Tumgik
circumdatanocte · 4 years
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Chapitre I.
“Mon grand-père était ce vieux Tristan de Mauprat qui mangea sa fortune, déshonora son nom, et fut si méchant que sa mémoire est déjà entourée de merveilleux.”
“La branche cadette n’existait plus, lorsque je vins au monde, que dans la personne de M. Hubert de Mauprat, qu’on appelait le chevalier parce qu’il était dans l’ordre de Malte, et qui était aussi bon que son cousin l’était peu. [...] Il eut une fille, et là dut finir son espoir de postérité ; car sa femme mourut peu de temps après, d’une maladie violente que les médecins appelèrent colique de miserere.”
“C’était un homme sage et juste, parce qu’il était éclairé, parce que son père n’avait pas repoussé l’esprit de son siècle et lui avait fait donner de l’éducation.”
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circumdatanocte · 4 years
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sonnets, pier paolo pasolini
“[1]
 “Quelle est l’heureuse idée qui me réveille ?”
“L’idée qui m’a réveillé, miraculeuse comme la rosée, / Est de savoir exactement comment et où je pourrais me tuer : / Exactement, Seigneur, en me pendant à un arbre du jardin”
[2]
“Si quelqu’un / Me voyait quand je suis seul, il aurait de quoi s’inquiéter”
“Hé oui, mon Seigneur, je suis une loque ; / C’est à cet état que votre amour m’a légèrement réduit.”
“Recommencez à vivre... Mais comment, dites-moi un peu, comment ?”
[3]
“Je serais capable de n’importe quelle bassesse, jusqu’à me faire / Espion, fasciste ou sacristain”
“Qu’est-ce qui me calme ? Quelques petites et logiques illusions.”
[4]
“Si je la voyais broyée et crucifiée / Je n’en éprouverais aucun chagrin - rien -”
“Pourquoi est-elle née, / Mon Seigneur, cette fille, sinon pour précipiter / Ma vie dans un désespoir auquel rien ne me préparait ?”
“Elle a la stupidité du destin qui ne sait donner / Que des cousp aveugles.”
[5]
“Elle a duré huit ans, ce n’est pas rien. / Désormais la mort règne en vous, en moi la folie, toute cette joie.”
[6]
“Pleurez, pleurez donc [...] / De toute façon, l’air séchera vite ces pleurs”
“Je ne vous reproche ni vos rires, ni vos pleurs ; mais je brigue / Le plaisir, du moins un peu consolateur, / De vous procurer de la souffrance”
“Vous êtes celui qu’on désire, / Et celui qui désire n’a qu’à perdre la tête”
“Je le veux, comme un enfant. Ah, que dis-je ! Insensé ! / Tout cela est fini, il ne reste que des braises.”
[7]
“C’est une gamine, voilà tout”
“Mais en réalité tout est perdu et je continue de rêver.”
[8]
“Mon Seigneur, c’est clair, je laisserais quelque chose par écrit”
“Ce sont des petits bourgeois : la fatale / Stupidité lui couvre le visage comme un fard noir.”
[9]
“Oui, Mon Seigneur, ce que j’ai le plus désiré / A toujours été la solitude ; / Eh bien, direz-vous, te voici satisfait.”
“Il ne reste que la terreur de son éclipse.”
“Qui il y a huit ans a vécu / En désirant la solitude, s’agrippe maintenant à vos basques.”
[10]
“Vous retrouvez le rire / Qui renverse toute chose. Il vous va comme un gant / A vous.”
“L’époque céleste / Se termine, et ce n’est que pour la victime / Que prend un sens le lendemain insouciant du tueur.”
[11]
“ - à présent je maudis / Le jour où je vous ai rencontré / Après l’avoir tant béni”
“Leurré / Par l’innocence ! Stupidement trompé / Par la grâce ! L’innocence et la grâce, je l’ai appris, / N’excluent pas la cruauté. Ami / Rien qu’un ami, tel vous me voulez”
“Me vouloir pour ami est donc / Ne pas vouloir de moi.”
[12]
[13]
“Peut-être sommes-nous deux connaissances qui se reconnaissent. / Savoir qu’on a été... heureux / Ne surprend pas. Et il est d’ailleurs si tard / Qu’on se quitte sur-le-champ.”
“Quand désormais tout est redevenu comme au temps où / Je ne vous connaissais pas ; je veux me terrer comme un rat”
[14]
[15]
“Moi qui suis pauvre humain / Impliqué en tout, prosaïque, qui rit /  Mal, et ne sait pas ne pas pleurer, je vous ai tenu par la main / Pendant huit ans, compagnon qui dès que vous m’avez vu / M’avez accepté, mais comme toujours de loin.”
[16]
“la fierté / De vous avoir près de moi, par une loyauté / Établie pour moi sur cette terre ! Je ne prévoyais pas / De changements.”
“Chaque fois que je vois le sourire qui léger / Dévalorise toute chose au monde, je crie au secours, / Il n’est plus à moi - je me fiche d’être futé ou pas.”
[17]
“Mon Seigneur garnement, rien au monde / Ne ressemble au rire qui brille dans vos yeux, / Quand vous le voulez : d’ailleurs je ne réponds / Plus de rien, inutile que je lutte / Contre la destruction que vous opérez au fond de la réalité.”
“Mais maintenant votre allègre / Façon de tout discréditer n’a plus / D’échappatoires dans mon âme tourmentée. / Je le contemple avec la mélancolie qu’éprouve / Celui qui sait qu’il n’y aura pas de retour.”
“Le bonheur concerne un autre jour.”
[18]
“Du reste / L’amour est de toute façon en conjonction / Avec la mort, il n’y a aucun doute là-dessus.”
“Vous me rendez la vie, et vous vous en allez. / Mais qu’ai-je à faire de la vie ?”
[19]
“Sentimental, formaliste, régressant / A une langue du passé, tel je suis”
“La chatte, c’est elle qui l’a : elle n’a rien de pluis / A faire qu’à être là : cette certitude / Est d’ailleurs la première arme du Serpent.”
[20]
“Ecoutez, Seigneur, cette histoire estivale.”
“Ils se prirent tous les deux par le bras : et le voyage / De la vie commença. Plus qu’heureux / Le garçon était festif ; et, de surcroît, sage.”
“Ils semblaient aller dans des lieux amicaux ; / Il n’en était rien ; le garçon abandonna gaiement l’homme / Près d’une tombe, dans le silence sauvage.”
[21]
“Pas amour, mais thétis”
“L’obsédée thétis, thétis, qui se répète”
“nous / Ne nous touchons pas comme des amants ; non, tout au plus / Nous nous embrassons en luttant pour rire et je te caresse”
“ce n’est que de l’amitié , et toi, / L’innocent, tu cèdes si peu de toi et à un tel prix.”
[22]
“tu savais que tu ne viendrais pas / Dîner”
“Lointain, mon compagnon unique, et hostile / A toute nouveauté”
“- puis tu sais étrangement te dérober, / Avare de la grande grâce de donner à laquelle tu te prêtes.”
“Tu as décidé, Dieu sait comment, Dieu sait quand, / De me voir presque officiellement / Selon certaines habitudes désormais précises.”
“Je suis ton plus grand ami, si l’on s’en tient / Aux faits ; et pourtant autour de toi, il y a le néant ; / La seule chose qui reste est ta présence physique.”
[23]
“Là où vous riez, je le sais, le monde est détruit, / Mais y aurait-il quelque partie du monde, mon jeune / Seigneur, qu’en riant vous ne détruisiez pas ?”
“Et moi, stupide, je n’en ai jamais tiré de présage.”
[24]
“Une philosophie qui dit de ne croire en rien : / Ainsi n’avez vous pas cru en la stabilité du destin / Que je vous promettais”
“Vous avez été près de moi / Avec un grand pessimisme dans l’avenir, mais rieur”
“car le puissant / On le sait, est inconnaissable.”
“A son éventuelle volte-face, vous vous en irez, comme / Vous êtes venu.”
[25]
“Ah, Seigneur jovial, / Votre jovialité est vraie, elle n’imite pas / Des chemins tout tracés”
Si ma vie / Est lasse, la vôtre ne le sera pas. Pourquoi alors / Est-ce que je compte sur vous pour ma vieillesse ? / Vous (cruellement) vous ne voulez rien / En savoir.”
“Et moi, terrorisé, j’élève mes lamentations / [...] Je maudis le rire sans lequel pourtant je ne vivrais pas.”
[26]
“En rêve, à Eforie, je vous demandais de me tuer”
“plébien et solide, / Mais si enfantin, si drôlement sur la défensive, / Si têtu et invincible, si délibérément muet, / Avec des yeux en forme de demi-lune, les joues pleines, / Les boucles plus touffues que jamais : et le tout inexprimable”
“Il est possédé par un Dieu qui ne laisse aucun espoir.”
[27]
“Autorité ? Ah, ah ! J’ai perdu mes vieilles / Idées politiques et je n’en ai pas de nouvelles”
“Tu ne me verras pas assis dans l’assistance / Mais au banc des accusés.”
[28]
“Richesse ? Ah, ah !”
“A sa chatte j’oppose donc quelques pitoyables millions.”
[29]
“Je suis une loque, qui devra / Retrouver son orgueil, d’une manière ou d’une autre”
“On dit qu’on déteste / Celui à qui on a fait du mal. Cela vaudra / Peut-être aussi pour vous”
[30]
“Je construis sur vous quelqu’un / Qui à mesure vous ressemble de moins en moins”
“je suis plein / De mots qui vous contemplent”
“Maintenant que je vous perds, mes tourments / Vous entraînent devant ceux auxquels l’obsession / Joue une scène qui vous blesse.”
[31]
“Vous, volubile / Comme est ailé l’oiseau et aquatique le poisson, / Vous êtes aussi immuable ; et vous n’oubliez rien. / Sans jamais l’avouer bien sûr, car c’est la science des pauvres.”
[32]
[33]
“Derrière vous reste la vie que vous n’avez pas vécue. / Et pourtant vous n’avez jamais donné signe du moindre regret”
[34]
“Vous êtes intact / De toute corruption, Vous. Et puis tout vous console aussitôt.”
“ce qui se produira plus tard / Ne vous importe pas. Je le sais bien, moi qui suis en train d’en mourir.”
[35]
“Oui, il semblerait que vous ayez suivi / Un destin nouveau : mais l’ancien, derrière celui / Qui le laissait, ne s’était pas épuisé.”
“Vous, mon Seigneur ennemi, / Vous vous êtes senti inadapté, mais sans jamais / Le faire transparaître dans votre rire”
[36]
“Pourquoi, je me demande, par quelle peur / Ou terreur d’infériorité, pour quelle mystérieuse / Occasion, avez-vous accepté avec une aussi pure / Bonne volonté et immuable détermination / Le destin que l’Ange de la Vie Obscure / Vous a annoncé, sans rien vous cacher ?”
[37]
“Avec les mêmes yeux qui se marrent”
[38]
“Ce fut une union que rien n’a consacré.”
[39]
“Votre place était à mes côtés”
“Vous êtes distant / De moi, à cause d’un amour paraît-il. Je vous ai donné / Tout pouvoir sur mon existence”
“Vous ne savez qu’en faire : et moi je suis sans / Aucun droit, dans l’union civile, / A prétendre que vous ne me causiez pas de souffrance.”
[40]
“Je suis incroyablement enfantin, comme vous le voyez, / Mais totalement dépourvu de fraîcheur”
“Dans cette anxiété qui n’a même plus d’objet, / Se trouve aussi l’orgueil de vous avoir eu auprès / De moi, comme un cadeau des Dieux. Vous ne l’êtes pas / Et ne voulez même plus l’être, si peu que ce soit.”
[41]
“Maintenant par ces surnoms, et même Ninetto, / Je ne sais même plus vous appeler : je ne sais vous toucher”
“Nous sommes deux amis, l’un qui n’est plus gosse / L’autre encore assez jeune. / Cette pensée a failli me tuer” 
[42]
“Il n’y a plus, au monde, que votre rire. / Il était tout pour un homme. / Sans lui, votre visage était presque difforme.”
“Il me semble séparé / Du monde, ne m’appartenant plus, au nom / De cet amour qui s’instaura de lui-même, invisible à tous”
“C’était une chose / Unique et précieuse que votre rire : / Que de fois je me suis dit qu’il était beau.”
“En me tournant vers vous, je n’ai pas vu / Toutefois que vous aussi vous n’étiez qu’un frère.”
[43]
“Vous ne me donnez plus de gaieté, et vous me serrez plutôt / Le coeur”
“vous dites / Par exemple, “Elle est entrée en moi”. / Je devrais l’accepter.”
“Mais avec elle en vous, vous n’êtes plus ici.”
“Vous me téléphonez, de cet endroit lointain / Qui pendant tant d’années a été le nôtre, / De votre voix joyeuse, qui semblait fixer / La vie.”
[44]
“Je ne peux plus [...] / vous obliger / A  choisir : ou elle ou moi. En effet, désormais / Vous avez choisi. Je sens une pitié inexplicable / Pour votre nouvelle vie”
[46] 
“Je pense à vous et je me dis : “je l’ai perdu” / - Avec une douleur que je pourrais exprimer en mourant, / Pas autrement.”
“moi pédant, vous léger”
“Mais vous connaître a tout / Changé : et si je vous perds, ça veut dire / Que je me retrouve, sans vie, au point où j’en étais.”
[47]
“Les chairs lourdes de Ninetto / Avec les demi-cercles de ses yeux, / Toutes ces boucles, pour qui chaque chose / Est une distraction, comme pour un chien qui n’est plus un chiot / Maintenant tout est manque de bonheur / Et voué à la résignation.”
[48]
“En fait, mon compagnon / Je suis tout plein d’un secret”
“Quand vous le saurez, / Ca vous fera un coup, mais il serait étrange / Que vous souffriez longtemps : vous l’oublierez / Aussitôt... Et ça me blesse déjà / Et réattise ma souffrance ! / Maudit / Qui se résigne, comme vous, comme la réalité, / Qu’on n’achète pas et qu’on ne vend pas”
[49]
“Est restée en moi latente l’idée du retour / Du mal incurable que votre / Conduite me cause, certes sans commettre de faute.”
“Et je pleurais, je pleurais avec l’alacrité / Avec laquelle jaillit l’eau d’un robinet laissé / Ouvert, hors d’un tuyeau sale et rouillé.”
[52]
“Et voici que se chevauchent les paroles qui apportent / Rieuses les nouvelles qui rassemblent les amis. / Nous parlons de tout le monde, rapidement, mais pas d’une certaine chose. / Cette chose est une ombre.”
[54]
“Chacun de nous retourne dans la région / Du cosmos d’où il a commencé son trajet. / Deux oiseaux mâles n’ont pas entre eux de devoirs / Qui leur assurent la paix avec le monde. / Avec votre oiselle vous vivez dans l’épais / Mystère de cette paix”
[55]
“Et puis il se trouve que l’avenir n’eut / Qu’un sens, en vous.”
“je dis / Cela parce que je ne sais pas me dépouiller / De vous, maintenant que plus rien ne compte.”
[56]
“Il est encore incertain / Que les choses soient comme je le crois. Mais l’âme / Nous précède. Elle, pendant que je vous cherche, / Se souvient déjà de vous : le rire de Ninetto / Résonne”
“Mais ce n’est plus un de ces soirs / Où m’téiat proche, comme pour l’éternité, sa chair.”
[57] 
“Vous êtes venu pour me faire connaître / Des choses que je ne connaissais pas : mais l’ange / S’en va comme il est venu. Du reste aucun savoir / Ne sert à rien. Votre joie a suspendu mon angoisse : / Mais j’ai toujours su que je devrais ensuite la regretter.”
[58]
“Vous, pauvre gosse, vous avez vécu / A mes côtés. Vous appeliez d’ailleurs nôtre ce que je possédais”
[59]
“J’en suis atrocement blessé. Je n’ai donc pas recueilli les fruits / De vos leçons. Nous sommes restés / Les mêmes. Mais il me reste au coeur / Votre rire qui n’est rien d’autre qu’un rire [...] qui ne vaut que pour qui doit mourir”
[60]
“Quelqu’un m’a baptisé dans mon enfance / Ce fut un Geste, je le sais, privé de sens”
“Vous qui prenez le monde comme il vient, jusqu’à / Sembler sans coeur, vous portez innocemment / En vous le pacte avec la vie”
[61]
“En brave héros, j’ai ri des choses humaines / Que j’appelais avec raison, du reste / Bourgeoises : une fidélité conjugale / Etait le comble de mon juste mépris.”
“je sens avec terreur que rien n’a béni / Notre union ni ne nous a fait jurer / Quelque pacte réciproque” 
“On ne peut prétendre à rien : / Et prétendre à quelque chose est la seule chose qui reste / Pour qui est abandonné, même si c’est misérable.”
“J’en suis réduit à envier, de manière déchirante, / Les liens dont la réalité se manifeste, / Même si elle n’a plus de sens, par une stupide petite bague.”
[62]
“Le nôtre nous ne nous sommes jamais dit / Parce qu’il n’a pas de nom. Ainsi l’angoisse / De sa fin n’a de sens que pour moi-même.”
[63]
“Du mien ne restent en revanche que les obscures / Raison pour lesquelles il est né - / Il n’eut aucune bénédiction.”
[64]
“Un jour de ces années révolues”
“et en tentant de garder votre sérieux, vous mettiez / Les mains en croix sur votre poitrine (mais un rire / Vous échappait bien vite). Et c’était vrai, / Que vous vouliez cela, comme un gamin / Qui n’avait d’autre compagnie au monde.”
“Le pensée / Que dans la tombe vous voudriez rester près / D’une autre personne me pousse à la folie.”
[65]
“Comme on espère toujours que ses propres pleurs / Serviront à quelque chose !”
“Votre décision est irrévocable, parce que réelle”
[66]
“Le café au lait à la main, avec un appétit matinal”
[67]
“Mieux vaut que je vous dise maintenant / Qu’on ne se voie plus jamais, comme ça se passe / Entre ceux qui s’aiment, quand est arrivé le moment / Où la vie abandonne ses proies.”
“Je ne veux pas que vous ayez / De moi l’image d’un vieux désespéré / Dont l’unique manière de vous avoir est de vous tourmenter.”
[68]
“Quand vous êtes près de moi je suis malheureux - / En votre présence je suis comme fou - / Ma douleur est meurtrière et suicidaire, / Et visiblement je vous le reproche -”
“une étreinte / Pour rire, une caresse sur vos boucles / Est inconcevable”
“Je préférerais peut-être penser / Que vous n’êtes plus de ce monde”
[69]
“Je souffre moins par vous. Peut-être que la vérité / Est que je vous voudrais plus que loin, beaucoup / Plus que loin. Pourquoi ? Je suis fatigué d’être là - / Dans le mécanisme d’un destin.-”
“J’ai besoin d’un grand et total changement - / J’en transfère l’angoisse sur vous - / Et, de fait, vous avez tout inversé en moi : / Vous qui me procuriez de la joie, vous me tourmentez” 
[70]
“Tout ce que vous faisiez - et faites - / Me serre le coeur : vous avez réagi / Avec un joyeux détachement à ce que je vous ai donné”
“Vous, vous, si joyeux, / Vous, la joie en personne”
[71]
“Ainsi as-tu vu mes larmes... Les plus tristes, / Cependant, comme ce sperme, dont ne reste / Rien”
[72]
“Cette réalité veut seulement que je meure. / Et je ne meurs pas, comme quelqu’un qui aurait la nausée / Mais ne vomirait pas.”
“Aussi vaut-il mieux que vous soyez loin. / Au lieu de mourir, j’écris sur vous, / Ainsi pourrai-je conserver intacte l’interprétation / De votre façon d’être humain / Qui a été au monde ma seule joie.”
[73]
“Après avoir tant pleuré, en cachette et face / A vous, après avoir mis en scène tant de gestes / De désespoir, après avoir pris mille fois / La décision définitive de vous quitter / Et de ne plus vous voir, j’ai fini, comme font les fous / Par laisser couler l’eau de la source / De leur mal et de leur bien”
“Guidé par un génie qui vous donne des certitudes dont vous êtes transfigurer, vous savez / AU moment juste, malgré mes arguments, / Opposer votre non”
[74]
“Mystérieux comme un chien, vous me présentez / Quand bon vous semble, vos / Yeux heureux, et ensuite vous vous en allez / Tel que vous êtes venu : il est inutile que je vous montre / Ou pas mon attitude désespérée : / Votre décision coûte que coûte, / Est prise”
“Vous êtes appelé ailleurs, dans ces endroits / Que votre destin vous a assignés”
“la réalité a tellement changé / Que c’est comme si rien n’avait été.”
[75]
“Et vous me le dites brutalement, avec des yeux dont tout rire a disparu.”
“Puis vous me demandez où “je” vais dîner, / Signe que vous ne m’accompagnez pas”
“Et vous repartez, en ennemi”
[76]
“Devant mes yeux un Ninetto que je n’ai jamais vu / Décidé à n’avoir pas de pitié, à faire / Tout ce que veut une impatience à faire le mal, que je ne comprends pas”
“Certes, vous me sentez coupable de limiter / Votre vie, que maintenant, de surcroît, j’attriste / Par mes obsessions, et vous avez fini par détester / Celui qui a prétendu à votre amour.”
“Vous vous sentez coupable envers moi, sachant que vous me donnez tant de douleur, fût-elle incompréhensible. / On déteste celui qui est la cause du remords”
[77]
“Je me moque de vous pour la misère petite-bourgeoise / Que votre amour vous désigne et vous fait recouvrir”
“Et ses possibilités, quoique misérables, / Sont tout ce que vous pouvez. La partie / De vous qui a été la mienne, vous l’abandonnez / Ah, quel gamin vous avez été pour moi, combien vous avez ri !”
[78]
“Façon de vivre ensemble sans amen social / Sans bénédictions, ou alors... Même si ce n’est pas le néant / Quelque chose est fini, et doit pourtant recommencer.”
“Je vous vois lointain, comme si vous étiez devenu un étranger. / Et peut-être l’avez-vous toujours été.”
[79]
“Je pense : il en a assez de notre relation, / Qui a perdu pour lui toute nouveauté”
“il se retire / Comme d’une vieille chose”
[80]
“L’idée de Ninetto, quand elle me revenait, / (C’est-à-dire cent fois par jour)”
“Or l’idée de Ninetto me revient / Comme la figure d’un rêve fou ; / Comme un animal qui s’enfuit de sa meute”
[81]
“Quelle bêtise de pleurer”
“Ainsi ai-je accepté tout ce qui semble / Être sa vie - Je l’ai revu. Il rit / Comme toujours, et le changement est celui qui est fatal.”
“A mon envie innocente de mourir ou de tuer / Succède une tendance incurable à soupirer”
“Je regarde son visage qui, ainsi éteint , n’est pas beau ; / Il en est :même presque laid.”
[82]
“On dirait que c’était il y a un siècle et ce n’était qu’en mai”
“et tu as eu le courage / De te présenter à moi comme devenu / Un autre, désormais destiné à un autre voyage”
“C’était la vérité / Mais celle qui tue celui qui l’apprend / Car il en est exclu”
“Mais c’est cela qui angoisse / Celui qui n’a jamais donné son sperme à une fille.”
[83]
“Le fait est que lentement l’univers / A bougé sous mes pieds, voilà la vérité. / Devant moi s’est ouverte la solitude / Et tu as été placé dans un endroit différent, / Désormais inaccessible : alors que seul un peu de pitié / Peut réconforter un vieillard.”
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circumdatanocte · 4 years
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art poétique, nicolas boileau (1701)
Chant I 
C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur / Pense de l’art des vers atteindre la hauteur : / S’il ne sent point du ciel l’influence secrète, / Si son astre en naissant ne l’a formé poète, / Dans son génie étroit il est toujours captif : / Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.”
“Craignez d’un vain plaisir les trompeuses amorces, / Et consultez longtemps votre esprit et vos forces.”
“Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s’aime / Méconnaît son génie et s’ignore soi-même.”
“Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant, ou sublime, / Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime : / L’un l’autre vainement ils semblent se haïr ; / La rime n’est qu’une esclave, et ne doit qu’obéir.”
“Aimez donc la raison ; que toujours vos écrits / Empruntent d’elle seule et leur luxe et leur prix.”
“Ils croiraient s’abaisser, dans leurs vers monstrueux, / S’ils pensaient ce qu’un autre a pu penser comme eux.”
“Tout doit tendre au bon sens : mais, pour y parvenir, / Le chemin est glissant et pénible à tenir : / Pour peu qu’on s’en écarte aussitôt on se noie. / La raison pour marcher n’a souvent qu’une voie.”
“Fuyez de ces auteurs l’abondance stérile, / Et ne vous chargez point d’un détail inutile. / Tout ce qu’on dit de trop est fade et rebutant ; / L’esprit rassasié le rejette à l’instant. / Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire. / Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire.”
“J’évite d’être long, et je deviens obscur”
“Voulez-vous du public mériter les amours, / Sans cesse en écrivant variez vos discours. / Un style trop égal et toujours uniforme / En vain brille à nos yeux, il faut qu’il nous endorme. / On lit peu ces auteurs, nés pour nous ennuyer, / Qui toujours sur un ton semblent psalmodier. / Heureux qui, dans ses vers, sait d’une voix légère / Passer du grave au doux, du plaisant au sévère !”
“Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse / [...] Au mépris du bon sens, le burlesque effronté / Trompa les yeux d’abord, plut par sa nouveauté : / On ne vit plus en vers que pointes triviales ; / Le Parnasse parla le langage des halles”
“Le plus mauvais plaisant eut des approbateurs”
“Que ce style ne souille jamais votre ouvrage. / Imitons de Marot l’élégant badinage, / Et laissons le burlesque aux plaisants du Pont-Neuf.”
“Prenez mieux votre ton. Soyez simple avec art, / Sublime sans orgueil, agréable sans fard. / N’offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire. / Ayez pour la cadence une oreille sévère : / Que toujours dans vos vers le sens coupant les mots, / Suspende l’hémistiche, en marque le repos. / Gardez qu’une voyelle à courir trop hâtée / Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée. / Il est un heureux choix de mots harmonieux. / Fuyez des mauvais sons les concours odieux : / Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée / Ne peut plaire à l’esprit quand l’oreille est blessée.”
“Enfin Malherbe vint, et le premier en France, / Fit sentir dans les vers une juste cadence, / D’un mot mis à sa place enseigna le pouvoir, / Et réduisit la muse aux règles du devoir. / Par ce sage écrivain la langue réparée / N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée.”
“Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber”
“Tout reconnut ses lois ; et ce guide fidèle / Aux auteurs de ce temps sert encore de modèle. / Marchez donc sur ses pas ; aimez sa pureté, / Et de son tour heureux imitez la clarté.”
“Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre, / Mon esprit aussitôt commence à se détendre, / Et, de vos vains discours prompt à se détacher, / Ne suit point un auteur qu’il faut toujours chercher.”
“Avant donc que d’écrire, apprenez à penser. / Selon que votre idée est plus ou moins obscure, / L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure. / Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, / Et les mots pour le dire arrivent aisément.”
“Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin, / Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain. / Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse / Et ne vous piquer point d’une folle vitesse”
“J’aime mieux un ruisseau [...] / Qu’un torrent débordé [...]”
“Hâtez vous lentement ; et, sans perdre courage / Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : / Polissez-le sans cesse et repolissez ; / Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.”
“Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ; / Que le début, la fin, répondent au milieu ; / Que d’un art délicat les pièces assorties / N’y forment qu’un seul tout de diverses parties”
“Craignez-vous pour vos vers la censure publique ? / Soyez à vous-mêmes un sévère critique. / L’ignorance est toujours prête à s’admirer. / Faites-vous des amis prompts à vous censurer. / Qu’ils soient de vos écrits les confidents sincères, / Et de tous vos défauts les zélés adversaires.”
“Mais sachez de l’ami discerner le flatteur : / Tel vous semble applaudir qui vous raille et vous joue. / Aimez qu’on vous conseille et non pas qu’on vous loue.”
“Un saga ami, toujours rigoureux, inflexible, / Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible.”
“Et, pour finir enfin par un trait de satire / Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire.”
Chant II
“Telle, aimable en son air, mais humble dans son style, / Doit éclater sans pompe une élégante idylle.”
“Entre ces deux excès la route est difficile. / Suivez, pour la trouver, Théocrite et Virgile : / Que leurs tendres écrits, par les Grâces dictés, / Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés.”
“Dans un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace, / La plaintive élégie en longs habits de deuil / Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil.”
“Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux, / C’est peu d’être poète, il faut être amoureux. / Je hais ces vains auteurs, dont la muse forcée / M’entretient de ses feux, toujours froide et glacée”
“Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines”
“Ce n’était pas jadis sur ce ton ridicule / Qu’Amour dictait les vers que soupirait Tibulle”
“Il faut que le coeur seul parle dans l’élégie”
“L’ode, avec plus d’éclat, et non moins d’énergie, / Élevant jusqu’au ciel son vol ambitieux, / Entretient dans ses vers commerce avec les cieux. / [...] Son style impétueux souvent marche au hasard. / Chez elle un beau désordre est l’effet de l’art.”
“On dit, à ce propos, qu’un jour ce dieu bizarre [Apollon] / Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois, / Inventa du sonnet les rigoureuses lois / [...] Défendit qu’un vers faible y pût jamais entrer, / Ni qu’un mot déjà mis osa s’y remontrer.”
“Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème.”
“L’épigramme, plus libre en son tour plus borné, / N’est souvent qu’un bon mot de deux rimes orné.”
“Chaque mot eut toujours deux visages divers”
“La raison outragée enfin ouvrit les yeux, / La [la pointe] chassa pour jamais des discours sérieux ; / Et, dans tous ces écrits la déclarant infâme / Par grâce lui laissa l’entrée dans l’épigramme, / Pourvu que sa finesse, éclatant à propos, / Roulât sur la pensée, et non pas sur les mots. / Ainsi de toutes parts les désordres cessèrent.”
“Ce n’est pas quelquefois qu’une muse un peu fine / Sur un mot, en passant, ne joue et ne badine, / Et d’un sens détourné n’abuse avec succès ; / Mais fuyez sur ce point un ridicule excès, / Et n’allez pas toujours d’une pointe frivole / Aiguiser par la queue une épigramme folle. / Tout poème est brillant de sa propre beauté.”
“L’ardeur de se montrer, et non pas de médire, / Arma la Vérité du vers de la satire.”
“Lucile le premier osa la faire voir, / Aux vices des Romains présenta le miroir, / Vengea l’humble vertu, de la richesse altière, / Et l’honnête homme altier, du faquin en litière.”
“Horace à cette aigreur mêla son enjoûment ; / On ne fut plus ni fat ni sot impunément ; / Et malheur à tout nom, qui, propre à la censure, / Put entrer dans un vers sans rompre la mesure !”
“Perse, en ses vers obscurs, mais serrés et pressants, / Affecta d’enfermer moins de mots que de sens.”
“Juvénal, élevé dans les cris de l’école, / Poussa jusqu’à l’excès sa mordante hyperbole. / Ses ouvrages, pleins d’affreuse vérité, / Étincellent pourtant de sublimes beautés. / [...] Ses écrits pleins de feu partout brillent aux yeux.”
“De ces maîtres savants disciple ingénieux, / Régnier seul parmi nous formé sur leurs modèles, / Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles.”
“Je veux dans la satire un esprit de candeur, / Et fuis un effronté qui prêche la pudeur.”
“Le Français, né malin, forma le vaudeville”
“Toutefois n’allez pas, goguenard dangereux / Faire Dieu le sujet d’un badinage affreux. / [...] Il faut, même en chanson, du bon sens et de l’art. / Mais pourtant on a vu le vin et le hasard / Inspirer quelquefois une muse grossière / Et fournir, sans génie, un couplet à Lignière.”
Chant III
“D’un pinceau délicat, l’artifice agréable / Du plus affreux objet fait un objet aimable.”
“Ainsi, pour nous charmer, la Tragédie en pleurs / D’Oedipe tout sanglant fit parler les douleurs, / D’Oreste parricide exprima les alarmes / Et, pour nous divertir, nous arracha des larmes.”
“Que dans tous vos discours la passion émue / Aille chercher le cœur, l’échauffe et le remue.”
“Le secret est d’abord de plaire et de toucher : / Inventez des ressorts qui puissent m’attacher / Que dès les premiers vers l’action préparée / Sans peine du sujet aplanisse l’entrée. / Je me ris d’un acteur qui, lent à s’exprimer / De ce qu’il veut, d’abord ne sait pas m’informer, / Et qui débrouillant mal une pénible intrigue / D’un divertissement me fait une fatigue.”
“Le sujet n’est jamais assez tôt expliqué. / Que le lieu de la scène y soit fixe et marqué.”
“Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli / Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.”
“Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable / Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable. / Une merveille absurde est pour moi sans appas : / L’esprit n’est point ému de ce qu’il ne croit pas.”
“Ce qu’on ne doit point voir, qu’un récit nous l’expose. / Les yeux en le voyant saisiraient mieux la chose ; / Mais il est des objets que l’art judicieux / Doit offrir à l’oreille et reculer des yeux.”
“Que le trouble, toujours croissant de scène en scène, / A son comble arrivé se débrouille sans peine.”
“Sophocle enfin, donnant l’essor à son génie, / Accrut encore la pompe, augmenta l’harmonie, / Intéressa le chœur dans toute l’action, / Des vers trop raboteux polit l’expression, / Lui donna chez les Grecs cette hauteur divine / Où jamais n’atteignit la faiblesse latine.”
“Bientôt l’amour fertile en tendres sentiments, / S’empara du théâtre ainsi que des romans. / De cette passion la sensible peinture / Est pour aller au cœur la route la plus sûre. / Peignez donc, j’y consens, les héros amoureux : / Mais ne formez pas des bergers doucereux / [...] Et que l’amour, souvent de remords combattu / Paraisse une faiblesse et non une vertu. / Des héros de roman fuyez les petitesses / Toutefois aux grands cœurs donnez quelques faiblesses”
“Conservez à chacun son propre caractère. / Des siècles, des pays, étudiez les mœurs. / Les climats font souvent les diverses humeurs. / Gardez donc de donner, ainsi que dans Clélie, / L’air, ni l’esprit français, à l’antique Italie.”
“Mais la scène demande une exacte raison, / L’étroite bienséance y veut être gardée.”
“Souvent sans y penser un écrivain qui s’aime / Forme tous ses héros semblables à soi-même : / Tout à l’humeur gasconne en un auteur gascon. [...] La nature est en nous plus diverse et plus sage / Chaque passion parle un différent langage.”
“Il faut dans la douleur que vous vous abaissiez. / Pour me tirer des pleurs il faut que vous pleuriez.”
“Un auteur n’y [au théâtre] fait pas de faciles conquêtes ; / Il trouve à le siffler des bouches toujours prêtes. / Chacun le peut traiter de fat et d’ignorant ; / C’est un droit qu’à la porte on achète en entrant.”
“Et que tout ce qu’il dit, facile à retenir, / De son ouvrage en nous laisse un long souvenir. / Ainsi la Tragédie agit, marche et s’explique.”
“Là [dans la poésie épique] pour nous enchanter tout est mis en usage ; / Tout prend un corps, une âme, un esprit, un visage.” (Minerve, Vénus, Jupiter, Neptune, Echo, Narcisse, Enée, Junon, Eole)
“C’est là ce qui surprend, frappe, saisit, attache. / Sans tous ces ornements, le vers tombe en langueur, / La poésie est morte, ou rampe sans vigueur ; / Le poète n’est plus qu’un orateur timide, / Qu’un froid historien d’une fable inspirée.”
“La fable offre à l’esprit mille agréments divers : / Là, tous les noms heureux semblent nés pour leurs vers”
“Ô le plaisant projet d’un poète ignorant, / Qui de tant de héros va choisir Childebrant ! / D’un seul nom quelquefois le son dur ou bizarre / Rend un poème entier, ou burlesque ou barbare !”
“Voulez-vous longtemps plaire, et jamais ne lasser ? / Faites choix d’un héros propre à m’intéresser, / En valeur éclatant, en vertus magnifique : / Qu’en lui jusqu’aux défauts, tout se trouve héroïque ; / Que ses faits surprenants soient dignes d’être ouïs ; / Qu’il soit tel que César, Alexandre ou Louis, / Non tel que Polynice et son perfide frère. / On s’ennuie aux exploits d’un conquérant vulgaire.”
“N’offrez point un sujet d’incidents trop chargé. / Le seul courroux d’Achille, avec art ménagé, / Remplit abondamment une Iliade entière. / Souvent trop d’abondance appauvrit la matière.”
“Soyez vif et pressé dans vos narrations / Soyez riche et pompeux dans vos descriptions. / C’est là qu’il faut des vers étaler l’élégance. / N’y présentez jamais de basses circonstances.”
“Donnez à votre ouvrage une juste étendue. / Que le début soit simple et n’ait rien d’affecté.”
“Que produira l’auteur après tous ces grands cris ? / La montagne en travail enfante une souris.”
“Sa muse en arrivant ne met pas tout en feu, / Et pour donner beaucoup, ne nous promet que peu.” (247)
“De figures sans nombre égayez votre ouvrage / Que tout y fasse aux yeux une riante image : / On peut être à la fois et pompeux et plaisant ; / Et je hais un sublime ennuyeux et pesant. / J’aime mieux Arioste et ses fables comiques, / Que ces auteurs toujours froids et mélancoliques, / Qui dans leur sombre humeur se croiraient faire affront / Si les Grâces jamais leur déridaient le front.”
Homère : “Tout reçoit dans ses mains une nouvelle grâce : / Partout il divertit et jamais il ne lasse. / Une heureuse chaleur anime ses discours : / Il ne s’égare point en de trop longs détours.”
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circumdatanocte · 4 years
Text
satires, nicolas boileau (1701)
préface de l’auteur, 1701 
"le public trouvera bon que je prenne congé de lui dans les formes, et que je le remercie de la bonté qu’il a eue d’acheter tant de fois des ouvrages si peu dignes de son admiration. Je ne saurais attribuer un si heureux succès qu’au soin que j’ai pris de me conformer toujours à ses sentiments, et d’attraper, autant qu’il m’a été possible, son goût en toute chose.”
“Un ouvrage a beau être approuvé d’un petit nombre de connaisseurs ; s’il n’est plein d’un certain agrément et d’un certain sel propre à piquer le goût général des hommes, il ne passera jamais pour un bon ouvrage.”
“Que si on me demande ce que c’est que cet agrément et ce sel, je répondrai que c’est un je ne sais quoi qu’on peut beaucoup mieux sentir que dire. A mon avis, néanmoins, il consiste principalement à ne présenter au lecteur que des pensées vraies et des expressions justes. L’esprit de l’homme est naturellement plein d’un nombre infini d’idées confuses du Vrai, que souvent il n’entrevoit qu’à demi ; et rien ne lui est plus agréable que lorsqu’on lui offre quelqu’une de ces idées bien éclaircie et mise dans un beau jour. Qu’est-ce qu’une pensée neuve, brillante, extraordinaire ? Ce n’est point, comme se le persuadent les ignorants, une pensée que personne n’a jamais eue, ni dû avoir : c’est au contraire une pensée qui a dû venir à tout le monde, et que quelqu’un s’avise le premier d’exprimer. Un bon mot n’est un bon mot qu’en ce qu’il dit une chose que chacun pensait, et qu’il la dit d’une manière vive, fine et nouvelle.”
“Puis donc qu’une pensée n’est belle qu’en ce qu’elle est vraie, et que l’effet infaillible du Vrai, quand il est bien énoncé, c’est de frapper les hommes, il s’ensuit que ce qui ne frappe point les hommes n’est ni beau ni vrai, ou qu’il est mal énoncé, et par conséquent, un ouvrage qui n’est point goûté du public est un très méchant ouvrage.”
“et il en arrive de ces ouvrages comme d’un morceau de bois qu’on enfonce dans l’eau avec la main : il demeure au fond tant qu’on l’y retient ; mais bientôt la main venant à se lasser, il se relève et gagne le dessus.”
“mais en voilà assez, ce me semble, pour marquer au public ma reconnaissance et la haute idée que j’ai de son goût et de ses jugements.”
“je ne suis point de ces auteurs fuyant la peine, qui ne se croient plus obligés de rien raccommoder à leurs écrits, dès qu’ils les ont une fois donnés au public.”
“Un ouvrage ne doit point paraître trop travaillé, mais il ne saurait être trop travaillé ; et c’est souvent le travail même, qui, en le polissant, lui donne cette facilité tant vantée qui charme le lecteur. Il y a bien de la différence entre des vers faciles, et des vers facilement faits.”
“C’est ordinairement la peine que s’est donnée un auteur à limer et perfectionner ses écrits que le lecteur n’a point de peine en les lisant. Voiture, qui paraît si aisé, travaillait extrêmement ses ouvrages.”
“Je n’ai donc point de regret d’avoir encore employé quelques-unes de mes veilles à rectifier mes écrits dans cette nouvelle édition, qui est, pour ainsi dire, mon édition favorite : aussi y ai-je mis mon nom, que je m’étais abstenu de mettre à toutes les autres.”
“C’est donc au public à m’apprendre ce que je dois penser de cet ouvrage, ainsi que de plusieurs autres petites pièces de poésie qu’on trouvera dans cette nouvelle édition, et qu’on a mêlées parmi les épigrammes qui y étaient déjà. Ce sont toutes bagatelles, que j’ai la plupart composées dans ma première jeunesse, mais que j’ai un peu rajustées, pour les rendre plus supportables au lecteur.”
mention d’un “démêlé poétique” avec Perrault
Il est bon que le lecteur soit averti d’une chose, c’est qu’en attaquant dans mes ouvrages les défauts de plusieurs écrivains de notre siècle, je n’ai pas prétendu pour cela ôter à ces écrivains le mérite et les bonnes qualités qu’ils peuvent avoir d’ailleurs.”
“Après cela, si on m’accuse encore de médisance, je ne sais point de lecteur qui n’en doive aussi être accusé [...] En effet, qu’est-ce que mettre un ouvrage au jour ? N’est-ce pas en quelque sorte dire au public : Jugez-moi ? Pourquoi donc trouver mauvais qu’on nous juge ? Mais j’ai mis tout ce raisonnement en rimes dans ma neuvième satire, et il suffit d’y renvoyer mes censeurs.”
le libraire au lecteur, 1666
“Ces satires dont on fait part au public n’auraient jamais couru le hasard de l’impression si l’on eût laissé faire leur auteur. [...] Sa modestie lui persuadait que de les faire imprimer ce serait augmenter le nombre des méchants livres qu’il blâme en tant de rencontres, et se rendre par-là digne lui-même en quelque façon d’avoir place dans ses satires.”
“Et il a cru enfin que, puisqu’un ouvrage, tôt ou tard, doit passer par les mains de l’imprimeur, il valait mieux subir le joug de bonne grâce, et faire de lui-même ce qu’on avait déjà fait malgré lui.”
“Mais en même temps il m’a laissé la charge de faire ses excuses aux auteurs qui pourront être choqués de la liberté qu’il s’est donnée de parler de leurs ouvrages, en quelques endroits de ses écrits. Il les prie donc de considérer que le Parnasse fut de tout temps un pays de liberté ; que le plus habile y est tous les jours exposé à la censure du plus ignorant ; que le sentiment d’un seul homme ne fait point de loi”
“En un mot, il les supplie de faire réflexion que si leurs ouvrages sont mauvais, ils méritent d’être censurés, et que, s’ils sont bons, tout ce qu’on dira contre eux ne les fera pas trouver mauvais.”
“J’ai charge encore d’avertir ceux qui voudront faire des Satires contre les Satires de ne point se cacher. [...] Qu’ils écrivent donc librement : comme ils contribueront sans doute à rendre l’auteur plus illustre, ils feront le profit du libraire ; et cela me regarde. [...] je leur conseille d’attendre encore quelque temps, et de laisser mûrir leur mauvaise humeur. On ne fait rien qui vaille dans la colère. Vous avez beau vomir des insultes sales et odieuses : cela marque la bassesse de votre âme, sans rabaisser la gloire de celui que vous attaquez ; et le lecteur qui est de sang-froid n’épouse point les sottes passions d’un rimeur emporté.”
reproche à l’auteur “d’avoir pris ses pensées dans Juvénal et dans Horace. Mais, tout bien considéré, il trouve l’objection si honorable pour lui, qu’il croirait se faire tort d’y répondre.” 
discours au roi
“Et qui seul, sans ministre, à l’exemple des dieux, / Soutiens tout par toi-même, et vois tout par tes yeux, / GRAND ROI, si jusqu’ici par un trait de prudence, / J’ai demeuré pour toi dans un humble silence, / Ce n’est pas que mon cœur, vainement suspendu, / Balance pour m’offrir un encens qui t’est dû ; / Mais je sais peu louer ; et ma muse tremblante / Fuit d’un si grand fardeau la charge trop pesante, / Et, dans ce haut éclat où tu te viens offrir, / Touchant à tes lauriers, craindrait de les flétrir.”
“Ce n’est pas que ma plume, injuste et téméraire, / Veuille blâmer en eux le dessein de te plaire”
“Moi donc, qui connais peu Phébus et ses douceurs, / Qui suis nouveau sevré sur le mont de neuf sœurs, / Attendant que pour toi l’âge ait mûri ma muse, / Sur de moindres sujets je l’exerce et l’amuse.”
“Moi, la plume à la main, je gourmande les vices, / Et gardant pour moi-même une juste rigueur / Je confie au papier les secrets de mon cœur. / Ainsi, dès qu’une fois ma verve se réveille, / Comme on voit au printemps la diligente abeille / Qui du butin va composer son miel, / Des sottises du temps je compose mon fiel.”
“Le mal est qu’en rimant, ma muse un peu légère / Nomme tout par son nom, et ne saurait rien taire. / C’est là ce qui fait peur aux esprits de ce temps, / Qui, tout blancs au dehors, sont tout noirs au dedans. / Ils tremblent qu’un censeur, que sa verve encourage / Ne vienne en ses écrits démasquer leur visage, / Et, fouillant dans les mœurs en toute liberté / N’aille du fond du puits tirer la vérité. / Tous ces gens éperdus au seul nom de satire / Font d’abord le procès à quiconque ose rire.”
“Pour eux un tel ouvrage est un monstre odieux”
“Chacun voit qu’en effet la vérité les blesse”
“Leur coeur qui se connaît, et qui fuit la lumière, / S’il se moque de Dieu, craint Tartuffe et Molière. / Mais pourquoi sur ce point sans raison m’écarter ? / Grand Roi, c’est mon défaut, je ne saurais flatter” (65)
“Ma muse toute en feu me prévient et te loue. / Mais bientôt la raison arrivant au secours / Vient d’un si beau projet interrompre le cours, / Et me fait concevoir, quelque ardeur qui m’emporte, / Que je n’ai ni le ton, ni la voix assez forte.” (66)
“Comme un pilote en mer qu’épouvante l’orage, / Dès que le bord paraît, sans songer où je suis, / Je me sauve à la nage et j’aborde où je puis.”
Satire I
“Damon, ce grand auteur à la muse fertile / Amusa si longtemps la cour et la ville / [...] Las de perdre en rimant et sa peine et son bien, / D’emprunter en tout lieu et de ne gagner rien, / Sans habit, sans argent, ne sachant plus que faire / Vient de s’enfuir, chargé de sa seule misère ; / Et bien loin des sergents, des clercs et du palais, / Va chercher un repos qu’il ne trouva jamais.”
“La colère dans l’âme et le feu dans les yeux, / Il distilla sa rage en ses tristes adieux : / Puisqu’en ce lieu, jadis aux Muses si commode, / Le mérite et l’esprit ne sont plus à la mode, / Qu’un poète, dit-il, s’y voit maudit de Dieu, / Et qu’ici la vertu n’a plus ni feu ni lieu, / Allons du moins chercher quelque antre ou quelque roche / D’où jamais ni l’huissier ni le sergent n’approche / [...] Mettons-nous à l’abri des injures du temps.” (67)
“Mais moi, vivre à Paris ! Eh ! Qu’y viendrais-je y faire ? / Je ne sais ni tromper, ni feindre, ni mentir, / Et, quand je le pourrais, je n’y puis consentir.”
“Pour un si bas emploi, ma muse est trop altière / Je suis rustique et fier, et j’ai l’âme grossière : / Je ne puis rien nommer si ce n’est par son nom. / J’appelle un chat un chat et Rolet un fripon.”
“Et je suis à Paris triste, pauvre et reclus, / Ainsi qu’un corps sans âme, ou devenu perclus.”
“Ainsi de la vertu la fortune se joue” (68)
“Il est vrai que du roi la bonté secourable / Jette enfin sur la muse un regard favorable / Et, réparant du sort l’aveuglement fatal / Va tirer désormais Phébus de l’hôpital. / On doit tout espérer d’un monarque si juste / Mais sans un Mécénas, à quoi sert un Auguste ? / Qui voudra s’abaisser à me servir d’appui ? / Et puis, comment percer cette foule effroyable / De rimeurs affamés dont le nombre l’accable ?”
“Faut-il donc aujourd’hui jouer un nouveau rôle ? / Dois-je, las d’Apollon, recourir à Bartole ?”
“Et, dans l’amas confus des chicanes énormes / Ce qui fut blanc au fond rendu noir par les formes”
“Quittons donc pour jamais une ville importune, / [...] Où tout me choque ; enfin, où... Je n’ose parler. / Et quel homme si froid ne serait plein de bile, / A l’aspect odieux des mœurs de cette ville ? / Qui pourrait les souffrir ? et qui pour les blâmer, / Malgré muse et Phébus n’apprendrait à rimer ? / Non, non, sur ce sujet, pour écrire avec grâce, / Il ne faut point monter au sommet du Parnasse ; / Et, sans aller rêver dans le double vallon, / La colère suffit et vaut un Apollon.”
“Tout beau, dira quelqu’un, vous entrez en furie. / A quoi bon ces grands mots ? doucement je vous prie”
“Ainsi parle un esprit qu’irrite la satire”
“Pour moi, qu’en santé même un autre monde étonne, / Qui crois l’âme immortelle, et que c’est Dieu qui tonne, / Il vaut mieux pour jamais me bannir de ce lieu. / Je me retire, donc. Adieu, Paris, adieu.”
Satire II (à M. de Molière)
“Rare et fameux esprit, dont la fertile veine / Ignore en écrivant le travail et la peine ; / Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts, / Et qui sait à quel coin se marquent les bons vers / [...] Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime.”
“Mais moi, qu’un vain caprice, une bizarre humeur, / Pour mes péchés, je crois, fit devenir rimeur, / Dans ce rude métier où mon esprit se tue, / En vain, pour la trouver, je travaille et je sue. / Souvent j’ai beau rêver du matin jusqu’au soir / Quand je veux dire blanc, la quinteuse dit noir.”
“Enfin, quoi que je fasse, ou que je veuille faire, / La bizarre toujours vient m’offrir le contraire.”
“Et, maudissant vingt fois le démon qui m’inspire, / Je fais mille serments de ne jamais écrire. / Mais, quand j’ai bien maudit Muses et Phébus, / Je la vois qui paraît quand je n’y pense plus / [...] Et de mes vains serments perdant le souvenir, / J’attends de vers en vers qu’elle daigne venir.”
“Mais mon esprit, tremblant dans le choix de ses mots, / N’en dira jamais un, s’il ne tombe à propos, / Et ne saurait souffrir qu’une phrase insipide / Vienne à la fin d’un vers remplir la place vide ; / Ainsi, recommençant un ouvrage vingt fois, / Si j’écris quatre mots, j’en effacerai trois.”
“Sans ce métier fatal au repos de ma vie, / Mes jours, pleins de loisirs couleraient sans envie, / Je n’aurais qu’à chanter, rire, boire d’autant, / Et, comme un gras chanoine, à mon aise et content, / Passer tranquillement, sans souci, sans affaire, / La nuit à bien dormir, et le jour à ne rien faire.” (73)
“Tous les jours malgré moi, cloué sur un ouvrage, / Retouchant un endroit, effaçant une page, / Enfin passant ma vie en ce triste métier, / J’envie, en écrivant, le sort de Pelletier.”
“Un sot, en écrivant, fait tout avec plaisir. / Il n’a point en ses vers l’embarras de choisir ; / Et, toujours amoureux de ce qu’il vient d’écrire, / Ravi d’étonnement, en soi-même il s’admire. / Mais un esprit sublime en vain veut s’élever / A ce degré parfait qu’il tâche de trouver ; / Et, toujours mécontent de ce qu’il vient de faire, / Il plaît à tout le monde, et ne saurait se plaire.”
“Toi donc, qui vois les maux où ma muse s’abîme, / De grâce, enseigne-moi l’art de trouver la rime : / Ou, puisque enfin tes soins y seraient superflus, / Molière, enseigne-moi l’art de ne rimer plus.”
Satire III 
“Ah ! de grâce, un moment, souffrez que je respire / Je sors de chez un fat, qui, pour m'empoisonner, / Je pense, exprès chez lui m'a forcé de dîner.”
“Molière avec Tartuffe doit y jouer son rôle / Et Lambert, qui plus est, m’a donné sa parole.”
“Nous n'avons, m'a-t-il dit, ni Lambert ni Molière ; / Mais puisque je vous vois je me tiens trop content. / Vous êtes un brave homme ; entrez : on vous attend.”
“Le couvert était mis dans ce lieu de plaisance / Où j'ai trouvé d'abord, pour toute connaissance, / Deux nobles campagnards grands lecteurs de roman, / Qui m'ont dit tout Cyrus dans leurs longs compliments. / J'enrageais.”
“Les cheveux cependant me dressaient à la tête : / Car Mignot, c’est tout dire, et dans le monde entier / Jamais empoisonneur ne sut mieux son métier. / J'approuvais tout pourtant de la mine et du geste, / Pensant qu'au moins le vin dût réparer le reste. / [...] Et qui rouge et vermeil mais fade et douceureux / N'avait rien qu'un goût plat, et qu'un déboire affreux. / A peine ai-je senti cette liqueur traîtresse, / Que de ces vins mêlés je reconnus l'adresse.”
“Point de glace, bon Dieu ! Dans le fort de l'été ! / Au moins de juin ! Pour moi, j'étais si transporté, / Que, donnant de fureur tout le festin au diable, / Je me suis vu vingt fois quitter la table ; / Et, dût-on m'appeler et fantasque et bourru, / J'allais sortir enfin quand le rôt a paru.”
“Aimez-vous la muscade ? On en a mis partout.”
“Pour moi, j'aime surtout quand le poivre y domine : / J'en suis fourni, Dieu sait ! Et j'ai tout Pelletier / Roulé dans mon office en cornets à papier. / A tous ces beaux discours j'étais comme une pierre / Ou comme la statue est au festin de Pierre / Et sans dire un seul mot, j’avalais au hasard...”
“Le vin au plus muet fournissant des paroles, / Chacun a débité ses maximes frivoles, / Réglé les intérêts de chaque potentat / Corrigé la police, et réformé l’État...”
“De propos en propos on a parlé de vers. / Là, tous mes sots, enflés d'une nouvelle audace, / Ont jugés des auteurs en maîtres du Parnasse : / Mais notre hôte surtout, pour la justesse et l'art, / Élevait jusqu'au ciel Théophile et Ronsard”
***
“Mais, tandis qu'à l'envi tout le monde y conspire, / J'ai gagné doucement la porte sans rien dire”
Satire IV (à M. l’abbé Le Vayer)
“D'où vient, cher Le Vayer, que l'homme le moins sage / Croit toujours avoir seul la sagesse en partage ?” > exemples du pédant, du galant, du bigot, du libertin
“Et combien la Neveu, devant son mariage, / A de fois au public vendu son p...”
“Tous les hommes sont fous, et malgré tous leurs soins, / Ne diffèrent entre eux que du plus ou du moins. / Comme on voit qu'en un bois que cent routes séparent / Les voyageurs sans guide assez souvent s'égarent / L'un à droit, l'autre à gauche, et, courant vainement, / La même erreur les fait errer diversement : / Chacun suit dans le monde une route incertaine, / Selon que son erreur le joue et le promène ; / Et tel y fait l'habile et nous traite de fous, / Qui sous le nom de sage est le plus fou de tous. / Mais, quoi que sur ce point la satire publie / Chacun veut en sagesse ériger sa folie, / Et, se laissant régler à son esprit tortu, / De ses propres défauts se fait une vertu.”
“Le plus sage est celui qui ne pense point l'être ; / Qui, toujours pour un autre enclin vers la douceur, / Se regarde soi-même en sévère censeur, / Rend à tous ses défauts une exacte justice, / Et fait sans se flatter le procès à son vice.”
“Sans mentir, l'avarice est une étrange rage, / Dira cet autre fous non moins privé de sens, / Qui jette, furieux, son bien à tout venant”
“Qui des deux en effet est le plus aveuglé ? / L'un et l'autre, à mon sens, ont le cerveau troublé.”
Frédoc : “Attendant son destin d'un quatorze ou d'un sept / Voit sa vie ou sa mort sortir de son cornet.”
“Chapelain veut rimer, et c'est là sa folie.”
“Que ferait-il, hélas ! Si quelque audacieux / Allait pour son malheur lui dessiller les yeux”
exemples du bigot et du médecin
“le plus fou est souvent le plus satisfait”
Satire V (à Monsieur de marquis de Dangeau)
“Mais je ne puis souffrir qu'un fat, dont la mollesse / N'a rien pour s'appuyer qu'une vaine noblesse, / Se pare insolemment du mérite d'autrui, / Et me vante un honneur qui ne vient pas de lui.”
“Que sert ce vain amas d’une inutile gloire / [...] Si, tout sorti qu'il est d'une source divine, / Son cœur dément en lui sa superbe origine, / Et n'ayant rien de grand qu'une sotte fierté, / S'endort dans une lâche et molle oisiveté ?”
“Pourquoi voulez-vous que, par un sot abus, / Chacun respecte en vous un honneur qui n'est plus ? / On ne m'éblouit point d'une apparence vaine : / La vertu, d'un cœur noble est la marque certaine. / Si vous êtes sorti de ces héros fameux, / Montrez-nous cette ardeur qu'on vit briller en eux, / Ce zèle pour l'honneur, cette horreur pour le vice. / Respectez-vous les lois ? Fuyez-vous l'injustice ?”
“Mais fussiez-vous issu d'Hercule en droite ligne, / Si vous ne faites voir qu'une basses indigne, / Ce long amas d'aïeux que vous diffamez tous, / Sont autant de témoins qui parlent contre vous ; / Et tout ce grand éclat de leur gloire ternie / Ne sert plus que de jour à votre ignominie.”
“En vain, tout fier d'un sang que vous déshonorez, / Vous dormez à l'abri de ces noms révérés ; / En vain vous vous couvrez des vertus de vos pères, / Ce ne sont à mes yeux que de vaines chimères ; / Je ne vois en vous qu'un lâche, un imposteur, / Un traître, un scélérat, un perfide, un menteur, / Un fou dont les accès vont jusqu'à la furie, / Et d'un tronc fort illustre une branche pourrie.”
“Je m'emporte peut-être, et ma muse en fureur / Verse dans ses discours trop de fiel et d'aigreur”
“Que maudit soit le jour où cette vanité / Vint ici de nos mœurs souiller la pureté ! / Dans les temps bienheureux du monde en son enfance / […] Le mérite faisait la noblesse et les rois ; / Et, sans chercher l'appui d'une naissance illustre, / Un héros de soi-même empruntait tout son lustre. / Mais enfin par le temps le mérite avili / Vit l'honneur en roture, et le vice anobli”
“Chacun pour ses vertus n'offrit plus que des noms.”
“Alors, pour soutenir son rang et sa naissance, / Il fallut étaler le luxe et la dépense ; / Il fallut habiter un superbe palais, / Faire par les couleurs distinguer ses valets / Et, traînant en tous lieux de pompeux équipages, / Le duc et le marquis se reconnut aux pages.”
“Si tu veux te couvrir d'un éclat légitime, / Va par mille beaux faits mériter son estime ; / Sers un si noble maître ; et fais voir qu'ajd / Ton prince a des sujets qui sont dignes de lui.”
Satire VI
“Qui frappe l’air, bon Dieu ! de ces lugubres cris ? / Est-ce donc pour veiller qu’on se couche à Paris ? / Et quel fâcheux démon, durant des nuits entières / Rassemble ici les chats de toutes les gouttières ?”
“Tout conspire à la fois à troubler mon repos, / Et je me plains ici du moindre de mes maux”
“Là, d’un enterrement la funèbre ordonnance / [...] Là, je trouve une croix de funeste présage / [...] Là, sur une charrette une poutre branlante”
“On n’entend que des cris poussés confusément : / Dieu, pour s’y faire ouïr tonnerait vainement.”
“Ne sachant plus tantôt à quel saint me vouer, / Je me mets au hasard de me faire rouer. / Je saute vingt ruisseaux, j’esquive, je me pousse ; / Guénaud sur son cheval en passant m’éclabousse : / Et, n’osant plus paraître en l’état où je suis, / Sans songer où je vais, je me sauve où je puis. / Tandis que dans un coin en grondant je m’essuie, / Souvent pour m’achever, il survient une pluie : / On dirait que le ciel, qui se fond tout en eau, / Veuille inonder ces lieux d’un déluge nouveau.”
“Mais en ma chambre à peine ai-je éteint la lumière, / Qu’il ne m’est plus permis de fermer la paupière.”
“Je fais pour reposer un effort inutile / Ce n’est qu’à prix d’argent qu’on dort en cette ville.”
“Mais moi, grâce au destin, qui n’ai ni feu ni lieu, / Je me loge où je puis, et comme il plaît à Dieu.”
Satire VII
“Muse, changeons de style, et quittons la satire : / C’est un méchant métier que celui de médire / A l’auteur qui l’embrasse il est toujours fatal : / Le mal qu’on dit d’autrui ne produit que du mal.”
“Et tel mot, pour avoir réjoui le lecteur / A coûté bien souvent des larmes à son auteur.”
“Chacun dans ce miroir pense voir son visage : / Et tel, en vous lisant admire chaque trait, / Qui dans le fond de l’âme et vous craint et vous hait.”
“S’il faut rimer ici, rimons quelque louange ; / Et cherchons un héros parmi cet univers, / Digne de notre encens et digne de nos vers.”
“Je pense être à la gêne, et, pour un tel dessein, / La plume et le papier résistent à ma main. / Mais, quand il faut railler, j’ai ce que je souhaite.”
“C’est en vain qu’au milieu de ma fureur extrême / Je me fais quelquefois des leçons à moi-même ; / En vain je veux au moins faire grâce à quelqu’un : / Ma plume aurait regret d’en épargner aucun”
“Le mérite pourtant m’est toujours précieux : / Mais tout fat me déplaît, et me blesse les yeux ; / Je le suis partout, comme un chien fait sa proie, / Et ne le sens jamais qu’aussitôt je n’aboie.”
“Souvent j’habille en vers une maligne prose : / C’est par là que je vaux, si je vaux quelque chose.”
“A Rome ou dans Paris, aux champs ou dans la ville, / Dût ma muse par là choquer tout l’univers, / Riche, gueux, triste ou gai, je veux faire des vers. / Pauvre esprit, dira-t-on, que je plains ta folie ! / Modère ces bouillons de ta mélancolie ; / Et garde qu’un de ceux que tu penses blâmer / N’éteigne dans ton sang cette ardeur de rimer.”
“Enfin, c’est mon plaisir ; je veux me satisfaire. / Je ne puis bien parler, et ne saurais me taire ; / Et, dès qu’un mot plaisant vient luire à mon esprit / Je n’ai point de repos qu’il ne soit en écrit : / Je ne résiste point au torrent qui m’entraîne.”
Satire VIII (à M. M***)
“Le plus sot animal, à mon avis, c’est l’homme.”
“Ce discours te surprend, docteur, je l’aperçoi. / L’homme de la nature est le chef et le roi : / Bois, prés, champs, animaux, tout est pour son usage, / Et lui seul a, dis-tu, la raison en partage. / Il est vrai de tout temps, la raison fut son lot : / Mais de là je conclus que l’homme est le plus sot.”
“Qu’est-ce que la sagesse ? une égalité d’âme / Que rien ne peut troubler, qu’aucun désir n’enflamme”
“Or cette égalité dont se forme le sage / Qui jamais moins que l’homme en a connu l’usage ?” (exemple de la fourmi)
“Mais l’homme, sans arrêt dans sa course insensée, / Voltige incessamment de pensée en pensée : / Son coeur toujours flottant entre mille embarras, / Ne sait ni ce qu’il veut, ni ce qu’il ne veut pas. / Ce qu’en un jour il abhorre, en l’autre il le souhaite.”
“Voilà l’homme en effet. Il va du blanc au noir : / Il condamne au matin ses sentiments du soir : / Importun à tout autre, à soi-même incommode, / Il change à tout moment d’esprit comme de mode : / Il tourne au moindre vent, il tombe au moindre choc / Aujourd’hui dans un casque et demain dans un froc.”
“De tous les animaux, il est, dit-il le maître / - Qui pourrais le nier, poursuis-tu. - Moi, peut-être.”
“Ce maître prétendu qui leur donne des lois [le lion] / Ce roi des animaux, combien a-t-il de rois ?”
“L’ambition, l’amour, l’avarice ou la haine / Tiennent comme un forçat son esprit à la chaîne.”
“Debout, dit l’avarice, il est temps de marcher.”
“- Et pourquoi cette épargne enfin ? - L’ignores-tu ? / Afin qu’un héritier bien nourri, bien vêtu, / Profitant d’un trésor en tes mains inutiles / De son train quelque jour embarasse la ville.”
“Tout beau, dira quelqu’un, raillez plus à propos ; / Ce vice fut toujours la vertu des héros. / Quoi donc ? A votre avis, fut-ce un fou qu’Alexandre ? / - Qui ? Cet écervelé qui mit l’Asie en cendre ? [...] Maître du monde entier s’y trouvait trop serré ! / L’enragé qu’il était, né roi d’une province, / Qu’il pouvait gouverner en bon et sage prince, / S’en alla follement, et pensant être dieu, / Courir comme un bandit qui n’a ni feu ni lieu ; / Et traînant avec soi les horreurs de la guerre, / De sa vaste folie emplir toute la terre”
“Et voyons l’homme enfin par l’endroit le plus beau. / Lui seul vivant, dit-on, dans l’enceinte des villes, / Fais voir d’honnêtes mœurs, des coutumes civiles, / Se fait des gouverneurs, des magistrats, des rois, / Observe une police, obéit à des lois.”
“Voit-on les loups brigands, comme nous inhumains / Pour détrousser les loups courir les grands chemins ?”
“L’ours a-t-il dans les bois la guerre avec les ours ? / Le vautour dans les airs fond-il sur les vautours ?” 
“L’animal le plus fier qu’enfante la nature / Dans un autre animal respecte sa figure, / De sa rage avec lui modère ses accès, / Vit sans bruit, sans débats, sans noise, sans procès.”
“Chacun l’un avec l’autre en toute sûreté, / Vit sous les pures lois de la simple équité, / L’homme seul, l’homme seul, en sa fureur extrême, / Met un brutal honneur à s’égorger soi-même. / C’était peu que sa main conduite par l’enfer, / Eût pétri le salpêtre, eût aiguisé le fer”
“Doucement, diras-tu ! que sert de s’emporter ? / L’homme a ses passions, on n’en saurait douter ; / Il a comme la mer ses flots et ses caprices : / Mais ses moindres vertus balancent tous ses vices. / N’est-ce pas l’homme enfin dont l’art audacieux / Dans le tour d’un compas a mesuré les cieux ? / Dont la vaste science, embrassant toute chose, a fouillé la nature, en a percé les causes ? / Les animaux ont-ils des universités ? [...] Non, sans doute ; et jamais chez eux un médecin / N’empoisonna les bois de son art assassin.”
“Toi-même réponds-moi : Dans le siècle où nous sommes, / Est-ce au pied du savoir qu’on mesure les hommes ?”
“Quicinque est riche est tout : sans sagesse il est sage / [...] L’or même à la laideur donne un teint de beauté : / Mais tout devient affreux avec la pauvreté.”
“Et que sert à Cotin la raison qui lui crie : / N’écris plus, guéris toi d’une vaine furie, / Si tous ces vains conseils, loin de la réprimander, / Ne font qu’accroître en lui la fureur de rimer ?”
“Un âne, pour le moins, instruit par la nature, / A l’instinct qui le guide obéit sans murmure, / Ne va point follement de sa bizarre voix / Défier aux chansons les oiseaux dans les bois : / Sans avoir la raison, il marche sur sa route. / L’homme seul, qu’elle éclaire en plein jour, ne voit goutte ; / Et dans tout ce qu’il fait n’a ni raison ni sens. / Tout lui plaît et déplaît, tout le choque et l’oblige ; / Sans raison il est gai, sans raison il s’afflige”
“Non, mais cent fois la bête a vu l’homme hypocondre / Adorer le métal que lui-même fit fondre”
“Quoi ! me prouverez-vous par ce discours profane / Que l’homme, qu’un docteur est au-dessous d’un âne ?”
“- Oui, d’un âne : et qu’a-t-il qui nous excite à rire ? / Nous nous moquons de lui : mais s’il pouvait un jour, / Docteur, sur nos défauts s’exprimer à son tour ; / Si pour nous réformer, le ciel prudent et sage / De la parole lui permettait l’usage ; / Qu’il pût dire tout haut ce qu’il se dit tout bas ; / Ah ! docteur, entre nous, que ne dirait-il pas ?”
“Oh ! que si l’âne alors, à bon droit misanthrope, / Pouvait trouver la voix qu’il eut au temps d’Esope, / De tous côtés, docteur, voyant les hommes fous, / Qu’il dirait de bon coeur, sans en être jaloux, / Content de ses chardons, et secouant la tête : / Ma foi, non plus que nous, l’homme est une bête !”
Satire IX 
le libraire au lecteur
“L’auteur, après avoir écrit contre tous les hommes en général, a cru qu’il ne pouvait mieux finir qu’en écrivant contre lui-même, et que c’était le plus beau champ de satire qu’il pût trouver.”
“C’est donc à moi qu’il a confié l’original de sa pièce, et il l’a accompagné d’un petit discours en prose, où il justifie, par l’autorité des poètes anciens et modernes, la liberté qu’il s’est donnée dans ses satires.”
à son esprit
“ Assez et trop longtemps ma lâche complaisance / De vos jeux criminels a nourri l’insolence”
“ On croirait à vous voir dans vos libres caprices / Discourir en Caton des vertus et des vices, / Décider du mérite et du prix des auteurs, / Et faire impunément la leçon aux docteurs, / Qu’étant seul à couvert des traits de la satire / Vous avez tout pouvoir de parler et d’écrire.”
“Qui vous a pu souffler une si folle audace ? / Phébus a-t-il pour vous aplani le Parnasse ? / Et ne savez-vous pas que, sur ce mont sacré, / Qui ne vole au sommet tombe au plus bas degré, / Et qu’à moins d’être au rang d’Horace ou de Voiture, / On rampe dans la fange avec l’abbé de Pure ?”
“Le plus sûr est pour nous de garder le silence, / Un poème insipide et sottement flatteur / Déshonore à la fois le héros et l’auteur ;”  
“Que vous sert-il qu’un jour l’avenir vous estime, / Si vos vers aujourd’hui vous tiennent lieu de crime, / Et ne produisent rien, pour fruits de leurs bons mots, / Que l’effroi du public et la haine des sots ? / Quel démon vous irrite, et vous porte à médire ? / Un livre vous déplaît : qui vous force à le lire ? / Laissez mourir un fat dans son obscurité : / Un auteur ne peut-il pourrir en sûreté ?”
“Ce qu’ils font vous ennuie. Ô le plaisant détour ! / Ils ont bien ennuyé le roi, toute la cour, / Sans que le moindre édit ait, pour punir leur crime, / Retranché les auteurs, ou supprimé la rime. / Écrive qui voudra. Chacun à ce métier Peut perdre impunément de l’encre et du papier.”
“Mais vous, qui raffinez sur les écrits des autres. / De quel œil pensez-vous qu’on regarde les vôtres ? / Il n’est rien en ce temps à couvert de vos coups, / Mais savez-vous aussi comme on parle de vous ?”
“Gardez-vous, dira l’un, de cet esprit critique. / On ne sait bien souvent quelle mouche le pique. / Mais c’est un jeune fou qui se croit tout permis, / Et qui pour un bon mot va perdre vingt amis.”
“J’ai peu lu ces auteurs, mais tout n’irait que mieux, Quand de ces médisants l’engeance tout entière Irait la tête en bas rimer dans la rivière. Voilà comme on vous traite : et le monde effrayé Vous regarde déjà comme un homme noyé.” 
Rien n’apaise un lecteur toujours tremblant d’effroi, Qui voit peindre en autrui ce qu’il remarque en soi. Vous ferez-vous toujours des affaires nouvelles ? Et faudra-t-il sans cesse essuyer des querelles ? N’entendrai-je qu’auteurs se plaindre et murmurer ? Jusqu’à quand vos fureurs doivent-elles durer ? Répondez, mon esprit : ce n’est plus raillerie : Dites… Mais, direz-vous, pourquoi cette furie ?
Quoi ! pour un maigre auteur que je glose en passant, Est-ce crime, après tout, et si noir et si grand ?
Il n’est valet d’auteur, ni copiste à Paris, Qui, la balance en main, ne pèse les écrits. Dès que l’impression fait éclore un poëte, Il est esclave-né de quiconque l’achète : Il se soumet lui-même aux caprices d’autrui, Et ses écrits tout seuls doivent parler pour lui. Un auteur à genoux, dans une humble préface, Au lecteur qu’il ennuie a beau demander grâce ; Il ne gagnera rien sur ce juge irrité, Qui lui fait son procès de pleine autorité.
Et je serai le seul qui ne pourrai rien dire ! On sera ridicule, et je n’oserai rire ! Et qu’ont produit mes vers de si pernicieux, Pour armer contre moi tant d’auteurs furieux ? Loin de les décrier, je les ai fait paroître : Et souvent, sans ces vers qui les ont fait connoîre, Leur talent dans l’oubli demeureroit caché. Et qui sauroit sans moi que Cotin a prêché ? La satire ne sert qu’à rendre un fat illustre : C’est une ombre au tableau, qui lui donne du lustre.
En blâmant ses écrits, ai-je d’un style affreux Distillé sur sa vie un venin dangereux ? Ma muse en l’attaquant, charitable et discrète, Sait de l’homme d’honneur distinguer le poëte.
En vain contre le Cid un ministre se ligue : Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue.
L’Académie en corps[23] a beau le censurer : Le public révolté s’obstine à l’admirer.
Mais lorsque Chapelain met une œuvre en lumière, Chaque lecteur d’abord lui devient un Linière[24]. En vain il a reçu l’encens de mille auteurs : Son livre en paroissant dément tous ses flatteurs. Ainsi, sans m’accuser, quand tout Paris le joue, Qu’il s’en prenne à ses vers que Phébus désavoue ;
La satire, dit-on, est un métier funeste, Qui plait à quelques gens, et choque tout le reste.
La satire, en leçons, en nouveautés fertile, Sait seule assaisonner le plaisant et l’utile, Et, d’un vers qu’elle épure aux rayons du bon sens, Détromper les esprits des erreurs de leur temps. Elle seule, bravant l’orgueil et l’injustice, Va jusque sous le dais faire pâlir le vice ; Et souvent sans rien craindre, à l’aide d’un bon mot, Va venger la raison des attentats d’un sot.
C’est elle qui, m’ouvrant le chemin qu’il faut suivre, M’inspira dès quinze ans la haine d’un sot livre ; Et sur ce mont fameux, où j’osai la chercher, Fortifia mes pas et m’apprit à marcher. C’est pour elle, en un mot, que j’ai fait vœu d’écrire. Toutefois, s’il le faut, je veux bien m’en dédire, Et, pour calmer enfin tous ces flots d’ennemis, Réparer en mes vers les maux qu’ils ont commis Puisque vous le voulez, je vais changer de style.
Mais quoi ! répondrez-vous, Cotin nous peut-il nuire Et par ses cris enfin que sauroit-il produire ? Interdire à mes vers, dont peut-être il fait cas, L’entrée aux pensions où je ne prétends pas ? Non, pour louer un roi que tout l’univers loue, Ma langue n’attend point que l’argent la dénoue ; Et, sans espérer rien de mes foibles écrits, L’honneur de le louer m’est un trop digne prix : On me verra toujours, sage dans mes caprices, De ce même pinceau dont j’ai noirci les vices
Et peint du nom d’auteur tant de sots revêtus, Lui marquer mon respect, et tracer ses vertus.
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circumdatanocte · 4 years
Text
médée : voix, christa wolf (1996)
définition de l’achronie par Elisabeth Lenk : “interpénétration des époques”, image de l’accordéon, des poupées russes, “alors les cloisons séparant les époques sont très proches les unes des autres. Les gens des autres siècles entendent geindre notre gramophone et, à travers les cloisons temporelles, nous les voyons tendre leurs mains vers de si apétissantes agapes.”
texte liminaire en italique : “les cloisons sont perméables”, “elle [l’époque nommée] nous répond du fond des temps”, “Infanticide ? Pour la première fois un doute.”, “elle s’en va. Nous précédant ? Nous quittant ? Les questions ont perdu leur sens entre-temps.”, “elle vient à nous des profondeurs du temps”, les autres époques “semble-t-il, ne nous parlent pas aussi clairement de la sienne” (processus de choix par clarté), “Un moment viendra, c’est sûr, où nous nous rencontrerons.”, “Descendons-nous chez les Anciens, nous rattrapent-ils ? Qu’importe.”, “hôtes étrangers, pareils à nous”, “Nous possédons la clef qui ouvre toutes les époques”, “avides de jugements rapides” (Kundera : moralité du roman tient dans ce qu’elle est suspendue), “nous approcher pas à pas, avec pudeur face au tabou, extorquer non sans peine aux morts leur secret”, “L’aveu de notre détresse, c’est par là que nous devrions commencer.” (première voix : Médée malade + paradoxal pour une guérisseuse : “est-ce possible, serais-je restée allongée et endormie toute la matinée, ça ne m’est jamais arrivé”), “De fausses questions troublent la silhouette qui veut se libérer des ténèbres de la méconnaissance.” (mauvaise foi) , “Notre méconnaissance forme un système fermé, rien ne peut la réfuter.” (impossibilité de la communication), “les époques se rencontrent, processus douloureux” (catharsis), “Cette femme sauvage. / A présent ces voix que nous entendons.”
1. MEDEE (épigraphe Sénèque) 
première apostrophe : “sont-ils [”mes Colchidiens”] en train de se battre, et contre qui, mère”
“Soif. Il faut que je me réveille. Que j’ouvre les yeux. Le gobelet à côté du lit.”
“où suis-je, il n’y avait pas encore de figuier, c’était mon cher noyer qui se dressait là. Comme un arbre peut vous manquer, le savais-tu, mère”
“souvent je n’ai pas voulu voir ce qu’elles [les mains] annonçaient”
“les mais aussi ont une mémoire. Ces mains ont tâté chaque parcelle du corps de Jason, cette nuit seulement, mais est-ce le matin maintenant, et de quel jour”
“Reviens à toi. Où es-tu. Je suis à Corinthe.”
“consolation” apportée par le figuier “quand ils m’ont chassée du palais du roi Créon” : “Pourquoi ? J’y viendrai plus tard.” (trouver où)
“mère, es-tu encore en vie ?”
“Prends garde, as-tu dit, l’orgueil va glacer ton âme.”
“A qui dis-je cela.”
dans le regard de la mère au moment de l’embarcation sur l’Argo : “un mot jusque-là ignoré : celui de faute”
“c’est la fièvre [...] était-ce hier, reste ici, mère, d’où vient cette lassitude, je veux seulement dormir encore un peu, je vais me lever tout de suite” > tragédie déjà jouée dans les 24h précédentes mais rappel premières règles  > “je recueille l’eau de source et je bois, je bois et je guéris”
“De deux choses l’une : j’ai perdu la raison ou la ville est fondée sur un crime.”
“j’ai trouvé la preuve, je l’ai touchée de mes mains, ah si je cours un danger ce n’est pas à cause de mon orgueil. Je l’ai suivie cette femme, peut-être aussi voulais-je donner une leçon à Jason”
placée la veille “en bout de table, entre les serviteurs” ce que Jason “avait toléré”
“En tout cas ce sont les serviteurs les plus haut placés, a-t-il dit”
“Il n’a pas encore compris que le roi Créon ne peut plus m’humilier, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit maintenant, il faut que mon cerveau soit libre. Je dois me promettre de ne jamais raconter à personne ce que j’ai découvert.”
mention de Chalkiope, “notre enfance, non, c’était toute la Colchide qui était pleine de sombres secrets”
arrivée à Corinthe, “j’ai eu cette pensée envieuse : ces gens-là n’ont aucun secret. Et c’est ainsi qu’ils se voient, voilà ce qui les rend si persuasifs”
“il m’a fallu un certain temps pour comprendre qu’ils t’en veulent si tu mets en doute leur bonheur. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit”
“pourquoi ai-je tant de mal à isoler de l’essaim la pensée dont j’ai besoin”
placée entre “mon ami Leukos, le second astronome du roi, et Télamon.”
“Leukos est un homme intelligent avec qui j’aime bien parler”
Télamon (Argonaute) : “fidèle”, “particulièrement spirituel et aussi particulièrement obscène”
“résolue à punir le roi à partir de ma place inférieure j’affichais le comportement d’une fille de roi, que je suis après tout, n’est-ce pas, mère, la fille d’une grande reine.”, “attirer l’attention et imposer le respect”
”le pauvre Jason ne savait plus quoi faire, déchiré entre la soumission qu’il devait à un roi dont nous dépendons certes et sa jalousie.”
“A notre bout de table on s’amusait bien, maintenant tout cela me revient.” > contraste avec la suite et la découverte du corps
“Je ne suis plus une jeune femme, mais je suis encore sauvage, c’est ce que disent les Corinthiens, pour eux une femme est sauvage quand elle n’en fait qu’à sa tête. Les femmes des Corinthiens me font l’effet d’être des animaux domestiques bien apprivoisés, elles me dévisagent comme un phénomène étrange”, lors du banquet “regards envieux et indignés de la cour”, “regards suppliants du pauvre Jason”
“Pourquoi ai-je suivi cette femme, la reine, elle que je n’ai pratiquement jamais vue depuis que je suis à Corinthe ?”, “dans la partie la plus éloignée et la plus ancienne du palais, dans des chambres aux murs épais”, “plus prisonnière que souveraine, servie et surveillée (chiasme) par deux étranges femmes d’un autre âge qui pourtant lui sont fidèles à leur manière, je crois”
“un pays qui m’était resté et me restera toujours étranger”
“Mais que signifie avancer, que signifie revenir. La fièvre montre, il fallait que je le fasse.”
“ce second regard que tu as remarqué en moi. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour ne pas aller en apprentissage chez ce jeune prêtre, j’ai préféré tomber malade. [...] Ici je l’ai presque perdu”
“J’ai donc eu un sursaut d’effroi quand j’ai vu la reine Mérope. Assise sans un mot à côté du roi Créon, elle semblait le haït et lui, il semblait la redouter, quiconque avait des yeux pour voir pouvait le remarquer.”
“je fus saisie d’effroi et je me sentis obligée de la suivre”
 “elle se leva et, sans un mot d’explication, [...] sortit toute raide dans parure de fête brodée d’or, contraignant le roi à parler plus vite et à rire plus fort pour que l’on ne remarque pas ce manquement aux usages. A vrai dire, sa défaite me réjouissait. Il a dû forcer cette femme à montrer son visage décomposé à tous ces gens curieux et vaniteux, de même que Jason m’a poussée à jouer la comédie. Ça suffisait maintenant. C’est pour la même raison que nous sommes sorties toutes les deux : la fierté.”
“J’ai suivi cette femme. Ce couloir qui mène à la salle des banquets, combien de fois l’ai-je emprunté du temps où j’étais la femme respectée de Jason, neveu du roi et son hôte, marchant à ces côtés en des temps qui me paraissaient heureux. Comment ai-je pu me tromper à ce point, mais rien n’est plus trompeur que le bonheur et il n’est pas de lieu où la perception des choses ne soit plus brouillée que dans l’entourage du roi.”
“cette sombre voûte souterraine, comme si l’imposant et lumineux palais du roi trouvait ici son double inverse, construit dans les ténébreuses profondeurs.”
“ce froid je ne l’ai tout de même pas rêvé, mes membres en tremblent encore”
“comment expliquer sinon toutes ces éraflures aux bras”
“ne plus penser à rien ni personne,devoir continuer, toujours plus loin, la caverne [...] familière comme si je l’avais déjà vue en rêve, sinon comment aurais-je pu savoir que le chemin se divisait ici en deux branches”  > gauche
2. JASON
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circumdatanocte · 4 years
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sonnets portugais, elizabeth barrett-browning
“Le destin n’a pas épargné l’écrivain que fut Elizabeth Browning. Nul ne la lit, nul n’en parle, nul ne songe à lui rendre justice.” (The Common reader, Virginia Woolf)
“Une personne à peine incarnée” dit Nathaniel Hawthorne
Préface de Lauraine Jungelson :
“leur couple reste célèbre comme l’archétype de l’amour humain comblé”
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