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Moscou sous la neige
Mercredi 30 octobre, 11 heures : le bruit effréné de la circulation vietnamienne devient feutre. Notre avion décolle pour nous ramener vers le froid d'une fin d'automne, là où nous avions laissé nos vies. C'est un jour sans fin qui nous attend, de ceux que l'on traverse de haut par une kyrielle de fuseaux horaires et une infinité d'espaces. Nous n'avons presque rien vu du Vietnam, mais ce n'est sans doute pas la seule raison qui nous pousse à estimer la fin de notre périple trop rapide, trop abrupte. Ces derniers temps, nous souhaitions ardemment que l'aventure s'éternise encore un peu. J'écris ces dernières lignes alors que Moscou est sous la neige. Evidemment, nous appréhendons le retour! Pendant ces quelques mois volés au quotidien, nous avons savouré un bout de monde sous un vent de liberté. Vivre au plus près de la nature, plus lentement, porter un regard neuf sur les choses ; savourer le jour qui se lève dans des endroits différents, la chaleur quotidienne qui caresse la peau ; revenir à la simplicité, au fondamental, apprécier l'allègement minimaliste ; se dépasser en gravissant un sommet, en marchant trois jours durant dans une chaleur humide, dans une société où tout est disponible sans effort. Accepter, à l'heure où la technologie a oblitéré ce que l'on imaginait authentique, de faire quitter à nos représentations le seul prisme occidental. Voyager est-il un but en soi? Il a manqué à Olivier, sans doute, un fil rouge à ce voyage. J'ai quant à moi retrouvé le plaisir d'écrire, l'exigence du mot juste, tout en maudissant parfois cette exercice un peu trop nombriliste auquel j'avais décidé de me livrer -celui de raconter par le menu nos aventures, si insignifiantes soient-elles. Cependant, je ne suis pas sûre que cette question soit la bonne. L'essentiel est de savoir ce que nous allons en retirer ; je laisse le temps nous en dire un peu plus, mais je sens notre regard sur le monde plus grand, notre conscience plus aiguisée. Je reviens la tête pleine de de merveilles et d'un constat alarmant : les images de ces monceaux de plastique qui défigurent les paysages, et dans lesquels les poulets qui seront ensuite mangés picorent sans inquiétude, me hantent ; la conscience écologique est bien l'apanage des pays riches, et le constater in situ est d'une rudesse sans appel. Nous avons été surpris de croiser sur les routes d'Asie tant de gens de notre âge. Nous sommes le reflet de notre temps, libertés individuelles et incertitudes globales. Nous savons que la stabilité du monde, et la nôtre - professionnelle, familiale, économique, écologique - n'est plus à l'ordre du jour. L'idée d'un avenir radieux est illusoire, alors nous voulons le présent : voyager sans attendre, en refusant de se sacrifier pour faire carrière, apprendre à vivre autrement. Peut-être avons nous renoncé à changer le monde, mais changer de monde pour un temps, se réenchanter est une aventure extraordinaire. Après ces petits mois de liberté et de nomadisme, après avoir eu, nombre de fois, le souffle coupé devant la magnificence de la nature, nous savons que le retour à la sédentarité et à la vie urbaine n'aura rien d'une sinécure. Une fois rassasiés de bonne nourriture et de l'amour de nos proches, il faudra se réinventer, sans ressasser éternellement le temps béni de l'aventure, et nous sommes pleinement conscients que c'est un nouveau défi qui nous attend. A bientôt, toi qui a suivi Kaobang !

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28 -30 octobre : Hanoï, le mot de la fin

En ce lundi 28 novembre, nous retournons sur Hanoï. Par la fenêtre de l'ultime bus cahotant de notre Asie, nous apercevons pour la dernière fois les champs ocres dont les épis de blés fraîchement coupés se laissent attraper par le vent, et les reliefs sombres des sommets et des escaliers de rizières. Mes yeux s'éparpillent, suivant avec avidité leurs courbes qui défilent à vive allure, refusant de perdre une miette de ces paysages tant aimés. Hanoï nous attend, et nous avons voulu que la fin du périple, qui s'annonce ensoleillée, soit confortable, alors c'est le moment de s'offrir un bel hôtel avec piscine en roof top. Ou pas. Ce n'est ni la pataugeoire au toit bâché et dardée de clous rouillés, ni les transats qui se battent en duel sur une terrasse en partage avec les chauffe-eau collectifs et le crissements des meuleuses des ouvriers qui s'y activent qui participeront au charme raffiné que l'on serait a priori en droit d'attendre d'un quatre étoiles digne de ce nom. Nous oscillons entre rire et déconfiture, un tel amateurisme ferait presque regretter nos hôtels de backpackers des derniers mois, dont les bas prix ne laissaient, au moins, pas de marge à l'exigence!
Je commence à m'habituer à la fourmilière d’Hanoï et aux ruelles trépidantes du vieux centre, que je traverse presque à l'aveuglette, cernée par le ballet incessant des scooters qui se déportent toujours miraculeusement sur mon passage. L'âme de la ville est là, dans ces maisons de couleur emboîtées les unes aux autres dans une absence de logique et de gravité charmantes. Un chemin de fer la traverse en son cœur, cheminant dangereusement dans des ruelles étroites, et les rails sont des lieux de convivialité, où l'on dresse des tables éphémères précipitamment désossées à chaque passage de la locomotive hurlante du vieux train de ville.



Nous admirons la venue de la nuit sur le pont rouge du lac de l'Epée [Hoa Kiem], qui mène à l’îlot verdoyant du temple de Ngoc Son, construit sous la dynastie des Tran (1225 – 1400). Le monument loge des autels dédiés à trois personnages originaires de la culture chinoise et vénérés par le taoïsme, ainsi qu'une vitrine abritant une tortue momifiée géante datant du XV° siècle, célébrée pour avoir ramené des profondeurs du lac l'épée qui sauva le royaume. Les Vietnamiens, ouverts au culte animiste et aux autres cultures, sont admirateurs de personnages reconnus comme aussi talentueux que vertueux, quel que soit leur origine.

Mardi est une dernière belle journée : le soleil darde haut et fort ses rayons narquois qui nous rappellent que notre hiver, à quelques encablures de ciel pourtant, n'a jamais été aussi proche. Sortant difficilement d'une énième nuit malmenée par la perspective du retour, nous allons visiter la prison d'Hoa Lu, vestige de la colonisation française. Construite en 1896 par le gouvernement français sur le territoire d'un village artisanal dont la population fut déplacée sans vergogne et la plupart des maisons communales et pagodes détruites, la prison - et le tribunal qui lui était associé - illustre l'efficacité redoutable de l'appareil répressif colonial dans sa lutte contre les mouvements nationalistes vietnamiens. Les prisonniers politiques vivaient dans des conditions drastiques et souvent inhumaines, enchaînés dans des dortoirs de béton où des cachots exigus dont les pentes inclinables aux fers en hauteur faisaient, si on ne se tenait pas sur les coudes dans une position hautement inconfortable, douloureusement monter le sang à la tête. De 1964 à 1973, les Etats-Unis menèrent au nord du Vietnam la guerre destructrice que l'on connaît, provoquant des ripostes qui conduisirent à la capture de centaines de pilotes de l'armée américaine. Nombre d'entre eux, dont l'homme politique John Mac Cain en photo ci-dessous, furent détenus à la prison de Hoa Lo, puis libérés lors des accords de paix de 1973.

C'est l'avantage de l'urbanité : je ne suis plus dépendante du scooter, et Olivier regagne nos pénates tandis que je pars à l'ouest de la ville découvrir le temple de la littérature. Édifié en 1070 en hommage à Confucius, il doit son surnom aux quatre-vingt-deux "stèles des Docteurs"érigées entre 1484 et 1780 sur le dos de tortues de pierre. Ce patrimoine documentaire mondial, révélateur des grandes figures du pays, affiche l’histoire des concours et la philosophie des dynasties sur l’éducation, la formation et la valorisation du talent.


Je me promène dans les jardins taillés avec soin, puis part chercher nos derniers banh-mi, sandwiches vietnamiens au porc sauce piquante, agrémentés de bâtonnets de concombre et carottes et de brins de coriandre, pour un après-midi de quiétude voluptueuse dans nos transats au bord de la piscine dans le bruit et la fureur des marteaux-piqueurs au bord du bassin nain.


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Mai chau - la villégiature intranquille

Trois heures de route séparent l'île de Cat Ba d'Hanoi, où nous arrivons sous un ciel maussade. De prime abord, la ville m'angoisse : éviter de se faire renverser par le flot continu de voitures et de klaxons qui déboulent de ses entrailles est une gageure épuisante. Je ne suis pas prête à y passer cinq jours et, malgré la pluie qui s'annonce, nous avons encore besoin de respirer l'air de la campagne. Le lendemain, nous prendrons le bus pour passer le weekend à Mai Chau, petite ville nichée dans les champs de blé et les rizières à trois heures de la capitale, dans l'intention, si la météo s'améliore, d'aller trekker dans le parc national de Pu Luong. Mai Chau est une ville à la vietnamienne, aussi étendue qu'incompréhensible dans sa topographie : des constructions anarchiques dévalent sur plusieurs kilomètres sa vilaine artère principale, et il faut s'éloigner de la partie sans charme pour découvrir, au milieu des champs de blé jaune moutarde, un petit centre aux maisons sur pilotis croquignolettes, mais qui semble, entre les échoppes et les guest-houses, entièrement dédié au tourisme. Ce que nous ignorions de Mai Chau, c'est qu'elle est le lieu de villégiature des hanoïens, qui viennent y passer leurs fins de semaine. Arrivés en début d'après-midi, nous observons avec effroi des cars cracher, sous la pluie sadique annoncée sans interruption et qui nous fait peu à peu renoncer à l'idée d'un trek, un flot continu de vietnamiens surexcités, qui envahit peu à peu les rues étroites. Aussi rudimentaire que chère, comme tous les logements de cette campagne imbue de son prestige, la cahute qui nous sert de chambre vibre dans la nuit noire sous les assauts tapageurs des mauvais karaokés et les rires avinés des familles en goguette. La campagne tranquille que nous sommes venus chercher n'est plus qu'un lointain mirage, surtout lorsque nous la voyons se remplir, le lendemain matin, de hordes d'adolescents boutonneux aux t-shirts standardisés, trist résultat du weekend d'intégration des lycéens hanoïens qui se déroule ... ici-même. Alors que le soleil chasse les nuages et se moque de notre couardise, c'est l'horizon entier qui résonne des accents vomitifs d'une techno bassement commerciale, rythmée par les cris surexcités de systèmes hormonaux en ébullition. L'enfer vibre sous nos pieds, la désillusion nous guette mais hors de question de s'avouer vaincus !

Dimanche est jour de rattrapage, et nous enfourchons une bécane pour avaler les soixante kilomètres qui nous séparent du parc national convoité : une petite halte pour acheter de vilaines capes de pluie en plastique et nous voici traversant des paysages magnifiques, montagnes escarpées, rizières en terrasses, petits villages joliment lovés au milieu d'une nature majestueuse. Grand bien nous a pris, et même si le temps nous manque pour profiter à fond du silence grandiose qui s'offre enfin à nous, finir notre retraite manquée sur une si belle note est un joli coup de pied au jeu du sort.







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20-24 octobre - De l'autre côté d'Ha Long - la loi du béton

Sur les conseils de nos amis et de la sphère routardière, nous avons boudé la baie d'Ha Long, réputée très chère et beaucoup trop touristique, pour celle de Lan Ha, plus au sud, et que l'on rallie par l'île de Cat Ba. Du bus qui nous emmène sur les routes insulaires jusqu'à la ville principale du même nom, nous avons un bref aperçu de la topographie de l'île, que l'on pourrait résumer à un immense chantier : là où il y avait autrefois des champs et des rizières, la terre n'est qu'excavation et boursouflures, et le littoral entier a été déchiré, cassé par les bétonneuses. La ville de Cat Ba n'est quant à elle qu'un vilain kyste de ciment en flanc de falaise, excroissance d'immeubles disparates à une ou deux dizaines d'étages, bars et hôtels dont les néons racoleurs clignotent à la nuit tombée dans un étalage de couleurs qui attaque la rétine. On ne sait ce qui est visuellement le moins pire, le jour, dans l'atmosphère poussiéreuse des marteaux-piqueurs ou la nuit, lorsque les karaokés ouvrent leurs portes sur l'avenue vulgaire, peinant presque, malgré des basses poussées à plein volume, à masquer les hurlements des Occidentaux bourrés qui la remontent d'un pas erratique.


Cat Ba est à elle seule une agression visuelle et une nuisance sonore que seul le coucher du soleil sauve mais, encore une fois bloqués par la météo (l'extrême nord du pays est trop noyé sous la pluie pour être parcouru en moto, et nous reculons le plus possible le moment de mettre les pieds dans la bruyante Hanoi) nous y attendrons pour moitié un hypothétique soleil le long de plages minées par les chantiers. Une matinée de marche sympathique nous emmènera dans le parc national de l'île, un sous-bois aux allures de jungle épargné in-extremis par la gangrène constructiviste ; par bonheur, la sagesse a condensé la laideur grâce à un arrêté gouvernemental qui n'autorise la ville de Cat Ba à ne s'étendre qu'en hauteur.

Toute cette médiocrité est heureusement plus que compensée par la magnifique croisière qui nous emmène le long des îlots et criques de la baie de Lan Ha, jusqu'au début de celle d'Ha Long. Alors que le soleil darde ses rayons pâles à travers des archipels de nuages encore gorgés de pluie, des domes karstiques recouverts de végétation se détachent peu à peu de la brume pour se perdre dans le gris perlé de la mer tonkinoise. L'atmosphère de ce milieu de jour est celle d'un infini crépusculaire, et la poésie et la quiétude qui s'en dégagent nous remplissent les sens à en avoir les larmes aux yeux ; que le monde est beau!




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13 -19 octobre - Tam Coc, où la baie d'Ha Long terrestre



La baie d'Ha Long a le nom évocateur de ces endroits de la planète qui font rêver. Ne manque que la mer à son équivalent terrestre pourtant moins plébiscité, un ensemble de pics karstiques au milieu de petites rivières et de rizières de la province de Ninh Binh.
C'est après une dizaine d'heures de bus en provenance de la pluvieuse Hué que nous débarquons en plein milieu de la nuit à Tam Coc, dont les paysages ont servi de décor, il y a bien des années, au film Indochine interprété par la magnifique Deneuve. Une belle surprise nous attend : une nouvelle fois, c'est avec notre couple de copains Cécile et Thomas, rencontré à Java puis croisé de nouveau sur les plages de Lombok, en Indonésie, que nous allons passer quelques jours. Le hasard qui nous les ramène du nord du Vietnam fait bien les choses, satisfaisant au proverbe du jamais deux sans trois.
Après avoir terminé nos nuits respectives, c'est à bâtons rompus que nous échangeons sur nos dernières aventures, alors que la pluie tombe sans discontinuer jusqu'au soir ; cette journée de off forcé, qui finit sous la couette devant un navet franchouillard, fait du bien. Le lendemain, sus aux cinq cents marches de la pagode Hang Mua, qui offre du sommet de la montagne une vue imprenable sur les alentours de Tam Coc.

Nous déambulons ensuite à travers les rizières et les champs de nénuphars ; en milieu d'après-midi, le gris du ciel nous menace encore, confinant aux blocs karstiques que nous longeons en scooter un air de tempête. Dans un temple caché dans une grotte, la voix nasillarde d'un moine s'élève et je reste de longues minutes tapie dans l'ombre à écouter, fascinée, ce chant aussi lugubre que l'atmosphère.



Nous finissons la journée par la visite d'Hoa Lu, qui fut première capitale du Vietnam, et conserve encore quelques temples et maisons d'une époque révolue.

Tam Coc est une petite ville assez mignonne malgré une orientation très marquée vers le tourisme, qui pour autant lui confère, le soir venu, une ambiance assez sympathique. Nous sommes heureux de jouer aux cartes en écumant quelques bières dans l'un des bars qui la peuplent, et c'est le sel de ces amitiés du bout du monde, ponctuelles et intenses : tous les quatre ignorants de nos environnements respectifs, nous vivons le moment présent dans une fraternité complice, nous comprenant dans les petites galères et les grandes merveilles du voyage, partageant le sentiment ô combien vertigineux d'être partis d'une petite encablure de vie pour expérimenter la grandeur du monde.
C'est déjà le dernier jour ; une croisière en barque nous emmène, Olivier et moi, sur les traces du tournage de King Kong, le long de falaise karstiques à couper le souffle et de quelques temples niché au creux d'îlots de jungle. Ce sont les vacances vietnamiennes, et il faut se forcer à faire abstraction des centaines d'embarcations qui remontent comme nous la rivière et, gilets de sauvetage obligent, font de vilaines tâches fluorescentes qui se suivent à presque s'en confondre. Nous restons cois devant la puissance de la nature, et la dextérité des rameuses vietnamiennes, dont la technique de pagayage avec les pieds s'avère d'une efficacité redoutable.
Nous finissons la journée tous les quatre à Bai Dinh, plus grande pagode du pays et fruit de la combinaison d'un ensemble vieux de mille ans et d'un ajout vingtenaire à la modernité discrète, qui occupent un immense domaine .Nous y retrouvons, dans des dimensions pharaoniques, la typicité des temples du pays : des motifs ouvragés et des hiéroglyphes de l'ancien alphabet vietnamien, en doré et rouge sang, agrémentent les fondations en teck qui abritent sans distinction bouddhas et créatures mythologiques. La pagode, d'une magnificence absolue, cache en son sein la plus grande statue de bouddha en bronze en Asie du Sud-Est, et abrite plus de cinq cents statues d’Arhat qui présentent l’évolution du bouddhisme tout au long des périodes de la dynastie.
Le soir venu, c'est l'heure des au-revoir et cette fois-ci, nous en sommes sûrs, nos chemins en Asie se séparent pour de bon. Thomas et Cécile finissent de descendre doucement le Vietnam, tandis que nous poursuivons notre route vers le nord, pour rejoindre l'Ha Long maritime.
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Une journée sous la pluie à Hué

Hué, cité impériale, cœur du patrimoine national, est un passage obligé lorsque l’on aime un tant soit peu l’histoire, mais nous sommes prévenus : il y pleut souvent, et à verse. Qu’importe, nous sommes des aventuriers téméraires. HUE dada [j’adore mes blagues] : le lendemain matin, preux chevaliers tout de sac poubelles capes de pluie jetables, vive le plastique vêtus, nous enfourchons notre fidèle monture en direction du tombeau de l’empereur Khai Dinh. Faire le copilote avec un téléphone qui se noie sous la pluie n’est pas aisé, et l’expérience de la conduite au Vietnam pas une mince affaire. D’ailleurs, on ne comprend pas à quoi servent les voies de circulation, puisque tout le monde conduit à contre-sens et déboule des rues adjacentes sans regarder ; les rétros sont pour les faibles, le Vietnamien compte sur la diligence de son prochain à s’écarter en temps voulu. Le mausolée, dont le blanc grisâtre se détache à peine de montagnes coulées dans la brume, n’est pas d’un extérieur avenant, mais l’intérieur laisse pantois : mosaïques de porcelaine, fines dorures, plafond qui raconte une épopée mythologique de dragons.
Le second tombeau, celui de l’empereur Minh Mang, est entouré d’un parc gigantesque, dans lequel nous courons après les éclaircies, et la pluie battante peine à altérer le joli vert d’eau des lacs remplis de nénuphars qui le bordent.
Une pagode plus tard, et nous voici à la cité impériale, dernière mais non moindre étape de cette journée contrainte au marathon à cause de la météo. Nous avons été, durant ce voyage, les marionnettes de la saison des pluies, qui nous amène à faire des choix par défaut : deux ou trois jours sous cette pluie, ce que mériterait pourtant Hué, confine au pénible. La citadelle impériale de Hue fut construite en 1805 sous le règne de l’empereur Gia Long et achevée en 1832 sous celui de son fils, l’empereur Minh Mang. D’une superficie de plus de cinq cents hectares, cette construction massive nécessita l’intervention de dix mille ouvriers pendant près de trente ans. Un travail titanesque à la hauteur de ce monument aux jardins parfaitement taillés, qui mériterait une journée de visite entière, et dans lesquels nos tongs boueuses se frayent un chemin sous l’assaut de la pluie.
C’est quasiment en courant que nous finissons notre parcours (impossible de retrouver le scooter dans ce dédale labyrinthique) et qu’Olivier joue son pilote parisien dans les embouteillages de la ville (et je me colle à lui en fermant autant les yeux que je peux serrer les fesses) pour ne pas rater le bus de nuit qui nous mènera au nord, vers la baie d’Ha Long terrestre.








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Vietnam, le début des improbables
Au Vietnam, nous savons enfin pourquoi les hommes les plus grassouillets se promènent fièrement avec leur t-shirt ou leur marcel relevé sur le nombril : c’est un signe d’opulence, et un ventre proéminent n’a d’égal qu’un portefeuille bien garni
De l’intimité aux toilettes, mais pourquoi faire? Les lieux d’aisance des aires d’autoroutes sont des latrines sans porte, et il est de bon ton d’exhiber ses fesses et de se soulager, grosse commission comprise, devant ses compatriotes d’infortune (la version trash consiste en un caniveau au grand air avec des parpaings pour délimiter l’emplacement des pieds)
Au Vietnam, ce sont souvent les femmes qui s’activent pendant que leurs hommes (de compagnie) prennent du bon temps affalés sur leurs chaises. Situation déclinable à l’infini, en cuisine, dans les hôtels, les commerces.
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11-14 octobre : Vietnam, enfin! Hoi An, où la ville aux milles lanternes
L’aube rosit encore les nuages lorsque nous fonçons à l’est, direction la frontière. Le bus est vietnamien, c’est sûr ! Le personnel a oublié sa sympathie sur le bord de la route mais n’a ni le flegme ni l’inefficacité typiquement laotiennes, et c’est dans une discipline militaire : “Away! Go! Passports! In the bus!” et plutôt en avance que nous foulons le sol vietnamien (bon évidemment, entre temps, le premier visa d’Olivier vient d’arriver sur sa boîte mail, il n’est pas très satisfait d’avoir cédé un bout de son PEL au consulat pour s’en faire faire un autre en urgence, mais c’est le jeu). Le temps nous est compté, et nous ne ferons qu’une partie du centre et du nord du Vietnam, territoire tout en longueur. Direction Hoi An, ville historique bordée par la mer et, paraît-il, la plus visitée du pays! Lorsque les rues d’Hoi An sont plongées dans la torpeur des chaudes journées, elles s’avèrent plutôt calmes et peu fréquentées, mais à partir de 16h00, il devient très difficile de s’y frayer un chemin, car c’est à la nuit tombée que la ville se pare de ses plus belles lumières, étincelant sous les feux multicolores de milliers de lampions. Le centre, quoi beaucoup trop orienté vers le tourisme, est très mignon, avec ses façades jaune poussin, ses temples en teck richement décorés et ses maisons traditionnelles, et la gastronomie y est délicieuse. Nous profitons de notre seconde journée pour retrouver l’océan, et même s’il n’est pas si turquoise qu’en Indonésie, quel plaisir, après un mois et demi, de pouvoir s’y baigner à nouveau! C’est le moment pour Olivier de refaire du surf. La baie est jolie, bordée en son extrémité des immeubles de Da Nang, dont l’acier futuriste parait se diluer dans la chaleur du soleil. Le lendemain matin, avant les trois heures de bus qui nous séparent de Hué, plus au nord, j’en profite pour arpenter de nouveau Hoi An et passer au marché central. Il est encore tôt, et peut-être est-ce une conjonction de mauvais hasards, mais c’est la douche froide. La jetée, jonchée de déchets, porte les stigmates d’une mauvaise nuit, les commerçants sont insultants lorsque l’on s’arrête regarder sans acheter et les scooters, autorisés à circuler jusqu’à midi, bousculent sans vergogne les passants dans les ruelles étroites. Mon histoire d’amour avec la ville tourne au vinaigre, il est temps de partir!
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08-10 octobre : Retour prolongé à Paksé


De retour des 4000 îles, nous attendons tout l'après-midi que nos visas arrivent. A 17h, c'est la douche froide : celui d'Olivier a été refusé ; Olivier, René, Michel de son vrai nom n’a pas décliné la totalité de son identité sur la fiche en ligne. On rectifie, en croisant les doigts pour qu'il arrive le lendemain, et que l'on ne prenne qu'un jour de retard sur le départ au Vietnam. C'est l'occasion de partir à la découverte des ruines du temple khmer Vat Phou, qui se dresse à cinquante kilomètres de Paksé entre le Mékong et la montagne Pu Khao ; une copie miniature, paraît-il, du célèbre temple d'Angkor. Il est vrai que le site, pierres noires campées dans un décor majestueux, vaut le détour, malgré le Buddha pas très gracieux qu'il abrite en son sein. Une belle surprise, et un retour par la jolie campagne laotienne avant la tombée de la nuit... mais ça, c'était sans compter notre quatrième pneu de scooter crevé ; le Dieu du deux-roues nous a définitivement renié.
Et toujours pas de visa... Olivier se décide à le faire en urgence au consulat de Paksé le lendemain ; quand on paye cher, finalement, tout va plus vite. La journée dans cette ville peu plaisante et engourdie de chaleur est assez morose : déçus d'empiéter sur le Vietnam à venir, nous errons à la recherche d'un endroit pas trop sale pour se baigner dans le Mékong, dont les abords sont ici parsemés de déchets. C'est finalement au bout d'une jetée sableuse, en pleine ville et sous le regard ébahi des marchants ambulants du coin que nous nous tremperons, immergés jusqu'au cou dans l'eau, en équilibre sur des rochers pour ne pas faire trop de mouvements dans cet environnement peu ragoûtant.
Demain à l'aube, nous prenons enfin le bus pour le Vietnam!
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Si Phan Don, au creux des 4000 îles

Le bus-couchette le plus déglingué au monde (voir article précédent ;-) ) nous dépose à Paksé au milieu de la nuit ; demain, nous effectuerons les trois heures de route pour atteindre les 4000 îles. Olivier, trempé par la pluie qui ruisselait à travers le piètre raccommodage de la fenêtre, maudit les Laotiens et leur système de bus à n'y rien comprendre. Matinaux oui, efficaces toujours pas, alors ce n'est qu'à 11h le lendemain que nous essayons de nous frayer un chemin parmi les marchands ambulants de la gare sud, cherchant le "gros tuk-tuk un peu hardos mais marrant", décrit par Flo pour rallier la ville portuaire de Nakasong. C'est en fait une bétaillère bâchée à l'arrière, où nous prenons place avec une poignée de Laotiens, une palanquée de sacs de riz, des cartons de café, des boîtes d’œufs ficelées de guingois et d'énormes câbles en métal que tout le monde piétine joyeusement. Evidemment, c'est pile au moment où nous nous réjouissons : "t'as vu, bon on est couverts de poussière mais au moins on va super vite, on mettra même moins de trois heures" qu'une déflagration intense retentit : l'un des pneus à éclaté.

C'est donc au jour couchant, après avoir presque failli rater le dernier bateau, que nous longeons les rivages boueux aux maisons sur pilotis pleines de couleurs des îles de Don Khon et Don Det, reliées par un petit pont. Un peu avant qu’il ne dévale par les chutes de Kkone vers le Cambodge, le Mékong, prisonnier de hauts plateaux rocheux, s’étale paresseusement, telle une vaste mer intérieure, dans la province laotienne de Champassak, en un lieu appelé Si Phan Don, les 4000 îles, qui se méritent!

Nous retrouvons Flo, qui nous a réservé un petit bungalow avec une vue imprenable sur le Mékong. Contempler de nos hamacs la vie qui s'y agite dans les pirogues qui en fendent la surface, les enfants rentrants de l'école, les pêcheurs, chapeau chinois vissé au front, qui ramènent leur butin du jour, et les moines dans leurs robes orangées allant honorer les temples est une occupation des plus fascinantes.
Le dîner s'éteint tranquillement, et rejoindre nos lits commence à nous sembler une bonne idée (enfin, disons que les garçons ont vidé pas mal de bières, que j'ai essayé d'ingurgiter un cocktail pas très heureux, qu'il n'y a pas un chat à l'horizon, basse-saison oblige, et qu'il fait nuit noire) mais un endroit d'irréductibles gaulois résiste, et de l'autre côté de la rive nous parviennent des éclats de rires noyés dans les basses d'une piètre musique. Un bar, avec de l'ambiance, ici?? Nous nous motivons pour traverser la rive par le pont et même s'il n'y a que dix minutes de marche, entre les flaques de boue, les chiens errants et les buffles qui squattent tranquillement les abords du chemin, avec une simple lumière de téléphone, ce n'est pas un mince affaire!

Nous montons à l'arrière d'une guest-house, et là, surprise, sur la terrasse dominant le fleuve, nous découvrons une soirée privée... enfin un comité d'entreprise en pleine ripaille. Bien trop éméché pour être mauvais joueur, le chef de la joyeuse troupe, qui a fait boire beaucoup trop de rouge à son t-shirt, nous accueille à bras ouverts - et le reste de ses employés suit, enfin ce qui tiennent encore debout. On nous sert à tout va, le mauvais vin enchaîne le mauvais whisky et les heures, tout le monde oublie que je suis la seule représentante de la gent féminine et on trinque dans toutes les langues pour masquer le fait qu'après quelques politesses on n'a pas vraiment grand-chose à se dire. Les Laotiens disparaissent peu à peu, oubliant un camarade moribond sur une table, et on fait découvrir aux deux qui restent quelques Shakira et autres clips aussi dénudés que commerciaux. Il n'est que ...minuit, mais on a une impression fugace de sortie de boîte, et on s'allonge tous les trois sur le pont qui nous sépare de notre île pour regarder les étoiles, conscients d'observer un ciel différent de chez nous.
"Mais ça marche comment le ciel, ici. Genre, c'est inversé?"
"Mais oui regarde on voit la petite casserole avec la queue en bas"
"Mais n'importe quoi, t'as rien compris!"
"Bah t'as compris, toi?!"
"Euh...."


Le temps dans ce petit coin de monde paisible s'écoule doucement. Nous profitons de la dernière journée de Flo pour tromper la chaleur en allant à la "plage" [comprendre : coin de berge vaseux mais accessible, endroit du Mékong boueux certes mais qui n'est pas une pataugeoire à buffles] et visiter le "Niagara du Mékong", où nous escaladons les rochers pour observer au premières loges, fascinés, les eaux du fleuve jaillir par centaines de litres dans un fracas assourdissants. Règne une odeur de fruits de mer pas frais ... ah non, c'est un chien en décomposition, coincé entre deux grosses pierres, qui se repose auprès de nous pour l'éternité et que les pêcheurs qui ramassent leurs filets enjambent depuis tout à l'heure sans s'émouvoir.
Personne n'aurait pensé, dans ce site le plus touristique de la région et dont l'entrée allège considérablement le porte-monnaie du pigeon touriste à dégager-enterrer-pousser discrètement dans l'eau- l'incommodant cadavre? pourquoi donc . Mais ma brave dame, ON A LA FLEMME!!!!!

Le lendemain matin, Flo nous quitte, et c'est le moment des formalités administratives (bazar, pourquoi n'avons-nous pas fait nos visas pour le Vietnam plus tôt!!). A midi, nous partons en explorateurs à sandales chevronnés, à l'assaut de l'île de Don Khon. Nous longeons des champs de coco et faisons trempette dans un coin de rivière sous le regard placide de quelques buffles, et déjeunons dans un joli restaurant qui surmonte une cascade. Pour le retour, les aventuriers alertes que nous sommes décident de couper à travers champs pour aller plus vite, une riche idée! Un petit chemin nous mène nez-à-nez avec les rizières... et les buffles, dont nous traversons le territoire dans la boue et sur la pointe des pieds, pas trop rassurés par les grognements qui ponctuent notre intrusion. Ensuite, c'est la forêt qui nous assaille, de plus en plus dense, avec ses marécages, ses ronces et ses grosses fourmis qui pincent les orteils. Olivier part en éclaireur, et lorsque je jaillis des broussailles pour retrouver la civilisation [comprendre : un chemin boueux pour carrioles et scooters], c'est dans un hurlement de douleur.


C'est notre dernière nuit, et nous nous régalons à la guest house de rouleaux de printemps sous un ciel de pétrole. Je caresse machinalement Abcès, l'un des chats faméliques qui rôdent autour de notre table, rebaptisé ainsi par Flo à cause d'une vilaine infection au menton.
A raison d'un bateau par jour, nous choisissions de quitter les 4000 îles un peu prématurément pour remonter à Paksé, persuadés que nos visas vont arriver dans la journée et que nous pourrons attraper au vol le bus pour le Vietnam.
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Thakhek - the loop (suite)


Troisième jour - 43 kilomètres au compteur La légende dit qu'il y a quelques siècles, les habitants du village de Konglor pensaient la grotte occupée par les esprits, et sa bouche noire qui à flanc de montagne avalait la rivière ne les poussaient pas à s'y aventurer. Ils reliaient à pieds le village voisin, situé de l'autre côté de la montagne et la marche, qui franchissait cinq cols, était harassante. Un jour, quelques villageois virent un groupe de canards sortir des entrailles du monstre et l'arrivée des volatiles, qui se laissaient tranquillement voguer au gré du courant, les convainquirent qu'un passage souterrain devait relier les deux villages. Les plus hardis embarquèrent avec des torches à bord d'un bateau, errant des heures dans le labyrinthe des boyaux avant d'en trouver, épuisés mais victorieux, la sortie. La grotte est devenue, depuis, une attraction touristique, mais il faut la connaître comme sa poche pour diriger les petits rafiots étroits dans les couloirs à la seule lueur des lampes frontales, et éviter de percuter les roches acérées qui en jalonnent le parcours. Alors que notre barque fend les flots dans un noir d'encre et que nous distinguons à peine le plafond aux allures de cathédrale de la grotte, j'ai le souvenir, alors que nous passons un petit rapide à travers les pierres, des pirates de Disneyland, lorsque je m'accrochais à la rompre à la chemise à carreaux de ma tante pour conjurer l'étrange sensation de frétillement au bas-ventre que produit une descente sur l'eau. L'attraction avait su recréer parfaitement la moiteur un peu fraîche et l'atmosphère claustrophobe qui règnent aujourd'hui dans les entrailles de la terre. Nous ferons aujourd'hui les seuls quarante kilomètres de route défoncée effectués hier pour rejoindre de nouveau la boucle. Olivier est fatigué, et son œil gauche, qui a subi les foudres d'un moucheron, est injecté de sang. Nous décidons de nous trouver un coin baignade le long de la rivière pour lire tranquillement, mais nous devenons vite l'attraction locale, nous faisant chahuter par des gamins venus jouer à qui saute le plus loin en éclaboussant tout sur son passage.


Dernier jour - 205 kilomètres au compteur Nous enfilons les kilomètres dans la poussière des camions sur la partie la moins sympathique de la boucle, et notre seule pause avant le retour à Thakhek sera un lagon que des internautes ont indiqué sur l'application Maps.me comme fermé pour travaux. Qu'importe, par cette chaleur, nous préférons tenter, et le chantier géant qui entoure l'eau bleu turquoise du lac est moche, mais n'empêche pas la baignade, et c'est avec délice que nous acceptons de patauger dans la vase pour atteindre l'eau bien fraîche. Des enfants surgis de nulle part, et encore plus agités que ceux de la veille, viennent troubler notre quiétude, se postant à quelques mètres pour nous dévisager à loisir. A leur départ, alors que nous pensons bénéficier de quelques minutes de tranquilllité, nous nous rendons compte que nous sommes installés sur une fourmilière. Une station tête en bas dans l'eau glacée aura du mal à venir à bout des dizaines de bestioles qui ont trouvé refuge dans mes cheveux, et j'ai la tête qui fourmille, cette fois-ci plus au propre qu'au figuré, alors que nous amorçons le retour à Thakhek.




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30 septembre - 3 octobre - La boucle de Thakhek- the loop
Une boucle de cinq cents kilomètres en moto qui part de la ville de Thakhek, notre prochaine étape au centre du Laos, dans un paysage de roches karstiques, de campagne verdoyante et de grottes, c'était le rêve d'Olivier, et il est impatient d'y être. En ce matin du 29 septembre, le mini-bus qui est venu nous chercher file à travers Vang Vieng encore endormie, et nous nous disons qu'à ce rythme-là, pour une fois, nous serons en avance. Mais c'était sans compter les arrêts vomis, qui s'ajoutent aux débarquements intempestifs de passagers et freinent le voyage. Toutes les vingt minutes, le trio de laotiennes de l'avant se penche sans pudeur sur le bord de la route, mains sur les genoux, et rend ses tripes. Puis mange, qui des nouilles chinoises, qui des chips.. et c'est reparti pour un tour, ponctué de nos marmonnements bien français : "Mais il faut vraiment être con...". C'est de justesse que nous chopons dans la capitale, Vientiane, dont nous avons décidé d'éluder la visite par envie de rester le plus possible, par ce soleil de plomb, à la campagne, notre seconde correspondance, un bus local rempli jusqu'à l'os. Nous retrouvons quelques têtes familières aperçues à la gare et tiens, ce brun barbu ne serait-il pas en train de lire un Duras? C'est ainsi que Florent, architecte une résidence artistique d'un mois au Laos, nous adopte, et décidera même de changer un peu ses plans et de faire le début de la boucle avec nous. Premier jour - 85 kilomètres au compteur A une heure plus ou moins décente, nous entamons le début du périple, Olivier et moi juchés sur une nouvelle (et pétaradante) moto semi-automatique, et Florent sur un scooter auto noir si bas qu'il le fait ressembler à un personnage de Transformers. La chaleur assommante fait défiler les heures et c'est à 17h, après deux visites de grottes, une pause-déj et quelques trempages peu assidus dans les rivières que nous nous rendons compte qu'il reste quand même soixante-dix kilomètres, que nous finirons d'enfiler sur des routes de montagnes, dans une nuit de plomb. Nous traversons d'impressionnantes falaises noires et ocres, au milieu de lacs de barrages peuplés de troncs d'arbres fantomatiques, et de champs d'herbe folle à perte de vue. Nous arrivons à notre guest-house dans un paysage aveugle, simplement traversé par la pâle lueur des étoiles qui sont, ce soir-là, des centaines à refaire le ciel. L'endroit, tenu par un Français, est réputé pour son ambiance à la bonne franquette, avec barbecue à profusion et baroudeurs qui refont le monde à la lumière du feu de camp. Mais ce soir-là, et c'est le revers de la basse saison, exit les salivantes brochettes, les deux tiers des produits péniblement écrits sur la carte poisseuse ne sont pas disponibles, l'endroit est gardé par deux laotiennes qui, comme d'habitude, ne parlent pas trois mots d'anglais, et l'on y croise des Français aussi déconfits que nous. Mais qu'importe, nous sommes si occupés à retracer la vie et parler de la trentaine, de nos peur et nos regrets que pendant quelques heures, nous oublions le monde qui nous entoure. Nous partageons tous les trois une chambre aux airs de colonie de vacances, et Flo qui dort à nos pieds dans de magnifiques draps Barbie pourra cette nuit-là se rêver en princesse, ce qui ne manque pas de déclencher notre hilarité. Deuxième jour - 150 kilomètres au compteur Un peu vaseux de la veille, nous reprenons nos routes qui se séparent, en se promettant de se retrouver dans quelques jours dans le sud, aux "4000 îles". Nous avons encore décollé trop tard, et c'est au pas de course que l'on visitera la "caverne du dragon", une grotte où, après un chemin courbé en deux dans une obscurité quasi-complète, l'on débouche sur une salle immense, dominée par de majestueuses stalagmites, et que l'on se baignera dans un lagon aux eaux turquoise. Le chemin terreux que nous empruntons pour les quarante derniers kilomètres est si semé d'ornières que nous progressons à une vitesse d'escargot, au milieu de milliers de bestioles plus ou moins grosses qui, attirés par la lumière des phares, nous foncent en plein visage. C'est exténués et crasseux que nous atteignons notre étape pour la nuit, une mignonne auberge du village de Konglor, qui abrite la grotte la plus longue du Laos - 7,5 km! Le web ne tarit pas d'éloges sur la patronne du lieu, une vieille dame à l'allure gracile et au sourire franc, qui manie avec dextérité son métier à tisser à côté de la grande table conviviale autour de laquelle nous retrouvons quelques têtes bien françaises croisées au fil de la journée. Alors que la soirée s'étire avec langueur, un énorme scarabée frôle nos cheveux, provoquant quelques hurlements, et vient s'écraser au sol sur le dos, agitant follement ses pattes dans l'espoir de se redresser tout seul. L'un de nous se lève pour l'y aider, mais notre hôtesse, plus rapide, saisit la bête et lui arrache une à une les pattes en ricanant de toute sa bouche édentée, sous nos regards horrifiés et celui, noir de fureur, de sa fille. Myster Hyde, ou Mamie Zinzin, s'amuse quelques minutes de voir le scarabée, désormais remis sur le ventre, incapable de bouger puis, se lassant de son jouet, part chercher un sac plastique pour l'y étouffer. Le silence de mort qui s'ensuit salue la mémoire de la bête sacrifiée, et il est, sur cette fausse note qui a douché l'ambiance, l'heure d'aller se coucher.
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Apologie de la flemme
J'avais envie de le faire, ce paragraphe pas très politiquement correct sur le chill- où la glande poussée à l'extrême, pandémie qui semble toucher le Laotien en général, et qui confine à l'ubuesque quand il s'agit de celui qui travaille dans l'hôtellerie ou le commerce.
Scène de boutique ordinaire.
Moi, enjouée : "Sabaidee! [Bonjour!]
Dame avachie derrière son comptoir : "..."
Moi, ne me démontant pas : "Have you got this..."
Hochement négatif de la tête, retour aux non-occupations précédentes sans plus de cérémonie.
Moi : "Ok, bye"
Dame avachie derrière son comptoir : "..."
Il suffit de dupliquer la situation à l'infini, et c'est ainsi que l'on tire fréquemment des restaurateurs de leur sommeil, qui cuisinent en bâillant puis retournent s'allonger sous les casseroles, et que le commun des mortels dort bouche ouverte et sans état d'âme dans les arrières-cours, sous les auvent des camions, au bord des routes .
Trouver des magasins ouverts mais déserts, dans lequel on s'égosille jusqu'à ce que quelqu'un arrive en traînant des pieds, et des gens si profondément plongés dans leur téléphone qu'ils daignent à peine lever la tête ne nous choque plus. Le Laos est sûrement le seul pays au monde où personne, agences incluses, n'essaie de vendre quoi que ce soit au touriste, par désintérêt ou par flemme, et se consacre pleinement à l'ennui du temps qui passe.
Cela nous fait souvent rire mais peut-être aussi pénible, quand les renseignements qui sont donnés au compte-goutte ne sont jamais les bons (cela fait par aujourd'hui trois heures que l'on attend le bus Thakhek- Paksé, au sud, sans être sûrs du résultat) ou quand, par une économie de mots qui confine au manque de sympathie, on nous aboie les prix sans même nous saluer. Ici, barman parisien passerait presque pour le plus avenant des hommes! Il y a dans ces absences d'interactions érigées en façon de vivre une certaine déshumanisation qui finit par miner un peu, et nous mesurons la chance d'être deux.
Le bus arrive enfin, et il est, comme je dis à un Olivier passablement horrifié par la crasse qui y règne, et qui essaie vainement de cacher la misère de la fenêtre cassée par celle du rideau troué, parfaitement représentatif du way of life laotien : des matelas et des couchettes font office de siège, et c'est, pour le Laotien qui dort à toute heure, une installation de génie. Au plaisir de pouvoir voyager dans l'odeur de chaussettes sales de nos voisins s'ajoute celui de jouir avec une vue imprenable sur le plafond et dans la douce poussière qui s'échappe de son installation électrique cassée. On ne sait toujours pas si c'est pour 7h ou 10h, sachant qu'on a dû faire trente mètres en une demi-heure, donc si on a bien fait de réserver à l'avance le logement de cette nuit, ni si c'est la bonne direction (j'ai essayé d'en savoir plus auprès de mon voisin, qui n'a su que me dégainer ses ratiches pourries dans ce qu'il semblait être un sourire de gêne) mais en avant toute!

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27-29 septembre : Vang-Vieng la sulfureuse


Nous avons un peu hésité avant de mettre les pieds à Vang Vieng : malgré une action musclée des autorités ces dernières années, à coups de fermeture de discothèques et de bars, la ville traîne derrière elle une réputation de dépravation et de débauche qui ne manque pas de susciter quelques réticences. Haut lieu de la fête à outrance, elle était autrefois réputée pour ses descentes de rivières sur chambres à air (le tubing) avec étapes dans les nombreux bars à bières jalonnant le parcours, et les jeunes bourrés qui ne s'étaient pas noyés en chemin pouvaient continuer de s'encanailler le soir venu, les moins constitués sombrant dans le coma du mauvais alcool.
Les turpitudes de la jeunesse ont laissé leur place aux touristes de la classe moyenne chinoise, que l'on voit pagayer maladroitement sur la rivière dans leurs gilets de sauvetage (l'instinct grégaire du touriste chinois le poussant toujours à agir en groupe d'au moins vingt personnes) ou conduisant des buggys (ces espèces de minis 4x4 qui font un bruit d'enfer) sur les routes de campagne, le visage entièrement dissimulé par de ridicules chapeaux à lacets et ces satanés masques respiratoires.
[Durant notre escale à Bangkok, Olivier me répétait pour la centième fois que je devrais arrêter de me moquer des Chinois. Alors que j'essayais plus ou moins maladroitement de me défendre, arguant que l'explosion massive du tourisme chinois faisait s'envoler les prix de pays comme le Laos, et le cours du mauvais goût dans d'autres, eut exemple la prolifération des tours operators Tours Montparnasse/Tour Eiffel/ Galeries Lafayette du Paris authentique comme on l'aime tant, l'appel à l'embarquement de l'avion voisin a résonné, et nous avons observé avec stupeur une cinquantaine de Chinois se lever d'un seul homme et se précipiter comme si leur vie en dépendait vers le guichet précédant le sas, se bousculant à grands renforts de vociférations voire, se montant presque dessus, pour tendre à l'hôtesse le précieux sésame. Mais pourquoi agir ainsi, puisqu'à priori, PERSONNE ne sera laissé sur le carreau?Ils sont fous ces Chinois, qui intègrent la frénésie à grande échelle tant ils sont avides de vivre.]
Bref, nous arrivons dans Vang Vieng après une nouvelle journée de bus à rallonge, et parcourons pour rejoindre notre auberge une longue rue aux trottoirs poussiéreux et aux façades défigurées par des affichages criards violemment éclairés au néon. Mise à part les bang bang retentissants d'une auberge de jeunesse, où l'on aperçoit quelques jeunes tituber autour d'une piscine, la ville est silencieuse et presque déserte, glauque, en somme. Le lendemain matin, nous nous rendons compte que Vang Vieng tout entière est dédiée au tourisme : vêtements, produits de beauté, restaurants, bar à jus et agences jouent au touche-à-touche sur des centaines de mètres ; les commerçants ont le visage fermé, et nous suivent à la trace dans toutes les boutiques. Nous mettons cela sur le compte des abus d'autrefois, qui ont dû leur donner, même s'ils en vivent, une image résolument mauvaise du touriste quel qu'il soit.
La première journée, nous décidons de randonner par nous-mêmes, dans le but de trouver l'un des lagons qui entourent la ville. Le soleil de plomb blanchit presque les montagnes, et la campagne, différente de celle du Nord, avec ses maisons en bois foncé sur pilotis, est tout aussi belle. Dommage que ce paysage bucolique soit envahis par les dizaines de buggys conduits par des ... qui nous asphyxient dans un boucan d'enfer.
Après quelques kilomètres, nous nous arrêtons déjeuner, et un grand type dégingandé, au visage émacié et au teint maladif, arrête son vélo et jette presque ses affaires sur notre table, puis demande s'il peut se joindre à nous (oui, dans cet ordre, comme ça, on n'a pas eu vraiment le choix). Encore un Français, nous sommes décidément bel et bien reconnaissables à cette propension à nous émailler aux quatre coins du monde! J'ai-oublié-son-prénom nous jette pèle-mêle et avec force postillons sa vie au visage, et Dieu qu'elle n'est pas bandante, il a cumulé les déconvenues nous explique-t-il, il n'aimait plus son boulot dans le vin (encore une sombre affaire de Chinois à qui on refourguait du Gros Plant sous couvert d'appellation à la française), il a été expulsé de son appartement car sa copine l'a largué, mais elle a tout à perdre, tient-il à nous préciser en se curant le nez. Puis, il nous faire savoir qu'il sort tout juste d'une grosse, grosse gastro, tout en précisant à Olivier qui se plaint d'avoir encore faim qu'il peut finir sa soupe "enfin, je suis partageur si t'es pas trop bégueule". On s'est longtemps demandés pourquoi on a accepté, surtout quand on a commencé tous les deux à se sentir nauséeux sur le chemin, et à verser dans la psychose : "ooooh mais mes mains sont toutes engourdies", "si ça se trouve il nous a mis un truc dedans ce con, de toute façon il était chelou, ROOOH T'IMAGINES IL NOUS A MIS DU GHB?!". Bon, apparemment c'était juste un gros coup de fatigue, que l'on a soldé par une petite sieste dans la campagne, avant de reprendre la route pour le lagon, qui était envahi de gilets de sauvetages sur pattes (je n'en dirais pas plus) et surmonté d'une super grotte que l'on a exploré de fond en comble à la frontale, en sautant de rochers acérés en rochers glissants, et en se disant qu'au vu du niveau d'insécurité optimal, il devait bien y avoir deux-trois cadavres de jeunes bourrés là-dessous.
On s'est avalés les huit kilomètres du retour en marche rapide, mais évidemment la nuit noire nous est tombée dessus bien avant l'arrivée, et nous avons marché longtemps sans croiser âme qui vive, nonobstant un quarantenaire australien qui cherchait un bar-tabac en titubant à travers champs.
Pour le dernier jour, un joli programme nous attend : trekking le matin, avec un paysan guide à ses heures perdues, qui nous emmène voir ses rizières et nous précède dans des champs dont les herbes nous arrivent à la taille, jusqu'à une grotte que l'on traverse entièrement, les pieds dans l'eau, pour déboucher de l'autre côté de la montagne. Puis, tyrolienne l'après-midi : nous échouons dans un groupe d'une douzaine de Chinois et l'organisation est militaire, nous défilons tous encordés de spot en spot à la vitesse de l'éclair, je n'ose pas imaginer ce que cela doit être en haute saison. Deux des filles pleurent de terreur et envient, à travers leurs larmes, mon air stoïque ; pourtant je n'en mène pas large, mais j'avoue que la sensation de passer au-dessus de la canopée à toute vitesse est incroyable. La dernière tyrolienne est un saut vertical, le corps suspendu à une corde que le guide lâche sur la poulie à toute vitesse, et heureusement que ça ne dure que cinq secondes, car cette sensation d'organes qui s'échappent dans un frisson intérieur ne constitue pas vraiment une partie de plaisir.
Dans l'excitation du moment, je convainc Olivier : "Et si on le faisait, ce tour en montgolfière?". On s'offre mon rêve de toujours, celui du jardin de ma maison d'enfance où j'observais, certains dimanches, les ballons multicolores décoller du domaine d'à côté. Une fin de journée en apothéose,dans une nacelle qui se balance et s'élève timidement dans les airs, filant encore plus haut pour replonger et raser la cime des arbres, et nous survolons un paysage qui ressemble de plus en plus à un jeu de société, les carrés parfaits des champs, les rectangles oranges des entrepôts, le bleu des portions de route et la montgolfière de la concurrence qui se balade comme nous au-dessus de la vie des gens. Un coup de lance et le feu rugit, gonflant le ballon qui part à nouveau vers les cieux dans une ascension maîtrisée, car si nous tutoyons trop les nuages l'engin deviendra incontrôlable. Et nous sommes grisés d'un sentiment de toute-puissance : celui, en fermant un peu les yeux, de pouvoir presque se fondre dans la légende de l'Homme-oiseau, si imbu du ciel qu’il défiait sans cesse la gravité de la terre.
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