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Une vie passée à caresser une vitre
Tu postes, tu likes, t’hésites, tu swipes,
tu cliques, tu scrolles, tu croules sous les notifs
et quand vient l’avalanche,
tu te bouches le nez et tu crawles
Tu surfes sur le vide,
l’iris éteint, rétine absente
Tout ce que tu touches n’a pas de poils, n’a pas de peau.
T’as 50 fenêtres ouvertes mais ton cœur se referme.
Une vie passée à caresser une vitre
gavé d’images qui ne te prendront jamais dans leurs bras,
de bombes et de bogosses trop chous
qui ne te diront jamais « oui » sous leurs draps.
T’as tous les sons du monde dans ton casque
mais t’entends pas ta fille quand elle te dit « papa ».
Tu dis que tu vibres :
mais c’est juste ton portable dans ta main.
Tu dis que tu vois —
mais c’est la caméra qui fait la mise au point pour toi.
Tu dis que tu sais —
mais tout ce que tu sais, c’est ton pote wiki qui le sait
pour toi.
Au mieux, tu suis : les tutos, les tubeurs,
les leaders, les recos.
T’es tellement réactif, tellement, qu’en fait t’es réac.
Ta politique à toi, c’est trois likes sur une photo…
de qui ? de quoi ?
Tu te crois tellement hype et fine quand tu dégaines
ton phone.
Tu te crois tellement fun alors que t’es juste ce fan
qui retwitte et followe les flux
en boucle dans ton couple
Puisque t’es en couple… avec toi.
Au fond, tu vis dans dix centimètres par cinq
T’habites dans ton écran et tu cherches la bonne
appli pour te faire la vaisselle.
T’ouvres le robinet et, quand tu bois, l’eau a un goût
de pixel.
Tu vas partout, mais tu bouges pas.
Ah ! Excuse-moi, j’avais pas compris, c’est vrai :
Tu voyages ! Tu voyages avec tes doigts…
Alain Damassio - Scarlett et Novak
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Le vin de la narration
Il raconta, parce que dans ses veines coulait le vin de la narration, et le ciel avait voulu que son expérience eût été de se raconter d’abord à lui-même les choses du monde afin de pouvoir les comprendre et ensuite les conter aux autres, parées de la musique et de la lumière littéraire, car il pressentait que si la vie n’était pas un songe, elle était tout du moins une pantomime où la cruelle absurdité du récit coulait toujours en privé, et qu’il n’existait entre ciel et terre une meilleure ni plus efficace vengeance que de modeler la beauté et l’esprit à coups de mots pour trouver du sens dans la folie des choses.
Carlos Ruiz Zafón - La ville de vapeur
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Un paquebot dans une baignoire
Je me verrais bien flotter au-dessus du qu’en-dira-t-on, ne serait-ce que pour l’embrasser un peu plus longtemps. Miss Acacia au contraire refuse toujours catégoriquement l’idée que qui que ce soit connaisse notre secret.
Cette situation nous convenait bien au début, on se sentait un peu pirates, et la sensation magique d’échapper au monde nous permettait de tenir.
Mais lorsque la grande sensation amoureuse se confirme au-delà du premier éclair, elle débarque comme un paquebot dans une baignoire. Alors, on a besoin de place, de plus en plus de place… On a beau se délecter de la lune, on veut du soleil aussi.
Mathias Malzieu - La mécanique du coeur
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Erreurs fatales
Après avoir raccroché il relut ce qu’il avait écrit et remarqua la présence importune de plusieurs nuances auxquelles il n’avait pas prêté suffisamment d’attention, moins subtiles les unes que les autres, comme par exemple l’insupportable phrase bouche-trou, nous sommes amis et nous le resterons, c’est la pire pour quelqu’un qui voudrait mettre un point final à une relation amoureuse, nous croyons avoir fermé la porte et au contraire nous nous y retrouvons coincés, et aussi, sans parler du baiser avec lequel il a eu la faiblesse de prendre congé, cette erreur crasse de reconnaître qu’ils avaient besoin d’une longue conversation, il avait plus que l’obligation de savoir par expérience personnelle et fréquentation continuelle de l’Histoire de la vie privée au cours des siècles que les longues conversations sont terriblement dangereuses dans ce genre de situation, que de fois ne commencent-elles pas par une envie de tuer l’autre et ne finissent-elles pas dans les bras de ce même autre.
José Saramago - L'autre comme moi
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Adieu
Si ça fait si mal de se séparer, c'est parce que nos âmes sont liées. Peut-être qu'elles l'ont toujours été et le seront toujours. Peut-être que nous avons vécu mille vies avant celle-ci et que dans chacune d'elles nous nous sommes trouvés. Et peut-être que chaque fois nous avons été séparés pour les mêmes raisons. Ça veut dire que cet adieu est à la fois un adieu pour les dix mille ans passés et un prélude à ce qui va venir.
Quand je te regarde, je vois ta beauté et ta grâce et je sais qu'elles se sont renforcées à chaque existence que tu as vécue. Et je sais que j'ai passé chacune de mes vies avant celle-ci à te chercher. Non pas quelqu'un comme toi, mais toi, car ton âme et la mienne doivent toujours s'unir. Et puis, pour une raison qu'aucun de nous ne comprend, nous avons toujours été forcés de nous dire adieu.
J'aimerais te dire que tout va s'arranger pour nous, et je te promets de faire tout mon possible pour m'en assurer. Mais si nous ne devons plus jamais nous rencontrer et si c'est vraiment un adieu je sais que nous nous reverrons dans une autre vie. Nous nous retrouverons de nouveau ; peut-être que les étoiles auront changé et que nous ne nous aimerons pas seulement cette fois-là mais pour toutes les autres fois que nous avons connues auparavant.
Nicholas Sparks - Les Pages de notre amour
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Bébé
S’il y a de l’herbe, je m’allonge dessus et pose mon bébé contre ma poitrine nue – si c’est l’hiver, je l’enferme à l’intérieur de ma veste, ou lui pose une poignée de neige sur la langue, si c’est la nuit, nous contemplons les étoiles pendant une minute. J’ai découvert qu’en matière de sensations un bébé – qui ne possède ni langage, ni informations, ne connaît rien des lois de la vie – est le plus fiable des juges. Il ne dispose pour appréhender le monde que de ses cinq sens. Serrez-le contre vous, chantez-lui une chanson, montrez-lui le ciel nocturne, une feuille d’arbre qui frissonne, ou un insecte. C’est de cette façon – de cette unique façon – qu’il apprendra le monde : lieu de sécurité et d’amour, ou de cruauté.
Ce que le bébé comprendra, du moins, c’est qu’il n’est pas seul. Et mon expérience m’a enseigné qu’en agissant ainsi – avec lenteur, attention, en suivant les simples instincts de l’amour – vous obtenez un résultat positif. C’est généralement vrai dans le cas des bébés, peut-être dans celui de la majorité des gens. Des chiens aussi. Des hamsters, même. Et des personnes si abîmées par la vie qu’on pourrait croire qu’il n’y a plus d’espoir pour elles sur cette planète, et pourtant si.
Joyce Maynard - Long week-end
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Passion
On ne parle que de passion, folle, sauvage. En tout cas dans les chansons. Ta mère était comme ça. Elle était amoureuse de l’amour. Elle ne pouvait rien faire à moitié. Elle ressentait tout si profondément qu’elle n’arrivait pas à suivre, le monde la dépassait. Chaque histoire qu’on lui racontait – un enfant atteint d’un cancer, un vieil homme qui venait de perdre sa femme, ou son chien, elle la prenait pour elle. Comme s’il lui manquait la couche externe de l’épiderme qui permet aux gens d’agir sans saigner au moindre choc. Oui, le monde la dépassait.
Joyce Maynard - Long week-end
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Ce moment là
Dans les films, il y a toujours une scène typique où l’on voit les gens en train de tomber amoureux. Butch Cassidy et le Kid serait un bon exemple, mais je pourrais vous en citer plein d’autres. Pas de détails superflus, il suffit d’une musique de fond, une de ces chansons romantiques qui vous trottent dans la tête, pendant que les deux amoureux s’amusent à des tas de choses : ils font du vélo ou ils courent à travers champ en se tenant par la main, ils mangent des glaces, ou ils tournent dans un manège. Ils sont dans un restaurant, et il lui donne la becquée, en général des spaghettis. Ils rament dans une barque, ils chavirent, mais quand leur tête émerge de l’eau, ils rient. Personne ne se noie. Tout est parfait, même quand ça semble foirer complètement.
Joyce Maynard - Long week-end
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Primum vivere
– Tu es étrange, Maurice. Tu les as vus les plus cyniques, les plus désenchantés et, en même temps, tu n'es pas malheureux, je veux dire, pas malheureux intérieurement ! Est-ce que je me trompe ?
– Non.
– Mais enfin qu'est-ce qui te console alors ?
– La certitude de ma liberté intérieure, dit-il après avoir réfléchi, ce bien précieux inaltérable, et qu'il ne dépend que de moi de perdre ou de conserver. Que les passions poussées à leur paroxysme comme elles le sont maintenant finissent par s'éteindre. Que ce qui a eu un commencement aura une fin. En un mot, que les catastrophes passent et qu'il faut tâcher de ne pas passer avant elles, voilà tout. Donc d'abord vivre : Primum vivere. Au jour le jour. Durer, attendre, espérer.
Irène Némirovsky - Suite française
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Quelle est cette guerre que nous menons, dans l'évidence de notre défaite ?
Matin après matin, harassés déjà de toutes ces batailles qui viennent, nous reconduisons l'effroi du quotidien, ce couloir sans fin qui, aux heures dernières, vaudra destin d'avoir été si longuement arpenté. Oui, mon ange, voici le quotidien : maussade, vide et submergé de peine. Les allées de l'enfer n'y sont point étrangères ; on y verse un jour d'être resté là trop longtemps. D'un couloir aux allées : alors la chute se fait, sans heurt ni surprise. Chaque jour, nous renouons avec la tristesse du couloir et, pas après pas, exécutons le chemin de notre morne damnation.
Muriel Barbery - L'élégance du hérisson
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Au service du néant
Je suis toujours fascinée par l'abnégation avec laquelle nous autres humains sommes capables de consacrer une grande énergie à la quête du rien et au brassage de pensées inutiles et absurdes. J'avais discuté avec un jeune thésard en patristique grecque et m'étais demandé comment tant de jeunesse pouvait se ruiner au service du néant.
Quand on réfléchit bien au fait que ce qui préoccupe avant tout le primate, c'est le sexe, le territoire et la hiérarchie, la réflexion sur le sens de la prière chez Augustin d'Hippone semble relativement futile ! Certes, on arguera sans doute du fait que l'homme aspire à un sens qui va au-delà des pulsions. Mais je rétorque que c'est à la fois très vrai (sinon, que faire de la littérature ?) et très faux : le sens, c'est encore de la pulsion, c'est même la pulsion portée à son plus haut degré d'accomplissement, en ce qu'elle utilise le moyen le plus performant, la compréhension, pour parvenir à ses fins. Car cette quête de sens et de beauté n'est pas le signe d'une nature altière de l'homme qui, échappant à son animalité, trouverait dans les lumières de l'esprit la justification de son être : c'est une arme aiguisée au service d'une fin matérielle et triviale. Et lorsque l'arme se prend elle-même pour objet, c'est une simple conséquence de ce câblage neuronal spécifique qui nous distingue des autres animaux et, en nous permettant de survivre par ce moyen performant, l'intelligence, nous offre aussi la possibilité de la complexité sans fondement, de la pensée sans utilité, de la beauté sans fonction.
Muriel Barbery - L'élégance du hérisson
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Savez-vous ce que c'est, une pluie d'été ?
D'abord la beauté pure crevant le ciel d'été, cette crainte respectueuse qui s'empare du cœur, se sentir si dérisoire au centre même du sublime, si fragile et si gonflé de la majesté des choses, sidéré, happé, ravi par la munificence du monde.
Muriel Barbery - L'élégance du hérisson
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A quoi sert l'Art ?
A nous donner la brève mais fulgurante illusion du camélia, en ouvrant dans le temps une brèche émotionnelle qui semble irréductible à la logique animale. Comment naît l'Art ? Il s'accouche de la capacité qu'a l'esprit à sculpter le domaine sensoriel. Que fait l'Art pour nous ? Il met en forme et rend visibles nos émotions et, ce faisant, leur appose ce cachet d'éternité que portent toutes les œuvres qui, au travers d'une forme particulière, savent incarner l'universalité des affects humains.
Muriel Barbery - L'élégance du hérisson
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Sous le globe chutent les flocons.
Devant les yeux de ma mémoire, sur le bureau de Mademoiselle, mon institutrice jusqu'à la classe des grands de Monsieur Servant, se matérialise la petite boule de verre. Lorsque nous avions été méritants, nous avions le droit de la retourner et de la tenir au creux de la main jusqu'à la chute du dernier flocon au pied de la tour Eiffel chromée. Je n'avais pas sept ans que je savais déjà que la lente mélopée des petites particules ouatées préfigure ce que ressent le cœur pendant une grande joie. La durée se ralentit et se dilate, le ballet s'éternise dans l'absence de heurts et lorsque le dernier flocon se pose, nous savons que nous avons vécu ce hors-temps qui est la marque des grandes illuminations. Enfant, souvent, je me demandais s'il me serait donné de vivre de pareils instants et de me tenir au cœur du lent et majestueux ballet des flocons, enfin arrachée à la morne frénésie du temps.
Muriel Barbery - L'élégance du hérisson
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Insu
Savez-vous ce que c'est que l'insu ? Les psychanalystes en font le fruit des manœuvres insidieuses d'un inconscient caché. Quelle vaine théorie, en vérité. L'insu est la marque la plus éclatante de la force de notre volonté consciente qui, lorsque notre émotion s'y oppose, use de toutes les ruses pour parvenir à ses fins.
Muriel Barbery - L'élégance du hérisson
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Le rituel du thé
Le rituel du thé, cette reconduction précise des mêmes gestes et de la même dégustation, cette accession à des sensations simples, authentiques et raffinées, cette licence donnée à chacun, à peu de frais, de devenir un aristocrate du goût parce que le thé est la boisson des riches comme elle est celle des pauvres, le rituel du thé, donc, a cette vertu extraordinaire d'introduire dans l'absurdité de nos vies une brèche d'harmonie sereine. Oui, l'univers conspire à la vacuité, les âmes perdues pleurent la beauté, l'insignifiance nous encercle. Alors, buvons une tasse de thé. Le silence se fait, on entend le vent qui souffle au-dehors, les feuilles d'automne bruissent et s'envolent, le chat dort dans une chaude lumière. Et, dans chaque gorgée, se sublime le temps.
Muriel Barbery - L'élégance du hérisson
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Buvons une tasse de thé
Ces instants où se révèle à nous la trame de notre existence, par la force d'un rituel que nous reconduirons avec plus de plaisir encore de l'avoir enfreint, sont des parenthèses magiques qui mettent le cœur au bord de l'âme, parce que, fugitivement mais intensément, un peu d'éternité est soudain venu féconder le temps. Au-dehors, le monde rugit ou s'endort, les guerres s'embrasent, les hommes vivent et meurent, des nations périssent, d'autres surgissent qui seront bientôt englouties et, dans tout ce bruit et toute cette fureur, dans ces éruptions et ces ressacs, tandis que le monde va, s'enflamme, se déchire et renaît, s'agite la vie humaine.
Alors, buvons une tasse de thé.
Muriel Barbery - L'élégance du hérisson
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