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MERCI
Ces deux petites photos au format carré, en noir et blanc, les premières de la première journée, ici, sages et modestes, amorçant la suite colorée de tes paysages... comme elles m'émeuvent et me réjouissent ! Elles me parlent de la jeune fille devenue femme, elles me disent tout bas que le chemin fut long. Nos mains ouvertes espérèrent des aubes meilleures, mais les hivers prenaient froid, et nos yeux cherchaient un feu commun. Je pense souvent à cette journée merveilleuse qui, d'un mot, s'ouvrirait encore une fois. Cette journée pour toutes les autres journées, avec des fenêtres volant en éclats de rires.
© Gilles Perriere
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SOIR
La nuit tombe dans le studio de photographie, les lampadaires de la rue et les phares des voitures projettent des ombres au vaste plafond. Sur le parquet, les serpents de câbles s'endorment en rond, serrés les uns contre les autres. Des marques faites à la craie, précieux repères pour les distances, s'ennuient de n'être pas les traits d'une marelle. Il manque des appels et des rires qui traverseraient le silence. C'est un soir d'avant l'hiver, un soir de fin d'automne, il fait froid, le blouson sur une chaise attend. Les clés de nulle part sautent dans la main. Celui qui faisait les images s'en va.
© Gilles Perriere
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NOVEMBRE

© Gilles Perriere
La lumière de ce jour bas de novembre l'enveloppe et la tient serrée, elle bouge lentement, le regard lancé droit. Il y a de la dureté autour d'elle, de l'acuité, une source secrète de nuit qui se déverserait trop vite, plus vite que le soir qui descend. On lui chercherait des ressemblances avec ces paysages des villes endormies sous la neige. Mais elle change de pose, revient d'un seul pas vers la lumière, et la nuit recule. Elle sait qu'elle marchera plus tard dans des rues qu'elle ne connait pas, elle cherchera des réponses dont elle n'ouvrira jamais les corolles, les gardera au seuil de sa conscience émerveillée par la vie âpre qui l'entoure. Novembre lui va comme un gant oublié sur un banc.
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POUR FAIRE SIMPLE

© Gilles Perriere
Il faut donc du temps, des années pour faire simple. Quand Condé-Nast sollicite les talents de Gayne de Meyer pour Vogue, celui-ci définit les premiers éléments de la photographie de mode : décors encombrés suant le pognon de parvenus, mains sur les hanches, effets de flou qui atténuent les détails gênants... La main sur la hanche, c'est un stéréotype ! Les propriétaires d'appareils photo actuels l'ont agrémenté d'une voussure du tronc. Le modèle se casse presque en deux, comme pris de colique. J'ai vu un mannequin qui défilait de la sorte en agitant les épaules. On aurait dit une poule en quête d'asticots. Elle avait du succès.
Après les lourdeurs du baron de Meyer, il aura fallu attendre les audaces d'un Martin Munkacsi ou d'une Toni Frissell pour fêter le corps libéré du modèle. La cervelle sclérosée du rédacteur en chef de Vogue à l'époque - les années trente - refusa les images de Munkacsi. Ces cervelles mortes mais arrogantes se reproduisent prodigieusement, de générations en générations. Elles occupent toujours les hautes sphères du vide...
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UN AIR ESPAGNOL

© Gilles Perriere
Cette séance de prises de vues débute selon un réglage de la lumière propre au low key, privilégiant les zones d'ombres. Je parle de zones ici, car je n'oublie jamais tout à fait, malgré la souplesse évidente et facile du numérique, de prévisualiser le rendu de mes gris, comme je le faisais en argentique avec la méthode du zone system chère à Ansel Adams. La robe noire, le fond, les quelques éléments de décor se prêtent assez bien à ce genre d'exercice. J'indique la pose au modèle, le mouvement de ses bras, l'inclinaison de la tête, le très léger sourire. Modeste allégorie de la colère... L'Espagne n'est plus très loin, celle de mes ancêtres, à Barcelone ou à Madrid.
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LES SANDALES

© Gilles Perriere
Je souhaitais évoquer une ambiance italienne, à la fin d'une fête de famille ; le moment où le bal s'épuise, où la fatigue relâche les attitudes. Un cadre de biais, serré pour couper le bas du dos, la ligne médiane passant par le coin de la paupière. Dans la réalité de cet instant, la jeune femme ajustait ses sandales, toute à son affaire entre deux poses. Soudain elle a eu conscience que je la visais. Sa surprise n'était pas feinte. Je lui ai demandé de durcir son expression, de prendre cet air d'intimité dérangée par un œil importun. Ainsi, la séance glissait vers le hasard avec un certain bonheur, des opportunités d'expressions que la jeune femme n'avait encore jamais affichées devant l'objectif ouvraient les perspectives. Le portrait demeure un continent très vaste.
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LE VERRE CASSÉ

© Gilles Perriere
Elle observe les gestes autour d'elle, quelques éléments d'un décor pauvre qui la surprennent, la lumière, les ombres sans lesquelles son image ne serait pas... La séance est brève. La pluie du temps ne coule pas sur ce visage photographique, ni les années, l'oubli, le reste des jours... Déjà, à l'autre bout d'un siècle, quelqu'un regarde, ravive l'instant capturé qui n'est plus.
Tant qu'il y aura des yeux.
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La photographie est peu de chose. La plus belle photo du monde est presque rien. Mais ce presque rien est coriace, il s'engouffre partout comme la vie.
BERNARD FAUCON
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COSTA

© Gilles Perriere
La chaleur est étouffante sous la verrière de l'atelier, des cris de mouettes tournoyant haut dans le ciel nous parviennent, et les bacs du poissonnier d'en-face sentent la marée ; nous sommes au bord de la mer en plein Paris ! Je photographie le mime italien, devrais-je dire napolitain : Costantino Raimondi, dit Costa. Pour un peu, on jouerait à la scopa en buvant un Fiano di Avellino.
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LES PORTRAITS
Ils jaillissent peu à peu de l'ombre, les portraits en retard, ils cherchent la lumière, disent leur joie. Enfin libres ! Ils se tiennent debout, s'assoient, se relèvent et sortent du cadre. Trop d'émotion contenue... Ils remercient, s'inclinent à la mode d'autrefois, s'éloignent un brin mais reviennent aussitôt dans la lumière. La lumière ! Ils sentent sur la surface argentée de leurs reflets glisser l'air vif, l'espace, la liberté... Ils dansent, ils trépignent et font la ronde, au centre du viseur, s'étreignent pour ne plus se quitter, affirment leur fragilité à ce monde triste. Ils s'immobilisent maintenant, dessinent sur le mur des pieuvres heureuses et des plumes d'oiseaux, prennent la pose comme jamais, sagement, follement, fièrement, avec douceur, avec panache, avec le rire, avec le cœur... Les portraits.
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LA DEMOISELLE EN TUEUSE

© Gilles Perriere
C'était quelque part à Londres, à Macao, ou ailleurs. C'était l'hiver, il faisait froid, il faisait chaud, et le temps formait une boucle savante ; retour sans retour. Impossible d'y voir clair, d'ouvrir les mains et d'y trouver les images précieuses. La robe rouge dansait. C'était quelque part de l'autre côté d'un mur très haut, ou ailleurs. C'était l'hiver.
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PORTRAIT DE JEUNE FILLE

© Gilles Perriere
Il est une évidence, à photographier les visages des actrices, qu'elles possèdent ce don plastique d'évocation, si troublant, si particulier. Un manteau, un petit col blanc, un mur, la lumière en aplats, les traits éprouvés par la fatigue, les cernes sous les yeux, la moue d’une bouche prête à protester contre la dureté de l’existence. Quelque chose de pur et de modeste aussi, l'attitude d'un personnage d'Austen, de Brontë, ou de Woolf. Je pense à la jeune Rezia dans Mrs Dalloway, après le suicide de son époux. Hors texte donc, retenant sa peine, burinée par les épreuves. Et pourquoi pas une Jane Eyre...
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LA BOÎTE
La photographie est une boîte vide posée sur une table dans une maison aux portes et fenêtres ouvertes. Un merveilleux coffret de potentialités. Quiconque s'en approche peut y placer le vaste monde, la terre et le ciel, et chaque chose connue et inconnue. Au fond de cette boîte, si l'œil se laisse distraire, ne serait-ce qu'un court instant, une autre réalité apparaît : des sourires anciens sur des bouches qui n'existent plus, des gestes figés en plein élan, des rires silencieux, de la poussière lumineuse se mêlant à la poussière du temps...
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L’ANGE ÉNERVÉ

© Gilles Perriere
Sous la verrière, il baisse la tête, notre ange de la désillusion. Quel accablement... Les fantoches médiatiques, les ramasseurs de miettes, tous les larbins tristes du bourrage de crâne lui donnent la nausée. Quelle engeance cette humanité avide, servile, prête au pire faute de mieux ! Il n'en revient pas. Il baisse la tête et déploie encore ses ailes, par réflexe peut-être. Il souhaiterait prendre de la hauteur... Si seulement une main distraite avait laissé la verrière ouverte. Il ne fait vraiment plus bon vivre ici, même pour un ange blasé. Mais où aller ? Les lois ont tranché les routes, les décrets ont barré le ciel, les ordres ont collé les paupières... La fête se termine, les chancres en tenues de gala sont repus. Allez ! Plus que deux ans de mandat à tirer, avant de prendre l'avion salvateur en or massif pour le paradis des apatrides sans scrupules. L'ange s'énerve. Pillez ! Bouffez ! Prenez tout ! Et barrez-vous, les Rastignac, les Nucingen ! Qu'on ne vous revoit plus !
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LA POUPÉE

© Gilles Perriere
C'est un territoire facile, abondamment photographié quand on manque d'inspiration, celui des vitrines, des mannequins dans les vitrines ; lumière faite, sujet immobile, composition mâchée... Pourtant. ce soir-là, je suis passé devant elle, presque innocemment, l'appareil paresseux au fond du sac. Elle m'a jeté un bref regard, si léger, si rapide, tout en faisant mine de scruter l'autre côté de la rue. Un truc bien à elle qu'elle avait appris on ne sait où, et qu'elle maîtrisait à la perfection. Je me suis arrêté. Elle ne bougeait pas d'un cil, d'ailleurs elle n'en avait pas, et ce détail ne l'empêchait pas d'avoir beaucoup de charme. Elle attendait patiemment la tombée de la nuit, semble-t-il, l'heure où les passants moins nombreux et très pressés ne feraient plus attention à elle, pour se dégourdir un peu : allonger une jambe avec prudence, puis l'autre, redresser son buste, étirer ses bras... Déjà, j’aurais juré que les muscles de ses cuisses se tendaient, s'animaient d'une vie secrète. J'ai sorti l'appareil, je l'ai photographiée, comme beaucoup d'autres avant moi. Ensuite, j'ai rangé l'appareil et je suis parti.
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VISAGE

© Gilles Perriere
Quand je regarde ce visage, empreint de mystère ironique, avec cette amorce de sourire qui pourrait aussi bien traduire une vague tristesse, ou ce que l'on retient pour soi de la tristesse ; je vois des films anciens en noir et blanc. Un Tokyo imaginaire et intime de polars très sombres, avec des personnages de femmes détectives ou espionnes, héroïnes malgré elles, perdues dans des intrigues à n'en plus finir, coincées entre sens de l'honneur et désenchantement. Un personnage à la Ozu.
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REPÉRAGE
Un jour de ciel gris, de pluie fine et de légère déconvenue. Je procède avec mon assistant Roy Bouzingand à l'organisation d'une nouvelle série de mode, j'envisage un shooting en deux ou trois jours dans des décors réels. Il fait doux, l'absence de touristes sous les arcades de la rue de Rivoli est si plaisante ! Nous marchons et prenons nos aises tandis que je cherche le bon cadre. Mais voilà, ce tourisme dévasté par des mesures drastiques joue en notre défaveur : la suite d'hôtel que nous voulions utiliser comme premier lieu possible de shooting est indisponible, faute de personnel. La directrice de l'établissement nous demande de patienter jusqu'au mois prochain, la situation évoluera peut-être favorablement. C'est ce qu'elle espère... Le virus quant à lui se plaît dans ce pays-ci, il restera encore deux ans, c’est promis, puis il partira avec des valises bien pleines. Ou bien, il prolongera son séjour de cinq années supplémentaires. Nous gagnons la place Vendôme pour d’éventuels plans extérieurs. Toujours mal fichue cette place, avec ses sorties de parking grossières et ses bouts de chantier qui ne finiront jamais ; un compresseur qui traîne, des palissades, des publicités géantes sur les façades Grand Siècle... Je repère une entrée intéressante, puis nous achevons notre périple rue de la Paix. Le casting est bouclé, le stylisme aussi ; seuls les lieux sont encore à travailler. Je prends pour inspiration et thème de cette prochaine série le personnage féminin d'un roman de Martha Grimmes...
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