Lentement la musique s'échappe de nos yeux et nous essayons de recoller les images à l'aide de notes. Céleste voit le monde à travers ses livres, elle s'imagine que les heures passent comme on tourne les pages, et colle des lettres sur les murs sans affiche. Isaac, lui, lit les mots comme des images et ramasse la lumière à l'aide de son appareil photo.
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(Lille / France)
“ Mes souvenirs heureux, mes vraies racines s’accrochent à la ferme, comme des guirlandes à un arbre de Noël. Pourquoi ? Est-ce parce que j’y passais mes vacances et que le temps m’y appartenait plus que durant les périodes scolaires ? Est-ce à cause de l’espace sans limites ? À la ferme c’était l’Algérie, en ville c’était la France. Je préférais l’Algérie. J’aimais les vallonnements roux plantés de vigne, les allées d’eucalyptus, la végétation sauvage et pauvre de la forêt faite de pins rabougris, de lentisques, de genêts et d’arbousiers, le sol sec où poussaient des touffes de thym. Auprès de ces vastes espaces rigoureux la fertilité et la fantaisie des lieux irrigués m’étaient offertes comme une fête quotidienne. Sur les vignes et jusqu’à l’horizon flottait une odeur sage de terre aérée. Dans les jardins c’était la folie des narines du matin à la nuit: le jasmin, l’oranger, le figuier, le datura, le cyprès et, pour finir, après l’arrosage du soir, juste après que la terre a ouvert son coeur à la fraîcheur, le parfum subtil et joyeux des belles-de-nuit. Pareil pour les couleurs. Sur le fond ocre rouge des terres sérieuses de la culture s’alignaient le vert-noir des vignes et le vert-gris des oliviers, le beige des ceps et des troncs, sagement, sous le bleu uniforme et usé d’un ciel trop éclairé. Mais, près des bassins, c’étaient des incarnats, des jaunes, de l’indigo, du blanc, du rose vif, de l’orange, du violet, de l’émeraude, du turquoise, du saphir, de m’améthyste, du diamant. J’avais envie de danser là-dedans avec de petits grelots à mes pieds et à mes mains pour que tout le monde entende ma satisfaction.”
Les mots pour le dire, Marie Cardinal
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(Cuers / France)
“Je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir. Mon coeur battait le tempo, rapide, fort. Je me souviens d’un camélia en fleur, tout luisant, tout épanoui dans son bac de béton, au coin d’une rue, juste avant de m’engouffrer dans le tunnel des Facultés. La beauté de ces fleurs épaisses et vernissées ! Je courais, elles étaient déjà loin derrière et pourtant le coeur de l’une d’elles, que j’avais aperçu une fraction de seconde, restait avec moi, accompagnait ma cavalcade, aussi calme que j’étais agitée, aussi lisse que j’étais lacérée. Le tunnel était rassurant à cause de sa clarté, à cause du fait qu’il était un passage pratique dans la ville et que de nombreuses voitures l’empruntaient. Elles passaient en souplesse. Des piétons se hâtaient aussi sur ses trottoirs. À son extrémité une enseigne lumineuse brillait coquettement. Mais rien ne pouvait apaiser mon coeur et je courais toujours.”
Les mots pour le dire, Marie Cardinal
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(Londres / Angleterre)
« Pourquoi devant l’esquisse de La Danse de Matisse les larmes me sont venues, ce qui est absurde parce qu’on n’a pas à pleurer devant une peinture ? On pleure à l’opéra, c’est connu, c’est classique, mais devant un tableau, en général, l’émotion ne passe pas par là, elle est d’un autre type. En revanche, qu’est-ce qui fascine dans un tableau, qui fait que telle oeuvre plutôt que telle autre nous arrête et qu’on ne peut s’en détacher, ou que l’oeuvre vous « appelle », comme disait Roger de Piles ? En ce qui me concerne, car il n’y a bien sûr pas de règle générale, je dirais que c’est le sentiment que dans cette oeuvre-là il y a quelque chose qui pense, et qui pense sans mots. Je suis quelqu’un qui parle et qui écrit, ma pensée se fait avec des mots, elle se cherche, s’exprime, et une peinture pense de façon non verbale; et certaines peintures m’attirent, me fixe, m’arrêtent, me parlent comme si elles avaient quelque chose à me dire, or en fait elles ne disent rien, et c’est cette fascination-là, cette attente, qui m’arrête et le fixe. »
Histoires de peintures, Daniel Arasse
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(Lille/France)
“Il n’y a pas de honte à oublier le soir ce dont on se souviendra le matin; le soir est le moment de l’oubli, de la confusion, du désir tant chauffé qu’il devient vapeur.”
Dans la solitude des champs de coton, Bernard-Marie Koltès
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(Toulon/France)
"C'est cela qu'elles me montrent, quand elles sortent de l'eau, les vieilles femmes de la mer. Elles titubent sur les rochers, les bras un peu écartés, leurs corps luisants noirs gonflés au ventre et à la poitrine, elles n'ont plus la légèreté de l'eau, la jeunesse de l'eau, le vent les pousse, le ciel leur pèse, le soleil fait larmoyer leurs yeux. Elles s'essuient, elles se mouchent entre leurs doigts, elles crachent dans les flaques. Elles renversent sur une roche plate leur récolte de tourillons et d'ormeaux, les oursins, leurs mains ont les ongles cassés et noirs, la peau de leur cou est ridée comme celle des tortues. Elles ne parlent pas. Elles ôtent leur combinaison de caoutchouc, je les aide en tirant sur les manches, sans rire. Leur peau sent la mer, leurs cheveux gris sont frisés par l'humidité. Une fois j'ai dit: "Eh bien, on dirait que moi je suis née sous la mer, mes cheveux sont frisés naturellement". Puis elles rassemblent leurs affaires dans leurs poussettes, je crois que ce sont les mêmes poussettes dans lesquelles elles ont promené leurs filles quand elles étaient jeunes mamans. Elles s'en vont à la queue leu leu sur la route côtière, sans faire attention aux voitures des touristes, aux curieux qui s'arrêtent pour les prendre en photo. Elles retournent chez elles. Sur la terre, elles sont lourdes, maladroites, on dirait de vieilles mouettes engluées, mais moi je les trouve belles."
Tempête, J. M. G. Le Clezio
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(Isle-sur-la-Sorgue/France)
“Dites-moi donc, vierge mélancolique, en ce moment où grognent sourdement hommes et animaux, dites-moi la chose que vous désirez et que je peux vous fournir, et je vous la fournirai doucement, presque respectueusement, peut-être avec affection; puis, après avoir comblé les creux et aplani les monts qui sont en nous, nous nous éloignerons l’un de l’autre, en équilibre sur le mince et plat fil de notre latitude, satisfaits au milieu des hommes et des animaux insatisfaits d’être hommes et insatisfaits d’être animaux; mais ne me demandez pas de deviner votre désir; je serais obligé d’énumérer tout ce que je possède pour satisfaire ceux qui passent devant moi depuis le temps que je suis ici, et le temps qui serait nécessaire à cette énumération dessécherait mon coeur et fatiguerait sans doute votre espoir.”
Dans la solitude des champs de coton, Bernard-Marie Koltès
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(Avignon/France)
“Je la regardais, elle s’était laissée tomber à plat ventre sur le lit au milieu de ses robes qui s’étaient fanées sous le poids de son corps et dégringolait sur le sol en cascades paresseuses de tissus affaissés, et elle pleurait, mon amour, le visage enfoui dans un volant de robe qui se mêlait à ses cheveux. Son père était mort quelques mois plus tôt, et tant de larmes se mêlaient maintenant dans son coeur, qui coulaient depuis des semaines dans le cours tumultueux de nos vies, des larmes de tristesse et d’amour, de deuil et d’étonnement. Autour d’elle, toutes ces robes paraissaient en représentation dans la chambre, raides et immobiles dans leurs housses translucides, parées, altières, décolletées, séductrices et colorées, amarante, incarnadines, pendues aux battants des armoires ou à des cintres de fortune, alignées sur les deux portants de voyages qu’elle avait dépliés dans la chambre d’hôtel comme dans une loge de théâtre improvisée, ou simplement déposées avec soin sur des chaises, sur les bras des fauteuils.”
Faire l’amour, Jean-Philippe Toussaint
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(Avignon/France)
“Lucie avait seize ans. C’était une flamme, un éclat, un éclair comme celui qui vient de rayer le ciel blanc au-dessus de la pelouse, les longs cheveux, comme maintenant, en désordre sur les épaules. Elle entre en coup de vent chez l’amie de Jean-Marc. “Ca y est, cria-t-elle, c’est fait, je me marie avec mon curé.” Elle venait, la folle, d’être demandée en mariage par un pasteur anglican qu’elle avait connu au Jardin des Plantes, où elle promenait sa petite soeur; il lui avait parlé sous le cèdre de Linné.”
La fête, Roger Vailland
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(Toulon/ France)
“Un regard de myope, pense Duc. Ce que j’ai nommé méfiance n’est qu’un effet de la myopie. Ce n’est pas contradictoire: myopes, mal accommodés de la vue, à la vie, avançant à tâtons en trébuchant, myopes tendres et obstinés, yeux des myopes, quand ils sont inondés de larmes, tendus en avant du visage, comme les voiles des naufragés, pathétique appel. Mes parents, mes grands-parents étaient myopes, moi pas, c’est que je suis le premier de la famille à avoir cru à la chance, à m’être laissé aller à chance-que-veux-tu.”
La fête, Roger Vailland
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(Avignon/France)
“La contradiction entre une voix et des pensées enfantines, des traits et une démarche de femme, voilà qui fascine Duc, au même titre que la métamorphose qui de la larve fait un insecte parfait. La chrysalide, la texture et la tessure du cocon, le sommeil de la nymphe, le passage du cartilage à l’antenne, de l’anneau mou à l’aile cassante, il se réjouit de saisir là un des noeuds du réel. Il s’émeut un instant à la pensée de Lucie, pas tout à fait sortie du cocon, accomplissant à tâtons son premier vol, avec encore des soies accrochées aux facettes de ses yeux, se cognant à chaque objet dans son inventaire pathétique du monde.”
La fête, Roger Vailland
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Ces beaux et grands navires, imperceptiblement balancés sur les eaux tranquilles, ces robustes navires, à l'air désoeuvré et nostalgique, ne nous disent-ils pas dans une langue muette: Quand partons-nous pour le bonheur ?
Fusées, Charles Baudelaire
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(Saint-Paul-de-Vence / France)
“J’ai erré. J’ai nourri beaucoup de rêves; j’ai connu Les hommes, et les choses qui existent à présent. J’ai vu d’autre chemins, d’autres cultures, d’autres villes. On passe et tout cela est passé.”
Tête d’Or, Paul Caudel
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(Saint-Paul-de-Vence / France)
“ L’idée du perfectionnement moral est un leurre, non pas destiné à l’amélioration de l’humanité, mais à la faire régresser plus allègrement vers cet état de barbarie auquel elle aspire de tout son coeur, quoiqu’elle n’en sache rien.”
Une rumeur d’éléphant, Alain Gerber
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(Avignon/France)
(Hyères/France)
“Çà et là, un rayon de lune glissait, mettant sur l’eau une traînée d’étain fondu qui luisait et s’agitait, comme un reflet de jour sur les écailles d’une bête vivante. Ces lueurs couraient avec un charme mystérieux le long de la coulée grisâtre du torrent, entre les fantômes vagues des feuillages. On eût dit une vallée enchantée, une merveilleuse retraite où vivait d’une vie étrange tout un peuple d’ombres et de clartés.”
La Fortune des Rougon, Émile Zola
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“Mais ce peu de lumière attira Victor-Flandrin; il se leva enfin de la pierre où il commençait à s’engourdir et marcha vers elle comme si ce pauvre bout de clarté pouvait lui offrir un plus sûr asile. Deux autres lueurs perçaient la nuit. Il les découvrit alors qu’ils s’avançaient vers le halo de lune; elles se tenaient assez loin encore, mais il put les distinguer grâce à la tache d’or qui donnait à son oeil gauche une vision de chat. C’étaient deux minces traits obliques d’un jaune étincelant qui semblaient le fixer. Il ralentit son pas, et son coeur également se mit à ralentir. L’autre émergea enfin de la pénombre mais ne se dirigea pas directement sur Victor-Flandrin; il se mit à longer la bordure de la clairière sans le quitter des yeux.”
Le Livre des Nuits, Sylvie Germain
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(Avignon/France)
“Quand la harpe était rentrée dans sa housse et les violons emportés dans leur étui sous le bras de leurs possesseurs, Madame, seule dans la salle vide, s’approchait rêveusement d’un miroir, remontait une boucle ou réarrangeait son tour de gorge; avant de refermer le clavecin, elle posait parfois un doigt distrait sur une touche. Ce son unique tombait comme une perle ou comme un pleur. Plein, détaché, tout simple, naturel comme celui d’une goutte d’eau solitaire qui choit, il était plus beau que tous les autres sons.”
Un homme obscur, Marguerite Yourcenar
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(Le Pradet/ France)
“Fleurs, oiseaux, fruits, c’est vrai, je les ai conviés, je les ai vus, montrés, j’ai dit: “c’est la fragilité même qui est la force”, facile à dire ! et trop facile de jongler avec le poids des choses une fois changées en mots ! On bâtissait le char d’Élie avec des graines légères, des souffles, des lueurs, on prétendait se vêtir d’air comme les oiseaux et les saints..
Frêles signes, maison de brume ou d’étincelles, jeunesse... puis les portes se ferment en grinçant l’une après l’autre. “
On ne vit pas longtemps comme les oiseaux, Philippe Jaccottet
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(Metz/ France)
“J’aurais préféré que vous écriviez la dédicace sur la page de garde et pas sur un bristol par excès de politesse. Mais le libraire a parlé en vous tous: vous avez craint de faire perdre de sa valeur au livre. Cela lui en aurait fait gagner aux yeux de son actuelle propriétaire (et peut-être d’un propriétaire futur. J’adore les dédicaces sur les pages de garde et les notes dans les marges, j’aime ce sentiment de camaraderie qu’on éprouve à tourner les pages que quelqu’un d’autre a déjà tournées, à lire les passages sur lesquels quelqu’un, disparu depuis longtemps, attire mon attention.) “
84, Charing Cross Road, Helene Hanff
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