Text
Fanny Sabre, vigneronne en Bourgogne : « J'ai appris à produire des vins vivants, qui ressemblent à leur millésime et à leur terroir »
Le Nouvel ObsLa quarantaine pétillante, Fanny Sabre est une vigneronne en vue. Installée à Pommard, territoire de l'une des prestigieuses appellations de Bourgogne, cette chic fille, au regard d'azur, nous entraîne dans ses chemins de traverse. Des parenthèses essentielles à son équilibre dans l'exercice d'un métier passionnant, mais d'une rare exigence.
Avec 70 000 bouteilles produites chaque année sur 7 hectares et demi, les vins de Fanny Sabre n'inondent pas le marché. Vendus à 70 % en France, ils se retrouvent chez quelques cavistes et sur de belles tables triées sur le volet. A tout juste 40 ans, cette grande blonde discrète fait partie d'une nouvelle génération de vignerons qui défend une autre image de la Bourgogne, loin des flacons qui s'arrachent à prix d'or dans le monde entier. Son coeur balance plutôt pour beaune, monthelie ou encore sainte-marie-la-blanche, des étiquettes plus modestes et abordables. Preuve de cet engagement, elle acquiert en 2016 le Clos des Renardes, près de Beaune, une parcelle à mi-coteau de 2,2 hectares qu'elle considère comme sa « vigne de coeur ».
En cette matinée ensoleillée de juin, le lieu, protégé par des murets en pierres sèches, surplombé par une forêt de pins, offre une nature presque sauvage, bruissante du chant des oiseaux. « J'ai découvert ce lieu magnifique alors que j'étais enceinte de mon troisième enfant,confie-t-elle. Je ne sais pas si cela était dû au bouleversement hormonal qui exacerbait tous mes sens, mais j'ai été totalement happée par ses odeurs : en haut, près de la forêt, des senteurs d'herbes de Provence ; vers le bas, un massif d'iris sauvages embaumait. Un truc de dingue ! J'ai eu un véritable coup de foudre pour cette vigne. »
Pour acquérir l'arpent, Fanny Sabre est contrainte de céder une parcelle de beaune premier cru. « C'est tout moi,s'esclaffe-t-elle. Vendre un premier cru pour acheter un simple beaune village ! » Sans faire fi des appellations, elle ne les considère pas comme essentielles. « Ce clos a un truc en plus,poursuit-elle. Son potentiel est tel qu'en y réalisant du beau travail, il peut devenir une Rolls Royce ! Comparativement à un pommard plus prestigieux, les vins qu'on y élabore sont incroyables, tout en gardant des rapports qualité-prix exceptionnels. »
Aujourd'hui réputée pour la finesse et la profondeur de ses cuvées, saluée pour la qualité du travail accompli aussi bien à la vigne qu'à la cave, Fanny Sabre n'était pas forcément destinée à embrasser le métier de vigneronne. Aînée d'une famille de trois enfants, elle n'a que 16 ans, en 2000, lorsque son père décède brutalement. Il avait créé son domaine viticole d'à peine 4 hectares, dans les années 1980. « Le film de Cédric Klapisch "Ce qui nous lie" raconte très bien les difficultés rencontrées lors de la reprise d'un domaine familial, explique-t-elle. Nous avons dû nous battre pour le conserver dans la famille. » A cette époque, sa mère fait des choix d'avant-garde : passage en bio et délégation du travail dans les vignes et à la cave à des personnes extérieures.
Les premières années, elle sollicite Philippe Pacalet, talentueux vinificateur, pour élaborer les vins. Alors étudiante en droit, Fanny Sabre participe aux vendanges et s'initie au travail de vinification (fermentation en grappe entière, levures indigènes, apport résiduel de soufre...) à ses côtés, avant de prendre les rênes du domaine en 2006, à tout juste 22 ans. « J'ai appris à produire des vins vivants, qui ressemblent à leur millésime et à leur terroir, même si mes débuts ont été assez rock'n'roll, avoue-t-elle. Mais pour rien au monde je ne changerais de métier. »
Pierres protectrices
« Je suis une amoureuse des cabottes et des meurgers, ces ouvrages en pierres sèches du patrimoine viticole de la Bourgogne. Les premiers moines défricheurs au XI siècle construisaient déjà des meurgers avec les pierres évacuées de la parcelle qu'ils souhaitaient cultiver. Issu du patois bourguignon, "meurger" en gaulois signifie "limite". Il s'agit d'amas de pierres situés aux abords des vignes pour délimiter la parcelle. Ils servent également à retenir la terre et à canaliser le ruissellement des eaux de pluie. Au Clos des Renardes, j'ai eu la chance de pouvoir en faire restaurer un avec l'aide de l'Unesco qui a pris en charge la moitié du financement, du fait de l'inscription des climats [du grec "klima", inclinaison, NDLR]du vignoble bourguignon au patrimoine mondial de l'humanité. Je suis tellement admiratrice de leur beauté que j'en ai aussi fait réaliser à mon domicile. Une partie de mon jardin est ceinte de petits murets en pierres sèches. A un de ses angles, j'ai fait reconstituer une cabotte, ces petites cabanes également en pierres sèches que l'on trouve dans les vignes, et qui servaient autrefois à s'abriter ou à ranger du matériel...
C'est une petite folie car l'opération se révèle très onéreuse, mais c'est une façon de rendre hommage à cette région et à son patrimoine dont je suis extrêmement fière. Ces réalisations sont faites par un artisan local qui travaille selon des méthodes ancestrales. J'aime me retrouver dans cette cabotte. A l'intérieur, je me coupe du monde extérieur, comme dans un refuge ou une petite chapelle. J'en apprécie la fraîcheur et la quiétude. Cette cabotte et ces murets représentent une forme de protection. Lorsque je m'y retrouve avec mes enfants, je leur explique que près de 2 tonnes de cailloux se situent au-dessus de nos têtes et que le moindre d'entre eux, même le plus petit, est aussi important que tous les autres. C'est un miracle d'équilibre. Il se trouve que j'affectionne tout particulièrement cette dimension, également dans les vins que je produis. »
Graines de potager
« A l'instar de la vigne, mon potager représente une autre passion. D'une manière générale, j'adore tout ce qui se plante et j'ai plutôt la main verte. Mais attention, ce type de culture est infiniment différent de celui de la vigne, qui est une liane et demeure très rustique. Dans mes potagers - un deuxième est en préparation et va me permettre de doubler ma surface -, je ne plante que des graines. On y trouve, selon les saisons, des petits pois, des pommes de terre, des poivrons, des courgettes, des aubergines, des salades, des radis, des melons, beaucoup d'herbes aromatiques.
Nous nous nourrissons des produits de la terre et je souhaitais que mes trois enfants puissent entrer directement en contact avec la production des aliments. Qu'ils soient capables d'aller récolter des légumes et se préparer eux-mêmes un plat. La partie est en passe d'être gagnée. Anatole, le plus jeune, âgé de 7 ans, est allé ce week-end ramasser des pommes de terre qu'il a fait sauter à la poêle et qu'il a agrémentées de persil, également récolté dans le jardin. J'en suis ravie. Pierre, l'aîné, 12 ans, souhaite disposer d'un petit carré pour ses propres plantations dans le deuxième potager. Il n'est pas très friand de verdure et a décidé d'y planter des pommes de terre, de l'ail et des oignons ! Grâce à mes potagers, je peux improviser de nombreuses recettes en fonction des saisons. Pour cela, j'ai d'excellents produits. Mon huile d'olive vient, par exemple, directement d'Italie. Je me procure également de nombreuses épices, notamment en provenance d'Asie, afin d'élaborer une cuisine qui mélange les inspirations. Lorsque je suis à Paris, j'adore me rendre au Servan, rue Saint-Maur, dans le 11, un bistrot français avec des touches de cuisine asiatique tenu par deux soeurs franco-philippines, l'une en cuisine et l'autre sommelière. Je m'y régale à chaque fois ! »
Polars et piscine
« La lecture est une évasion. Elle me sert à déconnecter du réel, à me vider la tête de mon quotidien et à m'offrir une parenthèse qui m'appartient totalement. J'aime particulièrement les romans policiers aux intrigues palpitantes et très éloignées de ma vie réelle. En ce moment, je me replonge dans de vieux Jean-Christophe Grangé. C'est ma mère qui m'a transmis ce goût de la lecture et qui m'approvisionne en bouquins. Elle est assez éclectique et apprécie autant la littérature classique que le roman "Game of Thrones". Je lui fais donc totalement confiance pour le choix de mes livres.
Pour lire, je m'installe au bord de la piscine, les pieds dans l'eau. Cela maltraite quelque peu les livres, ce que ma mère déplore. Mais je n'en ai cure. Au contraire, on voit qu'ils ont été transportés partout, qu'ils ont traîné dans tous les coins... qu'on a vécu un peu ensemble ! »
Des Seychelles à Rome
« En raison du dérèglement climatique qui se fait sentir un peu plus chaque année, les vendanges sont toujours plus précoces. Les mois de juillet et août requièrent donc toute mon attention pour suivre l'évolution de la maturité des raisins, et sont moins propices aux vacances. C'est pourquoi, depuis 2022, nous effectuons un voyage au bout du monde avec mes enfants lors des vacances de février ou de printemps, périodes pendant lesquelles la vigne est moins exigeante. Bien que nous habitions dans une magnifique région avec de superbes paysages, je souhaite leur montrer qu'il existe d'autres endroits dans le monde, différents, mais tout aussi beaux. Nous sommes ainsi partis aux Seychelles et à l'île Maurice ces deux dernières années. Ces séjours sont des temps de découverte et de détente. Durant les vacances de la Toussaint, c'est à la découverte d'une capitale européenne que nous nous attelons avec mes enfants et ma mère. Nous nous sommes déjà rendus à Londres et à Lisbonne. Cette année, ce sera Rome. »
Robes et sacs à main
« Au début de ma carrière de vigneronne, j'aimais bien affirmer que je faisais du pommard en talons aiguilles. Je me sentais tellement éloignée de l'image du vigneron bourguignon de l'époque, majoritairement masculin et âgé, que je souhaitais afficher ma différence. Etre une jeune femme, avec un côté très "girly". Quinze plus tard, j'ai compris qu'on se sentait plus à l'aise en pantalon, en veste polaire et en baskets pour exercer ce métier. Je continue toutefois à acheter des vêtements et des accessoires.
J'ai, par exemple, craqué pour cette robe blanche à l'occasion de la fête d'anniversaire que j'ai organisée pour mes 40 ans. J'aime également collectionner les sacs à main vintage. J'en possède de différentes grandes marques comme Hermès, Stella McCartney, Vuitton, Chanel... Ils ont, pour la plupart, appartenu à ma grand-mère et à ma mère. Je les porte encore régulièrement. Je possède également un ancien sac de la marque Moschino en écailles de serpent dont je suis complètement dingue. »
0 notes