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magdalena-mojennarmor · 2 months
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Ces deux jours sont passés comme deux pages d'un livre qui glissent entre les doigts. A l'intérieur de ces deux pages, où des ornements blancs scintillent, se déroule notre longue errance, notre compagnonnage entre les rues qui cavalent. Lieu de notre véhémence, Rennes était à ces instants citadelle de silence, ville engloutie et solide sous nos mouvements liquides. Nos fêtes ont quelque chose de triomphant et d'échoué, de flammes assourdies. Je suis affamée de silence et de faste. Le voile angélique de l'hiver rend les rues plus réelles, elles étincellent en dehors de nous qu'elles bordent et égarent, mères distraites, oublieuses, pierres où claquent nos ennuis. Notre rythme clopine en spirale, on perd le fil, ce n'est pas la frénésie des engins qui foncent, c'est de la chansonnette un peu sale dont les aigus s'évaporent dans la mousse des bières.
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magdalena-mojennarmor · 2 months
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Elle rentre alors que la nuit était déjà tombée. L'hideuse église au centre du carrefour avait gagné une sinistre majesté grâce à cette ténèbre agissante dont la profondeur unie étouffait l'édifice des choses. Les bâtiments ne respiraient plus selon la cadence humaine, ils s'était rendus, passifs, à l'étrangeté du ciel. Cette église, dont les vitraux criards, mordants, théâtralisaient avec peine la solitude, cristallisait l'abandon du passant, qui lui hésitait à rejoindre le bar du coin ou bien à se coucher à demeure. Sa pose mobile ou fixe définissait à merveille l'anonymat de cette heure, de cet endroit. La banalité de ses gestes semblait plus tragique encore que la tristesse de ses traits.
Depuis qu'elle était adulte et sans pouvoir discerner le commencement de cette ère, Violetta éprouvait face à la noirceur enveloppante des villes un malaise de vieille fille. Elle ne l'aimait plus comme avant, avec sa passion d'adolescente. Il y avait les nuits d'avant et les nuits d'aujourd'hui, qui se faisaient face en elle, des entités distinctes, antithétiques. Leur nature opposée ressemblait aux phases extrêmes d'une romance amoureuse, engagée dans des flambées d'ivresse puis progressivement déchue dans une opacité froide, où même l'idée d'un crime ne pourrait naître. La nuit d'adulte est une nuit dépeuplée, c'est un gouffre qui s'ouvre à la surface du bitume et engloutit les insignes et rumeurs qui faisaient le monde. Les quelques présences qui s'y trouvent semblent subir le hasard qui les y a placées. Ces présences ne rassurent personne, elles renvoient, avec une complicité triste, à la fragilité de nos propres pas, qui se suivent et résonnent sur les pavés, devenus invisibles et déserts.
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magdalena-mojennarmor · 2 months
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Tout n'est pas que merde et foutre.
Tout n'est pas que viol et noyage.
Tout n'est pas que saccage d'innocence.
Mais il y a une gamine de treize ans, sur le sol assise, le dos courbé, les bras noués à ses genoux qui tremblent. Et entre ses jambes, il y a la couleur de l'aurore poignardée. Petite fille que j'aimerais entourer d'une lumière immortelle, pour que la mort en elle guérisse. Que l'instant retombe à terre, que le monstre ne soit qu'une illusion trahie par l'effraction de la lumière, que la fille se relève par la force d'oubli dont recèlent les innocents, qu'elle soit debout, non pas de l'attitude de fierté et d'honneur qui appartient aux âmes déjà abaissées, mais qu'elle se lève avec l'ignorance des astres, dont l'éclat n'est pas brûlure, qui sont sans soif, ni pardon et qui ne font que jurer. Qu'elle retrouve la gaité de l'avent, l'hiver au centre duquel brûlent les pourritures du monstre.
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magdalena-mojennarmor · 2 months
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Les Anciens crurent que leurs routes étaient noueuses, tortueuses et âpres parce que le Destin régnait, par-dessus leur tête pieuse. Et nous, fils de notre monde, ignorant les astres, on se prête parfois à de romantiques répliques: "mon destin a croisé ta route", "j'étais faite pour ce métier", on parle de "vocation". Mais foncièrement on estime ses expressions être les débris d'un passé défait, les restes d'un mensonge, d'une supercherie dont les Anciens étaient les heureux dupes. On croit que ce qui préside à notre vie est notre propre volonté: on fait notre vie, on la forme, on la crée, on consent à quelques idées de l'immuable puisque l'humain est ainsi fait, mais ces idées ne sont qu'un éclairage livide, utilitaire, pour rendre la route supportable. Au final, après que la force déployée se rompt, on observera l'ouvrage, l'œuvre dissonante de notre vie et on posera dessus notre signature de maître.
Ainsi, Antigone est flottante sur le fil qui sépare le vieux monde du nôtre. Elle savait que le destin avait brisé son père, dévasté ses frères. Elle savait le poids des mots humains, lorsqu'ils se laissent emplir d'incantations divines. Elle savait que le sort aime à s'acharner sur les consciences souveraines, qu'il aime à poursuivre la chèvre au pelage blanc, elle savait son goût de la souillure, de l'humiliation. Alors, elle posa un acte qui exigeait une grandeur inhumaine. Par le sacrifice, elle pu accoucher d'elle-même. Devenant un monstre, elle s'accomplissait enfin et s'érigeait.
Le Dieu des chrétiens, le nôtre, a posé cet acte: consentir à la mort, y descendre, y rester, s'y dissoudre, afin qu'avec Lui meurt la mort elle-même. Il est mort pour que vivent ses fils. Antigone s'est tuée, au détriment des vivants. Et sa mort ne ranima pas son frère. Elle a permis en outre que, dans la mêlée des ombres, la sienne reluise, à la manière d'un vers.
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magdalena-mojennarmor · 3 months
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Le désert se traverse.
Cette fille là est trop seule et l'étoile qui s'éteint à la même lueur qu'elle, seule dans la poudre noire.
Sa vie ressemble aux songes que l'on fait en quittant
La patrie que l'on aime, que l'on oublie pourtant.
Cette fille se ronge elle-même dans cette brave errance,
Trop vaste pour ce coeur que l'horizon dévide.
Et pour que dans ses veines s'assoupisse le serpent,
elle s'enivre de parfums, d'amourettes colorées,
mais l'odeur qui triomphe est celle du foutre fumant.
L'étoile qui la protège suffoque sous la brume,
On dit qu'une tempête saura la ranimer.
La voilà impatiente qui s'éprend des mirages.
La voici qui plonge dedans sa main gantée
mais ressort plus blessée qu'une enfant qui retombe,
la bouche barbouillée de myrtilles ou de sang.
L'amour resté en elle par moment brille encore
et soulève son coeur d'un refrain assoiffé.
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magdalena-mojennarmor · 4 months
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Un fille très jeune sur un très vieux rocher s'assoit et fume. La fumée à sa bouche comme un serpent circule. S'approche vers elle une femme osseuse, aux angles étoffés de lourds voiles. Elle pose sur la petite un regard de craie dure. Puis, elle parle:
Telle que je te vois, petite, tu tiens dans chaque main et le bien et le mal, tu pétries le cou de cet oiseau sinistre et t'amuses du sang qui coule dans tes paumes. Sa douleur t'amuse, et la souillure te plaît. Tu ne crois ni en lui ni en la force qui le broie mais adores le sang qui encrasse tes doigts. Tu refuses de mener cette vie qui t'inonde. Passant comme une voleuse sous les enseignes vives, tu ricanes du spectacle des galeries luxueuses et à chaque table tu t'invites pour te moquer au mieux du festin des convives. Tu crois la solitude qui te ramène le soir plus vibrante et belle que toutes les voix du monde. Tu crois qu'elle en est pleine, de toutes ces voix, comme tu crois les landes pleines d'étés et de meurtres.
Certains mots prononcés te font tressaillir: navire, blessures, crime, nuit, joyaux. Ce genre de mots répandent en toi une gloire d'élection. La laideur te fascine comme l'ultime miracle, couronnement des têtes de l'ombre. Tu t'en vas chaque jour chasser la rencontre de ces infréquentables, de ceux-là qui restent quand la foule s'écarte. Tu voudrais éprouver leurs lois, partager leur langue, leur vermine, hanter leur voie. Etre des leurs, qu'ils te rebaptisent et te marient à l'un d'eux; le plus brute et sordide et dont tu admireras les yeux.
Quand tombera sur toi l'odieux frisson, tu te retourneras la bouche pleine de malédictions.
Les mots auront fané. Les trains seront passés. Les horizons affaissés sous ton corps devenu mûr. La route s'imposera: immense, droite, implacable. Comme chacun l'a fait, tu t'y engageras, toi, le reste de ta force et tes armes. Tu auras le front fier des infirmes, la bouche sèche.
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magdalena-mojennarmor · 4 months
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Notre époque a pu bénéficier d'une créature dont ni Baudelaire, ni Nerval n'auraient pu rêver. Sous les éclaboussures de lumière, elle était offerte comme un dernier soleil, livrée à la dérive d'une scène, en laquelle se jetaient mille regards grouillants. Ses accoutrements étaient sans commune mesure: coiffure gigantesque, corset étroit d'où battait sa pulpe jaillissante, tout était maintenance fébrile de cette force instable. Les bonhommes noirs offraient leur chœur velouté, leur danse chaloupée afin que s'y reposent les élans de sa voix, mortels et grandioses. Elle avait su inventer, du sein inerte de la terre, des nouvelles misères, des misères vierges et sauves. C'est elles qui rendaient sa voix suave et grondante comme les éveils irrités de la mer.
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magdalena-mojennarmor · 4 months
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Personne n'était là quand Uranie, écartant le rideau en dentelle, vit la nuit effondrée sur le jour.
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magdalena-mojennarmor · 5 months
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A l'alchimiste après avoir vu Ophélie
La mélasse indifférente des gens
Les rires cataractants, les gorges gueulantes
La solitude plus aiguë encore dans ce coin
que lancine cette joie mousseuse, émoussée
Jouée par de si grands comédiens.
Savoir dans le fond qu'aucun de ces ivrognes ne saura
Me soulager d'un regard vrai et franc,
Mais s'aveugler quand même pendant une longue heure
Et se forcer à rire, à sourire, à paraître.
Puis, marcher le long du port où l'eau reluit d'une force plus sombre qu'elle-même, marcher vers le silence de la ville, où le frisson des navires est tenu par le frôlement de l'air.
J'appelle Maël qui répond et me console.
Goûter au miel de sa voix, bercée de soleil et de nuit calme, miel qui dans mon cœur s'écoule. C'est déjà assez de l'avoir, lui qui orne mon passé d'une cicatrice d'or, lui qui justifie la guerre, l'absurde et l'échec, lui dont la caresse légère se pose sur ma joue comme sur sa propre enfance, fidèlement. Lui qui feignit de s'éloigner pour revenir toujours et se cacher près de moi. Comme je me cache près de lui, et le veille en secret.
Maintenant la mer est plus noire que le ciel
Son grondement à ses pieds est un renversement
Incliné vers elle qui éclate, le ciel la regarde et se fascine lui-même.
Fouler le goudron de la vie, transpirer sous l'armure, sentir l'âme se fendre, mais demeurer au bord de cette immensité, la nuit et le ciel, l'un dans l'autre contemplés. La ligne de l'horizon se suspend dans la noirceur des astres. L'infini du ciel se ravale dans le gouffre qui s'argente à ses pieds.
Assise face à la mer je vois son sang fougueux et froid, ce chant d'amour où la violence et la plainte ne sont ni violence ni plainte mais volupté sans mort, mais mort au charme paisible, mais sifflement des sirènes où toutes les passions humaines s'endorment et rêvent, s'éteignent et chantent.
Si, comme le dit Baudelaire, la mer est le miroir de notre âme, elle n'en est que l'image. Notre peine, notre haine, notre amour, elle les idéalise, au travers des bouleversements infinis de sa chair sans douleur. Elle est donc la réalisation la plus inhumaine de l'âme humaine, la vocation de toutes nos afflictions, de tous nos pleurs: une vague qui s'élève, se délie et se noie dans son propre sein.
Peut-être parce que la mer est née avant la terre, elle naquit avant la souillure, qu'elle miroite infiniment et sublime.
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magdalena-mojennarmor · 9 months
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Je m'interroge sur la véracité de ce qui a eu lieu. L'histoire que je veux raconter n'en est une pour personne. Mais elle vit en moi et gravite autour du réel, l'orne, le condamne au mystère.
Dans nos villes à nous où tout flotte, où les vapeurs de l'alcool ont des à coups morbides, où les yeux luisent de désirs, où l'on sait jouer tristement, à la perfection, l'extase, ces yeux-là me reviennent, ces grands yeux bleus, ces mains-là qui m'ont prise passionnément, et ce nom donné, comme un emblème: le marin.
J'ai quitté Saint-Malo et l'ombre du marin. Qu'entre ses enceintes la ville s'allume, ses ruelles, ses façades closes et les bars tuméfiés où se croisent et se décroisent les mêmes raclures superbes, que tout ce monde s'agite et se regarde vibrer: je n'y suis plus pour un temps. Que retentisse mon absence devant les fanfares, sur les pavés, qu'elle résonne au sein des rumeurs.
Je suis cette petite reine provocante, aux accents fiers et tristes. Ils ont voulu me déshonorer mais ma pureté est sauve. Je n'ai pas menti aux gens. Qu'ils me rejettent, me jugent ou m'acceptent à leurs côtés, j'appartiens à cette ville presque autant qu'eux. Mais je sais me soustraire à sa rigueur, à son emprise, à l'étau de ses regards murés. Je ne suis la prisonnière de personne.
Il y aura d'autres marins, d'autres confidences, d'autres mains liées. Rennes peut m'oublier, j'ai ma ville à moi maintenant, ma plage, ma mer, mes bars où je promène mon vélo, mes bijoux, mes robes, mille fois réinventée. J'habille ces rues qui m'habillent de leurs échos mélancoliques. Je ne me justifierai de rien. Tu n'as ni ami ni amant? Non mais je marche dans des poèmes dont vous faites partie, il y a Dieu derrière moi et la Mort devant.
Je traverse la rue au bout de laquelle apparaît la terrasse de l'alchimiste. Le bar se profile dans une nuée de silhouettes lentes et secouées. Adossé au mur d'en face, le marin se tient, grand et large, la tête sympathiquement courbée vers les autres qui lui sont des camarades presque amis et respectés. Il m'aperçoit et sourit, fixe mes hanches qui ondulent dans ma marche vers lui. J'arrive à sa hauteur et lui tend ma joue qu'il embrasse civilement, avec sa sympathie naturelle et froide. On se regarde et échange quelques mots avec ce sourire poli qui cherche à se dépêtrer de la gêne en s'exagérant. Mais nos sourires et nos paroles sont comme ceux des morts que l'on rencontre à la croisée d'un rêve, alors que la vie leur a interdit toute entrée, toute sortie, toute apparition dans son décor. Tout en eux a l'apparence de la vie et pourtant tout évoque leur trahison. Ils ont le regard fixé vers des gravités absentes. Ils ont des gestes démesurés. Une tendresse vague, sinistre. Une retenue glaciale.
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magdalena-mojennarmor · 1 year
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 L’œil tassé de noir, les filles sont dehors
ennuyées sous la soie de leurs châles invisibles,
Etalant l’orgueil de leurs jambes presque noires,
velues d’un fin duvet de vigueur puérile.
Les chats sont en meute et miaulent par saccades
Comme des chœurs tragiques pour annoncer le cri
Du coq, et reluisent leurs démentes pupilles
Transperçant le pelage sombre de la ville.
Ces filles accroupies ont un parfum qui rode,
elles montent la garde, pouilleuses, sous l'enceinte close.
Et l'église attend dans ses airs de gloire.
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magdalena-mojennarmor · 2 years
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Mélina, dans la ferveur de ses discours, gardait le front froid. Ses longs doigts s’ornaient de mouvements furtifs et parfois larges mais sa voix demeurait souveraine, elle marchait à pas égale, se cambrait vers les hauteurs et se repliait par moment pour ramasser en bas quelques accents rocailleux mais tout cela etait dans une quiétude troublante, comme un halo millénaire d'où affleuraient ses phrases. Lorsqu’elle commençait à parler, le monde se rétractait, semblait se sauver sous un voile de pudeur, afin de mieux l’entendre. Elle avait l’art de parler de tout ce qui l’entourait, même des choses les plus insipides, d’une regard elle frôlait le monde et de tout son corps elle le rendait, comme si elle en eût éprouvé les moindres recoins, comme si l’obscurité venait se confier à ses oreilles à l'heure où le monde se livrait aux fantômes. La parole lui était plus évidente qu’un souffle, plus suave qu’une larme du soleil, elle s’amusait à perturber son rythme, à chalouper ses intonations quand elle sentait que les regards autour d’elle retrouvaient leur éclat pauvre et avide. Sa voix alors devenait titubante, chevauchant les idées comme des immondices précieux et feignant d’hésiter de se salir à leur contact, elle trébuchait sur des phrases anodines et soupirait les grands concepts, mais toujours, c'est chétive qu'elle avançait dans le langage comme dans un champ de bataille où ne subsistait plus que l’odeur du massacre. 
Ce qu’elle aimait le plus, c’était parler du passé, de cette époque qui appartenait à la mort mais dont elle arboraient fièrement les marques, même si ces histoires n’étaient siennes que parce qu’elle les avait inventé de fond en comble et puis caché dans son ventre, là où elle-même s’ignorait. Ces histoires l’avaient inventée, l'avait recueillie et reconnue comme leur enfant le plus chéri et leur noyau le plus noir.
Il ne lui arrivait que si rarement de se reconnaître comme menteuse. Une fois, un soir, après avoir quitté un cercle d’amis qui l’avaient bordé d'une écoute vibrante, elle rentra chez elle par des dédales serrées et fugitives et se crut épiée de travers. En un éclair, elle se trouvait seule et habillée, son cuir et ses bottes plaquaient sur sa peau des regards plus acérés que l’air froid. Et puis elle croisa son reflet dans la vitre d’un coiffeur et ce fut comme ce qu’il se passe quand un enfant reste muet sous les railleries des autres enfants; elle resta inerte, elle s’observa, comme pour s’inscrire définitivement dans la blessure qui s’ouvrait alors à ses pieds.
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magdalena-mojennarmor · 2 years
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La petite fille courait les pieds nus sur la route qui s’insinuait dans le flanc d’une forêt dont la cime s’acérait contre un ciel de plomb. Ses foulées maudissaient en tonnant cette route sinueuse, les pieds meurtris frappaient par petits coups, vifs et sourds contre le bitume que crevait une fumée étouffante. La gamine ne portait qu’une robe éventrée au dessus des reins, ses pieds souffraient. Elle avait de l’or dans ses yeux sombres qui la tiraillait comme une blessure. Elle s’avançait vers la couronne d’arbres secoués au son d’un mauvais vent, rapprochant leurs bras stridents sous le sourire d’une nuit débauchée. Le sang, sous sa peau de vierge, vibrait de peur.
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magdalena-mojennarmor · 2 years
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Les femmes font de la maison qu’elles habitent un corps gigantesque qui est le leur. Et sous cette voûte, les cous s'inclinent, les mains se tordent. Et les ornements pendent et stagnent. Les hommes éventrent les poissons, jettent dans l'évier les carcasses mais elles ont tisonné le sang. En dessous de l’escalier qui mène au garage, il y a la peinture d’un marin que l’on a toujours pris pour notre papy, parce qu’il est de dos, et qu’il regarde la mer. Son corps est bien bâti, solide sous ses habits de mer, immobile sur la rive placardée au mur. Mais pourtant, il est déjà un bout de la mer et un mort pour nous. Alors, dans ce recoin, le silence est tremblant, comme une vieille porte pourrissante. Les tapisseries de fleurs, les meubles et leurs ombres, les couverts, les bijoux graisseux, les assiettes, tous transportent l’énigme, tous montent la garde. Et la maison respire, elle nous tient orphelins. Et les miroirs répètent sans fin nos visages murés qui ne savent même plus si ils sont frères et sœurs, oncle ou tante, mari ou femme, ou seulement oubliés dans une nuit où ils se rêvent en autres. Et nous connaissons tout et pourtant tout est trouble. Nos gestes se poursuivent et passent entre les astres en se faisant aveugles, mais devant les murs, on s’arrête toujours, pensifs soudain, rêvant du jour où la tragédie, lascive, s’y étalera. 
Chez la mère de mon père, tout est empreint d’une saleté inavouée et mendiante, on entend sa voix de petite fille indigne traîner dans les fausses fleurs, démanger nos voix feutrées. Une petite lampe de porcelaine coiffée d’un abat-jour ressemble à une danseuse sans rêve, dont les gestes soulèvent des massacres ensevelis. Les objets sont si dociles dans leur insignifiance qu’aucun yeux ne vient essuyer leur solitude. Chez Odette, les objets mêmes seuls, mêmes repoussés, mêmes laids, continuent de maugréer leur sale histoire. Les tableaux nous arrêtent dans nos circuits quotidiens et nous parlent et nous attirent dans leur impasse
Il y a un mois, les médecins ont déclaré le cancer de Mamie Odette, cancer du pancréas, lié, selon des interprétations obscures aux problèmes d’argent, à la rancœur et aux conflits familiaux. 
Ma grand mère est une reine. Sa souveraineté n’est pas celle d’un calice au centre de l’autel, ni celle d’une rose, ni même celle que l’on attribue aux yeux tendres d’une mégère en tricot. Odette a cette majesté traînante et sourde, dont l’épaisseur se tord dans les branches souterraines. Son teint est blanc, ordonné par les cosmétiques  mais travaillé bien plus par des flammes invisibles qui fondent un drame précieux drapé de toutes ces rides: elle est le phare où la famille s’amasse. Quand elle dort, ses ronflements sont un ravage, une complainte qui subsiste et traverse les nuits et fait rugir le froid de la grande maison vide. Sous sa poitrine, dans ses artères, les glaires circulent, s’enveniment, ils rampent. L’un contre l’autre, ses ronflements recouvrent son sommeil d’une musique de chaînes. La journée, son sourire est rare, il affleure les vagues poudrées et s’efface devant le silence où ses yeux sévissent, d’une violence suspendue, bleue et livide. Sa beauté, de meurtrissures épaisse, résiste dans le lieu vide qu’elle n’habite plus. Vieille femme à moitié vaincue, Mamie est surtout sans age, une voix de grève qui roule, et roulera toujours, redressant les odeurs froides, elle sifflera dans les arbres, entrera dans tout, versera dedans tout ce qui n’est pas des mots, tout ce qui ne s’achève pas, ni n’atteint le salut, en tout elle versera ce sang redoutable.
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magdalena-mojennarmor · 2 years
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Samedi 16 juillet
Ça y est, le cercle est disposé : le café noir, le briquet, la cigarette et ma main qui mène la cérémonie, dans mon dos un ivrogne blond assoupi à sa table, une rue où s'ordonne le défilé des passants, tous trempés dans la même sauce balnéaire, tous flânant, chaussés de tong ou d'espadrilles, des couples vieillards courbés et tassés dans leur silence, pâles, le vent timide et gracile sur les treilles, le chant des mouettes fusant et gorgé de sel, de stupides conversations qui viennent et qui s'étiolent. Et dans cette tranquillité, dans le charme de l'été, je suffoque à l'idée du néant, je n'arrive pas à vivre.
Je change de place, l'ivrogne est désormais en face, il somnole, il est jeune et ne porte ni la crasse ni la honte, il rêve dans une douleur légère qui arrondit ses traits. Sa tête est posée sur ses doigts repliés, ces cils recourbés tracent un arc sombre où passent des rêves durs l'embrassant tout entier, lui dont les traits sonnent justes, dont la gestuelle fixe exprime un calme abaissement.
J'ai travaillé longtemps à rejoindre une norme où m'établir en sûreté, pour la même raison de tous, bien sûr : être aimée. Pour cela, il fallait la saisir, cette norme, en comprendre les contours, en deviner les entrées. Les années s'accumulent, l'éclat s'amoindrit de mon originalité, il ne reste plus qu'à assumer l'aspect lourd, encombrant, increvable de ma bizarrerie.
C'est fou, le dernier mot que j'ai écrit s'est aussitôt incarné dans un petit monsieur qui a fait irruption pendant que je grattais. Aussitôt qu'il m'a vue, entourée de mes livres, il me parla avec une grande distinction dans sa langue, dans sa tenue, dans son élocution. Il me questionne très naïvement sur la vie intime, avec la brutalité vive d'un enfant, mais sans jamais sourire tandis que ses grands yeux tremblaient et s'ouvraient à l'infini. Je realise que le garçon de vingt-cinq ans n'a jamais touché au péché, que c'est un puceau aux traits d'homme. En 10 minutes de conversation, nous avions traversé quelques-uns des grands aspects de la vie. Puis, il salua la serveuse, elle méprisa son salut. Une fois parti, elle me demanda si ça allait, si il ne m'avait pas embêté. Je lui répondit que non, que je l'avais trouvé mignon et touchant. Elle sourit en disant qu'il était un "simplet très bizarre mais pas méchant". Pour conclure, il y a toujours plus bizarre, saugrenu et méprisé que soi et aussi braves soient les gens, ils auront toujours besoin de se prémunir des âmes pures.
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magdalena-mojennarmor · 2 years
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Les câlins
Rennes est couchée où vont les vents courbés 
De ceux que secoue une dernière ivresse.
Leur jeunesse est si lâche
qu’elle les tient mollement au bout las de ses fils.
Brûlés, ils se pavanent et de doigts décollés miment un geste d’offrande.
Les voilà qui partagent un reste de vinasse non souillée par la cendre.
Un amour se promène parmi la ville debout, et tous ses rites éteints,
Débraillé, descellé, il avance à l’aveugle
lent et sans avenir.
La nuit a bien tourné et tout deux on repose
dans un grand lit volé, 
Maintenant nos deux corps au sein d’une étreinte close.
Couchés dans un amour qui n’est plus le nôtre,
je te serre dans mes bras, passe ma cuisse sur ta hanche,
et tranquille tu reposes
étoilé de sueur comme le sont ces roses
qui recouvrent les murs des maisons des défunts.
Nos deux corps réunis font de chastes dessins,
interminables et tendres, ils se poursuivent dans l’ombre:
tantôt je suis la liane et toi le tronc virile,
tantôt nous sommes biscuits grillant au fond du four,
tantôt je suis le lange et toi l’enfant qui bouge,
avant que vienne l’oubli qui sait bien tout corrompre.
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magdalena-mojennarmor · 2 years
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PHÈDRE
Les moments me sont chers écoutez-moi, Thésée :
C'est moi qui sur ce fils chaste et respectueux
Osai jeter un oeil profane, incestueux.
Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste :
La détestable Œnone a conduit tout le reste.
Elle a craint qu'Hippolyte, instruit de ma fureur,
Ne découvrît un feu qui lui faisait horreur :
La perfide, abusant de ma faiblesse extrême
S'est hâtée à vos yeux, de l'accuser lui-même.
Elle s'en est punie, et, fuyant mon courroux
A cherché dans les flots un supplice trop doux.
Le fer aurait déjà tranché ma destinée ;
Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée :
J'ai voulu, devant vous, exposant mes remords,
Par un chemin plus lent descendre chez les morts.
J'ai pris, j'ai fait couler dans mes brûlantes veines
Un poison que Médée apporta dans Athènes.
Déjà jusqu'à mon cœur le venin parvenu
Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu ;
Déjà je ne vois plus qu'à travers un nuage
Et le ciel et l'époux que ma présence outrage ;
Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté
Rend au jour qu'ils souillaient toute sa pureté.
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