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Georges Philibert Charles Maroniez, Enfants au bain dans les Rochers.

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On a sauvé le monde de Dominique Fernandez

Les habitués de ces pages savent combien la datation dans les romans est une question qui me préoccupe. Surtout lorsque ceux-ci ont pour fond des évènements historiques qui parfois prennent la première place dans le récit et influent grandement sur la destiné des héros, comme c'est le cas ici. Le narrateur, Romain ou Romano, comme l'ont surnommé ses camarades italiens, raconte sa vie, ou plutôt sa jeunesse, à un interlocuteur évanescent, nommé (une seule fois) Arturo; ce dernier n'interviendra que de rares fois et de manière fort laconique, trois ou quatre, durant les presque six cents pages de cette confession, faite à la première personne du singulier.
On apprend assez vite que Romano est né en 1911 (il nous informe qu'il a dix sept ans en 1928 lors de l'incendie de l'appartement des voisins de sa mère) et comme il nous a révélé, au tout début du livre qu'il a 70 ans quand il s'adresse à Arturo, qui semble être un ancien amant recyclé en scribe, il n'est pas bien difficile d'en déduire que le présent de cette remémoration se situe en 1981.

Une fois ces jalons chronologiques posés, que nous raconte Dominique Fernandez sinon le fourvoiement politique d'un jeune homme pour l'amour d'un autre. En fait Romano a été fidèle à ce mot d'E. M. Forster: << Si j'avais à choisir entre trahir mon pays et trahir mes amis, j'espère que j'aurais le courage de trahir le premier.>>.
Il faut néanmoins attendre la cent-vingtième page pour que Romano rencontre Igor. Nous sommes alors en 1933 et Igor à tout juste vingt ans. Romano est à Rome où il suit des cours d'Histoire de l'art. Il prépare une thèse sur Poussin, son peintre préféré depuis qu'il a été foudroyé par la vision à 18 ans, lors de son premier voyage à Paris et de sa découverte du Louvre, d' « Echo et Narcisse ». Il a fait de cette révélation, sa véritable naissance. Presque à chaque fois qu'il sera question d'une oeuvre d'art, et cela est fréquent, le texte sera accompagné par la reproduction de celle-ci, en petit format et en noir et blanc, ce qui donne un coté rétro au livre, bien en adéquation avec l'époque à laquelle cette histoire se déroule.
Durant la première partie du roman, Dominique Fernandez brosse un tableau assez complet, bien que très orienté, de la Rome après dix ans de fascisme. Mais le régime n'est pas vu par les yeux d'un européen d'alors mais avec ceux d'un écrivain parisien de 2014. En 1930, l'Italie fasciste était en grâce aussi bien à Londres, Churchill déclarait que Mussolini était le plus grand chef d'état européen, qu'à Paris où Pierre Laval se dépensait sans compter pour le rapprochement des deux pays. La France considérait alors l'Italie comme son meilleur allié. Outre cet anachronisme idéologique, on s'aperçoit, si on compare par exemple les descriptions de la Rome du Duce dans « On a sauvé le monde » à celles du Berlin nazi par Philipp Kerr dans sa trilogie berlinoise, combien Fernandez est un assez piètre paysagiste. Il ne sait pas sur ce point, comme sur d'autres, sortir des clichés. On apprend néanmoins beaucoup de choses sur le quotidien des romains de 1930; par exemple qu'il y avait une nourriture fasciste et une autre qui ne l'était pas, comme les pâtes par exemple! Il est probable que cette connaissance intime des détails de la vie quotidienne dans l'Italie mussolinienne viennent des recherches que Dominique Fernandez a entrepris pour écrire la biographie de son père, l'écrivain et critique littéraire Ramon Fernandez, laudateur éphémère du Duce... Cette connaissance du fascisme le conduit à faire des déclarations, elles, bien peu dans l'air du temps, comme celle-ci à la revue Transfuge: << Le fascisme est une pensée qui court à travers les siècles. Elle s'est cristallisée dans Mussolini, mais on la trouve après, on la trouve avant, c'est une façon de penser. Tout tableau peut donc avoir une interprétation fasciste.>>.

Cet exercice d'admiration pour les sculptures du stade de Mussolini est totalement inattendu dans un livre qui par ailleurs baigne dans la morale convenue du jour. Tout aussi inhabituel est son plaidoyer pour le réalisme socialiste que Dominique Fernandez place dans la continuité de la peinture russe du XIX ème siècle, ce qui est très convaincant. Au passage il cite « La baignade du cheval rouge de Pedrov-Vodkine et bien sûr pour la période soviétique, Deineka (j'ai consacré naguère un billet à cet artiste. on le trouve à cette adresse: http://www.lesdiagonalesdutemps.com/article-alexandre-alexandrovitch-deineka-1899-1969-120342681.html). Les louanges que Dominique Fernandez déverse sur une peinture naturaliste, réaliste, témoin de son temps ferait passer son « ami » et confrère à l'Académie, Jean Clair pour un chantre de l'art contemporain... Il semblerait que cette, un peu amère constatation, que l'on peut lire page 34, soit autobiographique: << Celui qui se croit le plus libre ne voit que ce qu'il a été programmé pour voir: il faut du temps pour apprendre à se servir de ses propres yeux.>>.

On ne sait que peu de choses sur Romain, ni du pays d'où il vient, ni même quel est son véritable prénom, pas plus à quoi il ressemble. Il ne doit cependant pas être trop mal de sa personne puisqu'il est d'abord, avant de tomber en extase devant Igor, courtisé par deux étudiantes, comme lui en histoire de l'art: Gulia, une froide beauté issue d'une famille de l'aristocratie romaine mais tombée dans la débine et Wanda une chaude et pulpeuse polonaise. Le parti pris de laisser dans le flou les origines du héros est contre productif en le privant de tout un arrière monde qui pourrait mieux expliquer ses réactions et ses motivations. Dés qu'il glisse vers l'espionnage, mais ne croyez pas qu' « On a sauvé le monde » soit une sorte de James Bond chez Mussolini puis chez Staline, Fernandez est assez peu convaincant; on peut subodorer que ce féru de Poussin est anglais et que pour construire son personnage Dominique Fernandez ait louché du coté de sir Anthony Blunt. Ce qui hélas se confirme à la fin du roman car le peu que dit l'auteur sur les presque cinquante années après les faits qui nous sont racontés dans le roman, qui se déroule en gros sur trois ans, est paresseusement calqué sur la vie du dit Blunt qui avait une autre envergure que le pâle Romano. Pour s'en persuader il suffit de lire la biographie de Blunt, écrite par Miranda Carter, "Gentleman espion, Les doubles vies d'Anthony Blunt" (Payot, 2006). Blunt a inspiré plus directement un autre roman, meilleur que celui que je chronique, bien qu'un peu trop cérébral, il s'agit de « La gloire du traitre » de Bernard Sichère (éditions Denoel 1986). Rien qu'en lisant le titre du roman de Sichère on sait qu'on n'y trouvera aucun dolorisme homosexuel qui encombre tant les romans de Dominique Fernandez. Si vous préférez les images à la lecture, il y a une excellente série britannique qui a pris pour héros Blunt et ses compères de Cambridge. Il s'agit de Cambridge spies, série à laquelle j'ai consacré un article sur le blog, trouvable à cette adresse: http://www.lesdiagonalesdutemps.com/article-cambridge-spies-reedition-completee-92508146.html.
Revenons à nos deux héros. Le personnage d'Igor est le seul à échapper quelque peu aux stéréotypes qui ne cessent de faire obstacle à la crédibilité du récit. Le paradoxe est que la véracité d'Igor pour le lecteur repose sur une situation possible, mais très extraordinaire: le retournement par les soviets d'un jeune russe blanc dont une partie de la famille a été massacrée par les rouges. Rhomer dans son film « Triple agent » avait suggéré une situation proche ce celle-ci mais de manière beaucoup plus subtile. Il reste qu'il y a bien eu des russes blancs "retourné", les écrivains Alexis Tolstoi et Mirsky en sont de bons exemples.
J'éclairerait volontiers le parallèle entre les méthodes policières fascistes et staliniennes que décrit Dominique Fernandez par une réponse qu'il a faite à une récente interview: << La Russie et l’Italie ont en commun l’incurie et le désordre. Dans les deux pays, la bourgeoisie ne tient pas une grande place, et c’est justement cette conception peu bourgeoise de la vie et de la culture qui m’attirent.>>.
Dans son roman, il n'hésite pas à faire d'autres parallèles audacieux: << En quoi la démarche de Mussolini diffère-t-elle de celle des papes? Ils ont la même ambition de faire servir l'art à une fin politique, la même volonté de contraindre l'artiste à sacrifier la plus grande part de sa liberté à un principe plus haut que celui de la liberté individuelle, ils partagent la même certitude qu'il est plus important pour la communauté des hommes et plus profitable à la civilisation de forcer le peintre et le sculpteur à annoncer une bonne nouvelle que de lui permettre d'exprimer son moi.>>.

L'auteur n'évite pas toujours les pièges du didactisme dans les passages dans lesquels Romain fait partager à Igor ses connaissances en Histoire de l'art, dont l'étendue est d'ailleurs un peu surprenante de la part d'un garçon d'à peine plus de vingt ans. Il reste que ses considérations sur la peinture de la renaissance sont fort intéressantes.
Je recommanderais de lire cet ouvrage à Rome (au moins les deux premiers tiers) où il pourra être pour son lecteur un guide original en ce qui concerne les musées, un peu à l'instar des écrits de Stendhal sur la ville éternelle. Je rappellerais aux étourdis que Dominique Fernandez est un fin connaisseur de l'auteur de « La chartreuse de Parme ». A croire que le romancier a pensé que son roman pourrait être utile aux touristes puisqu'il l'a découpé en courts chapitres, de cinq à dix pages chacun, auxquels il a donné des titres explicites comme, « Les marbres du stade », « La chapelle Alaleoni », « peinture italienne, peinture française »...
Si les réflexions sur la peinture sont érudites, pointues et paradoxalement iconoclastes, pas du tout dans la doxa de la tribu socialo-intello-bobo dont Dominique Fernandez est un archétype, ses diatribes sur la religion, que néanmoins j'approuve, sont elles assez primaires. En voici un exemple: << Sur un seul point, il resta affreusement rétrograde. Le sexe continua à être exclu de la prédication de François. Le sexe demeura banni et maudit. Logique avec lui-même, François aurait dû libérer le sexe également, célébrer aussi la joie du sexe. Il aimait la musique, la poésie, les paysages d’Ombrie, la marche sous le soleil, les haltes sous les oliviers, les gâteaux, mais, cramponné au préjugé biblique, il maintint l’interdit sur le corps. En condamnant le désir, il avalisa le discours catholique sur la répression sexuelle et engagea l’Europe pour des siècles de misère puritaine. En avance dans tous les autres domaines, il ne remit pas en question les lois édictées par Moïse ni l’enseignement de l’horrible saint Paul.>>.
Quand au plaidoyer de Dominique Fernandez sur la supériorité des gays sur les hétéros en matière d'art, s'il ne me paraît pas totalement absurde, il pâtit d'un ton très années soixante dix qui paraît aujourd'hui assez ringard, venant d'un autre temps aussi éloigné que celui des lectures communistes de la peinture que l'auteur propose via Igor. Il me semble que ce n'est pas faire preuve d'homophobie que de considérer comme bien réductrice la démarche de faire de l'homosexualité sa seule grille de lecture du monde...
Voir dans l'obligation de vivre dans la clandestinité pour les homosexuels au début des années trente une passerelle pour qu'ils deviennent des espions relève de la psychologie du café du commerce.
Dominique Fernandez est bien davantage, un biographe, un homme de récits de voyage qu’un véritable romancier. Par exemple la romance entre romain et Igor me semble fortement inspirée par l'aventure amoureuse qu'a connu l'écrivain Pierre Herbart avec un jeune russe à Moscou en 1936. Pour s'en persuader, il suffit de lire la biographie de Pierre Herbart par Jean-Luc Moreau (Grasset, 2014) et plus particulièrement le chapitre "La patrie du socialisme".
Les romans les plus convaincants de notre académicien s'appuient sur des personnages historiques: Pasolini, Tchaïkovski, Le Caravage. Ce qui n'est pas le cas dans « On n'a sauvé le monde ». Ses deux jeunes héros sont des personnages de fiction et il manquent cruellement d'épaisseur. Les acteurs de second plan de cette histoire ne sont pas plus conséquents. Ils vont de la transparence à la caricature comme la famille d'Igor, cliché du russe blanc en exil. Henri Troyat, ancien collègue à l'Académie de Dominique Fernandez a écrit sur cette tribu dont il était issu, des pages d'une toute autre densité.
On se demande tout de même, si on est un peu moins subjugué par l'amour de Romano pour Igor que l'auteur, si Igor, agent de l'URSS, ne se serait pas servi, dès le début de l'amour de Romano à son égard; on peut alors s'interroger sur la sincérité des sentiments d'Igor envers son compagnon. N'aurait-il pas envisagé dés leur rencontre de manipuler Romain pour qu'il récupére les plans secrets du prototype de l'avion futuriste italien ? Dans cette hypothèse, que Dominique Fernandez laisse entre ouverte, on peut en déduire qu'Igor n'a pas la fin que suppose Romain...
Pour résumer « On a sauvé le monde » est à la fois un livre ambitieux et paresseux. Ambitieux car il se veut roman total mélangeant roman d'amour, roman historique, roman d'espionnage et essai sur l'art tant classique que moderne. Certains de ces pans sont assez ratés comme la partie espionnage , n'est pas John Le carré ou Eric Ambler qui veut, d'autres assez réussis, toutes les considérations sur la place de l'art dans la société. On peut néanmoins savoir grès à Dominique Fernandez de son ambition, même si le livre manque de travail pour être tout à fait convainquant, mais il faut prendre en compte l'âge du capitaine. A plus de quatre vingt ans on sent plus l'urgence de publier que de peaufiner longuement son ours.
Le livre vaut surtout comme une visite dans un musée imaginaire d'une grande liberté de Rome à Moscou. Une fois refermé il donne envie de se précipiter au Louvre pour y aller admirer les toiles de Poussin et de Vouet, mais aussi de visiter Rome et Moscou dans les pas de Romano.

un tableau de Deineka
Commentaires de la première édition de ce billet:
ismau03/06/2014 22:19Répondre
Merci pour votre compte-rendu, comme toujours fort intéressant, et qui me donne ( tout de même ) envie de lire ce livre . Je vous rejoins dans la critique de l'écriture de Fernandez . "Porporino" m'avait emballée à l'adolescence ; mais deux de ses romans pourtant assez anciens " l'Etoile rose " et " Dans la main de l'Ange " lus assez récemment, m'ont déçue . Peut-être ont-ils mal vieillis ? " L'Etoile rose " avec une certaine lourdeur du propos et du style . " Dans la main de l'ange " bien que soi-disant biographie de Pasolini, use à mon avis de trop de stéréotypes romanesques usés, et remanie les écrits autobiographiques de Pasolini - que je venais de lire - en les affadissant et banalisant considérablement . Quand vous lui reprochez son dolorisme homosexuel je suis aussi d'accord, et je trouve amusant de me souvenir que c'est justement ce qu'il reprochait à Chéreau et Guibert pour leur film " l'Homme blessé ", avec des termes très durs - c'est dans " Le rapt de Ganymède " - . Mais, à la différence de ce que vous indiquez, je pense que sa connaissance intime de l'Italie mussolinienne est bien antérieure à l'écriture de la biographie de son père . Il ne faut pas oublier que Fernandez est " spécialiste " de l'Italie par ses études universitaires, agrégé d'italien, ayant vécu à Naples comme professeur à l'institut français . Et surtout, il a écrit une thèse sur Pavese ( en 68 ) qui l'a mené à étudier le parcours de l'écrivain, inscrit d'abord au parti national fasciste de 32 à 35, puis devenu communiste . Comme Pavese était aussi grand angliciste, je me demande s'il n'aurait pas pu inspirer une part du personnage de Romano ...
B.A.03/06/2014 23:04
Merci pour votre commentaire comme toujours très stimulant intellectuellement. Je sais que Fernandez est un italianisant de longue date, mais vu la période de ses humanités transalpines je doute qu'à l'époque on lui ait beaucoup parlé du quotidien de la Rome de 1930... Très intéressant votre rappel du passé fasciste de Pavese mais Romano n'est pas un italien au début du roman je l'aurais pensé autrichien ou praguois mais ensuite la similitude avec le parcours de Blunt fait écran avec une autre origine. C'est d'ailleurs à mon sens une grande maladresse pour ne pas dire paresse du romancier qui a une propension fâcheuse à reprendre des morceaux de ses anciens textes pour un peu les mitonner à une autre sauce (voir la citation que je fais du rapt de Ganymede; dans mon dernier billet (en cela il prend modèle sur son maitre Stendhal). Il reste que je le répète ce livre se lit bien et si au point de vue romanesque il ne parvient pas à s'abstraire des clichés il propose des réflexions sur l'art particulièrement ébouriffante loin de la doxa actuelle.
Bruno03/06/2014 16:05Répondre
Merci pour cette belle analyse. Longtemps, j'ai aimé les textes de Dominique Fernandez, disons, jusqu'au Rapt de Ganymède. Vous êtes dur, mais probablement raisonnable, sur l'âge de notre auteur et l'Académie rendrait elle académique ?.... Merci pour vos billets
B.A.03/06/2014 17:33
Pour faire court on peut dire que c'est un mauvais roman mais qui est très intéressant pour ceux qui se passionnent pour l'art et sa réception ainsi que pour les amoureux de Rome. Fernandez n'a jamais eu l'imagination qui en ferait un romancier d'autre part si son écriture est fluide et se lit facilement on y trouvera jamais les images et autres comparaisons qui peuvent ravir le lecteur par leur trouvaille.
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Le héros du roman, Conti se souvient, en passant devant un restaurant chic du Palais-Royal, du diner qui y fut donné, il y a vingt ou vingt quatre ans, pour les quarante ans de son ami et collègue Delozier. De la mémoire de Conti, banquier célibataire, fils de peu, arrivé à une situation enviable par son intelligence, une certaine abnégation et une grande force de travail, vont surgir tout un monde et demi monde, parisiens et provinciaux. Toute une vie défile. Souvenirs de la jeunesse corse de Conti, bien que, comme à son habitude dans ses romans, Rinaldi ne nomme pas son ile natale. Tout le récit s'inscrit dans les alentours immédiats du Palais-Royal, tout du moins pour son présent, mais l'ouvrage n'est qu'une suite de réminiscences qui font voyager le lecteur dans l'espace et surtout dans le temps.
A propos du temps, il me semble que Rinaldi s'emberlificote les pieds dans le tapis. Comme vous avez du le remarquer, si vous êtes un fidèle lecteur de mes billets sur mes lectures, une de mes marottes est de situer précisément dans le temps des romans que leur auteur s'ingénie à ne pas vouloir millésimer, sans quand on en sache bien la raison, comme c'est le cas pour ces souvenirs qui sont au comptoir (un assez mauvais titre, contrairement à ceux des autres romans de Rinaldi). Une hypothèse, j'en conviens un peu facile est de donner au narrateur, la date de naissance de l'auteur, soit pour Angelo Rinaldi 1940 et donc pour son héros Conti. Date qui collerait assez bien avec ce que l'on sait de la biographie de ce personnage de papier qui n'a que peu de souvenirs de son père, un résistant tué par l'occupant aux alentours de 1944 (le père dAngelo Rinaldi serait fils d'un militant communiste mort des suites de la déportation?). Mais des confidences faites à Conti, alors adolescent, par un compagnon de résistance de son géniteur inciterait plutôt à pencher pour le début 1943, ce qui rendrait les souvenirs du fils sur le père apocryphe... Conti a été élevé par une mère veuve de guerre. Une enfance semblable à celle de plusieurs narrateurs des romans précédents de l'auteur. Reste a déterminer qu'elle est le présent du livre, certainement pas aujourd'hui, Conti serait âgé de près de soixante dix ans et serait donc à la retraite, ce qui n'est pas le cas. A la page 83, on apprend que Delozier est l'ainé de deux ans de Conti. Il serait donc né en 1941. Ce qui situe le fameux diner en 1981 et les réminiscences de conti entre 2001 et 2005.
Mais un événement clé, ayant lieu lors du diner, dont la révélation ruinerait l'effet voulu par l'auteur et le plaisir du lecteur, ne peut que se passer au plus tôt qu'en 1984 et plus probablement en 85 ou 86, ce qui fait un « trou » chronologique d'au moins quatre ans...
Ces imperfections chronologiques n'aident pas à s'intéresser aux péripéties du livre et aux biographies des deux personnages principaux, Conti, celui par lequel nous découvrons cette histoire, et son ami Delozier. Leurs motivations existentielles sont aussi floues que la chronologie. Pourquoi ces deux hommes quittent leur travail à la banque pour devenir journaliste dans un hebdomadaire, quelles sont leurs véritables relations... Autant de questions qui restent sans véritables réponses.
Si Rinaldi connait bien cette grande presse hebdomadaire, il a tenu la rubrique littéraire de l'Express durant plus de vingt ans, il ne parvient pas à nous intéresser aux grenouillages qui entourent la vente du journal dans lequel les deux compères travaillent sans doute pour avoir voulu trop masquer ce petit monde qui se révèle assez interlope... Dans ces passages il aurait été bon que les clés soient plus évidentes car par ailleurs, sans affirmer que « Les souvenirs sont au comptoir » soit un roman à clés, il m'a semblé reconnaître sous des noms d'emprunt, Pierre Clémenti, qui aurait fusionné avec Marc Porel, Gaston d'Angelis, le comte de Ricaumont, élevé pour l'occasion au titre de marquis, Claude Mauriac et quelques autres... Mais l'auteur sait comme personnetranscrire les conversations de couloir ou celles que l'on tient avec des amis.
Angelo Rinaldi de livre en livre, à la fois, dilate de plus en plus le temps, et si c'est avec raison qu'à propos de son style on cite Proust, je m'étonne qu'on accole pas à son nom celui de Raymond Roussel autre grand dilateur de temps, et restreint de plus en plus le périmètre dans lequel évoluent ses personnages... Le plaisir de se heurter à des phrases qui prennent leur temps, comme celle-ci: << Victime de l’encaustiquage de l’escalier, non moins périlleux par là que le parquet de l’appartement, d’un danger surmonté jusque là au pas prussien de ses bottes, l’un des brancardiers, dans un vacillement, faillit lâcher l’un des bras du dispositif, le cadavre du coup projeté dans le vide, tel celui du marin décédé à mi-chemin de la traversée et qu’enveloppé d’un linceul on balance par-dessus bord- mais puisque chacun, à terme, replonge dans l’anonymat quelle différence avec l’immensité de la mer ? >>.
Je ne sais pas si "Les souvenirs sont au comptoir", sera le dernier roman d'Angelo Rinaldi, ce que je ne souhaite pas, tant c'est à chaque fois un bonheur renouvelé de retrouver sa prose méandreuse, mais il flotte sur tout le livre un parfum funèbre, comme celui qui s'échappe de l'encensoir lorsqu'une dernière fois on salut avec cet incongru ustensile un défunt, un parfum si entêtant et débilitant qu'il est difficile d'en lire de nombreuses pages d'affilé. D'autant que cette fois la magie de la réminiscence que sait si bien installer habituellement l'auteur prend que difficilement. Et cela pour plusieurs raison, en premier lieu parce que tous ces personnages sont de tristes sires poussez que par de bas intérêts ou l'argent et le sexe semblent indissociables et qu'il en espèce assez difficile d'entrer en empathie avec ces gens là... Le seul personnage positif est un vieux chroniqueur érudit mais trop caricatural dans la générosité pour que l'on y croit vraiment.
Il reste que Rinaldi est un maitre dans la caricature mais à condition qu'elle soit féroce qu'on se souvienne de son portrait dans La dernière fête de l'empire d'un sénateur de province: <<...vêtu, l'été, d'un pantalon de toile et d'une chemise Lacoste où le liseré de la Légion d'honneur était cousu à mi-distance entre le second bouton et le fameux crocodile. >>.
Comme toujours dans les roman d'Angelo Rinaldi, l'homosexualité y est au centre même si elle paraît n'être que périphérique. Elle est toujours marqué par la mélancolie et souvent par l'impossibilité: << … dans le cadre de l'amour au masculin il y a, en outre, le poids de la société qui donne à une chose, déjà pesante en soi, encore plus d'accablement. Il y a encore plus de difficulté à vivre cet amour singulier du fait de la société mais pas du fait de l'amour.>>. Dans cette déclaration Rinaldi est également fidèle à Proust quiparlait d'une "race sur qui pèse une malédiction et qui doit vivre dans le mensonge ".
La mort rode dans « Les souvenirs sont au comptoir », comme toujours dans les chapitres de Rinaldi; il en parle si bien: << J'ai le souvenir du sourire d'une jeune fille de seize ans rencontrée dans un train de l'adolescence, une fille aux cheveux roux dont le visage se découpait sur une vitre derrière laquelle il y avait un champ de neige. Cette fille disparaîtra avec moi. Le pathétique de la fin d'un homme c'est la disparition avec lui de tant de choses qui le valaient beaucoup plus.
Et puis et puis il y a les cinquante dernières pages, bien sûr j'avais senti dès la fin du premier tiers du livre vers quelle « révélation » voulait nous amener Rinaldi et c'est d'autant plus fort que bien que m'attendant au dénouement j'ai été ému aux larmes par ces dernières pages, à l'écriture beaucoup plus sèche, débarrassée de ses afféteries lors desquelles les deux amis abandonnent les masques du rôle qu'ils s'obligent à tenir à la ville. Angelo Rinaldi, grand critique, donne une mauvaises leçon aux futurs romanciers, celle qu'un dernier chapitre réussi peut sauver un livre raté.
Nota: En complément de ce billet, on peut écouter avec profit, en cliquant sur la flèche ci-dessous, cette émission diffusée sur France-inter de la série Chantons sous la nuit d'Arthur Dreyfus
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