu’il faut faire ! Heureusement que je vous ai vues, si jamais on m’embrasse ce soir, pendant la danse, je saurai comment on doit se comporter.
Elle leur fit un pied de nez en riant aux éclats, et s’en alla en courant pour se changer.
Pétra s’était vêtue d’un tee-shirt noir, et d’un short en lamé, sa mère ne pouvait rien dire, parce que justement c’était un cadeau de Rose pour la récompenser de tout le travail qu’elle ferait ce soir là. Elle en était ravie. Marianne sourit secrètement : Les ados pensent que les adultes sont bêtes ! Quelle naïveté !
Augustine, Francine, Marie, Albertine étaient déjà là pour découper les gâteaux et les installer sur des plats, ranger les bouteilles, les baguettes de pain, les cacahuètes, et tout ce qu’il faut pour survivre à ce genre de fête. Toutes les quatre étaient magnifiques dans des genres très différents.
Francine bien sûr, avait un tablier, mais propre, mais beau, un des plus beaux de l’étal de petit Jean au marché et elle s’était coiffé les cheveux qu’elle avait piqués de peignes endiamantés, venus eux aussi de chez Jean.
Marie était toute en noir, très simple, mais portait un lourd camé qui pendait un peu sur son décolleté. Albertine, très sobre, elle aussi, avait opté pour un jogging de sport bleu. Elle trouvait que ça faisait dynamique, et elle espérait bien danser avec, à l’aise.
Augustine avait mis un tailleur en crêpe rose qui datait du temps de sa jeunesse, mais qui lui allait encore à ravir. Un petit chapeau de la même couleur ornait sa tête. Elle avait l’air un peu préoccupé pourtant. Elle attendait Lucien et se demandait pourquoi il n’était pas déjà là.
Mathilde la surveillait du coin de l’œil.
– Augustine ! Vous voulez boire quelque chose ? Vous avez l’air fatigué…
Augustine sourit, et refusa timidement. Depuis qu’on avait découvert que c’était elle qui avait caché Sonia, il y avait eu une vraie stupeur entre elle, et tout le village.
Il lui avait fallu s’expliquer d’abord avec les gendarmes, et ensuite avec ses amies.
Cela n’avait pas été sans peine, ni sans mal.
Elle était allée tout d’abord à la gendarmerie. Elle y était entrée comme une coupable et avait tout expliqué, en présence de Lucien qui ne la quittait pas des yeux.
– Sonia est arrivée chez moi par hasard…c’est ce qu’elle m’a dit. Je l’avais déjà rencontrée au village, nous nous étions saluées, mais sans plus. Je la trouvais charmante. Et puis, ce matin là, elle a frappé à ma porte, elle avait du sang sur son visage, elle était toute blanche et elle tremblait de la tête aux pieds. Elle avait la tête en sang, son corsage, tee-shirt comme on dit, était plein de sang…elle tremblait.
Augustine avait la voix qui chevrotait. Elle avait du mal à trouver ses mots.
- Au début, j’ai voulu appeler Marcus, mais elle a refusé, elle était terrifiée…elle disait qu’elle avait peur qu’il ne la retrouve, elle parlait de sa violence. J’avais peur moi aussi. Je l’ai soignée comme j’ai pu. Elle m’a raconté qu’il l’avait battue et qu’elle avait pu s’enfuir…ensuite, elle s’est confiée à moi.
Il y eut un silence.
-Elle m’a parlé de sa vie avec lui, il la trompait. Elle semblait à bout de nerfs. Je la sentais sincère, elle demandait mon aide et le secret, elle craignait tant qu’on ne sache où elle était et qu’elle soit obligée de retourner avec lui. Je suis seule…j’étais très seule à ce moment…mon fils ne m’écrivait que rarement, je me sentais perdue. J’avais l’impression que mes amies…enfin, peu importe, je l’ai protégée comme si c’était ma fille. Mais les jours ont passé, et plus ils passaient, et plus ça durait et moins je ne savais comment faire. Elle disait que les gens ne comprendraient pas, qu’ils allaient la forcer à retourner avec lui…moi, je m’angoissais pour sa mère. J’imaginais le chagrin qu’elle pouvait avoir, je l’ai suppliée de lui téléphoner, de tout lui dire… mais elle ne voulait pas. Elle voulait se venger de Dimitri, elle voulait qu’il devienne…enfin, je dis ce qu’elle disait, une loque, elle voulait qu’il devienne une loque, Je suis désolée.
Augustine hésita et regarda le jeune gendarme timidement, dans les yeux.
- Quand vous êtes venus, j’ai failli tout vous dire, mais j’ai eu peur, je suis désolée…
Augustine se mit à pleurer, ce qui fit très mal au cœur de Lucien qui la prit doucement dans ses bras.
Arthur, le jeune gendarme encore tendre était très gêné et ne savait plus vraiment où regarder.
Il sortit dans la cour, prit son portable et appela son chef.
…
Quand Dimitri arriva à la gendarmerie, il s’attendait à ce qu’on lui annonce qu’il allait être mis en prison. Dans le message oral qu’il avait écouté sur son portable, on lui disait seulement qu’on avait retrouvé Sonia, mais il n’y avait aucune précision supplémentaire.
Quand il entra dans la salle blanche, il avait les jambes qui tremblaient. Un gendarme s’avança vers lui et comme il chancelait, lui tendit une chaise.
– Elle est là, dans la pièce à côté…Dimitri le regarda sans comprendre. Il s’assit lourdement. Il n’osait pas le questionner, il sentait que sa voix ne sortirait pas. – Elle était planquée chez une vieille dame du Pays.
Dimitri ne comprit pas le sens de ces mots, et le regarda avec un ahurissement total.
– Planquée ? Le gendarme s’assit sur le coin du bureau.
– Votre femme se cachait, elle voulait vous fuir, elle vous accuse de violence, de maltraitance…Il le regarda droit dans les yeux.
– Augustine, confirme en partie ses dires, enfin, en partie…
Et la phrase resta en suspens.
Dimitri fut quelques temps sans comprendre, il se sentait perdu et n’arrivait pas à saisir, qui parlait de qui, et de quoi.
– Je ne comprends pas. Vous avez retrouvé ma femme ? Elle était cachée ? Il se prit la tête dans les mains. Mais cachée pourquoi ? Pourquoi si longtemps ? Qu’est-ce qui se passe ?
Il avait l’air tellement dépassé par les événements, que le gendarme reprit l’histoire depuis le début. La découverte de Sonia par le comte, guidé par le parfum.
– Le parfum, quel parfum ? Le gendarme se leva, et lui dit en détachant les mots, comme s’il était sourd, ou un peu faible d’esprit.
– Le parfum du chat, du foulard, d’Augustine…enfin Mme Sillac…oui ?
Dimitri assommé regarda le gendarme avec désespoir.
– Vous n’auriez pas une cigarette ?
Plus tard, quand il retrouva le fil de l’histoire, il fut confronté à Sonia. On le fit entrer dans une arrière salle, moins claire, sans fenêtre.
Sonia était prostrée. Il y avait des traces de larmes sur ses joues. Elle ne le regarda pas. Jamais. Elle baissa la tête tout le temps où il fut dans la salle. Dimitri tenta de lui demander des explications, mais elle restait figée dans son mutisme. Elle n’était pas hostile, pas indifférente, simplement immobile, le visage fermé, sans expression.
Lui, était partagé entre un soulagement intense et une sensation très lourde de culpabilité. Il ne savait pas ce qu’elle avait dit aux gendarmes, il se sentait coupable d’avoir pu provoquer cette réaction.
Cette vengeance.
Le mot de perfide planait dans sa tête sans pouvoir sortir, mais il se disait en même temps, que ce n’était pas ça, ce n’était pas de la perfidie, mais quelque chose d’autre, qu’ils avaient créé tous les deux.
Une situation où l’un et l’autre s’enlisaient, sans rien dire, en accumulant de la rage, de la jalousie, et de la violence…
Le café, et les amis.
Lucien était assis au café, entouré de Mathilde Apolline, et d’Augustine.
Cette dernière avait la main posée sur celle de Lucien et baissait la tête. Le comte prit sa main légère et la pressa doucement.
– Tu as bien fait, tu as agi comme il fallait, si cette femme avait été battue, maltraitée, tu l’aurais sauvée…tu ne pouvais pas savoir ce qui se passait vraiment. Il faut que tu te détendes maintenant.
Mathilde poussa une tasse fumante devant Augustine.
– Buvez, cela vous détendra, vous en avez vu de dures, non ?
Augustine pencha la tête vers le breuvage, et approuva, juste en plissant un peu les paupières. Malgré la chaleur ambiante, le thé la détendit et la désaltéra. Elle relâcha un peu sa position crispée, et regarda timidement Lucien qui expliquait.
– C’est le chat qui a tout fait…j’avais été surpris par son odeur, le fameux parfum, je savais qu’il allait partout, plus spécialement, dans quelques maisons. J’avais senti ce parfum sur Augustine…et quand je suis allé chez Dimitri, j’ai tout compris, à cause du foulard : c’était le parfum de sa femme, ce n’est pas sorcier. En sortant de chez Dimitri, je suis allé droit chez Augustine et en arrivant, j’ai entendu la conversation qu’elles avaient toutes les deux. Je ne connaissais pas Sonia, mais j’ai tout de suite fait le rapprochement. Voilà.
Apolline brandit son verre de champagne, tout le monde se leva, et sans perdre une seconde, se mit à boire pour masquer la confusion de la vieille dame.
La tombola
Après que tous les lots eurent été tirés et attribués, le fils d’Augustine fit valser les vieilles personnes au son de son accordéon, puis, plus tard ce fut la sono installée par l’un des gars du village qui prit le relais. Les lumignons éclairaient la place d’une lumière jaune et douce, propice aux enlacements.
Marcus assis près de Stan, devant une bière, regardait d’un air rêveur le short en lamé de Pétra qui se balançait au rythme de la musique…le short se balançait bien et avait un l’effet hypnotique d’un pendule. La jeune fille dansait follement dans les bras d’un jeune du pays, sur une musique qu’ils devaient trouver ringarde, mais c’était quand même de la musique. Le short étincelait sous les lampions. Soudain, Stan eut un sursaut, se leva et prit Pétra par l’épaule :
-Que faisiez-vous chez Dimitri la nuit ? Pétra le regarda interloquée, voulut se dégager, mais Stan ne relâchait pas sa prise. – Je vous ai vue vous enfuir.
Pétra resta interdite, muette de surprise.
- Alors c’était vous qui étiez chez lui ? Le sang, pourquoi y ‘avait tout ce sang ? Stan sentit que la jeune fille était terrorisée. Il lui expliqua.
- Le sang était celui de Dimitri, il venait de se faire casser la gueule par un type que la mère de Sonia avait payé…
Pétra soupira de soulagement et se mit à sourire. A cet instant, le fils du boucher, un beau brun, s’approcha. Stan lâcha l’épaule de Pétra qu’il tenait encore.
– Qu’est ce qu’il te veut ? Demanda le jeune homme.
– Rien, sourit Pétra, il voulait savoir où j’avais acheté mon short.
Et, s’enlaçant étroitement, ils se remirent à danser en riant.
Le regard de Marcus qui avait vaguement suivit Stan, se posa sur le visage de Mathilde, un peu fatigué, mais détendu, calme. Ensuite, il regarda Apollo, sérieuse qui servait un client.
Il sourit, il était bien, assis, sans rien faire. Près de lui, son nouvel ami, Stan. Ils avaient fait connaissance depuis un quart d’heure à peine, mais c’était déjà une amitié solide, elle se cimentait doucement mais sûrement dans l’absorbsion lente de multiples bières et d’échanges de réflexions pleines de mélancolies, concernant leur amour commun des objets anciens, paysans de préférence.
Un couple dansait, lentement. Rose habillée de rose et Dimitri qui l’enserrait sans hâte, sûr de lui.
– Le jeune gendarme, Arthur il s’appelle, il m’a dit que si Sonia n’avait pas fait l’erreur de mettre le sac dans le congélateur, ils auraient eu des doutes sur moi…
Rose l’embrassa doucement. Il n’y avait rien à dire. Elle se laissait bercer, elle était bien, dans ses bras et dans cette musique qui semblait portée par l’air.
Lucien assis devant Augustine était séparé d’elle par une bouteille de champagne. Augustine avait retrouvé des couleurs et de la joie.
A son grand étonnement, elle était devenue une héroïne pour ses amies ; elle avait caché une suspecte. Elle avait pris des risques. Elle savait garder un secret.
Deux jours avant la tombola, elles étaient toutes arrivées chez elle, avec de menus cadeaux, Augustine savait bien ce qu’elles voulaient : un récit.
Alors, elle les avait installées autour d’elle, et leur avait raconté son aventure dans les moindres détails, sans rien oublier. A la fin, elle leur avait servi des boissons fraiches et elles avaient dégusté ensemble, tous les cadeaux comestibles qu’elles avaient apportés. C’est alors que Marie demanda :
- Et le comte ? Tu nous racontes ?
Augustine avait souri.
– Là, vous ne saurez rien, seulement la date de notre mariage, l’heure, et qu’il faudra vous habiller de pied en cap.
Ayant parlé, elle se tapota coquettement les cheveux.
Les gens tournoyaient autour des tables.
Le jeune gendarme s’assit lourdement sur une chaise, et Mathilde le regarda ironiquement.
– Un peu crevant non, vous voulez toujours changer de métier ? Il éclata d’un grand rire.
– Oh que non ! Pour rien au monde je n’aurais voulu rater la fin de l’affaire, mais je m’étais engagé pour vous aider, alors…
Il eut un geste fataliste. Mathilde sortit de derrière son dos une bouteille de champagne (Une autre ! dira plus tard Apolline) qu’elle avait cachée et la posa devant lui.
– Corruption de fonctionnaire oblige ! Elle fit un grand sourire.
– Que va-t-il advenir de Sonia ? Demanda-t-elle. Le gendarme regarda alternativement la bouteille et le visage de sa patronne temporaire.
– Rien, Dimitri ne porte pas plainte. Il s’en voulait de son geste…elle va s’en aller, pour quelques temps vivre chez sa mère, puis après…Il fit un autre geste large et vague.
– Nous allons la boire à deux, la bouteille, ou est-ce que vous appelez votre copine ? Mathilde se retourna alors et fit un signe à petit Jean et Francine qui parlaient ensemble.
Petit Jean avait proposé à Francine de s’unir au marché. Ils vendraient ensemble, lui ses tabliers et bimbeloteries et elle, juste à côté, ses petits paniers de thym, de miel et de fromage, il lui fournirait les paniers. Il avait convenu également de se partager Sam pour garder les chèvres. Sam en avait les yeux tout pétillants.
Voyant le signe de Mathilde, Petit Jean se leva, tendit galamment la main à Francine et ils les rejoignirent pour boire cette fameuse bouteille.
Pouf le chat, perché sur le percolateur, regardait de loin la piste de danse aux lampions et les humains qui s’agitaient étrangement.
Ses moustaches frémirent et un bâillement féroce découvrit ses dents pointues. Il s’étira de tous ses membres et puisque pour une fois on ne lui disait rien, s’allongea de tout son long sur la machine très lisse et douce.
Fin.
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Suite 17
Augustine, les doutes.
Le boucher lui avait servi des morceaux de choix et en sortant du magasin, Sam qui était couché dans la rue, se redressa à son passage et la regarda avec des yeux désespérément tendres et malheureux.
– Je vois bien que tu es un bon chien, je sais que tu es gentil aussi, mais la viande, c’est pour moi…
Le chien remuait la queue frénétiquement et Augustine ne put résister à l’envie de le caresser tandis que lui, fourrait son museau dans le panier, très sûr de son bon droit.
– Hé ! là , mon p’tit gars ! Elle le repoussa gentiment et lui donna le quignon du pain, qu’il mangea quand même mais avec un air de reproche triste.
– Je ne peux rien te donner, je vais faire un bon repas tu sais…demain, s’il y a des restes, tu passes à la maison, et je te fais une gamelle…
Le chien la regardait d’un air tout gai, attendant la suite. Augustine rigola et se remit en marche. Elle n’avait pas beaucoup de temps devant elle, Lucien l’attendait, ils allaient prendre leur premier repas ensemble depuis trente ans, mais avant, elle repasserait chez elle. Il fallait qu’elle s’habille correctement, se fasse belle et qu’elle prévoie tout le reste. Sam, très copain, la suivit comme si elle venait de l’inviter aujourd’hui même.
Elle aimait bien que ce petit chien la suive, il marchait tranquillement près d’elle, sagement, elle avait l’impression qu’il lui appartenait et qu’il la protégeait par sa présence amicale. Elle savait, sans se retourner que son maître ne devait pas être loin, sûrement au café des deux routes.
Marcus fumait sur le pas de sa porte, il aspirait consciencieusement toute la fumée et la recrachait très artistiquement dans l’air encore un peu frais. Il la salua d’un beau sourire et elle eut envie de lui faire remarquer que pour un pharmacien, fumer sur le pas de sa porte…mais elle se retint, elle n’avait pas envie de passer pour une vieille mal embouchée.
Sam s’arrêta un instant aux pieds de Marcus, les renifla, et le quitta d’un air écœuré…rien à manger. Marcus eut l’impression et presque la certitude qu’il sentait tellement des pieds que même un chien ne le supporterait pas, puis, il pensa au produit ( un sirop pour adoucir la gorge qui ne sentait pas très bon, mais très efficace)qui était tombé sur ses chaussures et se moqua de lui-même. Augustine fut méthodique, et ne traîna pas. Elle réussit en un temps record à préparer un gentil panier plein de provisions, puis, elle enfila son plus beau corsage, il avait déjà servi, mais il était encore tout propre et parfumé. Elle se maquilla très légèrement et partit vers le château.
La chaleur était déjà lourde et tombait bien à plat. Le soleil, très haut, ramassait son ombre autour d’Augustine, comme un vêtement étroit et elle eut soif presque immédiatement. Elle décida de faire un arrêt à la source. C’était juste un petit filet qui coulait et sinuait dans les herbes comme un serpent d’argent. Bien caché, c’était le secret, il n’y avait qu’elle et Francine à connaitre ce filet d’eau et à en boire. Autour, pourtant, il y avait des herbes drues et un peu de mousse qui auraient pu signaler à un œil attentif la présence de l’eau, mais très peu de gens passaient par là. Elle se pencha, but, se mouilla les tempes et reprit son chemin en marchant calmement, elle n’avait pas envie de se présenter en sueur chez Lucien.
Arrivée devant le pont levis, elle vit Georges, alias Pouf, qui guettait tapis dans les herbes sèches. Elle activa la cloche et presque immédiatement Lucien parut et ouvrit la porte. Elle se dit qu’il avait dû la guetter et elle en fut flattée.
Il s’approcha d’elle, lui prit la main et se pencha sur elle pour l’embrasser. Son baiser fut furtif et doux, puis il la regarda longuement l’air content et un peu étonné. Il la détaillait et la respirait attentivement.
– C’est donc toi qui as parfumé le chat…Il paraissait pensif. Augustine rougit violemment, et baissa la tête.
– Ce parfum, reprit-il, ne te ressemble pas, tu es plus forte et plus fragile, ou subtile que lui… Augustine hochait la tête.
– C’est un cadeau de mon fils, ou plutôt…un échantillon…enfin. Elle était confuse, Lucien le per��ut et s’en voulut de lui avoir fait de la peine. Il n’était pas très sûr de lui, en dépit de sa chemise blanche qu’il avait repassée de frais ce matin. Le chat avait apprécié le repassage et s’était couché de tout son long sur la planche, laissant des poils incrustés, qui avaient beaucoup tourmenté Lucien. Il avait peur de ne pas les avoir tous détectés à temps, d’en être couvert et d’offrir une image négligée. Mais ce n’était qu’une impression due à son appréhension amoureuse.
Ils se rendirent donc tous les deux dans la cuisine blanche et bleue et Augustine déballa le déjeuner qu’elle avait conçu. Une sorte de repas froid, délicat. Le comte en fut ému, car au milieu de la tarte, elle avait déposé deux capucines orange. Il se souvint qu’il y a bien longtemps, elle avait ramassé elle-même les graines de capucine dans les anciennes douves du château, et qu’elle les avait plantées dans son jardin.
De son côté, il avait exploré ses fonds de cave et avait découvert une très vieille bouteille de vin. Il s’était dit que si ce n’était pas devenu du vinaigre, elle serait un délice…Il était un peu angoissé, mais tellement heureux que cela faisait un étrange mélange. Il était encore tôt pour manger et s’installant à mi-ombre mi-soleil sur la terrasse, face aux collines, Lucien prépara précautionneusement des verres de pastis. Prenant le sien à la main, il le leva vers les collines, puis vers elle.
Il ne sut pas quoi dire…elle non plus.
En silence, ils commencèrent à boire.
Ils étaient bien, mais tellement de temps avait passé, tellement de choses, d’événements, s’étaient produits, qu’il fallait qu’ils renouent le fil, qu’ils recomposent leurs vies, leurs images.
Ils le sentaient tous les deux et avaient peur de tout gâcher, en se dévoilant trop vite. Ils se demandaient aussi, si les mots seraient suffisants pour tout dire de toutes ces très longues années.
Dans le ciel tournait une buse à la recherche d’une proie, elle redonnait toute sa profondeur au paysage. En la suivant des yeux, ils percevaient des fragments de collines, de ciel, d’arbres… Lucien prit un biais :
- Que penses- tu de cette histoire ? Augustine avait compris, il n’y avait qu’une histoire dans le village.
– Je n’en sais trop rien…on dit qu’il était violent, qu’il la trompait… Il semble qu’il l’ait battue, enfin, envoyé quelque chose à la figure, et on dit…qu’elle devait être malheureuse.
Le comte regardait Augustine.
– Qui t’a dit qu’il la trompait ? Tes informatrices sont Albertine, et les autres sorcières ?
Augustine sourit.
– Pas plus sorcières que moi…Albertine vit en face du café des deux routes, elle sait, elle voit des choses…
Le comte observait la buse.
– Elle a vu l’homme avec une autre femme dans ce café ? Les patronnes lui ont raconté des histoires ?
Augustine avait la tête qui tournait un peu, tout ce bonheur et le pastis.
– Mais Dimitri trompait sa femme tout le monde le sait…
Lucien se tourna vers elle l’œil rieur.
– Ainsi, tu sais comme il s’appelle ? Tu connais son prénom ?
Il s’arrêta de parler, toujours suivant la buse des yeux. Il reprit lentement, en détachant chaque syllabe.
– Je pense que c’est horrible pour lui, s’il est innocent… d’être suspecté de meurtre, quand même…sans corps…sans preuve ni pour l’inculper réellement, ni pour l’innocenter…la suspicion de tout le village���plus de travail…ses amis qui le lâchent…
Augustine se tourna vivement vers lui.
– Comment sais-tu tout ça ? Le comte eut un petit sourire
– J’ai des sources, moi aussi, j’écoute ce qu’on dit autour de moi…je trouve l’histoire intéressante. Et puis, à te dire franchement, je fréquente assidûment ce fameux café des deux routes. Les patronnes sont aux petits soins, j’aime parler avec elles. J’ai aussi surpris quelques conversations…
Augustine but encore deux gorgées, sans rien dire. Lucien reprit.
– J’espère qu’on retrouvera vite un corps, ou bien qu’elle reviendra cette femme…En fait, je dois dire que j’aime bien cet homme, Dimitri ? C’est ça ? Augustine eut un léger sursaut.
– Tu le connais ?
Lucien s’inclina sur la main de son amie.
– Un peu…maintenant. Tu sais, la solitude fait qu’on laisse traîner ses oreilles, et qu’on se lie facilement…alors oui, je le connais.
Augustine regarda longuement le comte puis acquiesça.
– Je comprends ce que tu veux dire. Mais qu’est-ce qui te fait dire que…que cet homme… ? Et d’abord, pourquoi est-ce que tu l’apprécies ?
Le comte suivait toujours la buse des yeux qui ne se lassait pas de tourner, affamée. Etrangement, il éluda :
– Je ne le connais pas encore assez pour l’apprécier. Mais je suis peut-être très différent du jeune homme que tu as connu. J’ai peut-être appris énormément, à mes dépens souvent et j’ai construit, volontairement, ou involontairement aussi, mon regard sur le monde, tu vois une sorte de grille à jugements…oh ! Ne lève pas la main, et surtout ne me dis pas qu’il ne faut pas juger, pas toi, cela me hérisse tellement cette phrase !
Il se mit à sourire pour atténuer ses propos.
Augustine n’avait rien dit, mais elle se rebiffa.
– Bien sûr que tout le monde juge ! Les gens sont des hypocrites quand ils disent le contraire ! Je suis d’accord avec toi, mais une grille pour juger le monde ! C’est un peu, un peu…
Elle ne trouvait pas de mot convenable, elle ne voulait pas blesser Lucien, mais il lui paraissait un peu prétentieux de dire ça. Il le sentit et prit les devant. - Oui, oui, je sais, je pose au vieillard cacochyme, qui sait tous les mystères du monde…mais dans mon métier, c’était indispensable de pouvoir juger vite, et bien…c’était même vital.
Augustine le regarda avec une curiosité non dissimulée.
– Alors…ton métier ?
Il ne répondit pas mais la regarda bien en face, heureux d’avoir fait diversion. Il avait bien senti qu’ils n’étaient pas d’accord sur l’Affaire. Malgré tout, les yeux de Lucien n’étaient plus si bienveillants. Augustine lui trouvait un regard un peu dur et opaque, un visage sérieux, réfléchi, toutes ses rides révélaient quelqu’un qui avait beaucoup vu, beaucoup reçu de coups, qui ne s’était pas épargné, et que le temps avait pétri, durci, modelé, cassé aussi par endroit. Mais ses yeux avaient aussi une moelleuse flamme douce, tout au fond, son visage était beau, très beau. La bouche était ferme, et les rides autour révélaient la concentration, mais aussi l’habitude du rire, ou tout au moins du sourire.
En face de lui, elle avait la sensation de n’être restée qu’une paysanne en sabots, en espadrilles plutôt. Dans le même temps qu’elle pensait ça, elle réfléchit qu’elle aussi s’était forgé sa manière à elle de voir, d’entendre. Elle avait adopté une attitude en retrait, elle était devenue silencieuse. Mais ce qu’elle analysait était précis et il lui semblait que c’était net. Elle décida de commencer la première. Un peu pour se rattraper du reproche latent…et puis pour faciliter le reste.
– Nous allons laisser tomber cette histoire et plutôt parler de nous, non ? Le regard du comte redevint bienveillant. Il attendait visiblement qu’elle commence.
Augustine se concentra un court instant puis débuta :
- je vais te dire tous les métiers que j’ai faits. J’ai d’abord été maîtresse d’école, à l’autre village. L’école a fermé. Je ne voulais pas partir d’ici, alors j’ai fait les marchés, puis des ménages et ensuite, je me suis occupée de personnes âgées…et puis plus rien. Tu vois, c’est vite dit, mais c’est long à vivre !
Elle soupira, et but une nouvelle gorgée.
Le comte lui prenant la main lui dit qu’il avait travaillé pour le gouvernement.
– J’ai dû beaucoup voyager, voir beaucoup de gens, faire des compromis, et fermer les yeux très souvent sur des choses moches. Alors, j’ai décidé de changer, je suis parti. Je pensais que l’ailleurs était plus inoffensif, mais j’étais extrêmement naïf en dépit de mon expérience. Enfin, j’ai travaillé en Afrique, j’avais ma licence de pilote, j’ai fait le pilote pour des touristes. Puis, je me suis fatigué, je suis revenu en France où j’ai un peu moisi dans un bureau, puis la retraite. J’ai assez pour me nourrir, et entretenir vaguement le Grillon. Augustine le regarda étonnée.
– Le grillon ? Lucien sourit.
– Tu ne sais pas ? Je ne t’ai jamais dit que dans ma famille on appelait le château le Grillon ? C’est le Grillon du foyer. Tu sais, on n’était pas très riches, mais très fiers et aussi un peu poètes peut-être, très têtus sûrement. Nous aussi on voulait rester là…c’est idiot, mais on l’a dans le sang ce pays. Et on a aussi beaucoup de grillons qui crissent un peu partout dans nos têtes, enfin, maintenant, c’est dans ma tête, ma seule tête…
Le silence plana comme la buse, mais plus lourdement.
Ils ne savaient pas vraiment comment renouer la conversation. Ils avaient toujours su qu’ils évoluaient dans des milieux très différents, opposés, mais d’avoir raconté froidement leurs vies, en quelques mots, leur avait fait mesurer la distance plus évidemment qu’elle ne leur paraissait avant.
Augustine prit une fois de plus la tangente.
– Je pense plutôt à la femme dans cette affaire, reprit Augustine, c’est elle qui a reçu le cendrier en pleine tête…c’est elle qui a été blessée… Le comte se tourna carrément vers Augustine.
Lucien fut pris au dépourvu par ce retour à l’Affaire. Il insista :
– Ainsi, ce serait un cendrier ? Tes informations sont plus complètes que les miennes.
La buse piqua d’un seul coup l’espace sous elle, plongea à une vitesse telle qu’ils la perdirent du regard. Lucien souriait.
– Bon, elle va enfin manger, peut-être…
Quand Augustine quitta le château il était très tard. Tard en comparaison de l’heure qu’elle s’était fixée.
La soirée s’avançait au creux de la vallée que le soleil avait déserté. Il faisait encore très chaud, mais cela sentait l’abandon. Les fines branches de saules oscillaient sous un souffle doux, parfumé d’herbes sèches et le ciel virait au rose ténu.
Le repas et l’après midi avaient été magnifiques. Lucien et elle avaient su tendre des ponts au dessus des gouffres des années, ponts fragiles, branlants, mais qui avaient le mérite d’être là, maintenant.
Augustine savait qu’elle avait retrouvé Lucien, et qu’ils ne se perdraient plus. Elle en avait une telle certitude qu’elle en était ébranlée. Ils avaient tant parlé, qu’elle ne savait plus vraiment où elle en était. Il lui semblait qu’elle s’était complètement trompée quand elle était jeune, elle qui était si fière de ses choix.
Elle y repensait maintenant avec circonspection, voire avec une note d’amertume, parce que si c’était à refaire, elle choisirait Lucien. Elle soupira, regarda le ciel, et finalement sourit.
Maintenant, c’était bien.
Rose dans le magasin.
Malgré la climatisation, elle bouillait. La sueur lui coulait sur les tempes, entre les seins et elle avait sûrement le corsage trempé dans le dos.
La jeune cliente qui était entrée dans son magasin, quelques minutes avant, essayait une jupe paysanne et se regardait dans la glace quêtant son avis d’un regard timide.
Rose lui sourit gentiment
– Elle vous va très bien…
La jeune femme lui fit un sourire reconnaissant, et Rose se dit que c’était vraiment trop facile. Elle regretterait son achat, c’était sûr, cette jupe, elle ne la mettrait pas. Trop timide, elle ne se permettrait jamais d’être belle, et belle, elle l’était vraiment dans cette jupe vaste et colorée qui la mettait en valeur. Elle se dit que c’était vraiment dommage d’être aussi belle et de ne pas le savoir, d’en avoir peur…elle aurait voulu lui parler, lui dire ce qu’elle pensait. Elle se reprit mentalement
– Je vous l’emballe, ou vous la gardez sur vous ?
Déjà la jeune femme reculait.
– Vous me l’emballez s’il vous plait…je me la réserve.
Et voilà, c’était fichu ! Si elle était sortie avec, elle l’aurait sûrement remise, elle aurait vu que ce n’était peut-être pas aussi dur d’être belle, que cela pouvait être agréable. Rose essaya :
– Elle vous va tellement bien, j’aime bien la voir sur vous cette jupe, profitez- en, il fait si beau, c’est le moment !
Son regard ne lâchait pas la jeune femme. Celle-ci baissa la tête, se regarda dans la glace furtivement, et à la grande surprise de Rose, lui dit.
– Vous avez raison, emballez moi le jean…il fait trop chaud.
Rose lui fit un sourire éblouissant et fit une prière instantanée pour qu’elle n’en ait jamais de regret, et que son assurance dure un peu plus que le quart d’heure qu’elle mettrait à rentrer chez elle.
Quand la cliente fut partie, elle rangea la cabine d’essayage, remis de l’ordre dans les objets sur les étagères et se permit un instant de détente.
La boutique était vide. Il était tard. Elle avait mal aux pieds.
Elle croisa son regard dans la glace et ne se reconnut pas immédiatement. Elle y vit une femme jolie, mais lasse, un peu rouge, les cheveux ébouriffés au corsage délicat mais fripé. Elle se dit qu’elle s’aimait bien malgré tout et qu’elle aimerait bien que Dimitri l’aime au moins un peu comme elle s’aimait en cet instant. Puis, elle revint en arrière dans ses pensées. Elle finit par s’avouer qu’elle voulait que Dimitri l’aime vraiment, et beaucoup plus qu’un peu. Elle se jura, sans mot, dans le langage des pensées, qu’elle ferait tout pour ça et d’ailleurs qu’elle ne pouvait pas faire plus que ce qu’elle faisait maintenant. Le soutenir, être présente, lutter contre le désespoir qui l’envahissait lentement. Sonia disparue, il était suspect. C’était un assassin. Un meurtrier. Un coupable qui faisait peur, très peur, car personne n’était sûr de rien. S’il avait avoué avoir tué Sonia dans un moment de colère, en jetant ce cendrier, tout le monde aurait compris, tout le monde l’aurait lâché aussi, mais il n’y avait pas d’aveu.
Une absence lourde. Pire que tout.
Les amis qu’ils avaient en commun ne parlaient que de ça. Ils émettaient les pires hypothèses, conjecturaient sans fin.
Ils ne téléphonaient jamais à Dimitri.
Ils avaient peur.
En fait, tout le monde était sûr de sa culpabilité.
C’était une évidence.
Les gendarmes avaient même fini par l’interroger sérieusement. Ils avaient fouillé la maison à fond, analysé les portables, pris des empreintes. Sur la demande de Dimitri lui-même, ils avaient reconstitué la scène de ménage.
Dimitri avait maigri, il parlait de partir, mais ne le pouvait pas. Rose savait qu’il prenait des somnifères, et qu’il buvait. Stan, avait décidé de l’inviter à venir vivre dans son appartement, mais Dimitri, après trois jours était retourné chez lui, au village.
Il voulait comprendre.
Savoir.
Rose se doutait aussi qu’il ne vivait maintenant que sur ses économies. De plus, Journellement, il recevait des coups de fil de la mère de Sonia, en pleurs, ou vociférante. Elle devenait folle et Rose ne la comprenait que trop. Elle-même ne savait plus très bien où se situer. Il fallait que la situation s’éclaircisse. S’il le fallait, elle ferait sa propre enquête.
La saison touchait à sa fin, elle ne serait plus qu’à mi-temps, elle aurait alors le temps de fouiner, d’interroger aussi. Tans pis, elle se dévoilerait, dirait qu’elle cherchait vraiment des preuves, pour ou contre Dimitri, elle agirait ouvertement et elle verrait bien.
Le problème c’est qu’elle n’avait aucune idée de la manière dont elle allait commencer. Stan ne pourrait lui être d’aucune utilité, il n’habitait pas le village et ne saurait pas parler aux gens. Elle ne prétendait pas savoir y faire plus que lui, mais elle au moins, était vaguement connue.
Il fallait qu’elle utilise aussi le café des deux routes. Mathilde et Apolline sauraient écouter et provoquer des confidences. D’ailleurs, elles avaient déjà commencé le travail. Le problème était qu’elles ne touchaient qu’une partie du village, essentiellement les hommes vieux qui venaient jouer aux cartes et consommer petitement un peu d’alcool et d’amitié.
Il fallait provoquer un événement qui attirerait aussi les femmes.
Tout de suite, sans qu’elle n’ait beaucoup à réfléchir, lui vint l’idée d’une tombola. Il y aurait des prix, elle pourrait amener quelques articles de sa boutique et mettre tout le village à contribution.
L’été était encore bien là et les touristes ne manquaient pas, il fallait tabler là-dessus. Une tombola au village, cela pourrait paraître « exotique », cela pouvait attirer les curiosités. Il n’y avait pas grand-chose à faire le soir, ce serait l’occasion pour tout le monde d’avoir des retombées financières. Pour le café, pour… au fait, à qui irait l’argent récolté ? Il fallait quelque chose de motivant…la nature ? Il n’y avait aucune association de ce genre au village, les chasseurs ne feraient pas recette auprès des parisiens… Peut-être le petit musée d’histoire locale ? Le pharmacien l’entretenait avec amour, et se plaignait de ne rien recevoir comme subsides… c’était l’occasion rêvée… Doucement, les gens se retrouveraient entre eux, la curiosité, l’oisiveté feraient le reste.
Il faudrait offrir aussi une tournée gratis pour attirer les plus pauvres, ceux qui n’oseraient pas. Elle pensait faire ainsi d’une pierre plein de ricochets ; animation dans le village, publicité pour ceux qui donneraient des lots et des clients supplémentaires pour le Café des Deux routes… cela pourrait marcher. Après le loto, elle attendrait une petits semaine et irait interroger les habitants, en commençant par les femmes, les vieilles femmes, celles qui ne travaillent pas et qui restent dans les lieux à regarder, volontairement ou pas, ce qui se passe autour d’elles.
Elle irait franchement, en disant ce qu’elle pense de cette affaire.
Elle mettrait les pieds dans le plat.
Tans pis, il fallait que ça bouge, il en sortirait forcement quelque chose.
Tombola
Tout alla beaucoup plus vite qu’elle ne l’avait pensé. L’idée enchanta Mathilde et Apolline qui s’y jetèrent immédiatement. Marcus, le pharmacien qui avait créé le musée fut surpris et enchanté. Il débordait d’un trop plein de gratitude, il s’exclamait partout, parlait à tout le monde ce cette idée, de son musée, et de tous les avantages qui iraient directement au village.
Les patronnes du café composèrent une grande affiche demandant à tous d’apporter des lots, qu’elles entassèrent dans l’arrière salle.
Elles furent d’ailleurs surprises du nombre de personnes qui vinrent participer aux dons. Etonnamment, ou peut-être pas d’ailleurs, ce furent les vieilles qui vinrent les premières : un panier de pommes, du miel, un tricot, de vieux jouets, des vases de toutes sortes, furent rapidement amassés.
A chaque fois que quelqu’un se présentait, Apolline lui proposait quelque chose à boire, ça allait du café au sirop, en passant par un jus de fruit quelconque, ce qui permettait d’engager une conversation plus longue. On ne pouvait refuser de faire la causette quand Mathilde ouvrait un jus, ou servait un café et bien sûr, la conversation tournait autour de l’Affaire.
C’était ça l’imprévu.
Rose n’avait pas du tout pensé que les gens se confieraient pendant la préparation de la tombola. Les trois filles d’ailleurs, convinrent que la préparation de l’événement se révélait aussi importante que la tombola elle même ou sa suite… Les gens étaient souvent seuls et se laissaient aller plus facilement, ils étaient détendus et avaient l’impression d’avoir d’eux-mêmes déclenché le sujet de conversation.
Francine s’y rendit la première. Elle était tellement curieuse. Elle voulait en savoir plus sur les deux amies. Bien sûr, elle prenait un café, les jours de marché au Café des deux routes, mais elle n’avait pas eu l’occasion de vraiment leur parler…elle n’y était retournée qu’une seule fois en dehors de ses habitudes, pour espionner les gendarmes. Alors, autant dire pas assez… Qu’est ce qu’elle pourrait bien apporter comme lot ? Des bouquets de thym ? Des fromages de chèvres ? Du miel ? Elle ne savait pas. Tous les gens du village lui achetaient déjà ces denrées qui n’avaient rien d’exceptionnel pour eux. Bien sûr, il y aurait les « parisiens ». Elle eut une idée. Elle fit trois petits paniers, garnis chacun, d’un bouquet de thym, d’un petit pot de miel, et d’un fromage… elle savait que les gens appréciaient la manière dont elle mettait les choses simples en valeur, cela pourrait peut-être plaire ?
Elle arriva au café le matin du lundi, sûre qu’il serait à peu près désert et proposa ses lots.
Apolline était au comptoir, et « pressait » un café. Francine se sentait toute intimidée et cette femme aux cheveux très blonds, très courts, lui en imposait. Pourtant, elle fut tout de suite rassurée par son regard franc, direct, et qu’elle perçut comme infiniment gentil. Elle en soupira doucement de soulagement et déposa ses offrandes sur le comptoir. Apolline s’approcha et eut un grand sourire devant les petits paniers.
– Comme ils sont beaux ! Ils sentent si bon ! Vous les avez faits vous-même n’est- ce pas ? C’est tellement joli !
Francine sourit à son tour, elle n’en avait pas vraiment l’habitude et se dit que son sourire devait être malhabile, grotesque peut-être ? Mais la jeune femme blonde avait aligné les paniers sur le comptoir.
- Je vais vous en acheter un pour nous tout de suite, je n’ai pas de chance au jeu, et je voudrais en avoir un pour moi !
Cette phrase alla droit au cœur de Francine, elle ne put résister.
– Je vais vous en offrir un, c’est une bonne idée ce loto et puis surtout, pour Marcus c’est formidable. J’ai pitié de ce pauvre garçon… il se donne tant de mal, il est si gentil.
Son sourire maladroit s’agrandit encore. Un sourire trébuchant. Apolline pressa un café qu’elle posa devant Francine. Elle ne trouvait pas de mot, simplement elle dit :
– Il ne fait pas chaud ce matin, moi, je vous offre ce café, et deux croissants en remerciement. Oui, Marcus est quelqu’un qui est toujours là, prêt à ouvrir sa boutique, à soigner, à conseiller…
Francine touillait machinalement son café, elle n’avait pas mis de sucre dedans. Elle acquiesça.
– Il a vraiment pas de chance, lui, on peut le dire… Lui, il aurait pu zigouiller sa femme…pas comme l’autre ! En fin j’en sais rien…je connais pas l’autre. Apolline tenta de creuser la brèche qui s’offrait.
– Vous voulez parler de l’Affaire ? Je connais M. Wairter, tout comme Marcus, je le pensais pas capable de quoique ce soit…et là encore, quand il vient, je n’arrive pas à le croire…
Francine mordit à l’hameçon à pleine bouche.
– A parce qu’il vient au café ? Elle se retourna comme pour vérifier. Vous le voyez souvent ?
Apo haussa les épaules.
– ça dépend, des fois oui, des fois non.
Elle laissa le récit en suspens…elle ferrait le poisson.
– Marcus m’a dit qu’il ne l’avait jamais vu le jour du…le Jour, quoi. Il a rien fait pour lui venir en aide. Je veux dire, pour venir en aide à sa femme, je parle de lui, là, M. Wairter…
Apolline regarda Francine et prit l’air d’un témoin à décharge.
– Mais il ne pouvait pas ; Marcus était là, à soigner Mathilde qui était coincée du dos. M.Wairter ne savait pas que la pharmacie ne ferme pratiquement jamais…
Francine soupira.
– Oui, il ne connait pas les usages…c’est drôle quand même qu’on ne la retrouve pas ?
Apolline fut directe.
– Si on ne la retrouve pas, ce sera une tragédie, on ne saura jamais et pour la mère de la femme, c’est horrible. Il faut ouvrir l’œil, tout peut servir…
Francine perçut immédiatement le sous- entendu.
– Maintenant que je sais (sous- entendu, que je vous connais), comptez sur moi, je m’en vais l’ouvrir mon œil, je vous dirai tout…il est bon votre café, et les croissants c’est de chez Marianne ? Apolline confirma. Tout venait des commerçants du village, ou du marché local.
Francine regardait maintenant tout ce qui l’entourait avec gratitude. Les murs jaunes, les tables à carreaux jaune et blanc, les chaises de bois de pin, les tabourets du bar, les rideaux bleu roi aux fenêtres et cette bonne odeur de pain, de café. Elle observait Apolline, et malgré ses airs de garçon, la trouvait belle, franche et gentille. Elle se dit qu’elle reviendrait par plaisir assez souvent, aussi souvent que ses finances lui permettraient.
Elle sortit avec un grand sourire sur le visage.
Ce fut comme le signal déclencheur.
Après Francine, il y eut littéralement affluence dans le café.
Les gens venaient les uns après les autres, apportant ce qu’ils avaient, ou faisaient des promesses de dons.
Et chacun parlait de l’Affaire.
Jamais les organisatrices n’auraient pensé que cela marcherait si bien. Elles ne savaient déjà plus ou caser les dons et elles durent embaucher des bénévoles pour faire un tri. D’ailleurs, les bénévoles se proposèrent d’elles- mêmes d’une curieuse manière.
Un beau matin, assez tôt, Mathilde vit un groupe de trois femmes sur le seuil du café, hésitantes, jetant des regards furtifs, elles se poussaient un peu du coude et avaient chacune un panier sous le bras.
Mathilde vint à elles. Ce jour là, elle portait une robe rose qui la mettait en valeur et ces dames en furent favorablement disposées. Le grand sourire de bienvenue qu’elle affichait était juste comme il fallait ; accueillant et réconfortant, pas du tout commercial.
Marie, Albertine et Augustine firent toutes trois un pas en avant et se figèrent. Elles souriaient aussi, mais Mathilde les sentait sur la réserve, prêtes à s’effaroucher.
– Bonjour Mesdames, vous venez pour les dons ? Entrez, entrez…je suis à vous, je n’ai rien de pressé à faire, il n’y a pas grand monde ce matin.
Elles firent encore un pas, mais ne savaient pas trop comment commencer. Ce fut Augustine qui se lança.
– Nous vous remercions pour l’idée que vous avez eue, et nous venons vous proposer de l’aide. Nous n’avons pas apporté grand-chose avec nous, seulement quelques gâteaux que nous voulions vous faire goûter… s’ils vous plaisent, ce sera notre contribution pour le loto. Voilà.
Et Augustine déballa le sien, qu’elle posa sur une table, suivie par les deux autres. Mathilde eut un sourire ravit qui alla droit au cœur des vieilles dames.
– C’est exactement ce qu’il nous manquait ! Il y aura sûrement des enfants et nous n’avions encore rien prévu ! Ce furent des exclamations de contentements de part et d’autre. Bien sûr, il y eut la fameuse tasse de café, ou de thé ? Mais la préférence allant au café, Mathilde se fit un plaisir de les faire assoir à une table fleurie d’un bouquet de thym et d’herbes sèches, les fameux bouquets de Francine.
Elles s’en aperçurent immédiatement, et en furent émues.
– Vous, vous avez eu la visite d’une de nos amies, vous avez vu Francine ! S’exclama Marie. Mathilde sourit encore, en se disant, qu’à force de sourire, elle allait sacrément se rider et qu’il faudrait qu’elle se fasse un nouveau masque dimanche
– Alors, cette charmante dame s’appelle Francine ? Oui, elle est venue nous proposer des bouquets et des fromages, tout est délicieux, et si joli !
Les trois amies en furent ravies.
– Francine n’a pas trop d’argent, vous voyez et ce serait bien pour elle que les gens lui achètent les fromages, et le miel…
C’était Albertine qui avait parlé. La mine sérieuse et intéressée de Mathilde les réconforta, et ce qu’elle dit leur alla droit au cœur.
– Oui, c’est aussi dans ce but que nous faisons la tombola : aider les producteurs locaux. Nous avons bien conscience qu’il faut faire quelque chose…
Puis, elle se tut par pudeur, ce cela plut aussi aux vieilles dames. Le terme de producteur local donnait du prestige à leur amie Francine et à elles aussi par rebond. Mais ce fut Marie qui déclencha tout.
– Je n’ai pas grand-chose à faire de mon temps, alors, si vous avez besoin d’aide… ?
Mathilde se dit que ce serait génial de l’avoir là pour amadouer les plus méfiants des gens du village, mais elle pensa aussitôt que son intimité avec Apolline serait mise à rude épreuve. Néanmoins, elle témoigna sa joie en frappant dans ses mains, toujours avec son sourire éblouissant.
Aussitôt, les deux autres ne voulurent pas être en reste et proposèrent elles aussi leur aide. Il fut convenu qu’elles se reverraient dans deux jours pour déterminer les fonctions de chacune.
Après leur départ, Mathilde pensa qu’il leur faudrait des tâches qui ne demandent pas trop de stations fatigantes, elles n’étaient plus toutes jeunes. Il fallait qu’elle trouve une ou deux serveuses ou serveurs, c’était ça qui leur manquerait le plus. Elle se creusait encore la tête pour savoir qui pourrait faire le service dans la salle ce soir là, lorsque Pétra déboula dans la pièce.
Sans aucun maquillage, avec son short en jean et son tee-shirt rouge, elle faisait plus touriste que couleur locale. Ses cheveux attachés en queue de cheval retombant jusqu’au milieu du dos lui donnaient un air juvénile et frais qu’elle perdit aussitôt qu’elle se mit à parler.
Mathilde pressentit qu’elle était mal lunée.
– Ma mère m’envoie vous dire que je suis volontaire pour faire le service au café le jour de la tombola.
Elle regardait le sol en parlant, absorbée qu’elle était par la contemplation des carreaux de terre.
Mathilde la regarda en souriant.
– Bonjour Pétra, c’est sympa, c’est ton idée, ou son idée à elle ?
La jeune fille avait un air renfrogné qui ne laissait rien présager de bon quant à la réponse. Elle jeta un regard rapide à Mathilde, puis baissa les yeux rapidement.
– C’est ma mère…Puis regardant Mathilde en face, elle ajouta précipitamment. Moi, je ne voulais pas, j’avais pas envie de faire ce loto…mais elle m’a pas laissé le choix.
Elle se laissa tomber lourdement sur une chaise en regardant ses pieds.
– Tu n’es pas obligée de le faire si ça ne te plait pas. Evidemment, nous, ça nous arrangerait, il va y avoir beaucoup de monde, ça attire les touristes ce genre de truc, c’est fait pour…on mettra de la musique, et après on dansera. Pétra leva la tête.
- Ce n’est pas ça… Pétra ne pouvait pas lui dire qu’elle lui en voulait d’être l’amie d’un homme qu’elle soupçonnait de meurtre. Elle trouva un biais :
- Vous dites qu’on va danser, c’est pour m’amadouer…
Mathilde s’assit auprès d’elle, elle sentait qu’il y avait quelque chose qui gênait Pétra.
– Mais non, c’est très commercial tu sais, si on met de la musique, les gens restent, ils dansent, ils consomment, et si tu danses avec eux…personne ne t’en voudra.
Pétra pensait que sa machination avait réussi. En venant à la tombola elle pourrait jauger Dimitri, s’il était là, et même, elle pourrait sûrement quitter un instant le café pour aller fouiller chez lui. Convaincre sa mère avait été d’une facilité dérisoire, c’était pour la bonne cause.
Elle fixa Mathilde plus gentiment, et un mince sourire apparut sur les lèvres de la jeune fille.
– Alors ma mère ne pourra rien dire, si je danse ? Puisque c’est commercial…. Mathilde réprima une envie de rire et la rassura… Mais il faut que tu me promettes de ne pas aller trop loin.
Pétra sourit.
– Trop loin ? J’ai seulement envie de m’amuser. Elle haussa les épaules.
– C’est d’accord. C’est fou ce que je peux m’ennuyer, de toute façon, ça me changera…
Mathilde réfléchit encore, puis, acheva de la décider avec cette idée lumineuse.
– Tu sais, ce sera fatigant, mais tu auras les pourboires, cela te fera une petite cagnotte…
A la grande surprise de Mathilde, Pétra releva la tête.
– Non, je ne le fais pas pour avoir de l’argent et si j’en ai, je ferai comme tout le monde, je le donnerai pour le musée…
Elle se leva très dignement, puis eut un grand sourire.
– En tous cas, c’est super gentil de me l’avoir proposé. Puis, elle partit en faisant fièrement danser sa queue de cheval dans son dos.
La jeune fille avait sauvé sa dignité, son libre arbitre.
Mathilde la trouva très sympathique.
Pétra pensait de son côté que les adultes étaient assez faciles à rouler, somme toute. Elle se félicita aussi d’avoir réussi à la tentation d’empocher les pourboires.
Elle décida qu’elle avait une grande force de caractère.
Presque une volonté de fer.
Le gendarme, Mathilde, Apolline. Proposition d’aide pour la soirée.
Ce fut tout à la fin de la journée, juste avant le journal télévisé que le gendarme entra dans le café. En fait, il n’entra pas immédiatement, il resta sur le seuil, un peu indécis et c’est Apolline qui le salua la première.
Il avança donc et hésita visiblement entre une table et le comptoir, pour finir par se décider à rester debout. Il n’y avait personne dans la salle. Les deux femmes étaient présentes, Mathilde nettoyait les tables et Apolline attendait qu’il commande quelque chose.
Visiblement, il ne se décidait pas.
– Vous avez besoin d’aide ?
Le jeune gendarme eut un sourire incertain, puis se jeta à l’eau.
– Vous allez faire une sorte de loto, tombola, j’aimerais y participer à ma façon…Il regardait Apolline qui lui sourit franchement.
– Vous voulez écouler un stock d’armes ? De vieux ordinateurs ? Des uniformes ? Qu’est-ce que je vous sers ?
Le jeune homme se détendit d’un seul coup et son sourire devint beaucoup plus vrai.
- Je…non…une… (Il allait dire une bière)…un gin tonic s’il vous plait.
- Bon, au moins c’est précis, reprit Apolline, bien sûr que vous pouvez participer, tout le monde le peut…
Le jeune baissa la tête.
– En fait, je n’ai rien à vous donner d’exceptionnel, j’aimerais seulement être là, regarder, je peux apporter quelques objets, de quoi avez-vous besoin ? Mathilde qui avait tout entendu s’approcha très intéressée.
– En fait, nous avons beaucoup de choses, il nous faudrait plutôt un serveur…
Elle était sûre qu’il refuserait, mais à son grand étonnement il accepta immédiatement.
– S’il vous manque quelqu’un pour servir, ça me va…ça me va très bien.
Apolline et Mathilde se regardèrent un peu indécises, un peu gênées, visiblement elles hésitaient à parler, elles avaient la même objection présente à l’esprit.
– Heu…bien sûr, je serai en civil, pas de problème…Les deux filles sourirent et approuvèrent, soulagées.
– Mais vous savez que même sans l’uniforme tout le monde me connait ? Ce qui me plait dans cette idée, c’est que les gens me verront autrement…
- Et peut-être qu’ils vous parleront plus facilement par la suite ? Je me trompe ? Interrompit Apollo.
Le jeune homme acquiesça, de nouveau mal à l’aise.
– Oui, effectivement, c’est mon but. Je travaille toujours sur la disparition de Mme Wairter, vous vous en doutez un peu…mais nous manquons d’éléments, autant dire que nous n’avons rien du tout.
Pouf sauta sur le comptoir, et se frotta aux mains d’Apolline
– Ok, vous n’avez pas vu le chat…il est transparent.
– Oh, j’aime les chats et puis je ne suis pas l’inspection sanitaire, il est très mignon celui là, il sent bon en plus…Vous connaissez le nom de ce parfum?
Apolline et Mathilde reniflèrent le chat, qui prit une contenance indignée. Mais ni l’une ni l’autre ne purent donner avec précision le nom d’un parfum connu, sauf qu’elles avaient remarqué que depuis un moment, il sentait bon, enfin, qu’il ne sentait plus vraiment comme un chat, mais plutôt effectivement un parfum de femme.
– Je dirais un parfum de luxe, non ? C’est pas de l’eau de Cologne, ou mon truc à deux euros…Renchérit Mathilde.
– C’est drôle…j’ai senti ce parfum il n’y a pas si longtemps, je n’arrive pas à situer la circonstance…reprit-Apolline, perdue dans ses pensées.
Mais le jeune gendarme insista, la mine réjouie.
– Le parfum que porte ce chat, c’est Opium, un truc hors de prix, que j’offre à ma mère régulièrement. Il sourit, tout content, puis continua. Bon alors, c’est d’accord, pour la soirée, je fais le serveur ?!
Ensuite, il entreprit de finir tranquillement son gin tonique. Ca le changeait des bières tièdes et fades que lui offrait Justin.
Il aimait beaucoup Justin et il l’aurait aimé encore plus s’il n’y avait pas eu les bières.
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Suite 16
Apolline, Rose, Dimitri.
Apolline, depuis un petit moment, s’était adossée au mur, à coté de l’entrée de la cour. Elle entendait ce que disaient Rose et Dimitri, mais n’écoutait pas réellement. Et pourtant si, elle écoutait, mais sans faire vraiment attention.
Elle les trouvait très bien assortis.
Assortis.
Comme s’ils étaient une paire de gants, ou un pull qu’on met avec un jean. Elle haussa mentalement les épaules, habitude qu’elle avait prise à cause des clients. Les gens disant tellement de conneries…
Elle se mit à écouter sciemment la conversation, sans aucune honte. Dimitri venait de dire, en gros, qu’il en avait assez de passer pour un cocu. Elle se dit que l’expression était désuète. Maintenant, on parlait de partenaires multiples, pour cacher quoi ? La souffrance du cocu. On dit ; il est cocu, elle est cocue, et c’est honteux de l’être. A cause du fait, à cause du mot, à cause des regards, des moqueries qu’on imagine ? Bizarrement, le cocu est drôle, on s’amuse de lui. Il est admis qu’on peut rire de cette sorte de souffrance… ce coup ci, elle haussa vraiment les épaules.
Sa pensée bondit vers Mathilde, qui était tellement plus belle que Rose. Mathilde c’était un voilier superbe, toutes voiles dehors, tout était beau en elle, la taille, les cheveux, la peau, l’odeur, les gestes, elle se demandait avec étonnement comment elle avait pu la séduire. Et elle se demandait aussi avec inquiétude, comment elle pourrait la garder.
Marcus rôdait. Elle ne le sentait pas vraiment offensif, mais persistant.
Il serait là.
Tout le temps qu’il faudrait.
Comme les murs du café des deux routes, comme sa pharmacie.
Il n’attendrait pas vraiment. Il savait, elle l’avait deviné, qu’elles s’aimaient toutes les deux. Mais il ne perdrait jamais espoir. Il était de ces gens qui refusent de détruire les mythes qu’ils se sont crées.
– Qu’est- ce qu’ils sont cons !
Elle venait de parler à haute voix. Rose et Dimitri se retournèrent d’un même mouvement, et la regardèrent effarés.
Elle les rassura d’un signe de tête, et rentra dans la grande salle à l’intérieur du café.
Mathilde essuyait les tables, rangeait les verres, en souriant bêtement.
– A quoi tu penses ? T’as l’air d’être toute, toute…
Mathilde sourit encore plus.
– Et oui, je suis toute, toute… en fait je suis crevée. Apolline se rendit compte qu’effectivement Mathilde avait son sourire reflexe, celui qu’on colle une fois pour toutes sur sa bouche, et qu’on oublie comme une défense : je-suis-bien-pas-la-peine-de-me-parler-. Elle lui passa un bras autour du cou, et l’en retira presque aussitôt.
– Je pense que je suis sur le point de trouver quelque chose en rapport avec Sonia…tu sais ? Reprit-elle. Mathilde s’arrêta, attentive.
– Oui ? Apolline prit un verre, et le mira.
– Voilà, j’ai pensé que j’avais déjà vu Sonia, et je m’en suis souvenu, à cause d’un parfum, un parfum que je n’aime pas. Mathilde eut un large sourire.
– Alors ?...
- Alors rien du tout, sauf que j’ai senti cette odeur sur quelqu’un il n’y a pas longtemps…Mathilde acheva de torcheter une table.
– Tu sais, les parfums, tout le monde porte un peu les mêmes…
– Oui, mais celui là, il était porté par quelqu’un de vraiment très différent, tu vois ? Mathilde saisit l’occasion pour s’assoir.
– Et tu te souviens qui ? Apolline secoua la tête.
– Justement, tu vois, c’était quelqu’un de tellement étrange que je n’arrive pas à me le rappeler, c’est con, ça devrait être l’inverse, c’est comme si mon cerveau refusait d’associer ce parfum, et la personne, comme si c’était pas possible, tu vois ? Mathilde se releva en se tenant les reins.
– Je vois, je vois, je vois… qu’on a eu une dure journée, qu’il ne reste plus que nos deux petits dans la cour, et que je vais les virer pour qu’on puisse fermer. Je suis crevée.
En disant ça, elle se dirigea vers l’arrière cour, en accentuant exprès sa démarche chaloupée de très très vieille patronne de bar.
Francine réfléchit.
Francine était rentrée chez elle toute en joie. Elle était allée droit aux cages des lapins, et leur avait donné toute l’herbe qu’elle avait ramassée machinalement en chemin, à la fois en attendant Augustine, mais aussi en flânant jusque chez elle. Elle vérifia qu’ils aient bien à boire, changea également leur litière. Puis, elle passa voir ses poules avec le grain, et tout en les flattant, piqua leurs œufs. Elle se sentait toujours un peu coupable de leur chiper leurs œufs, toujours, pourquoi ? Mystère. Elle avait des gestes un peu fébriles, un peu plus cassants que d’habitude. Sa poule préférée picora les fleurs imprimées sur ses chaussures, et eut bien droit à une caresse, mais si maladroite, qu’elle la regarda de son œil tout rond, un peu inquiète.
- Ah, te bile pas Poupoule ! Je suis contente, c’est tout ! C’est pas tous les jours qu’on vit un moment pareil ! Et tu me connais, je suis sentimentale…au fait, elles sont où les biquettes ?
Elle flatta encore un peu la poulette qui ne se décidant pas à la quitter se mit à la suivre en quête des chèvres. Tout le monde était là, bien à l’abri. Les chèvres avaient regagné le pauvre petit arbre (elles s’y réfugiaient toutes en fin de journée) l’une d’entre elles était » grimpée dessus comme presque tous les soirs. Francine fourragea dans sa poche, sortit un paquet de tabac, et se mit à se rouler une cigarette. Puis, entourant la flamme de ses doigts qui sentaient bon le thym, elle l’alluma. La poule inspectait attentivement le sol, et le piquait de temps à autres, comme pour demander à Francine de raconter.
– Mais oui, je vais te dire. Y’a qu’Augustine a retrouvé son Lucien. La poule replongea le bec dans le sol.
– Ah, tu vois, tu ne t’y attendais pas, hein ? Maintenant, j’attends la suite. Au fait, Poupoule, où il est Sam ? La poule fit un pas en direction de la maison, en secouant la tête.
– Oui, t’as raison, Sam est pas à moi, y fait ce qui veut, faut que je trouve un chien, Poupoule, un bon petit chien…Tu sais, même qu’Augustine, elle est redevenue coquette, même qu’elle a bien arrangé sa maison. Ah tu verrais ça, ma fille, t’en reviendrait pas ! C’est joliiiii !
Elle regarda la montagne éteindre le soleil. Elle voyait dans le ciel Augustine, toute rose, et son sourire, et ses lapins, et ses poules, et des herbes, et bientôt, elle irait se chercher un petit chien. Elle lui apprendrait à surveiller les poules, à protéger la maison. Elle irait avec eux, peut-être, manger des gâteaux, et boire du vin sucré aux pêches de vigne. Pas avec les lapins, non, avec Lucien et Augustine bien sûr. Dès que .... Parce qu’elle l’avait senti… Il y avait quelque chose qui n’allait pas…quelque chose, mais quoi ?
Retour de la mère avec un affreux
Quand Dimitri arriva chez lui, la maison était allumée, il eut un coup au cœur en pensant que Sonia était revenue. Il sortit de la voiture en trombe, et courut jusqu’au seuil…mais c’était la mère de Sonia qui lui faisait face, accompagnée d’un homme qu’il ne connaissait pas. Ils étaient plantés au milieu du séjour…
– Te voilà…je t’attendais, maintenant, il faut que tu nous dises tout… Elle se tordait les mains, et Dimitri n’eut pas pitié d’elle. Ses cheveux gris étaient tirés en arrière, ses traits étaient affaissés, elle avait enfilé une robe tachée, et ses mains tremblaient. Mais derrière elle l’homme attendait. Il avait l’air d’une brute. L’oncle avait dû refuser de venir une fois de plus chez lui. Pas convaincu sûrement. Alors, elle avait réussi à mettre la main sur cette montagne de graisse malsaine.
-Tu reviens pour me faire casser la gueule une fois de plus ? C’est ça ? Assieds- toi donc…tu seras plus confortable pour le spectacle, non ?
La mère blêmit, lèvres pincées, regard froid, distant. Dimitri alla au devant d’elle et lui montra un siège d’un geste de la main.
La mère était totalement immobile, tendue, prête à crier, il le sentait. Elle avait besoin d’une certitude, n’importe laquelle, elle avait besoin d’agir. Comme lui. Elle reprit d’une voix plus aigue.
– Donc tu n’as rien à nous dire ? Ce n’est pas possible, tu dois savoir… Sa voix déraillait dans les aigus, encore plus haut, elle tremblait plus fort encore. Brusquement, elle monta dans la chambre du couple, au premier, et avant que Dimitri ait pu faire un geste, commença à fouiller dans les affaires de Sonia. Dimitri la suivit, pris de cours, mais ne sachant ou non, s’il fallait l’empêcher. Si cela pouvait la calmer de voir, de toucher les affaires de sa fille, il fallait qu’il la laisse faire. Elle pourrait peut-être l’aider à comprendre. Mais elle s’énervait, prenait les habits, les regardait, et passait à la commode. Il semblait à Dimitri qu’elle cherchait quelque chose de précis, mais sans savoir où le trouver.
– J’ai déjà examiné ses affaires, et…
- Taisez-vous ! Vous n’avez rien à dire…Elle se mit à pleurer. Les larmes s’incrustaient dans ses rides, et rendaient ses joues luisantes, ses yeux rouges débordaient littéralement sur ses joues qui semblaient absorber le liquide. Elle le regardait avec haine et impuissance.
– Et l’argent ? Où est l’argent ? Dimitri ne comprenait pas.
– Quel argent ? Apparemment, elle est partie sans rien…je veux dire, sans son sac, sans porte-monnaie…
Elle se dressa devant lui.
– Je parle de l’argent…Elle s’arrêta net.
L’homme s’approcha, et poussa Dimitri d’un coup dans la poitrine. Sans rien dire, il le bouscula encore deux ou trois fois. La mère s’était détournée, elle tremblait de tout son corps, mais visiblement, ce qui se passait était prévu. L’homme accula Dimitri au mur, et lui donna deux gifles, qui le refirent instantanément saigner du nez. L’attaque avait été si rapide qu’il n’avait pas eu le temps de se protéger, encore moins de réagir. Pourtant, cette fois-ci, malgré lui, son genou partit dans l’entre-jambe de son assaillant, qui se baissa sous l’effet de la douleur. Dimitri enchaina en le poussant à terre de toutes ses forces, puis, le bourra de coups de pieds. Il se défendait, il se libérait, il n’était pas coupable, il fallait qu’il gagne. Le geste de l’homme avait libéré en lui toute l’agressivité que générait cette situation. Cette immobilité, cet écrasement dans un étau de silence, de non-dits. Le gros monstre pourtant se relevait, et le repoussait de sa masse. Dimitri avait la sensation d’être un enfant qui frapperait un adulte. De ses mains immenses, il lui saisit la gorge, et commença à serrer avec détermination. Mais Dimitri était enragé, il n’avait plus peur, ses mains étaient libres, il enfonça ses doigts dans les yeux du gros porc sans hésiter une seconde, de toutes ses forces, ses pouces rentraient à plein dans les orbites du connard. L’autre tenta de résister en serrant encore plus, mais la pression sur ses globes oculaires était telle, qu’il ne put pas continuer. Il relâcha son étreinte. Il devait se dire que le prix payé ne valait pas la perte de ses yeux, et il se recula.
Dimitri se précipita face à la mère de Sonia. Il haletait, se sentait perdu dans les émotions qu’il éprouvait.
– Je ne sais pas où est Sonia, je ne sais rien, si je le savais, j’irais la trouver pour avoir la paix, pour en finir avec ce cauchemar…il s’approcha encore plus près d’elle. Une odeur de sueur assaillit ses narines, elle avait peur de lui.
– Tu peux me faire tabasser autant que tu veux, je ne peux pas t’en dire plus… La mère de Sonia avait baissé la tête, c’était comme si elle n’avait pas vu, pas compris ce qu’elle avait engendré.
– Et puis je te signale que je fonce chez les flics, tout de suite…tu peux mettre le feu à la maison, tu peux faire ce que tu veux…
Dimitri dévala l’escalier, les laissant tous les deux dans la chambre.
Il monta dans sa voiture et se dirigea vers la gendarmerie. Il roulait vite, il n’avait pas peur, il était en colère, il avait dû se faire violence pour arrêter de donner des coups de pieds à la brute, mais il sentait qu’il avait une rage terrible en lui. Il se gara, sortit presque en courant, et pénétra dans la gendarmerie.
Dans le local il n’y avait qu’un seul gendarme, le plus vieux. Il était en train de téléphoner, et prenait rapidement des notes. Une odeur de cigarette flottait dans l’air, et Dimitri s’en étonna. L’homme raccrocha aussitôt, très brusquement, et s’approchant de Dimitri, le fit assoir, et alla lui chercher un verre d’eau.
– Qui vous a fait ça ? Dimitri avait oublié que son visage était couvert de sang, il haussa les épaules. Il était épuisé maintenant. Il but le verre, et attendit quelques secondes avant de parler.
– La mère de ma femme était chez moi, encore avec un homme, c’est lui qui m’a frappé. J’ai répliqué…je pense qu’il n’a rien, mais…je n’en peux plus. Il sentait son corps trembler, et il eut honte de ce tremblement. Le gendarme lui tendait maintenant un mouchoir en papier imbibé d’eau, qu’il se passa maladroitement sur le visage. Son nez saignait encore, il se sentait minable.
– Encore ? C’est donc déjà arrivé ? Vous portez plainte je suppose…il le faut, je pense que c’est nécessaire. Mais Dimitri avait besoin d’autre chose. Justin reprit.
– Est-ce que vous avez déjà vu l’homme qui accompagnait la mère de votre femme ? Dimitri secoua la tête.
– Non…jamais, et je crois que ce n’est pas du tout le genre de fréquentation…Mais il s’arrêta là. Après tout, que savait-il vraiment de la mère de Sonia ?
– Est-ce que vous pourriez le reconnaître ? Pouvez- vous me le décrire ? Dimitri se redressa.
– Oui, bien sûr que je pourrais le faire…sans problème, mais je ne comprends pas, je voudrais savoir pourquoi, tous, ils me croient capable d’avoir tué ma femme ? Car c’est ça, c’est vraiment ça qu’ils pensent !
Le gendarme ne dit rien, il attendait. Dimitri poursuivit comme s’il se parlait, seul.
– Je sais que cette histoire est bizarre, je ne sais pas si nous pouvons en parler, je veux dire légalement, comme si nous étions à égalité tous les deux, mais ça me ferait du bien, beaucoup de bien…
Est-ce que le gendarme crut que Dimitri allait avouer quelque chose, en tout cas, il se pencha sur lui.
- Vous avez quelque chose à dire en particulier ? Il y a des faits qui vous reviennent ? Dimitri secoua la tête.
– Non, j’ai besoin de savoir ce que vous, vous en pensez. Moi, je ne sais que ce que je vous ai dit, rien de plus…mais j’avoue que le sac dans le frigidaire me fait peur, pourquoi Sonia l’aurait mis là ? Pour me faire du tort? Pourquoi, si elle a fait ça, ne ressort-elle pas maintenant ? Le gendarme avait décidé de ne pas perdre pied.
– Et pourquoi l’auriez- vous mis, vous, dans le frigo ? Dans l’affolement ? Ou justement, parce que vous êtes intelligent pour jeter un élément de trouble dans cette affaire ? Alors… ? Si vous avez tué votre femme accidentellement, vous auriez pu perdre pied…
Dimitri regarda le gendarme.
Justin soudain eut la certitude que cet homme ne comprenait rien à ce qui lui arrivait. Le regard de l’homme qui lui faisait face ne laissait aucune place au doute. Il était dépassé. Il ne savait rien. Justin baissa les yeux, cet homme, il le sentait innocent, mais il ne savait pas quoi faire pour le prouver. Pour se le prouver à lui, et à Arthur également.
– Pourquoi auriez-vous mis ce sac dans le frigidaire ? Pourquoi votre femme l’aurait mis dans le frigidaire ? Est-ce que vous avez une idée ?
Dimitri regarda le gendarme, il y vit un réel intérêt, une vraie empathie. Il avait mal au nez, mal au cœur, il avait envie d’en finir, mais il ne trouvait pas le fil, ne comprenait pas, et l’homme en face de lui, ne comprenait pas non plus. Le gendarme se dressa de toute sa taille, fit le tour de la chaise où était assis Dimitri.
– Il y a plusieurs possibilités ; Sonia l’a mis là pour vous faire plonger, ou, vous l’avez mis dans le frigo pour brouiller les pistes… c’est risqué, mais bon. Ou alors, un de vos amis intimes est l’amant de votre femme, il vous fait tomber en le mettant dans les surgelés, ou encore, vous êtes cinglé, ou votre femme est cinglée, et vous l’avez mis là-dedans parce que justement, vous n’êtes pas très frais dans votre tête…
Dimitri se mit à rire au jeu de mot visiblement involontaire, et le gendarme sourit.
– Si un ami intime est l’amant de ma femme…alors Stan est en première ligne, il était convaincu que j’étais coupable…c’est lui qui m’a encouragé à me livrer…mais je n’y crois pas.
Machinalement Dimitri fouilla dans sa poche à la recherche de ses cigarettes, le gendarme anticipa son geste.
- Moi aussi, je m’en grillerais bien une, on va dehors…
Ils sortirent dans la chaleur grésillant, juste pour voir passer une voiture jaune.
– C’est la mère de ma femme qui s’en va…j’espère qu’elle a ramassé son gorille…je n’ai pas envie de le retrouver dans ma salle à manger.
– Je vais vous accompagner. On va tranquillement rentrer chez vous, vous me décrirez ce qui s’est passé, exactement… si vous voulez, après je vous conseille de porter plainte, c’est préférable…
Dimitri acquiesça. Il était triste.
Pétra, la peur….
Cela faisait deux jours que Pétra dormait mal. Elle se réveillait régulièrement après un cauchemar, ou s’entremêlaient des tissus ensanglantés, et des boucles d’oreilles. Elle se levait en sueur, fatiguée.
Ce jour là, quand elle descendit à la salle à manger, sa mère lui avait laissé une religieuse, à côté de son bol vide. Il suffisait d’appuyer sur le bouton de la cafetière pour faire couler le café. Elle s’assit devant son bol, et le regarda, les yeux vides. Une guêpe s’était posée sur la religieuse, et se vautrait dans le sucre.
- Bonjour ma fifille à moi.
Sa mère se pencha sur elle et l’embrassa avec amour. Pétra l’entoura de ses bras, et la retint serrée contre elle. La mère se dégagea stupéfaite, et posa sa main sur le front de sa fille.
– Tu n’es pas bien ? Tu as mal quelque part… pourtant tu n’as pas de fièvre… De saisissement, elle s’assit devant Pétra qui la regardait comme quand elle était enfant, et qu’elle avait un gros problème.
– Y’a un truc ? Qu’est ce qui se passe ?
Marianne en était toute chamboulée. Machinalement, elle appuya sur le bouton de la cafetière qui se mit à glouglouter, et crachoter. Elle avait quitté le magasin pour embrasser rapidement sa fille, et elle la trouvait perdue, comme une enfant malheureuse. Contrairement à son habitude Pétra ne la repoussait pas, et la regardait tristement.
– J’ai des cauchemars, je dors mal…Elle enfouit ses mains dans ses cheveux, puis reprit, en essayant un ton détaché. – Justin…tu n’aurais pas envie qu’on l’invite un de ces jours ?
Marianne sourit, puis se pencha encore pour embrasser sa fille, elle profitait de ce moment de grâce, étant mère depuis 17 ans, elle savait que cela ne durerait pas.
– Oui, je l’inviterai avec plaisir, j’avais peur que tu ne l’apprécies pas trop… et, bêtement, elle se mit à rougir. Justin, tout le monde le savait, était l’amoureux transi de Marianne. Pétra regarda sa mère et un beau sourire l’illumina.
– Il est con, mais il est gentil tout de même ! Elle se mit à rire, et sa mère lui envoya une serviette sur la tête, avant de regagner le magasin, où deux clients patientaient en discutant le bout de gras. Une fois sa mère sortie, le visage de Pétra redevint grave et songeur. Elle finit par se lever pour se verser une tasse de café.
– Au moins, je pourrais l’interroger…même s’il est un petit peu con…un petit peu ... Mais elle souriait, elle se sentait mieux.
Alors, comme elle allait mieux, elle se mit à réfléchir à ce qu’elle avait vraiment vu. Elle dût s’avouer, qu’elle n’avait pas vu grand-chose, seulement entendu des pas…mais tout était possible, cela pouvait être les pas de quelqu’un que Dimitri avait invité, n’importe quel ami.
Elle avait eu tord d’avoir peur, elle aurait dû rester et observer. Elle se dit qu’elle y retournerait le soir même. De toute façon, elle ne pouvait pas rester avec ces cauchemars qui l’assaillaient. Il fallait qu’elle les chasse. Et pour les chasser, le meilleur moyen était encore de prendre le taureau par les cornes, d’affronter la réalité.
Dimitri, Stan.
La glace de la salle de bain lui renvoya l’image d’un homme abimé. Son nez avait enflé…et des cernes violets s’étendaient sous ses yeux. Toujours l’effet du coup…il renonça à l’eau de toilette. Il trouvait que le parfum ne collait pas avec ce visage patibulaire. Il resterait nature. Sinistrement nature. Sa conversation avec le gendarme lui avait fait du bien. Stan étant repartit en ville deux jours avant, il décida de l’appeler.
- Je te dérange ? Il faut que je te voie, et qu’on parle.
A seize heures, ils se retrouvèrent à St Jean du Gard, en plein centre ville. Stan était déjà là qui l’attendait. Il avait l’air fatigué, mais quand il l’aperçut il le regarda en face, son accolade fraternelle et sa sollicitude devant les traces de coups que son visage portait, n’étaient pas feintes.
Dimitri s’en sentit tout à fait réconforté.
Il était content que Stan soit venu au rendez-vous ; son ami lui était revenu.
Il faisait déjà chaud, mais une chaleur agréable, des gens flânaient autour d’eux. – Tu as rencontré un escalier, une armoire t’est rentrée dedans, un bus t‘est passé dessus ? Stan rigolait, mais son regard démentait ses paroles.
– Les affreux sont repassés, pas tout à fait les mêmes, la mère de Sonia rêve sûrement d’embaucher des tueurs à gages…
- Tu viens chez moi alors. Tu reprends ta chambre…j’ai fait déjà ton lit depuis longtemps, tu sais…
Ils marchaient en parlant.
– Je ne peux pas céder…je ne veux pas partir de chez moi…il faut que je te raconte quelque chose.
L’appartement de Stan était frais, et gai. Ils s’assirent autour de deux bières que Stan avait luxueusement servies dans deux verres d’une transparence de cristal. Dimitri raconta à son ami les derniers événements.
- Je n’en peux plus… sa mère me harcèle, j’ai eu droit à deux visites brutales, une avec l’oncle, et l’autre avec un gorille… j’ai au moins dix coups de fil par jour…
Il regarda autour de lui, cet appartement qu’il connaissait si bien. Les rideaux verts laissaient passer une lumière fraiche, et l’ambiance était toute dorée. Dans cette ambiance, il arrivait à se détendre, à penser raisonnablement. Stan posa devant eux une coupelle de petites tomates toutes embuées. Brusquement Dimitri s’arrêta de respirer.
– Attend un peu, quand la mère et le gorille sont venus chez moi pour me casser la gueule, la mère est montée à l’étage, et puis elle m’a dit un truc bizarre, elle m’a demandé où était l’argent…l’argent, mais quel argent ?
- Elle t’a parlé d’argent ? Insista Stan. Cela devait être du liquide si elle le cherchait dans les affaires de Sonia pas de trace sur le compte en banque. Alors, il faut tout revoir, sous un autre jour…Sonia a peut-être planifié son départ ?
Stan lui tendit les tomates, et se carra devant lui.
– J’insiste, si tu veux, tu restes ici quelques temps, cette histoire me plait de moins en moins. Ca te changera de l’ambiance du village…
- Peut-être, mais j’aurais l’air de fuir, ça fera encore plus louche…les gens commencent à me regarder vraiment méchamment. Parfois, j’ai peur de sortir. Je veux savoir ce qui s’est passé, je deviens fou. A part Rose et les filles du café, personne ne m’appelle, tout le monde me considère comme un coupable, c’est évident…
Stan détourna les yeux, le reproche lui allait droit au cœur, mais il l’avait mérité. Il fallait qu’il se rachète. Il était maintenant persuadé que Dimitri n’avait pas pu tuer Sonia. Il ne serait pas revenu vers lui s’il avait commis un meurtre, s’il avait dissimulé son corps. Et puis le sac dans le frigidaire…Stan regarda longuement Dimitri.
- Cette histoire d’argent est intéressante, mais je n’arrive pas à comprendre le sac, pourquoi dans le frigidaire ? Tu crois que c’est elle qui l’a mis là ? Tu crois qu’elle est devenue folle ? Ou alors pire encore, qu’elle ait voulu te faire accuser de…? Tu penses qu’elle a pu disparaître volontairement, faire croire qu’elle est morte ? Il se tut.
– Sans corps, comment peut-elle me faire accuser ? Mais c’est une idée, elle disparait, on retrouve son sac dans le frigo, donc, il s’est passé quelque chose d’horrible…et je suis coupable, forcément…il n’y a rien, on peut tout imaginer…
Ils discutèrent encore une heure, et décidèrent de reprendre des recherches tous les deux. Fouiller les recoins autour de la maison, Dimitri se ferait assister par Rose.
- As-tu vraiment épluché en détail son compte en banque ? J’aimerais que tu le refasses, en adoptant le point de vu de la préméditation.
Dimitri se redressa.- La préméditation, ce serait vraiment… Stan regarda bien son ami en face.
– Tu es soupçonné d’avoir « fait disparaitre ta femme », on est d’accord ? Mais on n’a pas pensé une seconde que Sonia ait pu vouloir disparaître d’elle-même.
- Pourquoi ? Dans quel but ? Que recherche-t-elle ?
- A se venger de toi…Stan fixa longuement son ami : - Ce ne serait pas si étonnant que ça…
Il fallait y penser. C’était une façon de voir les choses… Dimitri se secoua. Il se sentait partagé entre deux sentiments, le soulagement d’avoir en perspective une piste sérieuse de recherches, et l’horreur qu’elle lui inspirait.
Justin, Pétra, Marianne.
Justin avait eu le bon goût d’enlever son uniforme. Il était entré par le magasin, et avait proposé immédiatement à Pétra de l’aider. Elle avait souri, tout en devinant que Justin voulait gagner ses bonnes grâces, elle se laissa faire. Après tout, il fallait bien qu’il mérite sa mère, et il allait en avoir l’occasion ce soir. Elle le fit débarrasser la vitrine réfrigérée et mettre de coté les gâteaux, pendant qu’elle la nettoyait. Certaines des pâtisseries seraient encore bonnes le lendemain. Elle fit un petit paquet du reste, et se proposa d’aller les porter au café des deux routes, cela lui arrivait très souvent. Sa mère ne s’y était pas opposée. Elles avaient besoin d’amies, et les gâteaux auraient été jetés sinon. Justin restait très naturel, il n’était pas décontracté, mais ne forçait pas la note. N’essayait pas de jouer copain copain avec elle, et Pétra apprécia cette attitude. Un fois ce test passé avec succès, elle l’introduisit dans la salle à manger, où sa mère avait préparé un apéritif gargantuesque. Marianne s’activait en cuisine, elle s’était dit avec fatalisme qu’il ne servait à rien d’atténuer les chocs entre Justin et sa fille, il fallait qu’ils s’éprouvent l’un l’autre, et advienne que pourra. Elle avait bien fait, car Justin apercevant un appât pour la pêche, demanda timidement s’il avait appartenu à son père.
– Non, répondit Pétra très droite, mon père ne pêchait pas, c’est mon grand-père qui m’a appris…j’aime. Je vais dans la cuvette, tu sais, qui est tout en bas, au fond du petit ravin, en ce moment elle est profonde, et il y a du poisson…
Un grand sourire d’enfant rajeunit Justin immédiatement.
– Mais moi aussi je pêche, par là…c’est la cuvette qui est après le grand trou d’eau, là où le grand châtaignier est tombé cet hiver ?
Quand Marianne surgit de la cuisine, pomponnée mais pas trop, son air anxieux fondit immédiatement quand elle vit Pétra et Justin plongés dans la comparaison très technique des appâts.
– Je t’en apporterai demain, si tu veux…tu sais, je te montrerai comment les monter pour que ce soit plus efficace…
Justin décrivait les appâts avec des mines gourmandes, et sa fille le regardait avec un intérêt qu’elle ne prenait pas la peine de masquer.
Marianne s’assit, et sourit béatement.
– Bon, je vois que vous avez commencé, je prendrais bien un petit pastaga…
Justin, tout naturellement sans y penser, se leva et la servit, tandis que sa fille lui tendait un bol de cacahouètes. Bon, le premier round se passait bien, pensa t’elle, et vive la pêche qui réunit les opposés. Quoiqu’en réfléchissant bien, elle se demanda si tous les deux étaient si dissemblables, au fond.
Quand on passa à table, une douce euphorie régnait.
Pétra avait pris soin de resservir Justin sans restriction, et sa mère, pour une fois se laissait aller. Elle décida d’attendre le dessert pour tirer les vers du nez du gendarme amoureux. Tout en pensant à son plan, elle se sentit un peu mal à l’aise, Justin était vraiment sympathique, elle avait l’impression d’abuser. Elle se rassura en se disant qu’en fait, il ne lui dirait que ce qu’il voudrait bien lui dire. Elle lui fit un grand sourire, et lui passa la brandade de morue qui était un des chefs d’œuvres culinaires de sa mère. Une arme secrète de plus pour le faire fondre…
« « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « « fin du 16 » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » » »
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Suite 15
La mère.
Il était dix neuf heures, quand Dimitri vit la porte d’entrée s’ouvrir. En fait, il ne vit qu’une recrudescence de lumière affluer dans la pièce. Il n’avait pas entendu arriver de voiture. Allongé sur le divan, il se dressa d’un seul coup. Deux formes s’encadraient à contre jour sur le pas de la porte. Personne ne s’était annoncé, et pas un mot n’avait été dit. Il s’avança, ne distinguant toujours pas de qui il s’agissait. Ce fut le visage de la femme qu’il perçut en premier. Deux grands yeux noirs, cernés, dans une face pâle aux traits tirés. La mère de Sonia. Elle s’était vêtue n’importe comment, un vieux tee-shirt, sur un jean déjà trop grand. Elle resta face à lui, sans prononcer un seul mot. Derrière elle, un homme, qu’il reconnut être l’oncle de Sonia. Il était resté assez loin, tête baissée, mais ses yeux ne quittaient pas Dimitri. Il l’évaluait. Depuis une semaine maintenant que la disparition de Sonia était officielle, il avait reçu d’innombrables coups de fils de sa mère. Tout d’abord alarmés mais confiants, puis, au fur et à mesure que l’angoisse montait, suspicieux, agressifs, hystériques. Dimitri comprenait, et se sentait totalement démuni. Il répétait sans cesse les mêmes mots, c’était un cauchemar qui revenait presque tous les jours. Après sa garde à vue, il était devenu Le coupable. Celui qui dissimule, qui manipule, qui fausse, qui déroute, qui trompe… La découverte du sac dans le congélateur avait porté la confusion à son paroxysme.
Cette femme était visiblement exténuée, à bout de chagrin, il savait qu’elle avait tout imaginé. Il ne lui restait plus qu’à lui faire face. Il n’avait rien à lui dire. L’oncle, un homme massif, aux yeux noyés, restait immobile. Dimitri sentait qu’il était partagé ; soutenir la femme vacillante à ses côtés, ou l’agresser, lui, le coupable. Le faire parler à coups de poings et de pieds. Il opta pour la deuxième solution. S’approchant de Dimitri, il le bouscula, et l’envoya sur le divan. Puis, il le reprit par les épaules, et le secoua, sans rien dire, sans parole. Dimitri n’esquivait rien, se laissait aller, les coups, les chocs, le souffle de l’homme, la douleur, c’était comme un orage longtemps craint, longtemps fui, et en même temps longtemps voulu. Il se passait quelque chose. C’était douloureux, violent, mais cela le soulageait. Tombé à terre, il regardait l’oncle, debout, en sueur…La mère qui s’était reculée, laissait faire en gémissant. Les larmes coulaient sur ses joues, s’infiltraient dans des rides toutes neuves, à peine tracées. Elle s’adossa au mur. Il savait qu’elle n’approuvait pas ce que faisait son frère, mais qu’elle s’y sentait contrainte par la nécessité, l’urgence. Personne ne pouvait rien lui dire, ni rien faire, il fallait savoir, il fallait que cette torture cesse.
Pendant sa garde à vue, qui avait duré deux jours, on lui avait posé des questions, toujours les mêmes, c’était une répétition méthodique. Il avait fouillé sa mémoire, sorti, craché, tout ce dont il se souvenait. Il savait qu’il était normal qu’on s’acharne sur lui…puis, on lui avait fait signer ses déclarations, et on l’avait laissé sortir. Il n’avait fait que dire, et redire, ce qu’il savait. Pendant tout ce temps, il avait eu l’espoir que quelque chose se dessinerait, qu’un chemin serait révélé qui conduirait à Sonia. En fait, il apprit, que son parcours depuis la dispute, avait été étudié, passé au crible. Il savait que Mathilde et Apolline avaient apporté leurs témoignages, des précisions, qui avaient confirmé, les chemins de son errance. Il n’y avait aucune preuve tangible. Il n’y avait rien contre lui, hormis le fait qu’il ait blessé Sonia involontairement. Il l’avait dit lui-même, il aurait pu dissimuler les linges ensanglantés, ne pas parler de la dispute…le sac dans le congélateur était une absurdité. Un non sens. Son séjour à la gendarmerie l’avait à la fois marqué comme suspect aux yeux de tous …et en même temps, il savait que ce serait l’unique moyen d’action. Il avait espéré que quelque chose se dénoue, que quelque chose arrive qui permettrait d’aller au-delà du doute. Il fallait qu’il se dégage quelque chose de ces longues journées d’entretien.
L’oncle, debout, regarda sa sœur qui se tenait à un mur. Elle pleurait sans retenue, des sanglots la secouaient de la tête aux pieds. Elle aurait eu besoin qu’on la fasse assoir, qu’on la réconforte. Son visage avait entièrement fondu dans les larmes. L’oncle fouilla dans la poche de son pantalon. Dimitri sut, d’une manière certaine, qu’il allait passer au-delà. Il se redressa brusquement, il ne pouvait pas se laisser cogner dessus pour rien, et son nez se mit à saigner. Le sang, en une seconde inonda son tee-shirt. Encore courbé vers le sol, il regardait fixement cet homme presque vieux, au visage congestionné, aux yeux sans expression, et dont le regard brusquement changea. C’était le sang. Ce sang qui coulait, qui s’élargissait, qui faisait de Dimitri un homme de chair, fragile, capable de mourir…Il y eut un grand silence. L’oncle de Sonia alla vers sa sœur, la prit dans ses bras. Il se dégoûtait. C’était tellement visible qu’il y eut un moment étrange où tout s’arrêta, et où ils s’envisagèrent tous les trois avec honte.
Une voiture freina devant la maison, une portière claqua, et Stan entra dans la pièce. Il avait au bout de son bras un panier plein de provisions, et s’arrêta net sur le seuil. Juste face à lui, Dimitri, ensanglanté le regardait sans comprendre, tandis que la mère de Sonia et son frère, enlacés, tentaient de reprendre leurs esprits. C’était irréel, Stan avec son sac débordant de légumes, de fruits, et d’une baguette de pain qui se dressait vers le plafond. Doucement, Stan posa le sac à terre…déjà, des hématomes apparaissaient sur le visage de Dimitri. L’oncle et la mère observaient Stan, coupables, et impuissants.
La mère, Stan, L’oncle, Dimitri.
Le panier tomba au ralenti, et les tomates roulèrent par terre, mollement.
La mère s’était arrêtée de pleurer, et restait figée. Dimitri finissait de se redresser, le sang coulait toujours de son nez, et Stan se précipita pour chercher de quoi l’étancher. Il monta à la salle de bain, et en redescendit avec une serviette qu’il tendit à Dimitri. L’oncle secouait la tête, il avait lâché la mère de Sonia, les yeux baissés, il regardait ses mains, comme si elles avaient eu une vie propre, et qu’elles avaient agi en dépit de lui-même. Le silence était pesant. L’oncle eut un geste étrange ; il se prit la tête dans les mains, et fit le geste de s’essuyer, comme quelqu’un qui voudrait effacer…Stan se tourna vers lui, et Dimitri l’arrêta. – Laisse…c’est normal.
- Merde, tu trouves normal qu’on te casse la gueule ?
- Tu n’as pas douté de moi ? Dimitri haussa les épaules.
L’oncle se tourna vers lui.
– Excuse moi, je ne voulais pas, je ne sais pas…Mais Stan lui coupa la parole.
– Vous devriez partir, ce serait mieux.
La mère se remit à sangloter, l’oncle à l’entourer de ses bras, et la dirigea lentement vers la voiture.
Dimitri ne quittait pas Stan des yeux. Il n’y avait aucun reproche dans son regard. Ce qu’il venait de vivre avait été si bref, qu’il se demandait encore si c’était vrai. Ce n’étaient que des réactions normales, évidentes, bêtes, tellement prévisibles. Puis, il se mit à sourire.
- Alors te voilà, tu es revenu.
- Que veux tu, je suis con…
Dimitri ne savait pas vraiment si Stan se trouvait con de revenir, ou de l’avoir laissé tomber. Sagement, il ne lui demanda pas d’expliciter.
Discussion avec Dimitri au café des deux routes. Rose, Dimitri.
Quand Rose arriva au bar des deux routes, la salle était pleine. A la terrasse, des touristes fraichement débarqués, buvaient en goutant la tiédeur du soir. Elle entra. La télé grésillait dans le fond, et les moustiques tournaient autour, sans jamais arriver à s’y brûler. Les vieux jouaient aux cartes dans un coin, calmement. Dimitri n’était pas encore arrivé. Mathilde et Apolline discutaient en faisant la liste des courses pour le lendemain. C’était si calme, si normal, que cela l’apaisa. Dimitri lui avait téléphoné dans la journée, pour lui demander si elle connaissait des amis à Sonia que lui, ne connaitrait pas. Mais il n’y en avait pas. Elle avait listé ses contacts, et tous étaient des amis communs, ou bien, des amis de Rose. Une fois assise, elle sentit la fatigue de la journée s’appesantir sur elle. C’était peut-être dû à la quiétude du lieu, mais elle se sentit envahie par une envie de dormir, de se laisser glisser, et de rêvasser. Au lieu de ça, Mathilde arriva pour la saluer, et prendre la commande.
– J’ai rendez-vous avec Dimitri, je vais l’attendre pour décider. Mais Mathilde prit les devants, et lui proposa de lui servir un citron pressé à la menthe pour la requinquer.
– C’est offert par la maison, tu as l’air fatiguée. C’est comment à la ville en ce moment ? Du monde ? Rose hocha la tête. La saison avait commencé, et très vite. Les touristes arrivaient. C’était la période des retraités, qui profitaient des longues journées, et d’une chaleur encore supportable pour visiter la région. Mais Rose changea de sujet, elle n’avait pas envie de s’étendre sur son travail, elle demanda :
- Vous voyez Dimitri tous les jours, comment est-il ? Mathilde réfléchit un instant
– Je ne sais pas, je ne le connais pas assez…je dirais qu’il se pose beaucoup de questions, sur un peu tout le monde. Il est assez perturbé…je vais te chercher ton truc.
Elle s’en alla en la laissant mijoter avec cette phrase. Rose pensa que, perturbé, on le serait à moins. Sa femme disparue, une suspicion qui pèse sur lui de tout son poids, les gens qui l’évitent, le boulot qui s’enfuit en courant…bref, il nageait vraiment dans le conte de fée le plus tendre qui soit. Elle croisa ses bras sur la table, comme une écolière très sage, et se laissa porter par la flemme, la tête un peu dodelinante, les yeux plissés, comme quelqu’un qui aurait bu. A peine quelques instants plus tard, Dimitri lui pressa l’épaule, et prit place en face d’elle en s’efforçant de sourire. Il avait un œil au beurre noir, La lèvre inférieure fendue, et des hématomes sur la figure…
Rose se dressa à demi.
– Mais, qu’est ce que …
- Visite de la mère de Sonia et de son oncle. Visite amicale, comme tu vois. L’interrompit Dimitri.
– Tu vas porter plainte ? Il le faut…
- Non. Je porte pas plainte. Ca va…ça peut arriver, ils avaient peur, la mère est à bout…Rose ouvrit la bouche, mais Dimitri la regarda durement, et elle se tut.
Il avait maigri, et la contemplait d’un air interrogatif.
– Bon, me voilà…tu n’as pas peur d’être vue en ma compagnie ? Rose se dressa.
– Si. J’ai peur de perdre mon boulot, et d’être accusée de complicité de meurtre. Faudra attendre longtemps pour toucher l’héritage et se marier tous les deux ! Tout en parlant, elle se disait que c’était une plaisanterie immonde, mais c’était sorti malgré elle. Dimitri simula un sourire.
– Oui, c’est vraisemblablement ce qu’ils pensent tous en nous voyant .J ‘ai l’impression de vivre un mauvais polar, un truc qui ne peut arriver. Mais Rose reprit :
- C’est un mauvais polar ! Tu bois quoi ? Mathilde a décidé que je prenais un jus de citron à la menthe…Dimitri sourit vraiment.
– Oui, elle a raison, tu en as besoin, moi, je prendrai une bière. Et Il se mit à la regarder, en attendant. Ils n’avaient eu que quelques conversations ensemble, ils n’étaient pas rentrés dans le vif du sujet, ils avaient tourné autour, mais ce soir Dimitri sentait qu’il fallait qu’ils déballent tous les deux, qu’ils fassent une sorte de point. Rose était devenue son « regard extérieur ». Après tout, elle était comme tous ses amis, ou du moins ceux qu’il avait cru être ses amis. Elle était quelqu’un d’extérieur à leur couple. Elle n’était pas non plus très intime avec eux, elle n’avait vécu que quelques soirées dans leur espace, et c’est ça, justement qui la rendait plus juste. Ce soir, elle s’était habillée de rose, et il pensa que c’était normal, Rose s’habille en rose. Il eut un sourire intérieur pour cette pensée. Rose lui faisait du bien. Elle était là, et tout semblait normal, paisible, calme. Elle le reposait. Il aimait la regarder. Rose attendit que la bière fût posée sur la table avant de démarrer.
– Ecoute, il faut que tu me racontes tout, depuis le sac…je n’arrive pas à comprendre à partir de là. Elle croisa de nouveau les bras, et regarda Dimitri bien en face. Elle se tenait droite, mais n’était pas rigide, ses yeux étaient un peu cernés, mais le regard était clair et vif, et surtout, il sentit qu’elle ne doutait pas de lui. Il lisait sur son visage qu’elle savait qu’il était innocent. Il ne put s’empêcher de demander :
- Pourquoi es tu si sûr de moi ? Il fit le geste de prendre une cigarette, et comme ils étaient à l’intérieur, se ravisa. Mon meilleur ami n’est pas comme toi, il doute lui, enfin, il a douté. Rose écarta le propos d’un geste.
– Je ne suis pas ton meilleur ami. Mais je n’arrive pas à te voir dissimuler un cadavre. Je pense qu’il est beaucoup plus simple, quand c’est un accident, de dire la vérité…Mais Dimitri l’arrêta.
– Non, pas forcement, on peut avoir très peur de cet accident, et faire n’importe quoi…Elle le coupa.
– Comme de mettre le sac dans le frigo ? Tu te moques de moi ? Il eut un regard inexpressif.
– Tu n’as que ce que j’ai dit, et si tout était faux ? Admettons que je l’ai tuée le soir, dans la nuit ? J’aurais été saoul…j’aurais eu le temps…Il se prit la tête dans les mains. Qui te dit que ce que je raconte est réel ? Pourquoi me fais tu confiance ? C’est l’amour ? Tu es amoureuse de moi ?
Rose rougit violemment, et baissa les yeux. Tout ce qu’il avait dit était vrai. Elle ne pouvait être sûre de rien, et elle était amoureuse de lui, et depuis le début. Immédiatement. Seulement, elle ne se l’était avoué que depuis peu, et avait encore du mal à accepter cette idée.
– Oui, je suis sûrement, peut-être, amoureuse de toi, je ne sais pas vraiment comment appeler ça…ça ressemble à ce qu’on éprouve quand on aime quelqu’un. Je ne sais pas si je te fais confiance, ou si c’est ce sentiment qui commande…à cause de ça, je me sens obligée de t’aider.
Il semblait à Rose que tout allait prendre fin maintenant. Elle se sentait humiliée qu’il ait vu si clair en elle. Elle se méprisait de ne pas avoir réussi à cacher ce qu’elle ressentait. Maintenant, il lui faudrait vider les lieux au plus vite…Elle sentit une main qui se posait sur la sienne. Il la regardait conscient de l’avoir blessée.
– Je suis désolé. Je deviens très con…ou plutôt non, je continue à être con, sûrement. Je me sens tellement mal…je t’ai dit n’importe quoi.
Etrangement Rose fut déçue. Il ne prenait pas au sérieux ce qu’elle venait de lui dire, il pensait qu’elle s’était dérobée, ou alors non, trop délicatement, il lui faisait la grâce de faire semblant de ne pas prendre au sérieux sa déclaration. C’était aussi très humiliant. Elle soupira en fixant son citron pressé. Maintenant, elle le détestait autant qu’elle se détestait elle. Elle décida de l’affronter du regard, mais il avait les yeux baissés. Il regardait sa main sur celle de Rose, sans l’enlever. Avec deux doigts, il lui caressait le poignet, comme si c’était un objet délicat, un joli morceau de bois poli, doux, et un peu chaud. Comme si c’était la main d’un enfant perdu. Elle en fut agacée, mais n’osa pas la retirer. Pourtant, il sentit qu’elle se raidissait, la regardant rapidement et avec un sourire d’excuse, lâcha son poignet, et saisit son verre de bière des deux mains. Pour dissiper la gêne, et se venger de lui, elle attaqua.
– Pourquoi veux-tu absolument que tes amis doutent de toi ? Ca te plait de passer pour un type moche et glauque ? Dimitri pensa immédiatement qu’il n’avait pas volé ce qu’elle venait de lui envoyer.
– T’as raison, je fais dans le style geignard en ce moment…je perds la mesure. Au fait Stan est revenu…Il sourit vraiment pour la première fois. Ca m’a fait du bien…un bien fou. Rose soupira de contentement. Mais ne lâcha pas son idée.
- Raconte-moi, quand vous avez trouvé le sac, que s’est-il passé ? Dimitri la regarda, se leva et lui montra la petite cour derrière le bar ; - Viens, j’ai besoin d’une clope.
Quand il eut allumé sa cigarette, et tiré quelques bouffées, il soupira.
– J’ai entendu Stan qui criait, et je suis descendu. Il y avait le sac par terre, devant lui. Je n’ai pas compris ce que c’était, tu sais c’était couvert de glace. Il me regardait, il avait vraiment peur. C’était comme si j’étais un tueur plein de sang, je le voyais sur son visage. En même temps, je regardais le truc par terre, et je ne comprenais pas. C’était si absurde. C’était affreux, comme une dépouille. C’est vrai que ce sac ressemblait à un cadavre, une chose moche, coulante, glissante, avec ses franges raides, couvertes de gel. J’étais sonné. Il m’a convaincu d’appeler les flics. C’est ce qu’on a fait. Je te passe les moments où on est restés tous les deux, à rien se dire. Je pouvais décrypter ce qu’il pensait, et son combat. J’avais l’impression d’être à la fois, protégé, et aussi prisonnier, otage, enfin, tout se mélangeait. Mais surtout, c’était absurde…comme un mauvais rêve ! Le pire, c’est que c’est devenu une espèce de pièce à conviction, tu vois, un truc de scène du crime. Nous, on a touché à rien, ça dégoûtait sur le sol, Stan ne voulait même pas qu’on y pose les mains. Il me disait qu’il y aurait sûrement des empreintes, des indices, qu’il ne fallait pas…enfin, les gendarmes sont venus, et c’est là que tout a vraiment commencé. Les recherches, les fouilles, l’enquête, bref, j’étais devenu suspect…mais étrangement, pas tellement aux yeux des flics. C’est surtout…il s’arrêta, Rose le regarda, et acheva pour lui.
– Oui, les amis…tu sais, on n’arrête pas d’en parler. Ne te fais pas d’idées fausses, tout le monde est très troublé. iIs ne savent pas comment réagir…Dimitri sourit :
- En gros, ils ont peur de moi. Elle acquiesça.
– Oui, c’est vrai, ils ont peur…on ne la retrouve pas, Sonia. Il n’y a pas de corps, on n'a que ta parole, l’attitude de Stan n’a rien arrangé. Il en parle peut-être, pas... pas devant moi, et personne ne m’a rien dit de ce qu’il pense…mais le fait qu’il n’ait rien dit, qu’il n’ait pas pris ta défense, qu’il…Elle était gênée. Dimitri haussa les épaules, blessé quand même.
– Moi je sais ce qu’il pense, il est comme tout le monde, il ne sait pas, il ne me croit, et il ne me croit pas, et il a peur. Peur ce que j’ai fait, et peur de ce qu’il m’imagine avoir fait…Rose le secoua d’un regard.
– Bon, reprenons depuis le début : alors, finalement, le portable était éteint, est-ce qu’il y avait quoique ce soit d’étrange dedans ? Dimitri avala une longue gorgée de bière.
– Non, des photos de notre soirée, des numéros connus, facilement identifiables, rien de bizarre… Il écrasa sa cigarette, et cacha le mégot sous un pot de fleur.
– Ben voilà qui en dit long ! Rose se baissa, ramassa le mégot, et le déposa soigneusement dans la poubelle en face. Elle se retourna vers lui.
– Franchement, tout le monde peut facilement retrouver ton mégot…la poubelle est plus sûre. Dimitri essaya un sourire pas très réussi, et ils rentrèrent dans le café. Ils avaient l’impression de jouer une comédie, elle se voulait rassurante, et lui, faisait semblant de ne pas être trop accablé. Mais tous les deux se sentaient dépassés. Rose était trop troublée pour avoir les idées claires, et Dimitri était trop fatigué pour pouvoir faire des efforts de délicatesse. Ils étaient mécontents d’eux mêmes. Ils essayaient en vain de se mettre à l’unisson, mais tout était discordant. Rose tenta encore une chose :
- Ou Sonia aurait bien pu aller sans que tu le saches ? Dimitri soupira.
– Justement, je ne sais pas, j’ai fait le tour de toutes les possibilités, tu le sais bien. Et d’ailleurs, pourquoi serait-elle partie aussi longtemps ? Elle n’avait pas peur de moi, crois moi, elle était très en colère, elle était furieuse…Il haussa les épaules. Je suis fatigué de répéter les mêmes choses dans le même ordre. On n’avance à rien. D’un geste rapide, il mit de l’argent sur la table, et quitta le café. Rose le regarda partir, très frustrée. Puis, sans avoir voulu vraiment le faire, elle se leva, et courut le rejoindre. Elle se mit à marcher à son côté.
– Bon, voilà, c’est la première fois que je quitte un café sans payer…elle était un peu essoufflée…alors tu ne peux pas partir comme ça. Il faut qu’on parle d’elle…tu comprends ? Il s’était retourné d’un bloc en la sentant à ses côtés, et la regardait, surpris, et aussi, heureux. Il ne savait pas pourquoi, mais le fait qu’elle l’ait rejoint, qu’elle insiste, qu’elle s’accroche, lui faisait du bien.
– Excuse moi…moi non plus, je n’ai jamais été aussi…impoli…je suis con. Tu me plais. Il fit tout pour éviter son regard. Tout s’embrouillait, il mélangeait tout. Confus.
– Je suis bien avec toi, mais je me sens tellement coupable, tellement sale, et toi, t’es si rose…c’est con ce que je dis. Il avait la tête baissée, mais elle se rendit compte qu’il était en train de craquer devant elle. Qu’il n’en pouvait plus, et que le masque tombait, ou plutôt fondait, se craquelait. Etrangement, elle pensa aux masques faciaux de Mathilde, et elle eut envie de rire. Elle se retint difficilement.
– Dimitri…elle le prit par le bras…Dimitri. J’ai envie de te raconter quelque chose de drôle, mais il faut que tu le mérites…pour ça, tu vas venir avec moi, on va se rassoir au café, dans l’arrière cour…ok ? Il avait la tête baissée, et il la releva, l’air interrogatif, et surpris, un peu bête aussi, ce qui fit sourire Rose. Un bon sourire gentil qui dissipa tout de suite le malaise. Ils prirent leurs verres que Mathilde n’avait pas eu le temps de ramasser, et s’installèrent dans l’arrière cour. Une poule gloussa.
– Tiens, je ne savais pas qu’elles avaient des poules ? Dimitri regardait partout pour voir d’où venait le gloussement, mais c’est Apolline qui surgit.
– C’est moi qui glousse, je vous ressers quelque chose, Pour faire passer les clopes ? Rose éclata de rire, et demanda deux autres bières. Apolline alla les chercher en criant :
- Tu vois Mathilde, je te disais bien que c’était pas du genre à faire un « café basket » !
- C’est quoi un « café basket » ? Demanda Rose. Dimitri répondit en souriant :
- C’est quand on part en courant, sans payer, en général, pour ça, faut courir vite, faut donc mettre des baskets. Et il embraya d’un coup, sans attendre que le sourire de Rose s’éclipse.
– Sonia, je ne sais pas comment te dire…elle n’est pas du tout comme on croit. Elle donne l’impression d’être sûre d’elle, mais en fait, elle n’est rien, elle est perdue…j’ai mis longtemps à le comprendre. Rien de ce qu’elle fait n’est facile pour elle. Elle doute tout le temps. C’est pour ça qu’elle est agressive. Elle ne fait jamais confiance à personne, toujours à douter, à se poser des questions. Toujours à vouloir se prouver qu’on l’aime…Dimitri s’arrêta et regarda Rose.
– Au début, je ne comprenais rien, je la trouvais superbe, belle, intelligente, elle savait tout…enfin, j’avais l’impression que tout était simple, qu’elle avait vu plein de choses. Et c’est vrai….elle connait plein de choses. Elle a un goût extraordinaire, tu sais, ça étonne, les gens sont surpris, et ils adorent ça. Quand j’ai fini les plans d’un appart, elle me suggère souvent des idées, des vues, des recoins, des replis qui donnent un charme fou…mais elle est invivable. Tu n’étais pas là samedi, à la soirée qu’on a donnée chez nous, mais elle est allée au-delà de ce que je pouvais supporter. Vraiment trop loin, avec un sale petit con. C’est à ce moment là, peut-être que j’aurais pu la tuer, tu vois, juste là. A la place, j’ai dragué une espèce de nana que je connaissais à peine, pour donner le change. Et plus je me collais à cette nana, et moins elle comprenait, et elle continuait son jeu. Il avala trois grosses gorgées de bière, en regardant dans le vague. Apolline avait apporté une bougie, car il n’y avait pas de lumière dans l’arrière court. Des moustiques, et des papillons tournaient autour de la flamme, mais Dimitri, ne les apercevait pas. Il était en lui. Rose attendait qu’il poursuive son récit, elle n’osait rien dire, elle sentait qu’il avait besoin de raconter ces moments là. De les lui dire à elle en particulier. Mais le silence se prolongeait, et elle osa enfin exprimer ce qu’elle avait sur le cœur.
– J’avoue que je ne te comprends pas, elle hésita, pourquoi as-tu fait comme elle ? Pourquoi ? Ca ne pouvait pas avoir d’autre effet que celui que ça a eu…tu t’en rends compte ? Dimitri lui fit face.
– Oui, je sais. Mais j’en ai assez de passer pour le couillon de service ! A chaque soirée, il lui faut un mec…à chaque fois…c’est plus qu’humiliant. Je lui en ai parlé des tas de fois, elle m’a dit qu’elle n’allait jamais loin, elle rigole, elle me dit que je devrais être fière d’avoir une femme qui plait…tu te rends compte de la connerie de ce qu’elle dit. C’est pas ça qui me plait ! C’est pas ça ! Tu sais j’aimerais tellement être tranquille…bon, là je vais passer pour un vieux crétin. Mais je n’en peux plus…et d’ailleurs, c’est moi qui ai dépassé les limites. J’ai raccompagné la fille chez elle, et puis, je suis rentré très tard.
– Enfin, bref, tu as couché avec elle. Dimitri la regarda droit dans les yeux.
– Oui, et j’ai déchaîné l’enfer…voilà. Rose et lui, burent quelques gorgées pour se donner une contenance. Rose avait honte pour lui, et il le sentait. C’était un peu comme s’il avait gâché quelque chose entre eux. Mais elle releva la tête :
- Une vengeance. Il ne répondit rien. Il avait la certitude que tout ce qu’il pourrait rajouter ne ferait que l’enfoncer à ses yeux. Brusquement, il s’aperçut que vraiment, il ne tenait pas à passer pour un salop, et ce n’était pas uniquement parce qu’elle était la seule à rester auprès de lui pour l’aider. Il percevait maintenant le parfum de Rose, sa chaleur. Il avait envie qu’elle parle de nouveau, mais elle restait calme, à regarder la flamme, et les insectes crépitant autour. Les bruits de la grande salle arrivaient à eux, assourdis et rassurants. La nuit s’allongeait dans les étoiles à l’infini. Rose se remit à parler.
- En fait, je n’ai pas l’habitude de boire…et puis, ce soir, je suis un peu fatiguée, à côté de la plaque…Tout en parlant, elle essayait de désengluer un papillon de nuit, pris dans la cire de la bougie. Il sourit dans le noir. Il ne pouvait qu’à peine deviner les traits de son visage. Rose redressa la tête, et reprit vivement.
– Moi aussi ! Je suis très orgueilleuse…ça ne se voit pas trop mais…j’aurais peut-être fait comme toi.
Dimitri regarda Rose attentivement. Ses cheveux emmêlés comme un nid d’oiseaux brouillons, qu’elle avait entortillés autour d’une barrette, sa bouche toujours gercée, ses yeux qui luisaient. Il devinait tout ça à la lueur de la bougie, avec des replis d’ombres qui se jetaient sur sa figure, et des reflets lumineux qui tremblaient sur ses gestes. Elle était comme un fruit odorant au bout d’une branche. Une poire blonde à portée de main, dont on peut anticiper le goût rien qu’à en sentir le parfum. Cette chair fruitée, ses cheveux de maquis, ses gestes précis, lui redonnaient confiance en lui.
Il se sentait bien.
Il n’y avait qu’à se taire.
Attendre.
Pétra et l’ombre
Tapie dans l’ombre, blottie dans un creux, non loin de la maison des Wairter, Pétra attendait. Elle s’était vêtue de noir, et comme elle n’avait pas de baskets sombres, elle les avait peintes en noir, avec un vieux reste de peinture, qui avait servi à l’embellissement des chaises de jardin. La voiture de Dimitri était là, la maison était allumée, tout allait bien. Il lui fallut patienter une heure avant de le voir sortir. La nuit était bien tombée, elle ne vit que sa silhouette, et fut surprise de ce qu’il laissât la lumière allumée. Cela allait compliquer sa tâche…ou peut-être pas. Son but était de pénétrer dans la maison, et d’aller fouiller, pour retrouver l’autre boucle d’oreille. Elle s’était fixé cet objectif sans aller au-delà. Avec la certitude qu’elle trouverait l’autre boucle, et que cela prouverait quelque chose. Elle attendit cinq minutes encore pour être sûre qu’il ne reviendrait pas, et doucement, sortit de sa cachette. Il lui était difficile de marcher sans bruit, mais comme il n’y avait personne, elle se dit que ce n’était pas trop grave. Elle s’approcha de la fenêtre et regarda à l’intérieur. Tout semblait calme et désert. Elle pensa qu’il n’aurait pas dû laisser la fenêtre ouverte avec la lumière allumée, cela attirerait les moustiques. Comme elle tentait d’ouvrir la porte, elle fut surprise qu’elle ne soit pas fermée à clé. Elle entra doucement. L’oreille aux aguets. Toute crispée, elle respirait à peine. La cuisine était bien rangée, et la grande salle semblait elle aussi en ordre. Il fallait qu’elle monte à l’étage en traversant la salle. Comme elle passait devant le divan, elle vit une serviette pleine de sang roulée en boule. Elle poussa un petit cri de chat étranglé, et son cœur fit un saut périlleux pour se retrouver dans ses talons, et remonter dans sa gorge. Elle vacilla un peu. Elle entendit des couinements et comprit que c’étaient d’elle que venaient ces bruits. Elle plaqua ses mains sur sa bouche, et tenta de rester debout. Elle allait trouver le cadavre, elle en était sûre ! Alors, en haut, à l’étage, elle perçut un bruit de pas. Des pas lourds. Sans rien comprendre, elle s’enfuit à toutes jambes, franchit en courant le jardin, sauta par-dessus la haie d’épineux, se mit à courir comme une folle dans la colline. Elle ne voyait rien, du moins, elle distinguait à peine le chemin…elle sautait, les bras comme des ailes tendues. Elle allait tout droit, dans la descente, vers le village tout près, le village dont les lumières rassurantes la sauveraient…c’était sûr, elle avait quelqu’un derrière elle, elle entendait une course, un souffle, du bruit quoi…
Puis, plus rien. Elle était dans la grande rue. Un chat s’enfuit devant elle en miaulant. Un vieux assis dans la nuit fumait silencieusement au frais, il la regarda passer en courant, et ricana. Elle vit enfin le Café des deux routes, puis la boulangerie. Elle était essoufflée, hors d’elle. Elle avait l’impression que tout son corps la brûlait. Bêtement, elle se mit à pleurer. De gros hoquets la secouaient. Elle se traitait de lâche, de peureuse, mais petit à petit, elle se reprit. Elle ne se comprenait plus. Elle aurait dû se douter qu’il y avait quelqu’un, avec toutes ces lumières allumées. Elle s’était aveuglée. Elle aurait dû attendre, et voir qui était dans la maison…elle aurait su. C’était trop tard. Mais, il y avait toujours le sang…les tissus tout rouge qu’elle avait aperçus sur le divan…Elle était toujours dehors, la lune était absente, mais il y avait un lampadaire qui éclairait autour d’elle. Des fenêtres étaient allumées, et le bruit des télés lui parvenait. Elle se dirigea vers le Café des deux routes. Elle voulait parler à quelqu’un, raconter ce qu’elle avait vu. Se faire expliquer, se faire rassurer…pour tout dire, se faire un peu chouchouter par Mathilde et Apolline. Avec la marche elle s’apaisa progressivement, son souffle se calma, malgré la peur qu’elle ressentait encore fortement. Qui avait saigné? Que s’était-il passé dans cette maison ? Est-ce que Dimitri retenait Sonia prisonnière et la torturait ? Des idées complètement folles lui parvenaient par vague, elle n’arrivait pas à réfléchir. Elle fut bientôt face au café, et à ses lumières paisibles et chaudes. Les moustiques, et les papillons de nuit grésillaient autour des ampoules, dehors. Cela faisait comme de toutes petites danses miniatures, toutes en lumières infimes, de touts petits sillons lumineux. Rassurée, elle pénétra dans le café. Mathilde souriante, mais surprise vint à elle.
– Pétra ? Qu’est-ce que tu fais à cette heure, ici ? T’es pas collée à ton ordi ?
Mais elle changea de ton en voyant le visage tiré de la jeune fille, la main de Pétra se posa sur son bras.
– Je peux te parler ? Mathilde la fit asseoir.
– Attends, je vais te donner un jus de fruit…tu n’as pas l’air bien…Mais Pétra l’interrompit.
– Non…j’ai besoin de parler…Elle s’arrêta pile, juste à temps. Dimitri était revenu de la petite cour où il était allé fumer. La vue de ce visage abimé, lèvre fendu, œil clos et bleu, lui ferma la bouche. Il était évident qu’elle ne pouvait pas se confier à Mathilde, elle ne savait ni comment, ni pourquoi, mais ils étaient devenus amis. S’ils étaient amis, elle ferait bien de ne rien dire. Elle baissa la tête. – Excuse-moi Mathilde, je crois que je vais rentrer.
Elle se leva toute raide, marcha droit vers la sortie, et remonta vers la boulangerie d’une démarche étrange. Mathilde resta la bouche ouverte, elle n’avait pas prononcé un seul mot, la jeune fille avait été trop rapide. Pendant quelques secondes, Elle eut l’envie de la rattraper, mais abandonna bien vite cette idée. Avec les adolescents, on ne sait jamais si on fait bien ou mal. Elle se donna une grande claque sur le bras, et loupa de peu le moustique, qui la nargua d’un vol léger et indifférent.
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Suite 14
Pétra, son idée.
Toute la journée à la boulangerie. Elle n’avait pas arrêté une seconde. Elle se demandait comment c’était possible, que dans un si petit village il y eut tant de passage. Mais elle savait bien qu’ils étaient les seuls dans les environs à faire le pain, qu’il était bon, et qu’en plus, c’était le lieu d’échange des derniers potins. Les gens devaient s’y sentir en sécurité, lovés dans cette odeur de pain chaud.
Il y avait bien encore l’épicerie, où l’on trouvait de tout. Quincaillerie, mercerie, confection, légumes frais, en boîtes, parfumerie, bricolage, le tout, tenu par « La belle épicière ». Toujours maquillée et vêtue avec recherche. Une recherche très personnelle, qui n’avait pas son pareil aux alentours. La belle épicière était consciente de son charme, de sa classe, et tenait son rang avec fermeté, et conviction. Il y avait tant à voir, que paradoxalement, on y avait sûrement moins le temps d’y parler, de s’y répandre. A la boulangerie, ce n’était pas pareil, on y choisissait un gâteau ou plusieurs, du pain, on se remplissait les yeux de sucreries. Quand il n’y avait pas grand monde, on y était comme chez soi, et on mettait fin à regret à la conversation.
Pétra avait mal aux jambes. Il avait fait une chaleur épouvantable, et il n’était pas question d’enlever son tablier blanc. Il était le garant visuel d’une hygiène qui se voulait constante. Le vieux Jean avait pris l’avant dernier pain. Sam, le chien, l’avait accompagné jusqu’à la porte, et l’avait attendu sur le seuil, en veillant sur les pas chancelants de son maître. Les yeux attentifs, et la langue sortie, il avait soif. Pétra avait donc emballé le pain, et était allée donner une gamelle d’eau au chien. Celui-ci l’avait regardée, reconnaissant et frétillant et avait commencé à laper. Puis, elle s’était baissée, et l’avait caressé. Ce chien faisait partie d’une portée qui était née à la boulangerie. Le vieux Jean balbutiait debout en les regardant. Sans être à jeun, il était encore vaillant. Elle lui sourit. Elle constata qu’il avait maigri, et décida de lui offrir une tablette de chocolat. Elle fit l’aller et retour rapidement, et glissa la friandise avec le pain. Le vieux Jean haussa les sourcils, mais Pétra arrêta les reproches naissants : - C’est pas pour toi, c’est pour Sam…Le vieux Jean grommela, il n’était pas dupe, mais l’honneur était sauf.
Elle dénoua son tablier blanc, le plia et le posa sur la chaise dans le couloir. Il allait passer au lavage. Elle avait soif elle aussi. Le soir s’annonçait en bleuissant le ciel un peu plus, et des odeurs de fleurs flottaient légèrement. Il n’y avait plus qu’un seul pain sur les rayonnages, et sa mère commençait déjà à faire les comptes. Elle monta à sa chambre en trainant un peu les pieds, et choisit un short, et un tee-shirt propres. En passant devant sa petite commode, elle aperçut la boucle d’oreille en or qui brillait doucement. Elle ne l’avait plus remise depuis le jour où Dimitri Wairter lui en avait demandé la provenance
« Où avez- vous acheté ses boucles ? »
Elle l’avait regardé la bouche ouverte, comme si elle était coupable de quelque chose. Il avait un regard étonné, un peu déconcerté. Il fixait toujours la boucle d’or. Elle avait eu peur. – Mais je l’ai pêchée…Et comprenant que c’était idiot de dire ça comme ça, elle lui expliqua : - Je l’ai pêchée, vous étiez là-bas quand elle s’est prise dans mon fil…y’avait un nœud… Il la regardait toujours sans comprendre, il attendait, semblait chercher dans ses souvenirs. Puis, d’un coup tout lui revint. – Ah…je me rappelle…c’est drôle quand même. Il la remercia sèchement, hésita, puis sortit sans un mot de plus.
Depuis, elle avait beaucoup repensé à cet instant, surtout quand elle avait appris qu’il avait été en garde à vue. Aux yeux de tout le village, il était coupable, cela ne faisait aucun doute. Elle avait enfermé la boucle d’oreille dans son coffre à bijoux, qui était aussi l’endroit où elle rangeait ses appâts pour la pêche. Elle avait aussi peu de bijoux qu’elle n’avait d’appâts, mais tout ça brillait au fond de la petite boîte en bois, c’était joli. Et c’est parce que la sueur collait ses cheveux sur son front, et dans son cou, qu’elle eut brusquement l’envie de se plonger dans l’eau. Pas prendre une douche, mais s’immerger, se laisser flotter doucement entre l’eau et le ciel. Il ne fallait pas perdre un instant, car même si les jours avaient rallongé, le soir tombait vite entre les collines.
Elle enfila rapidement son maillot, courut à travers le village, descendit la colline, et arriva au creux bleu, où l’on pouvait se baigner. Le coin était connu, mais difficile d’accès. Il n’y avait personne en semaine, et c’était le cas ce soir. Elle rentra rapidement dans l’eau malgré la fraîcheur dense qui enserrait ses muscles, et se laissa aller dans l’eau caracolant…il fallait absolument en profiter avant que la chaleur, jour après jour, réduise le flot à des méandres mélancoliques et mous. Alors, sans bien savoir pourquoi, elle se mit à explorer le fond. Par chance, ou plutôt par reflexe, avec son maillot, elle avait pris son masque. L’eau très claire, se laisser aller à dévoiler ses pierres, ses poissons, et jouait à renvoyer les derniers éclats de soleil. Elle savait qu’elle voulait trouver la deuxième boucle. Elle le voulait absolument, et si ce n’était pas le bijou, elle espérait trouver quelque chose. Une trace. Une trace de cette femme disparue. Un indice. Quelque chose qui la mette sur la voie. Après tout, Dimitri Wairter lui avait demandé où elle avait trouvé cette boucle…et puis il était parti… lui laissant une étrange impression, qu’elle avait fini par analyser. Normalement, il aurait dû dire autre chose, par exemple : « Ma petite sœur a la même…. » ou « Ma…femme a…avait la même… » ou « j’aimerais bien acheter la même pour…pour qui ? » Hein pour qui se répéta-t-elle en nageant…pour qui ? Il ne pouvait pas dire ça. Peu à peu, elle se convainquit qu’elle possédait un indice. Quelque chose d’important. Les flics, c’est sûr, gâcheraient tout, c’est bien connu. Il fallait qu’elle mène son enquête. Elle refit surface en claquant des dents. Elle avait vraiment froid maintenant. Elle remonta sur la berge en grelottant. Si elle avait pris son masque, en revanche, elle avait oublié sa serviette. La seule solution, c’était de remonter le plus vite possible au village. La course la réchaufferait. Puisqu’elle n’avait rien glaner ce soir, il fallait qu’elle revienne et s’acharne…elle avait été idiote de penser qu’elle tomberait sur une trace quelconque aussi vite. Elle monta le chemin en un temps recors, pleine d’entrain, très gaie. Enfin, elle allait s’amuser ! Enfin, l’ennui se dissiperait ! Pour que ce soit le plus exaltant possible, il fallait qu’elle garde le secret. Elle avait déjà fait l’expérience décevante de partager un secret avec une amie, et de le voir divulgué à peine quelques minutes après, cela lui avait servi de leçon…elle ne dirait rien. En entrant à la boulangerie, elle embrassa sa mère fougueusement, et proposa de mettre la table. La pauvre femme dû s’assoir brusquement, les jambes coupées.
Mathilde Apolline réfléchissent au « crime ».
Mathilde au soleil, les jambes bien coincées sur les barreaux de sa chaise préférée regardait le jour très rouge qui s’éteignait doucement dans la fontaine. Il n’y avait pas le jet d’eau glougloutant à cause des restrictions d’eau, mais seulement la surface teintée de rose, un timide miroir du ciel. Et tout là haut, des hirondelles perçaient l’air de leurs petits cris aigus. Devant elle, un très grand verre d’eau avec quelques glaçons mélancoliques qui fondaient doucement. C’était l’heure du soir où la plupart des gens mangeaient chez eux devant leurs postes de télé dont les sons venaient s’éteindre sur la place. Mathilde regardait son verre. Une punition ce verre d’eau. Pourtant Marcus avait été formel ; boire c’est bon pour ce qu’elle avait. Il lui avait expliqué pourquoi en détail, longuement, sous le regard méfiant d’Apolline, mais elle avait tout oublié. Elle le buvait quand même, parce qu’elle avait encore un peu mal. Les glaçons teintaient gentiment, et elle aimait bien ce bruit. Sa copine lui parlait, mais de trop loin pour qu’elle comprenne ce qu’elle disait. Ce n’était pas très important, elle était fatiguée. Elle aurait voulu aller se coucher maintenant, et dormir dans la couleur de cette soirée, la fenêtre grande ouverte pour capter encore les dernières teintes roses ; mais elle savait que les clients reviendraient après manger, et prendraient un petit quelque chose avant d’aller dormir. Certains feraient une partie de cartes, les plus vieux. Puis, enfin, vers onze heures, elles boucleraient tout. Elle soupira. Et désira ardemment une cigarette. Naïvement elle espéra un miracle qui ne vint pas, personne, aucun fumeur de connaissance ne passa sur la place, et son envie se fit plus forte. - Appo ! Silence. – Appo !! Au moment où elle se levait Apolline arriva avec une cigarette, elle l’alluma et la lui tendit, tandis qu’elle en prenait une autre pour elle dans le paquet. – Des Camel !!! Un paquet de Camel ! ? On n’avait pas dit qu’on arrêtait ? Apolline haussa les épaules. – Il Faut un début à tout, et le commencement aussi… Ses yeux dérivèrent. Mathilde sourit, et aspira la fumée miraculeuse. Elle laissa passer la détente délicieuse, et le petit vertige de la première bouffée. – Je réfléchissais à cette histoire…Tu sais ? Apolline opina. – Je disais, enfin je ne disais rien, mais je me disais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas… Son regard se posa sur le visage attentif, mais un peu vague de son amie. – Oui ? Elle n’était pas vraiment à l’écoute, elle avait pris son regard de « clientèle ». Mathilde se pencha vers elle. – Je me disais que ce mec, si antipathique, n’était pas si antipathique que ça…au début, je ne l’aimais vraiment pas… - Tu parles de Marcus ? demanda ironiquement Apolline. Son regard était moins flou, avec un rien d’aigre. – Non, Mathilde haussa les épaules agacée, je parle de l’homme qui aurait tué sa femme… . – Aurait ??? Mathilde s’immobilisa. - Oui, j’ai dit “aurait”…je suis désolée, mais je crois qu’il n’est pas coupable. Pourtant, je ne l’aimais pas, je lui trouvais un air de petit vachard, tu sais, le genre…. – Oui, je vois…il est très beau, très attirant, désinvolte, l’air de ne pas savoir ce qu’il est…ce sont les pires !! Et Apolline soupira. – Et alors, qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? Elle ne jouait pas la comédie du détachement, elle était déjà jalouse et le montrait. Son visage était tout crispé sous le hérisson de ses cheveux blonds, elle ne laissait aucun doute sur ce qu’elle pensait, et c’était ça que Mathilde appréciait le plus chez elle. Elle la regarda posément. – Sa beauté ne m’apparaissait pas, je le trouvais pénible…mais j’ai bien réfléchi, le jour du « meurtre », il était là, à cette table, sous le soleil, je ne peux pas croire qu’il ait pu boire un café comme ça, si normalement. Il avait l’air sale, fatigué, pas détendu, mais pas accablé, soucieux je dirais…. Apolline la scruta ; - tu viens justement de décrire avec précision quelqu’un qui aurait pu commettre un crime. Je ne te comprends pas. Ce que tu décris l’enfonce au contraire. – Oui, ça l’enfonce. Mais réfléchis, il vient de la tuer, de la cacher, de …et il vient ici ? L’air tourmenté, fatigué, et sale ? Moi, au contraire, je me lave, j’ai l’air jovial…si je veux un alibi. Apolline se leva brusquement :
- Il n’est peut-être pas aussi bon comédien que toi !
Regard cinglant, taille dressée, menton vers l’avant prête à invectiver la fontaine sans jet d’eau
. – Bouhhh gémit Mathilde, hou…je veux pas de ça aujourd’hui, pas de conflit, trop fatiguée, mal au dos, et puis tu sais bien que je t’aime…qu’est ce que tu fais comme un petit roquet dressée sur tes papattes ? Crotte !! J’aimerais bien pouvoir parler de cette affaire avec toi, avec qui je peux le faire d’autre ? Je vais pas dire à tous les clients que le type que j’ai servi dix fois dans ma vie ne me semble pas coupable…je veux pouvoir te le dire à toi, à personne d’autre ! Mathilde était en colère. Elle avait voulu une soirée calme, de détente classique, et voilà qu’elle se trouvait face à une agressivité qu’elle ne pouvait supporter. Apolline vint s’assoir près d’elle. C’est vrai que Mathilde avait l’air fatigué, des cernes sous les yeux, et il sembla à Apolline qu’elle avait un peu maigri. Apolline la regarda, adoucie.
– Bon, dit elle calmement, oublie, je suis énervée, et je ne sais pas pourquoi…raconte moi ton histoire, en fait, j’aime bien, et puis, je pense que tu es plus observatrice que moi…on a du temps, les anciens en ont encore pour vingt minutes au moins. Raconte.
Mathilde se pencha vers son oreille, et lui raconta la conversation qu’elle avait entendue entre Rose et Dimitri, puis, les quelques mots qu’elles s’étaient dits, après toutes les deux. Elle lui parla de la photo, et décrivit Sonia en détail. Apolline écrasa soigneusement sa cigarette.
– Je n’en pense rien, rien du tout. Quoique, c’est étrange, ce que tu décris de la femme, Sonia, me dit vaguement quelque chose…Rien de bien net, une impression… Mais tu sais, Rose ne sait rien, et toi non plus d’ailleurs, je ne vois pas ce qu’on peut faire de concret. Elle fit un geste vague dans l’air. Un geste d’hirondelle.
Augustine Francine. (Le comte)
Francine n’avait pas besoin de thym, et encore moins de traîner sur cette colline en fin d’après-midi. Elle était seulement énervée, et elle s’ennuyait vraiment. Elle avait tourné en rond dans sa maison pourtant très fraiche, avait astiqué quelques meubles déjà propres, elle avait même fait un petit gâteau, puis, elle s’était assise. La tête dans les mains, elle réfléchissait. Elle avait l’impression d’être une mouche imbécile et inutile. Il fallait qu’elle se dépense, qu’elle se fatigue, mais ses amies se reposaient, et le village semblait comme assoupi, pourtant, ce n’était pas encore l’époque des grandes chaleurs. Elle se redressa, et jeta machinalement un coup d’oeil par la fenêtre. Au loin, il lui sembla voir Augustine. Toute joyeuse, elle enleva son tablier, lissa ses beaux cheveux bleus, et sortit pour la rejoindre. Mais son amie avait pris de l’avance, et marchait d’un bon pas. Etrange comme elle allait rapidement sur ce chemin vicieux, mais Augustine avait toujours été légère, et adroite. Francine soufflait un peu en tâchant de la rattraper, lorsqu’un homme rejoignit son amie. Elle plissa les yeux, ce n’était pas un jeune homme, mais il se tenait très droit, il marchait précautionneusement, et se penchait un peu sur Augustine. Dans ce seul geste de déférence, elle reconnut le comte, et s’arrêta. Qu’allait-elle faire ? Elle ne pouvait se joindre à eux, le comte l’impressionnait. Faire demi-tour ? Elle n’en avait aucune envie. Retrouver sa maison maintenant, cela aurait été comme une punition. Immobile, elle décida de faire une cueillette d’herbes, en attendant que le comte s’en aille. Mais c’est le contraire qui se produisit. Augustine marchait avec son ami, ils parlaient, et elle les vit s’éloigner en direction du château.
– Ca alors ! Ah ben ça alors !!!!Pas croyable…
Elle se pencha machinalement pour cueillir un pied de thym. Quelques criquets sautèrent autour d’elle, ailes bleues. Elle les regarda, puis regarda le couple qui s’éloignait encore. Elle avait beau se dire qu’elle avait l’air d’une parfaite imbécile, elle ne pouvait se décider à partir. C’était la première fois depuis...depuis…quarante ans ? Quarante ans, qu’Augustine suivait le comte. Est-ce qu’elle rentrerait au château ? Il fallait qu’elle sache. Alors, sans aucune vergogne, elle s’approcha d’un bouquet de petits saules, et s’assit à leur ombre, bien décidée à attendre. Qu’est-ce qu’elle avait en tête ? Savoir. Savoir ce que son amie faisait avec lui. Il ne lui vint pas une seule seconde à l’esprit qu’elle pouvait être indiscrète, gênante, trop curieuse. Pas du tout, c’était comme un droit qu’elle avait sur Augustine. Toutes les deux savaient se taire, faire comme si elles ne savaient pas, ne comprenaient pas. Elles savaient faire silence, et rester bouche close. Toutes les deux, se comprenaient, elles n’avaient qu’à se regarder pour s’en assurer. Aussi, c’était comme un pacte muet qu’elles entretenaient entre elles, elles se confiaient, se racontaient des secrets, des petits riens, et des grandes choses mystérieuses et lourdes. Les autres, les copines, elles les ignoraient. Elles étaient avec elles, et les laissaient parler, colporter leurs petits cancans. Trois fois rien. C’était bien comme ça. Elles passaient pour des simplettes, des naïves, des gentilles…elles l’étaient certainement, mais elles en savaient sur tout le monde. Et beaucoup. Alors, Francine attendit. Elle attendit assez longtemps, si longtemps qu’elle crut s’être endormie, puis réveillée, et avoir raté la sortie d Augustine. Mais elle se rassura en se disant que son amie ne l’aurait pas laissée dormir sous les arbres, elle passait là pour rentrer chez elle…forcement, elle l’aurait réveillée. Elle finissait quand même par se lasser un peu, lorsqu’elle vit une petite silhouette quitter le château. Alors sans se presser, doucement, elle se releva, et se mit en route vers son amie.
Augustine arriva devant elle, son visage pour une fois, était rose. Ses joues, et ses lèvres souriaient franchement. Ses yeux pétillaient. Elle laissa son amie s’enferrer dans une histoire de thym, de fatigue et de saules, puis, très doucement, lui prit la main.
– Lucien m’a invitée à boire quelque chose chez lui, elle murmurait, J’ai accepté. C’était bien. Un jus de citrons. Quoique ce jus était un peu amer, pas trop de sucre…à mon avis, il n’en avait plus ! Elle sourit encore, en gloussant un peu. Tu sais, je crois qu’il est très juste…financièrement. Puis, elle se tut, attendant les questions. Mais Francine était fine et patiente.
- Boooon, alors comme ça, tu es allée chez lui ? Et c’est comment maintenant ? Raconte…
Augustine avait envie de raconter, elle ne pouvait pas garder ça pour elle. Elle sentait son cœur déborder comme on dit, elle avait toujours trouvé l’expression idiote, mais maintenant, elle la comprenait. C’était comme l’eau de la fontaine, quand elle passe par-dessus l’ovale de sa vasque, et cela faisait du bien, comme une grande respiration fraiche et douce.
– C’est nu…très grand…presque pas de meubles…elle rougit en repensant au globe avec la rose…mais, tu sais, c’est beau. La cuisine est magnifique, il y a des carreaux blancs et bleus, une cheminée monumentale…
– Vous avez pris les boissons dans la cuisine ?
Augustine rougit.
– Non, au début, on était dans la salle de…à manger. Mais je l’ai suivi, je…enfin voilà je suis allée avec lui, et là, c’était la cuisine.
Elle s’arrêta et continua à marcher en rêvant un peu.
– Alors tu as bu ? Et alors ?
– Alors, je vais pas te mentir…je l’aime toujours. Je l’ai toujours aimé. Et je crois que lui aussi…alors…quoi faire ? On est vieux. Tout est loin…
Mais Francine était plus hardie, plus décidée. – Oui, c’est loin, on est vieux mais on est vivants, non ? Vous avez assez attendu…et pourquoi d’ailleurs ? Ton fils est grand, enfin, je veux dire, c’est plus un enfant...il peut comprendre… Elle s’attendait un peu à ce qu’Augustine la contredise, mais rien ne vint. Augustine marchait en regardant droit devant elle, elle paraissait heureuse et décidée.
- Oui, tu as raison, pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’on a attendu ? Je ne comprends plus rien. Elle tourna vers son amie un visage soudain très triste.
– Tu te rends compte, tout ce temps gâché ? Francine en fut toute secouée, parce que pendant des années c’est ce qu’elle avait pensé. Encore, quand le mari d’Augustine était vivant, ça se comprenait…mais après ? Après, le comte n’était pas revenu, et puis après, ils avaient eu peur…peur l’un de l’autre.
– Tu m’offres un coup à boire chez toi ? Ca en vaut la peine ! Augustine dit oui, puis soudain, brusquement elle s’arrêta.
– Enfin…elle semblait être très gênée, mais elle se reprit très vite.
- Oui, allons-y… Elle se mit à marcher en avant à grand pas, en oubliant que son amie, plus corpulente la suivait difficilement. Elle arriva en premier, loin devant elle, poussa la porte et la laissa ouverte.
Francine suffocante, s’était arrêtée. Elle reprenait son souffle, elle avait très
soif, très chaud, elle avait passé son après midi dehors et se sentait au bord du malaise. Elle attendit quelques instants que son souffle redevienne normal, puis s’achemina vers la maison de son amie.
Justin
Justin, le « vieux » gendarme, n’était pas du tout content. Pas du tout. On les prenait pour des cons. Le sac dans le congélateur ! Et puis quoi encore ? Pourquoi pas un écriteau avec écrit dessus : le coupable s’appelle Dimitri Wairter. Mais qui le prenait pour un con ? Dimitri ? Sa femme ? Le meilleur ami ? Il savait bien que les gens étaient parfois très limités, pour ne pas dire d’une connerie qui frise l’aberration, tout simplement, mais là, c’était exagéré. Il le prenait comme une insulte personnelle. On se foutait de sa gueule, et de la gueule de tous ses collègues. Et en premier, de la gueule d’Arthur, sûrement parce qu’il était jeune ! Merde alors ! Il empoigna sa bière de sa grande main, et avala une longue gorgée.
– Bon alors, mon p’tit gars, tu peux me re-raconter la fois, la première fois, quand t’as vu M. Wairter Dimitri débarquer ?
Arthur-le-jeune soupira. Il aimait bien Justin-le-vieux, mais là, il l’emmerdait un peu, pour ne pas dire plus…ça faisait trois fois qu’il lui racontait…est-ce qu’on peut dire plus fort qu’emmerder ? Faudrait voir.
Rose.
Elle ne pouvait plus se mentir. En se regardant dans la glace, ce matin, elle se dit qu’il fallait qu’elle s’avoue la vérité. Si elle faisait tout ça pour Dimitri, c’est qu’elle l’aimait. Et depuis longtemps. Elle s’était crue maline en parlant à tous les amis du couple, mais n’avait rien découvert qu’elle ne savait déjà. Sonia allait à droite et à gauche, et malgré les vantardises de certains, n’allait jamais jusqu’au bout de ses expériences amoureuses. Dimitri, tout au contraire, était passé à l’acte plusieurs fois. Elle avait reçu des confidences, et en avait été blessée. Elle ne se mentit pas, et se dit qu’elle aurait voulu que ce soit avec elle. Elle était jalouse. Ca n’avancerait pas l’affaire. Elle s’assit à sa table, et reprit les papiers sur lesquels elle avait écrit tous les déplacements de Dimitri dans la journée de la Disparition, et les autres jours. Il y avait beaucoup de trous, notamment, dans la première journée. Qu’avait-il fait l’après midi ? Bien sûr, il leur avait dit qu’il avait sillonné la campagne, et qu’il était allé jusqu’à la cuvette où ils aimaient se baigner avec Sonia. En espérant la trouver, d’ailleurs. Il avait été vu au café, et c’était pratiquement tout. Elle se sentait coincée, elle ne pouvait pas interroger les gens, comme elle l’avait fait avec les amis, c’était impossible. Elle remplit un grand verre d’eau qu’elle se força à boire, comme si l’eau pouvait éclaircir ses idées en faisant partir le sable du superflu, il ne resterait dans sa tête que les bons cailloux, les vrais, les durs, les diamants, les idées fortes. En premier lieu, pouvait-elle croire Dimitri quand il lui avait raconté ce qu’il avait fait au cours de cette journée ? Elle s’aperçut brusquement que le doute était en elle. Elle avait décidé qu’il était innocent, car cela l’arrangeait, la mettait de son côté, et lui frayait un passage dans sa tête, dans sa vie, elle s’insinuait en lui. Elle savait qu’elle était peut-être la seule à le croire tout à fait innocent. Stanislas ? Il fallait qu’elle lui parle. La seule à le croire innocent, peut-être, mais elle n’était pas tout à fait sûre…elle n’était pas du tout certaine de ce qu’elle pensait vraiment.
Francine Augustine.
Francine vit Augustine rentrer chez elle, franchissant le seuil rapidement, sans l’attendre, comme elle aurait dû le faire. Bon, elle a peut-être envie de faire pipi…pourrait m’attendre, j’en peux plus. Elle soufflait, avait mal à la tête et se sentait très oppressée. Bon, faudrait pas que je me fasse un malaise, le temps qu’elle se rende compte que je meure, et ben je serais bien morte pour de vrai. Et puis, après, hein, comment je pourrais savoir la suite ? Francine s’arrêta, et posément, se mit à respirer soigneusement. J’aspire, et j’expire. Encore, et encore, et ainsi de suite. Faut pas que je m’assoie, d’abord, je peux pas, j’ai mes jambes raides, et ensuite, je pourrais pas me relever…respire andouille…allez, encore une fois…là, ça va mieux…allez on repart doucement…La sueur lui coulait du front en vrais ruisseaux, elle se sentait toute molle à l’intérieur, et une envie de vomir l’assaillait, ça tournait aussi un peu. Elle se mit machinalement à bloquer sa respiration, à l’affut d’un reste de force qu’elle ne trouvait pas en elle.
Quand elle reprit ses esprits elle était allongée dans un endroit très frais, qui sentait bon les fleurs, de l’eau gazouillait quelque part, elle était bien, mais si fatiguée.
– Tu m’as fait une de ces peurs ! J’ai cru que…Augustine s’arrêta à temps…j’ai cru, enfin, je me suis rendue compte que tu n’étais pas avec moi, et je t’ai vue assise devant, là…
Augustine était toute blanche, elle tenait une coupelle d’eau à la main, avec un linge blanc qui coulait. Elle l’appliqua sur le front de son amie, encore et encore. C’était doux, frais, agréable. Elle remplit ensuite un grand verre d’eau avec du sirop d’orange, celui que préférait Francine, et le lui tendit. Francine, toute faible, le porta en tremblotant à sa bouche, et but quelques gorgées qui lui firent un effet miraculeux. Elle se sentait soudain remplie de vie, son cerveau fonctionnait à nouveau, le calme revenait, la fatigue lourde tombait doucement. Elle se mit à sourire. – Non, j’allais pas mourir avant de t’avoir vue heureuse, je veux tout savoir, j’écoute…assis toi bien en face de moi, et raconte moi tout en détail…
Alors Augustine reprit son récit, tout au début, il fallait qu’elle raconte tout de nouveau. Et pendant que son amie retraçait ce qu’elle avait vécu, Francine s’étonnait, en la suivant pas à pas dans son récit, que tout fut si facile d’un coup, comme si quelqu’un avait gommé les impossibles. Elle souriait en regardant le visage de son amie, puis, elle s’adossa commodément, tandis que celle-ci faisait une pause (des gâteaux à prendre à la cuisine pour se soutenir), et regarda machinalement autour d’elle.
Elle avait toujours trouvé que la maison d Augustine était jolie, mais aujourd’hui, il y avait quelque chose de plus, des fleurs dans un vase, un tableau qu’on avait accroché au mur, et qu’elle n’avait pas encore vu à cette place, et des rideaux jaunes, de très jolis rideaux jaunes, et puis, ça sentait si bon les fleurs…et tout était si net, comme si les murs étaient plus propres, plus…
- Mais, Augustine, tu as repeins les murs ?
Augustine dans la cuisine ne l’entendit pas, et ne répondit pas.
Les deux gendarmes
Justin-le-vieux, Arthur-le-jeune.
- Oui, je suis d’accord avec toi, pour moi non plus ça ne passe pas…quand
je l’ai vu la première fois, il m’a fait l’effet d’être sincère, son histoire tient debout. Quand je lui ai parlé du portable, il m’a dit qu’il était tombé et qu’il ne retrouvait pas la batterie…ils étaient en pleine bagarre…la panique.
C’était Arthur qui parlait. Ils étaient tous les deux dans le local de a gendarmerie en fin de journée, et essayaient de faire le point ensemble.
Arthur était un peu rouge, et n’avait pas du tout touché à sa bière, il n’avait jamais osé dire à Justin qu’il n’aimait pas les bières blondes.
– Je sais, reprit-il, il aurait pu prendre celui de sa femme, le brancher et appeler des secours…c’est ça qui m’emmerde, juste ce détail… Justin regardait par la fenêtre il fallait qu’il dise lui aussi ce qu’il pensait, posément, il tenta :
– Tu vois, ce n’est pas ça qui me chiffonne…il semblait chercher ses mots à travers le paysage, comme si les collines pouvaient les lui souffler. Tu vois, je peux comprendre qu’il n’ait pas pensé au portable de sa femme, mais il y a beaucoup de sang partout sur les habits de la corbeille à linge, il y a le sac dans le congélo, le ménage qui a été fait, le cendrier très lourd, les habits dont il n’est pas sûr, son emploi du temps, il n’y a pas d ‘horaire…et puis ses amis. Ils sont tous d’accord pour dire qu’il s’envoyait des nanas… elle non. Arthur sauta sur l’occasion.
– Ben, justement ! Elle non…tu l’as dit. Je sais que je ne devrais pas dire ça, commença t’il en regardant Justin, mais je n’aime pas ce qu’on me dit d’elle, de Sonia. Je ne l’aime pas…Il contempla son verre de bière.
- Trop facile ! Rétorqua Justin, pas professionnel…tu n’aimes pas la victime, mais pourtant, c’est la victime, c’est elle qui a reçu le cendrier, c’est elle qu’on recherche, même si elle a le mobile, ce n’est pas elle qui lui a jeté le cendrier à la figure, on ne fait le procès de personne… merde, on sort, j’ai besoin de fumer. Ils sortirent tous les deux, contournèrent le local de la gendarmerie, et s’assirent devant les collines qui bleuissaient, leurs bières à la main, intacte pour Arthur, à demi- pleine pour Justin.
– Le truc qui ne va pas du tout, reprit Justin, c’est le coup du sac…même en étant un crétin fini, on ne cache pas un sac dans le congélo, surtout quand on a son meilleur pote qui vient chez vous passer quelques jours, histoire de te remonter le moral…passe moi le détail de l’emploi du temps, on va tout ratisser ensemble.
Justin-le-vieux adorait ratisser. Il reprenait tout du départ, toutes les feuilles, et réécrivait tout sur d’autres feuilles plus grandes, avec des couleurs et des flèches, il avait besoin de voir. Arthur, lui, ça l’embrouillait un peu toutes ces flèches, ces grands ronds de couleurs, ces escaliers qui réajustaient les mots. Lui, il préférait les ambiances, les gestes, la propreté bicolore des traitements de textes. Mais il se laissait faire, et puis surtout, Justin avait l’expérience, toutes ces années d’expérience qu’il n’avait pas. Justin précisa sa pensée.
– On a quand même un type qui sort de chez lui après avoir blessé sa femme, il est censé s’inquiéter pour elle, mais lui, il ne cherche même pas à prendre le téléphone de quelqu’un pour prévenir qui que ce soit, au lieu de ça, il marche dans la campagne, et va se taper un café au troquet du coin…normal quoi… Arthur haussa les épaules.
– On dirait que tu t’es jamais fritté avec ta bonne femme, dès fois t’es tellement dingue, que tu t’en fous pas mal, tu cherches à te calmer, c’est tout… Justin regarda le jeune et doux visage de son collègue célibataire, sans copine connue, un petit sourire goguenard sur les lèvres. Mais presque immédiatement son sourire s’effaça, en fait, il avait raison.
- Oui, c’est vrai, t’as raison…tu m’énerves un peu. Au fait, ta bière, tu la préfères toujours un peu chaude ?
Arthur rougit, et ingurgita laborieusement une gorgée du dit breuvage. Il ne voulait surtout pas vexer son collègue.
Dimitri interrogé en qualité de témoin.
Ce fut Justin qui prit la décision d’interroger Dimitri. Cela n’avait que trop tardé. Ce fut à contre cœur. Justin ne le sentait pas, rien ne pouvait le convaincre qu’il avait raison, et le fait qu’Arthur partageait son indécision ne l’aidait pas non plus. Tous les deux savaient très bien qu’aux yeux de tous les habitants du village, ce serait dénoncer Dimitri comme coupable…coupable au moins de violence. Malgré les recherches, ils n’avaient trouvé aucun indice, aucune trace pouvant les mettre sur une voie quelconque permettant de retrouver Sonia.
Dimitri les suivit sans rien dire. Il les attendait depuis une semaine. Il avait senti se refermer le doute autour de lui, se concentrer les regards, curieux, vaguement ou franchement méfiants. Il se sentait perdu. Il n’avait trouvé aucune façon d’agir qui puisse lever les doutes en ce qui le concernait. Il ne dormait plus vraiment…quelques heures, puis il se réveillait en sursaut. La mère de Sonia l’avait appelé tous les jours, inquiète, affolée, puis agressive. Elle était venue chez lui pour observer les affaires de sa fille, essayer de détecter, mais sans rien voir de particulier. Il savait qu’elle avait été voir les gendarmes, qu’elle leur avait parlé. Maintenant, quand le téléphone sonnait, il savait que cela ne pouvait qu’être elle. Hystérique, hurlante, et éclatant en sanglot. Quand les deux gendarmes arrivèrent chez lui, il éprouva du soulagement.
Ce dont il était sûr, au moins, avec eux, c’est que l’affectivité ne rentrerait pas en jeu. Qu’ils pourraient revoir ensemble tout les détails de la journée, s’expliquer de nouveau…et puis, tout bêtement, il se sentait protégé. Depuis quelques temps, il avait peur d’être agressé. Le manque de sommeil, les distorsions qu’il provoquait le rendait extrêmement fébrile…il sursautait au moindre bruit. L’affection de Stan lui manquait, il aurait voulu s’appuyer sur lui.
Se confier.
Il était absent.
Il se retrouva dans une salle, derrière celle qu’il connaissait déjà. Elle était petite, mais claire. Il y avait une fenêtre avec des barreaux. A travers les barreaux, du soleil s’entêtait, des insectes crissaient, des herbes séchaient libérant leurs odeurs simples et douces.
Ce fut Arthur, au regard amical, qui l’attaqua, après les préliminaires d’usage. Malgré, ou alors à cause de ce regard, la première question n’en fut que plus déroutante :
- Vous avez des nouvelles de M. Stanislovitch ?
Dimitri avala difficilement sa salive.
Ils ne le libérèrent que six heures après, après des pauses au cours desquelles il retrouva un goût à la nourriture.
Dimitri Mathilde Apolline dans le café, l’habitude.
Voilà c’était clair, il était coupable.
Pour tout le monde, il avait tué Sonia, et fait disparaître le corps, c’était un fait. Les gens ne le disaient pas encore à voix haute, mais ils le pensaient si fort que cela perçait dans leurs yeux. Il pouvait suivre leurs raisonnements quand il leur parlait. D’ailleurs, maintenant, il ne parlait plus à personne. Il avait renoncé à faire ses courses dans le village. Il sentait les regards sur lui, le silence, les gestes qu’on surveille. La seule chose qu’il s’autorisait encore, c’était d’aller au café des deux routes, le soir, quand tout le monde mangeait devant sa télé. Ici, et juste à cet endroit, il se sentait bien. Mathilde le servait, et s’asseyait à sa table. Il trouvait ça étrange la manière dont leurs sentiments avaient évolué. Ils étaient passés tous les deux de l’antipathie, à la camaraderie. Une camaraderie réservée. Mais elle était bien là. Mathilde était compatissante, et rassurante. Elle n’avait pas peur des mots, ni des regards. Elle lui faisait du bien. Il rentrait dans la salle, et attendait. Elle arrivait, de son pas ample, et un peu lourd, et ne lui servait jamais la même chose. C’était elle qui décidait, en fonction du temps, de la lumière, ou de rien du tout. La première fois qu’il était revenu dans ce café, c’était juste après la fouille de la maison. Il était exténué, il transpirait par tous les pores de sa peau, il suait l’angoisse, et l’impuissance. Stan l’avait accompagné, et il avait bien senti que son ami aurait voulu de lui une confession en règle. Il avait fini par le regarder longuement. Il le regrettait. Où était passé l’ami qu’il connaissait depuis si longtemps ? Pourquoi ne voulait-il pas le croire ? Alors, le soupçon s’insinua…et si Stan et Sonia avait eu une liaison ? Et si Stan l’avait tuée, profitant de sa blessure ? Il aurait pu cacher le sac dans le frigidaire…il connaissait la maison, il pouvait même avoir semé des preuves, des indices, des traces…Mais comment Stan aurait-il su qu’ils s’étaient bagarrés ? Et surtout, pourquoi aurait-il tué Sonia ? Il fallait admettre que Sonia l’ait appelé, lui ait raconté la bagarre, et puis quoi ? Pourquoi l’aurait-il tuée alors ? En admettant qu’elle soit bien morte… fallait-il admettre qu’elle soit morte ? Stan depuis, n’avait plus donné signe de vie. Même après son audition en tant que Témoin…
Ce soir là, donc, il était donc entré dans le café, suivi par les yeux larmoyants d’un vieux, affalé sur une chaise, devant un verre minuscule. A ses pieds, un chien reposait, le museau coincé dans ses pattes avant. Il s’assit, et Mathilde s’approcha de lui.
- Hé, dis le vieux Jean, faut pas qui vienne ici, lui, on va avoir plein de poils paralysés qui vont s’amener!
Mathilde le regarda sans comprendre, d’un air interrogatif. Alors Jean le vieux, précisa.
– Ben oui quoi, avec les appareils photos, et tout et tout…il fit un geste vague, et regardant Sam le chien.
– Toi, tu vois ce que je veux dire ? Hein ma bête ? Le chien posa son menton sur les genoux du vieux, et il le caressa. Machinalement Dimitri traduisit l’idée du vieux :
- Poils paralysés ; paparazzi…
Le vieux Jean condescendit à saluer son interprétation d’un léger signe de tête.
Mathilde ne demanda pas à Dimitri ce qu’il voulait, elle lui apporta un grand verre de citronnade, avec de la glace pilée, du sucre sur les bords, et un sourire. Et puis, sans aucune gêne lui demanda :
- Alors, comment ça s’est passé ? Il avait haussé les épaules, étonné qu’elle se permette de lui poser cette question. Il avait regardé son visage fariné de taches de rousseur, ses cheveux bruns un peu collés sur le front par la chaleur, mais c’est le calme de ses yeux qui lui avait délié la langue.
- Rien, il n’y a rien à trouver, ils m’ont posé des questions, ils font leur travail…. Elle l’avait fixé avec insistance.
– Votre ami n’est pas avec vous ? Et Dimitri n’avait pas pu s’empêcher de dire d’une manière un peu théâtrale que son ami était surtout contre lui. Alors, c’est ici qu’elle l’avait surprise :
- Oui, c’est perturbant…est-ce que l’amitié peut résister quand on soupçonne quelqu’un de…Elle s’était arrêtée, saisie de pudeur, ou de honte, mais sous le regard têtu de Dimitri elle continua :
- meurtre, ou tout au moins de violence… ? Elle s’adossa largement sur sa chaise, puis, tranquillement sortit une cigarette d’un paquet un peu vieux, et plus très net :
- Vous en voulez ? Dimitri prit la cigarette, et Mathilde, lui montrant l’arrière cour. – Venez, on ne peut fumer dans la salle, prenez votre chaise, et le verre, on va boire de l’autre côté…
C’est ainsi que s’installa l’habitude réconfortante. Tous les soirs, Dimitri entrait dans le café, passait devant vieux Jean et Sam, son chien, et allait dans la cour du fond où Mathilde lui avait installé une table. Elle le servait, et ils discutaient. Quand Apolline s’en mêlait l’histoire tournait au débat. Les deux filles lui avaient posé des dizaines de questions. Loin de leur en vouloir pour leur curiosité, il s’était prêté au jeu, et leur avait répondu honnêtement. Au début, cela lui avait vraiment chaviré l’estomac, puis, plus ils parlaient et plus l’histoire se déroulait et se mettait à plat devant lui. Ils avaient reconstitué en détails son emploi du temps, pratiquement, temps par temps, moments par moments, puisqu’il n’y avait pas d’heure précise. La fille qui pêchait, par exemple, Apolline lui avait dit que c’était la fille de la boulangère, Pétra, et que donc, cela lui faisait un témoin, quelqu’un qui pouvait dire l’avoir vu. A ce propos Apollo ne put s’empêcher de constater, un jour de grand débat, le chat confortablement installé sur ses genoux.
– On va dire que tu n’en avais rien à faire de ta femme, si tu prenais un bain, mais au moins…tu ne trimballais pas son cadavre. Et elle avait hoché la tête, le chat l’avait regardé, l’air interrogatif. Dimitri se dressa.
– Mais enfin, qu’est ce que je pouvais faire ? J’avais téléphoné à tout le monde, regardé partout où je pensais pouvoir…
- On s’en fout ! Le coupa Mathilde, ce que dit Apolline, c’est ce que vont penser les gens, et tu ne peux pas les empêcher de penser, que tu dises ça ou autre chose…Et elle finit son verre de sirop de menthe d’un seul coup. Puis, elle reprit :
- Ce qui cloche, c’est que tu n’es pas passé à la pharmacie…ça c’est pas bon. Il y eut un petit silence vicieux.
– Mais j’y suis allé…c’était fermé ! Le chat regarda Mathilde qui regarda Apolline. Est-ce qu’il était crédible d’entendre ça ? Tout le monde savait que la pharmacie n’était jamais fermée, que Marcus était toujours disponible. Pourtant, dans les faits, la pharmacie, bien qu’ouverte en principe, avait sa porte fermée. Tous les gens du village savaient où trouver Marcus, mais peut-être pas les « nouveaux » arrivants.
– Ca fait combien de temps que tu vis ici ? Tu ne sais pas encore qu’elle est toujours ouverte ? Dimitri sentit le regard lourd de Mathilde. Il la regardait, déconcerté.
– Ouverte ? Mais non, j’ai essayé d’entrer, c’était fermé, et il n’y avait aucun signe qu’elle ait été de garde…il n’y avait personne à l’intérieur. Les deux filles se regardèrent. Elles savaient toutes les deux, avec au moins une dizaine de témoins que Marcus était dans le bar, à s’occuper d’elle, et elle pouvait même en dire l’heure approximativement. Elles se sourirent.
– Bon, tout va bien…. Et Dimitri eut droit à un grand verre de piquette tirée directement d’un tonneau suspect, un peu miteux.
- Tu verras, reprit Mathilde, il est clairet, aigrelet, pas très bon, mais il est bio, et c’est du pays, en plus, dedans je mets un peu de grenadine, tu vas te régaler…Le chat se leva, tressailli et s’en alla d’un bond.
Il y eut cette fois un vrai et calme silence que traversèrent paisiblement les cris des hirondelles. Ils trinquèrent.
Stan.
De son côté, Stan ne s’aimait plus. Ne se reconnaissait plus. Déprimé, fatigué. Penser à Dimitri lui faisait horreur. Il marchait tête basse dans une rue tortueuse, et regardait les herbes qui poussaient les pavés, les disjoignant lentement, et justement, c’était un peu comme si le sol était devenu tout mou sous ses pas. Il ne savait plus du tout comment penser à son ami. Il l’avait trahi ou aidé ? Il avait pensé l’aider, sincèrement. Il s’était lourdement trompé. Il aurait dû rester près de lui, lui parler, essayer de comprendre. Au lieu de ça, il avait eu peur. Peur de cet homme qu’il ne connaissait plus. Peur de cette violence, de ces traces de sang, du mensonge, du sac répugnant, comme une vieille méduse morte, gelée, pleine de sang et de glace. Il pensait maintenant à lui-même avec suspicion, il se regardait avec dégoût. Il fallait qu’il l’admette, il avait laissé tomber son ami. Est-ce qu’on pouvait encore donner son amitié à quelqu’un qu’on ne connaissait plus ? Et puis, de quel droit le considérait-il comme coupable ? En fait, ce qui le révulsait, c’était le sac…quand il y pensait, c’était répulsif, il tressaillait, comme s’il se fut agi d’un cadavre. Mais dans les faits, qu’est-ce qui accusait Dimitri ? Son ami lui avait téléphoné immédiatement pour lui raconter son histoire, il lui avait demandé de venir chez lui, il s’y était d’ailleurs installé. Ils avaient vérifié les vêtements…mais est-ce que ce n’était pas une contenance que se donnait Dimitri…est-ce que ce n’était pas un personnage qu’il jouait ? Le personnage de l’innocent qui étale sa bonne foi ? D’ailleurs, pourquoi Stan, doutait-il de lui ? En fait, c’était surtout ça qui le perturbait…pourquoi le considérait-il comme coupable ? Est-ce que les sentiments qu’il avait eus pour lui, avaient toujours été très « purs » ? Jalousie de ses succès avec les femmes, de son assurance dans la vie, il lui semblait qu’il n’avait peur de rien, est-ce qu’il enviait sa beauté ? Est-ce qu’il fallait qu’il s’avoue enfin qu’il était peut-être amoureux de Sonia ? Il s’essayait à être honnête envers lui-même, et tournait en rond. Il avait sûrement trop d’imagination. Il avait vécu en rêve la scène du meurtre, le cendrier qui touche la tempe, et l’inconscience immédiate de Sonia. L’affolement. La panique à tout faire disparaître. Le poids de la culpabilité, et le désir d’y échapper…mais rien de tout ça n’était réel. Ce qui s’était produit était tout plat, comme l’avait dit Dimitri.
Alors, pour la première fois depuis le début des événements, il tenta de vraiment visualiser les faits, tels que les avait raconté Dimitri. Sans chercher à interpréter. Juste se raconter l’histoire, telle que l’avait dite son ami. Il fallait qu’il mette tout à plat, devant lui…mais pas tout seul, il ne se faisait pas confiance. Il décida d’appeler Rose.
Lucien, la nuit.
Lucien n’en revenait pas. Augustine était partie depuis deux heures maintenant, et Lucien ne savait plus où se poser, ni quoi faire, il tournait dans les pièces, comme s’il avait voulu leur insuffler une nouvelle vie. Il regardait autour de lui, comme quelqu’un qui débarque d’un long voyage, ailleurs, et qui retrouve sa maison, avec ses objets familiers, paisibles, toujours là, l’attendant fidèlement. Tout lui semblait très banal et très étrange à la fois, et plus rien n’avait le même sens. Augustine lui avait - elle vraiment dit qu’elle regrettait, qu’elle l’avait toujours aimé ? Est-ce que c’était bien vrai ? Il n’en revenait pas. Il avait l’impression d’être tombé dans un roman pour jeune fille naïve…un livre dans lequel les gens sont fidèles, patients, et grignotent l’adversité, ou la dissolve à force de persévérance.
Ce n’était pas possible.
Peut-être que lentement, il était devenu un peu fada, et qu’il en prenait conscience, là aujourd’hui, dans cette cuisine.
Et pourtant, il y avait les deux tasses, les grains de sable du sucre autour, des fourmis qui s’en occupaient et surtout le livre.
A la rigueur, il aurait pu installer les tasses dans un accès de démence sénile, y mettre du liquide, se jouer la comédie de ses rêves, mais le livre ? Elle lui en avait parlé, il s’en souvenait vaguement…il n’avait pas fait très attention à ce qu’elle disait, pétrifié par sa présence. Maintenant, ce livre était devenu la preuve tangible de son passage, que cette histoire était vraie. Il n’avait rien inventé.
Pouf était revenu, et le regardait d’un air interrogatif, la queue toute droite et immobile en l’air, comme un tramway en prise. Lucien regarda le chat :
- Tu l’as bien vue aussi, non ? La queue tressaillit, et le chat détourna le regard, très hautain.
– C’est pas possible comme tu peux être méprisant, toi ! Est-ce que je te rejette parce que tu sens la poule de luxe ?
Lucien s’assit, et ignorant le chat, ouvrit le livre qui sentait bon.
Rose et le crépuscule.
Rose était devant son miroir, et inspectait son visage. Elle prit sa pince à épiler, et arracha prestement un poil de sourcil qui faisait mine de vouloir s’émanciper des autres, puis, reposa la pince. Derrière elle, la colline rosissait, il était sûrement très tard. Elle décida de prendre le crayon noir et de dessiner très légèrement le contour de ses yeux, cela en ferait ressortir le bleu, très bleu aujourd’hui. Mais elle s’arrêta, à deux cils de son œil…ce n’était pas la peine…cela faisait trop préparé, Dimitri la connaissait sans maquillage, nature, ce serait un signal, un mauvais signal, on ne tombe pas amoureux dans ces conditions, et pas grâce à un coup de crayon.
Elle en était amoureuse, elle le savait, mais il fallait qu’elle ouvre ses yeux et ses oreilles. Elle haussa les épaules. Facile à dire ! Comme si l’on pouvait vraiment ouvrir ses yeux et ses oreilles quand on était amoureux ! Elle renonça, et observa le ciel, dans sa glace. Les oiseaux le traversaient, il n’y avait aucun nuage, l’air sentait la poussière chaude, l’herbe sèche, et le crottin. Le petit âne était passé, et il avait dû s’oublier quelque part…Elle descendit, prit son sac, et monta dans sa voiture. Elle avait fait tout ça machinalement sans y penser. Brusquement, alors qu’elle allait démarrer, elle prit conscience de ce qu’elle avait fait.
Elle avait pris son sac, sans lui, pas de clé, pas de démarrage, pas de papier, pas de téléphone.
C’était évident, le sac était l’élément clé de l’histoire.
Il parait qu’il y avait tout, à l’intérieur ; portable, papiers, quelques bricoles comme une brosse à cheveux, un chouchou, des bonbons… Si Sonia avait décidé de s’en aller, normalement, elle aurait pris son sac.
Pourquoi laisser son sac ? Et qu’y avait -il exactement dedans ?
Il fallait qu’elle demande à Dimitri. Et puis, elle repensa à cette phrase qu’elle venait de se formuler :
Si elle avait décidé de partir, normalement, elle aurait pris son sac.
Mais on pouvait aussi enlever une virgule, et le sens changeait :
Si elle avait décidé de partir normalement, elle aurait pris son sac.
Pourquoi Dimitri aurait-il caché le sac dans le frigo. Pourquoi Stan aurait-il caché le sac dans le frigo ? Pourquoi Sonia aurait-elle caché son sac dans le frigo ? Pourquoi qui que ce soit aurait-il caché le sac dans le frigo ? A cet instant son portable sonna ; c’était Stan…
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Suite 10, 11, 12 ,13
Toutes en même temps!!!!!
La gendarmerie
Dimitri sortit de la voiture, il avait roulé sans se poser trop de questions, il voulait se soulager, que quelqu’un lui vienne en aide. Le dimanche tout entier était passé, puis le lundi matin, sans que rien ne change. Plus les heures passaient et plus il se sentait inquiet. La nuit du dimanche au lundi, Il n’avait pratiquement pas dormi, ou, lorsqu’il avait sombré dans le sommeil, c’était pour en émerger dans un brusque sursaut, le cœur battant. Il avait refait le tour de ses amis en personne. Il avait voulu les voir, scruter leurs yeux. Il se sentait de plus en plus coupable. Il revoyait Sonia, tout ce sang qui coulait, et ses évitements quand il voulait s’approcher d’elle pour l’aider. Tout son corps qui se rétractait, se recroquevillait, ses yeux qui le fuyaient. Il revoyait la crainte sur son visage. Impossible d’échapper à l’angoisse. Il n’y avait pas réussi. La présence de Stanislas, le contraignait à faire bonne figure, mais le tourmentait aussi. Il ne pouvait s’empêcher de penser à ce que lui avait dit son ami, au doute qu’il avait laissé transparaitre. Le fait que Stan ait douté de lui le perturbait terriblement. Dimitri ne comprenait pas l’absence, et le silence de Sonia. Elle aurait très bien pu lui dire qu’elle était chez une amie, et qu’elle ne voulait pas le voir pendant quelques temps. Il aurait compris. Ce silence était insupportable. Est-ce qu’elle était morte, allongée quelque part, dans la nature, ou ailleurs, dans un endroit auquel personne ne pensait ? Est-ce qu’elle s’était réfugiée dans un hôtel ? Il y avait les habits, la voiture qui était là. Les habits ne signifiaient rien, elle en avait tant. Seul le sac à main manquait. Celui qu’elle utilisait en cette période.
Il pensa fugitivement à la boucle d’oreille de Pétra…cette boucle qu’il avait reconnue…
Devant la gendarmerie, avec son estomac contracté, la sueur qui lui coulait le long des aisselles, il eut de longues secondes de panique. Il se savait plus quoi dire, tout ce qu’il avait préparé comme discours semblait l’accabler. Personne ne comprendrait. Pourtant, il n’avait plus le choix, il fallait qu’il signale que Sonia avait disparu. Il entra.
C’était un petit local, très propre et clair. Il en fut étonné. Il ne savait pourquoi, il avait imaginé une grande pièce grise. Un gendarme, assis derrière un bureau, lisait des papiers tout en rentrant des notes dans un ordinateur. Il était jeune, avait l’air concentré et consciencieux. Il leva les yeux et salua Dimitri sobrement. Il avait écarté ses papiers, et le regardait d’un air interrogateur et patient. Dimitri n’avait pas l’impression de l’avoir dérangé, mais plutôt, de lui offrir au contraire comme une pause dans un travail qui ne le passionnait pas. Ses yeux étaient marron, chaleureux, et malgré son air sérieux, Dimitri sentit en lui une sorte de bienveillance calme et prudente. Il se concentra pour tout raconter en suivant l’ordre chronologique, la soirée de la veille, la dispute, le cendrier, la maison vide au retour, l’absence de Sonia partout. Une fraction de seconde il se demanda comment une absence pouvait être partout, mais c’est pourtant ce qu’il ressentait. Lorsqu’il en arriva au moment du récit où il jette le cendrier à Sonia, le gendarme le fixa brusquement, et s’arrêta très nettement de respirer. Dimitri, alors, sentant tout l’implicite de ces mouvements, décrivit la scène avec plus de précision, comme pour se dédouaner: la colère , le cendrier lancé n’importe où et Sonia qui se penche juste à cet instant, l’aide qu’il avait voulu lui apporter, les refus de sa femme, son rejet, son envie qu’il s’en aille…il se livra entièrement, sans rien omettre, comme s’il parlait à un psychiatre ou un prêtre. Le visage du gendarme montrait clairement qu’il était la proie de deux sentiments contradictoires. Dimitri n’en insista que plus, il avait envie de se faire comprendre, de se faire entendre, qu’on sache qu’il n’avait rien fait d’autre…que ce qu’il disait. Le jeune homme s’attarda sur la blessure. Quel était l’état de sa femme, et ses réactions ? Il lui fit répéter plusieurs fois le moment où il avait lancé le cendrier, et si elle avait perdu connaissance.
Le soleil avait filtré en dessous des stores, des rayons transversaux voilaient la vision qu’il avait de la pièce, brouillant la figure du jeune gendarme. Il se sentait aveugle, et soulagé de l’être. Son vis-à-vis, au contraire, avait placé sa main de manière à se protéger de la lumière, et le regardait attentivement. Dimitri avait peur de voir le doute, la méfiance inscrits sur le visage de son vis à vis. Le jeune homme l’avait écouté, les bras croisés, dans une position, en apparence, assez détendue, attentive, mais aussi défensive. Puis, quand Dimitri eut achevé de raconter toute son histoire. Il lui demanda plusieurs fois pourquoi il n’avait pas alerté les secours, en utilisant un autre téléphone. Il lui fit reprendre quelques points et préciser certaines choses, l’attitude de sa femme, celle de ses amis, sa promenade, l’horaire. Il était efficace, ne laissait rien dans l’ombre. Dimitri percevait nettement sa préoccupation, son impatience, mais Il prenait aussi son temps. La journée avait été très chaude, la pièce était inondée de soleil maintenant, la lumière qui devenait orangée s’obstinait sous les stores à demi baissés, et les aveuglait tous les deux. Le jeune homme, malgré la chaleur, ne transpirait pas. Il était précis. – Pourquoi ne pas avoir appelé avec le portable de votre femme ? – Dimitri soupira. – Elle le tenait dans sa main, il aurait fallu que je desserre ses doigts, elle mourrait de peur. – Et votre fixe ? Dimitri eut un geste vague.- Pas de fixe, que des portables, je n’ai jamais eu le temps de faire le nécessaire…Le gendarme reprit.
– Vous dites qu’elle n’est chez aucun de vos amis, ni sa mère ? C’est votre amie qui a téléphoné à sa mère? Les vêtements dans l’armoire…- Parlez moi de son sac à main…il n’était plus là ? Elle n’en avait qu’un seul ? Avez-vous pensé à regarder vos valises et les sacs de voyage ? Les hôpitaux ? L’argent ?
Etait-ce parce qu’il ne savait pas vraiment quoi faire ? Est-ce que son histoire le laissait perplexe ? Dimitri savait qu’il avait l’air d’un coupable, et il l’était. Coupable de violence verbale et physique… Le gendarme se leva sans rien ajouter, et minutieusement enregistra tous les renseignements concernant sa femme, lui demanda d’apporter une photo récente, et si elle avait laissé des papiers chez eux. Dimitri fut surpris par sa question, il avait pensé à tout sauf à ça. – Si elle avait laissé des papiers sans son sac à main, je les aurais vus ? Non ? Le gendarme haussa les épaules. – Pas sûr, on n’est pas forcement rationnel…revenez quand vous aurez cherché. Je vais immédiatement lancer un avis de disparition inquiétante, et je vais m’occuper des hôpitaux, des voisins. - Connaissez-vous d’autres personnes que votre femme aurait pu fréquenter. Un travail occasionnel ? Des personnes du village ? Des gens dont elle vous aurait à peine parlé ? Là aussi Dimitri fut dérouté, il ne pouvait en être certain. – Je connais tous les amis qu’elle peut avoir au village, mais elle a peut-être des amis à Saint-Jean, je ne sais pas. Je ne m’en souviens pas…
- On ne parle pas toujours de tout…Le gendarme ne le regardait pas en disant ça, il cherchait visiblement quelque chose dans un tiroir qu’il ne trouvait pas, ou alors, il se donnait une contenance. Dimitri pensa tout haut.
– Si elle avait laissé son sac à la maison, j’aurais entendu sonner son portable, je l’ai appelée au moins une vingtaine de fois ?
Le jeune l’enveloppa de son doux regard.
– Il s’est éteint…Puis, il s’approcha de lui, un imprimé à la main. Il avait l’air préoccupé : - Elle saignait beaucoup, vous l’avez laissée… La phrase resta en suspens, mais c’était un reproche. - Elle ne voulait pas que je la touche ! Je ne pouvais rien faire, se défendit Dimitri, puis, se rappelant soudain : - Je suis passé à la pharmacie, Marcus m’aurait aidé, mais c’était fermé…. Le jeune gendarme lui lança un long regard indéchiffrable. – Vérifiez quand même si il n’y a pas un autre sac qui aurait disparu, et puis revenez, je serai là. Nous, allons lancer les recherches. Il se peut qu’effectivement, elle ait voulu sortir, et se soit trouvée mal…Il n’ajouta rien de plus. Il remua la tête dans un au revoir implicite, prit son téléphone, il se rassit derrière son bureau, fourragea encore dans un tiroir, regarda Dimitri sans sourire. Son visage ne laissait transparaître rien d’autre que de l’intérêt, mais Dimitri y discerna de la gêne et aussi, bien que Dimitri sentit qu’il fit tout pour le cacher, une certaine sympathie proche de la compassion, avec par derrière, un malaise certain, qu’il comprenait bien, qui lui renvoyait l’image de ce qu’il était ; coupable.
Quand Dimitri sortit de la gendarmerie il était trempé de sueur. Il s’était jeté dans son discours comme on se délivre d’un fardeau, et son corps en avait souffert. Le fait de raconter toute l’histoire l’avait soulagé dans un premier temps, mais là, dans le soleil brulant de la cour, un poids nouveau l’empêchait de bien respirer. Il était le dernier témoin. Le seul témoin. Puis, il pensa à la réaction de Stanislas, qui l’avait pris pour un criminel, un assassin. Il l’avait dit. Il fallait qu’il rentre vite, et qu’il vérifie encore si le sac, ou un des sacs de Sonia était là, avec ses affaires, ses papiers, son portable….il n’avait d’ailleurs pas le temps d’attendre. Il téléphona à Stanislas en lui demandant de chercher. Pendant ce temps, il monta dans sa voiture brûlante il mit le contact, mais ne démarra pas. Qu’est ce que cela voudrait dire s’il trouvait le sac de Sonia.
Et la sueur jaillit par tous les pores de sa peau.
Suite 11
Dimitri découverte du sac.
Quelques heures plus tard Stanislas retrouva, incidemment le sac à main de Sonia, en cherchant des glaçons dans le congélateur. Il resta la main tendue, avec au bout, les lanières pleines de glace qui s’effritaient en paillettes sur les tomettes de la cuisine. Cela faisait comme des gouttes de pluie sur de la terre. Stanislas, malgré cette pensée inopinée était pétrifié. Il ne bougeait plus, et Dimitri qui suivait ses mouvements, n’avait pas vu ce qu’il tenait à bout de bras. Quand il comprit, il se mit à gémir. C’était comme si tout chavirait, le sens s’émiettait…ça ne voulait plus rien dire. Il y avait du sang sur le sac
C’était un gémissement de bête. Un cri étouffé qu’il ne pouvait empêcher. Quand il vit ce que Stanislas tenait à bout de bras. Cette plainte, lèvres fermées, était sortie de lui comme un souffle horrible. Ce sac dans le congélateur. Ce sac informe, couvert de cristaux de gel, qu’il n’identifia pas tout de suite.
Il n’avait pas compris, tout d’abord, pourquoi Stanislas lui montrait une serpillière sortie du congélateur.
Il s’était approché, et n’avait toujours pas saisit quand il avait vu les lanières qui pendouillaient, raides, cassées, gelées, comme des branches mortes.
Stan avait lâché le sac qui était tombé à terre dans des brisures de glace minuscules qui avaient commencé à fondre.
Stan regardait le sac, muet. Il avait peur. Il s’était reculé instinctivement.
Son regard.
Dimitri avait très bien sentit cette frayeur intense. Puis, tout se modifia lentement. Stan avait décidé de faire front. IL était debout face à lui, et le guettait. Sa posture indiquait qu’il était prêt à tout. C’est là que Dimitri sentit qu’il perdait pied complètement. Il n’arrivait pas à comprendre la situation. L’absurdité de ce sac dans le congélateur…c’était quoi ? Stan, face à lui, pratiquement en position défensive. Stan son meilleur ami.
Il se replia sur lui-même, s’assit à tâtons sur une chaise, il regardait le sac et son ami, alternativement. Quelque chose avait fui dans son cerveau, il ne comprenait rien. C’était une absurdité sans nom. Il se sentait perdu. Tout lui échappait, c’était un non sens. Stan ne parlait toujours pas. Dimitri le sentait lutter contre sa peur. Contre lui. Il pouvait comprendre tout ce qui ce passait en lui ; la peur, et la nécessité vitale de la combattre. Stan le prenait pour un meurtrier, il en avait maintenant la preuve. Il devait sauver sa peau. Il vit le corps de son ami se ramasser…son visage était tellement blanc que le rouge des lèvres avait disparu. Dimitri perçut la nécessité de lui parler, de rattacher les fils. Sans le savoir pourtant, en s’asseyant et en laissant tomber en avant tout le poids de son corps, Dimitri avait fait disparaitre la peur. Cette position rassura Stan qui se remit à respirer normalement. Il n’y aurait pas de combat, pas de lutte. Stan fit quelques pas vers l’évier, et ouvrit le robinet d’eau froide. Ses mains tremblaient. Il prit un verre qu’il remplit, et Dimitri entendit nettement le bruit de ses dents contre le verre.
Après avoir bu, il respira à fond. Malgré lui, il surveillait Dimitri du coin de l’œil, mais il était déjà rassuré. Il prit encore quelques respirations ; - Qu’est ce que ça veut dire ? Mais putain ! C’est quoi ce bordel ? C’est quoi, putain, tu me réponds ? Maintenant, il hurlait presque, et ses mains tremblaient. – Merde ! Le sac de Sonia, c’est ça ?
Dimitri ne disait rien. Inerte. Bizarrement la colère naissante de son ami lui faisait du bien. Cette colère elle était réelle, elle le ramenait vers quelque chose de vrai, de possible, de compréhensible. – Donne-moi à boire… Stan ne comprit pas tout se suite, puis, lui tendit un verre d’eau. Ses mains tremblaient encore.
- Je sais pas….je sais pas du tout. Je comprends pas…
Stan marchait à grands pas dans la cuisine. – Mais putain de merde, tu le sais ! Putain, tu le sais ! T’as peur, tu veux pas le dire, mais tu le sais ! Il se pencha vers lui, le prit par les épaules et le secoua. - Tu peux pas dire que tu sais pas ! Pas à moi ! Qu’est-ce qu’il s’est passé avec Sonia ? Qu’est-ce qu’il s’est réellement passé ? Stan lui criait dessus, le secouait, la colère avait chassé sa peur. L’espace semblait avoir rétréci autour d’eux, Stan avait l’impression d’être dans un œuf, enfermé avec Dimitri, il fallait qu’il comprenne, il fallait qu’il parle. Il n’y avait plus rien d’autre que ça. Dimitri n’offrait aucune résistance, il se laissait faire. – Tu l’as tuée ? Tu l’as tuée ? Mais dis-moi !
C’est le mot tué qui fit réagit Dimitri. Il regarda Stan, une lueur dans ses yeux, les mots, leurs sens parvenaient à lui.
– Tuée ? J’ai tué Sonia ? Mais pourquoi ? Pourquoi tu dis ça ?
Stan se redressa d’un coup, excédé. – Le sac bordel ! Le sac, c’est normal ce putain de sac dans le congélo ?
Ces mots n’avaient aucun sens. Le sac dans le congélateur. Pourtant Dimitri réagit. – Mais c’est ça justement qui me fait peur ! Ce sac ! Tu comprends pas ? Tu comprends pas ce que ça veut dire ? Stan lâcha Dimitri et attendit. Il n’y avait plus qu’un silence. Un silence qui était comme un étrange contact entre eux, il n’était ni apaisant, ni angoissant, pour Stan c’était une passerelle, il allait ouvrir la vanne, toutes les choses que son ami ne lui avait pas dites. Pour Dimitri, c’était une pause, comme si avait éclairé un peu une pièce où l’on vient d’avoir très peur dans le noir. Il ne comprenait rien, mais au moins on lui laissait un peu de silence pour organiser ses pensées, ses sentiments. Il lui semblait qu’il faisait obscur dans la pièce, et pourtant tout était clair. Cela se réorganisait.
- Stan, je ne sais pas ce que ce sac fait dans le congélo. Il le regardait froidement maintenant, Je ne sais pas, quand j’ai quitté Sonia, elle était vivante, elle saignait de la tête…mais elle était vivante, je ne sais pas ce que ce sac fait là. Tu peux me croire, je ne sais pas.
Stan expira longuement l’air qu’il avait bloqué dans ses poumons. Son ami était complètement déphasé. Il ne pouvait pas dire ça. C’était l’évidence, il avait tué Sonia, sûrement involontairement, et après, bêtement, il avait planqué le sac dans le frigo. – Pourquoi tu n’es pas allé tout de suite à la police ? Pourquoi ne pas tout avouer ? Dimitri se releva à demi. – Mais avouer quoi ? Je n’ai rien fait d’autre que de lancer ce putain de cendrier, c’est tout, et c’est déjà beaucoup trop ! Dimitri avait hurlé, il s’était levé, et malgré lui, Stan se remit à avoir peur. – je n’ai rien fait…tu penses que je l’ai tuée, et bien sûr, maintenant que ce sac…tout le monde va penser comme toi. Je ne sais rien, rien de rien…
Il se rassit lourdement, se prit la tête dans les mains. Il se sentait perdu, et hors de lui, il ne comprenait pas. – Appelle les flics, je préfère encore que ce soient eux qui m’accusent que toi ! Qu’est-ce que je vais pouvoir leur dire ? Mais qu’est ce que je vais leur dire…Il se mit à pleurer, et Stan eut honte. Honte de lui, et de Dimitri. Pourtant, il prit son portable et appela la gendarmerie.
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Tout alla très vite. Les gendarmes arrivèrent et fouillèrent la maison, ils retrouvèrent les habits et la serviette ensanglantés, pas de compresses, pas de traces de soins quelconques…
La gendarmerie avait fait venir des renforts, et les recherches commencèrent, avec les volontaires du village.
Suite 12
Augustine et les recherches. (Une semaine maintenant, que Sonia est disparue)
Ils étaient venus chez elle pour lui demander si elle n’avait pas aperçu une jeune femme. Ils lui avaient montré une photo, sur un portable. Ils la lui avaient décrite, du moins son visage, son allure. Ils lui avaient donné son nom, et d’autres détails supplémentaires. Augustine qui ne recevait jamais personne avait été envahie, questionnée, presque bousculée par tout ce monde. Elle ne leur avait pas proposé de boire malgré la chaleur, car elle avait perdu la tête. Les questions allaient trop vite, et malgré ses réponses nettes et précises, elle les trouva très insistants. Elle se creusa la tête pour préciser son propre emploi du temps, mais ne trouva rien qui puisse les intéresser. Ils l’impressionnaient, ils étaient trop grands, parlaient bref, vite, et parfois, elle avait du mal à comprendre. Ils prenaient presque toute la place dans sa toute petite salle de séjour. Un des leurs, plus réservé, s’attarda pourtant, quand ils furent tous dehors, pour la remercier, et s’excuser du dérangement qu’ils avaient causé. Il avait de beaux yeux marron aussi doux que ceux de son fils. Un instant, quand il eut tourné les talons, elle eut l’envie de le rattraper, mais elle se retint.
Plus tard, ce fut l’occasion d’une grande discussion avec ses amies.
Dans la petite cour de Marie, elles avaient improvisé un goûter, thé froid, gâteaux, tartes aux framboises cette fois, et des brioches encore, toutes vernissées, rebondies, et décorées de cristaux de sucre. Elles étaient assisses à l’ombre fraîche des bougainvilliers qui n’avaient pas encore fleuri. Marie avait arrosé la petite cour où s’épanouissaient déjà les géraniums rouges et roses de l’année passée. Et bien sûr ; vue sur la place du village. Elles avaient, comme d’habitude laissé la porte ouverte, pour observer toutes les allées et venues, et anticiper les développements de l’affaire. -Tu savais qui c’est cette femme ? demanda Francine en buvant son troisième verre de jus de fruit. – Non…je sais comme vous qu’elle habitait la maison du bas, celle à la sortie…dit Marie. Elle regardait les gâteaux, indécise. Devait-elle prendre une tartelette, ou un bout de brioche ? Par cette chaleur, les framboises grenat qui débordaient largement de la pâte lui faisaient envie…mais c’était très sucré. Elle était un peu frustrée. Elle qui habitait sur la place, pratiquement face au café des deux routes, là où se concentrait « l’affaire », puisque les gendarmes venaient s’y restaurer, ne savait pas grand-chose. D’habitude, sa position stratégique lui donnait un avantage certain sur ses amies. Elle en avait à raconter. Mais, aujourd’hui, mis à part quelques allées et venues, elle n’avait pas grand-chose à leur dire.
Augustine croqua un bout de gâteau, elle avait pris une tartelette, et Marie l’interrogea du regard. Elle avoua elle aussi son ignorance. Elle leur raconta en détail la visite des gendarmes chez elle, mais ses amies n’en furent pas impressionnées, elles y avaient eu droit également. Marie voulut relancer la conversation qui languissait. – Parait qu’il lui a défoncé le crâne ! C’était dit avec une satisfaction mêlée d’horreur, éprouvée ou feinte, impossible à déterminer. Francine hocha la tête. – Oui, j’ai entendu…je sais pas grand-chose, ces gens là, y se mêlaient pas. La boulangère dit qu’ils venaient régulièrement. Y z’ avaient l’air sympas. Elle haussa les épaules, dégoûtée. On avait pas assez d’informations sur ces gens, ils ne vivaient que depuis trois ou quatre ans dans le village et n’avaient pas d’enfants, bref, rien à quoi se raccrocher, et puis les gendarmes n’étaient pas bavards. Ils posaient surtout des questions. Ils passaient, repassaient, s’arrêtaient au bistrot pour boire et parler entre eux, mais elle habitait trop loin pour percevoir les paroles. C’est alors que Francine, qui avait gardé le « secret » jusque là, frappa un grand coup : - Et ben moi, j’y suis allée au troquet ! – T’es allée jusqu’au troquet ?demanda avidement Marie. - Alors, comment t’as entendu des choses ? Y’avait les gendarmes ?
- Bon, vous savez que j’y vais des fois les jours de marché…mais là, je voulais savoir… elle s’arrêta, et les copines attendirent, légèrement énervées.
Tout le prestige de Francine était en jeu ; c’était elle la maline, celle qui avait du cran et des idées et du courage. Elle était allée au café des deux routes, en voisine, disant que justement, elle n’en avait plus de café. C’était un prétexte vaseux, de plus, elle était loin d’être une voisine, puisqu’elle vivait en haut du village. Mais quand elle était venue au café, l’air un peu perdue, Mathilde avait tout de suite compris la curiosité de la vieille femme, et au lieu de l’ignorer, avait joué son jeu. Elle l’avait bien installée, et lui avait servi un bon café, dans une belle et grande tasse bleue et blanche, comme à la maison. Près de sa tasse, elle avait posé un paquet de café entier.
– Vous m’en donnerez un en retour, quand vous aurez fait vos courses. Un sourire éblouissant. Francine avait été conquise immédiatement, et s’était jetée à l’eau. – Alors, dites moi, cette affaire… ? Mathilde ne lui avait parlé que des allées et venues des gendarmes, elle ne lui avait raconté que quelques anecdotes. Mais elle avait emballée la vieille dame, flattée de tant d’attentions et de respect. Puis, enfin, quatre gendarmes s’étaient attablés prés de sa chaise. – En fait, j’ai rien vu, et rien entendu, avoua Francine, Rien en fait…rien de bizarre. J’peux pas vous dire autre chose. Pour ce qui est du troquet, j’peux vous dire que le café il est bon, les filles elles sont sympas, et puis elles font la discute sans problème, pas des bêcheuses, c’est pas cher, c’est propre, c’est pas décoré pour mettre mal à l’aise. Ca confirme mes premières impressions.
Cela faisait quand même quatre ans qu’elle y allait.
Les copines la regardaient en pensant qu’elle se foutait un peu d’elles, qu’elle faisait exprès de les faire languir. Elles attendaient autre chose. Francine soupira – Moi, je les trouve plutôt sympas ces filles, elles ont du courage…toutes seules, se débrouiller comme ça. Elle tapota sa permanente bleue d’un geste coquet. Il fallait bien qu’elle avoue sa défaite. Elle fit la grimace. – Bon, et puis j’étais trop loin de leur table, celle des gendarmes je veux dire, j’ai rien entendu. La serveuse, la brune, Mathilde qu’elle s’appelle, elle m’a parlé, elle. Elle m’a raconté tout ce qu’elle savait, très gentille, faudra qu’on y aille toutes un de ces jours, elle me plait bien. Et ben, elle savait pas grand-chose, comme quoi que la femme elle avait disparu depuis une semaine, et puis qu’elle était blessée à la tête, comme on sait déjà, et que son mari, il avait l’air très malheureux et tout et tout… La phrase resta en suspens. - Tu as bu combien de cafés pour qu’elle te raconte tout ça ? C’était Marie qui avait posé la question, car elle connaissait bien Francine, et savait qu’elle n’avait pas trop d’argent à dépenser.
– Un. Répondit-elle laconiquement.
– Un ? Marie et Augustine s’étaient toutes les deux exclamées à la fois.
– Oui, Un ! L’autre, elle me l’a offert. Elle souriait, modeste, et ravie d’avoir été régalée.
Toutes poussèrent un soupir d’approbation.
- C’est bien, c’est une bonne fille…on ira chez elles, dit Marie, et l’autre ?
– Quelle autre ? Francine ne savait plus si elle parlait de l’affaire ou des filles.
– L’autre, quoi ! Sa copine !
– Ah ! l’autre ! Je l’ai pas vue, elle faisait la cuisine pour les gendarmes, ça, je sais qu’ils avaient faim, et elle leur a dit qu’elle n’avait plus rien que des œufs !
– Donc, dit Augustine, elle à fait une omelette.
Puis elle posa son verre, et timidement repris le gâteau qu’elle avait laissé sur l’assiette et sur lequel s’était engluée une guêpe.
Le conte, le château, les recherches.
Le conte, Lucien, caressait vaguement le chat roux qui s’était réfugié entre ses pieds. C’était la première fois que le chat venait gratuitement chez lui, sans qu’il y ait des saucisses, des pattes de poulets, ou des merguez en train de cuire sur le feu.
Machinalement, tout en le caressant, il lui retirait les petites boulettes piquantes qui s’étaient emmêlées dans sa fourrure. Le chat le regardait de temps en autres en plissant les yeux, et se mit à ronronner. C’était aussi la première fois que le chat ronronnait. Tout autour de lui, la campagne était calme, toute vibrante de soleil, il faisait très chaud. Les collines ondulaient dans le lointain. Lucien se pencha sur le chat, et l’embrassa, c’était aussi la première fois qu’il faisait ça. Il fut surpris par l’odeur. Le chat sentait le parfum. Un parfum qu’il connaissait, il l’avait déjà senti plusieurs fois flotter autour d’une femme, mais il ne se souvenait pas de quelle femme il s’agissait. C’était étrange et choquant de sentir ce parfum sur ce chat si indépendant, qui n’appartenait à personne, (à part peut-être au café des deux routes) qui allait d’un endroit à l’autre, accueilli ou rejeté, mais toujours, impassible. Il trouva que c’était idiot de penser à l’impassibilité d’un chat…enfin, ce chat allait où il voulait, et quand ça l’arrangeait. Il n’aurait pas dû sentir comme un chat d’appartement, mais plutôt la fourrure, et bien sûr, le chat. Parce que Lucien avait fréquenté suffisamment de chats pour savoir qu’ils avaient une odeur bien définie, qu’il aimait bien. Il fut un peu déçu, il aurait voulu un chat défendant mieux son intégrité morale de chat indépendant et à demi sauvage. Là, il s’apercevait que la bête faisait des concessions, et qu’en fait, elle allait avec n’importe qui…il se dit aussi qu’il n’aimait pas tellement ce parfum. C’est peut-être pour ça qu’il en voulait au chat.
Il était tôt pour descendre au village, il faisait encore trop chaud. Il s’étira un peu sur sa chaise longue, et décida de fermer les yeux. Dormir un peu, et puis après, il irait chercher son journal, et il le lirait tranquillement, près de la fontaine, comme il aimait le faire.
Il ne somnola pas longtemps, quelqu’un traversait la cour du château à grand pas, malgré la chaleur. Il se redressa, le chat le quitta d’un bond, se secoua et s’étira en lui lançant un regard gros de reproche.
Le gendarme qui s’approchait d’un pas décidé était en sueur, et visiblement fatigué. La côte qui menait au château, même si elle n’était pas aussi rude qu’elle paraissait, était incroyablement plus longue sous le soleil.
Suite 13
Mathilde, le conte et les recherches.
Après la visite du gendarme, Lucien avait décidé de descendre au village un peu plus tôt, ce n’était pas le bon jour, on n’était pas dimanche, mais il fallait qu’il prenne l’ambiance, qu’il se renseigne, qu’il flaire l’air, les commérages.
Quand il arriva au café, Mathilde le regarda étonnée.
- Bonjour, on est dimanche aujourd’hui ? Mathilde, se tenait les reins.
Depuis qu’elle avait eu « sa crise », c’était devenu machinal.
Lucien s’épongea le front. – Bon allez, voilà ce que c’est que d’avoir des habitudes ! Non, on n’est pas dimanche, mais je viens surtout aux nouvelles.
En règle générale il ne s’épanchait pas, mais il était dévoré de curiosité. Le café, lui paraissait l’endroit tout indiqué pour s’informer.
- Que se passe t-il ? Reprit-il, j’ai eu la visite d’un gendarme qui cherchait quelqu’un, mais je n’ai rien compris... Jouer le rôle du rêveur étourdi était sa grande tactique pour faire parler les gens. Mathilde regarda autour d’elle, et voyant qu’ils étaient seuls, lui livra le grand événement du village.
– On cherche la femme d’un homme qui habite un peu plus bas, et qui a disparu depuis une semaine maintenant. A la suite d’une dispute. Je crois que tout le monde pense qu’elle est morte en définitive, que le mari l’a tuée, et qu’il fait semblant. Il l’avait frappée. Lucien la regarda droit dans les yeux pour voir si elle ne se moquait pas de lui.
– Vous plaisantez encore ? Mathilde hocha la tête.
- Je ne plaisante pas, c’est très sérieux, mais vous la connaissez peut-être, elle s’appelle Sonia Wairter ?
Le comte secoua la tête. – Ca ne me dit rien. Elle est jeune apparemment, je ne fréquente pas grand monde de jeune, à part un chat roux. Il sourit.
Mathilde était vêtue d’une robe rouge, à volants, ajustée à la taille, flottante partout ailleurs, avec un décolleté qui laissait voir de très jolies taches de rousseur qui mettaient son teint en valeur. Le comte s’était toujours demandé pourquoi personne n’aimait les taches de rousseur, lui les adorait, ça lui évoquait sans qu’il sache pourquoi, un bon pain tout chaud sorti du four. Mathilde le regardait intéressée.
– Ah voilà, vous connaissez Pouf ! Lucien eut un sursaut.
– Pouf ?
- Lechat s’appelle Pouf. Enfin, je l’appelle Pouf, il va voir tout le monde. Il ne rentre au café que quand il est dégoûté de tout.
Le comte se mit à rire. – Et bien je dois vous dire que votre chat fréquente une poule ! Mathilde commença par rire. - Ne me dites pas qu’il ennuie vos poules ? Lucien la regarda droit dans les yeux, d’un air grave, et sentencieux, et d’un ton lugubre. - Non, je parle d’une vraie poule, une poule de luxe, et qui se parfume comme le curé encense l’église, si vous voyez ce que je veux dire ! Et devant l’air stupéfait de Mathilde, il sourit de toutes ses dents, et continua.
– Le gendarme m’a dit son nom, pas celui de la poule, celui de la femme, mais j’avais oublié, il m’a aussi montré une photo, mais je ne me souviens pas d’elle, pas vraiment, peut-être entre aperçue dans le village, au marché, mais je ne suis pas sûr, ce dont je suis certain, c’est qu’elle n’est pas chez moi. C’est étrange cette histoire, et le mari, il est comment ?
Mathilde n’avait rien à faire, en plus, elle aimait vraiment bien le comte.
- Le mari ? Il est perdu, angoissé, il ne dort plus. Il est grand, mince, sec de visage, yeux gris, cheveux courts, architecte, plombier, et mécanicien quand il n’y a vraiment pas de travail…comme tout le monde quoi, faut vivre. Elle haussa les épaules. Elle rajouta : – Je ne crois pas qu’il ait tué sa femme.
Le comte était étonné. – Tiens, et pourquoi ? Vous le connaissez bien ?
- Non, je ne le connais pas, mais je l’ai entendu parler avec une amie, une amie à lui, quelqu’un de très sympa.
Le comte observa Mathilde. Elle disait simplement ce qu’elle sentait, il savait que son jugement ne reposait sur rien. Rien de tangible. Elle avait sûrement une expérience des gens, mais est-ce qu’on peut vraiment avoir assez d’expérience pour ce genre de chose ? Pourtant, c’était quelqu’un de fiable, de solide. Depuis le temps qu’elles s’étaient installées toutes les deux, dans le village, il les avait vu tisser autour d’elles un véritable réseau de sympathie. Comme des oiseaux construisent leurs nids. Elles n’avaient rien brusqué, elles s’étaient insérées en douceur, elles avaient apporté de la vie, de l’écoute, de la gentillesse, de la patience. Leur café était bon, fort, pas cher, comme les sandwichs qu’elles faisaient les jours de marché, à la demande des clients, et qu’elles vendaient à un prix incroyablement bas. Leurs plats du jour de midi étaient toujours frais, simples, et généreux. Il avait bien vu que les gens leur parlaient, et qu’elles écoutaient bien. Il avait vu aussi qu’elles se souvenaient de tout, les prénoms des enfants, les préférences des gens, leurs petites manies, et leurs plaisanteries favorites, qu’elles accueillaient toujours en riant. Il était un peu déçu quand même, il s’attendait à mieux. Il ne savait pas pourquoi, mais il avait pensé qu’il apprendrait beaucoup plus de choses. Il en était au même point. D’ailleurs, il s’étonnait lui-même, pourquoi s’intéressait-il à cette histoire ? Il devait s’ennuyer sans le savoir. Il haussa les épaules et soupira tandis que Mathilde le quittait pour servir une femme qui venait d’arriver.
Lucien
Lucien n’était pas content. Rien de ce qu’il avait appris ne lui plaisait. C’était tellement banal…un couple qui se dispute, et la mort, sûrement accidentelle. Bientôt, ils découvriraient le cadavre enseveli quelque part, et la nature serait gâchée. L’idée qu’il se faisait de la nature autour de lui, sa nature. Ses herbes grouillantes de petits criquets sauteurs rouge et bleu, ses lavandes racornies et odorantes, ses pins raides et vigilants, toute sa nature serait comme salie. Il marchait tristement. Et pour une fois, au lieu de regarder à l’horizon, il regardait ses pieds. L’idée d’avoir un chien le reprit. Au moins, il aurait quelqu’un à qui raconter comment tout serait… - Alors Lucien, vous allez droit devant vous, sans rien voir ? Augustine, tout rose sous le soleil, lui souriait. Pendant quelques secondes, il la regarda sans la voir, puis, il lui sourit, soulagé. – Je reviens du village, on m’a raconté l’histoire…Ce n’était pas la peine de préciser. Augustine hocha la tête. – Oui, l’histoire…mais ce n’est pas une raison ». Le comte la regarda mieux, elle portait un joli corsage en dentelle, et se tenait plus droite que d’habitude, elle avait mis un tout petit peu de rouge à lèvres, et ses yeux pétillants le renvoyaient quarante ans en arrière.
– Je vous offre à boire au château ?
Ils ne s’étaient jamais tutoyés, même lorsqu’ils s’étaient embrassés, un jour, furtivement, ils avaient continué à se vouvoyer, s’ils étaient passés au tu, ils auraient eu l’impression de révéler leur histoire au grand jour. Il ne savait pas ce qu’il lui avait pris de proposer ça, d’habitude, il n’aurait jamais osé…elle aurait pu penser…mais maintenant, peut-être, sûrement à cause du « meurtre », il semblait qu’il n’y avait plus les mêmes conventions. Les choses étaient bousculées, en désordre. Il s’attendait à un refus poli, mais curieusement Augustine accepta. Il la regarda mieux, elle avait baissé les yeux sur le chemin, et avait commencé à avancer. – Avez-vous des nouvelles de votre fils ? Elle lui sourit, et lui parla d’une carte postale reçu une semaine avant, mais il ne l’écoutait pas vraiment. Il s’inquiétait beaucoup de ce qu’il allait pouvoir lui offrir. Il avait été tellement sûr d’un refus, qu’il était maintenant tout décontenancé. Il avait bien encore des citrons, mais il n’était pas sur d’avoir du sucre, ce serait amer. Il pourrait toujours lui faire un thé, et par chance, il avait quelques gâteaux secs. Il y avait toujours le problème du sucre… Elle marchait vite, très légère, et souple. Il en fut étonné. Elle ne donnait pas cette impression quand on la voyait immobile, on pouvait penser d’elle qu’elle était faible et cassante. Au contraire, sa démarche était précise, et vive. Il en fut tout heureux. Elle allait bien, sa santé était bonne, cela le réjouit. Elle leva la tête vers lui, et il lui sourit. Il eut envie de lui prendre la main, et de marcher ensemble, les doigts entre croisés, jusqu’au vestige du pont levis. Bien sur, il se contenta de continuer à monter.
– Qu’en disent vos amies de ce…cette histoire ?
– Mes amies ? Elle avait l’air surprise.
- Ah…mes amies…Elle laissa passer un temps, mes amies comme vous dites, elles cancanent, ou du moins elles essaient…il n’y a pas grand-chose à dire. C’était un point final et il n’insista pas. Il la fit passer devant lui, et ils pénétrèrent dans la grande salle d’arme. Augustine jusqu’ici s’était sentie sûre d’elle, et n’avait pensé à rien qu’à la soif qu’elle avait, et aussi l’envie de céder un peu, de vivre, juste une fois encore. C’était comme si l’Histoire lui avait ouvert une porte. Elle avait accepté l’invitation de Lucien, et n’avait presque plus peur. Mais une fois dans la salle d’arme, elle s’arrêta net, et prit conscience de ce qu’elle faisait, et de l’endroit où elle était. C’était une très grande salle, vide, à l’exception d’une table énorme, et de quelques très beaux sièges en bois. Rien au mur, sauf une vaste cheminée…accrochée aux pierres rudes. Sur le dessus, il y avait un globe, avec quelque chose à l’intérieur. Elle regarda autour d’elle, et Lucien lui avança un siège au cuir craquelé. Elle s’y assit d’une fesse, tout étonnée d’être là. Elle ne savait pas trop quoi faire de ses mains, alors, elle les posa sagement sur ses genoux. Le dossier très droit et rigide la forçait à se tenir toute raide, elle était gênée, mais en même temps, avait aussi envie de rire.
– Je reviens tout de suite…Lucien se retourna, au fait, je suppose que vous préférez du thé, plutôt que du jus de citron…Il espérait qu’elle comprendrait. Mais elle accepta le jus de citron avec des yeux malicieux. Il en fut un peu désespéré, et se demanda, comment il allait pouvoir sucrer la boisson, quand il se souvint, des sucres du café. Ceux qu’il empochait machinalement à chaque fois, et qu’il laissait trainer dans une assiette à la cuisine. Il soupira de soulagement.
– Oui, un jus de citrons… Je peux venir avec vous ? Dans cette grande salle, elle se sentait gênée, observée par les murs, happée par la cheminée trop grande…Lucien n’osa pas lui dire non, mais il craignait qu’elle ne découvre l’état lamentable dans lequel était la cuisine. Pourtant, c’était une pièce très intime, et assez belle. Bon, et bien, elle allait découvrir l’extrême simplicité, pour ne pas dire plus, dans laquelle il vivait. En passant devant la cheminée, elle s’arrêta net. Machinalement, elle avait regardé ce qu’il y avait sous le globe. C’était une très vieille rose fanée, fripée, entourée d’un ruban mauve très pâle, décoloré par le temps. Le premier coup d’œil la laissa indifférente, mais après une demi-seconde, elle fit un pas en arrière et regarda mieux. Son cœur alors se décrocha un peu. Cette rose et ce ruban l’envoyaient d’un seul coup très longtemps en arrière : - Vous l’avez gardée… ? Lucien se retourna, et suivit son regard. Il resta interdit un long moment avant de murmurer un oui inaudible. Il était très rouge. Puis devint incolore. Augustine ne put s’empêcher de sourire, puis de pâlir à son tour. Elle s’approcha de lui, et lui prit les mains. – Je te remercie pour…elle cherchait ses mots, ne voulait pas se tromper…pour ta fidélité. » Elle le regardait bien en face. Elle continua pourtant bravement. – J’ai toujours regretté ma décision…toujours…j’attendais le bon moment pour te le dire…mais il n’y a jamais de bons moments. Lucien ne dit rien. C’était trop, le « tu », l’aveu, les mains… Il les lui serra très doucement, elles étaient si fines, si cassantes, et si douces ces mains qu’il tenait comme une paire d’ailes d’oiseau dans une cage de chair. Il sut qu’il avait des larmes dans les yeux parce que tout devenait flou et tremblant, mais il était tellement heureux. Il la conduisit en aveugle jusqu’à la cuisine. Il avait oublié que dans l’après midi le soleil donnait à plein. Ils entrèrent dans une pièce lumineuse, et chaude. Les carreaux de faïence blanc et bleu miroitaient, le cuivre pourtant terni des casseroles se dorait un peu, et sur la table, un gros chat roux finissait avec application une assiettée de sardines. Augustine se mit à rire, et Lucien n’eut pas le courage de gronder le chat. Il dit d’une voix un peu faiblarde : – D’habitude, ce chat, il s’appelle Pouf, vient pendant le barbecue, mais là…Augustine souriait encore et acheva la phrase commencée par Lucien. – Là, il nous attendait. Mais il ne s’appelle pas Pouf, il s’appelle George…enfin, je l’appelle comme ça, peut-être qu’il s’appelle Pouf en fait. Ils ne s’étaient pas lâchés la main, et Lucien se demanda fugitivement comment il allait faire pour presser les citrons.
Stan. Son tourment. Sa conscience.
Stan se traitait de traitre, et ne s’aimait plus. Il avait forcé Dimitri à aller voir la police pour leur faire part de sa découverte. Il y avait eu une énorme tourmente. Ce n’étaient pas les mots car ils avaient été absents, c’étaient tous les gestes et les regards qui poursuivaient Stan. Dimitri lui avait dit qu’il n’avait pas tué Sonia. Il ne pouvait le croire. C’était ça qui n’allait pas chez lui. Comment pouvait-il ne pas croire Dimitri ? Le sac était dans le congélateur, Stan pouvait le trouver à tout moment puisqu’il vivait, depuis la disparition de Sonia, dans la maison de son ami comme chez lui. Il ne comprenait pas que Dimitri ne l’ai pas caché ailleurs…il pensait qu’il avait perdu toute notion du réel, peut-être même qu’il voulait qu’on le découvre, qu’on l’accuse ? Stan était quand même était le traitre. Logiquement, il aurait du protéger son ami. Il ne le pouvait pas. C’était un crime, il avait tué. Accidentellement d’accord. Mais Sonia était morte. Il n’arrivait pas à croire Dimitri, et c’était ça qu’il ne pouvait supporter. Il n’avait pu se résoudre à rester dans sa maison. Alors, il avait tourné autour, comme un chien qui furette obstinément. Il devait y avoir des traces, quelqu’un qui saigne, qui est fragilisé, se dirige au hasard, ou alors va droit à un endroit sûr ? Mais quel indice pouvait-il bien chercher, ou trouver ? Un indice de quoi ? La preuve que Sonia était morte, ou la preuve de l’innocence de Dimitri ? Si Sonia était vivante, elle aurait pris son sac, son portable, ses papiers…il n’y avait aucun doute possible. Dimitri était coupable de violence. Il lui semblait que Dimitri aurait dû avouer. Il aurait pu dire qu’il l’avait tuée accidentellement, si c’était bien le cendrier, le choc qui l’avait fait sombrer dans l’inconscience…il voyait bien la scène ; Dimitri jette le cendrier, Sonia s’écroule, Dimitri va vers elle, la regarde, l’appelle, et puis l’affolement… il y a beaucoup de choses qui passent par la tête dans l’affolement. D’après ce que lui avait dit son ami, et ce qu’il avait pu entendre des gens qui l’avaient rencontré ce jour là, il aurait eu trop peu de temps…pour camoufler le corps. Il fallait qu’il se penche vraiment sur son emploi du temps, les horaires, et tout…mais en fait, c’était le travail des flics…et puis, est-ce que Dimitri avait regardé sa montre. Tout était flou dans le récit de son ami, il n’y avait pas d’heure, et pas de lieux vraiment précis, il y avait une errance. C’est là que Stan se détestait, car si Dimitri avait tué Sonia accidentellement, et n’avait pu supporter d’affronter son acte, il aurait fait en sorte d’établir des alibis, des horaires…pourtant non, ça n’allait pas non plus, si le meurtre avait été fortuit, non prémédité, il aurait agi dans la panique, et n’aurait pas pensé à tout ça. En fait, plus Stan réfléchissait, et plus il trouvait que Dimitri était coupable. Il fallait le persuader d’avouer. Dire ce qui c’était passé. Accepter son acte. Payer. Repartir à zéro. C’est seulement à ça que Stan se devait de l’aider. Pas en démontrant qu’il était innocent. L’aider à assumer un acte involontaire, qui avait tué quelqu’un. Est-ce que c’était possible ? Pouvait-on supporter l’idée d’avoir la mort de quelqu’un qu’on aime sur la conscience, d’en être responsable ? Il faudrait du temps, beaucoup de temps et de patience. Stan pouvait être aux côtés de son ami pour l’aider, pour le soutenir. C’est tout ce qu’il pouvait faire de positif. Et pourtant non. Dimitri était tout sauf un imbécile, pourquoi aurait-il laissé le sac dans le frigo ? Il aurait pu à la rigueur, le jeter vite fait après avoir tué Sonia, mais il n’aurait jamais pu oublier qu’il s’y trouvait. Au risque que n’importe qui le trouve, et à n’importe quel moment.
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Suite 9( Pétra, deux vieilles, et des gâteaux.)
La fournée de pains tout chauds répandait une odeur délicieuse dans toute la boulangerie.
Pétra se regarda dans les glaces du magasin. Elle se trouvait belle. Les glaces n’étaient pas très propres, et elle ne se voyait pas en détails. Mais tout de même. Le tablier blanc lui allait bien, et mettait en valeur son teint bruni par le soleil. Elle s’approcha un peu plus de son image, et releva ses cheveux pour mettre en valeur son oreille. Elle était jolie cette boucle d’oreille en or, bien sûr, il aurait fallu qu’elle ait les deux, mais en ne relevant qu’un pan de sa chevelure, elle mettait une seule oreille à nu. Une seule boucle suffisait donc. Elle avait eu de la chance de la trouver, et cela aurait été un vrai miracle qu’elle trouve les deux, dans une seule partie de pêche. Dommage pour celle qui l’avait perdue, mais c’était la vie. On ne perd toujours qu’une seule boucle d’oreille, c’est comme ça.
- Bonjour Madame Tijeard ! Comment allez- vous?
Ce matin, elle avait décidé qu’elle serait aimable avec les clientes, surtout les plus pénibles. En quelque sorte, elle faisait sa bonne action du jour.
La vieille étonnée la regarda un instant, sans oser imaginer que c’était à elle que la jeune fille s’adressait. D’habitude, Pétra condescendait à servir la clientèle sans amabilité superflue. De toute façon, pensait-elle, il n’y avait qu’une seule boulangerie au village, alors…La dame aux cheveux bleuté se ressaisit.
- Bien, ça va bien…et toi ? L’école ?
Ca y était ! En dépit de ses bonnes résolutions, elle eut une envie immédiate de la laisser choir, elle détestait qu’on la questionne au sujet de ses études, surtout lorsqu’on lui demandait « comment ça va l’école » alors qu’elle était déjà au lycée. Elle se força à répondre aimablement que tout allait bien, et trancha furieusement le pain en deux. Pendant ce temps, Marie (la première vieille entrée dans la boutique) s’était tournée vers son amie, et continuait une discussion commencée dehors. – Elle est différente je te dis…elle ne parlait déjà pas souvent, mais là, elle ne fait qu’écouter…remarque, elle n’a pas l’air d’être malheureuse, mais je me demande…Son vis-à-vis hocha la tête, elle regardait dans le vague. – Tu as raison, il faut que je fasse une petite virée jusqu’à sa maison…un pain très cuit, et ces deux tartelettes aux fraises…et puis, cette petite brioche, elle a l’air…
S’en suivit une remarque déplacée de Marie (la deuxième dame âgée) sur le fait que les gâteaux très sucrés n’étaient peut-être pas recommandés quand on avait du diabète. L’argument fut effacé d’un grand geste par son amie Francine, tandis que Pétra qui avait suspendu son geste, brioche en l’air, l’achevait dans un sourire. La brioche rebondie, et les deux tartelettes aux fraises très rouges furent emballées…et Francine se défendit : - Tu vois, justement, ces gâteaux, c’est pour Augustine, ça me donnera un prétexte…- On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, non ?
Elles sortirent dignement, après avoir salué Pétra dont le sourire commercial se figea en apercevant Dimitri.
Depuis la partie de pêche, elle ne s’était plus retrouvée devant lui. Elle sentit qu’elle se mettait à rougir, elle bafouilla un vague bonjour, tout en triturant son tiroir caisse.
– Un pain de campagne.
Pétra se retourna en lui tendant le gros pain tout craquant, et fit un effort pour lui sourire. Il la regardait s’efforçant d’y répondre. Puis, brusquement, son regard changea quand il se fixa sur la boucle d’oreille.
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Suite 8
Mathilde, Rose, le chien, Petit-Jean.
Mathilde s’était arrêtée de compter. Sans s’en rendre compte, elle écoutait, et quand elle entendait mal, elle se penchait pour saisir les mots qui lui échappaient. Elle se surprit à tendre l’oreille une fois de plus, et n’en eut même pas honte. L’histoire l’intéressait .D’un seul coup, l’ami sec (Dimitri avait-elle entendu) prenait une autre dimension. Elle interprétait différemment sa manière d’être, et se demanda si elle avait vu Sonia, sa femme, un jour ou l’autre dans son café. Il faudrait qu’elle sache comment elle était. Dimitri répétait encore, comme pour laisser Rose se reprendre. - J’ai cherché partout. J’ai téléphoné à tous les amis que nous connaissons, et je me suis rendu dans tous les endroits que Sonia aime. Rien, personne ne l’a vue. Avec Stanislas, nous avons parcouru les promenades qu’elle fait d’habitude…mais tu sais, je ne vois pas pourquoi elle serait allée se promener avec une plaie à la tête…Rose était gênée par ce qu’elle avait à dire, mais le fit quand même. - Tu crois que personne ne te cacherai la vérité, ne la cacherai pas, par exemple, si elle voulait t’oublier pour un temps ? Il haussa les épaules, impatienté. – C’est possible…Mais je m’en fiche ! Elle peut faire ce qu’elle veut. Il constata encore une fois. - je lui ai laissé au moins vingt messages ! Je cherche seulement à savoir si elle va bien, je ne veux ni la récupérer, ni avoir de discussion avec elle si elle n’en a pas envie. Dans tous mes messages, je lui demande seulement de me dire comment elle va, elle est libre ! Il porta la tasse à ses lèvres, mais elle était vide maintenant, il eut un regard dépité.
Rose l’observa attentivement. Il était sincère, elle avait déjà parlé avec Stanislas qui lui avait raconté ce qu’il lui était passé par la tête, l’idée du meurtre… ou plutôt celle d’une mort accidentelle…mais ça ne tenait pas. Elle n’aurait pas su dire pourquoi, mais elle ne voyait pas Dimitri en meurtrier puis, dissimuler le corps et jouer la comédie. Elle avait été froissée que Stan ait eu cette idée. Cette peur. Pourtant, normalement, elle n’aurait pas dû écarter cette possibilité. C’était possible. Après tout, que savait-elle vraiment de lui ?
Cette histoire l’intriguait, la mettait mal à l’aise, peut-être parce qu’elle avait l’impression que personne n’en parlait franchement. Qu’il y avait quelque chose de larvé, d’inavouable. Rose désirait que Dimitri soit sincère et ça elle se le disait honnêtement. Jusqu’à présent, elle n’avait jamais pensé vraiment à ce qu’était Dimitri pour elle. Un ami, un ami du petit groupe. Discret. Comme tout le monde. Quand elle avait reçu le coup de fil de Dimitri, elle ne lui avait posé que quelques questions. Elle s’était toujours dit que quelque chose devait arriver. Pas une disparition, ou un meurtre. Mais Sonia, un jour lui avait fait l’honneur dédaigneux de quelques confidences. Elle avait parfaitement senti, à ce moment, qu’elle n’était qu’un pis aller, et que si Sonia se confiait à elle, c’était parce qu’il n’y avait personne d’autre. Sonia avait eu besoin de s’épancher. Rose en avait été humiliée. Oui, quand elle y pensait, c’était bien de l’humiliation. Sonia lui avait parlé avec une condescendance révoltante. Elle en avait été furieuse. Du coup instinctivement, elle s’était rangée du côté de Dimitri. Une chose l’avait frappée pourtant, il était clair que Sonia n’était qu’une provocatrice. Elle l’avait toujours perçue, comme sûre d’elle-même, rayonnante. Elle s’apercevait que Sonia avait peur. Peur de perdre son mari, et qu’elle recourait à des ruses misérables dans l’espoir de le garder. C’était banal. Etrangement aussi, en se confiant à Rose, et en lui faisant sentir qu’elle n’était rien qu’une sorte de personnage de deuxième classe, un second rôle négligeable, un faire valoir, elle avait éveillé en elle un sentiment d’orgueil…orgueil froissé. Ces confidences lui avaient révélé, un Dimitri qu’elle n’avait pas encore vu. Sonia avait braqué le projecteur sur lui, et Rose l’avait regardé comme elle ne l’avait jamais fait. Et comme à cet instant elle détestait Sonia, elle avait trouvé que Dimitri était beau. Désirable et désiré d’ailleurs par d’autres femmes…Sonia lui avait laissé entendre qu’il était jaloux, qu’il la trompait, mais qu’elle même ne l’avait jamais fait. Après ce déballage, Rose était au bord de la nausée.
Tout cela lui revint en un instant pendant que Dimitri regardait sa tasse vide, que Stan tirait avec application sur sa cigarette, et qu’un moineau se risquait courageusement à leurs pieds.3Ellereprit:
- Il faut que tu téléphones aux hôpitaux…même si tu as honte. Stan m’a expliqué que tu avais peur qu’on refuse de te donner des nouvelles à cause du coup qu’elle…Rose fit un geste. Si tu me permets, demain je pourrais les appeler ? Si tu le veux aussi, j’appellerai tous les amis…du moins ceux que je connais ?
Dimitri la regarda avec soulagement, et pendant une fraction de seconde, de gratitude. Puis, il reprit cyniquement – Y’en a pas beaucoup dans le secteur, tu auras vite fait…après j’irais voir les gendarmes. J’aurais du y aller d’ailleurs depuis longtemps.
Rose était très droite maintenant sur sa chaise, elle était sur le point de partir, et Dimitri éprouva pendant quelques secondes une impression profonde d’abandon. Elle le regarda – Tu as raison, fais-le. Je te tiendrai au courant.
Puis elle se leva, vida son verre, laissa un peu d’argent sur la table que Dimitri lui rendit, fit un signe à Mathilde, et se mit en route.
Mais Mathilde l’avait guettée, elle se précipita derrière elle.
Mathilde Rose.
Mathilde n’avait rien prémédité, elle s’était levée et avait emboîté le pas de Rose qui se retourna surprise.
- Oui ?
Mathilde devant le regard clair et étonné de Rose n’eut pas une seconde d’hésitation, elle se lança :
- J’ai entendu votre conversation, sans vraiment écouter… Elle s’arrêta et reprit.- En fait, j’ai vraiment écouté volontairement, et …j’aimerais savoir comment est votre amie…je l’ai peut-être vue au café…
Rose ne fut pas choquée. Elle regarda attentivement Mathilde comme si elle se trouvait face à l’image de Sonia :
- Elle est plutôt grande, brune, cheveux long, yeux marron clairs, visage très régulier, elle se tient très...enfin, tu sais, elle est un peu fière…
Elle chercha quelque chose qui pourrait être un signe réellement distinctif, eut un geste vague…- Elle ne s’habille pas très classe, tee-shirt jean, basket, mais sur elle, c’est toujours comme si elle portait des trucs extraordinaires…elle ne se maquille presque pas…je ne sais pas quoi te dire d’autre. Elle fume.
C’était vague, bien trop vague, Mathilde insista.
- Qu’est-ce qu’elle boit ? Je peux la repérer comme ça en plus…de ce que tu m’as dit.
Rose se rendit compte qu’elle ne connaissait pas du tout Sonia. En fait, elle ne l’avait côtoyée qu’épisodiquement, c’était une connaissance, qui faisait partie d’un réseau d’amis plus ou moins proches.
- Sa boisson préférée ? je n’en sais rien…Rose avait l’air un peu perdue, Elle ne pouvait pas en dire plus, elle n’avait dressé qu’un portait sommaire qui à l’évidence, ne servirait à rien.
Elle réfléchi un instant : - … j’ai peut-être une photo sur mon portable, on a fait une fête, j’ai pris… Elle consulta son téléphone, et fini par dénicher une photo plutôt floue d’une femme qui dansait au milieu d’autres personnes. C’était légèrement brouillé, mais on devinait une femme assez grande, et bien qu’elle affichât un beau sourire, on sentait une espèce de froideur, ou plutôt de distance dans tout son corps, comme si elle se retenait. Mathilde scruta l’image lumineuse.
- Elle est toujours comme ça ?
- Comme ça comment ?
- Distante ?
Rose regarda la photo plus attentivement.- Oui, c’est vrai qu’elle est distante…je dirai oui. Et Rose regardait l’écran comme si elle voulait comprendre quelque chose. – Oui, parfaitement, l’air distant, et froid…
Mathilde ne voulait pas intervenir, elle observait Rose. Concentrée. A cet instant, un petit chien noir et blanc entra en trottinant allègrement dans le café, comme s’il rentrait à la maison. – Tiens c’est Sam…bonjour Sam…Le chien tout joyeux se dirigea vers Mathilde dont il lécha la main. – J’aime ce chien, il est brave, il précède toujours son maître, s’il pouvait, il commanderait à sa place, et ne se tromperait pas…Le chien s’était couché à ses pieds, et Rose aurait juré qu’il souriait en regardant Mathilde. - Viens Sam, je vais te donner de l’eau, puis, se tournant vers Rose, elle lui fit un signe de la main, et Rose s’en alla mais avant, elle ne put s’empêcher d’aller caresser le chien. Un homme aux paupières rougies entra, et s’assit à une table, il avait l’air fatigué.
Le chien se précipita sur l’eau, et la lapa avec des bruits effroyables en en mettant partout comme il se doit. Il releva son museau ruisselant, regarda Mathilde avec des yeux pétillants et joyeux, puis, il tourna vers l’homme. Il surveillait son maître. Mathilde, debout tout près du chien lui souriait en se demandant quels souvenirs très vagues lui évoquait la photo brouillée. Ensuite, comme si cela pouvait l’aider à provoquer un déclic elle regarda Dimitri, qui avait la tête baissée sur sa tasse, et qui ne bougeait pas. Son ami, le bon gros chien en face de lui, avait l’air malheureux.
Elle se massa machinalement le dos. Petit Jean la regarda en rigolant. – On dirait qu’on ne rajeunit pas…ha !ha !ha !
Mathilde lui sourit, en pensant que c’était vraiment un vieux con ! Puis, comme d’habitude, elle eut honte de cette pensée. Il essayait seulement d’établir un contact. – Ben non, et puis, moi, je ne suis pas comme vous, je ne m’anesthésie pas à l’alcool !
Elle n’avait pas pu s’empêcher d’être vache.
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Suite 7
Lundi au café. Dimitri discussions avec Stan et Rose
Lundi soir… Stanislas s’était installé provisoirement chez Dimitri. Il avait essayé de calmer l’angoisse de son ami en restant à ses côtés. Il avait dormi chez lui, apportant ses affaires pour travailler, faisant le repas du dimanche soir.
Stan avait pris le temps de retéléphoner à tous leurs amis communs afin de vérifier encore s’ils n’avaient pas vu Sonia. Il s’était dit qu’ils lui parleraient plus facilement. Mais cela ne donna rien. Personne ne l’avait vue.
La journée du lundi avait été une sorte d’attente bizarre. Stan avait essayé de travailler, mais y avait renoncé. Dimitri tournait en rond, bougeait les objets, lui parlait à tout bout de champ.
Ils décidèrent de sortir prendre un verre au café, pour s’aérer.
Ils s’installèrent en terrasse. Elle était déserte. Le soleil déjà haut, n’était pas encore très chaud. Quelques moineaux curieux, les observaient en retrait. Mathilde, un peu courbée, arriva prendre leur commande. Ils la regardèrent avec curiosité, sans oser la questionner sur le pourquoi de son étrange démarche. Ils ne la connaissaient pas suffisamment pour le faire.
Mathilde les avait vu s’attabler tous les deux avec surprise. Elle connaissait Dimitri de vue bien sûr, il était déjà venu plusieurs fois, la dernière, pas plus tard qu’hier. Mais elle s’étonna de le voir là un lundi. En général, ce jour là, le village était vidé de tous ses actifs. Il était accompagné d’un ami qui conquit immédiatement sa sympathie. Il avait une bonne grosse tête de chien, des gros cheveux bouclés, de bonnes bajoues, un bon gros sourire. Tout était gros chez lui, grosse bouche, gros yeux bleus, grosses pattes…mais le tout étrangement, était charmant et doux. Il avait une voix calme, posée, un peu chantante. L’opposé de son vis-à-vis. Sec, musclé, cheveux raz, et gestes précis. Ils parlaient par à coup. Ils avaient l’air soucieux. Fatigués.
Lorsqu’elle revint avec les boissons, une jeune femme s’était assise à leur table.
Elle reconnut Rose qu’elle connaissait bien. Elle l’aimait pour son naturel, sa décontraction, et sa gentillesse. Cheveux blond embrouillés autour d’une tête fine aux grands yeux gris sensibles. Les mains de la jeune femme étaient toujours couvertes de minuscules griffures, dues au jardinage. Quand elle ne travaillait pas à sa boutique, comme aujourd’hui, elle s’occupait de son jardin potager. C’était une passion, et aussi une vraie réussite. Elle obtenait des fruits, des légumes, et des fleurs de toute beauté.
Elle venait souvent au café, et y avait même organisé une petite fête impromptue, qui avait fait beaucoup pour attirer d’autres clients par la suite. Elle s’étonna de la voir assise en face de l’ami sec. Rose le regardait avec gentillesse, un petit air indulgent…il lui avait à peine sourit, et Mathilde en avait été intriguée. Elle prit la nouvelle commande, les servit, puis, s’assit à l’ombre, dans la grande salle, derrière eux pour faire ses comptes.
Rose regardait Dimitri avec inquiétude. -Tu n’as toujours pas de nouvelles ? Répond moi…je sais bien que ça ne va pas, on ne peut rien faire si tu restes muet…as-tu rappelé sa mère ? Stan soupira, il en avait déjà eu l’idée, mais y avait renoncé devant l’air buté de son ami. Il était content de l’intervention de Rose, il espérait qu’elle le convaincrait d’aller de l’avant.
Dimitri sursauta. – Si je veux la merde, j’appelle sa mère…tu veux que je la tue ou quoi ? Elle sera folle d’inquiétude si je lui dis que je n’ai plus de nouvelles de Sonia depuis dimanche matin.
Malgré le ton sec de Dimitri, Rose ne lâcha pas – Mais il faut que tu le fasses, tu ne vis plus…tu ne fais plus rien…tu ne peux pas rester comme ça ! Il haussa les épaules, exaspéré. – Oui, alors j’appelle, et je dis que je ne sais pas ce que Sonia est devenue après que je lui ai lancé un cendrier qui lui a ouvert le front, c’est ça ton idée ? Elle est vachement bonne. Dimitri se prit la tête dans les mains, et la releva avec un mauvais sourire. - J’ai tord je suppose ? Mais Rose le regardait calmement, sans rancune, elle n’était pas choquée, comme si elle s’était attendue à cette réaction. Elle jeta un regard à Stan, qui la soutint d’un infime signe de tête. Dimitri se rendit compte que son agressivité était hors de propos. Rose était l’une des rares personnes qui était venue lui proposer son aide. Stan regardait ailleurs d’un air réprobateur. Ils avaient raison. Il fallait bouger, agir.
La jeune femme reprit son idée. – Demande à quelqu’un d’autre de le faire. En trouvant un prétexte. Son regard était insistant, et Dimitri n’aima pas le ton qu’elle avait pris. – Toi alors ? Tu la connais bien sa mère ? Tu peux lui dire quoi exactement qui soit crédible ?
Rose se rendait compte qu’il avait raison. Il fallait trouver la bonne personne, quelqu’un qui soit vraiment intime. Mais en admettant qu’ils trouvent cette personne, si Sonia n’était pas avec sa mère, l’inquiétude serait la même. Rose buvait son café à petites gorgées les yeux dans le vide, puis elle s’arrêta, et regarda Dimitri. – je crois que n’importe quelle amie fera l’affaire. Je vais lui téléphoner, donne moi son numéro.
Dimitri après avoir consulté son téléphone, et revérifié qu’il n’avait aucun message de Sonia le lui donna. Sans attendre, elle appela. - Allo, je voudrais parler à Sonia s’il vous plait…je m’appelle Rose, Sonia à perdu son portable, elle voulait se rendre chez vous, et j’ai besoin de lui parler. Dimitri pouvait sentir le parfum de Rose, c’était très doux, de la mûre, ou alors un fruit rouge, c’était très intime, presque un parfum maternel…-…Elle n’est pas là ?...ah, alors elle viendra plus tard, j’ai du mal comprendre… Je suis désolée de vous avoir dérangée, passez une bonne journée. Elle éteignit son portable. Pensive – Tu as entendu. Elle ne l’a pas vue. Elle s’inquiète de ne plus pouvoir la joindre. En fait, ça l’a rassurée de savoir qu’elle avait perdu son portable. Stan ne disait rien, il avait espéré que Sonia serait chez sa mère. Il regarda Dimitri. Il avait l’air perdu. Ils restèrent un long moment sans parler. Il leur semblait à tous les trois qu’ils étaient arrivés à un moment où il fallait passer à autre chose. Etre plus efficaces.
- Je vais voir les flics dès cet après-midi ! Je ne supporte plus... Rose regarda Dimitri longuement, comme si elle voyait à travers lui quelque chose de palpable, de dur. - Si, j’imagine parfaitement, c’est pourquoi je suis là, avec vous. Stan sourit, tandis que Dimitri regardait la jeune femme avec étonnement.
Il se demanda si c’était pour lui ou pour Sonia que Rose s’inquiétait. Lui, il était le coupable, on ne pouvait pas s’en faire pour lui, il était presque un meurtrier…il était le violent, l’homme qui bat, c’était Sonia qui avait disparu…Rose le regardait avec gentillesse, et Stan avec compassion. Rose, pendant ce temps, semblait avoir réfléchi à quelque chose. Elle s’expliqua.
– Dimitri, je comprends votre dispute…cette soirée a été odieuse, c’était n’importe quoi. Sonia, je ne l’excuse pas…je suis venue pour toi. Je ne sais pas ce qu’il y a entre vous, mais ce n’est pas bon. Tout le monde sait que votre relation est malsaine…enfin…je ne trouve pas le mot…
Dimitri haussa les épaules, il trouvait ça presque comique. Une relation malsaine. Elle en avait de ces mots ! Il reprit, presque agressif. - Une relation malsaine, c’est bien ce que tu as dit ? Rose rougit, et Stan vint à son secours.
- Ecoute, on ne va pas jouer la comédie, non ? …tu le sais bien. Toi-même tu le disais que ça n’allait pas, que tu en avais assez…
Il souligna son propos d’un grand geste tranchant, qui étrangement rétablit un équilibre entre eux. Les moineaux s’étaient approchés, puis, ne trouvant aucune miette s’étaient éloignés de nouveau. Il commençait à faire chaud. Mathilde prononça un merde sonore, elle s’était trompée dans ses comptes.
Rose, les sourcils froncés, regardait les deux hommes. – Ils faut aller à la gendarmerie sans tarder. Stan approuva d’un mouvement de la tête. Depuis la veille il y pensait sans oser le dire.
Mais Dimitri réfléchissait à ce qu’avait dit Rose. Qu’est-ce qu’une relation malsaine ? Ce mot était…dérangeant. On pouvait tout y mettre. Tout penser. Plaie, fracture, torture mentale…sadisme. Perversion. En fait, tout était plus simple, en apparence.
Il releva la tête : - Tout le monde sait que notre relation est malsaine, c’est bien ça que tu as dit ? Tout le monde ? Ou tu interprètes ? Rose avait rougi. – Je n’interprète pas…on se le dit…voilà, rien de plus. Dimitri imagina en un instant ce que pouvaient dire leurs amis, de quelle manière ils pouvaient les percevoir. Personne ne pouvait imaginer les relations qui existaient entre eux. Elles n’étaient pas mauvaises, apparemment. C’était trop lisse au contraire. Ils essayaient de se parler comme des noyés qui tendent la main vers le ciel, par reflexe. Tout ce qu’ils se disaient était arrangé, jamais, ils n’avaient été sincères, ils avaient toujours voulu correspondre à l’idée qu’ils avaient d’eux-mêmes. Une image irréelle, qu’ils ne saisissaient ni l’un ni l’autre. Ils ne comprenaient pas leurs gestes les plus intimes. Jusque là, ils avaient avancé en marchant en aveugle côte à côte. Ils n’avaient pas voulu se regarder, ils s’étaient fuis, avec la même obstination bornée, en se disant qu’ils ne pouvaient pas faire plus que ce qu’ils faisaient déjà.
Rose ne l’avait pas quitté des yeux, comme si elle suivait les pensées.
Dimitri soupira. Ils étaient coupables tous les deux. Il lui semblait pourtant que Sonia avait toujours bénéficié de l’indulgence du groupe d’amis. Il regardait Rose, étonné. Elle voulut se justifier : - Tu penses qu’on se trompe ? On voit bien que Sonia fait n’importe quoi, ou du moins elle en donne l’impression, on voit bien qu’elle a besoin d’être admirée, de dominer…. J’en ai marre de me taire, de faire semblant…je ne pouvais pas aimer Sonia. Il fallait absolument qu’elle séduise au moins un homme, par soirée. J’ai beau savoir que c’était malgré elle, ça m’énervait. Dimitri fut surpris, elle avait vu si juste, elle était si proche de la vérité, qu’il se demanda pourquoi elle s’était intéressée de si près à Sonia.
Il la regarda. Elle était belle dans son tee-shirt blanc un peu fatigué. Ses cheveux étaient mêlés de brindilles, elle avait dû débroussailler son jardin ce matin et ses mains un peu écorchées le confirmaient. Il regardait ses lèvres qu’il avait toujours vues un peu gercées. Elle avait des yeux transparents, très clairs, gris bleuté, mais rien n’était fade chez elle. Dimitri n’aurait pu définir à quoi tenait son charme. Elle était gentille sans être niaise, directe sans être blessante, ses gestes étaient sans affectation. Il pouvait la croire. Il se sentait bien en face d’elle. Pas un instant il ne s’était senti coupable. Elle était comme Stanislas, une amie. Il se demanda si elle l’aimait. Pendant ce long silence, Rose s’était sentie honteuse. Elle avait lancé ses déductions d’un ton qu’elle jugeait supérieur. C’était trop facile. Elle s’excusa.
Stan s’éclaircit la gorge laborieusement, il se sentait de trop. C’est lui qui aurait dû dire ça à Dimitri. Rose l’avait devancé, et elle avait eu raison. Elle était courageuse. Il savait avec certitude qu’elle ne doutait absolument pas de Dimitri…Lui, oui. Il l’avait vu en meurtrier. Il enviait la confiance de Rose.
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(Suite 6….)
Le tour de rein de Mathilde.
C’est bien avant les derniers événements rapportés, que, dans la même journée de dimanche, Mathilde fut bloquée.
C’est exactement quand elle se baissa pour ramasser un bout de pain, qu’elle resta coincée. Juste derrière le bar. Une douleur infranchissable. Elle poussa un gémissement, et immédiatement quatre têtes se penchèrent vers elle. Curieuses d’abord, et rigolardes ensuite.
Etrange comme les gens sourient quand ce n’est qu’un mal de dos…
- Bloquée la belle ? Ricana un inconnu qui ne venait que les jours de marché.
– A ben non, je cueille des marguerites…Grinça Mathilde en le maudissait sévèrement intérieurement, tout en lui dardant un regard de réfrigérateur.
- Bon, y’a quelqu’un qui va m’aider, ou je reste à quatre pattes ?
Béa, la grande Béa, passa derrière le comptoir, souleva Mathilde, comme elle put, aidée d’un vieux surgi de nulle part. Ils l’assirent sur une chaise.
Mathilde se pencha aussitôt, la tête vers le sol.
– Faut la coucher. Insista le vieil inconnu providentiel.
- Faut appeler le pharmacien. Insinua intelligemment un autre.
- Faut lui mettre une bouillote. Hasarda une habituée.
A cet instant Apolline revint dans la salle et vit Mathilde assise sur une chaise, entourée d’un groupe qui en arrivait presque à l’invective :
- Tu vas pas lui donner du thym alors qu’elle a mal au dos ? Marmonnait la grande Béa.
– Rigole ! Tu veux bien lui plaquer des glaçons sur la colonne ! Mathilde toujours la tête en bas, étirait ses bras le plus loin possible devant elle. D’habitude ça marchait, mais à cet instant précis, elle avait plutôt envie de se lamenter, la douleur était toujours là, bien ancrée.
- Elle vomit ?…S’inquiéta Apolline en s’approchant d’une Mathilde qui avait le regard vaseux et hargneux des crises de foie.
- J’ai super mal, dit à tous ces abrutis de foutre le camp. Les abrutis se regardèrent sans comprendre. C‘était bien d’eux dont Mathilde parlait, ou d’autres ?
Apollo pensa une fois de plus, que son amie parlait toujours trop fort, et que cela pouvait engendrer des tensions. Ca ne loupa pas. Le groupe des abrutis compatissants ayant finalement détecté l’insulte, répliqua aigrement.
- Bon les abrutis vont te laisser...Et ils firent mine de partir en un groupe solidaire.
– Mais non, vous la connaissez, amadoua Apolline, grande gueule comme tout le monde quand elle a mal…je vous offre un verre, (elle pensa qu’elle allait se ruiner en verres de réconciliation, d’apaisement) et on va appeler le pharmacien. Béa, merci, tu peux aller le chercher, je crois qu’il est encore à la terrasse ?
Mathilde avait mis sa tête dans ses bras, plus un mot ne sortait de sa bouche. Apolline avait déjà réconcilié tout le monde autour d’un verre. Les buveurs (ex-abrutis) hochaient la tête, ils avaient tous des avis et des remèdes différents à suggérer. Ils étaient encore un peu hérissés, mais ils comprenaient déjà. Qui n’avait jamais eu mal aux dos, et engueulé tout le monde ?
Marcus qui paressait encore à la terrasse, s’empressa, trop heureux de pouvoir être utile à ces affaires d’amour, même désespérées. Il pensa encore une fois, fugitivement, qu’il était condamné à n’aimer que des filles qui ne l’aimeraient pas, mais sait-on jamais ? Il se pencha doucement vers Mathilde qui serrait les dents, et essayait de faire bonne figure. Cela donnait un rictus indéfinissable, entre le molosse contrarié, et le chat qui s’est coincé la queue. Elle le regardait fixement. Marcus, savant et homme d’expérience, compris tout de suite le regard ; sommation avant crime, si douleur. Ses mains et ses doigts, intelligents se posèrent le long du dos, tâtèrent, s’aplatirent, tournèrent, modelèrent le long de la colonne vertébrale des bosses et des creux, puis remontèrent vers le cou. Il appuya de tout son poids, et Mathilde put sentir l’odeur qui se dégageait de lui, une odeur de sueur fraîche, sans parfum, mais pas désagréable, rassurante, comme l’odeur d’un frère. Elle se détendit. Il lui faisait du bien. Ses paumes se posaient franchement, repoussant la douleur. Elle avait fermé les yeux, et pensa qu’il l’hypnotisait avec ses doigts… - Ce n’est rien, reprit-il en haletant un peu à cause de l’effort, mais il ne faut pas bouger de trop pendant quelques temps. Je vais te donner de quoi, et ça ira mieux. Surprenant l’expression de méfiance de la blessée, il lui assura que ce serait cent pour cent naturel.
- Rien que de l’extrait…de…
- De toute façon, naturel ou pas, tu peux pas restée bloquée, donc, t’avales le bidule, et après on reparlera nature. Le coupa Apollo. Mathilde était réduite à l’état de vieille prématurée, et ne pouvait rien objecter pour l’instant. Elle se vengerait après…Marcus entendit presque le grincement des dents. Et prudent, fonça chez lui prendre le médicament en question. La belle avait forcement une très forte personnalité. Elle lui plaisait de plus en plus. Il avait aussi senti la douceur de sa peau, avait senti son odeur, de savon pimenté d’ une pointe d’herbe aromatique, du romarin, et aussi ses cheveux… étrange, un mélange d’œufs, de rhum, pas désagréable…
Alors qu’il ouvrait sa pharmacie, il s’aperçut qu’il était attendu. Pour une fois qu’on se bousculait à sa porte un dimanche, il prit le temps de conseiller la personne avec soin et sollicitude, comme il le faisait toujours. Puis, le baume de massage (naturel) en main, fila à toutes jambes au Café des Deux routes.
Marcus machinalement s’était rassis, et avait commandé une bière. Apolline le servit : - Je te l’offre, je te remercie pour le massage, tu nous diras combien on te doit…
Marcus avala une gorgée blonde et fraîche. Il savait qu’il ne pouvait pas offrir les médicaments comme il l’aurait désiré, cela aurait été déplacé, et aurait révélé à tous les coups, les sentiments qu’il portait…à Mathilde. Il sentait Apolline sur la réserve. Elle l’inspectait, il était sûr qu’elle savait. Il n’arrivait pas à se sentir coupable. C’est la vie, on séduit, on se laisse séduire ou non. Il avait aussi très bien perçu dans le corps de Mathilde une confiance totale, et pas cette légère contracture qui se noue quand on est dans la séduction, ou la méfiance. Il n’y avait donc rien à craindre, il n’avait rien dérangé entre les deux filles. D’ailleurs, est-ce qu’il voulait vraiment déranger quelque chose entre elles ? Est-ce qu’il voulait vraiment voler Mathilde à Apolline ? Est-ce qu’il ne préférait pas plutôt rêver ? Il pensa tout ça, en une gorgée de bière, sans les mots, juste en impressions. Il sourit à Apollo. Elle lui rendit son sourire, et il la sentit se détendre. Elle se détourna de lui pour prendre une commande, et aller vérifier que rien ne brûlait à la cuisine. Les « ex-abrutis » s’étaient tous installés à une table dans la grande salle, et échangeaient avec passion des recettes contre le mal de dos. Chacun doutant de la recette de l’autre, et affirmant la supériorité de la sienne. Les mouches vrombissaient, et fonçaient impitoyablement sur la moindre trace de sucre, ou goutte d’eau. Quelques rayons de soleil s’étaient infiltrés, et découpaient l’air en tranches dorées, une belle lumière verte s’infusait sous les parasols. La vie était merveilleuse. La bière très fraiche. Marcus était bien. Mais rien ne dure ; une toute petite main frêle se posa sur son épaule, et il se leva à regret. Le devoir l’appelait encore. On avait besoin de lui à la pharmacie. C’était bien la première fois qu’il aurait eu autant de clients un dimanche. En s’éloignant il perçut la voix d’Apolline, qui hurlait sur le chat. Apparemment, le félin avait largement goûté le plat de midi. Il avait fait tomber la gamelle, récuré le sol autour, et disparu… Marcus sourit, tout guilleret. Il était toujours du côté des chats, même quand ils faisaient des bêtises. A part pour le meurtre des oiseaux. Il soutenait les gourmands, pas les meurtriers.
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Café des deux routes
Stanislas. (suite 5)
Sonia n’était pas chez Stanislas. Dimitri avait fait l’aller et retour jusqu’à St Jean du Gard, et ils étaient revenus ensemble. Stanislas ne voulait pas laisser son ami seul.
Il était déjà vingt et une heures, et le soleil persistait pourtant en de vagues reflets rouges, débordant des collines hautes et noires.
Dimitri ouvrit la porte. La chaleur sombre de la maison les enveloppa tous les deux. En partant, il avait du refermer les volets, mais pas les fenêtres, c’était étouffant, et lugubre. Stanislas tourna vers lui sa grosse tête aux yeux de chien : - Alors ?
Dimitri se laissa tomber sur le divan. - Je ne sais pas par quoi commencer, j’ai vaguement regardé dans la maison, je n’ai pas fouillé en détail.
Pendant le trajet, dans la voiture, ils avaient beaucoup parlé. Stanislas avait fait remarquer à Dimitri qu’il aurait dû inspecter la maison, passer tout au crible, pour voir ce que Sonia avait emporté avec elle.
- Tu es sûr de bien te rappeler ce qu’il s’est passé ce matin ? Elle s’est relevée, s’est nettoyée… ? - Oui, à peu près, je ne me souviens plus de tous les gestes…ce qui ne va pas, c’est que j’ai très peur qu’elle soit tombée quelque part, une commotion…tu vois. Cette phrase, il la lui avait répétée plusieurs fois déjà pendant le trajet. Stanislas était debout face à lui, et regardait tout autour.
Dimitri avait la sensation écœurante de se préparer un alibi. C’était comme s’il avait commis un crime, blessé sa femme volontairement. Elle s’était relevée, mais elle était morte, après, où, quand ? Et là, maintenant, il se forgeait un rempart, des fortifications, des justifications pour l’avenir. Il agissait en coupable.
Stanislas continuait son inspection. La maison était propre, bien rangée. Aucune trace de dispute n’était visible, l’air était lourd, mais l’atmosphère du lieu n’était pas lugubre, comme il s’y était attendu dans la voiture, en venant, et en parlant avec son ami. – Je pense que tu ne devrais pas tant t’inquiéter. Tu ne sais rien, d’accord, mais elle est quelque part, et elle ne veut pas que tu la trouves, elle veut être tranquille…mets toi à sa place. Vous vous êtes engueulés, battus, elle est partie…elle a pris des affaires, tu n’as pas tout vérifié. On va le faire ensemble maintenant…si tu veux…
Dimitri eut un geste vague. -Tu as raison, en fait je ne sais pas. Si, elle a pris son sac à main, mais pas d’habits de rechange…enfin, je ne crois pas…y’a trop de trucs. Mais même en admettant, qu’elle ait pris des affaires, personne ne l’a vue, ça c’est pas clair ! Stanislas haussa les épaules - Au contraire, c’est clair, elle est partie faire un tour…et puis, elle a peut-être changé d’avis, elle est allée chez quelqu’un, et elle n’a pas envie que tu le saches… c’est tout. Mais Dimitri se butait, sa raison se heurtait sur des détails.- Elle n’a pas pris les bonnes chaussures, elle est incapable de marcher sans ses pompes fermées, je la connais bien...
Stanislas se leva et monta à l’étage. Debout, devant la penderie ouverte en grand, il contempla le fouillis de vêtements. Dimitri l’avait suivi. Son ami le regarda. - Comment peux tu être sûr de quoi que ce soit, tu as vu le bordel ? Elle a pu prendre n’importe quoi, tu ne peux pas savoir… Dimitri jeta un rapide regard circulaire : il y avait des vêtements partout, sur les chaises, le lit et le placard était un véritable chaos. - Non, effectivement, je ne peux pas savoir.
Tout en disant cela à haute voix, il doutait. Il connaissait les habitudes de Sonia, et ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle ne pouvait pas les changer comme ça, d’un seul coup. Il savait, lui, ce qu’elle aimait porter, et les chaussures, c’est presque le plus important. Il décida d’inspecter minutieusement le fatras.
Pendant ce temps, Stanislas était passé à la salle de bain, pour inventorier les affaires de toilettes. Deux brosses à dents, dentifrice, crèmes de beauté, quelques bijoux posés sur une petite étagère…et la corbeille de linge sale. La vue de ce grand panier le figea. Tout était taché de sang. Il se mit regarder à l’intérieur, surmontant à grand peine un mélange de répulsion, et de honte à fouiller. Il prit un tee-shirt qu’il étala devant lui, taché de rouge. Il découvrit encore un short tout raidi de sang. Beaucoup de sang. Résolument, il souleva le couvercle de la poubelle, et eut un haut le cœur ; il y avait une serviette de bain entièrement imbibée de sang très rouge, comme s’il était encore frais. C’était trop, beaucoup trop, même pour une blessure à la tête. Il resta là quelques instants, à regarder, incrédule. Il pensait au cochon que l’on saigne, à un égorgement. Il s’assit sur le rebord de la baignoire. Dimitri avait raison d’avoir peur. On aurait vraiment dit un meurtre. Trop de sang. Il ne pouvait se décider à retourner dans la chambre où il savait que Dimitri l’attendait en fouillant les affaires. Il était pris malgré lui d’un doute horrible. Dimitri avait tué Sonia. Il aimait beaucoup son ami, il le connaissait bien, mais jusqu’à quel point ? Il l’avait tuée sans le vouloir… son récit était sûrement vrai, ce qui ne l’était pas, c’est que Sonia s’était relevée. Il avait dû cacher le corps….Il cherchait peut-être maintenant à masquer ce qu’il avait fait ? Il avait sûrement été pris de panique… et enfouir le cadavre quelque part. Le mot cadavre avait surgi dans son esprit, et sans savoir pourquoi, il associait ce mot à l’assassinat.
Stanislas se sentait horriblement mal. Il fallait qu’il sache la vérité…Il fallait qu’il lui dise ce qu’il pense, qu’ils parlent ensemble, mais en même temps, il avait peur de ce qu’il risquait d’entendre. Il respira à fond, entra dans la chambre qui était vide. Il descendit l’escalier. A chaque marche sa résolution faiblissait…comment l’inciter…à avouer ? Il se rendit compte qu’il était déjà sûr de sa culpabilité. Dans sa tête, il avait bien utilisé le mot avouer. Comment capter sa confiance ? Et que ferait-il si son ami lui disait avoir caché le corps ? Il le couvrirait, il deviendrait son complice ? Il le forcerait à avouer tout à la police ? Ses pensées allaient tellement vite qu’il n’arrivait pas à les fixer. Il était tout à ce qu’il ressentait. En bas, Dimitri était debout, dans la pénombre, il regardait par la fenêtre la lumière rouge orange qui arrivait d’un soleil couchant. La chaleur, l’immobilité totale de son ami, lui donnèrent mal au cœur. Sa raison vacillait. Il eut honte de lui. Il se dirigea vers les fenêtres et respira un grand coup. Puis il s’assit sur un siège en osier, et attendit un moment. Dimitri vint le rejoindre et lui glissa un verre de bière dans la main. Il en avait un lui-même. Il s’assit en face de lui.
– Alors ? Tu en penses quoi ? Son regard était sombre. Stanislas se lança affichant une jovialité incertaine qui se fissura au fur et à mesure qu’il parlait. - Je pense qu’il y a deux brosses à dents, des crèmes de fille, des bijoux, mais je ne sais pas ce que porte ou non Sonia. - Ah oui ! Je n’avais pas pensé à regarder dans la salle de bain…je veux dire, les affaires de toilette. Dimitri le regardait sans crainte apparente. Stanislas respira un grand coup - Beaucoup de sang…beaucoup trop. Il n’osa pas aller plus loin. Dimitri s’était raidi. Même sans le regarder, Stanislas le sentait. Puis, s’énervant. – Bien sûr du sang ! Je te l’ai dit ! Beaucoup de sang, c’est ce qui me fait peur…elle devait être affaiblie, si elle est sortie seule, en plus… Stanislas le coupa en levant la main. - Ce n’est pas ce que je voulais dire…il y a beaucoup, beaucoup de sang. Tu sais, ça fait une drôle d’impression…Il baissa les yeux, il était affreusement mal. C’est tout ce qu’il pouvait dire. Il n’osait pas regarder son ami.
Dimitri frissonna, choqué, il avait compris. Il ouvrit la bouche, puis, se prit la tête dans les mains. A ce moment, Stanislas fut absolument persuadé qu’il allait tout lui avouer. Pétrifié, les doigts serrés sur l’osier du fauteuil, il attendait. Tout avait changé dans leurs rapports. Il était face à un inconnu qui pleurait, et il ne lui était d’aucune aide. Il ne pouvait s’approcher de lui. Seulement essayer de se maîtriser. Il sentait qu’il perdait pied. Etrangement le monde changeait de forme. Ce qui était curieux c’est que tout restait identique, mais rien ne signifiait plus la même chose. Tout pouvait être double, ou triple en termes de signification. C’était le même ami que la veille, la même maison, mais ce n’était ni la même personne, ni les mêmes murs. Il se sentait étranger, incongru…
Dimitri leva la tête. Contrairement à ce qu’avait cru Stanislas, il n’avait pas pleuré, il avait les paupières toutes fripées, les yeux rouges, mais sans aucune traces de larmes. - Je n’ai pas tué Sonia, je te le jure. J’ai lancé le cendrier, elle s’est penchée au même moment, elle est tombée, je l’ai relevée, elle était couverte de sang, ça coulait vraiment beaucoup…je t’ai déjà tout raconté.
Stanislas poussa un grand soupir.
Dimitri perçu son soulagement et haussa les épaules. Il fallait bien que Stanislas parle au nom de tous (ou plutôt qu’il taise ses peurs bien perceptibles pourtant) parce que finalement, maintenant aux yeux des autres, il avait battu Sonia. Il était devenu quelqu’un de dangereux, qui ne se maîtrisait pas. Un violent, et un violent qui avait caché son jeu. L’acte, totalement involontaire, avait pris un autre sens. Il avait jeté le cendrier devant lui, droit dans le mur, mais Sonia s’était interposée…personne ne le croyait. Il n’avait jamais levé la main sur personne, sauf au cours de bagarres de lycéens. Le lancer de cendrier était un geste tellement violent, impulsif. Il n’avait jamais voulu toucher Sonia… ce n’est pas elle qu’il voulait détruire, c’était n’importe quoi. Il avait jeté ce truc comme on jette un saladier par terre pour se défouler. Mais Sonia s’était trouvée sur la trajectoire. De ce fait, tout était maintenant complètement différent. Un seul geste, avait en une seconde transformé tout ce qu’il était, lui, Dimitri, ses intentions pouvaient être lues de manières divergentes. Apparemment. Il était le même, mais le regard des autres le percevait comme dangereux.
Stanislas s’étira, le regarda longuement, prit une cigarette et se décida. Il voulait alléger l’atmosphère : – Tu connais Sonia ? Tu sais qu’elle est changeante…elle prend des décisions, et puis, elle fait demi-tour… Je te conseille de penser à autre chose. Laisse faire le temps. Elle va revenir. Il fit une très longue pose. Dimitri était soulagé que son ami ait parlé clairement, mais…en regardant Stan fumer avec application, presque consciencieusement, Il sentit que son ami avait besoin de cette cigarette pour se donner une contenance. Il vit son regard fureter autour de lui, et malgré lui, il lisait sur son visage les déductions qui venaient à son esprit : Tout était rangé, en ordre, le sol avait été nettoyé, la salle était nette. On avait tout balayé, arrangé, il n’y avait rien qui pouvait rappeler la violence de la dispute. Stan se leva et se dirigea vers la poubelle, dans le coin cuisine. Il soupira de soulagement, quand il vit les nombreux débris de vaisselle, les pages du livre déchirées. Il se tourna vers Dimitri : - Où est le cendrier, je veux le voir. Dimitri tressaillit mais se leva et le lui montra, sur un plan de travail. Très propre le cendrier, très lourd aussi. Il haussa les épaules. IL savait que Dimitri suivait le fil de sa pensée comme s’il était dans sa tête. – Oui, tu aurais pu la tuer et faire disparaître son corps ! Oui, on peut croire ça ! Stanislas s’énervait de ce qu’il était si transparent. - Ce n’est pas sympa de ma part de le penser, mais tout bon flic réfléchirait comme moi…ou pourrait le penser. Il s’assit au côté de Dimitri, le prit par les épaules. – C’est très impressionnant, là-haut, ce sang dans la salle de bain, tu sais, je n’y peux rien…est-ce que tu te rends compte ? Alors, d’un coup, il déballa ce qui lui faisait peur. – Je ne pense pas qu’un coup à la tête ait pu faire couler tant de sang…viens avec moi…regarde de nouveau…et Stan, sans laisser le temps à Dimitri de réagir, remonta dans la salle de bain, souleva le couvercle de la poubelle, et saisit la serviette rouge de sang. Dimitri ne l’avait pas suivi. La serviette en main, il se rendit compte qu’elle était sèche, légère, seulement sale, et que sa couleur naturelle était rouge. Ce n’était pas du sang. C’était sa teinte normale. Stan, stupéfait ouvrit la bouche, et resta ainsi, bouche ouverte, la respiration coupée. Il venait de découvrir à quel point il était persuadé que son ami était coupable. Jusqu’à transformer sa vision des choses. Bien sûr, il avait des circonstances atténuantes puisque la serviette était rouge sang…
Il redescendit avec la serviette dans ses mains.
Dimitri le regarda avec un sourire étrange. – Tu suggères que je nettoie le linge ? Que je fasse tourner la machine à laver? Stanislas eut un petit haut le cœur, et un regard désolé.
Le comte 3
Pendant ce temps, cette après-midi, le comte était remonté chez lui doucement bercé par le soleil. Il avait l’impression qu’une grande main chaude et amicale le poussait dans le dos tandis qu’il gravissait le chemin des chèvres. Devant lui, une forme rose traversa le champ si vite, qu’il crut avoir rêvé.
Mais un très léger parfum subsistait dans l’air, qui n’était pas celui de la garrigue.
Il franchit le pont levis, qui n’était plus levis, mais seulement pont. Ramassa le cher vieux canoun en terre près de l’ancienne écurie, le posa au milieu de la petite cour, un peu à l’ombre, et rassembla du petit bois. Il avait toujours eu peur du feu, et prenait des précautions draconiennes. Il puisa un seau d’eau qu’il mit à coté du tas de bois. Il fit doucement démarrer le feu, avec amour, et attention. Un départ à l’aiguille de pin, relayé par des pommes du même arbre et fourni de petits bois. Il aurait vite de la braise sur laquelle il cuirait les poissons. Il était légèrement déçu de ne pas apercevoir le chat qui anticipait toujours ses actes, et était régulièrement à ses côtés quand il démarrait un feu.
Il ne pouvait pas savoir que le chat se régalait, vite fait, de la viande que Mathilde avait abandonnée dans la poêle, suite à ses douleurs dorsales. La charmante petite bête se doutait bien qu’elle ne pourrait jouir très longtemps de cette paix et de cet oubli.
Le comte résista à l’envie de fumer en attendant que les flammes prennent un peu de force, et regarda au loin. Les collines grésillaient d’insectes, et de chaleur, comme si les brindilles en se rétractant, frissonnaient dans leur sécheresse. Il vit de loin Augustine, portant un panier qui semblait très lourd pour elle. Il se demanda comment elle pouvait supporter de mettre des habits noirs sur elle par cette chaleur. Du blanc aurait été plus approprié, ou du rose ?
Augustine avait été une fleur d’églantier. Il s’en souvenait. Elle avait été d’une fraicheur délicate…persistante, discrète, avec des yeux de velours froissé, comme les mousses des sources. Il avait aimé sa démarche fragile, et ses toutes petites mains aux ongles un peu cassés. Sa bouche mince, au sourire incertain…la jeune fille était ensevelie dans cette vieille femme, mais il la devinait, lui, il la reconnaissait, et l’aimait toujours tendrement, avec obstination. Il se souvenait de ses chevilles frêles, tenaces malgré leur apparence, qui l’avaient semé, au début de leur jeunesse, quand il tentait de la suivre… ses chevilles qui comprenaient le chemin, les pierres, les obstacles, et qui franchissaient des amas de pierres comme l’eau des ruisseaux. Il entendait encore son rire aussi quand elle se moquait de lui qui marchait lourdement, en sueur, derrière elle. Il avait voulu la séduire, mais c’est elle qui l’avait piégé, sans le vouloir d’ailleurs, car elle était amoureuse d’un gars qui allait travailler à la ville. Le temps était passé. Il avait l’impression, maintenant, qu’elle était plus vieille que lui, et parfois, que ce n’était pas elle. Pourtant, la petite silhouette courbée qui venait d’être avalée par la colline, c’était bien celle qu’il aimait toujours.
Augustine.
Elle avait préparé une jolie table, dehors, dans le jardin, sous les feuilles du figuier, avec une belle nappe blanche. Dessus, elle avait posé un vase, dans lequel elle avait mis des mauves qu’elle avait cueillies aux bords des champs très secs. Elle savait que les fleurs ne dureraient pas, mais cela faisait joli. Puis, elle avait disposé les plats, du jambon, des petites pommes de terre en vinaigrette, les deux quiches du marché, la bouteille de vin rouge. Les gâteaux attendaient sagement dans le frigidaire. Elle contempla son vis-à-vis avec ravissement. C’était si rare quand on lui rendait visite. Elle se sentait toute légère, comme si elle avait bu. Elle se retenait de parler. Elle laissait toujours parler les autres, par habitude, mais là, ce n’était pas pareil, elle voulait préserver une ambiance, elle avait peur que les paroles ne rompent le charme.
Et puis, comme par miracle, des oiseaux arrivèrent, se posèrent sur le bord de la coupe au milieu du jardin, et burent gentiment. C’était comme dans un conte de fées. D’habitude, les oiseaux venaient le soir, ou ne venaient pas. Ils étaient là, en plein midi, c’était tellement gentil de leur part, de faire honneur à sa petite maison. Son invitée regarda les oiseaux, et fit un sourire éblouissant. Ce fut la première récompense d’Augustine. C’était un ravissement de l’avoir en face d’elle, si jolie avec son corsage couleur d’églantier, son visage calme, ses longs cheveux retenus par une écorce étrange. Elle était heureuse, sous cette tonnelle de glycines. Elle versa le vin dans les verres, et le soleil alluma des petites lumières rouges tremblantes, sur la nappe blanche.
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Le midi au café.
Le midi au café (suite 4)
Apolline n’arrêtait pas. Les gens arrivaient du marché, posaient leurs emplettes un peu partout, et commençaient à commander des apéritifs. C’était l’heure sacrée de la petite bière rafraichissante, du pastis chargé de glaçons, ou du petit blanc bien frais qu’on s’envoie juste pour apprécier de prendre son temps. Il y avait aussi les sobres, ceux qui buvaient du lait fraise, de la menthe, de la limonade, et les faux sobres, qui s’enfilaient des panachés. Les vieux, eux, dégustaient à petits coups des vins cuits, surtout quand ils étaient en couple, les femmes veillaient au grain, sans rien dire, mais l’œil tenace. Dans la salle montait cette odeur particulière d’alcool, mélangée à celle du café chaud, même les fenêtres ouvertes, l’odeur nappait tout de son velours réconfortant, une odeur amicale, chaleureuse.
Dehors, Mathilde avait déployé les parasols tout neufs, et cela faisait de grandes corolles vertes, à l’ombre douce. Les enfants, oublieux de leur boisson couraient en tous sens, et Mathilde levant haut son plateau passait à travers leurs jeux avec une aisance souple et aimable. Elle posa une bière devant une jeune femme blonde, au tee-shirt rose, avec de fines bretelles de dentelle. Mathilde se dit fugacement qu’elle aurait aimé avoir le même, sauf qu’elle ne voyait la femme que de dos…il aurait fallu qu’elle se déplace pour avoir une vision d’ensemble, mais il y avait trop de monde à servir. Une fois qu’elle eut servi tous les clients, elle s’arrêta un instant, posa une fesse sur le rebord d’un tabouret, et caressa Pouf le chat. Caresser un chat ça détend toujours, et puis, ça calme, on oublie tout, pensa t’elle vaguement. Quand elle se leva, elle remarqua que la femme en rose était déjà partie, il ne restait à sa table que l’amie qui l’accompagnait, et qui avait l’air un peu soucieux.
Marcus
Marcus ferma le rideau de fer de la pharmacie. On était dimanche, et il n’était pas de garde. Enfin, pas de garde, mais comme il n’y avait aucune autre pharmacie alentour, il était toujours de garde.
– S’ils sont malades, ils savent où me trouver…et se dirigea tranquillement vers le marché. Il y avait des moments où il ne pouvait plus supporter d’être enfermé avec toutes ses boîtes idiotes. Le soleil brillait, il faisait tellement bon, et les gens d’ici connaissaient ses habitudes. – De toute manière, on ne peut rien faire sans être repéré immédiatement…il suffit que je ferme pour que tout le monde ait mal au crâne, merde…il ruminait cette pensée comme une conjuration. En fait, souvent, quand il fermait la Boutique, il ne se passait rien. D’ailleurs, dans son quotidien, il ne se passait pas de choses palpitantes. Il fallait surtout avoir de la patience, écouter les gens parler de leurs maladies, hocher la tête, leur donner quelques petits comprimés, et parfois, ils allaient un peu mieux. La télé ne pouvait pas leur répondre, il fallait bien que quelqu’un s’en charge, et le pharmacien était là pour ça. Il ne détestait pas son travail, loin de là, étrangement, il aimait les gens. Il les comprenait. Il savait que leur solitude était dure. Marcus pensait que l’on parlait beaucoup de la solitude sans savoir vraiment ce que c’était. Lui il l’avait apprise quand sa femme était partie. Il avait toujours su que cela arriverait, elle avait envie de choses qu’il ne pouvait pas lui donner. Il n’avait pas envie d’aller en ville, il n’avait pas envie de « fréquenter » des gens bien, il n’avait pas envie d’aller au cinéma, ni au théâtre, ni au concert, il n’aimait pas les habits, la foule…il n’aimait que son village. Un tout petit lieu. Entre deux collines sèches, avec ce château rêche de contes de fées, encore habité malgré tout…mais il aimait aussi Corinne. Va savoir pourquoi. Il aimait son corps, sa présence, sa bonne santé, son sourire aux clients, ses gros mots derrière leurs dos, jusqu’à l’impatience qu’elle cachait en faisant de terribles efforts qui le faisaient rire. Elle n’était ni méchante, ni bête, ni vaine, elle avait envie de bouger, de voir, de sentir des choses différentes. Elle s’était trompée en se mariant avec lui. Il l‘avait toujours su. Lui ne s’était pas trompé, car il l’aimait vraiment. Il l’avait laissée faire, il s’était laissé épouser, en se disant qu’il viendrait assez tôt, le temps où elle se rendrait compte de son erreur. C’était venu. Il l’avait laissée partir. On n’emprisonne pas les papillons. Enfin, pas lui.
Il marchait sous le soleil, et son crâne un peu dénudé brillait. Il était content. Il se dirigea tout naturellement vers le café des 2 routes. Il aimait bien s’attabler, juste à cette heure là, sous leurs nouveaux grands parasols verts, et laisser venir. Il aimait Mathilde. Il en était amoureux, vraiment. Tout d’abord, il n’avait pas compris ce qui lui arrivait, mais peu à peu, il avait reconnu les symptômes de l’amour. Bien sûr, il n’avait pas d’espoir, absolument aucun. Cela rajoutait au charme peut-être. Et puis, est-ce qu’on sait ? Il se traita de crétin, et commanda un pastis à l’objet de sa flamme. – T’as une espèce de croûte dans les cheveux, tu ferais pas un petit exéma ? Mathilde haussa légèrement les épaules - Tu serais trop content…c’est de l’œuf, je me suis fait un masque ce matin….
Marcus sourit, les masques, il connaissait.
Les vieilles
Le ciel roucoulait doucement dans les seins des nuages, et la fontaine reflétait en frémissant ses palpitations bleutées. Les vieilles étaient parties, mais pas tout à fait. Celles qui avaient la chance d’habiter autour de la place avaient laissé leurs portes ouvertes, et attaché leurs rideaux de lanières plastique ou de perles, qu’elles avaient achetés à Petit Jean pour la plupart. Elles mitonnaient un vague repas tout en surveillant la place du coin de l’œil. Tout allait son pas tranquille. Les marchands remballaient, et les plus rapides, ceux qui avaient déjà fini, se reposaient en buvant des bières au café. Mathilde se frottait le dos. Elle avait mal aux reins. Bientôt, Apolline viendrait la remplacer. C’était toujours comme ça. Mathilde passerait derrière le comptoir, et tout en servant mollement les clients, elle préparerait le repas de midi. Albertine connaissait leur routine par cœur. Elle les aimait bien, et les enviait. Elle aurait aimé avoir un café comme elles. Ecouter les gens parler. Elle en aurait eu à dire à ses copines, ou alors non, elle n’aurait rien dit. Elle aurait fait comme maintenant, elle aurait tenu sa langue. Simplement regarder et savoir, cela lui suffisait. Elle savait que Marcus était amoureux de Mathilde, et elle savait qu’il savait que c’était mal parti. Ces deux filles s’aimaient, ça crevait les yeux, même si elles ne montraient rien. Albertine savait reconnaître l’amour. Elle aussi avait tant aimé, tant détesté, tant crié de rage et d’impuissance quand les choses avaient dérapé…il lui en restait quelque chose sur le visage, des griffures, un éclat dans l’iris, et des cailloux dans sa gorge, mais aussi du duvet sur la peau, du velours au fond du cœur, une liqueur moelleuse et douce, qu’elle renfermait bien sagement, au fin fond de ses corsages très blancs.
Augustine
Augustine était très fière d’elle. C’était la troisième fois de sa vie qu’elle éprouvait pleinement ce sentiment. C’était véritablement délicieux. Tout en marchant, elle se laissait bercer par ce bien être. Elle ne sentait plus ses douleurs dans les jambes. Elle s’était même soigneusement coiffée et maquillée. Elle avait vraiment de la chance. En plus, au marché, elle avait pu trouver de très beaux légumes, et acheter de la charcuterie…des tranches de museau, et du jambon. Le marchand ne la connaissait pas, il avait pourtant été bien gentil. Elle eut envie de s’arrêter à la fontaine, s’asseoir près de ses amies, ses vieilles amies, ses très chères amies qui ne lui avaient jamais conféré la moindre importance. Sauf quand elle avait été si malheureuse… Elle n’était bonne qu’à faire des gâteaux pour la kermesse, ou garder un bambin dont on ne savait pas quoi faire, ou bien tenir un stand idiot de lainage, où ne s’arrêtaient que des vieillardes…il fallait qu’elle fasse une pause, qu’elle voie, qu’elle écoute, qu’elle prenne l’atmosphère. Mais autour de la fontaine, il n’y avait presque plus personne de sa connaissance, à part Maria qui semblait fatiguée. Augustine posa son panier entre ses jambes, et soupira légèrement.
– Alors, ce marché ? Elle n’avait pas prévu l’œil fureteur de Maria. - hé ! Mais tu t’embêtes pas ? C’est ton gamin qui est arrivé ? J’ai pourtant pas vu sa voiture ? Et Maria d’attendre. Augustine s’en voulut, bien sûr, Maria avait tout de suite vu l’excédent de nourriture. Cela lui servirait de leçon, pas la peine d’aller acheter à des inconnus au marché, si elle se faisait remarquer au village. Elle grommela quelques mots qui se perdirent dans l’agitation que provoquèrent les salutations appuyées du maire aux deux vieilles pies. Vieilles pies, mais électrices quand même ! C’étaient d’ailleurs peut-être, les dernières qui s’intéressaient à la politique, enfin…. Tiens Vieilles pies, ça sonnait comme VIP, il le ressortirait au conseil ! On rigolerait un coup…mais non, on ne rigolerait pas, on sourirait vaguement. D’ailleurs, il fallait être lucide, lui aussi se faisait vieux, il s’accrochait, il retenait autours de lui des vestiges, des ruines, des croulants…Il haussa vaguement les épaules, soulevant une minuscule vague d’interrogation chez les deux vieilles pies. Elles abandonnèrent le maire à son triste sort, pour s’intéresser de plus près à la mini, mini jupe, de la fille de la boulangère. C’est sûr qu’elle se ferait violer, pas dans le village, non, mais ailleurs. Sa mère était folle de la laisser sortir comme ça….mais Augustine avait décroché, elle s’était levée, et était partie sans un bruit. Elle avait oublié de dire au revoir à son amie qui ne s’aperçut de rien, et continua à prédire dans le vide, la perte, et l’humiliation totale de la jeune fille.
Pétra
Pétra augmenta le balancement de ses hanches, et lança un grand sourire à Apollo qui lui lança goguenarde : – tu t’exerces à la danse du ventre gamine ? Tiens au lieu de faire la conne, tu m’allumes un clope pendant que Mathilde ne regarde pas… ? Pétra saisit le paquet avec gourmandise, alluma la cigarette demandée, en l’enduisant copieusement de rouge à lèvres écarlate – Je fais parler les commères…ça m’amuse, elles ne peuvent pas s’empêcher de mater tout le monde, j’aime bien…j’ai un short sous ma jupe…tu me sers une limonade ? Apollo regarda la jeune fille. – Le rouge à lèvres c’est pareil ? Pour les faire parler, donner des sensations aux mémères, ou tu aimes vraiment ? Pétra sourit largement. Elle avait des dents très blanches que faisait ressortir le rouge sanglant. – J’aime vraiment, dit-elle comme avec regret. Mais je peux jamais en mettre, ma mère dit que ça fait pute, et que la boulangerie c’est pas un bordel… Ce qui était vrai, approuva mentalement Apollo. – Ca te va bien, lui dit-elle lâchement, mais j’en mettrais un peu moins, ça enduit les clopes c’est une horreur. Et elle s’en alla chercher la limonade.
Restée seule Pétra regarda autour d’elle. Bien sûr, il n’y avait plus grand monde. Enfin, du monde intéressant. C’était à chaque fois la même chose, quand sa mère lui permettait de quitter la boulangerie, tout le monde était déjà parti. Les marchands avaient pratiquement tout remballé, et il ne restait maintenant dans le café, que les gens du village. Mais en fait, ça ne changeait pas grand-chose, les jeunes, dans le pays, il n’y en avait pas. Les garçons de son âge étaient tous au lycée, internes, et ne pouvaient pas revenir tous les dimanches…alors elle s’alluma une cigarette, rien que pour elle et les, pardon LA, commère de la fontaine. Pouf le chat lui sauta sur les genoux, et commença à ronronner en lui donnant de grands coups de museau sous le menton. Elle adorait quand il faisait ça, elle pouvait sentir une dent qui dépassait de sa babine, ça la mettait toujours de bonne humeur. Elle se dit que cette après midi, elle prendrait sa canne à pêche, et irait dans son coin à elle. Avec un bouquin en plus. Et de l’eau fraiche dans une thermos. Et ce serait bien. Elle prendrait aussi quelques pâtés à la viande que sa mère avait faits le matin même et qui étaient un vrai délice.
Dimitri le bain.
Quand il rentra chez lui de nouveau, après avoir dévalé tous les sentiers qu’il connaissait près de chez lui, il ne put supporter d’être enfermé.
La maison l’enserrait. Il étouffait. Il fallait qu’il sorte, qu’il marche, qu’il agisse, qu’il prenne la voiture, et qu’il aille chercher ailleurs, plus loin. Il deviendrait fou sinon. Il fallait qu’il aille partout, dans tous les endroits que Sonia aimait fréquenter. Peu Importe la manière dont elle s’y serait rendue, il fallait qu’il fouille chaque recoin.
Il ouvrit la porte de la voiture. L’intérieur de l’habitacle était une fournaise, les sièges et le volant étaient brûlants. Il mit le moteur en route, et décida de descendre à la rivière. Il n’était que 14 h, il n’y aurait personne. C’était l’heure de Sonia. Elle y aimait cette solitude, la chaleur lourde du soleil qui permettait de supporter la fraîcheur de l’eau.
Il se gara près du bouquet de saules, et descendit la côte assez abrupte qui menait à la rivière. Il y avait une sorte de chemin un escalier de pierres, qui déboulait dans les pieds de thym sauvage jusqu’en bas. On s’y tordait les chevilles, mais la solitude, était à peu près assurée. Il aperçut la grande cuvette profonde, d’un beau bleu transparent qui s’ouvrait au milieu des saponaires roses, aux tiges flexibles. Il n’entendait rien. Aucun bruit. Il continua et arriva près de l’eau. Des libellules zigzaguaient au-dessus, hésitantes, dans leurs frémissements argentés. Ecrasé par la lumière, le paysage avait perdu toute sa perspective, tout y était à plat. Les couleurs semblaient éteintes, et l’eau envoyait des éclats blessants pour les yeux. En sueur, il s’assit à l’ombre, tout près de la rivière, prit un peu d’eau, et s’en aspergea le visage. Il avait soif. Il ôta ses habits très vite, et rentra dans l’eau. Elle était fraiche. Il était bien. Il nagea longtemps, avec l’impression que ce bain ne le lavait pas seulement de sa sueur, mais aussi de sa peur. Son corps s’était rapidement adapté à la fraîcheur, il avait moins soif. Il se détendait. Il se sécha en plein soleil sur un rocher à peu près plat. Maintenant, il se sentait terriblement fatigué. Malheureux aussi. Comment allait-il faire? Il lui paraissait évident que tout était fini…qu’elle ne rentrerait jamais à la maison. D’une façon, ou d’une autre, elle était partie. Il allait vérifier partout, jusqu’à Nîmes. Mais il ne se faisait plus tellement d’illusion. Elle avait voulu s’en aller. S’arracher. Elle devait savoir qu’il s’inquiéterait, elle le connaissait, mais elle devait tellement le mépriser, que cela devait faire partie de la punition…elle s’en allait, et en plus, elle le faisait souffrir en ne lui disant rien, et en le laissant sans nouvelle…elle avait dû appeler quelqu’un. Il s’obligerait quand même à faire le tour de ses amis, mais pas tout seul. Il fallait qu’il appelle Stanislas.
Pétra et les poissons.
Pétra avait entamé sérieusement sa provision de petits pâtés à la viande, elle pensait s’attaquer aux tartelettes aux abricots, quand elle entendit du bruit sur le chemin…elle leva la tête, et vit le grand type des genêts qui courait presque sur le chemin. Alors, lui aussi, déjà, il connaissait ce coin qu’elle pensait être la seule à fréquenter ? Si ça se trouve, il venait y pêcher aussi. Non, il n’avait pas de canne, pas de problème pour l’instant. Elle se sentit quand même un peu mal à l’aise. Ils étaient seuls, et elle ne le connaissait pas. Elle décida de se cacher. Elle n’avait aucune envie de lui parler. En plus, il arrivait de Paris. Depuis longtemps, mais quand même.
Elle s’enfouit dans les hautes herbes, et les minuscules saules, plus loin du bord. Elle se dit qu’elle verrait bien comment il se comportait. Elle l’observa. Elle le trouvait beau. Vieux, mais beau. Il pouvait même avoir 30 ans…Bien que cachée, comme ça, il l’impressionnait. Elle n’aurait pu dire pourquoi. Quand il venait à la boulangerie, il la faisait toujours rougir. Il avait une manière de ne pas la regarder qu’elle ne comprenait pas. C’était comme si elle était transparente…mais pas vraiment puisqu’il lui parlait. Ce qui était sûr, c’est qu’elle avait toujours à la fois envie qu’il reste plus longtemps dans la boutique, et qu’il s’en aille très vite. Sa femme l’énervait, elle ressentait une sourde hostilité à son égard, qu’elle ne pouvait s’expliquer. Elle aurait voulu que cette femme la distingue, qu’elle soit en connivence avec elle. Grande belle, très peu maquillée, vêtue de jeans et de tee-shirts informes, elle dégageait pourtant une présence incompréhensible. Elle s’imposait. Pétra savait que quoiqu’elle dise ou fasse, elle serait en décalage, en retard…
Elle se sentit très bête quand Dimitri commença à se déshabiller, c’était sûr, il allait se baigner, il se croyait seul, il n’allait pas se gêner, et puis, ce n’était pas le genre de gars à transporter son petit maillot de bain, dans un petit sac plastique, avec ses petites lunettes ! Gagné ! Il était nu comme un ver ! Bon, ce n’est pas maintenant qu’elle pouvait se montrer, ni après d’ailleurs…en plus elle se rendit compte qu’elle avait laissé sa canne à pêche au bord de l’eau. Elle allait passer pour une sale vicieuse. Trop tard. Elle n’avait plus qu’à souhaiter que sa baignade terminée, il s’en aille aussi vite qu’il était venu. Elle ne pensa même pas aux poissons…à cette heure, ils étaient ailleurs, et puis, les poissons…Par pudeur elle détourna les yeux. Il entra très vite dans l’eau, elle nota qu’il nageait bien, il semblait parfaitement à son aise, comme quelqu’un du pays. Il finit quand même par ressortir, et s’allongea sur un rocher.
Pétra avait de plus en plus chaud, les herbes sèches la grattaient, et des petits moucherons la harcelaient. Dimitri, toujours allongé sur le rocher, ne bougeait pas. Totalement immobile, il en était presque inquiétant. Elle se donna encore quelques temps, et décida de faire du bruit, comme si elle venait d’arriver. Tans pis, il n’y avait pas mille endroits d’où l’on pouvait descendre de la route, mais elle n’y pouvait rien, il fallait qu’elle bouge, qu’elle s’en aille. Il était étalé en étoile de mer, tout nu, elle avait quand même regardé et elle se demandait comment il pouvait résister au soleil. Sa peau était déjà toute bronzée. Il avait pris un bain, mais elle trouvait qu’il s’exposait trop longtemps au soleil, pour un parisien pas tout à fait neuf, qui était censé ne pas avoir l’habitude du soleil. D’habitude, ils se levaient tous rapidement…
Elle se mit à faire bouger les branches, et à taper des pieds sur le sol. Il n’entendait rien. Elle soupira, chantonna, mais il ne bougea pas plus. Alors, elle se leva franchement, et se dirigea vers sa canne à pêche. Il n’y avait plus rien. La canne devait être tombée à l’eau, entrainée par les mouvements du nageur. La cuvette n’était pas très grande. Il avait dû l’emporter avec lui, s’en sans rendre compte. Il fallait qu’elle plonge, qu’elle aille au milieu de l’eau. C’était si clair, si transparent, qu’elle la verrait tout de suite. Sans se déshabiller, elle se glissa sans l’eau, et nagea jusqu’au milieu. Sa canne était bien au fond, le moulinet s’en était détaché. Elle la prit, et le tout vint à elle facilement. Elle sortit du bain, et sans plus penser à Dimitri, se mit à défaire les embrouillaminis du fil, afin de réassembler les deux parties. Elle était très absorbée par sa tache, les nœuds n’en finissaient pas de se reformer, de s’entortiller encore plus.
Dimitri avait ouvert les yeux, avait repéré la jeune fille, et avait enfilé son jean rapidement, en espérant qu’elle ne l’avait pas vu tout nu. Une fois vêtu, il la regarda faire distraitement. Il ne pensait à rien de particulier, et se demandait où il avait bien pu voir cette très jeune fille, qu’il avait prise pour un garçon, simplement parce qu’il n’était pas habitué à voir une fille s’occuper d’une canne à pêche. Il avait été trompé par sa coiffure, ses cheveux plaqués par l’eau et son short qui découvrait des jambes assez maigres. Elle avait levé la tête, un vague hochement, qui pouvait passer pour un salut. Il lui avait répondu d’un mouvement de la main. Il ne trouvait rien à dire. Il ne s’intéressait pas à la pêche, il n’allait pas faire semblant. Et puis, quand on se trouvait à deux près d’une cuvette d’eau très claire, il était de bon ton, de ne pas trop s’occuper de l’autre, de faire comme si on était seul, tout en ne l’étant pas. Ce n’était pas vraiment tenable, et étrangement pas naturel. Il avait l’impression d’être un faux jeton, de faire semblant. Alors, il se leva, s’habilla, et décida de retourner à sa voiture, et de reprendre les recherches. Il sortit son téléphone pour appeler Stanislas. Elle était peut-être chez lui.
Hier encore, c’était son meilleur ami.
Du coin de l’œil, Pétra vit que Dimitri s’en allait. Elle avait presque réussi à démêler le fil, il lui fallait juste seulement ôter un nœud. Elle s’aperçut alors que ce n’était pas un nœud, mais une boucle d’oreille en or.
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Le café des deux routes (Suite 3)
Joëlle Mathieu
Le comte
Très haut la tête, dans le ciel traversé d’hirondelles, il marchait. Les bras maigres battant la cadence en douceur, le long de son corps flottant, que lestaient pourtant des vêtements un peu lourds et chauds pour la saison. Il avançait à grands pas se tordant les chevilles sur les pierres du chemin. Il envia fugitivement les chèvres qu’il croisa, pour leur agilité. Il tendit la main vers l’une d’elle, qui curieusement s’approcha, le regarda de ses beaux yeux doux, puis, secouant ses cornes, le laissa aux odeurs de thym. Sans se presser il continua son chemin en allumant d’une longue main tremblante, une cigarette mal roulée. Il entra dans le village déjà bien animé. D’ailleurs, il était tard, il avait paressé à lire dans son lit, avec ce chat amicalement bizarre, qui venait lui rendre visite tous les matins. Il lui avait d’ailleurs donné du lait, que le chat avait lapé goulument. Il traversa la place. Assises sur la margelle de la fontaine, pratiquement en cercle, les vieilles femmes du dimanche, discutaient, les cabas entre les jambes, et les mains jouant machinalement avec l’eau. Arrivé devant le café des deux routes, il salua Apolline qu’il aimait bien, malgré ses airs de jeune garçon qui le troublaient un peu. Il préférait de loin la grande Mathilde. Peut-être parce qu’elle correspondait plus à l’image qu’il se faisait d’une patronne de café. Patronne de café ? On dit ça ? Il haussa les épaules et entra dans le bar, à l’ombre, presque au frais, pour commander, comme chaque dimanche, son chocolat-croissants…il n’y avait pas encore trop de monde. Le marché avait absorbé presque toute la population. Les gens arriveraient après, pour l’apéro. Un calme odorant régnait. Ca sentait le ragoût de mouton, le café bien sûr, et l’odeur des cigarettes qui venait de l’extérieur. - On ne change rien ? - Rien. Répondit-il sans trouver autre chose. Mathilde sourit, et passa derrière le comptoir. Elle ne lui demanda ni comment il allait, ni autre chose. Elle voyait que tout allait bien pour ce comte solitaire, qui entretenait involontairement le mystère autour de lui. Ce mystère n’était, en fait, qu’une gêne financière évidente. Son porte-monnaie trop lourd, farci de pièces, et non de billets était éloquent…quand il venait dans le café, la discussion s’engageait souvent sur la petite vie du village, les animaux, et surtout, les livres. Il avait remarqué les lectures de Mathilde ; il avait les mêmes. Lorsqu’il n’y avait pas de client, elle s’attablait face à lui, et ils prenaient le temps de discuter littérature, sous le regard détaché d’Apolline, qui feignait l’indifférence, et cultivait un genre rigoureusement « prolétaire de culture minimaliste ». Elle se trahissait fréquemment, malgré tout, par des remarques pertinentes et érudites, qu’elle tentait d’atténuer après coup par une vulgarité quelconque. Le comte et Mathilde faisaient comme si de rien n’était, pour ne pas la vexer d’avoir été prise en fragrant délit de culture. Pour l’instant, Apolline surveillait Petit Jean qui terminait son troisième verre de tord boyaux. – Vous croyez pas que ça va comme ça ? Il leva vers elle un regard larmoyant, tendit un billet de 20 euros, et se leva en se tenant à la table. Il pouvait encaisser bien plus que trois verres, mais il fallait qu’il retourne au stand, et qu’il remballe. Il savait qu’Apollo avait raison. Il lui sourit quand elle lui rendit la monnaie et sortit, en trainant les savates. Sa tête dodelinait un peu, se balançant doucement au rythme de ses pas. Sam, le chien, ombre de son maître, se leva, lui jeta un bref regard compatissant et le suivit en trottinant.
Apolline se demanda une fois de plus avec inquiétude, s’il arriverait sans encombre, jusqu’à la place du marché, tout en bas, et s’il aurait le courage, et la force de démonter son stand.
Elle tourna la tête et regarda Mathilde. Elle ne la voyait pas vraiment, elle la devinait, au fond du bar et le bruit du percolateur lui raconta ce qu’elle était en train de faire. A chaque fois ce son la rassurait.
Francine…
Le café de Mathilde lui avait fait du bien. Bien sûr, ce n’était pas le café, mais la femme qui avait pris le temps de lui parler, de la regarder, de l’apprécier, avec en plus ce sourire bien à elle, que Francine aimait tant.
Les trois chèvres regardaient le chat (qui l’avait suivie) et le chat regardait un criquet qui venait de sauter. Il avait une patte doucement posée sur une petite musaraigne qui ne bougeait pas. Elle n’était pas encore morte. Elle faisait juste semblant, dans l’espoir de survivre. Ce chat avait quelque chose d’incroyable, il était partout à la fois. Il traquait une souris, et déjà avait en vue une autre proie, tout en causant avec ses copines les chèvres.
Francine du soleil plein les yeux, continua à cueillir ses bouquets de thym. Il fallait qu’elle regarnisse un peu son stand. Etrangement, elle en avait beaucoup vendus ce matin. Des touristes précoces venaient d’arriver, et le thym partait vite. Le reste des bouquets, elle le suspendrait à sa porte. Il n’était pas rare que les parisiens lui en achètent, car ils les trouvaient très jolis. Du moins c’est ainsi qu’ils les voyaient. Elle ne savait pas vraiment pourquoi. Elle cueillait les brins, les entortillait, puis les accrochait autour de son stand au marché, ça sentait bon. Chez elle, ça couvrait un peu l’odeur forte des chèvres…et puis, elle passait le temps. Il faisait tellement bon aujourd’hui. Les bêtes, non loin d’elle, broutaient vaguement quelques herbes sèches, se dégourdissaient les pattes, en discutant avec le chat roux. Elle rigola toute seule à cette idée. C’est vrai qu’ils avaient l’air de vieux amis, les trois chèvres et le chat. Elle se releva, et vit passer une forme, au fond du champ. C’était une femme, mais elle distinguait mal, peut-être Linette. A tout hasard, elle la salua, et la forme répondit à son geste. C’était sûrement Linette qui allait faire un tour du côté de la grosse bastide, elle aimait bien cet endroit. Elle allait toujours se promener dans ce coin. C’est vrai qu’il y avait de l’ombre…mais le matin, c’était un peu surprenant, elle aurait dû finir le ménage dans son gîte, ou alors être à faire des courses. Mais après tout, elle s’en fichait. Les gens pouvaient bien faire ce qu’ils voulaient. Elle se décida enfin à rejoindre son stand au marché, confié à la garde de son collègue maraîcher. Et là, vraiment, elle avait abusé un peu…
Le midi de Dimitri.
Il tomba pour la cinquième fois sur la messagerie de Sonia, elle avait peut-être éteint son portable depuis la veille, comment savoir ? Cette fois, il ne laissa aucun message. Il se sentait ridicule.
Une fois de plus, il fit le tour de la maison. Des petits sentiers s’embrouillaient dans les genêts piquants et le thym en fleurs. Des pierres, des herbes craquantes, et entre elles parfois, un œillet ouvrait un œil naïf d’un rose indien. Les criquets aux ailes bleues jaillissaient comme des étincelles sous ses semelles de corde, des abeilles têtues et sourdes bourdonnaient dans des calices invisibles et sucrés. L’odeur veloutée de l’herbe chauffée au soleil couvrait la colline. Le ciel était blanc de lumière. C’était un paysage rassurant. Il se calma un peu, se traita d’andouille, et décida d’attendre des nouvelles. Il n’y avait rien d’inquiétant autour de la maison. Il fallait patienter. C’était énervant…rageant.
Le comte encore…
Il s’était toujours dit qu’on pouvait être pauvre et s’en sortir quand même. Mais ça, c’était avant, quand il avait de l’argent. Maintenant qu’il n’en avait plus, il trouvait que c’était très dur, très usant, très fastidieux de s’en sortir sans. Ses croissants, et son chocolat du dimanche étaient tout son superflu, avec son tabac aussi, et le tabac, c’était vraiment du luxe. Il regretta une fois encore qu’on ne puisse plus fumer dans les cafés. Quel plaisir c’était d’allumer une cigarette devant sa tasse encore chaude…et de regarder les gens. Les observer. Tout le monde aimait ça. Lui, particulièrement. En plein soleil à la terrasse, par exemple, il y avait ce bel homme aux yeux rouges, cernés, qui avait l’air épuisé. Son front luisait de sueur, et ses gestes étaient indolents, comme si tout lui était lourd. Il buvait un café, lentement. Il n’avait pas parlé à Mathilde qui lui avait à peine sourit. Il lui sembla aussi, qu’elle était restée légèrement en retrait. Ils ne s’appréciaient pas, c’était si évident qu’il sourit. Machinalement il alluma sa cigarette, avant de se rendre compte de ce qu’il faisait. Il laissa le prix de sa consommation, et sortit très vite. – Ca vous arrive tout le temps, hein ? Apollo essuyait la machine à café en riant. – Un de ces jours, je vous inviterai à la fermeture, et vous pourrez fumer autant que vous le désirez…Il approuva, heureux, et remercia. Une fois dehors, il se dirigea tranquillement vers le marché. Il attendait toujours la fin. A cette heure, certains marchands faisaient des prix. Pas tous, mais ça arrivait quand même, surtout hors saison, quand il n’y avait pas encore trop de touristes.
Il adorait se promener entre les stands, comparer les prix, choisir ses légumes, et anticiper ce qu’il se ferait à manger. Il aimait particulièrement l’étalage de Francine. Des bouquets de thym, du laurier, de l’ail en vrac, et puis de ci de là, tout ce qu’elle cultivait dans son jardin. Il y avait aussi sur de vieux papiers un peu jaunis, les horaires où l’on pouvait aller acheter son lait de chèvre. Comme elle ne tenait pas en place, on s’adressait la plupart du temps au marchand voisin. Depuis longtemps il avait envie de poisson, et aujourd’hui, le poissonnier avait un étalage magnifique. Des sardines toutes en argent brillant, presque encore nacrées. Folie, bien sûr ! Pour des sardines, il les vendait très cher. Mais il ne put résister, et s’en prit une dizaine qu’il partagerait à coup sur avec le chat roux. Il fit la queue pour acheter une bonne baguette au boulanger ambulant, (trompant un peu celui du village, mais le boulanger du marché cuisait un pain aux noix faramineux), et flâna en regardant le reste des étals. De toute façon, il n’avait plus assez d’argent. Il ne lui restait plus maintenant que le plaisir des yeux et des petites conversations saisies au vol. Il faisait tellement bon.
Petit Jean …
C’était un brouillard qu’il connaissait bien. Ca venait de ses yeux quand il avait bu. Même pas trop. Les larmes lui embuaient tout. Il était habitué. Il savait où étaient les choses et ses gestes étaient tellement répétitifs depuis des décennies, que brouillard au pas, tout se faisait. D’ailleurs, son stand était bien là. Un petit stand de chapeaux, de couteaux pas très suisses, de tire-bouchon, d’écumoires, serpillères, torchons, blouses. Des blouses comme en veulent les vieilles dames, toutes dans les tons de gris et de mauve, imprimées de motifs provençaux passés avant que d’être portés. Tous les dimanches, il était là, larmoyant, et les clientes ne manquaient pas. Les vieux surtout, bien sûr. Sans voiture, loin des villes, son étalage offrait tout ce qu’il fallait ; le nécessaire, l’utile, et aussi le truc bête qui fait plaisir, un ours en peluche pour le petit, des fleurs en plastique pour décorer la fenêtre, la pince à cheveux…enfin de tout. Il haussa les épaules, et reprit sa place. Il y avait encore du monde, mais dans une heure il faudrait tout remballer. Il avait chaud. Il trouvait le temps un peu long. – Hé, petit Jean ! Je t’ai vendu une blouse ! Une rose…et puis ce truc, là pour déboucher les éviers. Il y a une femme qui va repasser aussi…Petit-Jean empocha l’argent avec un sourire flou, rangea machinalement son étal et fini par s’assoir, tandis que Sam s’allongeait à ses pieds.
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Le café des 2 routes
(suite 2)
Après s’être rafraîchi le visage, la tête farcie d’une lourde migraine, il s’attabla au café des 2 routes, et tenta de réparer son portable. Il s’était ouvert en deux, comme cela arrive parfois, il fallait qu’il retrouve la batterie. Il commanda un café à Mathilde, remarquant une fois de plus des croûtes jaunâtres dans sa chevelure brune, ainsi qu’à la commissure de ses lèvres…il ne lui adressa pas la parole plus qu’il ne fallait, et elle non plus. Ils ne s’aimaient pas. Ni lui ni elle ne savait pourquoi, mais c’était un fait. Ils étaient à peu près courtois sans plus. Il préférait de loin Apollo et se doutait, avec un peu de honte, que le physique y était pour quelque chose. Mathilde était brune, bouclée, solidement charpentée, sportive, belle dans son genre, mais il préférait son amie, blonde, aux cheveux très courts. Elle lui donnait l’impression rassurante d’être un gentil garçon sans vergogne…asexué, juste plaisant, et sans complication. Il la trouvait reposante. Il savait aussi qu’il ne fallait pas s’y fier, qu’elle parvenait avec une facilité déconcertante, à évincer de son café, les ivrognes trop imprégnés. Sans un mot, elle les prenait par le bras, et ils se retrouvaient dehors, comme accompagnés par une hôtesse de l’air attentive. Aucun d’eux, jamais, n’avait osé revenir sur le coup. Certains d’entre eux repassaient même parfois s’excuser le lendemain. Apolline leur pardonnait machinalement, à la manière de quelqu’un qui passerait un grand coup de torchon sur une table.
Puis, pour sceller l’amitié, et ne pas perdre une fidèle clientèle alcoolique, elle leur servait gratis, un grand verre de vin rouge. Pas de mots. Juste des actes.
Il paya son café, et se dit qu’il était temps pour lui de rentrer à la maison. Avant, il passerait à la pharmacie demander conseil, en espérant qu’elle soit ouverte.
Le chat.
Mathilde s’empressa de nettoyer la table, et regarda passer Pouf le chat, tout hérissé dans sa dignité. Sans un regard pour elle, il se dirigea droit vers la cuisine du bar. En le suivant des yeux d’un air rancunier, elle marmonna entre ses dents, comme si le chat pouvait l’entendre - Bin voyons M. Pouf, direct à la gamelle, sans un bonjour, comme d’hab…Elle se gratta la tête, et en fit tomber quelques croûtes blanchâtres, vestiges du masque matinal. - Crotte de crotte, faut que je me lave les cheveux.
Elle secoua sa chevelure, et reprit son travail. Non loin de là, une vieille femme s’était assise sur la margelle de la fontaine, serrant son cabas plein de légumes contre ses mollets fragiles, visiblement essoufflée. – Tu parles toute seule Mathilde ? Les oiseaux s’étaient tous envolés, dans des pépiements indignés.
- Venez donc, je vous offre le café. Mathilde, sans attendre la réponse entra dans le bar, chercher le breuvage, tandis que la vieille s’attablait maladroitement en camouflant sous un petit chapeau de paille quelques mèches d’une main incertaine.
Le soleil était plus haut, bientôt, on déploierait les parasols. La vieille Francine n’en avait pas besoin, elle avait toujours froid, il fallait au contraire qu’elle se réchauffe. - Alors Francine, ce marché ? La vieille soupira, par habitude. - Bah, comme d’hab, des légumes pourris, des fruits pareils, rien ne va plus…tiens ! Pouf qui sort pour faire sa toilette. Mathilde regarda le chat tendrement. - Ce chat, il nous sert à rien, il chasse même pas les souris, il se pavane, mange et dort… et encore, il mange pas tout, la preuve, il est ressorti tout de suite, il aime pas la soupe que je lui ai laissée…mais il est beau ! Francine cligna de l’œil d’une manière inattendue. - ça pour être beau, il l’est, mais tu sais, les chats, ça bouffe plutôt de la viande…Francine buvait son café à petites lampées, et jouissait visiblement du soleil et de la conversation. Elle possédait une toute petite ferme, en pierres très sèches, où elle élevait quelques chèvres. Il lui arrivait d’amener un litre de lait aux deux filles, plus pour l’amitié que par besoin. Mathilde se faisait un devoir de boire le lait, tandis qu’Apolline s’acharnait à en faire des yaourts qui n’avaient jamais la bonne consistance. Pouf sauta sur les genoux de Francine et se laissa gratter les oreilles en souriant, son museau repoussant la main sèche de la vieille quand elle faisait mine d’abandonner. - Y’ a que sur vous qu’il saute, ce chat…c’est curieux. Francine secoua la tête, en souriant. - Ah non, c’est pas curieux. Qui c’est qui lui donne du mou, enfin, de la bonne boîte, quand il vient me voir ? Et il aime ça…c’est pas comme ta soupe, tiens ! La jeune femme fronça les sourcils. - Bin alors, c’est pour ça qu’il chasse pas mes souris… ! Mais elle pensa aussitôt qu’il n’y avait pas de souris dans le bar, et que c’était juste pour parler, elle meublait pour faire plaisir à la vieille, et la vieille, pas dupe, la regardait, complice.
Mathilde délaissant Francine, s’approcha d’une table que deux femmes en sueur venaient d’occuper. Le soleil continuait à monter dans le ciel, et les ombres se resserraient aux pieds des arbres. Les deux femmes, toutes rouges, commandèrent deux bières et poussèrent un grand soupir d’aise quand Mathilde déploya le grand parasol.
Dimanche après- midi
Dimitri avait marché d’un pas plus tranquille...Il s’était calmé, et essayait de se raisonner. Il tentait de minimiser, sans y croire vraiment. Ils s’étaient énervés tous les deux pour pas grand-chose. C’était la faute de la soirée qu’ils avaient passée. Ils n’arrivaient jamais à se parler calmement. Il ouvrit la porte de la maison, et constata qu’une fois de plus, un morceau de plâtre s’était détaché du bord du chambranle. Il avança dans la grande salle. Tout y était encore très sombre. Il appela Sonia, et n’eut aucune réponse. En montant à l’étage, il lui sembla qu’elle avait encore saigné après son départ. Il y avait des taches sur les marches. Il regretta aussitôt d’être sorti. Il aurait dû rester près d’elle pour la surveiller. Il n’y avait personne en haut, et tout était dans l’état où ils avaient laissé la maison après la dispute. Sonia n’avait pas ouvert les volets du premier, et ça sentait le renfermé. Il redescendit. Les assiettes, les verres, s’empilaient un peu partout, le sol était jonché des débris des objets que Sonia avait cassés. Il ramassa les pages du livre déchiré, essayant vainement de leur retrouver une cohérence, puis y renonça. Il s’avança pour ouvrir les fenêtres et donner de l’air. Le soleil jeta une lumière révélatrice sur le désastre. Le spectacle était décourageant. Maintenant, il était très calme, et sa migraine ne le gênait pas trop, elle lui embrumait juste un peu l’esprit. Il inspecta toutes les pièces, avec constamment la crainte de trouver Sonia inanimée par terre. La maison était vide. Elle n’avait visiblement touché à rien, tout était resté dans le chaos. Par terre, au milieu des morceaux de vaisselle, traînaient la serviette pleine de sang, ainsi qu’un tee-shirt blanc. Le fait qu’elle se soit changée le rassura un peu. Il jeta un regard par la fenêtre et vit que la voiture était toujours là. Sonia ne devait pas être loin, elle avait dû sortir, prendre l’air, fumer, ou n’importe…elle rentrerait donc bientôt, ils s’expliqueraient…Ils essaieraient de trouver une solution satisfaisante, ou au moins, raisonnable. Il décida de tout nettoyer et se mit à la recherche de la batterie de son portable. Il la retrouva, étrangement coincée entre les lattes du parquet. Il entreprit de mettre de l’ordre, vider les cendriers, ranger les verres qui traînaient, et secouer le tout pour retrouver un peu de stabilité et occuper son esprit. Il s’activa un bon moment, fit la vaisselle, remis les choses en place, redonna un air plus correct à toutes les pièces, empila le linge sale dans la salle de bain, et s’arrêta. Il lui avait fallut un long moment pour tout ranger, nettoyer grossièrement, et quand il s’arrêta, il constata qu’il était 14h. Il avait faim et mal à la tête. La colère le repris vaguement. Elle ne devait pourtant pas être loin. Il fallait qu’elle soit dans le coin, c’était sûr. Elle le laissait mijoter. C’était sa tactique habituelle, mais il n’avait pas envie de jouer son jeu. Elle devait savoir elle aussi, qu’ils étaient allés beaucoup trop loin, et qu’il fallait maintenant prendre des décisions d’adultes. Ils avaient quelques amis dans le village, elle avait dû se rendre chez eux. Avec sa plaie. Une plaie bien saignante. Pour eux, il deviendrait un monstre. Il l’était déjà. C’est sur lui que s’amasseraient tous les reproches, tous les nuages, éclairs, foudres, ostracismes divers et variés, il n’y aurait pas d’ambiguïté, pas de nuance. La plaie justifierait tout. Il se dit qu’il s’en foutait, à une condition, c’est qu’il sache comment allait Sonia. Il lui téléphona en premier, en doutant qu’elle ne lui réponde, et effectivement, il tomba sur sa messagerie. Il prit ensuite son courage à deux mains, et appela tous les gens qui habitaient aux alentours. Il s’attendait à affronter des reproches, ou des silences lourds de sous entendus, mais à la place, il n’y eut rien qu’un peu d’étonnement. Personne n’avait vu Sonia.
Il se laissa tomber sur un siège, pour se relever aussitôt. Et si finalement, elle avait appelé des secours ? Si elle s’était trouvée si mal, que prenant peur, elle ait appelé une ambulance ? Il commença à téléphoner à l’hôpital le plus proche. Des réponses polies, professionnelles et négatives. Une petite paranoïa commença à monter. Si une femme était battue par son mari, on ne lui donnerait sûrement pas de ses nouvelles, on la protégerait. Pareil en ce qui concernait les amis, les proches, Il imaginait leurs réactions. Ils le condamneraient. Merde. Merde, il fallait qu’il boive, et qu’il mange, ça ne tournait plus rond. Juste un sandwich et un ou deux verres. Il aurait du mal à endosser le rôle du salaud. Parce que salaud, il l’était, indéniablement. Elle avait sûrement demandé à une de ses amies de Nîmes de venir la chercher. Mais comment savoir laquelle, et comment avoir leur numéro ? A moins qu’elle ne se soit rendue chez sa mère. Hautement improbable. Sa mère l’aurait littéralement assaillie, submergée de soins étouffants. Il connaissait assez sa femme, pour savoir qu’elle ne pourrait pas le supporter, pas dans cet état. Mais il eut beau chercher, il ne trouva aucun prétexte plausible pour l’appeler quand même. S’il n’y avait pas eu cette plaie, son absence aurait été une aubaine, une sorte de plage de silence, de réflexion, retour sur soi, ou tout ce qu’on veut de cet ordre. Mais il y avait cette blessure et le fait qu’elle ait été involontaire ne le soulageait pas. Vu de l’extérieur, qui était coupable ? Le résultat était...une plaie. En l’absence de Sonia, il ne pouvait pas prouver qu’elle ait été involontaire. Il ne la pensait pas assez tordue pour affirmer le contraire. Et si elle l’affirmait, qui croirait-on ? Elle ou lui ? Sonia avait la chance d’apparaître comme quelqu’un de clair, de lisible. La façon qu’elle avait d’écouter, de regarder les gens, leur donnait l’impression de devenir précieux, uniques. Elle avait une manière très personnelle d’attirer la sympathie. Au début de leur relation, Dimitri l’avait littéralement perçue comme un tourbillon, une plume, rien n’était âpre, elle adoucissait la vie. Une bulle légère qui se laisse porter, une étincelle, un bouquet de papillons, un ciel éclatant et tendre, elle était faite pour séduire. Ce n’était pas ce qu’elle disait, ce qu’elle faisait, c’était un tout, une sorte de brume lumineuse qu’elle répandait tout autour d’elle. Pourtant c’était elle, la veille, qui l’avait poussé à bout. Elle avait toujours su s’en tirer. Tout le monde lui pardonnait, trouvait normal qu’elle ne fasse et ne réalise que ses désirs. Elle avait toujours agi en enfant gâtée, et cela lui avait toujours réussi. Il ne savait pas pourquoi, mais les gens, les amis, les passants, et même les indifférents, ne voyaient en elle qu’un être gai, insouciant, et apportant la joie. En fait, c’était ça. Elle apportait la joie, une certaine dimension de permissivité indulgente. Rien n’était grave, tout devenait léger. Etre avec elle, c’était comme si on entrait dans la bulle protégée d’un monde à part. Il vida son verre, et s’en resservit un autre. Mais dans les faits, dans la vie de tous les jours, acte après acte, la bulle devenait un faux- semblant, un mensonge permanent, un aveuglement. Une mouche qui tourne dans une pièce, qui se cogne en rigolant. Bon, voilà que les mouches rigolent, mais oui, une mouche qui va d’homme en homme, en riant, en testant ses capacités de séduction, sans jamais être sûre d’elle, en doutant toujours. Prenant conscience de ses pensées, il se dit qu’il devenait totalement abruti. Il prit son portable, et rappela Sonia. Il fallait qu’il sache où elle était, qui était venu la chercher, puisqu’elle n’avait pas pris la voiture. De nouveau il se sentit mal. Avant de téléphoner, il décida de faire le tour de la maison, et d’aller dans le chemin tout proche. Il avait toujours peur de la retrouver à terre, inanimée… Il sortit sur le pas de la porte, et regarda les collines au loin. Le soleil était brûlant, un gros silence lourd de chaleur pesait sur le paysage.
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