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ecoledeschartes · 1 year
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Pour les archives aussi, tous les chemins mènent à Rome
La Curie généralice de l’Ordre des Prêcheurs, un organe central depuis des siècles
Odile Roy effectue son stage de 4e année aux Archives générales de l’Ordre des Prêcheurs
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Ci-dessus : vue de Rome depuis le bureau des Archives (mont Aventin)
Le 20 octobre, mon avion décolle de l’aéroport d’Orly ; quelques turbulences nous empêchent de partir à l’heure, ce qui est déjà un avant-goût de la flessibilità si prisée en Italie. De ma maigre expérience en effet, les Italiens ont cette capacité peu commune à ne s’étonner de rien et à s’adapter aux situations en dépit de l’organisation prévue : que ce soit pour prévenir un logement de mon départ la veille au soir, ou apprendre lors d’une visite à une bibliothèque que celle-ci est fermée, mais que je peux quand-même y consulter l’article scientifique désiré, je n’ai nul besoin d’insister.
Plutôt qu’étrangère, c’est bien le qualificatif d’institution internationale, ou a-nationale, qui siérait aux Archives générales de l’Ordre des Prêcheurs, puisque les documents qui y sont conservés ne sont pas relatifs à un pays particulier. La dénomination « AGOP » est d’ailleurs elle aussi impropre : le bureau où je m’installe jusqu’à la fin de l’année, jouxtant la bibliothèque du couvent de Sainte-Sabine, et m’offrant une vue imprenable sur la Ville Éternelle et la basilique Saint-Pierre grâce à l’altitude de l’Aventin, est en réalité situé dans les archives de la Curie généralice de l’Ordre. Avec ses plus de huit cents ans d’existence, l’Ordre fondé par saint Dominique a très vite été international, et très tôt gouverné par un maître général. Le couvent de Sainte-Sabine lui a été affecté dès le XIVe siècle ; c’est là que sont conservés tous les documents d’archives liés au gouvernement général de l’Ordre.
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La basilique Sainte-Sabine, vue du parc qui la borde. On reconnaît la sacristie à sa forme octogonale. Dans le prolongement, à droite, la salle de consultation et le bureau des Archives
Institution atypique donc, les AGOP se nourrissent de paradoxes : malgré son abondante postérité intellectuelle, Dominique, fondateur de l’Ordre, n’a presque rien écrit, et les actes des premiers chapitres généraux de sa famille religieuse n’ont pas été conservés. Par ailleurs, trait inhérent à la nature de l’institution, le métier d’archiviste n’y ressemble en rien à celui d’un archiviste d’État. En effet, au gré des nominations, c’est un poste, ou plutôt une fonction, qui y échoit tour à tour à des religieux de nationalités et de formations différentes. En dépit de sa culture encyclopédique, le frère Augustin Laffay, actuellement chargé de conserver ces archives, proteste de sa prétendue ignorance en matière d'archivistique. Sa longue expérience de chercheur lui permet cependant de connaître les besoins de son public, et sa conscience des enjeux qu’implique la conservation d’archives le pousse à accueillir très cordialement les chartistes.
Pour nous autres (je suis la deuxième élève de l’École à venir ici depuis l’affectation de mon maître de stage), le jeu en vaut aussi la chandelle. Les quelques mètres linéaires d’archives conservés sont très denses : presque chaque document porte en lui la tentation, habituelle à l’historien, de s’y plonger et de se passionner pour chaque détail, au détriment de la valorisation de l’ensemble du fonds.
Un examen détaillé des pièces conservées n’est cependant pas inutile, car les entreprises de catalogages du siècle dernier révèlent parfois des déficiences : je ne donnerai qu’un exemple, mais un des manuscrits préférés du frère Augustin, un recueil de textes consacré à l’inquisition, de grand format, très soigné, a été décrit par un érudit allemand en 1938… mais nulle trace, dans les Archives perchées au sommet de l’Aventin, des éléments de ladite description. Les rares notes produites par les archivistes successifs divergent d’ailleurs largement sur la datation du manuscrit.
Dans une optique très pragmatique, donc, le frère Augustin me charge de renouveler une partie du fichier qui servira pour le nouveau catalogue, l’objectif étant la fonction de recherche en plein texte à partir de vedettes soit vraiment utile : beaucoup de pièces sont simplement désignées comme des « varia »… Il s’agit donc d’ouvrir un certain nombre de boîtes et de donner au public des archives une vision plus claire de leur contenu.
Je me suis donc chargée de refaire la section du Catalogus generalis (car, internationalité oblige, une grande partie du fichier est en latin) inventoriant la série XI, série qui concerne les couvents d’hommes, principalement français. Ce travail est l’occasion de constater une fois de plus que Mabillon au XVIIe siècle n’a pas été le seul à faire montre de rigueur dans son travail d’historien, puisque nombre de couvents dressent à cette époque un inventaire des bulles les concernant, et de découvrir l’existence de nombreux débats s’étant posés dans l’ordre. J’apprends entre autres exemples qu’à Corbara, dans l’actuelle Haute-Corse, les relations entre clergé séculier et religieux mendiants étaient, au XIXe siècle, des plus lamentables, poussant le curé à accuser les fidèles du couvent de péché mortel, à vouer les frères dominicains aux flammes de l’enfer, ou que les congrégations enseignantes ont traversé une crise profonde avant 1900.
Après cela, en parallèle de colloques organisés par le Comité pontifical des sciences historiques, auxquels je me rends avec mon maître de stage, qui y participe, je suis chargée de traduire une constitution de Pie X, la « Lex et ordo Sacrae Congregationis Sancti Officii », entreprise dont personne ne s’est chargé depuis la promulgation du texte. Sous des apparences fastidieuses, le document en question pourrait exciter bien des fantasmes : il s’agit quasiment du seul texte officiel précisant le fonctionnement du Saint-Office, le tribunal du Vatican, chargé d’enquêter, et ce jusqu’aux années 1960, sur des causes concernant la foi et les mœurs. Le vocabulaire latin des technologies en vigueur au début du XXe siècle n’a plus de secret pour moi désormais.
Par la suite, toujours désireux d’améliorer l’indexation et le catalogage de ses fonds, le frère Laffay me charge de revoir le catalogue de sa seconde série, consacrée à l’inquisition, à laquelle le Saint-Office a succédé.
Loin de l’image, forgée par la propagande de la Troisième République et servie avec la verve hugolienne, d’une assemblée d’accusateurs impitoyables aux sentences toutes plus terribles les unes que les autres, menant des procès spectaculaires, ce terme désigne une juridiction ecclésiastique, confiée par le pape à l’ordre fondé par saint Dominique. Dans la France gallicane, les tribunaux dits d’Inquisition sont très tôt inopérants, mais, dans le reste de la Chrétienté, ils continuent d’exister à l’époque moderne, et laissent une documentation essentiellement constituée de factums, mémoires servant lors des procès. Y sont débattues des questions théologiques (la querelle de la grâce à la fin du XVIIe siècle, qui voit s’affronter les théologiens belges, est source de nombreux libelles, dubia, réponses à ces dubia, tentatives de conciliation, accusations de jansénisme), liturgiques, mais aussi des affaires plus prosaïques, souvent des querelles entre les frères prêcheurs d’un couvent et le clergé séculier avoisinant au sujet de privilèges ; certains dossiers évoquent le travail actuel d’une Officialité diocésaine dans l’Église catholique : demandes de dispenses pour mariage avec disparité de culte, examen de la validité d’une profession religieuse…
Pour ce que j’ai pu voir, les témoignages de « chasse à l’hérétique » médiévale, à proprement parler, sont rares, moins bien conservés, sans doute. Un recueil de textes divers à l’usage de l’inquisiteur, richement décoré, recense des décrets pontificaux, des formules d’abjuration, mais aussi des notices précises sur les différents groupuscules dissidents plus ou moins proches des Albigeois. Autant de documents, en somme, dont la valorisation est un enjeu archivistique important.
Pour illustrer cet enjeu, des détails anecdotiques, mais non anodins.
Pour les supports plus rares (disques vinyles, diapositives ou photographie sur plaque de verre), les AGOP, qui restent une institution rattachée à un ordre mendiant, ne disposent à ce jour d’aucun moyen d’exploitation.
Le conditionnement des pièces, lui aussi, peut soulever des questions pour le moins inattendues : quelle boîte sera la plus appropriée pour contenir le rosaire du père Garrigou-Lagrange, théologien du XIXe siècle en passe d’être élevé sur les autels ? Comment conserver au mieux les linges ensanglantés et le fil de fer avec lesquels une pieuse mystique de l’époque moderne s’adonnait à des exercices de pénitence ?
À suivre…
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ecoledeschartes · 1 year
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La Bibliothèque royale danoise : un diamant du nord
Hugo Forster a effectué son stage de 4e année au sein de la Bibliothèque royale danoise (Det Kongelige Bibliotek).
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Le Diamant Noir, monument iconique de la Bibliothèque royale du Danemark, sur Slotsholmen, le 1er juillet 2022, à l’occasion de la première étape du Tour de France. Le personnel, présent dans les passerelles reliant l’aile la plus moderne aux installations plus anciennes, se souvient avec émotion de cette journée festive. Photo : News Øresund – Johan Wessman (CC-BY 3.0)
Aux prémices de mon voyage d’études au Danemark, il y a la préconception, partagée parmi les bibliothécaires français·e·s, d’un certain « idéal scandinave ». Animé en France par une volonté de faire évoluer la philosophie institutionnelle des bibliothèques vers une ouverture plus grande, à la fois en termes de supports culturels, de variété d’usages ou de publics – ou même plus trivialement d’horaires d’ouverture –, ce discours tient les politiques culturelles des pays scandinaves comme pourvoyeuses de fonds larges, qui permettent aux bibliothécaires de remodeler leurs services en fonction des usages réels qu’en ont les lecteurs·ices.
Un stage de deux mois à la Bibliothèque royale du Danemark m’a permis d’interroger la pertinence et les fondements d’une telle idée. Au fil d’un dense programme de visites dans l’ensemble du pays, et d’entretiens avec les directeurs·ices des principaux départements de la Bibliothèque, j’ai été mis en contact avec des professionnels issus d’horizons variés, dans un paysage institutionnel tout récemment remodelé.
À ce jour, la Bibliothèque royale du Danemark résulte de la fusion effectuée en 2016 de six établissements. Si ces derniers ont pour partie conservé leurs anciennes identités et fonctions, ils participent aujourd’hui à part entière à un travail commun, autour d’une stratégie et d’outils partagés. On dénombre :
Le site historique de la Bibliothèque royale, installé depuis 1650 dans le centre de pouvoir de Copenhague, Slotsholmen. Il est la plupart du temps désigné par le nom de son extension de 1999, le « Diamant Noir ». Cette adresse comprenait déjà depuis 1989, en plus de ses missions de bibliothèque nationale, les fonctions de bibliothèque de l’Université de Copenhague (KUB : København Universitets Bibliotek).
La Statsbibliotek d’Aarhus (1, Victor Albecks Vej). Alors que la deuxième ville du pays partageait déjà avec Copenhague une partie du dépôt légal et de la conservation des collections spécialisées, elle avait également la fonction de bibliothèque de l’Université d’Aarhus.
La bibliothèque nationale d’art (Danmarks Kunstbibliotek), qui a sa principale adresse à Nyhavn, le canal de toutes les cartes postales copenhagoises.
La bibliothèque administrative (Det Administrative Bibliotek), destinée à répondre aux demandes des fonctionnaires danois·es.
La bibliothèque du centre danois de recherche et d’informations sur le genre, l’égalité et la diversité (KVINFO).
Les fonctions du groupe de travail sur les ressources électroniques des bibliothèques de recherche danoises (DEFF : Danmarks Elektroniske Fag- og Forskningsbibliotek).
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“Holmen”, l’aile ancienne de la bibliothèque, achevée en 1906. Vue depuis le “Bibliotekshave”. Durant sa construction, l’emplacement de la verrière actuelle constituait en fait la « porte d’entrée » des livres des collections royales, acheminées par rail de l’autre côté du jardin. Un imposant pont de fortune reliait les deux bâtiments. L’accès ayant été scellé, il est aujourd’hui d’autant plus difficile de faire sortir les ouvrages des magasins de “Holmen”. Photo : News Øresund – Johan Wessman (CC-BY 3.0).
En plus de l’intégration de ces composantes, la Bibliothèque royale a alors absorbé les bibliothèques des différentes facultés de Copenhague et d’Aarhus, les rendant de facto indépendantes des universités auxquelles elles fournissent leurs services. Chacune des institutions citées pouvant compter plusieurs adresses (salles de lecture, équipements de stockage…), on peut imaginer « la » Bibliothèque Royale comme un immense ensemble de 130.000 m², contre quelque 35.000 m² seulement pour le site de Slotsholmen. Elle emploie autour de 700 ETP, contre plus de 2150 pour la BnF en 2021 (1), différence d’échelle assez réduite, si on la compare à l’écart démographique séparant le Danemark de la France.
La politique des fusions : quelle stratégie nationale ?
Le récent mouvement de fusions de bibliothèques à travers tout le pays découle d’une politique de grande échelle chargée de réduire les redondances administratives à travers le territoire. En 2007, le gouvernement danois implémente une réforme structurelle qui redessine la carte du pays, fusionnant les 271 municipalités existantes en 98 nouvelles collectivités. Elle met un terme à l’existence des amter (départements) par la création de 5 régions (2). Cette réforme devait en premier lieu permettre de rationaliser les services hospitaliers, en concentrant les établissements et en fermant ceux de taille modeste. La logique s’est étendue dans un second temps aux autres services publics.
C’est d’abord le secteur de l’enseignement qui a été touché par les conséquences de la réforme de 2007. De vingt au début du XXIe siècle, les universités danoises passent à huit, dominées par cinq grandes universités compétitives à l’échelle internationale et concentrant les postes de chercheurs·euses, y compris une partie de ceux qui ne faisaient jusqu’ici pas partie de l’université (3). Elles sont soutenues par trois universités plus petites, également le fruit de centralisations (4). Ce sont ces mêmes universités et centres de recherches qui ont décidé, en concertation avec le ministère de la Culture, de fusionner leurs bibliothèques dans la seule Bibliothèque royale.
Le principal attrait de cette réforme est financier. Elle mise sur des économies d’échelles, rendues à la fois possibles et nécessaires par le contexte de numérisation (et de délocalisation) des services de bibliothèques. Les nouvelles technologies impliquent une réévaluation à la baisse de l’importance des prestataires des services traditionnels de bibliothèque, en même temps qu’elles poussent à la centralisation, la généralisation et l’uniformisation de ces services. Il va sans dire que le déclin de la part du livre imprimé au profit d’autres supports dans les services rendus par les bibliothèques de recherche est fondateur dans les motivations d’une telle réforme. D’autre part, des services tels que la communication de documents non numérisés sont facilités par l’existence au Danemark d’un système règlementé (5) de prêts entre bibliothèques extrêmement performant, et gratuit pour les lecteurs·ices (6).
Les activités de la nouvelle Bibliothèque royale se déploient ainsi sur plusieurs axes tirant profit des fusions. Les établissements fusionnés ont pris part à un SIGB (7) partagé (Alma – ExLibris), qui se traduit pour les utilisateurs sous la forme d’un catalogue commun. Ne se contentant pas seulement de la Bibliothèque royale, ce système inclura à terme toutes les bibliothèques de recherche du pays, Roskilde (8) et Aalborg ayant déjà versé leurs catalogues. En plus d’économies d’échelles sur le temps de travail dédié à la gestion du système, la directive est profitable aux utilisateurs·ices, qui bénéficient désormais d’un accès étendu et simplifié aux ressources, aussi bien électroniques que matérielles… malgré des premiers mois de mise en œuvre du nouvel SIGB qui ont en 2019 soulevé d’importantes difficultés, depuis résolues. Les collections matérielles des bibliothèques fusionnées jouiront bientôt d’un équipement de stockage standardisé à climat contrôlé, installé à Vinge, à environ 40km de Copenhague. Ce projet ambitieux n’aurait pu être imaginé dans l’ancien paysage des bibliothèques de recherche danoises. Au moment de mon stage, les collections quittaient les étagères pittoresques mais inadéquates du site de Slotsholmen pour définitivement rejoindre cet équipement distant, qui doit paradoxalement garantir une meilleure accessibilité.
L’autre intérêt majeur des fusions réside dans le fait de doter les bibliothèques de recherche d’un poids accru dans la négociation des ressources électroniques auprès des éditeurs. Si cette mission était déjà relativement centralisée, puisque les « gros contrats » d’acquisition de licences étaient négociés par la groupe de travail DEFF (Bibliothèque électronique de recherche), les fonctions transférées à la Bibliothèque royale prennent une dimension supérieure.
Le personnel le plus ancien évoque encore avec une certaine méfiance la fusion de leurs anciens établissements à la Bibliothèque royale, mais certaines garanties ont désamorcé jusqu’aux critiques les plus vives. Les établissements fusionnés ont ainsi pu, pour ceux qui en avaient l’utilité et la capacité, conserver leurs collections, a fortiori patrimoniales, et parfois mêmes leurs salles de lecture spécialisées.
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L’entrée du site principal et historique de la “Danmarks Kunstbibliotek”, dans le palais de Charlottenborg, à Nyhavn – lieu qui héberge également l’Académie royale danoise des Beaux-Arts, ainsi que la galerie d’art qui lui est attachée. L’ensemble de ses services a été fusionné à la Bibliothèque royale, bien que l’institution garde effectivement une identité marquée. Photo : Orf3us, via Wikimedia Commons (domaine public).
Il en va ainsi de la bibliothèque d’art, qui a versé ses collections numériques au système commun et qui, soulagée d’une grande charge de son travail administratif, conserve ses salles de lecture (et donc son public) à son adresse historique, tout en bénéficiant de ressources plus large pour animer sa salle de lecture spécialisée de Søborg, en périphérie de Copenhague, où elle donne accès à des documents devant être manipulés avec des précautions particulières (dessins et maquettes d’architecture notamment). On peut trouver une situation comparable dans un tout autre domaine à la bibliothèque universitaire du campus de Frederiksberg (9), qui conserve encore une forte attache à ses collections patrimoniales touchant aux sciences naturelles, à l’agronomie, aux formations des vétérinaires et au paysagisme (nombreux dessins, reproductions, photographies, et même artefacts conservés sous formol et éthanol).
Une philosophie professionnelle en mouvement
Une visite de différentes adresses de la Bibliothèque royale donne un aperçu d’une conception de la bibliothèque différente de celle partagée en France, et parfois même de crises de conscience qui traversent le milieu professionnel.
a/ Le site de Slotsholmen : une « bibliothèque sans livres » ?
La « Diamant Noir » de Copenhague, imposant monument penché sur le port, témoigne d’un glissement dans l’imaginaire de la bibliothèque nationale.
La première approche de l’édifice a quelque chose d’intimidant. Depuis la place Kierkegaard, l’œil n’accroche à aucune voie d’accès dans ce monolithe vitré, laissant une impression héritée du projet architectural de 1999, alors que l’établissement pouvait encore être présenté comme une figure de proue du « coffre-fort du patrimoine national ». Ce sentiment est pourtant vite contredit, une fois passés les tourniquets, par une entrée en douceur dans un sas aux dimensions chaleureuses, où se côtoient lecteurs·ices solitaires, groupes en conversation, client·e·s de la boutique-librairie gérée directement par la Bibliothèque et consommateurs·ices du café. Ce sas bruissant d’activités s’ouvre sur un atrium ouvert sur 30m, entièrement vitré face au port, coupé seulement par une rampe oblique, un puits contenant des espaces d’exposition, et des balcons courbes avoisinant les salles de lecture à tous les niveaux. Cet atrium donne un accès direct à la Dronningesalen, grande salle de concerts et de conférences, et à deux vastes espaces d’exposition souterrains. Cependant, la plupart des visiteurs·euses empruntent la rampe, qui achemine au Kirkebybroen, passerelle décorée d’une fascinante fresque de 210m² réalisée par le peintre-géologiste Per Kirkeby, chargée de faire le lien entre le « Diamant » et les édifices plus anciens de la Bibliothèque Royale, Holmen et Hansen, ouverts respectivement en 1906 et 1969.
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Le sas d’entrée du Diamant noir, partiellement occupé par un café. On constate l’aspect très confiné, induit par les plafonds bas, malgré le pourtour du hall entièrement vitré, qui permet une entrée en douceur dans la bibliothèque, mais peut aussi tendre aussi à renforcer, depuis l’extérieur, son aspect monolithique et inaccessible. Photo : News Øresund – Johan Wessman (CC-BY 3.0)
Nul portique, nul gardien : les espaces invitent à la libre circulation, dans le calme certes, mais en toute décontraction. Dans les anciens bâtiments, en dehors de la Gamle Læsesal réservée à l’étude silencieuse, les lecteurs·ices sont invité·e·s à s’approprier les espaces et à en déplacer le mobilier léger selon leurs besoins. Dans la partie plus moderne, les usages ont été reconfigurés au fil du temps.
Dans les premières années du « Diamant Noir », seul le rez-de-chaussée (ou « Pôle Culture ») était entièrement public. Les étages supérieurs étant alors dédiés à un « Pôle Bibliothèque », qui partageait ses salles de lecture en fonds spécialisés : recherche générale ; journaux et périodiques ; manuscrits ; musique et théâtre ; orientalisme et judaïstique ; cartes et photographies. Le tout était alors arrangé selon une gradation censée réfléchir la noblesse supérieure de certains sujets, placés dans les plus hauts étages.
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L’atrium du Diamant noir, vu depuis la passerelle du cinquième étage, et sa grande verrière donnant sur le port et les canaux de Christianshavn. On remarque la rampe connectant Kirkebybroen et le hall d’entrée, sous lequel s’ouvre un puits qui donne accès aux espaces d’exposition. De part et d’autre, les balcons donnent sur des salles de lecture entièrement vitrées. Photo : FrDr, via Wikimedia Commons (CC-BY-SA 4.0)
Cette situation a été entièrement bouleversée autour de 2012, avec la baisse de la fréquentation des salles de lecture et de la consultation des collections physiques. La décision a alors été prise de banaliser progressivement les salles de lecture, sauf la salle de recherche Ouest aujourd’hui dédiée, en partage avec le Rigsarkivet, à la consultation sous surveillance des documents anciens, rares et précieux. Certaines des salles banalisées ont bien gardé une teinte spécialisée en raison de la présence de collections thématiques en libre-service, mais elles sont en fait fréquentées par des lecteurs·ices aux usages indifférenciés, qui y entrent sans contrôle ni carte d’accès précise. Les collections mentionnées sont conservées ici par commodité, mais en réalité très peu consultées. Aucun·e bibliothécaire n’est d’ailleurs présent·e dans ces salles de lecture banalisées. La banque de prêt elle-même, à l’origine placée sur le Kirkebybroen, a déménagé dans la boutique-librairie à l’entrée de la bibliothèque.
On constate une cohabitation d’usages variés, en même temps qu’une mutation des publics. Aujourd’hui bien plus qu’en 1999, badauds et enfants sont tolérés, et même invités dans l’enceinte de la Bibliothèque ! Cependant, malgré d’agréables scènes de vie, les mutations du « Diamant Noir » laissent planer le spectre, certes caricatural, d’une « bibliothèque sans livres ni bibliothécaires », dans une plus forte mesure encore dans le contexte de l’actuel déménagement des collections vers un équipement de stockage externe. La numérisation peut encore laisser craindre que la Bibliothèque tende à se tourner en un triste open space pour usagers·ères atomisé·e·s, travaillant chacun·e à son projet, depuis son poste de travail individuel, qui leur donne l’illusion d’un accès à l’ensemble des ressources, oubliant parfois les immenses fonds qui n’ont pas fait l’objet d’une numérisation. La programmation culturelle par ailleurs en plein essor, destinée au plus grand public, n’est malheureusement pas à même d’entièrement répondre à la déliquescence des fonctions cœur de la Bibliothèque royale.
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La Danskesal en 1956. Elle n’accueille depuis l’ouverture du Diamant plus aucun·e lecteur·ice, et a été, au courant de mon stage, entièrement vidée de ses collections. Un projet de rénovation, destiné à transformer l’endroit en salles de lectures hybridées avec une salle de conférence, est actuellement mené par le cabinet A. P. Møller, déjà commissionné pour la rénovation de la bibliothèque royale d’Aarhus (Victor Albecks Vej, 1). Photo : Det kongelige Bibliotek, Danske Sal. Vindeltrappe, 1956. Collections de la Bibliothèque royale du Danemark.
b. Le site d’Aarhus (Victor Albecks Vej) : une grande perméabilité aux problématiques de la lecture publique
La principale antenne aarhusienne de la Bibliothèque royale ne laisse rien voir de semblable au statut monumental du « Diamant Noir ». Sise au point culminant de la ville, elle est dominée par sa « tour des livres » construite dans les années 1950 – 1960, et progressivement entourée au XXe siècle d’un campus qui partage avec elle son style architectural en briques jaunes. La bibliothèque a connu une rénovation majeure en 2018, dans la foulée de sa fusion dans la Bibliothèque royale.
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La tour des livres d’Aarhus, vue depuis le parc du campus universitaire. L’ensemble des bâtiments du campus est construit dans le même style architectural, et avec les mêmes briques jaunes, couvertes de lierre, que l’on peut observer sur la tour, donnant une identité remarquable au quartier. Photo : RhinoMind, via Wikimedia Commons (CC-BY-SA 4.0)
L’ambiance générale de la bibliothèque est effervescente, dans une dimension beaucoup plus familière, bien qu’elle se réserve de nombreux espaces studieux. Sur cinq étages, elle accueille une multitude de salles de lecture aux ambiances diverses, comprenant des salles de réunion ou de travail en commun, des ateliers, des espaces de détente, un café, et même, au rez-de-chaussée, une grande salle hybridant les fonctions de travail et de réfectoire, selon l’heure de la journée. En remontant les étages depuis le sous-sol, les plateaux s’ouvrent progressivement en terrasses, mezzanines et alcôves, les vastes salles communes se voyant remplacées par des espaces beaucoup plus informels, comme ce fragment du parc environnant apporté au centre de la bibliothèque. Les différentes fonctions semblent cohabiter sans conflit, pour la plus grande joie des étudiant·e·s affluant des résidences voisines, et de toutes les facultés – chacune étant pourtant déjà dotée de bibliothèques de qualité.
À nouveau, l’aménagement intérieur permet une cohabitation d’usages divers. La plupart des lecteurs·ices sont bien entendu des étudiant·e·s, mais, comme dans toutes les bibliothèques de recherche danoises, nul besoin d’être inscrit pour espérer trouver une place en journée – alors que la ville est par ailleurs très bien dotée en bibliothèques publiques, quelques habitant·e·s retraité·e·s semblent apprécier quotidiennement l’alcôve destinée à la presse quotidienne, placée stratégiquement près de distributeurs de boissons chaudes en libre-service.
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Au premier étage de la bibliothèque d’Aarhus (Victor Albecks Vej, 1), le “Biblioteks Have” transpose sous une verrière un fragment du parc environnant, fontaine comprise. Photo : Villy Fink Isaksen, via Wikimedia Commons (CC-BY-SA 4.0)
Si, pour des raisons de sécurité touchant à une trop forte proximité entre les magasins et les salles de lecture, cette adresse-ci ne peut être qu’ouverte dix heures par jour, en présence de bibliothécaires, une grande partie des autres bibliothèques du campus restent accessibles aux employé·e·s et aux étudiant·e·s en dehors des heures de présence du personnel, sous réserve de présenter une clé magnétique à l’entrée. Cette mesure ne garantit certes pas l’accès à l’intégralité des services de bibliothèque 24h/24, mais elle répond à une carence de lieux de travail, en solitaire ou en commun, dans le reste de l’université, ainsi qu’aux besoins de sociabilisation des étudiant·e·s.
Elle reprend de ce fait à son compte une partie de l’ambition chère aux bibliothèques publiques, en France comme au Danemark, de se constituer en « tiers lieux », propres à favoriser les échanges, les rencontres informelles ou organisées. Aussi cherche-t-elle, par l’adjonction à ses services d’espaces performatifs sur le modèle des fablabs et maker spaces, à favoriser l’implication et la créativité de ses usagers.ères. En un mot, elle se constitue en un espace de « vivre ensemble », en dehors du lieu de travail et du domicile. Il reste que, dans le cas particulier des étudiant·e·s, la frontière entre ces trois types de « lieux » est étroite. Dans le même ordre d’idée, on peut constater, à vue d’œil, qu’une partie considérable des usagers·ères des bibliothèques publiques d’Aarhus faisant le choix de fréquenter l’établissement sur des périodes moyennes à longues est en fait constitué d’étudiant·e·s.
Une comparaison avec la situation de la BnF permet de constater quelques parallèles entre les directives récemment prises en France, et celles qui ont déjà produit leurs fruits au Danemark. Le site Mitterrand donne à voir, avec sa nette séparation entre haut-de-jardin et rez-de-jardin, une organisation semblable à celle de la Bibliothèque royale du Danemark à l’inauguration du « Diamant Noir » en 1999. Activités de médiation culturelle à destination de tous les publics (10) et accès aux collections pour les chercheurs·euses sont nettement séparés. L’ouverture des différentes adresses de la Bibliothèque Royale Danoise est désormais nettement plus grande, et, si le site Mitterrand ne semble pas prêt à revoir en profondeur ses modalités d’accueil des publics, il faut remarquer le changement de statut significatif qu’ont apporté à l’institution les travaux de rénovation de son site Richelieu. Ce dernier ouvre ses portes depuis septembre 2022 à un large public, grâce au percement d’une « rue » dans l’historique forteresse du « Quadrilatère », donnant accès à tou·te·s d’une part à des espaces d’exposition (payants), d’autre part à une grande salle « de lecture et de détente » (11), gratuite et pour tous les âges, mettant à libre disposition du public des « bornes de médiation numériques », des ouvrages de références en lien ou non avec les collections spécialisées de la BnF, un corpus de littérature française, et une imposante collection de bandes dessinées. Les salles de recherche du site Mitterrand gardent quant à elles leurs anciennes fonctions et conditions d’accès.
L’expérience démontrera ou non le succès, en France, du rapprochement de publics et d’usages divers au sein de la Bibliothèque nationale.
*
Mon voyage d’études au Danemark a éveillé en moi, bibliothécaire que j’espère devenir, une impression singulière. J’ai témoigné d’un profond remaniement du métier auquel j’aspire, lié à la numérisation galopante des services ; je n’avais peut-être pas encore pris l’exacte mesure de l’étendue de ses effets. J’ai rencontré durant mon parcours dans la Bibliothèque royale du Danemark autant de « bibliothécaires de formation », encore attachés aux services traditionnels, que de « spécialistes de l’information » aux parcours variés, qui parviennent à récuser par l’approche moderne qu’ils ont de leur travail la crainte de services « désincarnés » parce que centralisés.
Le Danemark est un pays qui se flatte de faire jouir ses citoyens de droits étendus, en échange d’une forte contribution des individus à l’effort commun, par le biais des impôts. Bien qu’il n’existe au Danemark pas d’Allemandsret (12) donnant légalement le droit d’user des espaces naturels entièrement gratuitement (même privés) et d’y cueillir librement baies et champignons, les contributeurs danois peuvent fréquenter tout type de bibliothèque, et en utiliser l’ensemble des ressources.
Le contexte général de l’accès à l’information et les réponses institutionnelles qui lui sont apportées sont cependant semblables au Danemark à la conjoncture que traversent bien des pays occidentaux : bouleversements dus à la poussée du numérique, et rétrécissement des finances publiques. Si les observateurs étrangers ont commodément érigé dans leurs discours un certain « idéal danois » pour mieux recommander une ouverture de la philosophie de leurs propres bibliothèques, il est à l’expérience assez difficile de constater aujourd’hui des écarts de fond majeurs entre l’idée de la bibliothèque qui dirige les nouveaux projets danois, et les initiatives des autres pays européens.
Le dépaysement que rencontrera un bibliothécaire en voyage d’études au Danemark tiendra plutôt aux dotations toujours comparativement généreuses accordées par l’État les collectivités, ou encore à l’existence unique de certains modes de gestion, qui induisent d’importantes spécificités dans l’organisation et les usages des bibliothèques danoises. À ce titre, le système de prêts entre bibliothèques performant et gratuit à l’échelle nationale, ainsi que le catalogue commun sur lequel il s’appuie, sont peut-être les exemples les plus frappants d’une certaine « particularité nordique »…
Notes
« La BnF en chiffres » Consulté le 16 novembre 2022.
Inderings og boligministeriet (ministère de l’intérieur et du logement), « Structural Reform ». Consulté le 16 novembre 2022.
Aarhus, Copenhague, Aalborg, Roskilde, et l’IT-Universitet (ITU) de Copenhague
L’Université Technique (DTU) sise à Copenhague, la Copenhagen Business School et l’Université du Sud-Danemark (SDU : elle comprend Odense, Esbjerg, Kolding, Slagelse, and Sønderborg).
Cf. Danish National Library Authority, Act regarding library services, 2001. Voir en particulier P2, §13.
Rappelons qu’en France, les bibliothèques participant au réseau PEB (Prêts Entre Bibliothèques) fixent elles-mêmes les conditions tarifaires s’appliquant à leurs lecteurs·ices. Les tarifs se situent entre 5 et 10€ pour le prêt d’une monographie, ou par tranche de 50 pages pour le prêt d’un périodique. Ce réseau est tout à fait indépendant de celui des bibliothèques publiques (PIB), contrairement à la situation qui a cours au Danemark. Cf : https://abes.fr/reseau-sudoc/sudoc-outils-et-services/peb/, consulté le 17 novembre 2022.
Système Informatisé de Gestion des Bibliothèques.
Au moment de mon stage, les bibliothèques de l’Université de Roskilde terminaient en fait leur fusion entière dans la Bibliothèque Royale.
Commune indépendante de plus de 100.000 habitants enclavée dans le tracé de Copenhague.
Encore que l’accès à la « Bibliothèque tous publics » du site Mitterrand soit interdite aux moins de 16 ans, et nécessite l’achat d’un titre d’accès.
https://www.bnf.fr/fr/la-salle-ovale/. Consulté le 17 novembre 2022.
Droit d’accès à la nature, accordé à tous en Norvège, Suède (allemansrätt), Finlande (jokamiehenoikeus) et Estonie (igameheõigus).
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ecoledeschartes · 1 year
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Voyage à Tolède, Cité des trois cultures… ou comment attraper la grippe espagnole
Marie de Place effectue son stage de 4e année aux Archives historiques de la noblesse, à Tolède.
« Toledo, peñascosa pesadumbre, gloria de España y luz de sus ciudades. » Cervantes
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Tolède, Puerta del Sol – une des portes des murailles de la ville, datant de l’époque où Tolède, brillante cité du royaume arabe d’Al-Andalus, s’appelait Tulaytula…
Des chats fuient au détour d’une ruelle. Encore trois pas vers la lumière diaphane qui semble filtrer d’un mur de briques : une placette ombragée, et toute la rocheuse mélancolie de Cervantes s’étend, de l’autre côté du fleuve Tage, derrière les pilastres de San Juan de los Reyes bruissants de colonies d’oiseaux.
C'est aux Archives de la noblesse que j’ai passé, durant deux mois, la première moitié de mes journées – 9h/14h, rien de plus banal pour des horaires de matinée espagnole.
Archives de la noblesse ? Compliqué de comprendre, d’abord. Si l’on se place du point de vue de la classe sociale détentrice de la production de l’écrit documentaire, les archives d’Ancien Régime ne sont-elles pas plus ou moins toutes, à l’exception de celles produites dans un cadre religieux, et encore, des archives de la noblesse ? Mais pour comprendre la raison d’être de cette institution fille des archives nationales espagnoles, il faut se placer du point de vue de la collecte, de l’entrée des fonds.
Les archivistes espagnols, dans un pays plus rompu que le nôtre à la décentralisation, et dont la noblesse, malgré une histoire nationale mouvementée, n’a pas traversé la Révolution française, ont regardé avec d’autres yeux les conséquences de l’émiettement du territoire national aux mains de ces grands propriétaires de terres, dont les descendants vivent encore en tant que tels – plus de 2840 titres nobiliaires sont référencés en Espagne à l’heure actuelle. Une section particulière des Archives nationales espagnoles a été dédiée en 1993 à la collecte des archives de ces familles nobles, sous le nom de Sección Nobleza del Archivo Histórico Nacional. Son fonctionnement, déjà indépendant des Archives nationales, atteignit sa plein maturité en 2011, et, de manière effective, en 2017, par un nouveau décret royal qui consacrait la fondation des Archives historiques de la noblesse, Archivo Histórico de la Nobleza, une institution se réclamant comme pionnière et unique en son genre. Le tout fut et demeure placé sous la gestion du ministère de la Culture et du Sport, via la Sous-direction générale des Archives de l’État.
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Impressionnant cloître des Archives de la Noblesse, sises dans l’ancien hôpital Tavera
Aujourd'hui, les Archives de la noblesse espagnole sont donc une branche, mais une branche pleinement indépendante des Archives nationales d’Espagne, s’appliquant à collecter, voire, dans certains cas, acheter des archives documentant avec une précision indépassable la vie des territoires de l’ancien temps. De fait, les familles nobles espagnoles détiennent souvent encore aujourd'hui des fonds d’archives énormes, contenant des actes notariés à n’en plus finir, et des informations sur les plus petits hameaux, justement parce qu’ils étaient possessions… En bref, ces archives en mains privées sont aujourd'hui reconnues pour ce qu’elles sont, des archives publiques ; et, grâce aux Archives historiques de la noblesse, leur collecte tout comme leur inventaire se fait en respectant le cadre de leur production, c'est-à-dire les baronnies, marquisats, comtés ou autres qui sont à la fois leur cause et leur contexte. Aujourd'hui, plus de 260 fonds familiaux nobles sont référencés à l’inventaire de l’Archivo Histórico de la Nobleza ; les fonds des grands comtés ou marquisats présentent un panel de fonds familiaux différents, eux-mêmes enrichis par le jeu des alliances matrimoniales, qui occasionnent des transferts d’archives d’une famille à une autre. Les ramifications s’étendent, les fonds s’étoffent, des documents en français font leur apparition de temps à autre, au gré des mariages, dont on apprécie ici mieux que partout ailleurs l’étonnant jeu stratégique, pensé sur le temps long. Les fonds des Archives de la noblesse portent en eux leur propre renouvellement.
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Murailles de la ville. Allures orientalisantes : les techniques de construction mauresques ont perduré après la reconquête de la ville par Alfonso VI de Castille, en 1095.
Bien que le roi d’Espagne ait encore le pouvoir d’anoblir, et que des personnalités contemporaines puissent ainsi prétendre au recueil de leurs archives à Tolède, la réalité est à la collecte d’archives papiers, et, dans la plupart des cas, anciennes, malgré une bonne représentation du XXe siècle dans la répartition chronologique des fonds. Actuellement, un peu plus de 3 kms de documents, conservés dans l’ancien hôpital Tavera, dont les locaux sont partagés par les Archives avec un musée et une école, attirent un maximum de 5 lecteurs par jour.
Après un stage aux importantes Archives du Rhône et de la Métropole de Lyon, ce fut pour moi la découverte du fonctionnement d’une institution aux effectifs plus réduits. A titre d’exemple, on trouve à Tolède un unique fonctionnaire chargé de l’ensemble de l’administration, Christian ; comme je m’en étonnais, on m’apprit que le poste avait été ouvert très récemment et qu’auparavant, c'était la directrice qui s’en occupait… sachant que cette dernière, Aránzazu Lafuente Urién, une femme de caractère, gère à elle seule toute la partie contact avec les donateurs et collecte des archives, entre bien d’autres prérogatives.
Comme en témoigne le nouveau poste d’administrateur créé pour Christian, il semblerait que le vent tourne. Après les archives du Rhône où le directeur devait se battre contre les RH du département qui gelaient automatiquement les postes des agents partis à la retraite, il a été réjouissant d’assister, à Tolède, à la création de postes et à l’arrivée de nouveau personnel. Les Archives de la noblesse sont à l’aube d’une phase nouvelle de développement, en témoigne également la conférence à laquelle j’ai pu être présente, la première jamais donnée aux archives, née d’un électrochoc : la découverte, par des méthodes dignes de Mabillon, de ce que le document toujours cru le plus ancien conservé dans les fonds, portant la date de 943, est en fait un habile faux, réalisé par des moines à l’occasion d’un procès, en 1175…
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« Mentiras medievales », « Mensonges médiévaux », la première conférence des Archives de la Noblesse, le 28 novembre 2022. Ici la directrice des Archives, Aránzazu Lafuente Urién.
Ce séjour en Espagne m’aura fait prendre conscience de la situation privilégiée des archives en France, en dépit du faible intérêt que leur portent encore la plupart des collectivités territoriales, à côté des musées et des bibliothèques. Je me suis donnée l’impression d’une enfant gâtée, m’attendant à trouver de plus nombreuses manifestations culturelles, de hautes ambitions, des projets ancrés dans les problématiques du futur des archives, en particulier autour de la question du numérique… Ici la question des archives nativement électroniques et de la garantie de leur authenticité face aux tribunaux relève encore de la fable des habits neufs de l’Empereur, pour citer Édouard Bouyé décrivant la situation en France en 2017. En vérité, aux Archives de la noblesse, la problématique était encore tout bonnement absente ; la nécessité elle-même en la matière y faisait défaut, au vu de la nature très classique des fonds conservés. Mais ce retard est à mettre en bonne partie sur le compte d’un flagrant manque de moyens dévolus par l’État aux archives – les Espagnols accusent la désorganisation de leur système politique tout entier. Les effectifs des Archives nationales espagnoles sont d’une maigreur à faire pâlir. Et comment développer de grands projets si les crédits ne suivent pas ? Il est probable, étant donné que le modèle français est la grande référence espagnole en matière d’archives, que les choses seront amenées à évoluer dans un prochain temps.
Un autre point, sur le plan humain… où la France à l’inverse fait plus triste mine : une remarquable équité règne dans les rapports professionnels, aux archives espagnoles. Aux Archives de la noblesse, les personnels de tous les échelons de la fonction publique échangent sur un pied d’égalité et dans une atmosphère détendue que je n’ai jamais vue en France, bien que les archives, comparées aux musées ou aux bibliothèques, aient la réputation d’une plus grande simplicité. Cependant, sans crier défaite pour autant, pour transposer le mot d’Arthur Oldham, musicien anglais, fondateur du chœur de l’orchestre national de Paris en 1976, on ne peut reprocher aux Français d’être Français…
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Callejon, ruelle arabe dans la vieille ville tolédaine.
Par peur d’ennuyer, je ne m’étendrai pas sur mes deux principales missions, description et enregistrement sur PARES, le portail des Archives espagnoles, de deux fonds en français, concernant une famille du sud de la France, les Lézat, seigneurs de Brugnac et de Marquefave, et la comtesse d’el Vado et d’Echauz, María del Pilar de Acedo Sarriá (1774-1865). Je dirais seulement que ces documents attendaient un nouveau stagiaire français pour être déchiffrés, et que j’ai souvent eu le plaisir de donner un coup de main aux collègues qui travaillaient dans la même salle que moi, pour éclairer la paléographie d’un nom de noble français (nota : Les ducs d’Agen sont partout !) ou dresser une description rapide, en espagnol, d’une liasse de documents français par eux découverte… En d’autres mots, les archivistes de la Noblesse ont eu l’amabilité de me permettre de me sentir utile.
Un œil aussi du côté de la paléographie et de la diplomatique : ces deux photos parleront mieux que moi. Bonheur de découvrir les traditions de chancelleries voisines, et l’évolution toute différente en Espagne d’un certain type d’écriture.
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Escritura procesal encadenada, XVIe siècle : type d’écriture judiciaire, utilisée pour les relations de procès (« procesal »), dite enchaînée car la main ne se détache plus du papier.
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Privilegio rodeado royal, dont le type iconographique illustre l’alliance León-Castille
Sous les arcs maures et les clochers romans carrés en forme de muezzins, au reflet du soleil sur les céramiques tolédanes et devant les ferronneries de la capitale de la forge, où tout parle de Dieu et des princes, j’ai été rappelée, moi, les pieds sur terre.       
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Vue du Tage, sous le pont de l’Alcantara
J’ai compris que les archives sont passionnantes par là-même où d’aucuns les trouvent ennuyeuses. Ces petits morceaux de papier sont des milliers de solutions apportées aux problèmes des hommes. L’écrit fait des miracles. Ces documents ont été longuement pensés, désirés aussi. Ils sont le condensé de toutes les histoires de la vie. J’ai eu, tenant dans mes mains ces modestes contrats, ces poussiéreuses pièces de procès, ces austères dispenses de parenté, le sentiment de la noblesse de l’humanité, qui a trouvé en adulte ce moyen civilisé de régir les rapports sociaux en maintenant la paix. Un papier, un peu d’encre, un ou plusieurs signes de validation, pour prouver l’authenticité. Quoi de plus simple ? Ces bouts de rien étaient un trésor pour leurs possesseurs, les garants de leurs droits. Cette valeur parvient jusqu’à nous. Même morts et inutiles, même faux, même menteurs, ces documents portent encore les espoirs, les intérêts, les préoccupations et le soulagement de milliers d’être humains.
Tant pis pour les bibliothèques, les merveilles exceptionnelles qui s’y trouvent et qui n’ont pas fini de me séduire – incroyables fonds des Archives et Bibliothèque de la cathédrale de Tolède, dignes de la capitale que fut cette ville, jusqu’à ce que Philippe II, fils et successeur de Charles Quint, transfère en 1561 la cour à Madrid…
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Cathédrale de Tolède, dite la seconde plus grande d’Espagne, mais la plus belle – début des travaux en 1226.
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Visite avec Argan de l’Archivo y Biblioteca capitulares
Les archives sont la vie ordinaire ; mais combien plus puissantes…! Elles sont le support de la vie. C'est justement leur caractère ordinaire qui est précieux. Je préfère inventorier des papiers de familles inconnues plutôt que me pencher sur les documents historiques d’exception achetés en ventes aux enchères. Je m’intéresse à ce qui n’a d’intérêt qu’humain.
J’ai fait mon choix. Je serai archiviste, au service des petites gens du passé ; je sauverai du feu, des eaux et du temps dévoreur d’hommes le fragile témoignage de leur existence. Je ne me glorifierai pas des œuvres d’art des siècles. Je choisis le banal pour ne pas me mentir à moi-même. Je ne peux dépareiller l’histoire. Il n’y a pas d’excuses aux relectures anachroniques des faits. Même la suprême culture n’en est pas une. La contemplation de l’extraordinaire renforce la teneur de la vie réelle. Deux mois à Tolède, cité des rois, furent un éblouissement.
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Rue classique de la vieille ville.
Pour les Archives et ses si chaleureux travailleurs, pour ne pas dire amis, je resterai la chica de la mala suerte, la malchanceuse, image de ce gisant de jeune femme qu’on peut encore contempler dans la chapelle désacralisée de l’université tolédane de Castilla-la-Mancha, sous le nom de la Desafortunada…
Visitée par un cambrioleur à répétition, malade pendant la quasi-totalité de mon stage au point de faire un tour aux urgences, privée de lumière et de chauffage, puis de train le jour de mon retour, j’aurais continuellement tiré le diable par la queue.
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Le Pont Saint Martin aux premières lumières hivernales.
Pourtant, je garderai toujours en moi l’image du grand tombeau d’Isabelle la Catholique, San Juan de los Reyes dont les pilastres s’allument, au soleil couchant, comme autant de chandelles funéraires, faisant briller une dernière fois et à jamais sur l’empire de Charles Quint les feux de la gloire à jamais reconquise. Où pendent les chaînes des esclaves chrétiens libérés de Grenade, Christophe Colomb a trouvé l’Amérique ; et c'est de l’or maudit des nouvelles Indes qu’il a fondu, pour sa reine, le plus grand des ostensoirs. S’il y a bien quelque chose qu’on apprend, tout là-bas, où l’ombre de Don Quichotte se profile sous les moulins de la Mancha, c'est qu’au grand soleil survit à jamais la race des Conquistadores, et l’orgueil de la langue des hommes qui parlent à Dieu.
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Vue sur San Juan de los Reyes et la vallée du Tage, depuis la Plaza Virgen de Gracia
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ecoledeschartes · 1 year
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Quand la montagne accouche de trésors : séjour d’un chartiste à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne
Clément Grit effectue son stage de 4e année au service des Manuscrits de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne.
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L’Unithèque, sa prairie (et le gardien des moutons)
Mardi 20 septembre. Arrivé la veille sur les bords azurés du Léman, je m’apprête à entamer mon premier jour de stage au sein de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, ou BCUL. Celle-ci, à la manière de la BnF, possède en réalité plusieurs sites. Deux sortent du lot. Le premier, Riponne, correspond aux emprises historiques de l’institution, en centre-ville, logées dans le palais de Rumine, un magnifique édifice italianisant de la fin du XIXe abritant par ailleurs quantité de charmants musées (archéologie, histoire, zoologie et, mon préféré, géologie). L’autre grand site n’est pas en centre-ville mais situé dans la banlieue ouest de Lausanne, où se dresse un gigantesque complexe universitaire, alliant notamment l’École polytechnique fédérale de Lausanne, ou EPFL, et l’Université de Lausanne à proprement parler, l’UNIL.
Son Unithèque, où je vais passer les trois prochains mois, est un bâtiment en arc de cercle (que les étudiants surnomment donc « la banane ») perché sur une verdoyante colline, avec une vue magnifique sur le lac (et, par beau temps, sur les Alpes françaises, Mont-Blanc inclus). Une grande plaine herbeuse sert d’écrin au complexe. Ce qui m’a valu d’être qualifié, par un ami de lycée retrouvé sur place, de « gentil Tatar. » Foin de cavaliers des steppes cependant puisque les principaux occupants et véritables maîtres des lieux sont de dociles ovins à la laine généreuse. Notons enfin que le bâtiment connait, sur son flanc arrière, d’importants travaux d’extension, devant lui permettre, à l’horizon 2024, de doubler sa capacité d’accueil et l’espace de ses magasins.
Mais revenons justement à nos moutons. Pénétrant de bon matin dans le hall de la bibliothèque, je suis immédiatement et chaleureusement accueilli par mes deux tutrices, Ramona Fritschi et Chiara Gizzi, les deux archivistes du service des manuscrits. À petites foulées, nous passons discrètement par la grande salle de lecture, en libre-accès. Puis mes deux guides débutent la visite des locaux, en commençant par l’espace de consultation du service. Nous passons saluer les voisins de la réserve des livres précieux, avant de visiter le reste des locaux administratifs, de part et d’autre de la « banane ». Enfin, il est temps de descendre dans les entrailles de la terre pour y découvrir les magasins du service, tous barricadés derrière d’épaisses portes blindées de béton armé et de plomb (l’on m’expliquera plus tard qu’il s’agit de véritables abris antiatomiques, incongruités architecturales fréquentes en Suisse jusque dans les années 1990, pardon, nonantes, et y compris chez les particuliers !). De retour à la surface, on m’installe à mon poste de travail et je fais connaissance, notamment avec Nathalie Perret-Gentil, l’adjointe des conservatrices, ainsi qu’avec les deux magasinières en charge du service public, Aude Cornu et Cristina Pique. Je rejoins donc cette petite, sympathique et très dynamique équipe (mes deux tutrices ne cessent jamais de courir, et ce n’est pas une hyperbole), en estimant la chance qui m’est donnée d’en découvrir les rouages pour ces prochaines semaines.
Au cours de la première d’entre elles, au gré des visites et des présentations, sans parler des longues demi-journées passées à fouiller le catalogue, un constat s’impose tout de suite : le service des manuscrits est comme un îlot à part entière au sein de la BCUL. Cerné par les services proprement de bibliothèque, il s’agit en vérité d’un département d’archives en déguisement. Créé en 1932 à l’occasion d’une vaste refonte de la structure de l’université lausannoise, le service des manuscrits a pour mission principale de conserver et de mettre en valeur des fonds ou documents isolés en lien avec les personnalités les plus notables du canton de Vaud, tout spécialement dans le domaine culturel. Artistes, auteur.es, musicien.nes, photographes, journalistes, critiques, universitaires, associations, tout y passe. Détail d’importance : du fait de son système fédéral décentralisé, la confédération helvétique et les cantons sont beaucoup plus souples quant à la destination institutionnelle des archives, notamment privées. C’est pourquoi le service des manuscrits revêt finalement des missions assez proches d’autres grandes institutions patrimoniales comme les Archives littéraires suisses, ou encore les archives cantonales vaudoises. Cette diversité – à mon grand étonnement je dois avouer – se fait toujours en très bonne intelligence et rares sont les cas, comme en France, de concurrence entre deux institutions pour la réception d’un même fonds ou document. Parmi ses grands fonds d’archives les plus célèbres, le service des manuscrits possède notamment un immense ensemble consacré à Benjamin Constant, à sa famille et à son œuvre (il ne fut pas possible de résister à la tentation de lire les manuscrits autographes de l’auteur romantique, par ailleurs d’une admirable tenue paléographique), ainsi qu’une appréciable part des archives de Charles-Ferdinand Ramuz, le plus célèbre des auteurs et poètes vaudois.
Mais il y a plus car le service est aussi le dépositaire des archives de la pluriséculaire académie de Lausanne, dont la création remonte au milieu du XVIe siècle, lorsque les nouvelles autorités bernoises, protestantes, voulurent affermir leur pouvoir sur la Suisse Romande. C’est dans ces fonds « historiques » que se situent les pièces les plus anciennes et précieuses, comme de nombreux manuscrits médiévaux, dont l’un des deux seuls exemplaires connus de l’Histoire des Goths de Jordanès, composé vers 830 au scriptorium de Fulda. On y trouve aussi beaucoup d’imprimés du début de l’époque moderne, des cartes et des globes du géographe français Guillaume Delisle, élève du célèbre Cassini, ou encore, plus près des documents du for privé, d’amusants livres de recettes populaires pour guérir des maladies ou, au contraire, pour les provoquer. Enfin, quantité de fiches, de photographies, de gravures, d’objets aussi, comme le petit cartable de Constant ou les énormes malles de voyage de Sir Arthur Conan Doyle…
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Le Ms 398 de la BCUL, De origine actibusque Getarum de Jordanès
Dans l’intervalle, j’apprends quelles vont être mes deux missions principales, « l’une académique, l’autre beaucoup plus pratique » me confie Mme Fritschi. La première correspond à une réflexion approfondie sur la « valeur patrimoniale » des fonds. Il s’agit de participer à la révision d’une partie de leur politique de récolement, afin notamment de mieux identifier ce qui est « précieux » et ce qui l’est moins. Ce non seulement pour être capable de mieux rendre compte de l’activité du service auprès de l’État, mais aussi, de façon beaucoup plus terre-à-terre, de savoir quoi évacuer en priorité en cas de sinistre. C’est un travail en réalité assez complexe, touchant à l’identité même d’un pareil service d’archives. Les casse-têtes ne manquent pas. Comment conjuguer différents critères patrimoniaux ? Jusqu’où aller dans la description patrimoniale d’un fonds ? Jusqu’au dossier, au sous-dossier, à la pièce même ? Et que faire des archives « en dépôt » dont la BCUL n’est pas – encore – propriétaire ? Surtout, impossible de s’aider d’exemples antérieurs car, que ce soit dans le monde des archives ou dans celui des bibliothèques, personne ne fait jamais la promotion de son propre plan d’évacuation interne, de peur de le voir critiqué. Car au fond, et c’est là la principale leçon que j’ai apprise au cours de ce travail, encore inachevé, tous les métiers de la conservation ont une part plus ou moins grande de subjectivité (ne serait-ce que celle du conservateur lui-même). Le tout est de réaliser des arbitrages, plus ou moins complexes, en tâchant chaque fois de les justifier, de les documenter, « et de les assumer avec aplomb » ajouterait Mme. Gizzi.
Ma seconde mission est bien davantage manuelle. En préparation du déménagement des collections dans leurs futurs, tout beaux et tout neufs magasins, il faut d’urgence donner un conditionnement aux quelques vilains petits canards qui, parmi les fonds et pour diverses raisons, n’en avaient jamais reçu. Inutile de dire que, faute de boîte ou de cartable pour les protéger, ces documents sont parfois dans un état très baroque, du genre à ne pas exposer devant une personne asthmatique. Un précédent stagiaire avait été heureusement chargé de commander des boîtes sur-mesure pour ces charmants nids à poussière. Il ne nous restait plus qu’à tout nettoyer, armés de lingettes et de gommes-éponges en latex. Ce travail, très formateur quant aux pratiques de restauration, permet aussi de continuer à explorer les fonds du service, en naviguant entre les brochures trotskistes vaudoises des années 1970, les plans du palais de Rumine ou encore de magnifiques gravures du XIXe siècle.
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Les gommes-éponges, avant et après usage
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Les plans du palais de Rumine
C’est aussi l’occasion rêvée de réaliser un récolement de ces pièces, en relevant tout particulièrement leur état matériel, en vue de futurs chantiers de restauration. Certains supports méritent en effet une attention particulière, à l’instar des photos, des cassettes et bobines de film, des cadres en verre, des grands rouleaux, très délicats à manipuler, etc. Mais le papier aussi peut souffrir, notamment face à son plus terrible ennemi : les moisissures. J’eus droit à leur sujet à une entière demi-journée de formation, passée à les observer au microscope, à les combattre, à les nourrir même (sur des documents tests prévus pour, pas d’inquiétude) et, bien sûr, à apprendre énormément sur leur compte auprès de la restauratrice en chef. Fort heureusement, pas de trace, pour le moment, de ces petites  trouble-fêtes dans les documents à reconditionner…pour le moment.
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Atelier moisissures
En somme, cette expérience à la BCUL est passionnante à plus d’un titre. D’abord parce que j’y découvre un monde des archives qui m’était jusqu’alors assez inconnu, mais tout en conservant un ancrage bibliothèque. Une hybridation très riche, et pertinente, dont témoignent, entre autres, les logiciels de catalogage employés par ce service d’archives, mais qui ont tous une architecture de catalogue de bibliothèque. Pour un jeune chartiste se destinant plutôt aux métiers desdites bibliothèques, cette complémentarité, voire même cette sororité des deux univers, a de quoi enthousiasmer. Il y a aussi la grande diversité des collections et comment apprendre à réfléchir au niveau des fonds sans pour autant perdre de vue les pièces, les documents individuels, et leur mille et une facettes. Le tout en menant des projets collectifs où l’avis de chacun est pris en compte. Enfin, il y aurait beaucoup à dire des avantages de fonctionnement du modèle culturel helvétique, beaucoup plus décentralisé qu’en France, et vice versa. Peut-être que le plus grand intérêt d’une expérience professionnelle à l’étranger est justement là : prendre un recul bienvenu sur nos propres institutions de conservation françaises et sur nos pratiques, afin de mieux en cerner les défauts comme les qualités.
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Elle est pas bêêêhhlle la vie ?
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ecoledeschartes · 1 year
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Dakar côté jardin : le musée Théodore Monod
Julie Faget effectue son stage de 4e année au musée Théodore Monod de Dakar.
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L'entrée du musée Théodore Monod
- Comment ça va ? Nan nga def ? - Ça va bien, merci ! - Et la matinée ? - Tout se passe bien.
C’est ainsi que commencent presque toutes les journées depuis mon arrivée au musée Théodore Monod. On pourrait également se risquer, après quelques semaines d’immersion, à répondre à la dernière question par un classique, mais ô combien salvateur Jamm rekk, « la paix seulement », réponse possible à presque toutes les questions que l’on peut vous poser en guise de salutation et que l’on ne comprendrait que vaguement : comment vont la famille, les amis, le travail, etc.
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L'arrière du musée et son jardin
Un sentiment de paix, c’est bien ce que l’on ressent, lorsque l’on se promène dans le jardin botanique du musée, véritable oasis au cœur du quartier le plus actif de Dakar, le Plateau, centre économique et politique constamment en proie aux embouteillages et à la pollution. Dans cet écrin de verdure – probablement le deuxième plus important parc de la ville, après celui du palais présidentiel, qui se situe non loin – les rois sont avant tout les oiseaux : ici des perroquets jaunes ou gris se régalent de dattes, là des irrisors au sublime plumage bleu profond poussent leurs étranges cris en virevoltant par groupe de trois ou quatre, tandis que des dizaines d’aigles survolent la ville en vastes essaims. On peut également croiser au détour d’un chemin deux chatons malingres mais attendrissants têter leur mère ou bien tomber nez à nez avec un couple de paons en goguette (ou plutôt devrait-on dire un trouple, monsieur étant en effet polygame). Ces derniers sont d’ailleurs, à l’heure où j’écris ces lignes, sur le point de devenir d’heureux parents paons, et je vis dans l’attente curieuse – mais quelque peu angoissée, en raison des nombreux féroces prédateurs sus mentionnés – de voir trottiner devant mes fenêtres ces nouveaux petits habitants du jardin.
Heureusement, les oisillons pourront compter sur la vigilance attentive et maternelle de Meïssa, l’artiste en résidence permanente au musée. Son atelier à ciel ouvert se trouve dans le jardin, à l’ombre d’un grand fromager (1), adossé au bâtiment administratif où je travaille.
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Meïssa en plein travail dans son atelier
Meïssa pratique depuis plus de vingt ans l’art du tableau de sable, un art traditionnel très ancien dans beaucoup de régions du monde, mais qui aurait été, selon ses dires, introduit au Sénégal comme thérapie dans les prisons par une assistante sociale venue du Brésil. À leur sortie, les anciens détenus auraient transmis cet art, qui a connu un développement important dans le pays. Ses sources d’inspiration sont principalement la vie traditionnelle sénégalaise et les objets conservés au musée. En ce dernier domaine, il peut être comblé : le musée conserve près de 10 000 œuvres provenant d’une vingtaine de pays d’Afrique occidentale dans un bâtiment d’architecture coloniale bâti entre 1931 et 1932.
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Masque D’mba, Guinée, peuple Baga. Image de la femme féconde, mais aussi de virilité à travers le nez en forme de bec. Haut. 130 cm, larg. 46 cm. Bois peint en noir, orné de motifs géométriques en champlevé et de clous de cuivre
Meïssa est en quelque sorte l’âme du jardin, voire même du musée. Doté d’un sens formidable de la pédagogie et d’une certaine sagesse, il réalise des ateliers de tableau de sable pour les enfants des écoles environnantes, pour lesquels il devient très vite un « tonton », comme beaucoup l’appellent ici. Meïssa écoute les écoliers qui viennent se confier à lui, les aide à résoudre leurs problèmes en se plaçant en médiateur, parfois même en intervenant auprès de l’école. Grâce à son action, le musée devient un lieu vivant, ce qui rime certes souvent avec « bruyant », mais lui permet également de jouer un plus grand rôle dans le quartier : lorsque les enfants sont ici, ils ne sont pas à la plage, livrés à eux-mêmes, voire exposés au danger, ils sont dans ce lieu paisible, où ils peuvent faire leurs devoirs, participer à des activités créatives et se sensibiliser à l’art.
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Les écoliers se réunissent régulièrement autour de l'atelier d'artiste, sous le regard bienveillant de Cheikh Anta Diop, « le dernier pharaon »
Il contribue également à l’embellissement du jardin, pour lequel il a réalisé des statues à base d’objets de récupération ou des semis de plantes médicinales et ornementales dans des pots en plastique peints par les enfants. Son art se veut engagé, contre la pollution et la consommation de tabac notamment, mais aussi pour l’épanouissement de la jeunesse de son pays.
L’action de Meïssa est conforme à la vision que le conservateur qui dirige l’établissement, Malick Ndiaye, se fait d’un musée. C’est lui qui a invité l’artiste à rejoindre un groupe de réflexion ambitieusement intitulé « le musée du futur », ouvrant la porte à toutes sortes d’initiatives visant à embellir l’établissement – et ainsi aux paons. Leur projet invite surtout à réfléchir sur la définition du musée et son rôle dans la ville – en particulier dans un pays où l’accès à la culture et au savoir est pour beaucoup difficile – ainsi que sur l’appropriation de l’espace que peuvent développer des publics de différents horizons.
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Meïssa a réalisé plusieurs statues anthropomorphes à partir d'objets de récupération. Chacune porte en wolof un message de lutte contre la prolifération des déchets
Tout n’est certes pas parfait, il reste du travail pour aménager au mieux ces lieux, qui souffrent d’un certain manque de moyens, mais un restaurant actuellement en travaux devrait ouvrir dans le jardin, ce qui va sans nul doute accroître l’attractivité du musée. Celui-ci vaut donc indubitablement le détour si vous venez à visiter Dakar. Rendez-vous donc peut-être dans un mois et demi, cette fois non pour un tuto jardinage et aviculture mais pour une critique gastronomique.
Note
Il ne s’agit pas là d’un vendeur de reblochon de forte stature, mais d’un arbre très courant ici, notamment utilisé pour fabriquer des pirogues
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ecoledeschartes · 2 years
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“Grand tour” d'un chartiste. Archives et livres rares
Martin Bugnicourt effectue son stage de 4e année à la British School at Rome.
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Figure 1 : Au travail !
Comme j’en avais déjà l’intuition lors de ma première visite des lieux, j’ai vite été conforté dans l’idée que la British School at Rome (BSR, pour faire court) était un environnement de travail particulier. Entièrement dédiée à la recherche, qu’elle soit historique, archéologique ou artistique, cette institution plonge les résidents qu’elle accueille dans un bain de science particulièrement épanouissant. Et, du peu que j’ai pu en expérimenter, après plus d’un mois et demi de stage, l’atmosphère est tout aussi enrichissante pour le personnel qui encadre ces chercheurs.
De mon côté, j’ai surtout côtoyé l’équipe de la bibliothèque et des archives. Sous la direction d’une chartiste, Raphaële Mouren, travaillent les bibliothécaires, Beatrice Gelosia, Francesca Deli (dite Franceschina) et Francesca de Riso, ainsi que l’archiviste, Alessandra Giovenco. C’est l’occasion pour moi de leur adresser mes remerciements les plus chaleureux pour leur accueil et l’expérience qu’elle m’ont transmise. Car, en effet, mon stage à la BSR a fait se rencontrer archivistique et travail de bibliothèque. Si chacune de ces disciplines m’a permis de mener à bien des tâches différentes, elles ont également confirmé mon sentiment, déjà éprouvé lors de précédents stages, qu’elles ne sont pas bien éloignées l’une de l’autre.
Le plus gros chantier de mon stage a été celui du traitement du sous-fonds des Archaeological Excavations records, c’est-à-dire les archives relatives à des fouilles archéologiques impliquant les équipes de la BSR. La plupart des documents regroupés dans ce sous-fonds (le fonds étant celui, plus vaste, de l’Archaeological Archive) ont été produits entre les années 1960 et 1990, et oscillent entre journaux de fouilles, tenus au jour le jour, catalogues de trouvailles et correspondance, le tout rédigé à l’envi en anglais, italien, voire français. Tout est conservé dans le bureau des archéologues, sous clef dans des armoires en métal ou dans des meubles à plans.
Quand j’écris « traitement », c’est un peu un abus de langage : je n’ai pas eu à commencer mon travail à partir de rien. Il existait déjà un inventaire, réalisé dans les années 1990 et révisé en 2002. Il m’est très vite apparu, cependant, qu’entre 2002 et aujourd’hui il y avait eu du mouvement dans les archives. Après avoir parcouru une première fois rapidement le sous-fonds, il m’a donc semblé nécessaire de mettre en place un plan d’attaque. L’objectif que m’avait exposé Alessandra était clair : avancer au maximum la saisie des données de l’inventaire dans ArchiveSpace, l’outil sélectionné par la BSR pour la mise à disposition des lecteurs, en ligne, de la liste de ses fonds. En clair, un instrument de recherche numérique.
Seulement voilà : il eût été dangereux, sinon absurde, de mettre en ligne des informations dont je savais déjà qu’elles étaient erronées, l’inventaire ne correspondant plus parfaitement au sous-fonds tel qu’il se présentait dans les armoires. Il était donc nécessaire, avant toute chose, de faire un récolement. Tâche fastidieuse, comme chaque chartiste le sait, d’autant que le sous-fonds ne comprend pas moins de 59 séries, chacune d’elles correspondant à un site archéologique. Évoquer ces séries est l’occasion de dire un mot du classement du sous-fonds et des séries : les documents y avaient déjà été organisés par typologie (correspondance, carnets de fouilles, catalogues, brouillons de publications, etc.). Je n’ai pas vu l’intérêt de revenir sur cette décision, qui m’est apparue d’autant plus cohérente qu’elle avait été mise en place en respectant les différentes phases de chaque chantier de fouille.
À mesure que le récolement avançait, et me fournissait des bases de travail saines pour un nombre de séries toujours croissant, j’ai pu attaquer la deuxième phase du protocole que je m’étais assigné : la saisie brute sur ArchiveSpace des données de l’inventaire vérifié. Travail très mécanique, mais allant relativement vite, il permettait d’inscrire sur la plateforme – en open source, par ailleurs – des premières données qui pourraient ensuite être retravaillées pour obtenir un résultat harmonieux.
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Figure 2 : Les Archaeological Excavation records, dans leur jus
Les dernières étapes de mon travail ne pourront être menées à bien pour chacune des 59 séries, par manque de temps, sinon pour deux d’entre elles qui ont été entièrement parachevées afin de servir de guide à la personne qui reprendra mon travail. Il s’agira de fournir, selon un schéma établi, une description pour chacune des séries – un travail d’autant plus enrichissant qu’il implique de la recherche – et de raffiner les descriptions des documents, en y adjoignant autorités, dates, volumétrie, etc. À terme, lorsque le site sera diffusé – il est pour l’instant en ligne mais le lien n’est pas visible sur le site de la BSR – cela devrait fournir un instrument de recherche assez efficace et facile à appréhender.
À tout cela s’ajoute la perspective de moins en moins lointaine pour le sous-fonds d’un reconditionnement. Certaines des boîtes sont vieilles, potentiellement dangereuses pour les documents, et certaines ne protègent plus leur contenu. Les enveloppes sont, pour beaucoup, surchargées de documents et se déchirent à la moindre manipulation. La première étape, pour ce chantier-là, consistera à obtenir une idée précise de la volumétrie du sous-fonds. La suite, c’est une histoire pour un autre stagiaire !
L’aventure a été bien différente en bibliothèque, mais non moins diversifiée. La première mission que l’on m’a confiée a été l’étude d’un manuscrit. Exceptionnel dans les collections, le Ms32 de son petit nom avait été sommairement décrit pour le fichier, mais jamais véritablement étudié de près. Je me suis donc penché sur son cas. Il s’agit d’un manuscrit du début du XVIIe siècle, un album amicorum réalisé par le graveur Giacomo Lauro : l’artiste y a consigné les lettres que lui envoyaient ses clients les plus prestigieux en remerciement des œuvres qu’ils recevaient, auxquelles il a adjoint des illustrations (des blasons, pour la plupart, mais également quelques peintures de personnages féminins). Passé de main en main (notamment celle d’un marchand français installé à Rome à la fin du XVIIe siècle, qui a jugé bon de faire « restaurer » le livre et d’ajouter des ex-libris un peu partout), ce petit ouvrage est assez insolite, très composite et surtout en état de conservation préoccupant : la reliure, presque complètement défaite, ne participait plus de la sauvegarde de l’unité du livre, et certaines illustrations souffraient du temps. Mon travail s’est donc inscrit dans la perspective de la restauration et de la numérisation du Ms32.
Par chance, j’ai fait partie l’année passée du petit groupe ayant suivi les cours de codicologie dispensés à l’École des chartes. J’ai mis sur pied une notice, en anglais, selon les normes françaises pour les manuscrits du Moyen Âge (en ignorant certains détails ne faisant pas sens dans le cas présent, toutefois, notamment la transcription des incipit et explicit). Ce travail m’a poussé à me familiariser avec le vocabulaire de la codicologie dans une autre langue, et sur ce point les ressources de la bibliothèque ont été précieuses : adieu donc les réclames, les couvertures et la reliure, et bonjour catchwords, bookplates et binding. Une fois la notice codicologique mise sur pied, j’ai, avec la grande aide de ma collègue Beatrice, transcrit une partie des informations sur le catalogue de la bibliothèque afin de créer une notice en ligne pour le manuscrit.
Dans le même temps, j’ai aussi extrait un certain nombre d’informations du manuscrit, très riche. Tout d’abord, les noms des auteurs des lettres consignées dans le Ms32. Il y avait là matière à ne pas s’ennuyer, puisque ce ne sont pas moins de 179 lettres qui débordent de ses pages. Dans une certaine mesure, les personnages étaient identifiables grâce à leur fonction : ainsi se trouvent, dans les premières pages, des missives du pape, de l’empereur, ou du duc de Bavière. Pour la plupart, toutefois, je n’ai dû me contenter que d’un nom retranscrit, et ce sera aux chercheurs qui s’intéresseront au manuscrit de compléter le travail. J’ai appliqué le même procédé pour les innombrables blasons qui colorent l’ouvrage. Le procédé, s’il pouvait parfois aider à identifier un personnage, était toutefois particulièrement complexe dans la mesure où la majeure partie de ces blasons étaient polonais. Or, en plus de mon ignorance crasse du sujet, j’ai dû faire face à la difficulté inhérente à l’armorial polonais qui comporte un nombre relativement limité de blasons, herb en VO, que se partagent parfois plusieurs centaines de familles. Les ressources de la bibliothèque se limitant, cette fois, à quelques manuels d’héraldique relativement généraux, j’ai dû me contenter, dans la grande majorité des cas, d’une description du blason. J’en ai cependant retenu une certaine inventivité dans le domaine au XVIIe siècle !
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Figure 3 : Les armes de Clément VIII dans le Ms32
La suite du parcours, pour ce manuscrit, est déjà sur les rails à l’atelier de restauration, puis à la numérisation. Il devrait prochainement être visionnable en tant que ressource de la bibliothèque.
Autre aspect de mon travail en bibliothèque : l’initiation au catalogage en MARC. À nouveau, j’ai travaillé sous la bienveillante supervision de Beatrice, qui m’a montré comment s’y prendre avant de me confier une pile d’ouvrages tirés de la réserve des livres rares. Ce sont tous des recueils de gravures, de la fin du XVIIIe siècle ou du début du XIXe, représentant des vues de Rome, de ses alentours, ou des scènes de la vie rurale. Au-delà du plaisir de contempler ces livres (qui me servent presque de guide touristique!), je tire de ce travail qui se fait presque à la chaîne une expérience qui m’habitue à ce que l’on pourrait considérer comme le B.A-BA du travail en bibliothèque.
Alors, pour dire quelques mots de conclusion sur ce bilan de mon travail à la BSR, je voudrais me répéter : archives et bibliothèques se ressemblent et s’assemblent bien plus que ne le laisseraient croire les spécialisations vers lesquelles nous sommes poussés dans notre formation. J’ai trouvé dans le catalogage en bibliothèque et dans la saisie de données en archives des similarités très fortes, et des problématiques identiques, ne serait-ce qu’au niveau de l’identification d’autorités permettant d’accéder à l’information. J’ajoute à cela que la bibliothèque nourrit la recherche nécessaire au travail de l’archiviste, et que les archives, par leur caractère unique, complètent de façon essentielle les ressources dont disposent les chercheurs en bibliothèque. Des observations qui n’ont rien de révolutionnaire, en somme, mais qui mettent en lumière la richesse de cet environnement de travail qu’est la BSR, où archives et bibliothèque ne sont séparées que par un couloir.
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ecoledeschartes · 2 years
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Des archives de la musique à Dublin : découvrir le compositeur à travers ses partitions
Gwendoline Lemaitre effectue son stage de 4e année à l’Irish Traditional Music Archive.
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Derek Bell / The Chieftains
Au cours de mon stage à l’ITMA (Irish Traditional Music Archive), j’ai eu pour mission principale de classer et inventorier les partitions manuscrites d’un musicien de génie, Derek Bell.
Mais d’abord, laissez-moi vous présenter ce que sont ces Archives de la musique traditionnelle irlandaise. Tout commence à Dublin, en 1987, lorsque le Arts Council of Ireland décide de financer un service regroupant dans un même endroit ce qui a trait à la musique traditionnelle. Cette décision était notamment motivée par la pression de plusieurs musiciens, qui, depuis les années 1960, souhaitaient indexer la musique traditionnelle, afin de pouvoir s’y retrouver (dans un monde où un morceau de musique peut avoir 5 noms différents, on comprend pourquoi). C’est ainsi que l’ITMA naquit. Les archives furent tout d’abord confiées à des musiciens. Il s’agissait donc d’archives… sans archivistes au début ! Aujourd’hui, l’ITMA est située au 73, Merrion square, à Dublin, soit à deux pas de l’ambassade de France, dans un magnifique bâtiment de style géorgien. Comme nous ne sommes que huit ou neuf à travailler sur place en même temps, cette maison de trois étages suffit à abriter également la bibliothèque et les archives papier conservées ici. La plupart des archives audios sont conservées ailleurs pour des raisons de régulation du climat. Cela n’empêche pas le 73 Merrion square d’abriter un magnifique studio son au sous-sol !
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La porte d'entrée de l'ITMA
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Le studio son
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La bibliothèque (et mon bureau)
Maintenant laissez-moi vous parler de ma mission principale : classer les manuscrits de Derek Bell. Derek Bell jouait de nombreux instruments (piano, hautbois, tiompán, clavecin, harpe…), et était aussi musicologue, compositeur, arrangeur et chef d'orchestre. Il était surtout connu comme le harpiste de longue date du groupe The Chieftains, de 1974 à sa mort en 2002. Les Chieftains ne vous disent probablement rien, mais sachez qu’en Irlande ils étaient et sont encore (le groupe s’est arrêté définitivement de jouer à la mort de son leader, Paddy Moloney, en 2021) considérés comme les Rolling stones de la musique traditionnelle, d’où l’immense popularité de chacun des membres du groupe, y compris Derek Bell. Il a par ailleurs contribué à trente-cinq albums. Malgré son succès dans la musique traditionnelle, il avait reçu une formation classique, et a également composé de nombreux morceaux classiques.
Au cours de ma première semaine à l'ITMA, j'ai appris à connaître cet homme un peu spécial, ce génie excentrique, à la fois drôle, exaspérant et attachant en découvrant les archives déjà traitées sur son sujet et en cataloguant et en scannant les photographies de sa propre collection, afin de les rendre plus accessibles au public. Et, bien sûr, en écoutant quelques interviews et de la musique, écrite ou jouée, ou les deux, par ce cher Derek Bell !
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Quelques images numérisées de la collection Derek Bell
Ensuite, j'ai pu passer au classement des manuscrits proprement dits. Ce travail prend en fait la suite de ce qui a été fait par une étudiante de l'université de Maynooth, Orla Dillon. Elle s'est occupée principalement des compositions classiques de Derek Bell. De mon côté, je travaille sur la partie « musique traditionnelle » de sa carrière. La première chose à faire était de séparer ce qui relevait de la carrière solo de Derek Bell et ce qui relevait de sa carrière avec les Chieftains. Parfois, la frontière n'était pas claire, puisqu’un morceau pouvait à la fois avoir été joué par lui seul et par le groupe, mais nous sommes tombées d’accord avec Maeve Gebruers, archiviste en chef à l'ITMA et ma responsable, que cela semblait être la meilleure façon d'organiser les choses. Cela s'est traduit par l'invasion de deux tables avec des piles de partitions de toutes sortes, et l'impossibilité de pouvoir voir ma collègue de bureau, Róisín Conlon, bibliothécaire à l'ITMA.
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Les manuscrits de musique traditionnelle de la collection Derek Bell
Après cette première étape, j'ai commencé à décrire et à classer ce qui relevait des Chieftains. Le plus stimulant dans tout ça, c'est que je ne savais jamais dans quoi je m'embarquais chaque jour. Parfois, c'était une musique de film, parfois un brouillon illisible sur lequel il était impossible de reconnaître un quelconque titre (à moins d’aller poser la question directement à Seán Potts, responsable de la comptabilité de l’ITMA, au troisième étage, pour qu'il joue l'air avec son whistle et que, étant le fils d’un des Chieftains, se souvienne de ce que c'est - oui, c'est la première fois que je vois que le whistle peut être considéré comme un équipement de bureau essentiel, et c’est génial !). Avec Derek Bell, chaque jour apporte son lot de surprises : un jour vous tombez sur une partition appelée « Dance of the little stout hippopotamus (in pink pyjama) », le lendemain c'est « The pig’s journey into a potato », ou des autocollants, ou des dessins d'animaux...
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Détails de manuscrits
En outre, je ne m'occupe pas uniquement de Derek Bell tous les jours. Je travaille également avec Adam Girard, archiviste en charge des archives numériques, sur la collection audio de Larry Redican. Larry Redican était un violoniste de Dublin (né en 1908 et mort en 1975). Il a émigré aux États-Unis en 1928. De lui, l'ITMA détient 12 cassettes, 2 vinyles et 34 bobines. Tout a été numérisé, mais avant cela, nous avions 35 bobines. L'une d'entre elles était vierge, Adam a donc décidé de la retirer de la collection et m'a demandé de renuméroter les bobines, afin qu'il n'y ait pas d'écart entre les numéros, tant dans le monde numérique que dans le monde physique. Je me suis également chargée de renommer certains fichiers, photoshopper certaines photos, créer de nouveaux fichiers dans un format spécifique afin qu'il soit possible de les conserver à long terme. Finalement, il était temps de reconditionner les bandes magnétiques de la collection.
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La collection audio Larry Redican, avant/après
Et c’est ainsi que le mois de septembre est passé à la vitesse de la lumière !
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ecoledeschartes · 2 years
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“Grand tour” d'un chartiste. Arrivée à la British School
Martin Bugnicourt effectue son stage de 4e année à la British School at Rome.
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Figure 1. La BSR, vue depuis la Via Gramsci
Jeune Français arrivant à Rome, et faisant mes premiers pas en Italie, j’ai naturellement été assez intimidé, dans mes premiers jours, par cette ville que l’on dit éternelle.
Partout, les ruines avoisinent les structures bâties à l’époque fasciste, et la cadence de la vie y est folle, oscillant entre un tranquille farniente aux notes de dolce vita et la course contre la montre à laquelle on peut s’attendre dans une capitale européenne. Et à vrai dire, mon arrivée à mon lieu de travail ne fit rien pour atténuer cette première impression : me voilà, dans mes plus beaux atours de stagiaire voulant faire impression, bien penaud devant l’imposante façade aux allures de temple antique, qui abrite la British School at Rome (BSR pour les intimes).
Il faut savoir que les locaux de la BSR sont les héritiers d’un bâtiment censé être éphémère. En 1911 se tient l’International Exhibition of Art de Rome – une des nombreuses variantes des Expositions universelles, plus connues – pour laquelle le Royaume-Uni se fait bâtir un pavillon. Les plans de ce British Fine Art Palace sont dessinés par Edwin Lutyens, non sans une certaine ressemblance, à mes yeux, avec la façade du British Museum, à Londres. Seulement voilà : en novembre, l’exposition se termine et les pays participants remballent leurs pavillons. Celui du Royaume-Uni, toutefois, plaît tellement qu’il est cédé à la BSR en 1916, avec pour vocation de servir de sanctuaire à la recherche en archéologie, en histoire, et aux beaux-arts. La BSR servira de lieu d’accueil à des résidents, ou plutôt des Award holders, logés et nourris dans cet écrin. Commence alors une histoire déjà plus que centenaire, mais sur laquelle il faudra revenir plus tard. Pour l’heure, il me reste encore à franchir les portes du temple. Je sonne donc à l’interphone, la porte s’ouvre, et là …
Surprise ! Alors que je m’attendais à voir s’étaler devant moi un vaste et austère espace de pierre blanche, ou grise, je me retrouve dans une sorte de corridor, baigné dans la lumière du matin grâce à une large baie vitrée donnant sur une cour intérieure. Pas le temps de m’appesantir sur la vue, toutefois, car on vient déjà me chercher : je rencontre Beatrice Gelosia, qui supervisera une partie de mon travail, et qui m’embarque déjà dans une visite des lieux. Je la suis donc, prêt à en prendre plein les mirettes.
Première étape : la bibliothèque. Je découvre une atmosphère intimiste et chaleureuse. Tout est meublé de bois. La salle de lecture principale, de dimensions modestes mais doublée d’une mezzanine accueillant des rayonnages – qui n’est pas sans me rappeler la BEC – se poursuit en sous-sol, avec un magasin climatisé où sont conservés les périodiques (beaucoup plus austère, et meublé de compactus). Retour à la surface et plongée soudaine dans un dédale. La bibliothèque occupe toute une aile, en rez-de-chaussée, du bâtiment. Côté extérieur se trouvent les bureaux des bibliothécaires – on m’en attribue un – et ceux des résidents, dans une salle à part. Ces salles sont bordées d’un côté par des rayonnages aux couleurs chaudes, peuplés de volumes, et de l’autre par des baies vitrées donnant sur le « jardin de la directrice » – auquel tout le monde a accès, en vérité. La lumière naturelle inonde ces espaces, et je devine déjà le plaisir que ce doit être d’y faire ses recherches. Parfois même, un chat noir vient déambuler devant les fenêtres. Côté intérieur, la bibliothèque est entrecoupée de petites salles aux murs couverts de rayonnages, et où se trouvent des bureaux à l’usage des lecteurs. Quelques œuvres d’anciens artistes en résidence décorent les murs. Enfin, un corridor longe la cour intérieur, perpendiculairement au hall d’entrée : là aussi, l’espace est rentabilisé et les murs accueillent les collections d’archéologie.
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Figure 2. Une vue de la perspective de la bibliothèque
Au bout de ce corridor, je rencontre dans son bureau Alessandra Giovenco, l’archiviste de la BSR, qui sera également chargée de la supervision de mon travail. Elle m’emmène dans le deuxième magasin climatisé en sous-sol, où sont conservées, en plus des ouvrages traitant d’histoire de l’art, certaines des archives de l’institution, notamment administratives et photographiques. Je retiens au vol quelques noms de grands directeurs : Thomas Ashby, David Whitehouse, John Bryan Ward-Perkins …
Puis on m’embarque dans les autres services de la BSR. Je découvre les locaux de l’administration, somme toute assez simples. Je fais la connaissance de la directrice, Abigail Brundin, dans ce qui me semble être le plus modeste de ces bureaux. Puis c’est au tour du département d’archéologie – je découvre, non sans un gloups anxieux, le bazar des archives archéologiques que l’on va me confier –, de celui des finances, des Beaux-Arts, de l’intendance … Une foule de noms que j’essaie de retenir, parfois en vain. Le temps corrigera les manquements de ma mémoire. Surtout, je savoure le plaisir d’échanger, selon les interlocuteurs, en anglais, en italien, voire en français pour celles et ceux heureux de pouvoir exhumer le souvenir d’une phrase, ou d’une expression. Un crochet par les studios des artistes en résidence, qui leur servent à la fois de lieu de création et de vie. Une courte marche dans la cour, entre les basses haies soigneusement taillées et le bassin où frétillent tranquillement quelques poissons, et …
Dring ! Une cloche sonne. C’est l’heure du déjeuner. Je découvre la dernière salle, peut-être la plus importante : la salle à manger ! Membres du staff et résidents se retrouvent autour de bons petits plats, et je commence à sympathiser.
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Figure 3. La cour, qui sert de refuge pour la digestion, ou pour travailler en plein air
Finalement, il n’est pas si intimidant ce temple-là.
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ecoledeschartes · 4 years
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Échanges intellectuels et matériels entre France et Chili au détour d’une correspondance
Pierre Fabry effectue son stage de 4e année aux Archivo Nacional de Chile, à Santiago. Voir la carte des stages 
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Lettres d’Alberto Blest Gana envoyées depuis Paris à son ami Diego Barros Arana, 1881
Au cours de deux mois de stages aux Archives nationales du Chili, il m’a été confié le classement d’un petit fonds, attribué à Diego Barros Arana, historien et pédagogue chilien (1830-1907). En dépit de son faible volume matériel, à peine une boîte d’archives, ce fonds, constitué quasi entièrement de la correspondance reçue par Diego Barros Arana (environ 200 pièces), est une mine pour connaître la teneur des échanges intellectuels, politiques, culturels, bibliographiques voire matériels entre le Chili et la France.
Le traitement d’un vrac de correspondance : classement et description
Concrètement, le classement et la description archivistique de ce fonds semblaient être destinés à un stagiaire français, car plus d’une centaine de lettres qui le composent sont en français. Avant de s’intéresser au contenu de ces lettres, revenons brièvement sur le plan de classement adopté. Le classement existant, davantage matériel qu’intellectuel, ne permettait ni d’accéder aisément à l’information, ni la communication du fonds aux chercheurs. Distribuées en cinq chemises dont les dates extrêmes se chevauchaient, les lettres étaient grossièrement groupées par expéditeur. Cela avait néanmoins le mérite de faire ressortir l’importance d’un expéditeur au sein de cette correspondance, Jean Gustave Courcelle-Seneuil (1813-1892), qui totalisait 82 lettres étalées sur une vingtaine d’années (1864-1887). Après un premier contact avec le fonds, j’ai proposé un classement thématique et chronologique sans renoncer au classement par expéditeur. Outre les lettres de Jean Gustave Courcelle-Seneuil, un deuxième correspondant se signalait par sa qualité comme par le nombre de ses lettres, Alberto Blest Gana, écrivain et ambassadeur du Chili à Paris pendant vingt ans (1869-1889), considéré comme l’introducteur du Réalisme dans la littérature chilienne.
Mais l’extrême diversité de la provenance du reste de la correspondance de Diego Barros Arana (46 expéditeurs se partagent quelques 110 lettres), a poussé à créer trois autres sous-ensembles (on n’oserait parler de sous-fonds) thématiques : matières bibliographiques et scientifiques, politique intérieure et extérieure du Chili, affaires privées. Au sein de ces trois sous-ensembles thématiques a été suivi un classement organique, par expéditeur, et par chronologie relative. Par la suite a commencé la description archivistique, pièce à pièce, du fond.
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Le classement des lettres : le regroupement par expéditeur puis le classement chronologique et thématique remplacent un sommaire classement par expéditeur (pochettes de droite)
C’est au cours de cette étape de description, fondamentale dans le travail de l’archiviste, que j’ai notamment pu rassembler quelques indices sur « l’historique de la conservation » du fonds, totalement inconnu jusqu’alors, les Archives ne disposant d’aucune information sur l’entrée de ce fonds. Par exemple, plusieurs notes manuscrites sur certaines enveloppes originales accompagnant les lettres (après comparaison paléographique, il s’est avéré qu’elles sont de la main de Diego Barros Arana), proposant des identifications et des fourchettes chronologiques ont permis d´étayer l’idée que Diego Barros Arana avait effectivement rassemblé et organisé lui-même sa correspondance, et donc que le fonds n’était pas une collection rassemblée postérieurement à sa mort – malgré le caractère évidemment lacunaire de ce fonds. Enfin, le grand intérêt de ce fonds comme source historique, particulièrement pour l’histoire culturelle, s’est également imposé à moi au fil de la description archivistique des lettres.
Amitié franco-chilienne : portraits croisés de Diego Barros Arana et Jean Gustave Courcelle-Seneuil
En 1855, Jean Gustave Courcelle-Seneuil, avocat et économiste français, traducteur de John Mill et auteur d’un Manuel des affaires, est recruté par le gouvernement chilien comme conseiller du ministère de l’industrie, et professeur d’économie à l’Instituto Nacional, établissement d’enseignement secondaire fondé en 1813 pour former l’élite chilienne, avant d’intégrer en 1856 la Faculté de philosophie et d’humanités de l’Université du Chili. Le recrutement de Jean Gustave Courcelle-Seneuil inaugurait au Chili l’enseignement de l’économie, ainsi que l’adoption du libéralisme économique. Son contrat arrivé à terme en 1863, Jean Gustave Courcelle-Seneuil rentre en France où il termine sa carrière comme conseiller d’État et maître de conférences d’économie politique à l’École normale supérieure. Ce séjour chilien de l’économiste français ne distend cependant pas ses relations avec le Chili, et notamment ses échanges avec un historien qu’il a côtoyé à l’Instituto Nacional et à l’Université du Chili, Diego Barros Arana.
Au moment où Jean Gustave Courcelle-Seneuil met le pied au Chili, Diego Barros Arana vient de publier le premier volume d’une Histoire générale de l’indépendance du Chili, ouvrage participant de l’essor précoce d’une historiographie nationale. Issu d’un milieu aisé, Diego Barros Arana s’était déjà signalé par la traduction du Chevalier d’Harmental de Dumas à dix-neuf ans, témoignage d’un penchant francophile emblématique de son temps et de son milieu. Diego Barros Arana est nommé à l’Université du Chili un peu avant Courcelle-Seneuil et entame une fructueuse carrière universitaire ; il est doyen de cette même université en 1873, puis recteur en 1892. Mais avant cela, en tant que fervent libéral, il s’exile en 1856, avec l’accession au pouvoir de l’autoritaire Manuel Montt, et passe plusieurs années en Europe. Au cours de ce long séjour il sillonne dépôts d’archives et bibliothèques, en quête de matériaux pour l’écriture de l’histoire de sa patrie. Son passage à Paris l’amène aussi à suivre avec passion les leçons de Renan, Comte ou Littré. À son retour au Chili il est nommé à la tête de l’Instituto Nacional (1863), où il déploie sa vision de pédagogue. Il y modernise et diversifie l’enseignement, désormais basé sur les sciences et laïcisé. Il défend un enseignement laïc et d’État, ce qui lui vaut l’hostilité des conservateurs et de l’Église. Malgré ses nombreux engagements académiques, politiques et diplomatiques, il ne délaisse pas pour autant l’œuvre d’historien. Reconnu unanimement comme le plus grand historien chilien du xixe siècle, il laisse une monumentale Historia general de Chile, en 16 volumes publiés de 1884 à 1902.
Bibliographie et francomanie
Les quatre-vingt-deux lettres de Jean Gustave Courcelle-Seneuil adressées à Diego Barros Arana entre 1864 (peu après le retour en France du premier) et 1887 comportent presque toutes un volet bibliographique plus ou moins développé. À la lecture de ces lettres on voit la quantité de publications scientifiques commandées par Diego Barros Arana pour sa propre bibliothèque mais aussi et pour remplir les étagères de la bibliothèque de l´Instituto Nacional et développer les collections de la Bibliothèque nationale et de l’Université du Chili. En effet, en tant que doyen de la Faculté des humanités de l’Université du Chili, Diego Barros Arana supervise la Bibliothèque nationale du Chili. Ouvrages scientifiques de l’histoire à la médecine, revues scientifiques et publications bibliographiques, manuels scolaires, tous publiés en France, viennent grossir les collections des bibliothèques chiliennes. Cet engouement pour les livres français n’est pas le seul fait de Diego Barros Arana et participe de la francophilie des milieux éduqués, comme le montrent les statistiques. En 1912, le prêt de livres français représente 43% des prêts de livres étrangers de la Bibliothèque nationale à Santiago[1].
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Vue intérieure de la Salle Medina, salle historique de la Bibliothèque nationale du Chili qui conserve la Bibliothèque Américaine Barros Arana. Photographie : Eduardo Testat, licence creative commons
Les commandes en France de Diego Barros Arana que Jean Gustave Courcelle-Seneuil se charge de réaliser ne se limitent pas seulement aux livres mais s’étendent à l’achat de matériel et d’instruments scientifiques pour fournir l’Instituto Nacional et d’autres lycées du Chili. Plusieurs lettres de Jean Gustave Courcelle-Seneuil de l’année 1868 relatent à Diego Barros Arana les démarches qu’il mène à Paris pour répondre à sa commande d’un cabinet d’histoire naturelle. Cette surprenante commande est destinée à appuyer l’enseignement scientifique (récemment introduit dans le cursus) de l’Instituto Nacional. L’économiste français ne cache pas sa perplexité face à une telle commande dans une lettre du 7 juillet 1868 :
« Les dernières caisses de votre commande pour l’Institut [national] sont arrivées à temps à ce que je présume. Elles contiennent le cabinet d’histoire naturelle et la collection d’animaux antédiluviens, qui, je l’espère, sera satisfaisante. Écrivez-moi, je vous prie ce qu’en auront pensé les connaisseurs, parce que, malgré toute ma bonne volonté, je n’ai pu m’empêcher d’aller un peu les yeux fermés. »
Dans un registre plus domestique, les achats par correspondance de Diego Barros Arana reflètent aussi la véritable « francomanie » qui s’empare des élites chiliennes au XIXe siècle. Diego Barros Arana confie ainsi à son ami français la commande du meilleur mobilier français, à savoir des rideaux et linges de maison (échantillons de satin à l’appui), et du mobilier style Louis XV (copie Boulle). Courcelle-Seneuil se charge aussi de commandes en tissus, rideaux ou soies lyonnaises pour l’épouse et toute la famille de Barros Arana.
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“Facture des meubles commandés par Don Diego Barros Arana.” Diego Barros Arana commande entre autres douze chaises Louis XV garnies de satin, deux meubles de Bul [Boule] Louis XV
Du milieu du XIXe siècle au début du XXe siècle, le goût et la mode chiliennes sont d’importation française ; le néoclassicisme français, la vogue néo-gothique et néo-byzantine règnent sur l’architecture des palais et des églises, l’académisme du Salon en peinture.
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Le palais Cousiño, exemple de la francomanie des élites chiliennes. On peut voir sur les murs du grand escalier intérieur des peintures représentant des monuments parisiens : l’opéra, l’arc de triomphe ou encore l’hippodrome Longchamp
Affinités intellectuelles et politiques
Au-delà des échanges bibliographiques, la correspondance de Diego Barros Arana témoigne d’une véritable affinité intellectuelle avec Jean Gustave Courcelle-Seneuil. Les deux hommes s’informent de l’avancée de leurs travaux scientifiques respectifs, s’encouragent, et commentent mutuellement les livres et articles que l’un et l’autre font paraître. Sur le plan des idées ils partagent une même adhésion au positivisme et une même foi dans le progrès, qui se reflète bien dans les réformes qu’engage Diego Barros Arana à l’Institut national. La fin de l’enseignement religieux, la valorisation des matières scientifiques au détriment du latin et de la rhétorique sont autant de nouvelles orientations que Courcelle-Seneuil s’empresse d’approuver. L’historien J.-P. Blancpain décrit Barros Arana comme la figure de proue de l’« establishment laïque et positiviste ». Et c’est bien en tant que tel que ce dernier est nommé membre correspondant de la Société pour l’Instruction élémentaire de France et de la Ligue de l’enseignement de Belgique en 1876.
Les lettres reçues par Diego Barros Arana témoignent ainsi d’un incessant échange culturel, scientifique et politique entre la France et le Chili, au gré des vapeurs transatlantiques, qui concerne aussi bien les objets, les idées ou les hommes. Deux autres témoignages de ces échanges tirés de ce fond : en 1873 Courcelle-Seneuil accueille à Paris le neveu de Diego Barros Arana, sacrifiant au voyage des élites chiliennes dans les capitales européennes, et réciproquement, Diego Barros Arana offre ses services au fils de Jean Gustave Courcelle-Seneuil, membre d’une expédition scientifique française vers l’archipel de Magellan (1882). « Imprégnation de France des élites » chiliennes pour reprendre les mots de Victor-Lucien Tapié[2], mais aussi fascination et attachement des Français pour le Chili, voilà ce dont nous parle le fonds Diego Barros Arana.
Notes
J.-P. Blancpain, « Francisation et francomanie en Amérique latine : le cas du Chili au XIXe siècle », dans Revue historique, t. 268, fasc. 2, p. 376.
V.-L. Tapié, Histoire de l’Amérique latine au XIXe siècle, Paris, 1944, p. 264.
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ecoledeschartes · 4 years
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Un automne à Saïgon. À la découverte du Centre n°2 des Archives nationales du Vietnam
Clémence Becquet effectue son stage de 4e année au Centre n°2 des Archives nationales du Vietnam, à Hô Chi Minh-Ville. Voir la carte des stages
Du 7 octobre au 30 novembre dernier, j’ai eu la chance et le plaisir d’effectuer un stage au Centre numéro 2 des Archives nationales du Vietnam à Hô-Chi-Minh-Ville. J’aimerais dresser ici le portrait de mon institution d’accueil et partager avec vous un peu de mon expérience dans le monde des archives au Vietnam. J’espère par ailleurs que cet article saura vous faire oublier quelques minutes la triste grisaille hivernale et vous apporter un peu d’exotisme et de chaleur tropicale.
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La façade du bâtiment principal du Centre numéro 2, au 17a Lê Duẩn
Archives au Vietnam
Au Vietnam, la direction d’État des archives est chargée d’organiser la politique en matière d’archivistique sur l’ensemble du territoire. Elle a pour mission de coordonner cette même politique à l’échelle des provinces et des quatre grands centres des Archives nationales, situés à Hanoï, Dalat et Hô-Chi-Minh-Ville.
Le Centre numéro 1 est installé à Hanoï. Y sont principalement conservées les archives de la dynastie des Nguyen et les archives des services de l’administration coloniale en Indochine. Non loin de celui-ci se trouve également le Centre numéro 3, où sont conservés les documents produits par les organismes centraux de la République démocratique, puis de la République socialiste du Vietnam. Le centre numéro 4, le plus récent de tous, se trouve à Dalat, autrefois station de villégiature favorite des riches saïgonnais, dans la région des hauts plateaux du centre. Il est installé dans l’ancienne villa … d’un chartiste !  Il s’agit en effet de la demeure de Ngô Đinh Nhu, frère du premier président du Sud Vietnam Ngô Đinh Diêm, et de sa célèbre épouse Tran Lê Xuân, plus connue sous le nom de Madame Nhu. Ngô Đinh Nhu, rentré au Vietnam peu de temps après avoir soutenu sa thèse d’École portant sur « Les mœurs et les coutumes des Annamites au Tonkin au XVIIe siècle » avait occupé des postes à responsabilité dans les bibliothèques et les archives du pays, avant de se faire assassiner en même temps que son frère, en novembre 1963. C’est au Centre numéro 4 qu’est conservé un fonds précieux pour l’histoire du Vietnam : les tablettes de bois de la dynastie des Nguyen, inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco.
C’est pour ma part au Centre numéro 2, installé à Hô-Chi-Minh-Ville, que j’ai effectué mon stage.
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Le Centre numéro 4 à Dalat, ancienne villa de Madame Nhu
Trung tâm lưu trữ quốc gia II : le Centre numéro 2 à Hô-Chi-Minh-Ville
Le Centre numéro 2 des Archives nationales du Vietnam est situé en plein cœur du centre historique de l’ancienne Saïgon, rebaptisée Hô-Chi-Minh-Ville après 1975. Il se trouve à deux pas de la cathédrale Notre-Dame et de la célèbre poste centrale, et se compose de deux ensembles de bâtiments, construits de part et d’autre de l’avenue Lê Duan, qui relie le jardin botanique au palais de la réunification. Salle de lecture, salle d’exposition, bureaux de l’administration et quelques ateliers de numérisation et de restauration se trouvent au 17a de l’avenue.  Les magasins se trouvent quant à eux dans un imposant bâtiment installé à 200 mètres de là, sur le trottoir opposé.  Se rendre d’un bâtiment à l’autre nécessite donc logiquement de traverser la route, périlleuse épreuve dans une ville où le nombre de deux-roues égale presque le nombre d’habitants ! Mais pas de panique, les cartons commandés par les lecteurs ont le privilège d’effectuer cette rapide traversée en voiture. Quand j’ai quitté Hô-Chi-Minh-Ville, le Centre était cependant engagé dans un gros projet de réaménagement des espaces d’accueil du public, visant à réinstaller ces derniers au plus proche des magasins, dans un bâtiment attenant rénové pour l’occasion, qui avait déjà accueilli lecteurs et visiteurs par le passé[1].
Le Centre numéro 2 est chargé de la collecte, du classement et de la conservation, de l’organisation et de la communication d’archives réparties en près de 180 fonds. Y sont conservés des archives relatives à la période de la colonisation française, à celle de l’État du Vietnam, de la République du Vietnam, ainsi que des archives contemporaines, produites depuis 1975 dans le sud du Vietnam. On y trouve également quelques fonds d’archives privées et une importante collection de disques vinyles. Mon niveau de vietnamien se résumant à mon arrivée à de simples « Xin Chào » et « cám ơn » (bonjour et merci), c’est naturellement sur les fonds de la période coloniale qu’a porté mon travail au cours de ce stage.
Le fonds du GouCoch
Bref rappel historique. La conquête de la Cochinchine débute en 1858 lorsque la France, sous prétexte de vouloir protéger des missionnaires catholiques persécutés, envoie des troupes dans cette région. Cette première conquête militaire aboutit au traité de Saïgon du 5 juin 1862, qui crée la colonie de Cochinchine par l’annexion de trois provinces méridionales et de l’archipel de Poulo-Condore. Il faut pourtant encore attendre cinq ans avant que les Français ne se rendent maîtres de tout le sud de la péninsule indochinoise. Cette région très fertile est le principal moteur économique de l’Indochine française lorsqu’est créée l’Union Indochinoise en 1887.  
Près de 4500 mètres linéaires d’archives de l’époque coloniale sont conservées au Centre numéro 2.  Le sort de ces archives avait été réglé dans l’accord franco-vietnamien du 15 juin 1950. Il avait alors été décidé que les archives du gouvernement impérial et de ses agents, celles produites par les administrations locales, leurs services techniques et les administrations provinciales, municipales et communales revenaient au Vietnam et resteraient par conséquent sur le territoire. Parmi ces fonds, celui du gouvernement de la Cochinchine, aussi connu par son abréviation : GouCoch. Ce fonds, très riche, s’étend sur plus de 2,5 kilomètres linéaires. Il n’est aujourd’hui encore que partiellement classé.
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Décortiqueries de paddy, médecine sino-annamite, nuoc-mâm frauduleux… de l’exotisme jusque dans les archives !
Lorsque le gouverneur général de l’Indochine Albert Sarraut décide de la création d’une Direction des archives et des bibliothèques de l’Indochine en 1917, c’est naturellement un chartiste qu’il fait nommer à sa tête. Pourtant « rien ne semblait appeler le chartiste vers les colonies : sa culture, comme sa formation professionnelle, devait le retenir dans la mère patrie où la conservation et l’étude du passé de notre pays retenaient sa compétence »[2]. Je cite ici Paul Boudet, l’homme à qui revint cette importante mission. Ce dernier élabora alors un cadre de classement capable de répondre concrètement aux besoins de l’administration française sur place[3] et qui est encore respecté par les archivistes aujourd’hui. Il s’agit d’un système sur plusieurs niveaux dont le premier se divise en 25 grands domaines désignés chacun par une lettre de l’alphabet. J’ai personnellement participé au classement de la série D (administration générale) qui occupe les archivistes depuis quelques mois. Le classement de ce fonds est un travail de longue haleine, d’autant plus que trois archivistes seulement maîtrisent la langue française au Centre numéro 2. Par la nature des affaires exposées et l’intitulé de certains dossiers, ce classement avait en lui-même quelque chose d’exotique. J’y ai croisé un certain nombre de plans de rizeries, de dossiers relatifs à la médecine traditionnelle chinoise, ou concernant d’amusantes contrefaçons, à l’image d’un « xà-bong MAT-XAY » qui ne contenait pas ses 72% d’huile végétale (on ne plaisante pas avec le savon de Marseille !).
L’atelier de restauration
Au cours de mon stage, j’ai également passé une semaine entre les ateliers de numérisation et de restauration. C’est dans ce dernier que j’ai découvert avec intérêt le processus de restauration du papier mis en œuvre par les Archives nationales du Vietnam. Les documents conservés consistent en effet souvent en un papier de bien mauvaise qualité ou un calque fragile qui résiste difficilement aux effets du temps. De nombreux documents sont donc déchirés. Au Vietnam, la restauration de ces documents se fait à partir d’un matériau local, le papier dó[4]. Ce fin papier, longtemps utilisé pour l’impression de livres et de décrets royaux est fabriqué à partir de l’écorce de rhamnoneuron, un petit arbre qui pousse principalement dans le sud du Yunnan et dans le nord du Vietnam. Paradoxalement, le papier utilisé par les équipes de restauration des Archives nationales est importé du Japon.
L’opération se fait en quelques étapes. On commence par encoller la feuille dó en veillant à bien chasser toutes les bulles d’air qui se forment à la surface.  Le papier dó étant très fragile lorsqu’il est détrempé, l’opération exige minutie. On vient ensuite déposer sur cette feuille encollée le document à restaurer, dont le verso vierge a préalablement été humidifié à l’aide d’un vaporisateur. Une fois cette opération terminée, on retire l’excédent de colle en passant un rouleau sur un chiffon humide préalablement déposé sur le document. Il s’agit enfin de laisser sécher les documents sur une grille pendant un peu plus de 24 heures puis de découper soigneusement les marges au massicot. Cette technique s’applique également aux plans et documents de grand format.
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Dans l’atelier de restauration
Une expérience humaine
Au début du mois de novembre, j’ai eu la chance d’être invitée à assister à l’inauguration d’une exposition en plein air organisée par le Centre numéro 2 et le musée d’une province du delta du Mékong. L’exposition portant sur l’histoire de la province était organisée dans la ville de Soc Trang, où est installée une importante communauté khmère. L’inauguration a en effet eu lieu dans le cadre des festivités de l’Ooc Om Bok, une fête traditionnelle qui débute entre le 14e et 15e jour du dixième mois lunaire.  Pour l’occasion, j’ai pu revêtir un ao dài[5] aux couleurs de mon centre d’archives. Avant le traditionnel coupé de ruban, j’ai également pu assister à un superbe spectacle, plein de couleurs, mêlant chants et danses traditionnelles.
Cette excursion entre collègues, qui s’est conclu par un peu de tourisme et une virée shopping dans les magasins d’usine d’une grande fabrique de petits gâteaux très sucrés dont raffolent les vietnamiens (saveur jacques ou durian ?), restera sans doute longtemps gravée dans ma mémoire. Si ce stage au Vietnam a été fort enrichissant d’un point de vue intellectuel, il l’a été tout autant d’un point de vue humain. Malgré l’importante barrière de la langue, mes collègues se sont toujours montrés particulièrement bienveillants et généreux à mon égard. Il y a des sourires et des gestes qui en disent parfois plus que des mots.
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Inauguration d’une exposition dans une province du delta du Mékong
Notes
Le déménagement était prévu pour le début de l’année civile. Une exposition intitulée « Saïgon : d’une cité féodale à une ville de style occidental » a ouvert dans ce bâtiment rénové au début du mois de janvier.
Boudet (Paul), « Le chartiste et les colonies », dans Coville (Afred), Les chartistes et la vie moderne : causeries faites à la Société de l’École des chartes (1931-1936),  Paris, Société de l’École des chartes, 1938
Boudet (Paul) Manuel de l’archiviste : instructions pour l’organisation et le classement des archives de l’Indochine, Hanoï, 1934
Se prononce zo dans le nord et yo dans le sud
L’ao dài est la robe traditionnelle vietnamienne.
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ecoledeschartes · 4 years
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Archives, archivistes et crise au Chili, quelques réflexions
Pierre Fabry effectue son stage de 4e année aux Archivo Nacional de Chile, à Santiago. Voir la carte des stages
La crise sociale qui a éclaté à Santiago le 18 octobre 2019 avant de rapidement s’étendre à tout le Chili n’a pas manqué de se répercuter sur le secteur culturel, et notamment sur les Archives nationales du Chili, où j’ai réalisé un stage de fin septembre à novembre 2019. Ce contexte très particulier est l’occasion privilégiée de tracer quelques perspectives et de présenter les défis qui attendent cette institution fondée en 1927, et plus généralement les archivistes chiliens.
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L’Archivo Nacional Histόrico fermé «Trabajadores Archivo nacional en paro !!!», «Travailleurs des Archives nationales en grève !!!»
Ce qui était à l'origine un mouvement étudiant de fraude massive du métro en réaction à une nouvelle hausse du prix du ticket à Santiago, s’est soudainement transformé en un vaste mouvement social touchant toutes les grandes villes du Chili. Au rythme des cazerolasos et sur l’hymne « Chile despertό », le « printemps chilien » a rapidement vu converger de très nombreuses revendications sociales relatives aux transports, au coût de la vie, à la santé, à l’éducation, ou encore aux retraites, domaines qui sont en grande partie privatisés au Chili.
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Le siège de l’Université du Chili avec une banderole « Fin al Estado de emergencia, asamblea constituyente », « Fin à l’état d’urgence, assemblée constituante ». Au début de la crise l’état d’urgence avait été déclaré à Santiago, suscitant incompréhension et affrontements entre forces de l’ordre et manifestants
Face à la multitude des réclamations portées par la rue, et au-delà par une très large part de la société chilienne, un mot d’ordre s’est rapidement imposé : rompre avec le système en place, et en premier lieu avec la constitution en vigueur, d’inspiration néo-libérale, adoptée sous le régime de Pinochet et ainsi entachée du « péché originel » de la dictature - pour reprendre les mots d’un ami chilien.
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Les Archives nationales conservent un exemplaire original de la constitution, signé de la main d’Augusto Pinochet et de son gouvernement. Archivo Nacional Histόrico, Fondo Varios, n°1072
Les Archives nationales ont été aux premières loges du conflit social, le siège historique, l’Archivo Nacional Histόrico, étant situé sur l’Alameda, principale artère qui traverse d’est en ouest la capitale, et passage obligé des nombreuses manifestations qui ont eu lieu en octobre et novembre. Ce facteur externe, auquel s’ajoutait l’arrêt puis le fonctionnement partiel des transports en commun, ont conduit à la fermeture des salles de lecture pendant plusieurs semaines, à l’Archivo Nacional Histόrico comme à l’Archivo Nacional de la Administraciόn (on pourrait comparer ces deux sites des Archives nationales du Chili aux deux sites des AN françaises, Soubise et Pierrefite)[1]. Directement touchés par la crise, les archivistes des Archives nationales ont voté la grève, à l’instar du personnel d’autres institutions culturelles de la capitale. Cela ne les a toutefois nullement empêchés de mettre à profit ces circonstances exceptionnelles pour s’interroger sur leur propre travail et pour questionner le modèle et la politique des Archives nationales.
Des réunions ont ainsi eu lieu à diverses échelles, au niveau des départements, des Archives nationales, et avec le personnel d’autres institutions culturelles, débouchant sur plusieurs actions à l’intérieur comme à l’extérieur des Archives nationales. Parmi les actions menées en externe, les revendications de la société chilienne et le comportement très controversé de la police (les rapports officiels et d’ONG comme Amnesty International font état de plusieurs morts aux mains des forces de police et de plusieurs centaines de blessés par balle, mais les chiffres divergent) ont naturellement attiré l’attention des archivistes. Le lien fondamental entre archives et citoyenneté, mémoire et transparence de l’État a été rappelé et mis en exergue par le biais d’une campagne d’affichage sur les bâtiments et les grilles du parvis des Archives, attirant l’attention des passants et les invitant à une réflexion, sinon à une prise de conscience.
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Les grilles du parvis de l’Archivo Nacional de la Administraciόn transformées en support de mobilisation
Toujours avec une conscience aiguë du rôle de l’archiviste dans la cité en filigrane, des ateliers ont permis la collecte par les archivistes de témoignages oraux de manifestants et de santiaguinos. Outre ces initiatives tournées vers les citoyens, une réflexion en interne a aussi eu lieu, débouchant notamment sur une grande table ronde, qui a réuni la direction et le personnel des Archives, tous sites et départements confondus. Différentes questions ont été posées et débattues durant l’assemblée, marquant parfois des points de vue divergents. De cette assemblée et de plusieurs discussions avec des archivistes je présente ici trois défis/problèmes principaux.
Évoqué lors de la table ronde interne aux Archives nationales, le projet de modernisation des Archives nationales doit marquer un tournant dans la politique archivistique chilienne. Il prévoit de créer un système d’archivage électronique global faisant des Archives nationales le récepteur de toute la masse de documents numériques natifs générés par l’administration. Ce projet ambitieux (2018-2020) placerait les Archives nationales du Chili comme un acteur central du fonctionnement de l’État. Accompagné d’un investissement financier conséquent et d’un accroissement des moyens humains, le projet de modernisation ferait des Archives nationales un service pionnier dans le réseau des Archives américaines, tout en leur donnant une visibilité et une reconnaissance inédites. Néanmoins, certains archivistes pointent les incertitudes et les limites flottant sur le projet de modernisation. Alors que les missions traditionnelles de « collecte papier » ne peuvent pas être assurées dans leur intégralité, le développement d’un système d’archivage électronique commun pour toutes les administrations de l’État peut sembler prématuré. De plus, beaucoup d’archivistes partagent le sentiment d’être les laissés pour compte d’un projet qui fait essentiellement appel à des recrutements externes et auquel les archivistes se sentent peu associés. À terme planerait le risque de faire des archivistes les agents subsidiaires des informaticiens.
Une autre avancée pour les archives était en passe d’être concrétisée pour les Archives nationales, à la veille de l’éclatement de la crise : le vote d’une loi sur les archives. Cette loi permettrait l’adoption d’une définition des archives, publiques et privées, et établirait clairement les fonctions et attributions des services d’archives, Archives nationales et Archives régionales. Concrètement, elle obligera légalement tous les ministères, organes et services publics à conserver leurs archives et à les verser aux services d’Archives, sous le contrôle des archivistes qualifiés. Cela permettrait de mettre fin à d’autres dispositifs légaux remontant à la dictature qui permettaient par exemple – pour prendre un cas particulièrement éloquent dans le contexte du mouvement social – aux Forces armées de garder et détruire leurs archives de façon autonome (Ley de Fuerzas Armadas n°18.771). Alors que le Chili est marqué par des pertes importantes de matériau archivistique depuis le temps de la dictature, une loi sur les archives conforterait les Archives nationales dans leur mission de préserver la mémoire nationale et de permettre l’exercice de la citoyenneté tout en garantissant la transparence de l’État[2]. Pour qu’une telle loi trouve des applications concrètes, il faudrait cependant développer considérablement le réseau archivistique, c’est un troisième défi.
Dans l’état actuel, le réseau archivistique chilien se limite à trois entités : l’Archivo Nacional, qui mène la politique archivistique de tout le pays, et deux archives régionales (Araucanía et Tarapacá). Sur les quatorze régions que compte le Chili, seulement deux sont donc dotées de leur propre service d’archives ; toutes les autres régions versent leurs archives à l’Archivo Nacional, à Santiago. L’Archivo Nacional reçoit ainsi les minutes des notaires de la région de Magellan (extrême Sud du Chili, la Patagonie chilienne) comme celles de la région d’Antofagasta (Nord du Chili, côte pacifique et désert d’Atacama). Il en résulte une excessive concentration archivistique dans la capitale et d’évidentes difficultés de communication des documents au public, dans un pays long de 4300km du Nord au Sud !
La faiblesse du réseau archivistique peut s’expliquer par des raisons historiques, politiques et géographiques. D’une part, le très fort centralisme de l’État chilien remonte sans doute à la Patria Vieja, période lors de laquelle l’État chilien naissant s’imposa par les armes contre les poches de résistance loyaliste à la couronne espagnole (sur l’île de Chiloé au Sud du pays, par exemple) ou les velléités d’autonomies régionales. En a résulté une concentration des décisions et du pouvoir politique dans la capitale, encore vraie de nos jours : les régions du Chili sont dirigées par un intendente nommé par le président (l’équivalent de nos préfets), et l’élection au suffrage universel du consejo regional n’a été adoptée que récemment. D’autre part, la concentration des fonds archivistiques à Santiago est sans doute également liée aux récurrents conflits frontaliers qui au cours du XIXe et du XXe siècle ont vu le Chili affronter diplomatiquement et militairement ses voisins (Pérou, Bolivie, Argentine) pour la possession de territoires limitrophes voire de régions entières. Autre frein au développement d’archives régionales : les risques naturels omniprésents, liés à l’activité sismique et à ses conséquences potentiellement dévastatrices pour le patrimoine : fréquents tremblements de terre, tsunamis, éruptions volcaniques…
Malgré un fort centralisme et des contraintes géographiques non négligeables, le développement de nouveaux dépôts d’archives en région est à l’ordre du jour – la saturation des dépôts des Archives nationales rendant la question toujours plus pressante. C’est d’ailleurs avec étonnement qu’en dialoguant avec les archivistes chiliens je me suis rendu compte que la « collecte » est un concept très peu familier pour eux. Le manque d’espace aux Archives nationales comme l’absence d’un véritable maillage institutionnel en régions n’est pas pour encourager la collecte d’archives. Signalons enfin des perspectives positives pour les archivistes chiliens : deux projets de création d’archives régionales à Antofagasta et Copiapό (Nord du pays), et le vote très récent du budget pour la construction d’un bâtiment d’Archives pour la région de Tarapacà ; jusque-là l’Archivo Regional de Tarapacà disposait seulement d’espaces au sein d’une université.
Développer un véritable réseau archivistique, doter les archives publiques d’un cadre légal et manœuvrer la transition numérique sont trois grands défis qui attendent les archivistes chiliens. Il est plus que jamais nécessaire de relever ces défis, après la grave crise sociale qui a secoué tout le pays, sans vraiment trouver de réponse politique, pour assurer l’écriture de l’histoire, préserver la mémoire et peut-être aider à rétablir la transparence et la confiance entre l’État et les citoyens.
Note
Pour une présentation de l’histoire des Archives nationales du Chili, je renvoie à l’article de mon prédécesseur Pierre Marchandin sur ce même blog : « Plus de 90 ans d’archives nationales au Chili »
Jorge Pavez Ojeda, « Sobre cambio social y archivos », Archivos en Chile : miradas, experiencias y desafíos, Santiago, 2016, p. 8-13.
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ecoledeschartes · 4 years
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Visite guidée de l'Unesco
Sarah Rigaudeau effectue son stage de 4e année à la direction des archives de l’Unesco, à Paris. Voir la carte des stages
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L'Unesco est évidemment connue pour être l'organisation onusienne en charge de la culture, mais ce que le public ignore souvent c'est que le siège abrite en son sein de nombreuses œuvres d'art.
La plus visible est le globe d'Erik Reitzel qui est situé en face du bâtiment principal.
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Erik Reitzel
Fait de 10 000 baguettes d'aluminium, cette sculpture rappelle, par sa forme, le logo des Nations Unies. Elle a été créée pour le Sommet mondial pour le développement réuni à Copenhague en 1995, puis a été transportée et montée au siège de l'Unesco pour son cinquantième anniversaire. Au départ, l'œuvre a été prêtée pour cinq ans, il a été donné par le gouvernement danois.
La collection d'œuvres d'art rassemblée à l'Unesco trouve son origine dès la construction du bâtiment dans les années 50. À cette occasion, l'Organisation commande aux plus grands artistes de l'époque des œuvres chargées de venir orner les locaux. Dans ce contexte, une commande est passée à Pablo Picasso durant le mois de décembre 1957 qui remplit deux carnets de croquis de baigneurs nus. L'ensemble final est composé de quarante panneaux de bois plaqué peint à l'acrylique qui couvre une surface de près de cent mètres carrés. Sa taille et sa composition particulière lui valent le surnom affectueux, mais peut-être un peu cruel, de "plus grand et plus moche Picasso du monde". L'ensemble, représentant une scène de plage et la chute d'une silhouette entourée de noir, n'est d'ailleurs pas signé par l'artiste.
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En 1957, Alexander Calder répond aussi à une commande de l'Unesco et livre un mobile nommé Spirale qui est constitué de deux tonnes d'acier. La sculpture est à mouvement libre car elle s'anime avec le vent.
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En 1969, l’Unesco fait également l'acquisition d'un exemplaire de l'Homme qui marche d'Alberto Giacometti. Cette sculpture en bronze est particulièrement impressionnante. Elle trône au fond du hall de l'institution. Évidemment, elle est régulièrement admirée et photographiée par ceux qui, comme moi, ne sont que de passage.
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Les compositions que l'on trouve au siège sont aussi le fruit de dons des États membres de l'Organisation, souvent pour des motifs diplomatiques, mais aussi symboliques. Le jardin japonais est particulièrement emblématique. Situé au pied des bâtiments du siège, il occupe 1700 mètres carrés de terrain. Il offre au personnel un havre de paix et de méditation. Un ruisseau, un lac, un pont mais surtout des arbres et arbustes japonais composent le paysage. Les espèces sont importés du Japon par des jardiniers spécialisés qui sont venus aider à la réalisation et qui entretiennent encore les lieux.
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Jardin japonais. Unesco/R. Dominique
Une fontaine de paix orne le jardin. Le sculpteur Noguchi y a gravé le caractère japonais "paix" à l'envers afin qu'il se reflète dans le bon sens dans l'eau. Les pierres sur lesquels les visiteurs doivent marcher pour pénétrer plus en avant dans le jardin sont censées symboliser le fragile équilibre de la paix.
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Mais l'élément le plus émouvant du jardin est sans nul doute l'ange de Nagasaki. Cette sculpture faisait partie de l'église d'Urakami Shudo détruite par la bombe lâchée par le bombardier B-29 le 9 août 1945 à 11h02. Une messe était alors célébrée et les morts ont été nombreux. Les habitants de Nagasaki ont offert cette figure miraculeusement épargnée en 1976, à l'occasion des 30 ans de l'Unesco.
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Une tapisserie de Le Corbusier figure aussi parmi les dons reçus par l'Unesco. Elle représente de façon abstraite le plan des bâtiments de l'Organisation. Offerte par la Suisse en 1962, il s'agit d'une tapisserie réalisée dans la manufacture d'Aubusson à partir d'un carton de l'artiste.
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L'une des mes œuvres préférées est un tableau de Nasser Assar, Voix de la mer, donné par l'Iran en 1989. Il est caché au sous-sol, à côté de la machine à café et d'un distributeur d'eau.
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On trouve également des exemplaires des habits traditionnels comme ce junihitoe, robe cérémonielle de cour japonaise qui est composée d'au moins douze couches de kimono. Chaque couleur a une signification. Aujourd'hui le junihitoe est le vêtement porté par la princesse lors de son mariage ou du couronnement d'un nouvel empereur.
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Plus rares, quelques antiquités se cachent au sein de l'Organisation comme ce lécythe qui est destiné aux rites funéraires. D'une taille imposante (120 cm), on y distingue deux femmes en pleine discussion : la première est assise, la seconde tient un pyxis (une boite) et porte sa main au menton en signe de deuil. L'ensemble est accompagné d'une dédicace au défunt, Nicomaque. Ce lécythe, très à la mode à l'époque archaïque, a été offert par la Grèce.
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Enfin, en 2013, lors de la 37e session de la conférence générale le président du Tchad, Idriss Deby Itno, a remis à l'Unesco un moulage du crâne de Toumaï, le plus vieil hominidé.
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Cette variété d'œuvres est à l'image de l'organisation qui a pour but de «contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations, afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’Homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, que la Charte des Nations unies reconnaît à tous les peuples».
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ecoledeschartes · 4 years
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Cataloguer le fonds de poésie française rassemblé par un guitariste bibliophile
Pierre-Marie Bartoli effectue son stage de 4e année à Cambridge University Library, Cambridge (Royaume-Uni). Voir la carte des stages
Qui que vous soyez qui voulez cultiver, vivifier, édifier, attendrir, apaiser, mettez des livres partout.
Victor Hugo
Les Odes et ballades du plus célèbre écrivain français (publiées par Charpentier en 1841) constituent justement l’ouvrage le plus ancien de la Martin Stone collection of French poetry, un fonds acquis ce printemps par la Cambridge University Library.
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La bibliothèque de l’Université de Cambridge par un matin ensoleillé… une vision particulièrement rare !
La Cambridge University Library
Commençons par présenter l’institution en général et le département au sein duquel je fais mon stage. L’université de Cambridge est un ensemble mondialement réputé de facultés et de collèges��: pour schématiser, les étudiants suivent leurs cours dans leurs facultés respectives, qui sont thématiques (histoire, droit, langues modernes et linguistique, théologie…), et bénéficient d’un suivi professoral individualisé dans les collèges, qui sont par ailleurs les institutions qui les sélectionnent, leurs fournissent un logement, et où se développe une sociabilité particulière. Chaque collège a sa propre bibliothèque, et certaines possèdent déjà de superbes fonds, accumulés en plusieurs siècles d’existences et de donations (le plus ancien collège de Cambridge, Peterhouse, a été fondé en 1284 !).
La Cambridge University Library (j’utiliserai désormais les initiales UL) est celle de l’université dans son ensemble, distincte des bibliothèques de collèges, mais aussi de celles de facultés même si un processus d’intégration en cours de la bibliothèque universitaire centrale et de celle des facultés amène à parler de Cambridge University Libraries. La UL existait déjà au Moyen-Age (sur le site « Old Schools »), mais le bâtiment actuel date des années 1930, et a fait l’objet de plusieurs extensions depuis. Conçu par l’architecte Giles Gilbert Scott, auquel on doit aussi la centrale électrique qui héberge aujourd’hui la Tate Modern mais aussi les cabines téléphoniques. Le bâtiment de briques, avec sa grande tour centrale carrée striée à la verticale, rappelle forcément ces deux autres fameuses créations.
La UL est l’une des six bibliothèques de dépôt légal d’Angleterre, avec la British Library, la bibliothèque de Trinity College à Dublin, les bibliothèques nationales d’Écosse et du Pays de Galles, et enfin la Bodleian d’Oxford (conseil : dites “The Other Place” plutôt que le nom de la ville si vous êtes à Cambridge - et vice-versa à Ox… l’autre université). Dans la longue salle où je travaille, une moitié est ainsi occupée par le département de l’English Cataloguing : le catalogage des ouvrages en anglais dont la majorité a été acquise par le biais du dépôt légal. L’autre moitié regarde au-delà de la Manche et de l’Atlantique, il s’agit donc du département Collections and Academic Liaison.
Collections and Academic Liaison
Dans ce département, les bibliothécaires sélectionnent des livres et collections à acquérir dans le ou les langages dont ils sont spécialistes : allemand, français, espagnol, portugais, langues slaves ou encore grec. Pour cela, ils sont en contact avec des éditeurs, mais surtout des fournisseurs (suppliers) qui leurs proposent des listes de livres susceptibles de les intéresser, selon les domaines dans lesquels ils achètent régulièrement. Depuis quelques années, cela passe aussi par l’obtention d’e-books (souvent bien plus chers à l’unité qu’une copie physique) et l’abonnement à des plateformes digitales de livres et publications électroniques (comme le Cairn récemment).
Le département catalogue et valorise aussi des dons, dont des collections entières. Un exemple récent est la Chadwyck-Healey Liberation Collection 1944-1946, qui a fait l’objet d’une exposition et est désormais le sujet d’un appel à candidature pour une bourse de PhD (doctorat de recherche).
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Une étagère dédiée aux  langues slaves
La Martin Stone collection of French poetry
La Martin Stone collection, en revanche, a été achetée par l’intermédiaire du libraire John Croft après la mort du guitariste reconverti en collecteur et marchand de livres rares.
Ce fonds comprend deux-cent-vingt-cinq livres, recueils poétiques francophones et traductions allant de 1841 (Odes et ballades de Victor Hugo) à 2009 (Sept, poèmes d’Andrée Chedid, illustrations d’Erik Bersou à la gouache). Martin Stone s’est particulièrement attaché à trouver des recueils illustrés, des premières éditions, et des livres rares d’auteurs désormais oubliés.
En cataloguant ces livres, j’ai essayé de faire apparaitre dans leur notice bibliographique et dans celle d’exemplaire (bibliographical et holdings records dans la langue d’Ishiguro) les caractéristiques d’ouvrages destinés à une clientèle bibliophile, et c’est sous cet angle que je vais présenter les aspects particuliers des livres de ce fonds. Quels sont les attributs propres à la bibliophilie dans ces ouvrages poétiques français des XIXe et XXe siècles ?
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Les trente-huit premiers livres de la collection sur leur étagère (et le haut de l’étagère inférieure). À part les livres reliés, tous les ouvrages sont protégés par des boîtes acid-free.
Des exemplaires conçus pour être uniques
La majorité des livres de la Martin Stone collection comprend une page très intéressante, la plupart du temps en face de la page de titre ou en fin de livre, ce que les Anglais appellent encore le colophon. Sur cette page se trouvent des informations matérielles et une numérotation unique du livre (parfois seulement l’un des deux). Cela se présente comme sur la photographie ci-dessous : une liste du nombre d’exemplaires imprimés avec les divers papiers utilisés, du plus luxueux au plus banal, avec informations sur leur numérotation, les éventuels livres hors commerce, réservés à l’auteur et à l’éditeur. Ensuite, l’exemplaire se voit attribuer lui-même un numéro (ou une lettre, ou la mention « H. C. » = hors commerce) unique, souvent imprimé, quelquefois manuscrit (de rares fois par l’auteur lui-même, qui peut y apposer sa signature pour preuve). D’autres caractéristiques peuvent rendre les premiers exemplaires encore plus inestimables, par exemple être accompagnés par une suite des illustrations présentes dans l’ouvrage, ou une estampe inédite.
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La longue liste des papiers utilisés et de leur identification, accompagnée de la signature autographe de l’auteur mais pas de l’identification de cet exemplaire de : Maurice Dekobra, Luxures, Paris, Éditions du Loup, 1928, p. 2.
Justement, cela permet de souligner une autre caractéristique du soin particulier apporté à ces éditions : une partie non négligeable de la collection, surtout les livres du XXe siècle, sont conçus avec l’apport d’un ou plusieurs illustrateurs. Il peut s’agir d’un pur travail traditionnel d’illustration après la création du texte, mais au fil du temps, de plus en plus d’ouvrages à plusieurs mains sont composés en collaboration entre un ou des écrivains et un ou des illustrateurs. Le livre poétique devient livre d’artistes, œuvre plurielle et carrefour entre arts scriptural et pictural.
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Le texte et la gravure, dont l’effet rugueux sous le doigt rappelle la peinture séchée, sont face à face sur sept double-pages de ce recueil à quatre mains : Andrée Chedid (textes) et Erik Bersou (gravures), « Le noyau », Sept, Éditions Gravos-Press, 2009
Un élément qui peut distinguer le livre au premier regard est son packaging : cela peut être la reliure, mais aussi une boite (slipcase), une chemise autour des feuillets non reliés… Celles-ci sont parfois conçues avec l’œuvre (de plus en plus souvent quand on avance dans le temps), mais les livres peuvent aussi être faits reliés par le possesseur de l’exemplaire. Certains livres ont de très belles reliures d’artistes, comme celle proposée en photographie.
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Reliure réalisée par Alba-Moor et dessinée par son propriétaire Vicente Sanz-Martinez pour son exemplaire de : Tristan Tzara, Où boivent les loups, Paris, Éditions des Cahiers libres, 1932
Les reliures ajoutées par un propriétaire sont donc le premier attribut de bibliophilie cité ici qui n’est pas pensé à l’origine dans l’édition et la création de l’ouvrage. Autre caractéristique��: les autographes. Pas ceux déjà mentionnés qui consistent à faire numéroter par l’auteur un exemplaire, mais bien plutôt les inscriptions de l’auteur pour le premier acheteur (ou heureux bénéficiaire d’un cadeau) du livre. Une majorité de celles-ci suivent un formulaire plutôt neutre, avec nom du destinataire, mention de respect, signature de l’auteur, parfois date et lieu, et je pense (peut-être à tort !) qu’elles sont parfois écrites avec l’idée d’encourager la bibliophilie autour de ces ouvrages autographiés dans l’avenir, que c’est une habitude prise par les auteurs de rajouter de la valeur, un caractère unique, à ces dizaines d’exemplaires sur lesquels ils écrivent ces quelques lignes. D’autres inscriptions sont beaucoup plus personnelles, parfois avec de l’humour, des jeux de mots, des remerciements pour un service rendu ou une invitation…
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Louis Legendre a carrément écrit un poème de dédicace « à [son] petit Do » sur la page de garde de : Louis Legendre, Musiques d’automne, Paris, Eugène Fasquelle, 1904
Enfin, il faut mentionner une caractéristique qu’ont un nombre non négligeable de ces ouvrages : ils sont peu ou pas coupés ! Ils ont eu au moins deux acheteurs, ou receveurs du livre en cadeau, son propriétaire original est Martin Stone, avant que sa collection ne soit vendue à la UL. Cependant, ils n’ont de toute évidence jamais été lus, ou à peine feuilletés. De quoi renforcer l’idée qu’est plus recherchée la possession de ces livres que leur lecture. Plus qu’un medium, le livre du bibliophile est un objet, parfois luxueux, et participe à un décor, la bibliothèque. Une fonction désormais révolue pour les 225 livres de la collection, qui vont rejoindre les étagères du département des Rare Books de la bibliothèque et être disponibles à l’étude de ses nombreux lecteurs !
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Ce recueil d’Adrien Remacle comprend un frontispice d’Odilon Redon et est numéro 15 sur 420 de son édition, soit dans le cercle restreint des vingt exemplaires imprimés sur Japon impérial. Un objet précieux, mais peu lu, en témoignent ces cahiers non coupés !
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ecoledeschartes · 4 years
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La Marciana, sur un air de musique
Louise Gousseau effectue son stage de 4e année à la Biblioteca Nazionale Marciana, à Venise (Italie). Voir la carte des stages
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Installé au fond de la vaste salle de lecture de la Biblioteca nazionale Marciana, un imposant personnage de pierre, protégeant un livre contre son buste, semble surveiller l'étagère chargée d'ouvrages au centre de la pièce. Cette austère figure n'est autre que Pétrarque qui, en 1362, peu avant sa mort, décida de léguer les ouvrages de sa bibliothèque à la République de Venise. Ayant en tête le modèle de la bibliothèque ptoléméenne, il émit le vœu d'ouvrir sa collection à qui voudrait la consulter. Il est considéré comme le lointain fondateur de la Marciana qui conserve aujourd'hui cet antique statut de bibliothèque publique.
C'est au sein de cette institution séculaire, bibliothèque parmi les plus riches d'Italie1, que je commençai mon stage le mardi 3 septembre 2019. Ma mission : corriger dans le catalogue en ligne les erreurs dues à une rétroconversion difficile des catalogues écrits vers le système informatique.
Pratiquant la musique depuis plusieurs années, je fus chargée des notices de manuscrits musicaux des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles.
À mon arrivée, l'une de mes deux tutrices, Orsola Braides, entre autres fonctions coordinatrice du département Biblioteca digitale e Materiali speciali, se présente et m'emmène sans façons faire le tour de la marcienne.
L'écrin de Sansovino au rythme de l’histoire
La lumineuse salle de lecture de la bibliothèque, cœur bâtant de l'institution, correspond à l'ancienne cour de la Zecca, c'est-à-dire de l'ancienne Bourse de Venise, où l'on frappa le célèbre ducat d'or vénitien, puis la lire autrichienne au moment de l'occupation de la cité par les Autrichiens. Cette cour, avant d'y recevoir livres et lecteurs, fut dotée d'un remarquable plafond de plaques de verre. Témoins de l'ancienne vocation du bâtiment, l'institution conserve au premier étage les coffres-forts où les pièces de monnaie étaient placées en dépôt.
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La salle de lecture
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Détail de l'un des coffres
En sortant de la salle de lecture, et en traversant ce qui, du temps de la Zecca, était une rue, nous pénétrons dans une petite salle, plus intime, dédiée à la consultation des manuscrits, et où viennent travailler en moyenne 3 ou 4 lecteurs par jour. Une fois gravie la double volée d'escaliers bordant la pièce, j'observe avec étonnement l'originale répartition des magasins, disposés tout autour de la salle de lecture et s'étalant sur plusieurs étages. Au premier palier, sur le flanc droit, se trouve la réserve des manuscrits, longue pièce où se succèdent les rayonnages à un rythme serré. C'est ici que sont conservées les collections les plus précieuses de la bibliothèque. Parmi elles, se détache un ensemble d'imposants codices, uniformément reliés de cuir brun. Il s'agit des précieux ouvrages hérités de la bibliothèque du cardinal Bessarion2, qui fut à l'origine du premier fonds de la Marciana – à l'origine appelée Libreria di San Marco –, en 1468. Parmi eux, d'inestimables manuscrits grecs, dont le fameux Venetus A3, plus ancien manuscrit complet connu de l'Iliade. Cet emplacement au premier étage n'est pas du au hasard, bien au contraire : les manuscrits sont ainsi protégés des ravageuses acqua alta qui peuvent pénétrer jusque dans l'intérieur de la salle de lecture et commettre de lourds dégâts sur les livres, à l'image de celle du 12 novembre, advenue quelques jours après mon départ, qui dans la nuit du 11 au 12 détériora plusieurs livres dédiés à la consultation en salle4. Un risque à la fois récurrent et rare auquel il est actuellement difficile de remédier.
En sortant de la réserve, nous empruntons un petit escalier qui nous mène jusque dans les bureaux du personnel, installés dans le Palazzo della Libreria, bâtiment commandé par la République de Venise au grand architecte Jacopo Sansovino (1486-1570) pour abriter la donation de Bessarion. Chacune des différentes pièces en enfilade dispose d'une vue grandiose sur le Palazzo ducale ou sur la lagune et l'église de San Giorgio Majore.
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La vue sur la Piazzetta, le Palais des Doges et la basilique...
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... et celle sur la lagune et l'église de San Giorgio Majore
Les plafonds des bureaux sont décorés de motifs architecturaux à l'antique et de médaillons historiés datant du XIXe siècle, vestiges du temps où Napoléon avait décidé de déplacer les livres de la Libreria di San Marco au Palazzo Ducale pour loger dans le Palazzo della Libreria son fils adoptif et vice-roi d'Italie Eugène de Beauharnais.
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Mon bureau. Étagères et plafond peint
Aujourd'hui, la bibliothèque s'étale en tout sur trois bâtiments : la Zecca, le Palazzo della Libreria, tous deux œuvres de Sansovino, et les Procuratie Nuove, édifice qui, avec les Procuratie Vecchie et la basilique, structurent la place Saint-Marc. La bibliothèque, chose rare, dispose également de son propre atelier de restauration.
La reproduction des manuscrits, des vetrini à l'ère numérique
Un peu plus tard dans mon stage, Orsola m'emmènera à l'ouest du bâtiment, dans la fototeca, véritable conservatoire des différentes techniques de reproduction des manuscrits au fil du temps. Des curieuses plaques de verre – les vetrini – de la fin du XIXe siècle aux reproductions numériques enregistrées sur le serveur, en passant par les microfilms, fotocolor, CD-ROM, disques durs et facsimilés, la diversité des méthodes est impressionnante. Aujourd'hui, les reproductions sont faites par des prestataires extérieurs dans un laboratoire de photographie situé au rez-de-chaussée de la bibliothèque et conservées sur un serveur appelé communément « TECA ». Les anciennes techniques de reproductions ne sont pas pour autant définitivement mises au placard une fois obsolètes, puisque l'on peut consulter les microfilms dans des salles attenantes aux salles de lecture et que, pour des raisons pratiques, certaines reproductions numériques sont réalisées à partir de microfilms ou reprises de données qui ont été antérieurement stockées sur CD-ROM.
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Bréviaire Grimani, fol. 206r facsimilé, Edizione Leida 1904
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Bréviaire Grimani, fol. 206r facsimilé de 1862
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Vetrino d'une partie du même fol.206r du Bréviaire Grimani
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Une archiviste dans son milieu naturel
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Liber simplicibus du XVe s. (Lat. VI, 59), fol.363r, fotocolor (1969)
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Le même folio, dans sa version numérique
La musique à la Marciana
Les manuscrits de musique sur lesquels je concentre mon attention ont pour la plupart été acquis par Girolamo Contarini (1770-1843), membre d'une noble et ancienne famille vénitienne. Il légua à sa mort une bibliothèque riche de livres d'histoire et de géographie, de chroniques, mais également de 120 manuscrits musicaux qu'il tenait de Marco Contarini (1632-1689), procurateur de Saint-Marc et collectionneur passionné d'ouvrages de musique.
La conservation de la musique n'est pas la vocation première de la Marciana, qui du fait de ses origines bessarioniennes, s'orienta d'abord vers la conservation des manuscrits grecs. Pourtant, les aléas des donations, aussi bien que le rayonnement qui caractérisa Venise dans le domaine musical dès la fin du XVIIe siècle, font que la bibliothèque conserve aujourd'hui un riche fonds de musique manuscrite et imprimée. Cette dernière est conservée dans une pièce bordée d'étagères en bois, au cœur des labyrinthiques Procuratie Nuove.
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La réserve des imprimés de musique
On y trouve des exemplaires imprimés par Ottaviano Petrucci, qui, en 1501, fut le premier à imprimer un recueil entier de musique. En consultant d'autres ouvrages, on comprend l'évolution de la technique des imprimeurs qui, au fil du temps, préférèrent la gravure sur plaques de cuivre aux coûteux et complexes caractères mobiles utilisés par Petrucci.
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Frontiscpice d'un exemplaire des Canzonette alla Napolitana de Giacopo Moro da Viadana, imprimé à Venise en 1581
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Le même exemplaire, p.62. Les notes sont imprimées à l'aide de caractères mobiles
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Claudio Merulo, Toccate d'intavolatura d'organo, 1598, p.11. La partition est gravée sur une plaque de cuivre. La seconde portée de la partition est composée de 8 lignes !
Les manuscrits musicaux que je suis amenée à consulter tous les jours, quant à eux, sont pour beaucoup des copies et recueils de morceaux déjà écrits. Cependant, la rapidité d'écriture et la fréquence des ratures dans certains des ouvrages laissent penser qu'il s'agit de premières ébauches. Ce fut l'occasion pour moi de me familiariser avec des compositeurs vénitiens comme Girolamo Venier (1650-1735) ou Angelo Baldan (1747?-1803?), ou originaires d'autres villes italiennes, comme le napolitain Giovanni Paisiello (1740-1816). Après une observation minutieuse des livres, je dois compléter avec le plus de précision possible les notices qui seront ensuite consultables en ligne, sur le catalogue commun de la Vénétie et celui des bibliothèques italiennes.
L'une des merveilles que je découvre est un recueil de Canzoni da Batello, qui sont des chansons populaires qu'entonnaient autrefois les gondoliers pendant leurs trajets. Les chants des gondoliers sont à l'origine de plusieurs types d’œuvres musicales, comme celui de la barcarola, courte composition musicale au rythme ternaire, inspirée par le mouvement de rame du gondolier, à laquelle s'essaieront des compositeurs comme Mendelssohn ou Offenbach.
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Recueil de Canzoni da Batello datées par l'auteur de 1747 à 1776 par l'auteur du manuscrit
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"Quà la marmotina", l'une des chansons du recueil
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Le manuscrit a été couvert d'une reliure à décor
Pour mener à bien ma mission, je peux compter sur Orsola, mais également sur Luciana Battagin, qui, venue de la musicologie, est aujourd'hui responsable du secteur Théâtre et Musique. Comme les autres membres du personnel de la bibliothèque, dont la diversité des parcours est surprenante, toutes deux sont de véritables couteaux-suisses qui, en plus de leurs fonctions principales, prennent en charge une quantité d'autres tâches, comme l'information au public ou la gestion des demandes de reproductions photographiques.
Au détour d'une recherche sur le catalogue en ligne, une mention « Rossini autografo » ne manque pas d'attirer l'attention d’Orsola et la mienne. Après plusieurs recherches qui me mèneront jusque dans les archives de la bibliothèque, dans les combles, ainsi qu'à la Fondazione Levi, logée dans un somptueux palais donnant sur le Grand Canal, nous parvenons à conclure qu'il s'agit en effet d'un manuscrit autographe de Gioachino Rossini, seul manuscrit répertorié de sa sonate Egle ed Irene, acquis par la bibliothèque à l'organiste et compositeur Giovanni Concina (1869-v.1946). Ces recherches me permettent de rédiger un court texte sur le manuscrit, en ligne sur le site de la bibliothèque.
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Gioachino Rossini, Egle ed Irene, 1814?, It.IV, 1810 fol.2r
Ce stage de deux mois, définitivement trop court, s'achève par un concert au Palazzo Labia. Ce palais, dans le sestiere Cannaregio, est l'un des sièges de la RAI, le principal groupe audiovisuel italien. Au programme : les quatuors n°1 pour piano et cordes de Martinů et de Brahms. De quoi me faire encore davantage regretter ce stage en compagnie de Rossini, des gondoliers et des caffè-brioche sur la lagune.
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Orsola et moi au Palazzo Labia, devant les fresques de Giambattista Tiepolo
Notes
La bibliothèque conserve près de 13000 manuscrits, 3000 incunables, 24000 cinquecentine, et plus de 622000 livres imprimés
Bessarion (1403-1472) est un prêtre originaire de Trébizonde, créé cardinal par Eugène IV en 1439. Après avoir un temps défendu la position de l’Église grecque face à l’Église latine, il plaida pour la réconciliation des deux Églises à partir de 1439.
Le manuscrit est consultable en ligne à cette adresse
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ecoledeschartes · 4 years
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Stairway to heaven
Aurélien Arnaud effectue son stage de 4e année au Metropolitan Museum of Art, New York (États-Unis). Voir la carte des stages
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Escalier menant au 2nd Floor (équivalent de notre 1er étage)
À l’échelle des plus grands musées du monde
Le Metropolitan Museum of Art (MET) ne souffre pas la comparaison avec le Louvre ou l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Chaque jour, plus de 2000 employés s’activent pour assurer l’ouverture et le confort aux visiteurs, transporter des œuvres d’art jusqu’au quai de chargement pour un prêt à l’étranger ou encore épousseter les tableaux avant l’arrivée du public. Si l’on devait trouver un équivalent pour qualifier ce musée, on pourrait parler d’une ruche. Chacun a une mission bien précise à remplir et tout semble régler comme sur du papier à musique. Après avoir essuyé une grave crise financière ces dernières années, le MET a annoncé une année 2018 plus que réussie et les expositions se font toujours de plus en plus nombreuses. Celle tout récemment ouverte et dédiée à Félix Vallotton (1865-1925) n’est qu’un des nombreux événements prévus dans l’année, parmi « l’Employee Art Show » par exemple où le personnel du musée est invité à présenter et à exposer ses créations.
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Entrée principale du MET
Parmi les chantiers en cours, la construction d’une skylight (grandes lucarnes) pour le département des peintures européennes prive le public de l’ouverture de salles mais apportera, à terme, un nouvel éclairage. Le musée est donc toujours en train de se réinventer même s’il ne connaît pas l’effervescence de la création d’ailes supplémentaires. C’est au cours du XXe siècle que le MET prit l’architecture qu’il affiche désormais. Sous les directions de Sir Caspar Purdon Clarke (1904-1910) et d’Edward Robinson (1910-1931), de nombreux travaux permirent par exemple de créer de nouvelles galeries. Francis Henry Taylor, qui dirigea notamment le musée entre 1940 et 1944, est l’un de ceux qui façonna le plus le musée, non architecturalement parlant, mais en accentuant la démocratisation du lieu et en développant un programme d’éducation artistique et culturelle très poussé. Il supervisa également le musée durant les années du second conflit mondial et plus particulièrement l’évacuation d’œuvres d’art en dehors de la ville. En effet, les Américains craignaient d’éventuels bombardements aériens de la part des Allemands. Un chiffre donne à lui seul une idée de l’importance des collections : entre le 9 février 1942 et le 15 mai 1942, 2% des collections soit 15 000 objets ont gagné Whitemarsch Hall, situé à environ 100 kilomètres de New York. Une évacuation, lancée peu après l’attaque de Pearl Harbor, qui impliqua de nombreux membres du musée[1] et qui concerna bien entendu le département d’art médiéval.
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Vue de Whitemarsh Hall
Le département d’art médiéval : le trésor des églises et des collectionneurs
Les collections médiévales du musée couvrent toutes les périodes, techniques et aires de création. Il faut compter également avec les Cloisters, l’antenne du MET dévolue uniquement à l’art européen médiéval à partir de l’époque romane. Des chiffres à donner le vertige : un peu plus de 10 000 œuvres au sein du département, en comptant les collections des Cloisters. Pour conserver et mettre en valeur cet ensemble exhaustif, l’équipe du département rassemble des profils très divers : conservateurs spécialistes de l’art byzantin, assistants-conservateurs tout juste nommés, stagiaires, bénévoles… Même les conservateurs émérites reviennent de temps en temps pour renouer avec les ressources inépuisables du musée : on ne quitte jamais réellement le MET. La recherche est au cœur du travail et l’appel à des personnes qui ont déjà travaillé au musée ou qui souhaitent apporter leur aide est toujours bienvenu. Les va et vient entre le Metropolitan Museum of Art et les Cloisters sont courants et les fonds sont innombrables tant dans un lieu que dans l’autre. Que ce soit downtown au MET ou uptown aux Cloisters, une bibliothèque spécialement dédiée à l’art médiéval offre aux chercheurs une aide des plus précieuses dans leur travail.
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Vue d'une vitrine regroupant des émaux de Limoges
Pour donner un aperçu de la richesse de la collection, il faut se tourner vers les émaux de Limoges (du XIIe et du XIIIe siècle), dont la qualité et la diversité n’ont que peu d’égal. Les vitrines, splendides et réaménagées au début des années 2000, regroupent divers types d’émaux limousins tous de très grande qualité. La collection de John Pierpont Morgan est, depuis 1917, date du legs de milliers d’œuvres d’art par son fils, le noyau du département. Mais ce n’est pas la seule source d’enrichissement des collections. Chaque département peut compter sur une opération de fundraising permettant de réunir des fonds qui peuvent compléter l’enveloppe d’argent prévue par le musée pour l’achat d’une œuvre. Les ressources privées sont omniprésentes aux États-Unis et contrastent avec les méthodes françaises. Pour la publication d’un catalogue des collections ou encore l’organisation d’une exposition, la manne financière privée est non négligeable. Si l’on devait évoquer une autre grande différence avec le système français, il faudrait mentionner le deaccessionning qui consiste à retirer un objet des collections, à s’en séparer par l’intermédiaire d’une vente aux enchères pour en faire éventuellement rentrer un autre grâce à l’enveloppe financière perçue par la vente du premier. Aux États-Unis, l’inaliénabilité des collections n’est donc pas un sujet aussi polémique comme récemment en France, malgré quelques protestations[2]. En revanche, face à l’ampleur du musée et le calendrier des travaux et restaurations, le Gothic Hall qui rassemble notamment des sculptures de la fin du Moyen Âge aurait besoin, malgré les illuminations de l’arbre de Noël de style baroque, d’un nouvel éclairage chassant l’impression de ce que l’on appelle communément les Dark Ages.
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L'arbre de Noël : kitschy ?
Recherches de provenance ou savoir mener l’enquête
Pour évoquer quelques missions qui me furent confiées, j’aimerais insister sur le travail effectué auprès de Christine Brennan, Senior Researcher and Collections Manager au sein du département d’art médiéval. Cherchant à identifier entre quelles mains sont passées les œuvres qui constituent la collection de ce département, elle mène un véritable jeu de piste par la consultation d’archives et en recoupant les informations qu’elle glane au fil de ses recherches. Elle a notamment participé au programme d’échanges avec d’autres institutions, américaines comme allemandes, pour faire progresser la recherche dans ce domaine et partager les ressources aussi bien que les méthodes[3]. J’ai pu l’assister au sein de travaux qui visaient par exemple à déterminer si un sarcophage avait été présent dans la collection de William Randolph Hearst[4], l’un des collectionneurs américains les plus influents du XXe siècle.
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William Randolph Hearst (1863-1951)
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Sarcophage avec un physicien grec, début du IVe siècle, marbre, Metropolitan Museum of Art
Récemment, je me suis rendu à la Frick Library, bibliothèque du musée portant le même nom, située non loin du Metropolitan Museum of Art. Cette bibliothèque constitue une référence dans le domaine des catalogues de vente, par exemple celles de chez Christie’s. À partir d’informations recueillies dans les dossiers d’œuvres de la collection d’art médiéval, je devais tenter de retracer le parcours de bustes reliquaires en bois du début du XVIe siècle afin de déterminer les précédents propriétaires, souvent d’éminents galeristes.
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Vue de la Tefaf Fall à New York
Pour illustrer cette relation entre collectionneurs et musées, l’un des rendez-vous artistiques de l’année avait lieu du 1er au 5 novembre au Park Armory Show. La Tefaf Fall est toujours prisée des conservateurs et chefs des différents départements des musées pour se tenir au courant de l’évolution du marché de l’art et éventuellement repérer des pièces susceptibles d’être achetées. Le MET et particulièrement le département d’art médiéval a par exemple eu plusieurs échanges avec la Blumka Gallery, dont le stand était présent à la Tefaf. La fréquentation de cette foire d’art international permet notamment de s’interroger sur les recherches de provenance d’œuvres d’art. Sur les cartels d’antiquités, une longue liste de précédents propriétaires se déploie et annonce une transparence ainsi qu’une traçabilité irréprochables. L’une des périodes de l’histoire de l’art les plus chaotiques est sans contexte celle de la Seconde Guerre mondiale. Pour ce sujet, le MET fait l’effort de retracer le parcours de ses collections pour déterminer entre quelles mains telle œuvre a pu passer. Cela va parfaitement dans le sens de la relance récente des recherches sur les spoliations et restitutions en France. Des projets d’ouverture et de numérisation des archives se succèdent à l’INHA et au Mémorial de la Shoah. Mais le chemin est encore long et il est certain que la France peut gagner à échanger davantage avec ses homologues outre-Rhin ou outre-Atlantique.
Notes
Pour l’exposition anniversaire du Metropolitan Museum of Art « Making the Met, 1870-2020 » (March 30-August 2, 2020), une section sera consacrée au destin et à la vie du personnel du musée pendant la Seconde Guerre mondiale.
Que penser de musées américains qui souhaitent se séparer d’œuvres d’art pour rééquilibrer une situation financière délicate ?
The German/American Provenance Exchange Program for Museum Professionnals (PREP), Washington DC, 21-26 October 2019.
LEVKOFF Mary L., Hearst the collector, Abrams, Los Angeles County Museum of Art, Los Angeles, 2008.
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ecoledeschartes · 4 years
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En Éthiopie, le tournant archivistique aura-t-il lieu ?
Discussion avec Abiy Hailu de la National Archives and Library Agency.
Pia Rigaldiès effectue son stage de 4e année à l’Ethiopian National Archives and Library Agency (NALA) et à l'Ethiopian Wildlife Conservation Authority. Voir la carte des stages
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Abiy Hailu dans la salle de lecture de la NALA
En stage à Addis-Abeba, une de mes missions consiste à classer le fonds de l’occupation italienne en Éthiopie (1936-1941) conservé à l’Ethiopian National Archives en Library Agency (NALA). Cette institution, qui dépend du ministère de la culture et du tourisme, devrait être par définition le haut lieu des archives publiques en Éthiopie, puisqu’elle est théoriquement chargée de recevoir les archives des ministères et administrations publiques. Dans les faits, cette mission n’est pas entièrement assurée. La situation actuelle de la NALA, son histoire et ses enjeux sont à l’image de la place des archives dans les politiques culturelles et patrimoniales en Éthiopie. Largement méconnues du grand public, elles font toutefois l’objet d’un intérêt croissant de la part du gouvernement depuis quatre ou cinq ans. Le stage de Jean Hennet et Xavier de Saint Chamas en 2016, suite à la sollicitation de l’administration du palais impérial adressée à l’EHESS par l’entremise d’Éloi Ficquet[1] a été l’un des signes qu’une nouvelle dynamique prenait place. Ces dernières années, les nouveaux projets et les nouveaux discours concernant les archives laissent penser qu’un « tournant archivistique », pour reprendre les mots d’Ann Laura Stoler[2], est potentiellement en train de se produire en Éthiopie.
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Logotype de l'Ethiopian National Archives and Library Agency
Pour présenter les missions de la NALA ainsi que les principaux enjeux qui entourent actuellement la question des archives en Éthiopie, je donne la parole à Abiy Hailu, responsable des publics et des magasins aux archives nationales. J’ajoute à ses explications, traduites de l’anglais, des commentaires et réflexions personnelles (en italique) que j’ai élaborés au cours de mes expériences et de mes nombreuses rencontres sur place.
Cet article polyphonique est ainsi à l’image des discussions quotidiennes que j’ai le plaisir d’avoir avec Abiy Hailu, ainsi que de notre curiosité réciproque attisée autour d’un bon plat de shiro (purée de légumineuse servie sur une galette de tef, l’injera, à déguster avec les mains).
Quelles sont vos études et votre parcours avant de rejoindre la NALA ?
AH : Je suis diplômé de l’université de Baher Dar[3] depuis 2002 où j’ai obtenu une licence en histoire. La même année, j’ai commencé à enseigner l’histoire, la géographie et l’éducation civique au lycée de Dera[4]. Je me suis aussi engagé au sein du département de sciences et environnement de mon établissement. En 2005, j’ai été transféré au lycée de Chancho Aba Gada[5]. C’est en 2007 que je m’installe à Addis-Abeba et que je commence à enseigner au lycée Holy Trinity.
L’année 2010 est un tournant dans ma carrière : je passe du ministère de l’éducation à la NALA.
Quel poste occupez-vous à la NALA et quelles sont vos différentes missions ?
AH : Je suis le responsable des magasins. Dans le cadre de cette mission, il m’arrive de mener des opérations de réorganisation des collections. Je suis également chargé de l’accueil du public [service delivery] : j’accorde les permissions de consultation pour les chercheurs et je les oriente en fonction de leur demande.
Les lecteurs que l’on croise en salle de consultation sont aussi bien des étudiants que des journalistes, des auteurs, des représentants de diverses organisations ainsi que des chercheurs éthiopiens ou étrangers.
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Contrairement aux archives nationales en France, il faut être muni d’une lettre de recommandation et présenter des motivations précises pour avoir accès aux archives de la NALA. En Éthiopie, la transparence et la publicité des archives est une question ambiguë. Dans le cadre de mon travail de classement du fonds de l’occupation italienne, il m’a par exemple été interdit de prendre en photo des archives et d’en divulguer le contenu. Aucun des archivistes de la NALA ne maitrise l’italien. Ainsi, face à l’impossibilité depuis plusieurs dizaines d’années d’évaluer le contenu de ce fonds, ils ont préféré le considérer sensible. Abiy Hailu craint également que la révélation au grand public de certains documents ne puisse enflammer un contexte politique déjà extrêmement tendu ces derniers mois.
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Vue des magasins d'archives de la NALA
Pouvez-vous nous présenter brièvement l’histoire et les missions de la NALA ?
AH : Cette institution a été créé par l’empereur Hailé Sélassié en 1943. Le bâtiment avait initialement été construit par les Italiens lors de la période de l’occupation pour être un hôpital militaire. Après la guerre, l’empereur en fait la première bibliothèque publique en Éthiopie. Il l’avait initialement appelée Wemezekir ce qui signifie en guèze[6] « qui aide à se souvenir ». Le nom de cette institution a changé plusieurs fois au cours de son histoire avant d’être celui que nous connaissons aujourd’hui.
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Abiy Hailu devant l'entrée du bâtiment de la NALA
Je dois cependant clarifier un point important : dire que la NALA est la première bibliothèque publique en Éthiopie ne signifie pas qu’il n’y avait pas de bibliothèques avant 1943 ! L’histoire des bibliothèques et des archives en Éthiopie est très ancienne, elle remonte au Moyen-Age. On a pu identifier une pratique de conservation des archives et des livres depuis l’époque d’Axoum et de Gondar. La bibliothèque royale de Mekdela qui a été instituée par le roi Tewodros et pillée par les Anglais lors de leur expédition militaire en 1868 en est un bon exemple.
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Malgré le manque de considération des archives actuellement, il faut effectivement souligner que l’histoire éthiopienne témoigne paradoxalement d’une très longue tradition de conservation des registres et autres actes royaux. Si ces pratiques ne peuvent être que supposées pour la période axoumite (Ier-VIe siècles), elles sont en revanche confirmées par les sources en ce qui concerne la période du royaume de Gondar (XVII-XVIIIe siècles). À l’intérieur de l’enceinte des palais des différents rois de Gondar, deux bâtiments construits sous le règne de Yohannès Ier (1667-1682) étaient dédiés à la conservation des archives et des manuscrits : la chancellerie royale d’une part et la bibliothèque d’autre part. La présence de ces témoignages architecturaux ne doit toutefois pas masquer l’importance de la tradition orale comme source de l’histoire de la royauté en Éthiopie. Toutes les décisions royales étaient proclamées publiquement et seulement une partie consignée dans un registre[7].
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Chancellerie royale du royaume de Gondar, aussi lieu de conservation des archives
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Au premier plan, pavillon de la bibliothèque dans l’enceinte royale de Gondar
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AH : Il faut comprendre que lorsque la NALA a été créée par l’empereur, elle était vouée à être à la fois une bibliothèque et un musée. Cette dernière fonction, qui ne fait plus partie des attributions de la NALA aujourd’hui, a donné naissance au Musée national d’Addis-Abeba.
Le département des archives, quant à lui, existe seulement depuis 1973. Depuis cette date, un grand nombre d’archives extrêmement importantes pour l’histoire du pays ont été collectées, non seulement celles des administrations publiques mais aussi celles de personnalités politiques. Aujourd’hui, le volume total de ces fonds est estimé à 600 000 dossiers [files]. Parmi les collections d’archives publiques, nous conservons les fonds du ministère du Palais [Ghebi Minister], du ministère de l’intérieur, des finances, de la fonction publique [civil service], de la santé ainsi que de la culture et du tourisme. Nous comptons parmi nos collections les fonds privées de personnalités telles que l’ambassadeur Zewd Gebreselassié, Dejazmach Kebed Tesma, Bilata Merse Hazen Weldewrikos et Aleqa Taye Gebremariam.
La quantité d’archives ne cesse d’augmenter, notamment la série du ministère de l’intérieur qui représente 203 000 dossiers. Le gouvernement a pris en considération le problème d’espace posé par ce volume grandissant et un nouveau bâtiment d’archives est en cours de construction à quelques pas de l’édifice actuel. La fin des travaux a été annoncée pour 2020.
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La construction de ce nouveau bâtiment est bien le signe de la volonté de la part de la NALA d’assumer à l’avenir sa mission première, celle de collecter de manière plus systématique les archives des ministères et administrations publiques.
L’évaluation matérielle d’un fonds est toujours exprimée en nombre de dossiers qui semblent être l’unité de conservation de référence. La taille d’un dossier étant variable, cette méthode pose évidemment un problème d’exactitude
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Selon vous, quels sont les défis principaux de l’Éthiopie en matière d’archives ?
AH : En termes de conservation du patrimoine, l’Éthiopie doit faire face à de très nombreux défis. Selon moi, il y a de grandes difficultés à surmonter. La première d’entre elles concerne le manque de formation. Aucune université ne propose aux étudiants un master en archives. Les personnes qui travaillent à la NALA possèdent au mieux un master en histoire.
Les archives souffrent également d’un manque cruel de considération, que ce soit de la part des autorités, du gouvernement, des administrations publiques qui les produisent comme de la société civile. De grands efforts ont été entrepris pour changer cette attitude générale envers le patrimoine écrit mais le résultat n’est pas satisfaisant. Cette situation met en danger la conservation des archives.
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Il existe des sessions de sensibilisation aux archives pour les membres de différentes administrations. Ici, j'explique aux participants mon travail de classement du fonds italien
Le manque de budget alloué à la culture et au patrimoine est aussi un problème de premier ordre car le travail archivistique s’avère relativement couteux.
Les échanges d’expérience avec le reste du monde sont assez faibles. Nos archivistes [experts] n’ont pas souvent la possibilité de comparer nos pratiques avec ce qu’il se fait en dehors de l’Éthiopie.
Enfin, il faut souligner le manque d’encadrement législatif pour la conservation des archives en Éthiopie. Malgré une tentative pour renforcer le cadre législatif des institutions productrices d’archives, ces décisions ne sont pas mises en application aujourd’hui.
Parmi tous ces problèmes évoqués, je tiens à souligner que celui du manque de formation est le plus préoccupant aujourd’hui. La NALA fonctionne ainsi sans la présence de vrais professionnels. Je crois fermement que c’est le problème qui doit être résolu en premier.
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À ces difficultés, j’ajouterai celle du matériel à laquelle je suis confrontée tous les jours de mon stage. Le matériel de conservation est soit extrêmement couteux soit impossible à se procurer, ce qui s’explique tout simplement par l’absence d’une filière industrielle du papier en Éthiopie. Les cartons d’archives sont par exemple introuvables ici. La NALA utilise des sortes de classeurs [folders], loin d’être satisfaisants en termes de conservation préventive. Le problème du matériel étant souvent souligné par les archivistes éthiopiens, la première session formation organisée par l’Ambassade de France[8] et à laquelle j’ai eu la chance de participer s’est concentrée sur des questions de conservation matérielle. Une séance a été dédiée à la construction de boîtes d’archives à partir d’un carton plat, ce qui pourra être une solution pour pallier à l’avenir le manque de matériel adéquat.
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Une travée des magasins d'archives de la NALA
La prochaine session de formation concernera la méthodologie du classement, complétement absente des pratiques archivistiques aujourd’hui en Éthiopie. À la NALA, les archives sont laissées dans l’ordre dans lequel elles ont été reçues et la mission de l’archiviste se résume à la description du contenu dossier par dossier.
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Éloi Ficquet a ensuite sollicité l’expertise de l’École nationale des chartes
Stoler Ann Laura, Au cœur de l’archive coloniale. Question de méthode, Paris, EHESS, 2019 (ed. anglaise 2009)
Région Amhara
Région Oromia
Région Oromia
Ancêtre de l’amharique encore utilisé comme langue liturgique
Ces digressions historiques sont issues de la conférence donnée par Éloi Ficquet lors de la formation en archives à l’Institute of Ethiopian Studies le 21 octobre 2019
Formations organisées dans le cadre du volet archives de la coopération entre la France et l’Éthiopie sur le patrimoine, signée en mars 2019
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ecoledeschartes · 5 years
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Les livres comme objets d’art : la bibliothèque du baron Ferdinand de Rothschild au manoir de Waddesdon
Florence Köll effectue son stage de 4e année à Waddesdon Manor, Royaume-Uni. Voir la carte des stages
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Façade sud de Waddesdon Manor
Cet article a été rédigé en anglais dans le cadre du premier partenariat de stage entre le Waddesdon Manor et l’École nationales des chartes, à l’attention de Mme Rachel Jacobs et du Dr. Mia Jackson.
Il tente d’offrir une vision synthétique de la bibliothèque assemblée par Ferdinand de Rothschild, et permet d’appréhender les thèmes chers à un collectionneur francophile de la fin du XIXe siècle: festivités royales, théâtre, histoire sociale de l’Ancien Régime. Sous l’œil de l’amateur d’art, le livre est apprécié pour sa préciosité matérielle, sa rareté, et sa provenance. La célébrité du graveur ou le lien particulier que la possession du livre permet de créer avec ses précédents propriétaires est particulièrement apprécié, et certaines personnalités telles que Madame de Pompadour ou Marie-Antoinette étaient privilégiées pour le caractère iconique qu’on leur attribuait. Ferdinand de Rothschild semble également avoir eu un goût particulièrement prononcé pour les publications originales, atypiques et parfois rares du fait de leur caractère quotidien : sont ici évoqués à titre d’exemples un recueil de coiffures, un manuel dédié à l’art de trancher la viande ou encore une histoire des chats. Sa collection peut même revêtir un caractère ludique, dont témoigne un recueil de rébus. Cette bibliothèque, homogène par sa chronologie et son origine géographique, mais relativement composite du fait des divers centres d’intérêt qu’elle reflète, est aujourd’hui visible dans ses vitrines d’origine distribuées autour de la Morning Room du Waddesdon Manor. Les ouvrages sont régulièrement présentés au public lors d’expositions temporaires dont la dernière portait sur les almanachs, du 21 mars au 28 octobre 2018 : « Glorious Years: French Calendars from Louis XIV to the Revolution ».
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