Pas un soir où l’on ne s’endorme a 20 ans sans cette colère ambiguë qui naît dés occasions manquées
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Merci d’être venu
Dans un coin de la pièce deux chandelles meurent lentement dans leur cire et projettent sur les murs des langues de feu vacillantes, en claire agonie.
Le clair-obscur de la pièce est renforcé par l’âtre que son amant n’a pas pensé à alimenter depuis, apparemment, un certain nombre d’heures.
Pour une fois, il n’est pas fatigué. Habituellement, il n’est pas fatigué ; il est harassé. Trente-six ans et un Empire. Il titube de fatigue d’une tâche à l’autre de l’aube au crépuscule pour le soir venu, s’endormir aussi sec, seul, pour se réveiller à l’aube le lendemain et recommencer. Il n’est pas épuisé - les gens l’épuisent.
Tous - ses maréchaux, sa Cour, sa famille, ses subordonnés. Personne ne comprend la nature de sa tâche, l’urgence de l’action, l’impératif de la réussite. Personne ne comprend l’Empire. Personne ne le comprend.
Celui qui respire dans son cou ne comprend pas non plus l’Empire, pas plus qu’il ne le comprend lui. Mais, avec quelque chose d’attendrissant, une forme de volonté touchante, il essaie.
Bien-sûr il n’est pas avenant, il reste un peu rustre et bougon ; souvent mutique, renfermé voire clairement hostile à son environnement, Jean Lannes, enfant de Lectoure qu’il a fait maréchal quasiment contre son gré, est la seule personne dans tout l’Empire en qui il a confiance.
Ses doigts glissent dans les boucles de jais de son amant et il songe que cet homme, le plus revêche de tous au pouvoir personnel, à l’Empire et au faste, est celui qui lui est le plus loyal. Sans jamais protester, sans jamais se moquer, sans jamais faillir il est à ses côtés, fidèle, inébranlable.
Sans lui, il n’en serait pas là. Il fait confiance à Jean à défaut de l’écouter toujours mais il a besoin qu’il lui parle mal, qu’il le malmène, qu’il l’insulte lorsqu’il doit l’être. Quand il est injuste ou extrême, ridicule ou suffisant, ambitieux ou fou. Il a besoin d’un homme qui le considère comme un homme. Jean ne prétend pas, ne se cache pas ; pour lui, il est un pair, un homme et un amant mais certainement pas un Dieu. Un élu, peut-être, tout au plus.
Il n’approuve pas le sacre, il n’approuve pas le faste, il n’approuve pas la destinée. Mais il est toujours à ses côtés - le jour où il n’y sera plus sera le jour où lui-même, Napoléon 1er, ne sera plus qu’une farce. Et le jour où il n’y sera plus, il sera définitivement seul au monde.
Des fois, il lui faut envoyer trois lettres pour l’arracher à son parc et à ses arbres. Une fois, il a du envoyer un émissaire qui convoyait un ordre impérial pour le faire venir à Paris. Mais cette fois, malgré lui, il a couché toute sa détresse sur le papier parce que tout était trop, tout était épuisant, tout était insupportable sans lui. Et Jean, dans une lettre qui l’a précédé de trois jour, du style succinct qui est le sien pour ce type de message, lui annoncé qu’il se mettait en route.
Le voir annoncé ainsi, en habit d’apparat, encore fatigué d’un voyage fait à bride abattue a été une épreuve terrible. Ne pas être trop heureux, ne pas être trop froid. Ne pas être trop tactile, ne pas être trop militaire. Ne pas sourire. Ne pas bafouiller. Ne pas se laisser aller à cette joie indicible de le voir. Ne pas, ne pas, ne pas parce que la Cour est là, parce qu’elle épie et chuchote. Parce qu’ils ne peuvent savoir qu’il n’attendait que la venue de son maréchal d’amant depuis une semaine.
Il n’a rien dit quand il l’embrassé une fois la porte ouverte, n’a rien demandé quand il l’a refermée, pressant leurs corps contre le battant. Il savait qu’il avait besoin de lui comme on a besoin d’un amant dans ce genre de moments. Tendrement. Entièrement.
Dans la pièce, le feu faiblit et les bougies sont mortes. Sous la couverture, le corps de son amant bouge un peu.
Il lui semble se confesser avant même d’y penser.
“Merci d’être venu.”
C’est un chuchotement mais la pièce est silencieuse et la détresse reconnaissante de l’aveu ne se perd pas. N’échappe pas à Jean.
Son amant se redresse sur un coude, tiré de sa torpeur, et le regarde de cette façon si personnelle qu’il a de le faire. A ses yeux, il n’a jamais été Empereur ; il sait que Jean le regarde comme celui qu’il a suivi en Italie, comme le général républicain qu’il était alors. Comme un génie, selon certain. Il le regarde avec ce mélange d’admiration, de respect, d’amour et d’incompréhension qui font que ce regard est si dur à soutenir quand on se veut Empereur providentiel des Français.
Jean incline à peine la tête, dans un geste qui lui signifie que ce n’est rien, que c’est normal. Puis :
“Ça ne va pas.”
L’affirmation est sans ambages, directe, mais douce. Lui-même n’a jamais résisté à ce Jean-là ; cet enfant de Lectoure qui ne connait pas - et se fiche - des précautions de langage. Et cette douceur attentive dans ses mots, cette douceur qu’il ne lui réserve pas ; avec chaque personne qu’il estime, qu’il apprécie ou qu’il protège il est ainsi. Prévenant, doux, généreux.
Son Lannes.
“Dis-moi ce qui ne va pas.”
Tout à lui, patient, tendre, il attend qu’il parle et le regarde ordonner ses pensées de ce regard dans lequel brille une intelligence honnête et vive.
Tout va mal, il a envie de répondre. Tout va mal au point que je ne sais où commencer : par mes échecs ? par ceux qui me servent mal ? par ma famille indigne ? par l’ampleur de ce qu’il reste à faire ? par mes doutes ? par quoi ?
Rien ne va mais il est là. Encourageant, il l’invite à parler. Et le poids de l’Empire, comme toujours, lui semble un peu plus léger.
Il aimerait lui dire qu’il lui a manqué, qu’il est heureux qu’il soit là. Lui dire plus que “merci d’être venu”. Mais il ne peut pas pour une foule de raisons qui font de lui cet homme écartelé entre un amant et un empire.
“Rien ne va.”
Le second aveu est tout aussi honnête que le premier et teinté d’une autodérision fataliste, relativisée, presque moqueuse.
Jean, à son côté, esquisse un sourire amusé de connivence.
“Pour changer.”
Un sourire tendre qui adoucit la taquinerie.
“J’écoute.”
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21/11/18 (November 21st 2018)
So many things to do but I keep on procrastinating
I love doing my work late at night
I’m gonna regret only getting 4 hours of sleep 🌑
Downtown by Tegan and Sara 🎧
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Santuario della Consolata, Torino, Italy.
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19.05.19
sunday study session for my aristotle exam on friday at the maughan library!
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I’ve been reading about Napoleon’s maréchals and it’s been life changing
From left to right: lannes, murat, & ney
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Allez me chercher Lannes
Il ne pense pas avoir fait de campagne plus dure. Toutes ces années, toutes ces expéditions et jamais une telle fatigue. Rien ne l’épargne et tout lui pèse. La boue, par exemple ; elle s’étend à perte de vue, elle aspire des bottes, engloutit des soldats, use des hommes. Elle est partout, colle et s’accroche, alourdit et agace. Trois cent kilomètres dans ce pays maudit et partout de la boue, et partout des champs, et partout le vide.
Une fuite en avant, un course vers rien, une recherche sans fin. L’Europe n’est qu’un continent, qu’une carte, à peine des lignes tracées par l’Homme. Elle connait une fin, théoriquement, sans qu’elle n’existe vraiment. Il veut l’atteindre. Il le désire ardemment. Mais la boue est là, partout, sur lui, sur ses hommes, dans sa tente, dans sa tête.
Tout est morne, tout est gluant. Tout colle.
Ils n’avancent pas et l’hiver, lui, se rapproche. Deux semaines au même rythme et ses hommes finiront par manger du cheval assaisonné de poudre de canon. Ce n’est pas ce qu’il leur avait promis ; ils rêvaient tous de pourpre, de gloire, de liesses. Ils aspiraient à servir leur Empereur et à grandir la France. Et les voilà, eux, soldats de la Grande Armée, jusqu’au genou dans cette boue infâme de ces pays froids, morts, sans âme.
Il veut rentrer. Il veut Paris. Il veut aussi Madrid. Il songe à de la boue, encore, mais en Italie cette fois. Il remet cette main rude, pressante, qui l’aidait à s’extirper de la vase. Celle de Lannes. Sa voix rauque, hachée et blessée, épuisée et haletante, sa voix exaltée, sa voix d’homme, de chef, de sauveur. Sa voix qui, entre les boulets et les balles, lui dans la vase, lui demandait si ça allait.
Ça allait.
Ça allait dans cette pièce éclaboussée des lumières d’une vaine pyrotechnie comme ça allait dans ce grand jardin aux infinis tons de vert dans lesquels il le précédait, expliquant avec une fierté certaine que les arbres reproduisaient Arcole. Ça allait à Madrid comme ça allait au col du Grand Saint Bernard. Ça allait. Avec lui, étrangement, ça va.
“Marbot.”
L’aide de camp se fige et s’incline.
“Allez me chercher Lannes.”
L’ordre de Sa Majesté est immédiatement exécuté. L’aide s’éloigne, empressé.
Dans une minute il sera là.
Ça ira.
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