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Binocles et cinéma
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Étudiant en Master Études cinématographiques
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MANIAC - Une série qui ne tourne pas rond
Au commencement, un big bang fait d’images de synthèse disperse au quatre coins de l’écran mille petites particules qui, au gré des collisions et des plans, esquissent une histoire originelle et matricielle. Dans un fatras d’images alternant synthèse et prises de vue réelles, échelles microscopique et macroscopique, organique et minérale, cette première scène retrace brièvement l’histoire de la vie cyclique. Cette histoire, on la connaît déjà, le Roi Lion s’étant chargé de la chanter aux plus jeunes avec son hypnotisant «  cycle éternel  » de la vie, quand une dizaine d’années plus tard, la soporifique séquence de la création de l’univers dans The Tree of Life de Malick endormait les plus vieux dans les salles obscures. Alors, que peut bien raconter Maniac, sinon ce qui a déjà été vu ou lu ici et ailleurs ? Pas vraiment une question, mais plutôt un constat un brin provocateur : Maniac entend déconstruire le régime sériel classique en travaillant le motif de la boucle. Dangereuse aporie, et rien d’original à l’horizon - Twin Peaks en faisait son leitmotiv (vous l’avez ?) des années auparavant - mais ne dit-on pas que la nouveauté se niche dans la manière de raconter une histoire qui tourne en rond ?
Thérapie de couple 
Ce graal de l’originalité, on ne croit pas le trouver dans la longue introduction de la série, fonctionnant en miroir : le premier épisode est alloué à Owen, le second à Annie. Owen, joué par un Jonah Hill amaigri, doit témoigner de la prétendue innocence de son frère, forcément plus apprécié que lui. On comprend qu’Owen est le vilain petit canard de sa riche et étouffante famille à cause de sa schizophrénie, qui l’assaille d’hallucinations à répétition jalonnant son quotidien. Chaque soir, il regagne son appartement, et se plie de mauvaise grâce à la litanie thérapeutique que lui prêche en boucle un médecin sur son poste de télévision vintage. Annie, jeune femme au tempérament imprévisible incarnée par Emma Stone, cherche à revivre inlassablement le tragique accident qui a conduit à la mort de sa sœur, en prenant à cet effet régulièrement une drogue. Les deux personnages trimballent leurs traumatismes tels un boulet jusqu’aux portes d’un laboratoire de test pharmaceutique, qui propose rien de moins qu’enrayer leurs traumas. Le principe est simple : un ordinateur nommé GERTA (rappelant facilement HAL dans 2001) est capable de matérialiser la psyché des patients et de les y plonger, pour qu’ils affrontent leurs peurs en vue de les vaincre. Un certain académisme charpente cette structure, puisque binaire, lente et répétitive. On perçoit pourtant dans ces deux premiers épisodes quelques bizarreries SF intrigantes, fissurant l’édifice classique : un animatronique jouant aux échecs, un « sarcophage » électronique qu’Annie appelle « Papa », le traitement thérapeutique quotidien d’Owen rappelant l’oppression de 1984 d’Orwell, un petit Wall-e arpentant les trottoirs de la ville… Rien de ce que l’univers distille par son décor n’est expliqué, voilant l’intrigue d’une atmosphère étrange fascinante. Ces indices installent une crise dans la gestion du récit, que le troisième épisode va faire disjoncter pour de bon, en réunissant les deux protagonistes.
Court-circuit La première fulgurance de Maniac ne viendra donc pas du récit, comme à l’accoutumée dans les séries ; mais plutôt d’une superbe image poétique évoquant les métaphores visuelles de Michel Gondry dans L’écume des jours : endeuillée par la perte d’un de ses créateurs, GERTA lâche une larme d’étain qui court-circuite le réseau électrique des appareils de test, déréglant au passage le déroulement classique de la série. Car ce n’est pas tant le récit qui est mis en branle que l’esthétique de la série éclatant en morceaux : à partir de ce moment, les escapades oniriques d’Owen et Annie tourbillonnent dans un maelstrom de genres cinématographiques et littéraires très codifiés, comme le film de gangster, le film noir ou encore la fantasy. Empruntant avec malice à l’absurde des frères Cohen, aux casse-têtes mentaux de Nolan et aux plans d’ensemble épiques de Peter Jackson, Maniac prouve qu’elle est davantage le fruit d’une réalisation filmique plutôt que narrative. En effet, le réalisateur se sert du support sériel comme d’une effusion baroque de styles et de tonalités qui se heurtent d’un épisode à l’autre. La série fascine par l’obligation qu’elle impose au spectateur à ne pas se conforter à un seul régime d’image et de ton, bien qu’il finisse par comprendre le nouveau rituel qui s’installe paradoxalement: un épisode pour un genre précis, presque comme un compartimentage. Qu’importe, car c’est de ce genre de paradoxes sériels dont Maniac fait le terreau pour faire germer sa complexité thématique et esthétique ; la série est destinée à être une unique saison fragmentée en dix épisodes, allant d’une durée de 25 à 45 minutes. Ce format protéiforme a de quoi dérouter jusque dans la manière de visionner la série : en intégralité comme un film (auquel cas l’expérience, à la limite de l’indigeste, rappelle Cloud Atlas des sœurs Wachowski) ou de manière fragmentaire comme une série classique ?
GERTA, c’est plus fort que toi
Cette question, pas si anodine, rappelle une problématique vidéoludique : le jeu vidéo est en général un long plan-séquence, uniquement interrompu par les pauses faites entre chaque session de jeu. Le rapport de l’utilisateur au jeu est analogue à celui du spectateur face à un récit épisodique, puisque l’expérience est fragmentée, par la mort de son personnage pour le jeu amenant à réitérer le franchissement de l’obstacle, par le générique de fin pour la série amenant au suivant. En somme, ils partagent tous deux une consommation routinière. En quelque sorte, le joueur se bat contre la machine, qui le plonge dans un monde virtuel, pour prolonger et fluidifier au mieux son expérience de jeu. C’est ce que font Owen et Annie, lorsqu’ils doivent défaire GERTA pour que la simulation ne soit pas leur tombe. Et puis, l’esthétique utilisée pour la réalité convoque une iconographie très stéréotypée du jeu : les écrans pixelisés, un jeu pornographique en réalité virtuelle, les références japonaises, la plasticité de la matière rappelant le matériau des consoles de jeu… On pourrait s’énerver d’un tel déferlement de clichés passéistes, jusqu’à ce qu’on comprenne que cette réalité-là est factice, puisqu’elle paralyse Annie et Owen dans des habitudes qui les entravent. Maniac a compris mieux que n’importe quelle autre production audiovisuelle grand public que le jeu vidéo, c’est aussi permettre au joueur d’être acteur dans une simulation, par l’entremise de l’interactivité. Les deux protagonistes de Maniac plongent dans des univers programmés par l’ordinateur précisément pour se défaire de leur peurs, et devenir enfin auteurs de leur propre histoire afin de sortir de leur cercle vicieux. Dans Maniac, cette interactivité, c’est donc le gros plan d’une main qui tourne la manivelle enclenchant le test, c’est Owen qui doit résoudre un rubik’s cube en le faisant pivoter en cercle, et c’est surtout Owen qui, à l’entrée de la salle de test, touche l’épaule d’Annie pour faire naitre une rencontre, et provoquer un big bang d’histoires qui ricocheront entre elles, sans fin.
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Africa (2017), Naïm Aït-Sidhoum
La scène d’ouverture d’Africa, deuxième court-métrage de Naïm Aït-Sidhoum, a de quoi frapper le spectateur par son naturalisme percutant. S’y déploient devant ses yeux les corps de jeunes gens qui, bien qu’entravés par les sièges dans lesquels ils sont assis, gesticulent avec une spontanéité et un appétit de la vie débordants. Les sons fusent dans le cadre et hors champs, en même temps que le débat qui anime si violemment ses acteurs navigue entre saillies comiques et disputes. Ce dynamisme, cher au jeu excellent des acteurs, le film ne le perdra pas le long des trente minutes qui le composent.
Henri, metteur en scène quelque peu conservateur, cherche à mettre sur pieds une pièce de théâtre, dont les acteurs, malgré eux et tous débutants, sont les habitants de la cité Villeneuve. Très vite, il se rend compte de la difficulté de l’entreprise : ses acteurs n’en font qu’à leur tête, acceptent de suivre une directive pour esquiver la suivante nonchalamment, se vannent entre eux, se chamaillent. Face à cet élan vital, Henri trébuche quelque fois, comme lorsqu’il essaie tant bien que mal d’éviter les débats identitaires et raciaux de cette première scène pour recentrer son propos sur l’organisation de la pièce. Le premier discours du film est donc sociétal, à l’image de ce moment où Henri dirige ses acteurs, noirs, dans un décor de jungle grossier. Si grossier qu’il nappe la scène d’un comique salvateur, permettant alors au film de déployer ses réflexions sans qu’une chape de plomb moralisatrice ne vienne attérer le spectateur devant des sujets graves. Le dialogue social entre Henri et les jeunes de la cité prendra fin, au moment où le projet avorte.
Cette brisure découle d’un formalisme, dont la finesse et la précision sont remarquables. En muselant ces jeunes libres par des plans d’ensemble, toujours fixes et frontaux, c’est-à-dire des modes de représentations analogues au théâtre, Sidhoum fait jaillir un deuxième discours sur le rapport entre théâtre et cinéma. Lors de la première scène, les jeunes qui se disputent se situent dans les rangées de sièges en face de ce qu’on suppose être la scène, par la frontalité du champ. Vers le dernier tiers du métrage, filmé de la même manière, les jeunes, las des directives arbitraires du metteur en scène, remettent en question son autorité, cette fois sur la scène. Ce jeu des champs (les sièges) et contrechamps (le lieu scénique) forme, dans l’entre-deux des plans et des scènes, le fameux quatrième mur, notion théâtrale nécessaire à l’immersion fictionnelle du spectateur. Ce mur qui, ici, empêche tout dialogue social, et même peut-être intermédiatique. Car Sidhoum semble jeter le trouble sur l’idée qu’il se fait du théâtre. Reprenons une dernière fois la scène de la jungle : l’espace scénique est le lieu où se cristallise l’élan contestataire des jeunes, jusqu’alors tu par Henri, mais aussi le lieu où meurt le projet de ce dernier. Faut-il donc comprendre la supériorité du médium cinématographique sur celui du théâtre ? Le cinéma commence-t-il là où le théâtre s’arrête ? Ou alors la scène de théâtre est ce qui permet de faire cinéma ? Peut-être avons-nous la possibilité d’entrevoir un élément de réponse lorsque Youncé, dans le dernier temps bouleversant du film, essaie de reconquérir celle qu’il aime, assise dans un siège, lui sur scène, au travers d’un champ-contrechamp fort dramatiquement. À ce moment, leur regard se croise, spectateurs de l’un et de l’autre, et perce ce quatrième mur : un dialogue semble s’instaurer. Fécond, serait-on tenter de trancher, lorsque le générique de fin défile.
04 octobre 2018
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La Forme de l’eau (2018), Guillermo Del Toro
Au regard de sa filmographie, et en particulier du Labyrinthe de Pan et de Hellboy, Guillermo Del Toro ne plonge pas a priori le spectateur en eaux troubles avec La Forme de l’eau. Il s’agit d’une fable fortement esthétisée, prenant place dans un cadre historique marqué (les sixties et le début de la Guerre Froide) et mettant au centre de son intrigue une créature amphibienne attirant toutes les attentions. Celle d’abord de Strickland (excellent Michael Shannon), agent du gouvernement l’ayant découvert en Amérique du Sud et qui la voit comme une abomination. Celle ensuite d’Eliza, femme de ménage dans un laboratoire secret de Baltimore, muette, qui en tombe amoureuse. Et enfin celle du scientifique Hoffsteller espionnant les activités du laboratoire pour le compte du gouvernement russe, qui la considère comme une merveille qu’il faut préserver au nom du savoir. Le cinéaste présente donc son monstre comme un objet de désir, autour duquel gravitent tous les personnages du film.
De cette idée, il en tire un récit limpide et efficace, composé en trois actes. En premier lieu, Del Toro introduit, non sans convoquer les accordéons d’Amélie Poulain, la vie quotidienne minutée d’Eliza (le minuteur des oeufs bouillis, la répétition de ses tâches quotidienne selon un montage rapide), quelque peu déréglée par la découverte de l’amphibien sur son lieu de travail. Alors, apprenant que ce dernier risque la mort, Eliza, aidé de ses amis et de Hoffsteller, fomente un plan pour l’extraire du laboratoire, à la barbe de Strickland et des agents de sécurité (étrangement absents dans les couloirs du laboratoire). Le dernier tiers du métrage s’attarde sur la recherche éffrénée de Strickland, alors que l’exposition continue à l’air libre de l’humanoide menace sa santé et son idylle avec Eliza. Cette structure tripartite permet un déroulement clair des enjeux, et confère au  récit la forme du conte. De fait, Del Toro envisage son histoire d’amour comme universelle, appréhendable par tous. Il est à noter la subtilité dont fait preuve le cinéaste mexicain à irriguer son récit d’indices visuels par une focalisation sur des objets-clés (à la manière de Shyamalan), accentuant plus encore la fluidité du récit. Ainsi, la traque du monstre et des malfaiteurs par le très énervé Strickland est rythmée par les indices qu’a laissés naïvement Eliza derrière elle, trop occupée à garder en vie son amant, comme l’oeuf laissé au bord du bassin de monstre, ou encore le post-it accroché au mur de son appartement révélant la localisation de la bête convoitée. Pour ainsi dire, la manière dont se déroule le récit coule de source, et rappelle que Del Toro est un formidable conteur.
Formidable conteur donc, mais aussi grand plasticien. Par son camaïeu de bleu et vert saturés, la photographie exalte le merveilleux factice d’un continent qui mise pourtant tout sur l’apparence, comme en témoigne le disours publicitaire savamment ficelé d’un vendeur de voitures (toutes bleues), poussant ainsi Strickland à en acheter une pour légitimer son rang social. Si le vert est la couleur du progrès pour le colocataire d’Eliza (l’intitulé de la peinture qu’il transmet à son patron le souligne), il est aussi celle de la vase dans laquelle s’embourbe l’Amérique avec sa vision de la réussite sociale. Il serait pourtant réducteur de cantonner la direction artistique du film à sa seule fonction de satire. C’est en déployant sur le mur des intérieurs des reflets bleutés  que le cinéaste construit un monde en pleine liquéfaction. L’appartement d’Eliza est à ce point nimbé d’ambiances sous-marines qu’il en devient le refuge (certes provisoire) de l’amour qu’elle nourrit pour la créature, et réciproquement. Ce qui permet l’apparition de la plus merveilleuse scène du film (et donc la plus belle), à savoir l’enlacement d’Eliza et de la créature dans la salle de bain totalement submergée par l’eau. Alors, Del Toro parvient à créer un monde éthéré, partiellement étanche au monde extérieur qui menace l’unicité du couple.
Cette vision du monde aurait pu d’ailleurs être alourdie et noyée sous un flot de symboles véhiculés par les personnages du récit: Eliza est une femme de ménage handicapée aux origines hispaniques, sa collègue est noire, son colocataire homosexuel. Del Toro brosse un portrait si large et archétypale des marginalités qui composent le territoire américain, qu’il en vient par endroits à guider la compréhension du spectateur sur un récit a priori déjà simple. L’on comprend pourtant que cette exhaustivité doit se lire à la lumière des relations que ces personnages entretiennent individuellement à la créature. Celle-ci se trouve paradoxalement délestée de sa monstruosité pour devenir le reflet des minorités rejetées stigmatisées par la société américaine. Il n’est alors pas si étonnant de constater la faible présence du monstre durant presque la moitié du film, hormis au travers de la parole des humains, en hors-champ. Après tout, ce sont eux qui intéressent Del Toro, davantage que sa créature. En cela, le film touche juste.
2 mars 2018
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Dunkerque (2018), Christopher  Nolan
Dunkerque, récit de survie de Christopher Nolan, retrace la débâcle militaire des Anglais et Français dans la ville éponyme du nord de la France, au début de la Seconde Guerre mondiale. Loin de ses derniers films très écrits - il donne d’habitude une place importante au dialogue -, Dunkerque défile pendant plus de deux heures à la manière d’un film muet, sans que les personnages qui y apparaissent ne donnent au spectateur les clés de leurs pensées. Seul le bruit des bombes s’écrasant sur le sable vient accompagner la partition de Zimmer, asphyxiante au possible par son omniprésence. Ce dépouillement narratif confère au métrage une esthétique de la sensation: les balles de l’ennemi invisible sifflent aux oreilles des soldats britanniques dans la première scène; les avions dansent entre eux en faisant vrombir leur moteur et les tirs de missiles. Plus encore, par le jeu d’un montage alterné, Nolan fait répondre entre elles les trois situations de personnages embarqués dans cette guerre, à différents moments et lieux de la bataille. Cette distorsion spatio-temporelle, qui est la plus grande réussite du film, étouffe le spectateur sous un déluge de scènes anxiogènes dans lesquelles la survie des personnages se joue sur le fil du rasoir.
31 mars 2018
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