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carnet-a1 · 4 years ago
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LIBERTE, ES-TU LA ?
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Eminent professeur à Harvard et Princeton, Cornel West a dit de ces deux hommes noirs qu’ils étaient les plus libres du XXème siècle : Mohammed Ali et Malcolm X. La joie contemplative d’une telle affirmation rallie a priori tout le monde, « libre » étant le mot le plus enchanteur de nos langages, la clé de tous les possibles. Et dans la bouche d’un homme noir comme West, l’enchantement pousse directement sur le terreau de la ségrégation raciale ; cet enchantement a sa caution historique.
Le documentaire Blood Brothers explore le dispositif d’une amitié contrariée entre deux géants de la lutte pour l’émancipation à l’aube des années 60. Cette époque témoigne peut-être le mieux de la bouffée identitaire qui secoue l’Occident et une partie du monde à l’ère moderne. Sex, drugs and rock n’ roll, droits civiques et décolonisation sont les cochons qui soufflent sur le système en briques des Pères Fondateurs. Mohammed « Grande Gueule » Ali entend secouer le monde comme il l’annonce après sa victoire sur le ring contre Sonny Liston et Malcolm X, lui-même doué d’une parole de feu, l’y encourage nettement.
Blood Brothers illumine le point de contact entre les deux hommes, c’est-à-dire l’admiration respective à la mesure de l’engagement politique. La sortie des griffes de l’homme blanc et de son Amérique infernale passe par l’engagement politique et l’engagement politique respire par l’amitié. L’amitié rend sans doute supportable le poids d’une grande Cause. Toute l’émotion du documentaire est là : dans la mise en valeur du sentiment d’abord partagé puis bafoué entre le boxeur de la rhétorique et le rhétoricien du ring. Malcolm et Mohammed, héros tragiques de cette liberté perverse que nous fantasmons à tort et à travers et devant laquelle les héros eux-mêmes tombent K.O.
Précocement, Mohammed Ali a déclaré qu’il ferait exactement ce qui lui chante. Le système oppressif des Blancs n’aurait jamais raison de sa personne. Il n’irait pas combattre les Vietnamiens, planifierait la défaite de ses adversaires sur le ring avec une arrogance inégalée, claquerait la porte de la Chrétienté, changerait son nom d’esclave, clamerait à la face du monde qu’il est beau et tant pis pour ceux qui traitent les Noirs de singes ! Ali ferait exactement ce qui chante à Ali et, se faisant, deviendrait le parangon des rebelles, le héros des opprimés, l’homme libre par excellence. Sa liberté giclerait sur les chaînes du conformisme comme de l’acide. Oncle Sam en mangerait son chapeau ! Le poids de cette grande Cause serait partagé avec son ami et frère idéologue Malcolm X. Peut-on rêver meilleur tandem à une époque si musclée ?
Mais si le rêve d’une émancipation personnelle est déjà un défi à l’entendement, alors celui d’une émancipation collective est carrément un monstre. Etre libre en communauté, libre à plusieurs relève malheureusement de la plus parfaite aberration. La communauté offre une protection, un gage d’intimidation, mais non pas la liberté. Induire la liberté dans la communauté, c’est détruire la communauté. La tragédie du tandem Mohammed Ali/Malcolm X se situe justement à la croisée des chemins, à l’instant même où l’esprit fort et individuel rencontre l’esprit grégaire, l’esprit de corps.
Malcolm X a funestement exercé sa liberté au sein d’une société d’activistes dont il est devenu le porte-parole avant d’en être éjecté manu militari. Sa parole de feu, développée par ses propres soins et gage de la puissance de son individualité, l’a fait courir droit à sa perte dès lors que la conformité au groupe ne s’y retrouvait plus. Tête brûlée parmi les têtes brûlées, rebelle des rebelles, Malcolm a heurté le plafond de verre incarné par son père spirituel Elijah Mohammed. Désavoué par « les siens », le boxeur de la rhétorique, chantre de la liberté s’est donc retrouvé à découvert, nu face aux désillusions et aux coups de feu des représailles. Conformément aux diktats du groupe, Mohammed Ali, de son propre aveu, a abandonné Malcolm à son sort. Le libre-arbitre de son ami était devenu irrecevable.
On ne transige pas avec l’esprit de corps, on ne transige pas avec le père fondateur de la communauté ! Le rhétoricien du ring, chantre de la liberté a brisé le plafond de verre des Blancs, mais heurté celui de « sa famille ». En monnayant sa liberté individuelle contre le soutien d’une communauté, Ali a perdu Ali. Repentant, il est allé quérir le pardon des filles de Malcolm des années plus tard.
Cette illustration de l’inexorable impossibilité d’agir et de penser en son nom propre au sein d’une communauté quelle que soit sa taille et son influence, ne vise pas à démonter l’intérêt des communautés. L’humain est taillé pour agglomérer ses efforts sur les efforts de ses congénères et prospérer à plusieurs. La solitude nous mord le cœur et avec le cœur l’appétit même de vivre. La communauté cultive cet appétit foncier, mais la table y est toujours dressée à heure fixe et malheur à celui qui mâche la bouche ouverte…
Cornel West fait référence à un rêve. Nous nous rêvons libres comme nous nous rêvons oiseau ou appaloosa des plaines. Nos icônes sont nécessairement libres en imagination ; pure question d’oxygène. L’esprit grégaire nous coupe le souffle. Alors comment accéder à la liberté pour de vrai ? Comment ne pas tomber comme nos deux géants des années 60 ? Est-ce seulement envisageable ? On regarde Monkey D. Luffy avec ses bras élastiques et on se dit : Oui ! Ça l’est ! Dans un animé japonais ! Mais comment y accéder pour de vrai, hors de nos écrans, hors de nos toilettes la main au paquet ? Soyons libres d’y réfléchir au prochain épisode.
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Ewan Lobé, Jr.
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carnet-a1 · 4 years ago
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KAA CONTACT : ANALYSE DE LA SERIE LE SERPENT - BONUS
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L’alter ego fictif de Charles Sobhraj transpire la maîtrise de soi et, par voie de conséquence, celle des autres. Tahar Rahim offre à cette version fantasmée du prédateur asiatique un indubitable magnétisme. Mon podcast sur YOUTUBE croque le mode opératoire de ce magnétisme et voici qu’il me revient à l’esprit la composante sexuelle de ce piège à longue portée. Sobhraj fait la connaissance de Marie-Andrée en Inde. Il la séduit immédiatement, mais dédaigne de lui faire l’amour pendant plusieurs semaines. La stupeur de l’amour-propre coïncide rapidement avec la frustration sexuelle chez la très belle Marie-Andrée ; cette stupeur et cette frustration sexuelle donnent lieu à une dépendance amoureuse en jachère. Le dédain de son corps par cet homme qui partage son lit de fortune attache Marie-Andrée au plus près de lui. Twisted diraient les Américains, mais crédible.
Laissé à l’appréciation du spectateur, Sobhraj passe pour un homme frigide, seulement fouetté par ses idées noires de revanche sociale, incapable d’éprouver la vivacité d’une émotion. Rien n’est plus éloigné de la vérité ! Ce grand manitou de la maîtrise de soi implante la dépendance affective à dessein dans le cœur de sa victime. Son évaluation du comportement de Marie-Andrée tombe juste ; il sait qu’elle lui restera soumise. Faire l’amour, enfin, au bout de plusieurs semaines, debout contre un mur, ponctue la traversée volontaire du désert sexuel par l’oasis  escompté. Sobhraj n’est pas tant incapable d’éprouver la vivacité d’une émotion ; c’est plutôt qu’il libère cette vivacité au moment opportun. D’ailleurs, avant d’être un cerveau implacable, le malfrat n’est qu’une boule de nerfs engendrée par sa mère et par le système colonial. Le serpent n’a pas le sang si froid. Une fois Marie-Andrée mordue, la tâche du serpent consistera à la cadrer à la mesure de ses ambitions criminelles. Dénaturer cette femme au visage de porcelaine, la téléguider à loisir, disloquer son sens moral aux quatre vents du continent asiatique… quelle sainte horreur ! Mais quelle putain d’expertise.  
Retrouve ICI la vidéo Youtube consacrée à la série !
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carnet-a1 · 4 years ago
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Diversité ? Pas comme ça.
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SPOILER ALERT 
Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout. La sentence énigmatique, prononcée par Alain Delon dans le film Il Gattopardo, prend tout son sens à notre époque pseudo-moderne. En vérité, nous ne sommes pas modernes. Le moderne lâche prise. Nous sommes des conservateurs en baskets et les plus conservateurs d’entres nous prétendent vouloir tout changer. La question de l’harmonie raciale en Occident, harmonie prétendument réalisable par la démonstration de la diversité épidermique de nos concitoyens, agite le cœur des bien-pensants, mais ne produit rien. Les bien-pensants sont plus conservateurs que les racistes car, en surcroît de leur obsession de la race, s’ajoute la volonté spécieuse de faire le bien.
Prenons à titre d’exemple la série Netflix Bridgeton popularisée par les fesses d’un nouveau Lenny Kravitz en dentelles, l’acteur René-Jean Page, et par l’éclatante diversité raciale de la distribution so british. Tout le monde conviendra qu’il est bon d’analyser nos sociétés par le biais de l’écran. La fiction nous reflète, nous et nos fantasmes, nous et nos paradoxes. Bridgeton s’inscrit dans le courant de la littérature sentimentale du XIXème siècle estampillée « littérature féminine » par les obsédés de la Catégorie. C’est l’histoire d’une jeune fille en fleur d’ascendance noble ayant deux rêves concomitants : faire un mariage d’amour et fonder une famille. A la faveur d’un bal, Daphné Bridgeton de son nom, s’entiche d’un homme supérieur (Lenny Dentelles Kravitz) qui lui enseigne d’abord à se masturber puis l’épouse en bonne et due forme avant de lui faire un enfant. Triomphe de la ménagère de moins de trente ans.
Sur le papier, à coup sûr, Bridgeton incarne la « bête noire » du féminisme trompetant d’aujourd’hui. Daphné, jolie comme un cœur, combine tous les stigmates de la société paternaliste occidentale : de la pureté de son teint de lys à son ignorance en matière de clitoris en passant par sa duplicité « toute féminine » à ferrer un homme dans son lit pour exploiter son sperme. Pourtant et en dépit des pronostics… la série cartonne auprès des femmes. D’aucuns diront que le succès remarquable de Bridgeton tient à la diversité raciale de sa distribution et à la plastique avantageuse de René-Jean Page, trop avantageuse pour dissuader les féministes elles-mêmes de baver à leur tour. En réalité, et n’en déplaisent aux bien-pensants, la diversité raciale n’est pas la diversité. Le combat pour la diversité est, de fait, fondé sur une erreur. La diversité raciale n’est pas la diversité… qui compte.
La race de quelqu’un lui échoit par nature et non par compétence. On naît Noir ou Blanc sans rien y pouvoir. Le pouvoir, le vrai, loge dans la compétence, pas dans la nature et la compétence se travaille, la compétence se cisèle. C’est une fabrication et la fabrication seule se rend digne d’intérêt. La nature arbitraire des êtres n’est pas digne d’intérêt. En somme, les acteurs noirs de Bridgeton ne sont pas dignes d’intérêt parce qu’ils sont Noirs mais parce qu’ils sont doués. Désigner leur couleur de peau pour en dire du bien ou en dire du mal est arriéré. Ce n’est pas moderne. Le moderne lâche prise.
La diversité raciale est fumeuse. Les acteurs noirs britanniques ne suivent pas un cursus différent des acteurs blancs britanniques. Ils se plongent avec le même délice dans Shakespeare et Pinter. Leur accent ne diffère pas, leur maintien ne diffère pas, leur intelligence du jeu dramatique ne diffère pas, leur compréhension de la nature humaine ne diffère pas. Fermez les yeux, écoutez Bridgeton. Impossible de dire qui est noir et qui ne l’est pas. Le linguiste le plus capé n’y verrait que du feu. Seule l’épiderme sépare Judi Dench de Adjoa Andoh, Nicholas Hoult de René-Jean Page. Hisser Adjoa Andoh sur le podium fleuri de la diversité la plus absurde, c’est hisser cette grande dame britannico-ghanéenne sur un podium en carton, pas sur un podium ; c’est lui nier ses compétences au bénéfice de sa nature. Les racistes ne connaissent pas d’autre logique de pensée : la nature fait tout, les compétences ne valent rien.
A quand l’obsession du talent ? A quand la course au talent ? A quand la fanfare du talent ? La société restera rétrograde tant que les aiguilles du temps resteront fichées sur l’enveloppe charnelle. Pas de modernité dans ces conditions. Pas de valses chez Daphné Bridgeton.
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carnet-a1 · 5 years ago
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RACISME : LE FIN MOT DE L’HISTOIRE
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La musique adoucit les mœurs, dit-on. En pleine capitale des Arts et du pays des Droits de l’Homme, un producteur de musique s’est vu écrasé à coups de poings son droit à la dignité. Comble de la surprise, les forces de l’Ordre ont orchestré cette dissonante symphonie. Un grondement d’insultes racistes leur a même servi de refrain. Le « sale nègre » en question, Michel Zecler de son nom, n’a pas eu besoin de commettre un délit ou une infraction ; la couleur de son épiderme a attiré comme de rigueur les coups de poings et le gaz lacrymogène. Le rouge bouleverse le taureau, le noir bouleverse l’uniforme.
Mais est-ce vraiment une question d’uniforme, est-ce vraiment une question d’abus de pouvoir des policiers ? Le pouvoir corrompt, dit-on, le pouvoir défigure l’être humain. Donnez-lui une matraque et il deviendra Heinrich Muller, donnez-lui un genou et il deviendra l’assassin de Gorge Flyod. Très bien. Cependant, indexer les dérives du pouvoir, indexer la folie furieuse des gardiens de la paix, masque le fond du problème. Filmer les policiers dans l’exercice de leurs bavures relève d’une nécessité indubitable car sans mauvais jeux de mots, nous ne pouvons pas vivre dans le noir, vivre au crochet de l’ignorance, mais filmer les policiers ne résout en aucun cas le fond du problème. L’uniforme n’est pas le fond du problème, c’est ce qu’il y a en-dessous qui mérite toute notre attention.
Qui examine le profil psychologique des gamins dont l’ambition est de porter le badge ? Qui examine les examinateurs ? Les prédateurs se cachent sous l’uniforme, peut-être alors faudrait-il les débusquer avant qu’ils ne se cachent…  Mais comment débusquer un raciste avant qu’il ne passe à l’acte ? Nous ne vivons pas dans un film de Steven Spielberg, nous ne sommes pas Tom Cruise dans Minority Report. La manipulation du cours de l’Histoire à des fins héroïques reste un doux rêve. Dans le cas du racisme anti-Noir, un bond de quatre siècles en arrière serait nécessaire pour tâter le problème à sa source : l’esclavage. Le complexe de supériorité du Blanc sur le Noir est né là, au temps des chaînes, au temps de l’esclavage.
La disparition des chaînes de l’esclave n’a pas effacé les complexes. Un racisme protéiforme s’est développé au fil des époques dont le racisme policier n’est qu’un exemple au milieu d’une nuée d’exemples. Ce qui choque aujourd’hui, c’est le spectaculaire. Un propriétaire d’appartements qui refuse de loger Denzel Washington ou Michel Zecler, n’est pas aussi spectaculaire qu’un policier qui matraque Denzel Washington ou Michel Zecler. Un rédacteur de magazine qui confond deux femmes noires parce que « toutes les femmes noires se ressemblent » n’est pas aussi spectaculaire qu’une escouade de policiers qui tue Atatiana Jefferson. Les instituteurs qui placent les enfants noirs au fond de la classe et les y laissent végéter jusqu’au ZEP, ne sont pas aussi spectaculaires qu’Heinrich Muller dans ses bottes de Gruppenfuhrer ou Derek Chauvin, l’assassin de George Floyd.
Il y a, cela va sans dire, une hiérarchie des actes racistes du haut de laquelle trône cette bonne vieille brutalité physique. C’est cette brutalité physique qui émeut le grand public parce qu’elle saute aux yeux. Mais le fond du problème demeure le même dans tous les cas de figure, du plus inconscient au plus évident : le complexe de supériorité. A la lueur de ce complexe, tout s’éclaire. Cette chose invisible se transmet de générations en générations, c’est un legs conscient ou inconscient, un legs censé garantir la bonne santé du dominant. Le racisme est une cure de vitamines pour les racistes ! Le rabougrissement de l’opprimé gonfle le poitrail de l’oppresseur. Il faut des victimes pour se savoir en bonne santé. Dans la pharmacopée du dominant, le racisme a toute sa place. Nécessité fait loi.
Comment donc détruire le fondement du racisme, ce complexe de supériorité si bien implanté ? Comment le détruire sans faire appel à Cruise et à  Spielberg ? A mon sens, détruire le racisme est impossible sans détruire l’être humain. Le racisme ne se déplante pas. L’humain est un animal contrasté, son instinct de préservation cohabite avec son appétit d’aventures et d’horizon lointain. L’un ne va pas sans l’autre. L’instinct de préservation implique la compétition et la guerre ; cet instinct, ce nombril ne se déplante pas. Le racisme sera toujours là, sous une forme ou sous une autre tant que le nombril restera le nombril. Et qu’on ne se laisse pas duper par le pseudo métissage des sociétés modernes. Ce métissage est un voile des illusions. Sous le même ciel, les communautés ne fusionnent pas, les communautés s’accommodent les unes des autres. Les enfants biculturels ont souvent maille à partir avec leur double origine. Il n’est pas rare qu’ils aient à choisir un camp.    
Faut-il s’en arracher les cheveux ? Non. Faut-il s’en réjouir ? Pas exactement. Le complexe de supériorité, s’il est une cure pour l’oppresseur, reste une occasion pour l’opprimé, l’occasion de révéler au monde la splendeur de sa force. Les outsiders partent de loin, ce qui leur confère l’amplitude du geste. Les dominants, par souci du maintien de leur position, rabotent leurs gestes. L’inventivité pousse dans les mains  de ceux qui n’ont rien d’autre. La paranoïa noue les mains de ceux qui ont tout le reste. Jeu de vilains ! A ce jeu, dont personne au monde n’est dispensé de jouer, les chances de vaincre ont peu de choses à voir avec la vraisemblance. S’il semble vrai que la partie est jouée d’avance, il n’en est rien. S’il semble vrai que le racisme est inexploitable, il n’en est rien non plus. On peut très bien exploiter cette laideur comme toutes les laideurs d’ailleurs, pour révéler au monde la splendeur de sa force. C’est ce qu’a fait Malcolm X. C’est ce qu’a fait Tiger Woods. Michel Zecler en fera peut-être autant. Etre splendide.
La force a besoin d’un aiguillon. Une force sans aiguillon est une force qui dort. Le complexe de supériorité des uns peut servir de champ d’exploitation aux autres. On se révèle dans la laideur du voisin, dans le défi que nous lance cette laideur. La couleur de l’épiderme ne compte pas dans la décision d’être splendide en pleine laideur ! Ne soyons pas la dupe de nos fantasmes : un monde merveilleux n’est pas un monde sans injustice. Un monde merveilleux est un monde où l’injustice sert de marchepied à la grandeur. L’injustice devient la condition d’un geste fort et non plus le nœud coulant où passer sa tête de Noir, sa tête de femme ou sa tête de pauvre. L’injustice s’exploite ! C’est notre cure à nous, humains si frêles et si incroyables.
Ewan Lobé, Jr.     
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carnet-a1 · 5 years ago
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LE FRUIT DEFENDABLE
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A un animateur de télévision soucieux de savoir si la vie dans une garçonnière de chanteurs célèbres n’était pas trop insupportable, si le Delicatessen de femmes ne manquait jamais de saveur, Harry Styles a répondu, au nom de son groupe, qu’il ne traitait pas les femmes comme des objets. Le jeune crooner des temps modernes, idole des jeunes filles en fleur et de Christopher Nolan, pratique la langue de bois avec autant de zèle qu’il croque sans équivoque dans la chair d’une pastèque et se noie sous un florilège de filles dénudées pour les besoins d’un clip estival.
Peut-être téléguidé par sa maison de disques, Harry use d’un conformisme de bon aloi, répétant à qui mieux-mieux que la gent féminine ne se malaxe pas, que la romance n’est pas un jeu, que ses trois parties favorites du corps féminin sont les yeux, le sourire et la personnalité et qu’il doit une fière chandelle à sa chère petite maman pour l’avoir élevé dans l’esprit virginal d’un authentique gentilhomme. Le discours, émietté d’interviews en interviews, sent bon la soutane et le politiquement futé.
Harry est pur, lui qui par définition doit inspirer des pensées impures à son public. Car tout est là ! Un ancien chanteur de boys bandent, promu étoile solitaire de la musique pop, taquine les bas-instincts, pas l’intellect. On ne s’épanche pas sur le théorème de Kant en écoutant du Harry Styles. La fonction d’un jeune chanteur à succès est de donner envie de faire l’amour. Elvis Presley ne se déhanchait pas dans un autre but. Robbie Williams n’enlevait pas son slip à tête de tigre dans un autre but. Le gaillard allait même plus loin dans le clip Rock DJ, en s’écorchant la peau jusqu’à l’os pour nourrir sa cohorte de top-models sur patins à roulettes. A l’évidence, la musique parle au corps. Un chanteur jeune, beau et sensuel sert de courroie de transmission.
Le Père Harry dévergonde ses ouailles, qu’il le veuille ou non ! Son bénitier prend la forme d’une pastèque et tout le monde s’entremange dans sa chapelle de sable. Les interviewers taquins savent que les jeunes filles en fleur qui traversent la garçonnière du Père Pastèque ou l’attendent à la sortie du Capital Jingle Bell Ball le considèrent comme un objet de convoitise. Le corps est un objet, une courroie, un temple ; il n’y a là aucun mal ni dans un sens ni dans l’autre, ni pour l’homme qui communie avec le corps de la femme, ni pour la femme qui communie avec celui de l’homme. Nier que l’on puisse être subjugué par le corps de quelqu’un et vouloir inhaler la sensualité qui en émane, c’est nier l’intérêt d’être en vie. Un chanteur langoureux nous rappelle que nous sommes en vie. Eva Herzigova, que nous regardions dans les yeux sur les colossales affiches publicitaires des années 90, nous rappelle que nous sommes en vie. L’intellect est bel et bon mais son business, c’est l’illusion. L’illusion de l’importance, l’illusion de l’identité, l’illusion du contrôle. Le problème n’est pas de considérer le corps humain comme un objet et les bas-instincts comme un crime, le problème c’est le calibrage.  
Répondre à Ellen De Generes que la personnalité tient le haut du panier parmi les attributs du corps féminin serait comique si ce n’était pas si lâche. De peur d’offenser les arbitres de la vertu, le Père Pastèque refuse de mettre sa réponse au calibre de la question qui lui est posée. Il répond à côté. Cette maladresse volontaire couvre l’éventail des comportements inappropriés, du chanteur qui se veut respectueux au parlementaire cravaté qui caquette à l’attention de sa consœur en pleine réunion de l’Assemblée Nationale. Ni le lieu ni le moment ! Les jeux de rôles animaliers ou sadomasochistes sont à mettre au calibre de la chambre à coucher, pas d’un hémicycle. Les parlementaires graveleux réagissent à côté. Quand l’heure est à l’intellect, ils valorisent les bas-instincts, quand l’heure est aux bas-instincts, ils valorisent l’intellect pour apparaître vertueux.
Qu’on se le dise : une femme chaleureuse, sensuelle, sensible aux appétits de son corps et désireuse de le mettre au calibre du corps de l’autre ne s’attend pas à ce qu’on lui parle du théorème de Kant. Jouer la vertu est un manque de discernement aussi stupide que lui demander de se déshabiller à l’Assemblée Nationale. Serait-ce le propre de l’homme de ne pas savoir reconnaître le moment opportun, de ne pas savoir déchiffrer les augures ? Oui. La société paternaliste n’enseigne pas à ses garçons l’art de prendre du recul ; il faut à n’importe quel prix prendre position, cultiver une image, projeter une idée de soi. Un garçon n’est pas élevé à tourner son regard hors de lui-même. Sa virilité n’est que de la coquetterie, sa vertu n’est que de la coquetterie. Il ignore ce qui se passe vraiment en face de lui. Il vit dans sa pose. L’homme est plus coquet que la femme. Le 21ème siècle doit être le siècle de l’œil ouvert ! L’œil ouvert sur nos hypocrisies et nos passages à côté. Laver de ces pesticides culturels, le goût de la pastèque n’en sera que plus jouissif. 
Ewan Lobé, Jr.
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carnet-a1 · 5 years ago
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LE PRIVILÈGE : SALOPERIE INDISPENSABLE
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La Terre est ronde, mais la société est plate. Les humains y évoluent sur un échiquier grandeur nature, quadrillé par les différences, l’alternance des possibilités, l’étroitesse des mouvements, la longueur de vues. Est-ce le jeu d’échecs qui s’inspire de la société ou la société qui s’inspire du jeu d’échecs ? Il y a d’autres imbroglios à démêler pour l’heure. De nos jours, avec une force et un fracas augmentés par la vigueur des réseaux sociaux, les amis du Progrès s’indignent de ce que les êtres humains ne valent pas le même nombre de points sur l’échiquier social. Cette dissemblance des points de valeur, comparable au jeu d’échecs, fertiliserait l’iniquité entre hommes et femmes, Blancs et Noirs, pauvres et riches, beaux et laids.
Un fantassin vaut 1 point, une Reine en vaut 9. Les 5 points de la Tour se couchent au pied du Roi dont la valeur dépasse les estimations. Le jeu d’échecs est ainsi fait : lardé d’une injustice essentielle entre ses différentes pièces. Cette injustice essentielle, de valeur présupposée forte à valeur présupposée faible, caractérise depuis la nuit des temps le quadrillage culturel des êtres humains. Qui pourrait le nier ? Nous sommes au cœur du jeu, le jeu est au cœur de nous. Les amis du Progrès crient que les règles étant pipées dès le départ, les mêmes privilégiés l’emporteront sur les mêmes maudits jusqu’à la fin des temps, à moins de détruire le jeu. L’indignation populaire forme ce vœu : détruire le jeu ! Un vœu formé par l’émotion n’est pas réfutable, l’émotion n’ayant ni tort ni raison. L’émotion se prend en compte. Nous ne sommes pas les cyborgs de l’entreprise Skynet. L’émotion a son mot à dire : qu’elle le dise !
Toutefois, il apparait clair que la refonte de la société ne se développera pas sur une fondation de cris et de larmes. Les cris et les larmes attirent l’attention, engendrent des sympathies, excitent l’instinct grégaire, mais ne renverseront pas le système de valeurs qui les légitimise. Ce système de la valeur présupposée d’une pièce, autrement dit du privilège, rafraîchit et actualise l’indignation : l’injustice est le pétrole du progrès. Le véritable progrès ne consiste pas à renverser l’échiquier injuste, mais à maîtriser le jeu des valeurs. Le privilégié passe, le privilège reste. Les indignés français de 1793 ont cru faucher le privilège aristocratique en fauchant la tête du roi…. Jusqu’à ce que Robespierre, devenu roi des indignés, se mette à jouer au foot, dans son équipe de privilégiés révolutionnaires, avec des milliers de têtes coupées par ses bons soins. Le privilégié passe, le privilège reste. De quoi s’indigne ton ? Robespierre valait 3 points quand Louis XVI dépassait les estimations. Le jeu fluctue. Il faut ravaler les larmes et ne plus crier au scandale. Le jeu fluctue.
Fixer des règles, ce n’est pas fixer le mouvement. N’importe quel enfant qui joue à chat le sait. Le vrai défi n’est pas de pousser la note de l’indignation toujours plus haut, mais de montrer aux enfants comment jouer le jeu du monde toujours plus efficacement. Etre un renard plutôt qu’une chèvre. Un gros enfant moqué par ses camarades dont le privilège est d’être mince, ne gagnera rien à laisser les ainés conforter la faiblesse de sa position par leurs interventions de justicier. Mais il gagnera tout à se servir de sa langue pour devenir l’as de la répartie, le champion de la vanne, le pétrificateur de p’tits cons. Il y gagnera d’abord l’acquisition d’un talent fondamental : l’éloquence ! Ce gros enfant, qui ne valait qu’1 misérable point dans la cour de récréation, tutoiera les pièces maîtresses. Vouloir à toute force adoucir le monde, lui soustraire son gaz pour en faire de l’eau plate… puérile ambition ! Aux échecs, n’importe quel fantassin peut gober n’importe quelle reine. La reine exécute des bonds de géant ; grand bien lui fasse ! La petite danse en diagonale du fantassin exécute la mort. Question de stratégie.
Offrir son bouclier protecteur aux victimes d’abus : noble carrière. La beauté de l’esprit chevaleresque ne s’applique pas qu’aux héros de la table Ronde. Il faut des redresseurs de torts, ne serait-ce que pour rappeler aux privilégiés que le privilégié passe. Le jeu fluctue. La piqûre de ce rappel vivifie l’esprit du jeu tout entier. Mais le redresseur de tort, en son âme et conscience, doit raffermir les muscles de la victime, pas la changer en martyre. La position du martyr, fixée à jamais par l’indignation, ne trouble pas l’échiquier. Sa valeur est aussi symbolique que la fumée d’un bâtonnet d’encens. L’horreur faite à George Floyd, qui ne valait pas le même nombre de points que son meurtrier blanc sur l’échiquier racial, coiffe George Floyd de son auréole de martyr, mais le jeu continue.
Le jeu a continué trente ans plus tôt après le passage à tabac de Rodney King. Filmé ou pas, le jeu continue parce que sa fonction précède les larmes. Les larmes n’organisent rien. Comment raffermir une victime toute désignée ? Comment passer d’1 point misérable à une orgie de points ? Comment gouverner les Etats-Unis d’Amérique quand on sort du sperme d’un père africain ? Questions de stratégie. L’effort est là, pas dans les cris, pas dans les larmes. Le silence accompagne le meilleur joueur. Qui se souvient de l’indignation de Tiger Woods ? Qui se souvient des larmes de Marie Curie ? Leur force de caractère s’est épanouie à l’ombre de la vindicte populaire. Un redresseur de torts n’a pas de meilleur exemple à donner au peuple que l’exemple de son propre ascendant sur le jeu. Mais personne ne peut jouer avec une balle dans la tête ou un genou sur la nuque rétorqueront les sceptiques. Je réponds : L’horreur et la sauvagerie infligées aux martyrs enflammeront le cœur de leurs enfants. Mais le feu de la haine consume, rétorqueront les sceptiques. Je réponds : Oui. Mais pas le feu qui éclaire la partie en cours. Ce feu augmente la valeur du consumé. Il y voit clair ! Le privilégié passe, le privilège reste.
L’indignation est une plaie ouverte aggravée par le sel du ressentiment. L’endroit de la blessure où le sel tombe le plus abondamment est l’endroit de la valeur des points attribués à tel homme, telle femme ou tel homme. Cette valeur n’a aucun fondement naturel, bien sûr. C’est une invention de l’être humain pour corser le jeu. Le déséquilibre de départ entre les pièces corse nécessairement le jeu. Le déséquilibre est le sel du sel. On dit aujourd’hui de l’homme blanc, non plus à mots couverts mais à pleins poumons, qu’il bénéficie d’emblée du plus grand nombre de points, que sa position de départ sur l’échiquier est celle du dominant. Ça n’a rien de nouveau, ce qui est nouveau c’est de l’exprimer en place publique, sur Facebook et autres agoras virtuelles. L’homme blanc bénéficierait d’un privilège racial, de loin supérieur au droit commun, et fondé sur son seul épiderme et son seul membre viril.
Où œuvre le privilège de l’homme blanc ? Partout et surtout chez lui, en Occident. Qui en sont les subordonnés ? Tout le monde et surtout les femmes et les Noirs. C’est la rengaine du moment dont la Grande Histoire, en effet, comporte quelques sidérants témoignages. Les Indignés de 1793 voulaient mettre à bas la monarchie de droit divin, les Indignés de 2020 veulent mettre à bas le privilège de l’homme blanc de droit épidermique et sexuel, c’est-à-dire en finir avec la valeur jugée arbitraire des points de départ. Le soi-disant Fort doit dévaluer sa force ou permettre au soi-disant Faible de le rejoindre au sommet. C’est la proposition de l’équité. Quitte à se battre, autant se battre à armes égales ! David contre David, Goliath contre Goliath. Pourtant, une question en plusieurs parties se pose : en admettant que l’homme blanc soit réellement le maître du jeu, par les seules grâces de son épiderme et de son sexe, qui lui a donné son pouvoir ? Auprès de qui s’est-t-il plaint pour obtenir le pouvoir ? De qui était-il le subordonné ? Qui lui a attribué ses points de départ ? Si l’homme blanc, en tant que personnage historique, a pu bénéficier d’un acte de bienfaisance, alors charge à lui de rendre la pareille ; c’est le mot d’ordre contestataire. Mais qui est le bienfaiteur de l’homme blanc ? Dieu ? Wall Street ? Panoramix ?
Répondre que le sexe et l’épiderme sont des grâces décisives, ce n’est rien comprendre au jeu. En Occident, ce sont des grâces, oui, il faudrait être un imbécile heureux pour le nier, mais en aucun cas sont-elles décisives. Ces grâces ne permettent pas la victoire sur l’échiquier. La volonté est une chose horrible : boucherie des peuples amérindiens. La volonté est une chose miraculeuse : édification des Etats-Unis d’Amérique sur cette même boucherie. L’épiderme et le sexe sont de jolies choses qui ne valent pas un caillou sans une volonté. Louis XVI n’en avait aucune bien qu’il eut un joli teint de crème. Aung San Suu Kyi en possède une cargaison bien qu’elle ait des seins.
Le privilège ne disparaîtra jamais. Conquérir cette bonne saloperie ; c’est le mot d’ordre des visionnaires. Du temps de l’Allemagne nazie, Harvey Weinstein et Jeffrey Epstein n’auraient pas valu 1 seul point. Leur obédience religieuse aurait joué contre eux. A notre époque, ces deux hommes de supra volonté ont amoncelé tant de points de valeur qu’ils s’en sont cru inviolables. Mais le jeu fluctue et leurs adversaires, des femmes supposément faibles, ont eu leurs têtes de nababs brandies sur une pique. La réputation de ces deux joueurs ne vaut plus rien. On trouve toujours plus volontaire que soi. Le jeu est le jeu ! La volonté de vaincre est la clé. Tout le monde grogne, cri ou pleure après une défaite. La bonne nouvelle, la voici : la partie continuera d’avoir lieu jusqu’à ce que la planète nous explose dans les dents. D’ici là, chut ! Laissons nos enfants se concentrer en silence.
Ewan Lobé, Jr.
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carnet-a1 · 6 years ago
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FREEDOM CRAZY
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Les anciens Grecs ne juraient que par la modération. Un esprit sain dans un corps sain ; devise du citoyen libre. Le Parthénon peut tomber en poussière demain, personne n’oubliera combien les mangeurs de fromage et de raisins du Péloponnèse savaient penser et courir. Legs immense. Penser et courir, c’est vivre modérément, vivre dans les limites acceptées de sa condition humaine, vivre au diapason de ses concitoyens, ne pas chercher à tirer la couverture du pouvoir à soi, ne pas chercher à égaler les Dieux. La course à pied et la philosophie rendent sage. Les tyrans passaient un sale quart d’heure à Athènes ; l’appétit des hommes politiques faisait l’objet d’une méfiance systématique et l’exil était réservé aux plus gourmands d’entre eux. L’hubris inquiétait les Grecs, autrement dit l’excès. Le raisin et le fromage, oui. Avec modération. Les sandales, oui. Mais sans les chaussettes.
Néanmoins, tous les héros grecs se sont rendus admirables par leurs excès. Les héros grecs ont tous éclaté les bornes de la conformité, éclaté les bornes de la morale. Leur mort, souvent tragique, est à la démesure de leur vie. L’hubris garantit la Gloire Eternelle. La leçon à tirer en devient donc ambigüe. Un citoyen modéré n’accédera jamais à la gloire, il mourra dans l’anonymat d’un chien crevé sur le bas-côté de la route, les générations futures n’attribueront aucune valeur à son passage sur Terre. Un destin ordinaire tombe nécessairement dans l’oubli. La modération, la soumission aux limites, la soumission aux règles strictes de la conformité aboutissent à un destin ordinaire, un destin qu’on oublie. Platon et ses copains en sandales ne pouvaient pas l’ignorer. Se peut-il, alors, qu’ils aient prévu deux morales, une morale pour le plus grand nombre et une morale pour Michael Jordan et Héraklès?
La folie est le point d’orgue de l’excès, c’est sa manifestation la plus frappante. La folie, qui ne connaît même pas de bornes lexicales, de définition stricte, met pourtant tout le monde d’accord sur le vertige qu’elle implique. C’est un état d’esprit hors-norme, suspendu entre l’exceptionnel et le chaos. La modération n’est déjà plus à portée de vue. Le mot « fou » surplombe le vocabulaire de la jeunesse française sous sa forme verlan. Tout est « ouf » pour nos gamins, à tort et à travers, mais cet excès de langage traduit non seulement l’envergure de la définition, mais aussi l’intuition qu’a la jeunesse de la liberté de ce qui est « fou ». Ce qui est fou est libre même si c’est une liberté noire. Van Gogh se tranche l’oreille à coups de rasoir, il est fou. Le yakusa japonais se tranche l’auriculaire à coups de couteau, il ne l’est pas. Le geste immodéré de Van Gogh ne se conforme à aucune limite. Le geste immodéré du yakusa se conforme aux limites imposées par son clan. La boucherie n’a pas la même saveur.
Cette liberté noire alliée à l’instinct du chasseur nous hypnotise. De Bateman à Bundy, les fous furieux fictifs ou réels abondent au cinéma et tamponnent nos fantasmes. On les appelle psychopathes, sociopathes, psychotiques, narcissiques pour les auréoler d’un crédit médical, mais plus communément on les traite de fous. Les plus dérangés d’entre eux à l’écran sont pour l’essentiel des hommes blancs, sauvages et sophistiqués. Hannibal Lecter en serait en quelque sorte l’archétype. L’homme dérangé est l’homme qui n’entre pas dans les rangs ; la langue française est claire sur ce point.
L’autonomie psychique de l’homme dérangé, mise au service du mal dans les contes de fées modernes, rappelle la logique impérialiste de l’Occident. Faire éclater les bornes de la conformité, les bornes de la morale, pêcher par excès, bouffer les autres. Mode opératoire de l’Occident conquérante, mode opératoire du fou isolé. Napoléon Lecter Bonaparte… ça colle. Hannibal France-Afrique Lecter… ça colle. Hannibal Empire Britannique Lecter… ça colle. Donald Lecter Trump… ça colle. Me vient une idée : et si celui qui n’entrait pas dans les rangs était en réalité celui qui conduit les rangs ? La liberté noire pour principe de gouvernance ? Une cravate et des jambes croisées pour flouer le peuple, lui montrer que le pouvoir se consomme avec modération comme le thé de five o’clock… L’important est de cacher cette liberté dans le nœud de cravate.
Aujourd’hui, les femmes blanches, les homosexuels et les minorités dites ethniques se rebiffent contre le pouvoir de l’homme blanc. Les révoltés scandent le mot « égalité » ce qui revient à dire « modération », ce qui revient à souhaiter la fin de l’hubris. Les révoltés les plus coriaces ne réalisent peut-être pas que l’Occident de l’homme blanc s’est construite sur des coups d’audace et des coups de folie, que l’Occident est par choix la civilisation de l’excès, que l’Occident doit à sa liberté noire son Versailles, son Vatican, son Amérique et ses fusées. La modération aurait tué Shakespeare et rabaissé la langue anglaise à un rot. Les monstres sont les grands vainqueurs de la vie disait Sansa Stark. L’Occident tombe sans ses dérangés. Platon et ses copains en sandales ne pouvaient pas l’ignorer. L’Occident repose sur ses dérangés, ses excessifs. Un avenir équitable pour tous serait une victoire pour l’esprit humain, mais une défaite pour notre sens du spectacle. Ce sont les trucs de ouf qui nous font vibrer et prendre position. Un coup de rasoir sur l’oreille et hop ! Nous voilà requinqués. 
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Ewan Lobé, Jr.
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carnet-a1 · 6 years ago
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PUTAIN DE PINGOUINS
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L’industrie de la série télé n’a jamais été si florissante ni si cosmopolite. Il paraîtrait même que la prééminence de Netflix empêche les couples de faire l’amour. Rien n’est préférable à un bon « spectacle dans un fauteuil » comme l’avait parié le poète Musset. Le scénariste, autrefois parent pauvre de la famille des écrivains, s’est racheté une santé et asperge l’espace mental consacré aux fantasmes. C’est le scénariste qui nous fait l’amour presque chaque soir, secondé par ses riches investisseurs. Et on n’en peut plus. De True Detective à Game of Thrones, on n’en peut plus, c’est trop bon. C’est trop bon, mais…
Le scénariste flirte avec la jeunesse depuis James Dean. Les jeunes aiment deux choses : le confinement de la chambre et l’hypnose de l’écran. Si le « spectacle dans un fauteuil » coupe l’envie de faire l’amour, il coupe aussi l’envie de voyager et l’envie de nuancer. Ce constat porte essentiellement sur les séries pro adolescents, nos bons vieux adolescents chargés comme des mulets du poids de leurs incertitudes, de leur monotonie et de leur autorité de galette des rois.
Baby-Elite-Sex Education. Le triumvirat des séries sur l’adolescence. Une série italienne, une série espagnole, une série anglo-américaine. La tentation cosmopolite n’est plus un rêve. Netflix promeut l’expansion interculturelle ; comment réprouver une si belle initiative ? Les trois séries fourmillent de jeunes acteurs touchants, réalistes, honnêtes dans leurs efforts de portraiturer les adolescents d’aujourd’hui. La tristesse de ces adolescents d’aujourd’hui nous émeut même si on peine à la comprendre. On peine à comprendre, bien que passés par là nous-mêmes, que les héritiers d’une Occident conquérante et transformable aient pu choisir d’être tristes plutôt que d’être excités. Mais convenons que cette tristesse soit sincère. Un mal générationnel flou mais sincère.
La tentation cosmopolite est une chose perverse. Une bonne chose perverse. Ceux qui veulent abolir les frontières pour éclairer les heureuses similitudes entre les peuples, éteignent la lumière sur leurs heureuses différences. Se ressembler plutôt que se compléter : mot d’ordre des « progressistes ». Montrer une jeunesse internationale mais uniforme, une jeunesse invariable, embusquée derrière son téléphone portable, son autisme délibéré et sa recherche de gloriole sur les réseaux sociaux ; voilà le plan. En Italie, en Espagne ou chez les Anglo-Américains, un adolescent est un adolescent. Les hyper scénaristes ont tâté le terrain. Ils connaissent leur gibier. Toutefois, notre envie de voyager en prend un sacré coup. En effet, le Marco Polo en chacun de nous ne veut pas confondre les jeunesses italiennes, espagnoles et anglo-saxonnes. Il ne veut pas les confondre pour le simple plaisir de constater que les humains sont partout les mêmes. D’une série à l’autre, les mêmes archétypes d’élèves, le même rapport noueux aux adultes, la même fascination pour les films de fesses fabriqués au téléphone et balancés sur internet.
La jeune Italie répond aux standards de la jeune Espagne qui répond aux standards de la jeune Angleterre. Les parents exposent leurs faiblesses à leurs enfants, le fils du proviseur rigoriste cache son homosexualité, le bad boy arabe évolue en périphérie du meilleur des mondes, les petites bitches traînent la nouvelle Cendrillon dans la boue, la princesse s’amourache du bad boy, son frère veut déboiter le bad boy : Baby Elite Sex Education, Sex Elite Baby Education, Education Baby Sex Elite ; il y a beaucoup de toutes les séries dans chacune des séries, les frontières narratives sautent, les frontières géographiques fondent. Le folklore des pays, sous quelque forme que ce soit, n’est plus détectable, hormis la langue des personnages. La langue italienne reste la langue italienne, la langue anglaise reste la langue anglaise. Ok ! (les jeunes Italiens disent ok…). Mais tout le parfum spécifique de l’Italie, tout le parfum spécifique de l’Espagne, celui de l’Angleterre, tous ces parfums se sont évaporés hors-champs. L’envie de nuancer toutes ses cultures les unes par rapport aux autres en a pris un sacré coup.
Qu’a-t-on fait du cachet propre à chacun ? Dans les années 60, le Français Truffaut dénonçait l’homogénéité du cinéma européen pour mieux réinventer le cinéma français. Le cachet de la Nouvelle Vague française est né, reconnaissable entre tous. Puis il y a eu les cachets des nouvelles vagues japonaises et américaines, reconnaissables entre tous. Les 400 Coups sont français et universels. L’Empire des Sens est japonais et universel. Le Parrain est américain et universel. On ne s’oublie pas avant d’ouvrir les bras à l’univers. On ne s’oublie pas ! La particularité culturelle qui devient universelle attire les étudiants étrangers sur les rives de nos écoles de cinéma, de nos écoles historiques, les jette dans le vent du voyage. L’art des nations y est pour beaucoup.
Voyager, c’est chercher le tigre blanc. Les pingouins sont partout, on cherche le tigre blanc. La vérité est que cet animal appartient presque toujours au passé. Il prend la forme d’un tableau de Veronese ou de Sophia Loren en Italie, de l’armure de Cortès ou de la guitare de Paco de Lucia en Espagne, de Shakespeare ou de la rue Savile Row en Angleterre. Les aïeux savaient se distinguer, ils savaient faire apparaître le tigre blanc, c’est pourquoi le tourisme ne s’essoufflera jamais. La marmelade mondialiste rend les choses moins claires. On se singularise de moins en moins. Alors, faut-il continuer de se shooter au passé pour sentir l’Italie, l’Angleterre et tous les autres, l’un après l’autre ? Ne pourrait-on pas, dès à présent, se distinguer les uns des autres et faire des œuvres immortelles ? Le spectacle débuterait dans un fauteuil, oui, mais se poursuivrait dehors au plus près de nous-mêmes et aux quatre coins du monde. 
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Ewan Lobé, Jr.
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carnet-a1 · 6 years ago
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FEMME OBJET- HOMME STATUE
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Aucune femme ne se satisfait d’être un objet, mais tous les hommes rêvent d’être une statue. En y réfléchissant bien, le paradoxe a de quoi faire sourire. Le comble du rabaissement pour les unes prend la forme d’une apothéose pour les autres. Un homme pétrifié par la volonté de ses congénères accède au rang de héros, sa chair immobile le rend sublime, il n’y a pas d’avancement plus considérable devant l’Eternel. Tout au contraire, figer une femme sous-entend la dévaluer, nier son esprit, s’abrutir de son corps.
On soutiendra que les femmes sont réduites à l’état d’objet de leur vivant, à l’état de bel objet, alors que les hommes meurent avant d’être chosifiés et que leur esprit habite la chose, habite la statue, habite le temps. La femme est réduite à l’état d’objet, l’homme est prolongé à l’état d’objet : l’accordéon des sexes au désavantage de la femme. Comment renverser la vapeur ? Comment fétichiser le corps de la femme au nom de la gloire et celui de l’homme au nom d’une petite partie de cul ? On sait que l’équilibre entre homme et femme est une chimère, l’équilibre n’est pas socialement viable. La justice ne marchera jamais droit ; la justice est une simple ivrogne.
Alors comment honorer la femme, déployer la femme, au détriment de l’homme s’il le faut, comment modifier l’air de nos accordéons ? La rancœur pousse certaines femmes aujourd’hui à se convaincre que la propagande de leur nudité et la recherche de leurs faveurs sexuelles ne sont que des pièges tendus par l’homme pour les avilir, certifier leur inintelligence et leur faiblesse. C’est vrai, mesdames, les porcs existent, les porcs harceleurs existent. Des êtres sous-développés pour qui la chair féminine est une viande à graillonner de bauge en bauge. Ils existent. Mais ! Sur la foi de cette malheureuse existence, faut-il pour autant admettre que ces êtres là aient le pouvoir de contraindre la femme, comme les Inquisiteurs catholiques avant eux, de la raidir et de la couvrir de honte ? Les Inquisiteurs avaient la religion, les harceleurs ont l’obscénité. Deux armes, un même dégât. Le regard gluant des harceleurs, des butors, détermineraient donc la femme à se positionner en cerveau plutôt qu’en clito. C’est pour tenir éloignés les porcs que la femme choisirait avec une certaine rage de se couper en deux : une partie honorable, le cerveau, une partie hors de propos, le corps. Mais l’homme, dans son infinie perversion, est encore le vainqueur de ce jeu-là ! Lui reste entier et c’est entier qu’il entre au Panthéon avec sa bite et son couteau !
Une femme ne devrait pas avoir à choisir entre l’honorabilité de son intelligence et le pouvoir de ses charmes. Elle pourrait, dans le meilleur des mondes, porter sa nudité en triomphe et clouer les porcs à la tribune. Etre toute chose plutôt que demi-chose. Le terme « chose » ici n’est pas péjoratif. Nos totems sont des choses, des objets. Nos croix, nos blasons, nos alliances de mariage, nos bracelets de naissance, nos livres de chevet, notre inestimable album photo ne sont pas bêtement inertes ; le souffle de notre esprit y est passé. L’homme et la femme sont totémiques, dans une certaine mesure, choses traversées par un souffle inconnu. Tout autant qu’un objet précieux, l’homme et la femme peuvent outrepasser l’inertie de leur terne existence pour devenir symbole. Gandhi est un objet, un symbole, sa grandeur est fichée dans le temps. Jeanne d’Arc est un objet, un symbole, sa grandeur est fichée dans le temps. Il n’y a pas de mal à être un objet, surtout de ceux-là. Elargissons notre rapport aux mots.
S’il y a bien une chose qui mérite d’être méditée à toutes fins utiles, c’est l’émerveillement que suscite le corps de la femme chez l’homme. Qu’il soit porc, pape, grand couturier homosexuel, peintre ou juste adolescent, l’homme ne résiste pas à cet émerveillement. Ce n’est ni bien, ni mal, c’est un destin. Selon la manière dont il cultive sa sensibilité, l’homme idolâtre ou bafoue le corps de la femme et cette idolâtrie ou cette insulte émergent d’une même source. L’émerveillement. Je ne sais pas si les animaux peuvent s’émerveiller d’eux-mêmes ou de leurs créations. Un aigle est-il frappé de stupeur à la vue de son nid comme nous le sommes à la vue de la Chapelle Sixtine ? Est-il frappé de bégaiement à la vue de sa compagne battant des ailes jusqu’à se fondre en plein soleil ?
Il est bon d’être humain rien que pour le plaisir des yeux. Les femmes accordent une magie moins grande aux corps des hommes, exception faite de Brad Pitt dans Fight Club. Objet de désir, de vénération, de convoitise. Elles totémisent peut-être un peu moins souvent les attributs masculins. Ce n’est ni un bien, ni un mal, c’est un destin. L’échelle de valeur érotique varie d’un sexe à l’autre. Mais le jour où les femmes se libèreront de la sale étreinte des butors et vivront leur nudité comme une gloire, le mot « objet » ne sera plus une blessure, mais un piédestal. 
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Ewan Lobé, Jr.
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carnet-a1 · 6 years ago
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UN COLIBRI TRANSGENRE
A CEUX QUI NE VEULENT PAS JOUER - Partie 2
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Le monde n’est pas ce que l’on croit. La race, le sexe et l’âge ne tracent pas les vrais contours entre les êtres. La distinction fondamentale repose entre le Joueur et celui qui ne joue pas. Adepte du jeu, inepte au jeu. Les catégories faciles fondées sur l’enveloppe d’un individu, sa culture, son époque, ses préférences sexuelles ne sont pas illusoires mais secondaires quand sonne l’heure du bilan. Ces catégories ne déterminent pas l’issue de la guerre, ce sont des armes de seconde main, des instruments de la guerre. Les militants de tout poil raffolent de ces armes de seconde main. Brandir son sexe ou sa provenance comme une massue anti-système, hurler son penchant pour l’Egalité, faire claquer l’étendard du Progrès aux quatre vents, c’est bon, c’est moderne, c’est même respectable, mais la couleur de peau, la profondeur des rides ou le cycle menstruel n’affectent pas l’issue d’un clash. Seule l’intelligence du Jeu profite aux combattants et les rend vraiment dignes de respect.
A titre d’exemple, commençons par divulguer la pétulante histoire du Colibri amazonien. Ce conte pour enfants, emprunté à la bibliothèque municipale à l’attention de mon fils, s’inscrit de plein pied dans cette longue tradition d’histoires d’animaux anthropomorphes ou au moins doués d’une raison humaine. L’identification est plus simple et le règne animal moins obscur. Impeccable stratégie d’apprentissage. Dans ce conte d’Amazonie, un colibri est raillé par tous les animaux de la jungle pour sa taille minuscule et l’extrême nervosité de son battement d’ailes. Comparable à une abeille en ce qu’il pompe le nectar des fleurs, il n’est ni abeille, ni oiseau ; une sorte de transgenre à plumes que personne ne supporte. Les animaux de la jungle, y compris le Roi Jaguar, cherchent à jeter sur la tête du colibri l’image d’un faible et d’un proscrit, en somme la parfaite victime de tous les abus. Personne ne lui fait de cadeau tandis qu’il pompe innocemment le nectar de ses fleurs.
En 2019, ce pauvre colibri aurait peut-être battu le pavé new-yorkais ou parisien dans l’optique de susciter l’empathie des foules. Labélisé victime, il serait devenu la mascotte de tous les justiciers du monde libre. Colibri is the new sexy, placardé sur tous les bus du monde libre à l’adresse de tous les enfants chétifs et indexés de ce monde. La commercialisation de la faiblesse jouirait d’un nouveau héros jusqu’au suivant et ainsi de suite. Les médias dits progressistes ne rateraient pas là une occasion de hacher le monde en deux catégories strictes : les Grands Méchants et les Grands Innocents, les Jaguars racistes et les Colibris misérables. L’indignation is the new pétrole ! Par ici les billets verts.
En vérité, notre colibri industrieux dans sa jungle amazonienne a autre chose à faire que de se faire plaindre. C’est un Joueur. Un incendie terrible se propage dans la jungle. Ses habitants sont frappés de stupeur avant de galoper à tombeau ouvert jusqu’au plus proche point d’eau. De là, et à l’exemple du Roi Jaguar, les réfugiés se contentent de pleurer le spectaculaire ratatinement de leur joli monde. Un tableau gluant de victimes au bord de l’eau. Parmi eux, quelqu’un ne cadre pas. Un transgenre à plumes. Lui a décidé de ne pas pleurer le nectar de ses fleurs. Il a décidé de faire vrombir ses petites ailes entre le point d’eau et l’incendie, son minuscule bec en guise de tuyau d’arrosage. Devenu pompier de circonstance, le colibri multiplie les va-et-vient et se bat contre les flammes, laissant ses congénères béats d’incrédulité. « Je fais ma part » leur dit-il simplement. « Je fais ma part ». Une onde de choc passe alors dans le corps de tous les animaux qui bondissent à leur tour dans l’eau, et repartent cracher sur l’incendie leur fureur de vivre.
A compter de ce jour fatidique, le lien entre les habitants de la jungle se resserra comme jamais. Plus personne n’émit le moindre doute sur la grandeur de monsieur Nectar. L’histoire ne dit pas si l’incendie fut maîtrisé, mais les oiseaux claironnèrent le slogan Colibri is the new sexy aux quatre coins du globe. L’intelligence du Jeu avait porté ses fruits. Comment ne pas présupposer que le colibri savait qu’il ne pourrait rien faire seul ? Un si petit animal, un si petit tuyau d’arrosage… Il n’était pas stupide, loin s’en faut. Mais il savait qu’en donnant l’exemple, il pincerait la corde sensible des animaux plus grands que lui, plus forts que lui. Il a joué sur cette carte-là, la carte de l’égo, la carte du sentiment. Et cette carte lui a valu celle de l’entraide, celle de la fraternité face au péril, une carte d’une immense valeur. Le colibri a déployé ses dons de joueur et ravage de la jungle ou pas, il a remporté la partie, il a acquis le respect.
Le respect n’est pas un du, le respect s’acquiert. La courtoisie n’est pas le respect, cessons de confondre les deux. La courtoisie est un du en société, c’est la moindre des choses, c’est le moindre des dus. Le respect est un bijou qui se décerne aux meilleurs d’entre nous. Stop à la confusion ! Si le colibri avait accepté la catégorie des faibles et des proscrits lestée sur sa petite tête, il aurait attendu le secours d’une opinion publique ou d’un quelconque juge pour se défendre. Il n’a pas cherché à se défendre car il ne s’est jamais perçu comme une victime. Il a simplement pris le taureau enflammé par les cornes, soutenu par son intelligence du Jeu. Le colibri ne s’est pas laissé envahir par ses émotions comme le Roi Jaguar et ses courtisans. Le ressentiment, la frustration, la panique, la haine : sous contrôle. C’est un transgenre qui a su y voir parfaitement clair. Ses passions noires ont été converties en forces civilisatrices. La civilisation est notre réplique à l’incendie, aux ténèbres. Cette réplique commence par le goût du Jeu. Le nectar est à portée de lèvres. Arrête de te plaindre, pompe et voltige, l’ami. King Colibri te regarde.
Ewan Lobé, Jr. 
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carnet-a1 · 6 years ago
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A Ceux Qui Ne Veulent Pas Jouer
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Ce monde n’est pas ce que l’on croit. Il n’est ni déchiré entre les races ; ni disputé entre les sexes ni bouleversé par le bras de fer entre les générations. La race, le sexe et la génération ne forment que les instruments de la guerre. Ce monde est déchiré, disputé, bouleversé par la guerre entre les joueurs et ceux qui ne sont pas des joueurs. Noir contre Blanc, Homme contre Femme, Vieux contre Jeune : non. La véritable opposition, aujourd’hui plus que jamais, s’exprime entre l’adepte du Jeu et celui qui ne joue jamais. L’inepte au Jeu. Ce dernier peut toujours se retrancher derrière sa race, son sexe ou son âge pour critiquer l’état du monde. Sa gueule de perdant par renoncement n’y changera rien.
Le classique antagonisme entre Blanc et Noir, Homme et Femme, Jeune et Vieux dissimule un conflit plus profond entre deux types de personnages insoupçonnables à première vue. L’humain ordinaire se repose un peu trop sur sa première vue et ses toutes premières impressions. Noir égal victime, Femme égale objet, Homme Blanc égal purée de viagra dans le caviar et poing dans ta gueule. Ce monde est peut-être binaire, mais aux deux extrémités du possible se dressent deux conceptions de la vie. Celle de l’adepte et celle de l’inepte. Nos enveloppes sont secondaires. Avoir des seins ou ne pas en avoir est secondaire.
Qu’est-ce que j’entends par Jeu ? Le jeu, domaine de prédilection de l’enfant, est à la fois la civilisation miniaturisée et le principe fondateur de la civilisation. Le jeu octroie à la vie sa signification et cette signification régule notre existence, la solidifie face aux ténèbres. C’est cette régulation de nous-mêmes face aux ténèbres qu’on appelle civilisation et ses règles onduleuses en font le jeu. L’enfant qui s’adonne à un jeu comprend cela d’instinct ; il miniaturise la civilisation avec ses entrées, ses sorties, ses victoires, ses échecs. Un enfant sans jeu est un enfant sans boussole, livré aux ténèbres.
Le principe fondateur de la civilisation ne réduit pas d’importance à mesure que le civilisé vieillit. Au contraire. Plus l’on vieillit, plus la nécessité de jouer et de comprendre au plus près les règles du jeu se fait forte. Il faut être un con pour voir en cette nécessité un enfantillage. Et c’est là tout le problème des cons. Les cons se croient intègres parce qu’ils ne jouent pas. Ils se croient intègres parce qu’ils ne se déguisent pas, ne bluffent pas, ne trompent pas, ne cherchent pas à battre et à gagner. Ils diront que c’est un truc d’enfant, de joueur de poker ou d’homme politique. Les joueurs de poker et les hommes politiques sont peu recommandables et les enfants… ne sont que des enfants. La transparence fait l’intégrité du con. Son absence de sophistication, sa spontanéité agressive, son honnêteté niaise, il les porte comme une fleur au fusil. Il ne prend de recul sur rien, il s’offusque de tout. Il est joué plutôt qu’il ne joue. Type de l’honnête et brave type. Type du poulet fermier dans le Roman de Renard. Et les renards de ce monde rient.
Jouer n’appartient pas à une race. Cacher ses intentions pour mieux tromper l’adversaire ou éblouir son partenaire n’appartient pas à un sexe. Se lancer des défis n’appartient pas à une caste. Etre imprévisible, être alerte, inventif, taquin, danser entre les mailles onduleuses du système, voilà le civilisé dans ses œuvres, voilà l’adepte ! L’inepte n’est pas civilisé, il ne perçoit que ténèbres au-devant, ténèbres et amertume. L’enfant, dans sa grande sagesse intuitive, cherche à maîtriser le jeu, à amadouer sa petite civilisation. Echouer provoque des larmes. Il n’y a rien de plus sensé que ces larmes, respecte-les, Plaintif ! Ton enfant se fout de sa provenance ou de son enveloppe, il se fout d’avoir des seins ou de ne pas avoir des seins ; tout ce qu’il veut, c’est une torche dans le noir et assez de répondant pour s’inscrire chez les renards. Aide-le.   
Ewan Lobé, Jr.
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carnet-a1 · 7 years ago
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FEMME DESINCARNEE
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Comme son nom l’indique, la série Genius : Picasso se focalise sur la vie du génial artiste peintre Pablo Picasso depuis sa tendre enfance espagnole jusqu’à sa mort calme et française à l’âge de 91 ans. Entre la tendresse des débuts et le calme de la fin, ce vampire de près d’1 siècle aura subjugué le monde de l’art. Dévoré d’ambitions, insatiable, inclassable, intraitable, il aura réussi à mettre à sac les codes de la peinture européenne pour mieux les réinventer, devenant pour ainsi dire l’œil symbolique du vingtième siècle, témoin de son capharnaüm et de sa beauté.
Les femmes, bien plus encore que les sirènes de la politique, tiendront une place de choix dans l’œuvre et la vie du matador aux dents longues. Genius : Picasso s’intéresse particulièrement à la présence des mujeres, à  leur influence sur le maître du regard. Chez Picasso, l’érotisme abonde même sous une forme codifiée. L’obsession du corps féminin dévoilé, déifié, déstructuré, imprègne la vaste majorité des tableaux et ordonne la vie conjugale du peintre. Modèles et compagnes se confondent. Le temps a beau passer, des femmes de plus en plus jeunes continuent de se presser à la porte du matador qui les malmène, les manipule, les magnifie. Le bougre est plus pimpant qu’un joueur de foot peroxydé.  
La mini série prend le parti intelligent de couper la vie de Picasso en deux grandes époques distinctes. Sa jeunesse ascensionnelle et sa vieillesse auréolée, sans faire l’économie de toutes les épreuves concomitantes. Antonio Banderas se loge avec bonheur dans le rôle du second Picasso tandis  que le jeune Alex Rich, entame comme il faut la portraitisation du maître à la marinière et à la mèche de chancelier allemand.
Autour de ce personnage bicéphale, la reconstitution historique ne peut rien envier au cinéma ; la photographie lumineuse surtout, convoie le travail du peintre. Mention spéciale à Clémence Poésy, la petite Gauloise de la saga Potter, murie, brunie, sexy. Son sex-appeal in vitro perce ici et là quand elle tient tête, sous le nom de Françoise Gilot, à son célèbre et envahissant concubin, père de ses deux enfants et père de toute une dynastie de minis Picassos. Les femmes, puisqu’il est beaucoup question d’elles, font de l’Espagnol ce qu’il est foncièrement et offrent à la série sa clé de voûte.
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Mais il faut toujours un ongle dans le potage. Un potage sans ongle n’est pas un potage.  Comment justifier l’usage de la pudeur quand il s’agit de montrer ici des corps nus dans l’atelier du peintre ? Comment expliquer la réticence de la caméra du National Geographic à exposer les corps féminins dans toute leur gloire ? Un morceau de tissu opportun, une muse qui se calfeutre au lieu de se révéler, la commodité du hors-champs : il semblerait qu’en dépit des circonstances les plus appropriées, le mot d’ordre de cette série ressemble à quelque chose comme le Cachez ce sein que je ne saurais voir d’il ya 350 ans. Comment comprendre cette censure ? L’érotisme de la série s’arrête au seuil de l’atelier. Ce que voit le maître du regard, sans aucun filtre et avec la plus grande concentration, nous ne le voyons pas. Censura. Nous ne sommes pas invités à la fête.
La thématique du dévoilement, thématique naturelle pour un artiste épris de sincérité, n’est pas traitée avec toute la sincérité nécessaire. Genius : Picasso paye sans doute les pots cassés du débat sur l’exploitation malheureuse de la nudité féminine à l’écran. Montrer une femme nue de nos jours, pour les moralisateurs, c’est lui faire du tort. C’est la réduire à son corps, c’est la chosifier ; et être une chose, c’est être inerte. Inertie égale mort. En somme, une femme nue est une femme morte, une morte entre les mains des hommes vivants. Il faut aller au bout de ses convictions ! Un homme qui aime le corps des femmes, comme Picasso, est donc nécrophile. Nécroglam.
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L’Occident n’a jamais réussi à marier complètement corps et intellect. Aux heures de gloire du christianisme, c’était impensable, aux heures du militantisme moderne, ça l’est tout autant et la Femme est toujours la première coupée en deux. Si l’on aime une femme pour son intellect, on ne peut pas vraiment l’aimer pour son corps et vice-versa, le pire de tout étant de l’aimer pour son corps. Les patriarches velus disent que la femme nue dégrade les bonnes mœurs, les féministes échevelées disent que la femme nue dégrade son amour-propre. Dans les deux cas, la dégradation  passe par le féminin. On ne laisse jamais la peau d’une femme tranquille. Le scandale a son sexe préféré.
La perversion de vouloir couper la femme en deux, d’en faire un objet sexuel reproducteur d’un côté ou une intellectuelle dissidente de l’autre est une calamité dont on ne revient toujours pas au 21ème siècle. Impossible de s’incarner complètement, de puer le sexe et l’intelligence au même degré. Le vagin est vulnérable, couvre-le ! Le cerveau est une arme, tire à l’aveugle ! La séparation de l’église et de l’état est la séparation de l’église et de l’état ; appliquer ce genre de séparation à un être humain équivaut à un crime.
Le comble de l’ironie est qu’une femme complète, à la fois très sensuelle et très cérébrale comme l’incarne Sharon Stone dans Basic Instinct, n’est pas moins qu’une femme mais pire qu’une femme : elle est le diable. Alors pourquoi vouloir lui ressembler, me diras-tu ? La femme complète est nécessairement vengeresse, malveillante, fatale ; les preuves en littérature et au cinéma abondent. Le piège est d’une subtilité terrible. A qui donc ressembler ? De quel modèle se réclamer ? Que dire à nos jeunes filles en fleurs ? Mais… ne serait-ce pas une vision charmante que celle de nos jeunes filles en fleurs bottant les couilles des machos le matin, posant dans toute leur gloire pour un véritable artiste l’après-midi, et ratifiant les lois du futur le soir venu ? Le futur ne commence pas par l’union des peuples, mais par l’union personnelle. Olé ! Olé ! Olé !  
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carnet-a1 · 7 years ago
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L’APPROPRIATION CULTURELLE, CE BIENFAIT
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Le robinet des lamentations coule sans discontinuer ces temps-ci. Un fait de la nature humaine : celui qui s’identifie au faible tire sa force de se plaindre du fort. Le mélodrame du jour s’articule comme suit : l’appropriation culturelle est une mauvaise chose, qu’en penses-tu ? L’appropriation de la culture des faibles par le fort est une chose intolérable de nos jours, comprends-tu ? Le Blanc reste le Fort et tous les autres sont ses obligés. Enfer et Damnation!
Les idéologues de l’appropriation culturelle maléfique comparent le goût du Blanc pour les cultures extra-occidentales à du vampirisme. Sous couvert d’ouverture d’esprit, ce grand coquin de Blanc continuerait de pomper l’âme des peuples vaincus en se jetant sur le Hip Hop, le yoga, les coiffes en plumes d’aigle, le svastika encore et toujours et pourquoi pas les œillets d’Inde. Son appétit des autres ne connaîtrait aucun fond et son goût de la spoliation, aucune borne. L’éternel Dracula et son garde-manger cosmopolite. 
Les lamentations s’aigrissent à chaque nouvelle possibilité de les faire entendre sur internet. Ici est accusée telle fashionista blonde de faire injure au peuple noir en portant des tresses africaines. Là est accusé tel grand couturier européen de faire injure au peuple amérindien en coiffant ses modèles de plumes d’aigle. Et les griefs des mécontents contre un artiste blanc qui prétend chanter comme les Noirs et parler en leur faveur. Et les griefs des mécontents contre une militante blanche qui prétend renier ses origines européennes pour mieux soutenir la cause des Noirs. Et les récriminations d’un acteur noir contre un autre acteur noir qui prétend jouer le rôle d’un Noir sans être né là où il faut. Et les récriminations des cinéphiles du dimanche contre une actrice blanche qui joue un mutant cybernétique.
On le voit : la passion de la susceptibilité prend racine dans les vieilles haines de l’Histoire mais s’exprime le mieux par la bouche des progressistes. Il faudrait donc rêver à l’équité parfaite, broyer le racisme et en même temps… encadrer les vieilles plaies, les fétichiser, en tirer de la force et jeter cette force-là à la figure des Forts, des Oppresseurs. Mais qu’est-ce qu’un Fort pour de vrai ? Juste un grand méchant Blanc ? Primo. La race ou le sexe ne participe pas à la définition. Secundo. Le Fort est celui qui ne laisse pas la rancœur déterminer son rapport aux autres. La rancœur est un sentiment arriéré au sens propre ; ça vous maintient en arrière comme une laisse de chien. La rancœur n’est pas la rage. La rage est bonne et impérative. 
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Le Fort sait se définir lui-même sans le concours des autres. Son identité ne doit rien à la malveillance. Et d’ailleurs, quitte à tenir compte de la malveillance par goût du jeu, autant en tirer profit. C’est Tiger Woods qui se répète comme un mantra (mantra… appropriation culturelle… merde !) les mots sale nègre jetés à son front et les mots deviennent des talismans sur ses mille victoires de dieu du golf. C’est J.K Rowling qui placarde les lettres de rejet des maisons d’édition jetées à son front et ses lettres de rejet des maisons d’édition deviennent des talismans sur le triomphe éditorial et sociologique d’Harry Potter. L’injure croustille sous les dents de la rage. Aime l’injure !
Le Fort n’est pas susceptible et remodèle les symboles du passé à sa guise. L’appropriation culturelle n’a jamais été le propre des Blancs. Aimé Césaire s’est approprié le mot nègre dans l’optique de s’en faire une arme. Il s’est approprié la langue française dans l’optique de s’en faire une arme. Bruce Lee a intégré la savate française aux arts martiaux asiatiques dans l’optique de s’en faire une arme. Les esclaves du Brésil ont coalisé catholicisme et vaudou pour tromper leurs maîtres. Les Forts n’ont pas de scrupules.
Et si un grand couturier européen veut symboliquement transcender ses modèles tout en os en les coiffant de plumes d’aigle et par là jouer du contraste, qu’il le fasse. Et si Richard Gere veut prier au nom du Bouddha, qu’il le fasse. L’appropriation culturelle est saine. Ce qui est malsain, c’est l’imposition culturelle. C’est le conquistador espagnol matraquant l’Aztèque à coups de crucifix et c’est le descendant de l’Aztèque, en plein Paris, bible à la main, qui vous assure que le viol de ses ancêtres démoniaques par les missionnaires jésuites fut une bonne chose. Les pseudo progressistes ne doivent pas se tromper de combat. Le jean qu’ils portent sur les fesses est une appropriation, à moins d’être cow-boy dans le Nevada.
FIN  
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carnet-a1 · 7 years ago
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DIEU GARÇON
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L’homme de pouvoir est-il le garant de la civilisation ou son destructeur ? La question, si elle a déjà été posée à chaud dans le dos de Louis XVI ou dans celui de Saddam Hussein, n’a peut-être jamais résonné autant qu’aujourd’hui. L’homme de pouvoir est-il un sauvage nombriliste et hypocrite voué à pervertir la concorde entre gens civilisés, ou au contraire un solide rempart face à chaos ? Certains s’imaginent qu’il est un mal nécessaire, une tête nécessaire. A ses philosophes du mal nécessaire, la laideur de l’homme de pouvoir vaut toujours mieux qu’un  idéal absurde à la base du cou. Le pouvoir corrompt, c’est une lèpre. Ainsi soit-il. 
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En Occident aujourd’hui, fief historique de l’homme blanc, la souveraineté de cette lèpre, de ce pouvoir corrosif, est violemment contestée par ses premières victimes : les femmes et les enfants de colonisés. Les hérauts  antiracistes et antisexistes vont main dans la main et par la grâce d’internet n’ont jamais eu la voix si forte. Les Américains, premiers pourfendeurs du statu quo, avec leur déclaration d’indépendance à l’Angleterre impériale, leur lutte des droits civiques, l’avènement de leur président noir et la chute spectaculaire de leur despote hollywoodien, font une fois de plus la course en tête. Mais quel est donc l’enjeu de cette course ? Serait-ce l’extinction du pouvoir patriarcal, blanc et traditionnaliste jugé lépreux ? Pour le remplacer par quoi ? Un pouvoir multidimensionnel  que ses détracteurs qualifient déjà d’indéfini, de faible, voué à une mort subite ? L’enjeu de la course est-il l’extinction pure et simple du pouvoir en soi, un vœu de corps sans tête ? L’enjeu n’est peut-être pas connu des coureurs eux-mêmes. Ce qui compte pour l’instant, c’est de courir droit devant.  
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S’il est établi ici que l’homme de pouvoir, blanc ou pas, est un animal corruptible et donc transformable, alors son avenir n’est peut-être pas perdu d’avance. Mais comment éduquer les garçons à devenir de bons rois, c’est-à-dire de solides remparts face au chaos ? La question pèse son poids sur nos épaules. La question de la royauté féminine pèse autant sur nos épaules. Il va falloir s’armer de courage. Humblement, je tente d’apporter sur la table quelques prémices de compréhension dans le podcast intitulé Etape Suivante sur SoundCloud. Mais revenons au garçon et à son rapport désastreux aux privilèges.
Restons en Occident. Tout garçon occidental conserve en lui un Zeus qui dort. Le berceau grec de sa civilisation imprègne son rapport au père, son rapport à la mère, son rapport au cosmos, le monde extérieur au foyer. La Grèce est là, Zeus dort. Toute l’éducation de ce garçon tourne autour des limites. Limites à dépasser, limites à ne pas franchir. Les limites à ne pas franchir semblent évidentes, éclairées au néon du mot respect. Respect du père, de la mère, de l’enseignant ; tout adulte bienveillant étant un enseignant virtuel. Ce respect de la hiérarchie, et in extenso du droit d’aînesse, sécurise la civilisation, la garantie. Le garçon qui ne franchit pas le cap de l’irrespect est un bon petit garçon, un bon petit employé. Il sert la civilisation.
Mais Zeus gronde en sourdine. Zeus pousse le petit d’homme à éprouver ses forces et à tester l’inviolabilité des limites. L’Occident elle-même n’a-t-elle pas testé l’inviolabilité  des limites en s’abattant sur le monde de tout son poids ? L’épreuve de la force, au fil des siècles, a longtemps été sa signature préférée. Le petit d’homme éprouve sa force sur le terrain jugé inviolable de ses parents, de ses aînés.  C’est l’âge ingrat, c’est l’âge bête, c’est l’âge qui commence de plus en plus tôt. On se frotte, on se castagne, on veut régner. La sagesse requise à l’exercice de la fonction est la dernière chose digne d’intérêt. Sagesse ? Qu’est-ce que c’est que cette merde de vieux ? Zeus a tué son père, Cronos ! Cronos voulait tuer son fils Zeus ! Sur le plan symbolique : le fils remplace le père qui voulait l’assimiler et c’est le point de départ de la trajectoire du héros, c’est la clé de voûte des années 60, c’est le credo de la mythologie occidentale d’aujourd’hui. Sois un rebelle. Ne te conforme pas. Surpasse les limites. Distingue-toi. Tue le père. Toutes les marques de sport ont ce credo à la bouche. Tous les films remarqués ont ce credo à la bouche de La Vie d’Adèle à Deadpool. Ne te conforme pas !    
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Très bien. Le garçon à l’écoute de Zeus grimpe vers les sommets de coups d’éclat en coups de poing. Il devient in fine le patron du cosmos et les privilèges commencent à lui pleuvoir sur la couronne.  Il n’a pas oublié le principe salutaire qui l’a conduit jusqu’aux cimes : Surpasse les limites. Il est Zeus, il peut tout. Enfreindre est comme un passage obligé pour se maintenir vivant. Surpasse les limites. Dans la piscine olympienne des privilèges, encadrée par les soumis, surnagent les femmes. Le garçon occidental d’hier et d’aujourd’hui pâlit devant le mystère qu’est la femme. Zeus n’était pas nécessairement mieux informé, lui qui prenait l’apparence des animaux les plus divers pour séduire le « sexe faible ».  L’animal totémique du garçon d’aujourd’hui est le porc. Les mouvements féministes sont formels là-dessus.
Le recours à la pornographie en guise d’éducation sexuelle n’aide pas vraiment  notre Zeus contemporain à divorcer de l’encombrant totem du porc. Que lui dit la pornographie ? Que lui dit l’Eglise et que lui dit la grosse comédie baveuse pour adolescents ? La même chose. Ne perds pas ton temps en palabres. Ejacule vite. La pornographie drogue, l’Eglise glace et la comédie pouffe. Le postulat demeure identique aux trois modes d’emploi : le désir sexuel est un fardeau dont il faut se libérer. La pornographie propose la masturbation hystérique. L’église propose l’épouse masturbatoire. La comédie propose le ricanement. Connaître la femme et ses besoins profonds, s’y intéresser au plus près n’entre pas dans le contrat. Il faut éjaculer vite et passer à autre chose, y retourner vite et passer à autre chose.
La corruption du petit d’homme émerge peut-être au sommet du pouvoir mais elle gronde en lui  bien avant le couronnement. Les dés sont pipés dès le départ. Qui sait si un morceau de la solution n’est pas dans les bras d’une femme d’expérience ?  Zeus passe les bornes, transgresse, malmène, prend la forme d’un taureau pour bousculer une princesse éthiopienne à la plage parce qu’il le peut et ne sait rien faire d’autre. Il est le porteur de foudre. Son cosmos tient debout. La civilisation grecque, en dépit de sa maltraitance des femmes, de son goût pour l’esclavage et de ses folles tentatives de conquête universelle, a longtemps tenu debout. Est-ce le mal qui fait marcher droit ?
Ewan Lobé, Jr.
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carnet-a1 · 7 years ago
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OUI AUX CLICHÉS
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Il arrive quelque fois qu’un ami vous étonne. La chaleur d’une complicité peut faire sauter les verrous et livrer passage à de surprenants témoignages. L’étonnement que suscite la remarque d’un ami est un cadeau. Tout ce qui fait réfléchir est un cadeau.
L’ami me disait l’autre jour de l’actrice suédoise Alicia Vikander, entre deux compliments très vifs : « Elle est brune, mais elle est Suédoise. Putain ! Elle est brune mais elle est Suédoise. »  La mousse de cette remarque vaut dix pintes de Leffe. L’ami lâche naturellement le mot mais pour rappeler qu’une femme brune, en temps normal, ne peut pas être Suédoise et vice-versa. Brune mais Suédoise. Brune mais Suédoise… on croirait le leitmotiv d’une étrange chanson d’amour.
Alicia Vikander, la nouvelle Lara Croft, qui s’est distinguée dans des films plus intimistes comme Danish Girl, Tulip Fever ou The Light Between Oceans, est bel et bien née à Göteborg dans le sud-ouest de la Suède. A une époque moins sensible que la nôtre, ses parents auraient été taxés de « pur jus ». Rien ne prouve qu’ils ne sont pas de souche scandinave. Alors, l’ascendance viking, chez les Vikander, ne semble faire aucun doute. Et ils sont bruns. Sauf papa qui est chauve.
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L’ami ne revient pas là-dessus. Démontrer l’authenticité des papiers d’Alicia ne l’intéresse pas ; jouer au douanier n’a rien de romantique. Il aime Alicia. Il la croit sur paroles quand elle affirme être Suédoise. Elle n’est pas représentative, c’est tout.  Le cliché n’est pas une remise en question, c’est un arrêt sur image. Le terme « cliché » ne relève pas de la photographie pour rien, même chose pour « stéréotype » : arrêt sur image. Mais l’esprit geignard de notre époque n’admet pas que le charme ultime de la photographie, cette fixité signifiante par laquelle notre monde se devine, soit applicable directement aux êtres humains, applicable pour les définir, applicable pour les encadrer eux aussi. Un cliché photographique, oui, un cliché humain à même la peau, non ! Pas de fixité signifiante pour un être humain soi-disant multi-dimensionnel. Ce serait une prison. Le cliché est une prison. Croire que toutes les Suédoises ont le cheveu blond est une prison, l’ami. « Mais elle est Suédoise ! » Arrête. Tu vaux mieux que ça.  
En réalité, l’ami ne vaut pas mieux que ça et c’est sans conteste une très bonne chose, une chose instructive qu’il ne vaille pas mieux que ça. Le cliché humain n’est pas une prison, de la même façon que son équivalent photographique n’en est pas une non plus. Tout le monde s’accorde à penser qu’une photo cristallise un instant donné tout en laissant grande ouverte la porte aux interprétations. Le contemplateur a toute la liberté de décadrer le cliché et même d’en dissoudre les bords, de broder une histoire sur les ténèbres incomprises dans l’objectif de l’appareil.  Exemple : la célèbre photo La petite fille brûlée au napalm. A première vue : la fixité de cinq enfants asiatiques en larmes sous un ciel de tonnerre et entourés de soldats casqués. Si l’on s’arrête au cliché tel quel, on pense : « Encore une guerre chez les pauvres. Loin de moi, salut ! »  En revanche, si l’on décadre le cliché et que l’on imagine le désarroi de ces cinq enfants, le désarroi de cette fillette entièrement nue fuyant l’apocalypse, si l’on brode une histoire sur les ténèbres de cette fillette, une histoire intelligible et humaine, cette fillette devient la nôtre. C’est le tour de force du cliché photographique : le tour de force d’une serrure tournée vers l’universel. Sa fixité n’est plus fixe.  
Même saveur du cliché humain : la saveur de la chose réduite qu’on éclate dans l’universel. Oui, il faut un éclatement ! Il faut une porte à éclater et sans cette porte et sa serrure à éclater, sans ce cliché salutaire, pas de saveur. Pas d’empathie. Le cliché n’est pas une prison, c’est une porte. Sans cette porte, le monde te submerge. Commence donc par reconnaître l’utilité de la porte et ensuite élimine-la. La porte de la blondeur suédoise ou celle de la délinquance des minorités ethniques ou celle de l’arrogance des riches ou celle de la promiscuité des homosexuels ou celle de l’agressivité des vegans ou celle de l’intolérance des monothéistes n’est pas une porte blindée. Aucune porte ne l’est. Cet ami qui ne jurait que par ses Suédoises blondes a eu l’œil forcé dans la serrure d’Anita Ekberg et y a rencontré Alicia Vikander. De là, une nouvelle histoire à broder sur les ténèbres de son ignorance. Se voir réduit à sa plus simple expression est profitable, profitable pour ceux qui veulent prendre le monde par surprise. Faut-il encore le vouloir et ne pas pleurnicher sur l’état de   fait.  
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Se voir réduit par commodité, très bien ! Se voir réduit pour laisser au réducteur le soin de ne pas être submergé, très bien ! La force  de la surprise n’en sera que plus savoureuse. Quand Laurent Gerra s’étonne de voir Booba en couverture des Inrocks et cherche à le réduire à sa plus simple expression de rappeur de banlieue, inapte à faire la couverture des Inrocks, l’occasion est presque trop belle pour Booba de décadrer le cliché.  Sans cliché, la cible du cliché ne peut pas jouir de prendre le monde par surprise… et connaît-on meilleure jouissance ? C’est la jouissance ninja. Par derrière.
Ewan Lobé, Jr. 
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carnet-a1 · 7 years ago
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LES PORCS NE DANSENT PAS LE MAMBO
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Il y a quelques temps, je suis tombé sur une courte émission consacrée à l’image de la femme au cinéma. Difficile de faire court sur un sujet dont la portée dépasse la cinéphilie et touche la vie moderne en général. L’image de la femme, et mieux encore sa position dans une société cosmopolite et d’aspiration égalitaire, n’ont jamais autant fait débat si l’on exclut la rage des années 60. C’est un débat aigre, houleux, né des blessures occasionnées par le patriarcat millénaire. L’homme fait chier. C’est un fait.
L’émission en question s’intéressait à deux types de regard projetés sur la femme, projetés sur l’actrice. Le type de regard masculin, celui du réalisateur et le type de regard féminin, celui de la réalisatrice. L’intérêt de l’émission, je le répète, tourne court du fait de l’étroitesse de son format et aussi de la volonté de ses producteurs de rester dans leurs petits clous. Seul le cinéma occidental est désigné ; exit Wong Kar Waï, Mira Nair et autres Ousmane Sembene à l’œil perçant jusqu’à l’universel. Et les désignés occidentaux sont forcés de rentrer dans l’imagerie qui arrange les médias : les réalisateurs, hommes de pouvoir, chosifient la Femme. Les réalisatrices, femmes de discernement, pluralisent la Femme, mais c’est un pluriel boiteux où le sex-appeal n’a pas sa place. C’est un pluriel de femme blessée et agressive. L’envoûtant  sexe de la Femme, l’origine du monde, serait donc une affaire mise entre les yeux des hommes. Ah.
L’émission soulève un point croustillant. La danse de Brigitte Bardot dans le film de Roger Vadim Et Dieu… créa la femme. Une cinéphile de métier propose à la journaliste en visite de visionner le mambo de l’ardente Gauloise et de se focaliser sur un plan où la caméra ne retient que ses jambes nues, pas sa tête. « C’est plus elle qui nous intéresse, c’est ses fesses qu’on attend. Ça crée ce regard masculin » dira l’experte. La pauvre ne voit pas, dans sa bête résolution de s’adapter à la grogne d’aujourd’hui, qu’elle sépare le corps en mouvement de Bardot du reste de son identité, qu’elle marche sur le vœu d’émancipation sexuelle d’une époque plus répressive et paternaliste que la nôtre, et qu’elle charge insidieusement le porc, le réalisateur, le Vadim, cet enculé d’homme de pouvoir ! La cinéphile de macabo  ne voit pas que l’insolente Bardot elle-même se sentait libre de son corps et parfaitement consciente de son empire sur les hommes comme sur les femmes. Cet empire ne se réduisait pas à un cadrage de ses jambes nues, mais s’étendait à un nouveau rapport aux bonnes mœurs.
L’intervention sensualiste, dans un monde occidental binaire où le bien serait spirituel et le mal sexuel, ne date pas des années 60. Cette intervention sensualiste est aussi vieille que la peinture ou la sculpture mais disons que le cinéma la popularise. Bardot devient une icône populaire de liberté sexuelle et d’insolence ce qui est… un trait d’esprit. Elle mène les hommes par le bout du groin et cette menée repose sur l’impalpable intelligence, n’en déplaisent aux taupes qui n’y voient rien. Le mambo est plus signifiant que le mambo. C’est une arme.
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Sous prétexte qu’il existe des porcs que l’on traque aujourd’hui à raison, faudrait-il à tout prix diaboliser le regard de l’homme sur la sensualité de la femme et donc rapatrier cette sensualité dans sa prison puritaine, qui n’est pas autre chose qu’une prison faite et garantie par les porcs ? En stigmatisant les fesses de Bardot, notre gentille cinéphile fait le jeu des porcs, les porcs du patriarcat qui corsètent la femme en public et la déchirent en privé. Pourquoi toujours et bêtement distinguer l’esprit de la femme de son corps ? La mère et la pute round 2018, la mère et la pute round à l’infini !
Le christianisme dominateur a fondé sa politique de mœurs sur cette distinction. Les promoteurs  du sexisme hurlant d’aujourd’hui prennent le relai de Saint-Augustin pour qui la femme n’est qu’une petite chose à disposition et l’homme son maître. Plaindre la femme, c’est la regarder de haut. La réduire à ses fesses, c’est la regarder de haut. La réduire à sa tête, c’est la regarder de haut. La réduire à sa race, c’est la regarder de haut. La force de l’homme, et surtout de l’homme blanc, c’est d’être irréductible. Impossible de le cantonner là ou là, de le coincer ; il est Tout et Tout à la fois. Va dire à Alain Delon qu’il n’est qu’un sex-symbol. Va dire à Mark Zuckerberg qu’il n’est qu’un petit crack en informatique. Ose dire de Napoléon qu’il n’était qu’un despote. Ose dire de Mick Jagger qu’il n’est qu’un petit Blanc qui se trémousse comme Chuck Berry. Tu trouveras des irréductibles.
La femme souffre avant toute chose d’écartèlement. On lui refuse d’être entière. Cet écartèlement, bien entendu, la fragilise. Alors aux hommes de demain, à nos garçons d’à présent, nous pouvons toujours chuchoter : « Distinguez-vous des porcs, garçons ! Et aimez la femme pleine et entière. Succombez au mambo, le mambo n’est pas sale. Succombez à l’esprit, l’esprit n’est pas tordu. Et redressez-vous.  
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Ewan Lobé, Jr.
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carnet-a1 · 7 years ago
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LA GUERRE... ENCORE
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Ma sœur et moi discutions l’autre jour de la disposition de l’enfant en bas âge à se croire le propriétaire du monde. Tout ce qu’il veut lui est dû. Il tire sur une corde qui n’est plus le cordon ombilical mais qu’il considère comme un lasso : cette corde s’appelle la bienveillance de ses parents. Le sens du partage lui échappe, le sens du timing lui échappe, le sens des priorités est clair : Moi d’abord.
Alors que je cherchais un fondement naturel à cette disposition de l’enfant, ma sœur prit le cheminement inverse, partant du principe que la nature n’a rien à voir dans cette affaire et que seule l’éducation y est pour quelque chose, notre éducation. « On élève nos enfants à être possessifs, à tout regarder comme un objet à prendre, humains inclus. C’est inconscient de notre part et c’est inscrit dans le langage. C’est ton papa, c’est ta maman, ce sont tes jouets, c’est ta chambre, c’est ta maîtresse, c’est ton école. Où est la limite du déterminant possessif ? Quand s’arrête la propriété ? » Il semblerait que ma sœur ait marqué un point. L’éducation seigneuriale par voie du langage. Nos mots nous dépassent et même nous possèdent. La question subsiste : « Quand s’arrête la propriété ? »
On peut répondre qu’elle s’arrête là où commence la propriété de l’Autre, le pré carré de l’Autre. Mais cela ne signifie rien pour le tout jeune enfant aux yeux duquel l’Autre, copain-cousin- voisin, n’est qu’une extension du monde très élastique de ses parents. L’au-delà n’existe pas ; tout se passe ici et maintenant. Tout circule ici et maintenant. L’universel dans un bavoir. Mais dans ce cas, comment l’enfant lui-même comprend-il les limites de la propriété et pour ainsi dire ses propres limites ? Quand est-ce que le dû prend fin ? Le dû prend fin quand la main s’avère trop courte pour le saisir ! La frustration d’être petit commence là, avec son lot de geignements et de larmes amères, quand la main est trop courte pour peser et contrôler. Grandir se fonde sur la frustration.
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L’adulte apprend à contrecœur qu’il doit se battre pour saisir ce qui n’est pas à portée de main, ce qui se trouve dans l’au-delà. Ses prérogatives d’enfant-roi tombent et se brisent quand elles ne sont pas déjà tombées et brisées dans l’enfance. Une guerre se déclare. Le déterminant possessif s’annule et doit se conquérir ou ne pas se conquérir. Ce déterminant devient l’objet de la guerre. Si grandir se fonde sur la frustration, mûrir se fonde sur la propulsion. La propulsion vers un Soi amélioré dans la guerre et par la guerre. Alors, qu’est-ce que la guerre ? Pas seulement le Vietnam, pas seulement Hiroshima, pas seulement Gaza ou Paris 1940. La guerre, c’est cette occasion bouleversante de balayer ses frontières personnelles en s’appuyant sur une force insoupçonnée, la sienne, et d’atteindre héroïquement son au-delà, l’au-delà de ce qui était connu, rassurant et à portée de main.
Cette guerre intime - pas l’autre, pas la guerre spectaculaire et crasse qui ne contente que les marchands d’armes et les médias - vaut toutes les paix de l’âme car la paix de l’âme est d’un ennui mortel pour qui n’a pas éprouvé ses forces au contact de l’adversité. L’adversité donne à l’adulte l’occasion de se réconcilier avec l’enfant qui se croyait le propriétaire du monde sans avoir rien fait pour mériter ce titre de gloire, sans avoir pu éprouver ses forces naissantes. En trois mots, l’adversité rend adulte, la guerre rend vivant.
La question de l’adversaire se pose, évidemment. Qui entrave mon chemin ? Comment le traiter ? Comment en tirer profit? Les pacifistes te diront qu’il ne faut surtout pas rivaliser avec les Autres. Une lutte noble est une lutte intérieure. La friction répugne aux pacifistes. Ils ne comprennent pas que se choisir un adversaire tangible, humain ou systémique, se choisir une cible extérieure à soi est purgatif. On ne peut pas se sauter dessus. Se lacérer de l’intérieur en maintenant le fantasme en cage ? Pourquoi ? Ouvre-lui la porte ! L’anéantissement de l’adversaire n’est pas le but escompté, non, non. La haine n’a pas sa place sur ce champ de bataille particulier. La rivalité n’est pas la haine, pas ici. L’adversaire nous tend le miroir de nos propres manquements, de nos propres trous et du chemin à parcourir pour saisir ce qui n’est plus à portée de notre main. L’adversaire est notre baromètre, notre thermomètre, notre échelle de valeurs. Comment le choisir ? Ne t’inquiète pas, il se présente souvent de lui-même, ce salaud utile.
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Il se présente sous les traits du sexiste, il se présente sous les traits du raciste, il se présente sous les traits du pollueur, sous les traits du cochon abusif au pantalon baissé sur les pattes, sous les traits d’une meute de lâches tombés sur les épaules d’un seul brave, sous les traits d’un dictateur, sous les traits d’une maladie, sous les traits de tous les haineux de tous les bords de toutes les contrées de la terre. Ne leur en veux pas, sil-te-plaît, et jouis de te battre ! Jouis de devoir tendre la main à t’en rompre les os du bras pour saisir ta dignité, saisir ta légitimité, saisir ton identité car on ne te donnera rien : attrape l’au-delà toi-même ! De la victime qu’on piétine au brave qu’on respecte, il n’y a qu’un pas. L’esprit de compétition, la guerre. Etre le propriétaire de son monde envers et contre tous s’il le faut, le beau, le doux rêve…
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L’idéal serait de se frotter à un adversaire élégant, histoire de se faire les dents sur le cuir de sa peau avant d’en découdre avec les vrais vilains. Delon avait Belmondo, Belmondo avait Delon pour dire : « sans moi, Jean-Paul n’aurait pas fait la même carrière et vice-versa. On s’est dépassé, on s’est fait des crocs-en-jambes, on s’est jeté des coups de coudes et finalement, au bout du marathon, qui va gagner ? On va passer la ligne main dans la main. » James Hunt avait Nikki Lauda, Nikki Lauda avait James Hunt. Les circuits de Formule 1 les plus dangereux du monde en tremblent encore. Miyamoto Musahi avait Sasaki Kojiro, Sasaki Kojiro avait Miyamoto Musashi. Le Japon des samouraïs cogne jusqu’à nous grâce à eux. Sartre avait Camus, Camus avait Sartre. La vaisselle du Café de Flore n’a pas cessé d’en vibrer, ni la vie intellectuelle gauloise. Coco Chanel avait Elsa Schiaparelli, Elsa Schiaparelli avait Coco Chanel. Dans leurs mains, la haute couture déclasse l’intérêt du strip-tease.
Ceux dont l’œil étroit ne distingue que la façade des mots esprit compétitif et rattache cette façade aux seuls cols blancs, aux hommes d’affaire véreux, aux rudes exploitants de la crédulité humaine, cigare au bec, Ferragamo aux pattes, ceux-là ne comprennent pas. Il y a la façade de l’esprit compétitif, il y a les vilains, les sociopathes qui vous écrasent à n’importe quel prix et ne surnagent que sur des cendres. Oui. L’entourage de la patineuse Tonya Harding prêt à briser les jambes de sa rivale à la barre de fer. Les autocrates et leurs chaleureux goulags ou chambres d’amis pour opposants. Le sénateur Brewster prêt à casser la réputation de l’aviateur milliardaire Howard Hughes pour des histoires de monopole aérien. Oui, ces loustics existent, c’est vrai. C’est la devanture de la boutique. Mais passe le seuil et tu verras que l’esprit compétitif est un cadeau, un baume pour le for intérieur. L’humain est voué à se dépasser corps et âme, il est fait pour se battre. C’est son destin s’il l’accepte. Stagnation, l’autre nom de la mort, nous séduit. En s’appuyant les uns sur les autres on s’en tiendrait mieux à l’écart. Le tout jeune enfant le comprend sans y réfléchir, lui ; il nous prend pour son échelle. Et c’est de bonne guerre.  
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