OS Harry Potter - “I write only because there is a voice within me that will not be still” ― Sylvia Plath"
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Mon premier amour.
Tu as été mon premier amour.
Avant toute autre fille, tout autre garçon.
Tu as été mon premier frisson, ma première tension, mon premier désir.
Tu as été celui dont mes lèvres se languissaient le plus. Nuit et jour, mon corps appelait ta chaleur, le doux engourdissement dont tu lui faisais cadeau.
Je préférais ta compagnie à n'importe qui, à n'importe quoi. Et quand tu me manquais, j'aurais vendu mon âme au diable pour quelques minutes de plus avec toi.
Mes amis, ma famille, personne ne comprenait vraiment que je t'aime autant. Mais personne ne s'en inquiétait, c'était normal pour mon âge après tout, cette passion violente.
Tu étais, tu es encore, très populaire. Tout le monde te connaissait, beaucoup te fréquentait. Mais je me convainquais que personne ne t'aimait comme je t'aimais, et inversement. C'était peut-être vrai.
Personne ne l'a fait, mais si on m'avait demandé d'expliciter cette attirance, ce besoin de toi, j'aurais eu du mal à poser des mots sur cette souffrance sourde et absurde, ce manque. Avec toi, je flottais. Plus rien ne pouvait m'arriver. J'oubliais tous mes problèmes. À quatorze ans, c'était à ma relation brisée avec ma sœur que je voulais échapper, et à dix-huit ans, c'était à son fantôme. Évidemment, tu ne me procurais aucune solution. Mais ça faisait du bien de me sentir normale, et même cool. Enviée.
Convertir mes émotions en mots et phrases a toujours été difficile pour moi. Petite, j'étais la gamine qui hurlait et pleurait, et en grandissant, j'ai commencé à m'exprimer de manière moins conventionnelle. Le chaos était mon maître mot. Il n'y avait qu'en son sein que je m'épanouissais, surtout si j'en étais la créatrice. C'est peut-être pour ça qu'on s'est si bien entendus, toi et moi. Toi aussi, tu sèmes la destruction partout sur ton passage. Sauf que toi, tu ne te fais jamais punir.
J'avais parfois l'impression d'avoir plus d'heures de colle que d'heures de cours dans la semaine. Et je copiais plus de lignes que je prenais de notes, ça, ce n'était pas une impression. Pour moi, la réussite scolaire, c'était se faire porter à bout de bras à mes soirées organisées dans la Salle sur Demande, applaudir après avoir remporté haut la main le concours de shots, saluer dans les couloirs de tous les côtés. Ce n'était pas l'avis de mes parents, mais à part me faire la leçon en recevant mon bulletin de notes, ils ne pouvaient rien faire de spécial. Ils n'auraient pas pu me reprocher ma relation avec toi ; ils n'en savaient rien. De toute façon, cela faisait partie des choses qu'on ne disait pas à ses parents.
Notre lien a évolué en fonction de l'étape de ma vie que je traversais. Adolescente fêtarde, tu m'accompagnais jusqu'au bout de la nuit, tu me tenais la main quand je dansais. Avec toi, j'étais une meilleure version de moi-même, plus sexy, plus cool. Puis, jeune adulte dépressive, toi seul parvenais à m'extirper de ma torpeur, à remplacer une souffrance par une autre. Le manque d'Isla contre le manque de toi.
Tu étais le compagnon idéal car tu ne me demandais pas de parler, de me souvenir, d'expliquer, de raconter ; tu ne me reprochais pas d'être égoïste, tu ne t'intéressais pas à mon histoire, à ce que j'avais fait et pas fait.
Parfois, je le regrettais, j'essayais alors de parler, mais bien sûr, tu ne me répondais pas. Alors je plongeais mes lèvres en toi, je me concentrais sur ta chaleur pour ignorer ton amertume.
Je me demande si mes proches faisaient de même pour moi.
Je vivais dans un monde parallèle où rien ne pouvait m'arriver car tout m'était déjà arrivé. J'avais l'impression d'avoir vécu mille ans. J'étais une très vieille femme qui ne désirait qu'une chose : s'endormir doucement pour ne jamais me réveiller. Et quand je te goûtais, quand je buvais, cela faisait cet effet.
Dans mes moments de folie, je regrettais de ne pas avoir pu te présenter à ma sœur, qu'elle ai connu ton étreinte et échappé au mal qui la rongeait.
Mais ce n'est pas ce qui se serait produit et je le savais.
Ma famille n'avait pas compris à quel point Isla souffrait, alors ils refusaient de faire la même erreur avec moi. À chaque fois que je les voyais, leurs yeux se changeaient en ruisseaux de pitié. À chaque verre que je buvais - le moins possible devant eux, j'avais droit aux mains sur mes épaules, aux numéros de téléphone et adresses de psychiatres réputés. Alors, j'avais décidé de ne plus les voir. Je me suis terrée dans le studio qu'ils me louaient parce que j'entretenais l'illusion de faire des études.
C'est drôle, mais l'alcool est la drogue sociale par excellence. Personne ne s'est jamais demandé pourquoi je m'enfilais six whisky-Pur-Feu secs à l'âge de quinze ans. C'était normal, normatif. En comité réduit, il fallait bien quatre ou cinq verres de Bièraubeurre pour déverrouiller la remarque rieuse "Bah dis donc, Maisie, ça descend bien ce soir !"
Ça descendait bien tous les soirs. Pas besoin de fête. Dans les pires moments, lors de ma première année d'université, je trempais mes cornflakes dans de la vodka. Ce n'était pas pour m'amuser.
Boire accompagné est cool, boire seul est inquiétant. On a cette image de l'alcool associé à la fête, aux amis, à l'euphorie. On boit pour avoir le contact social plus facile, pour se sentir moins gêné, pour être plus drôle, plus sympa, une meilleure version de soi-même. Même boire pour échapper à ses problèmes est romantisé. Tout le monde boit. Et tout le monde a oublié pourquoi tout le monde boit.
Si tu dis que tu ne te drogues pas (en admettant que ce soit une affirmation commune), on te regardera sûrement avec un sourire amusé. "Encore heureux !"
Mais si tu dis que tu ne bois pas, ou pire, que tu ne bois plus, la question tombera comme un couperet : "Ben, pourquoi ?"
Parce que, restera toujours ma réponse glaciale.
Parce que la souffrance et l'inquiétude dans les yeux de mes parents.
Parce que le souvenir d'Isla toujours aussi douloureux, peu importe le nombre de grammes dans mon sang.
Parce que la gorge sèche et les mains glacées et l'envie de gerber et ma tête dans un étau et le monde invisible et incompréhensible et le besoin incontrôlable et la peur la peur de mourir
Parce que ta brûlure et ton amertume et ton poison et cette solitude
Parce que ses lèvres et son étreinte et sa chaleur bien meilleures que les tiennes
Parce que son sourire et ses mains et ses yeux dans lesquels je vois le reflet de celle que j'aurais toujours dû rester.
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Egoïste.
Toute petite, j'ai compris que je pouvais aisément faire faire aux gens ce que je voulais. Qui n'en aurait pas profité ? J'ai eu la chance de grandir avec deux mères aimantes, et financièrement stables, ce qui aidait. Elles étaient prêtes à tout pour combler le moindre de mes désirs, tremblant à l'idée que je puisse me sentir éloignée d'elles, pas vraiment leur fille, sous prétexte que j'étais adoptée. Je n'ai jamais ressenti cela. Mais c'est sûr qu'il m'est arrivé de le mimer, sachant que cela me permettrait d'obtenir la robe que je lorgnais, le jeu vidéo qu'il me manquait, le portable qui me faisait de l'œil. Encore une fois, je n'ai pas l'impression d'avoir fait quelque chose de mal. Je ne faisais, je ne fais que profiter d'une capacité que je possède, comme d'autres font usage de leur générosité ou de leur logique. Cela ne fait pas de moi un monstre, je n'ai pas ruiné mes parents, je ne les ai pas vraiment manipulées. Elles étaient libres de leurs choix. J'ai également la chance d'avoir une bonne relation avec elles. De Mama, j'ai hérité mon amour de la musique, mon tempérament fêtard et ma détermination sans failles. Mom, forte de son métier d'avocate, m'a appris à négocier et à argumenter pour obtenir ce que je veux, et de protéger ce qui est mien coûte que coûte. J'ai grandi dans une grande maison au Sud de l'Angleterre, pas très loin de la mer, mais loin de tout le reste. La seule attraction du village était le marché du samedi. C'était ennuyeux à mourir. Heureusement, j'ai très tôt eu le droit de vagabonder dans la ville voisine la plus proche, Brighton. J'ai vite découvert tous les recoins. Faire des bêtises seule étant bien moins amusant qu'à plusieurs, j'y ai traîné Raine dès que j'ai pu. Raine était la seule personne qui ne m'obéissait pas toujours au doigt et à l'œil et je pense que c'est pour ça qu'il est mon meilleur ami. Néanmoins, si je ne l'avais pas connu depuis le berceau, ça m'aurait vite agacée. Mais il avait le privilège d'être le fils du meilleur ami de ma mère, je lui pardonnais donc lorsqu'il refusait de me suivre dans mes aventures (explorer la grotte près de la mer, voler du maquillage dans une boutique moldue, dévaler une rampe de skate bien trop raide). Néanmoins, il était toujours là, à se mettre devant moi pendant que je glissais les rouges à lèvres dans mes poches intérieures, à attendre devant la grotte ou la rampe au cas où il m'arrivait quelque chose.
C'est lui qui, pour la première fois, m'a attribué le fameux qualificatif. J'avais treize ans, et lui dix-sept. Portant une robe dépourvue de poches, je lui avais gentiment demandé de glisser les cigarettes que je convoitais dans les siennes. Il avait résisté, mais fini par céder. Bien entendu, il n'était pas aussi discret que moi, et nous nous étions fait choper. « Tu es égoïste, Meryl. » Je ne voyais pas le problème. Après tout, il n'y avait eu aucune conséquence : majeur, Raine avait pu oublietter le Moldu en un rien de temps et repartir avec le précieux butin. Alors, j'avais juste haussé les épaules. Si être égoïste, c'était faire en sorte d'obtenir ce que l'on souhaitait, alors d'accord, j'étais égoïste. Ce qualificatif avait peu à peu perdu son sens, car en vérité, je l'avais souvent entendu, souvent de la part de mes mères. Jamais dirigé vers moi, plutôt comme un conseil : « Meryl, ne sois pas égoïste s'il-te-plaît, tu peux descendre de la balançoire un peu, non ? Le petit garçon attend depuis vingt minutes... » Qu'il attende. J'avais attendu, moi. J'y avais droit pour aussi longtemps que je le désirais. « Meryl, ne sois pas égoïste, tu ne joues pas avec cette poupée, tu peux bien la donner à l'association. » J'étais attachée à cette poupée, je l'avais gardée toute mon enfance. Elle était déjà abîmée, ses yeux tristes légèrement fissurés, sa tête roulant sur son cou quand je la soulevais trop brusquement. Le soir-même, je l'ai prise sur son étagère, j'ai ouvert les mains et je l'ai laissée tomber. Sa tête a roulé sur le côté, une de ses jambes s'est tordue dans un angle morbide. Cela m'a fait mal, bien sûr, mais c'était la seule manière de la garder pour toujours. Si être égoïste, c'était vouloir garder ce que l'on aime avec soi, alors j'étais certainement égoïste. Mais cela ne me posait aucun problème.
Je rêvais d'une histoire d'amour comme celle de mes parents. Des high school sweethearts, ensemble depuis leur dernière année à Poudlard, après avoir été amies pendant deux ans. Elles étaient parfaites ensemble. Rayonnantes. Drôles. Complémentaires. Je ricanais devant les films romantiques, j'abhorrais les romans à l'eau de rose, je méprisais les couples que je voyais se bécoter dans les couloirs de Poudlard. Cela me semblait être une très faible représentation de l'amour véritable, l'amour réel, qui transcendait tout, l'amour entre Mama et Mom. Et pour moi, mon grand amour, ma belle histoire, ne pouvait être qu'Harleen Rosier. Magnifique, douce, brillante Harleen Rosier. Je ne sais pas ce que je préférais : elle, ou ma relation avec elle. Les deux étaient sublimes. Les Rosier vivaient dans une immense maison, qu'on pourrait même qualifier de manoir, non loin de chez nous. De facto, j'avais rencontré Harleen quand nous avions cinq ou six ans, lors d'une balade sur la plage. Nous avions joué ensemble toute l'après-midi, puis la suivante, et encore la suivante. Nos parents avaient discuté ensemble, et les rouages d'une amitié que j'imaginais éternelle s'étaient mis en branle. J'aimais tout de Harleen. Sa façon de rire à mes blagues, sous cape, comme si elle n'osait pas me faire ce compliment. Sa façon de me regarder, timide et admirative, comme si j'étais la réponse à toutes ses questions. Sa façon de me toucher, souvent du bout des doigts, mais avec une infinie tendresse, comme si elle craignait de se brûler mais qu'elle voulait quand même être gentille avec la flamme. Sa façon de me sourire, l'air de dire qu'elle me suivait jusqu'au bout du monde. Et sa façon de me suivre, pour de vrai, de me faire confiance. On était sur la même longueur d'onde – même si je la soupçonne de parfois avoir aligné son avis sur le mien, ce qui ne la rendait que plus charmante à mes yeux. Lorsque j'étais avec elle, le temps passait plus lentement, et il me semblait qu'on resterait jeunes pour toujours. J'aimais passer mes mains dans ses cheveux, j'aimais les tresser et y glisser des fleurs. Elle était ma princesse et j'étais la chevalière audacieuse et séductrice qui la charmait.
Quand elle était avec moi, j'étais tellement fière. C'était la plus belle fille que j'ai jamais vue. Ses longs cheveux châtains étaient soyeux et parfumés, j'aimais m'enivrer de leur odeur. Ses yeux étaient d'un vert profond, clair et innocent, et je voulais y nager nuit et jour. Harleen était un paysage dans lequel je voulais me promener à en perdre haleine. Une muse que j'aurais immortalisée si j'étais moi-même artiste. C'était non seulement la plus belle, mais aussi la plus intelligente. Toujours dans ses bouquins, à réviser jusqu'à tard le soir, soucieuse de bien faire, obtenant d'excellentes notes bien méritées. Elle parlait si bien français qu'elle me donnait envie de m'y mettre. C'était elle qui posait les questions auxquelles personne n'avait pensé, en classe. C'était l'une des rares personnes que j'ai trouvées naturellement intéressantes, que j'avais envie d'écouter. Nous étions Meryl et Harleen comme l'inspiration s'accompagnait de l'expiration, comme le café macchiato était composé de café et de mousse de lait, comme le piano alternait les touches noires et blanches. Même nos Répartitions dans deux maisons différentes n'avait pas eu raison de notre lien. Dès l'âge de sept ans, j'ai commencé à t'accompagner en vacances en France avec ta famille, tu venais à la maison quasiment toutes les semaines, on dormait dans le même lit. Si j'ai été ambiguë avec mes sentiments, c'était que je ne les ai pas tout de suite compris moi-même. J'aimais Harleen Rosier. Je l'avais toujours aimée, depuis le moment où mon ballon avait par erreur atterri sur ses genoux à la plage. La nature précise de mon amour pour elle m'échappait. Par défaut, je m'étais déclarée bisexuelle – en même temps, avec deux mères, j'aurais eu du mal à faire de l'hétérosexualité une norme. Vers l'âge de quatorze ans, j'ai compris que j'aurais préféré me frapper la tête contre un mur répétitivement plutôt que de faire l'amour avec un homme, ce qui réduisait de facto mes choix. Par chance, j'avais quand même beaucoup de choix. Tant que j'avais du mal à choisir. C'était le début de l'adolescence et de ses excès, et j'étais assoiffée de découverte. Les filles que j'ai rencontrées étaient plutôt sensibles à mon charme, et j'ai toujours eu un certain succès. C'était presque trop simple. Il me suffisait de sourire, de me mettre en valeur et de faire sentir à l'autre personne qu'elle était le nouveau centre de mon univers. Ce n'était pas un mensonge. Mais mon univers évoluait beaucoup.
Sa seule constante, c'était Harleen. Harleen et ses cheveux tressés, Harleen et ses livres et ses musées, Harleen qui m'aurait suivie jusqu'au bout du monde, aller-retour. Harleen, pour qui j'aurais décroché la lune et l'aurais sertie en couronne. Je n'avais jamais sur-analysé cela, mais j'ai commencé à la toucher de plus en plus. J'ai toujours été quelqu'un de tactile, mais aux simples câlins amicaux s'ajoutaient des contacts différents, plus tendres, plus longs ou plus subtils. Ma tête posée sur son épaule en cours. Mon pouce caressant sa joue, sous prétexte de chasser un insecte imaginaire. Mes jambes nues glissant contre les siennes, alors que nous révisions (qu'elle révisait, et que je l'admirais) dans le parc de Poudlard. Mon épaule effleurant la sienne alors que nous marchions dans les couloirs. C'était peut-être le syndrome des enfants qui avaient tout eu : se concentrer précisément sur ce qui leur semblait difficile à obtenir. Nous avons toujours été très différentes. J'étais celle qui sautait du plongeoir la tête en arrière et Harleen celle qui te cachait les yeux. J'étais celle qui regardait sur sa voisine lors d'un contrôle, et elle était la voisine. J'étais celle qui dansait sur la piste et elle celle qui hochait la tête au rythme de la musique, assise au bar. Il m'est arrivé de souhaiter qu'elle soit un peu plus comme moi. Et il m'est arrivé de l'y pousser, même si ça ne marchait jamais vraiment. Ces différences ne m'avaient jamais posé problème, au contraire, elles ne faisaient que la rendre plus intéressante à mes yeux. Néanmoins, plus le temps passait et plus j'avais du mal à me rapprocher d'elle. Alors, je faisais de mon mieux, je l'accompagnais à des musées, même si je passais le plus clair de mon temps à prendre des photos pour faire des memes. J'avais acquis les bases du français et lui répondais de temps à autre dans cette langue. Je la regardais avec attention, comme un cours à apprendre ou un mystère à résoudre. Quand on se donnait rendez-vous dans un café, j'avais déjà commandé son matcha latte préféré. Parfois, pendant les vacances, je la surprenais avec une soirée pizza à la plage, ou je la traînais en boîte à Brighton.
Je vivais pour ces moments où je l'entraînais dans mon univers. Dans le noir, sur la piste de danse, sa peau collante de sueur contre la mienne, son souffle brûlant sur mes lèvres, les miennes effleurant de temps en temps son épaule ou sa joue avec l'excuse de l'alcool, elle correspondait à tous mes fantasmes. Malheureusement, ces occasions étaient rares. La toute première fois, nous avions seize ans. Les parents d'Harleen étaient en pleine procédure de divorce, et elle broyait du noir toute la journée. Cela m'avait montré une autre partie d'elle-même : plus renfermée, plus triste, sans pour autant oser exprimer ce qui la dérangeait et ce qui la faisait souffrir. J'avais sauté sur l'occasion pour lui proposer cette sortie – il fallait bien qu'elle se change les idées, et moi cela m'arrangeait. Elle avait commencé par se coller au bar, puis j'avais réussi à l'en déloger. Nous avons dansé sous les lumières multicolores, puis un appel de son père nous a ramenées à la réalité. Elle a menti pour nous couvrir, ce qu'elle faisait souvent et que je trouvais adorable. Puis, nous sommes rentrées chez moi. Mes parents m'autorisaient à ramener Harleen sans prévenir, elles l'adoraient. Elle était bien plus ordonnée et sage que je le serai jamais. Au moment de se changer, elle s'est retournée, et moi aussi. C'est bien la seule fille avec laquelle j'ai été « timide » dans ma vie. Avec Harleen, j'avais presque tout ce dont je pouvais rêver. Nous étions très proches, physiquement comme psychologiquement. Nous étions le genre d'amies que tout le monde pensait secrètement en couple, tant nous n'avions aucune pudeur. Nous nous déshabillions souvent l'une devant l'autre, nous prenions souvent dans nos bras, reposions sans gêne notre tête sur les genoux de l'autre, nous appellions « ma chérie » ou « petit cœur »... J'avais sa confiance, j'avais son affection. Je ne voulais pas gâcher cela en tentant d'avoir plus. Mais je ne pouvais voir ses lèvres sans imaginer les miennes s'y poser. On s'est endormies l'une contre l'autre, comme toujours. Juste avant, j'avais échangé quelques messages avec un flirt de Poudlard. Des trucs de bas niveau, des tactiques de drague que je n'aurais jamais utilisées avec Harleen. Harleen était spéciale. Et, aussi dur à avouer que ce soit, je ne savais pas comment m'y prendre.
Je sais que je suis supposée dire que quand je couchais avec d'autres filles, le visage d'Harleen venait se superposer aux leurs, que j'en venais à rêver que ce soit son corps à la place du leur. J'y pensais parfois, mais ce n'était pas pareil. Harleen, c'était des couronnes de fleurs et des balades le long de la plage, des soirées au coin du feu et un lit double, c'était faire l'amour et pas coucher. Lors de notre septième année, Harleen s'est éloignée de moi. Nous n'avions que peu de cours en commun, et elle passait tout son temps fourrée avec des Serdaigle et Smith, une Serpentard de mon dortoir, pour réviser les ASPIC. Je bossais aussi, bien sûr, mais cela n'allait pas jusqu'à l'obsession chez moi. J'avoue, j'étais un peu jalouse. Mais je n'allais pas non plus me plier en quatre pour quémander ta compagnie. J'avais essayé, mais je n'avais pas d'atomes crochus avec ses nouveaux potes. Un soir, alors qu'elle dormait chez moi, pour ne pas changer, elle m'a confié qu'elle craignait que je la remplace, l'oublie. Je m'étais empressée de la rassurer. Harleen Rosier était pour moi inoubliable. C'est à ce moment que je lui ai proposé, de façon presque trop insouciante, quasiment sur un coup de tête, de vivre avec moi dès l'année suivante. Elle voulait étudier la paléontologie, moi le marketing, et nous avions toutes deux demandé les mêmes universités : Londres, Liverpool, Manchester, Brighton. Peu importe là où nous serions acceptées, ce serait dans la même ville, et le transplanage rendait de toute façon la distance négligeable. J'ai rarement vu son visage s'illuminer ainsi. Alors que mes mères ne me refusaient habituellement rien du moment que c'était possible, Mom a eu du mal à accepter. Elle s'était toujours imaginé que je vivrais chez elles jusqu'à ce que j'aie mes propres revenus. J'ai résisté à l'envie de m'énerver, et à la place ait négocié comme elle me l'avait appris. Mais les promesses « je rentrerai tous les week-ends » et « je t'écrirai souvent des messages » et « Harleen me motivera à étudier » sont passées à la trappe à la seconde où nous avons franchi le seuil de notre nouveau chez-nous. Un duplex plutôt grand, dans le centre de Londres, à deux pas d'une de mes boîtes préférées, avec une jolie vue sur la Tamise. Cher, mais dans nos moyens.
Nous avions deux chambres, deux lits deux places, et avons commencé à dormir séparées – même si, très souvent, nous nous assoupissions ensemble après une soirée film ou jeu vidéo. Nous avions une grande salle de bains, dotée d'une superbe douche italienne. L'idée de prendre mes douches au même endroit qu'elle me faisait plus d'effet que cela n'aurait dû. Nous avions un canapé et une télévision que nous avons eu beaucoup de mal à faire fonctionner, tout ça pour tomber sur une émission débile d'une nanny qui gueulait sur des gosses. Néanmoins, nous avons fini par trouver un certain plaisir à nous vautrer sur le sofa et zapper d'une chaîne d'infos moldue à une télé-réalité complètement stupide à un concours de robes de mariée. Nous avions une belle cuisine, un peu petite, mais qui faisait l'affaire, remplie d'appareils complexes que nous avons également mis du temps avant de maîtriser. Harleen s'est spécialisée en petits-déjeuners au lit et moi en dîners cuisinés à l'arrache. Nous vivions une vraie vie de couple, sans en être un. Et j'effleurais cet idéal chaque jour en lui faisant un câlin pour lui dire au revoir, en joignant une fleur cueillie dans le jardin de la copropriété à son repas, en m'endormant à ses côtés. Mais je n'arrivais pas à franchir le pas. J'ignorais quel était la vision du couple d'Harleen, mais je me doutais qu'elle était plutôt monogame, comme la plupart des gens. Néanmoins, ce n'était pas ce que je souhaitais, pas totalement. Je voulais continuer à séduire et à être séduite. Je voulais l'adrénaline avant le premier baiser. Je voulais du sexe, voilà tout, je voulais plusieurs corps et plusieurs étreintes et plusieurs manières de se faire plaisir. Et si c'était égoïste, je me revendique égoïste. En fait, ça m'arrangeait qu'on ait deux chambres. En commençant une relation avec Harleen, je m'exposais à un contrôle de mes mœurs, à un contrôle de mon corps, presque. Et pour moi qui avais toujours été absolument libre, c'était une horreur. Alors, j'ai préféré entretenir cette ambiguïté, ces caresses presque pas amicales et ces regards presque pas amoureux.
Un jour, cependant, j'ai craqué. C'était une douce soirée de mai, la veille du mariage de la mère d'Harleen, auquel elle n'était pas invitée. Elle n'avait jamais été très proche de sa mère, ce qui faisait qu'elle enviait beaucoup ma relation avec les miennes, même si elle ne l'avait jamais avoué en ces termes. Harleen n'avouait jamais rien en réalité, elle fermait son cœur à double tour en repoussant tout ce qui pourrait la rendre vulnérable. Mais moi, je savais. J'avais commandé des pizzas sans le lui dire, une surprise, comme j'aimais en faire. « Sois honnête Harleen. Ça ne te dérange pas ? Je sais que vous n'êtes pas proches mais... » Elle répondit avec détachement. « Tu as raison de lui en vouloir mais le fait qu'elle n'essaie même pas d'arranger les choses... c'est méprisable. Tu mérites mieux. » Elle a souri, sûrement touchée par mes propos. Je me suis blottie contre elle, sur le canapé. À la télé, un chef cuisinier s'indignait du pauvre service proposé dans un restaurant. « Tu dois arrêter de prétendre que rien ne t'affecte. C'est okay d'être un peu vulnérable parfois, tu ne pourras pas toujours internaliser tout ça, tu sais, ma belle ? » Elle a tenté de nier, mais elle ne pouvait pas me mentir. Je la connaissais par cœur. Elle a fini par admettre, mais répétait que ça n'en valait pas la peine. Hypnotisée par ses yeux verts, mon monde s'était réduit à elle, ses cheveux et son parfum et sa peau et son grain de beauté sur l'épaule et ses lèvres qu'elle mordillait doucement, l'air embêté. Je me suis penchée vers elle comme je me pencherais sur un puits si j'étais assoiffée. Je refuse de croire que j'ai contrôlé ma main, elle s'est posée sur la joue d'Harleen avant que je n'aie pu y penser.
« Qu'est-ce qui en vaudrait la peine, alors ? De te déranger ? » Et avant de pouvoir y réfléchir, avant de pouvoir m'en empêcher, mes lèvres étaient sur les siennes, mes mains sur sa nuque, dans ses cheveux, sur ses clavicules, sur ses hanches. Son corps entier a tremblé, désir et peur mêlés. Son regard a accroché le mien, timide et farouche, hésitant et déterminé. J'y ai lu tout ce que j'avais besoin d'y lire. J'ai reproduit les mêmes gestes que j'avais esquissés des centaines de fois, et qui étaient pour elle une nouveauté. Je n'étais pas aussi lente et douce que je l'aurais voulu, accaparée par ma passion. Elle était là, elle était partout. Elle envahissait chaque centimètre carré de mon être. Elle s'incarnait dans chaque recoin de mon esprit. J'avais connu de nombreux corps, et je pensais que tous fonctionnaient à peu près pareil. Celui d'Harleen ne faisait pas exception à la règle, et j'ai très rapidement su comment la faire vibrer. Mais son comportement envers moi était différent de mes amantes. Avec Harleen, je pouvais utiliser le vocabulaire que je sacralisais, que j'attribuais à cet amour éternel que j'idéalisais : se blottir, caresser, enlacer, échanger, effleurer... À un moment, je l'ai renversée en arrière sur le canapé, enlaçant sa taille de mes jambes, et j'ai pris un instant pour éteindre la télé, dans laquelle le chef cuisinier vociférait que les langoustes ne se mettaient pas au micro-ondes. Elle a éclaté de rire, et aucun plaisir ressenti ce soir-là n'a égalé celui-ci. Je me suis endormie à côté d'elle, comme tous les soirs, la seule exception étant notre nudité. Le matin, c'est moi qui ai fait le petit-déjeuner au lit – enfin, au canapé. Je l'ai embrassée avant qu'elle parte en cours. Jusque là, j'étais en terrain connu. Sauf que je ne vivais pas avec mes amantes. Je n'avais aucune expérience en ce domaine. Moi, ce que je savais faire, c'était quelques rendez-vous, de douces promesses, de douces caresses, un au revoir et à bientôt.
Je ne pouvais pas me projeter dans une relation avec Harleen. Pas si tôt, pas avec le risque de tout gâcher. Qu'étions-nous désormais ? Deux meilleures amies qui avaient commis une erreur ? Des sexfriends ? Un couple ? Par chance ou par malchance, elle n'a pas initié la conversation. Et il ne fallait pas compter sur moi pour le faire. Dès lors, nous avons vécu sur un pont fragile entre deux montagnes, tremblotant à chaque pas. Quelque chose avait changé. Quelque chose avait changé entre nous et ça me rendait parano. Quand nos corps se liaient et se déliaient dans un concert de soupirs, quand je l'embrassais avant de partir en cours, je me disais que ce n'était pas une mauvaise chose. Mais le reste du temps, quand je révisais mes partiels et elle les siens, quand elle me reprochait de ne jamais refermer les tiroirs que j'ouvrais, quand je lisais dans ses yeux le fameux « tu es égoïste, Meryl » qu'elle n'a jamais osé prononcer, je regrettais. Je regrettais, parce que je savais que je n'avais pas le genre de personnalité qui pouvait être compatible avec la sienne, d'un point de vue amical à peine, alors d'un point de vue romantique, impossible. Je savais que j'allais lui faire du mal. C'était comme gravé dans le marbre. Et c'était presque une excuse, cette inéluctabilité. Elle avait de courts cheveux bruns, un anneau argenté au nez, de grands yeux bordés d'un trait d'eye-liner charbonneux. Elle s'appelait Alwena, elle étudiait la potionnologie et avait d'excellents goûts musicaux. Quelque chose avait changé, car lorsque je l'avais ramenée à l'appartement, j'avais l'impression de faire quelque chose d'interdit. Et ce sentiment m'oppressait. J'avais vingt-trois ans. Je n'étais pas prête à m'engager avec qui que ce soit. Mais c'était presque trop tard. J'étais incapable de m'asseoir �� une table face à elle et rompre. C'est quelque chose que j'avais déjà fait, mais ce n'était pas Harleen, mon idéal, mon amie de toujours, ma colocataire. La perdre, c'était tout perdre.
Je revois encore l'amertume dans ses yeux lorsqu'ils se sont posés sur Alwena. Je les ai présentées l'une à l'autre comme si de rien n'était, mais je sentais le poids de son jugement et de sa déception. Et j'étais presque... soulagée. Je n'allais pas avoir à rompre, elle le ferait d'elle-même. Nous allions reprendre notre amitié, avec des hauts et des bas, peut-être une période un peu froide, mais ça irait. Je m'étais construite avec Harleen. Elle n'allait pas partir maintenant, si ? Elle multipliait les disputes pour des sujets idiots, masquant ses véritables reproches derrière une bouteille de lait mal rangée ou des poubelles pas sorties. Je faisais semblant de ne pas comprendre. Et le scénario se reproduisait, encore et encore. Une fille, un petit-déjeuner, un regard froid, une dispute. Puis, les disputes ont commencé par être entrecoupées de longs silences. Glacés. Nous ne regardions plus la télé affalées sur le canapé, je ne commandais plus de pizzas et elle ne me faisait plus de petit-déjeuner au lit. Nous étions devenues des colocataires, sans plus. Vers la fin, nous ne mangions même plus aux mêmes horaires. J'ai cru qu'elle allait partir. Mais elle est restée. Elle est restée encore deux ans. J'ai pensé à lui demander de partir, mais j'aimais vivre avec elle. J'aimais sa présence. Je l'aimais. Alors, j'attendais, je profitais d'elle. Parfois, je lui ramenais son matcha latte préféré. Un soir, c'est moi qui, allongée dans mon lit, ait entendu des doubles pas, et une voix de femme se mêler à celle d'Harleen. C'était presque pire. Elles ne sont pas allées dans la chambre d'Harleen. Elles se sont affalées sur le canapé et ont regardé une stupide émission de télé-réalité. Elles ont ri et mangé du pop-corn. La tête de l'inconnue, superbe avec ses cheveux d'ébène et ses yeux clairs, reposait sur le ventre d'Harleen. Elles ont commandé des pizzas. Harleen n'a pas touché à son matcha.
Les amitiés se créent sur de petites choses, comme envoyer son ballon sur une inconnue par erreur. On aurait pu penser qu'elles se défaisaient tout aussi facilement, mais Harleen et moi étions les touches bicolores d'un piano, on ne pouvait les séparer sans briser l'instrument. Je pensais qu'elle n'oserait pas le faire. Moi, je n'osais pas le faire. Je préférais le confort de l'habitude, sa présence telle une ombre qui me suivait partout. Mais elle en avait assez, je pense, de vivre sur un pont de plus en plus précaire, cible d'un vent froid qui semblait vouloir la faire tomber. Maintenant que j'y pense, il y a mille choses que j'aurais pu faire. Parler. Expliquer ma vision des choses, ma vision du couple, mes sentiments pour elle. À quel point j'étais mauvaise en amour. M'excuser. De mes silences, de ma lâcheté. De mon égoïsme – si c'était ça être égoïste. Ce que j'ai fait, c'est jeter mon dévolu sur une amie d'un ami de Poudlard, Hitomi Yamanoue. Elle était belle et sentait la vanille, comme Harleen. Lorsqu'Hitomi signait ses mots d'amour de son initiale, j'imaginais que j'avais fait les choses différemment et que je ne l'avais pas perdue. La vie continuait. Je dansais, je fêtais, je m'amusais, je couchais. J'embrassais Hitomi sur la joue, à l'endroit où Harleen avait un grain de beauté, déçue à chaque fois qu'elle n'en ait pas. Je lui commandais des matchas lattes, ne découvrant qu'après des mois qu'elle n'aimait pas cela. J'ai fini par la quitter, sans beaucoup d'explications. Comment lui expliquer qu'elle était censée combler le manque d'une femme qui n'avait jamais été mienne ? Ce soir, j'ai trouvé un petit mot sur la table, accompagné d'une enveloppe avec deux mois de loyer en liquide à l'intérieur. La note ne dit pas grand-chose, ou du moins pas quelque chose qui pourrait tout changer, mais je la mets dans une pochette, pour la protéger de mes larmes, et l'épingle sur le tableau en liège au-dessus de mon lit. Je me réjouis presque d'avoir un dernier mot d'elle. C'est peut-être une pensée égoïste, mais j'ai fini par me résoudre à ce qualificatif.
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Entre ombre et lumière.
11 avril 2021. 18 ans de Morgane.
JOYEUX ANNIVERSAIRE MORGANE !! Je t'aime très fort. Voici mon cadeau, j'espère que tu aimeras cette lecture ! :)
À l'ombre d'un grand pin, les jambes en tailleur, le magicien lévitait, ses yeux clos accentuant les rides de son visage. Ce corps qui avait traversé presque deux siècles était à bout de souffle. Et il avait beau s'y préparer, il avait beau méditer, cela le terrifiait. L'être humain a cela de particulier qu'il est le seul mortel à avoir conscience de sa finitude, mais qui l'ignore constamment, jusqu'à être surpris lorsque l'un des siens quitte ce monde. Et le magicien, malgré son ancestrale sagesse, malgré ses puissants pouvoirs, ne faisait pas exception. Subsistait une question, qui le maintenait en vie malgré l'épuisement de son corps : qui lui succèderait ? Il n'avait pas d'héritier biologique, car le pouvoir de la Flamme Solitaire était transmis par l'âme et l'esprit, et non par le corps. Son mentor, le regretté Arkansalis, l'avait choisi, élevé, et transmis sa magie à sa quinzième année. Il y avait de cela cent soixante-six ans. Malheureusement, le magicien, trop concentré sur sa retraite du monde des humains, et surtout affaibli par le réchauffement climatique, ses pouvoirs étant liés à une nature désormais menacée, n'avait aucune expérience avec les enfants. Il était trop tard pour adopter un bébé, il ne lui restait plus assez de temps... Sept ans, lui soufflait Mère Nature. Il faudrait donc adopter un enfant de huit ans. Le magicien s'était donc retiré de sa grotte sacrée, à quelques centaines de mètres d'un village. Guidé par sa magie, invisible, il avait longuement flotté au-dessus des maisons, à la recherche d'un enfant innocent, au cœur pur. Depuis une dizaine de minutes, il observait un jeune garçon, allongé sur l'herbe, écrivant dans un carnet malgré l'absence de support stable, profitant de l'ombre du pin. Il ne devait pas avoir plus de huit ans. Il avait de banals cheveux bruns, de banals yeux bruns. D'un regard, il sut son nom.
- Gabriel ! L'enfant sursauta, émergeant difficilement de sa rêverie. Comme à chaque fois, ses inventions se mêlaient à la réalité, et il avait bien du mal à retourner à celle-ci. Mais il y était bien obligé – sa mère l'appelait. Il se leva dans un soupir, et ferma fortement les yeux, aveuglé par la vive lumière de l'extérieur. Harmony Dunckin était inquiète pour son fils qui ne sortait jamais, bien qu'il soit à un âge auxquels les petits garçons profitent de l'été pour s'amuser avec leurs amis ; alors, Gabriel avait continué son histoire dans le jardin. Ce serait un best-seller, un jour. - Gabriel, viens ! Les nouveaux voisins sont venus dire bonjour ! l'appela cette fois Jamie, son père. Gabriel grogna, la perspective de parler à des gens inconnus ne l'enchantait pas franchement. Son futur best-seller serré contre sa poitrine, il rejoignit ses parents à la clôture de leur jardin. Jamie et Harmony discutaient avec un homme blond, qui souriait poliment, et une femme rousse qui riait avec sa mère. - Voici notre fils, Gabriel ! le présenta Jamie. - Bonjour, murmura l'enfant, conformément à ce que son père avait demandé. - Il vous ressemble à tous les deux ! commenta la rousse. - Il doit être à peu près du même âge que notre Coraline. La première chose que Gabriel pensa fut que « Coraline » serait un très bon prénom pour un personnage. Plus loin, près de l'arbre, le magicien l'attendait, désireux de lui parler. Il avait décidé de lui raconter toute la vérité, et de lui conférer ses pouvoirs avant sa mort, afin qu'il l'entraîne à les utiliser pendant les sept ans qu'il lui restait à vivre. Une fois cela fait, Gabriel deviendrait le Gardien de la Terre, et pourrait utiliser son pouvoir afin de protéger la nature, et...
-*- Quelques jours plus tard, Gabriel était un pirate, perché au sommet du mât de son immense vaisseau. En bas, son équipage le regardait fièrement, admiratifs de l'agilité qu'il avait démontrée en grimpant si vite jusqu'en haut. « Cap sur le Titanic ! » hurla-t-il. Il tira sa baguette magique de sa poche et fit jaillir des eaux sombres un immense iceberg, qui se dressa devant le luxueux bateau, dont il comptait piller les richesses une fois coulé. À l'ombre du pin, assis sur l'une des branches les plus hautes, Gabriel écrivait frénétiquement, sans perdre son temps à s'appliquer. Il n'entendit presque pas la voix de sa voisine, qui l'interpellait de l'autre côté de la clôture, juste en bas de l'arbre. - Hey ! Baissant les yeux, il aperçut une fillette de son âge, aux longs cheveux dorés qui lui faisaient penser à des princesses de contes de fées. Elles étaient toujours blondes et jolies, comme la fille. - Je m'appelle Coraline, se présenta-t-elle. Tu veux bien jouer avec moi ? J'ai inventé une nouvelle version d'action ou vérité, avec des objets magiques. - Euh... Par où commencer ? Se présenter ? Accepter ? Gabriel n'avait pas vraiment envie de quitter son vaisseau pirate, ni son futur best-seller, mais elle avait l'air si gentille, avec son grand sourire et ses poings sur les hanches. Alors, il descendit de l'arbre, lentement. Coraline attendit. Gabriel toucha finalement le sol, et posa un pied timide dans la lumière, vers elle. - Gabriel, marmonna-t-il. - Super ! Tu viens dans mon jardin ou je viens dans le tien ?
Gabriel hésita. Le soleil tapait contre sa nuque, ce qu'il détestait. Il aurait préféré retrouver le confort de l'ombre du pin. Mais la lumière, qui faisait briller les cheveux de Coraline, ne lui semblait pas si menaçante en sa présence. - Action ou vérité ? - Euh... C'est quoi le jeu, d'abord ? - T'as jamais joué à action ou vérité ?! s'étonna Coraline, écarquillant ses beaux yeux bleus. Gabriel adorait les yeux bleus, et regrettait de ne pas en avoir. Ils étaient le centre des plus belles métaphores de tous les livres qu'il avait lus. On y voyait la profondeur de l'océan et l'éternité du ciel, le roulement des vagues et l'éclat des glaciers. Avoir des personnages aux yeux bruns était toujours très difficile : à quoi les comparer ? Généralement, Gabriel choisissait le chocolat. C'était beaucoup mieux que la terre ou pire, la boue. D'ailleurs, les yeux du magicien étaient d'un bleu très pâle. Lorsqu'il était jeune, ils étaient noirs, et plus il vieillissait, plus il gagnait en sagesse, plus ils s'éclaircissaient. Lorsqu'ils deviendraient blancs, il s'éteindrait... Il se rendit compte qu'il n'avait pas suivi les explications de sa voisine, ce qui le fit rougir. Comment allait-il s'en sortir ?
- Action ou vérité ? entonna la fillette. Vérité était plus sûr. Il n'avait pas vraiment envie d'action. À vrai dire, la seule action qu'il aimait se trouvait dans son imagination, et certainement pas dans son corps. Coraline ne réfléchit même pas à sa question, qui fusa : - Qu'est-ce-que t'écris dans ce carnet ? Le carnet en lui-même avait de quoi titiller la curiosité de n'importe qui. D'un bleu sombre, avec une reliure soignée, comme un livre ancien, il ne comportait pas moins de 300 pages, que Gabriel avait divisé entre les cinq histoires qu'il imaginait. Le magicien, le pirate, mais également la sirène (lorsqu'il était dans le bain), le chasseur de rêves (lorsqu'il se couchait) et le scientifique (lorsqu'il faisait ses devoirs). - Des trucs, fut la première réponse qui lui échappa. - C'est pas très précis, fit remarquer la blondinette. - Oui, mais c'est la vérité. Gabriel sursauta à l'entente d'un bruit strident. Il se rappela, un peu trop tard, que Coraline avait parlé d'objets magiques. - C-c'est quoi ? - Bah je t'l'ai dit ! C'est le bracelet qui détecte si tu as dit la vérité. Là, non.
Le petit garçon grimaça, prêt à tout pour faire cesser ce bruit insupportable. - Des-des histoires ! lâcha-t-il, et le bracelet infernal se tut. - Ah ouais ? s'intéressa immédiatement Coraline. Des histoires sur quoi ? - Plein de trucs. À nouveau, le bracelet hurla. - Un-un magicien, et aussi un... un scientifique, et... Gabriel se tut, écarlate. Parler de ses futurs best-sellers lui donnait l'impression qu'en fait, ils n'avaient rien de best-sellers. Qu'il s'agissait juste des stupides rêveries sans intérêt d'un gamin. C'était comme lorsqu'il devait enlever son T-shirt pour se faire ausculter par le médicomage, lorsqu'il était malade. Une véritable mise à nu. Afin d'éviter des questions supplémentaires, il enleva le bracelet et le donna à Coraline. Leurs mains s'effleurèrent. C'était un motif récurrent dans bon nombre de romans romantiques, et le cœur de Gabriel s'accéléra en y pensant. Coraline le regardait sans rien dire. - Ben, à toi. - Ben, pose la question. - Ah ! Euh ! Vérité ou action ? - C'est « action ou vérité ». - Action ou vérité ? - Action ! - Euh...
Gabriel ne savait pas quoi dire. Il essaya d'improviser : - Cite-moi une action... drôle. Coraline le regarda d'un air incrédule, les sourcils froncés. - Hein ? dit-elle d'une manière que le petit garçon jugea assez insupportable. - Euh... Il garda le silence, paniquant intérieurement. Si seulement il avait écouté les règles ! Et si elle lui en voulait et qu'elle ne voulait plus jouer avec lui ? En fait, est-ce-que ce serait vraiment grave ? Il était habitué à la solitude : enfant unique, peu sociable. S'il avait des frères et sœurs, il ignorait même s'il aurait joué avec eux. Ses jeux étaient avant tout fondés sur son imagination. Peut-être aurait-il pu donner les rôles de ses personnages à ses frères et sœurs, mais les auraient-ils correctement joués ? Pourrait-il faire ça avec Coraline ? Mais cela supposerait de la laisser connaître ses histoires... - Hého, tu m'écoutes ? - Pardon ! - Je disais. Pour la deuxième fois. Que les actions, c'étaient des défis. Genre : grimpe à l'arbre. - OK. Euh... Grimpe à l'arbre. Coraline hésita entre soupirer et sourire, puis choisit ce dernier. Elle passa sous la clôture, dont le grillage se soulevait en bas, et commença à escalader. En la regardant se faire happer par l'ombre du pin, Gabriel replongea dans ses rêveries. Sa fière alliée, Coraline, capitaine d'un autre vaisseau pirate, le rejoignait afin de piller le trésor du Titanic, qui s'enfonçait depuis deux heures dans les profondeurs de l'océan. Il fallait mobiliser leurs pouvoirs magiques afin de retenir sa plongée, et rafler le plus de trésors possibles à l'aide des créatures magiques marines, et de la sirène, si elle le voulait bien. Sans réfléchit, Gabriel grimpa à sa suite. En arrivant au sommet du mât, avant elle car il l'avait fait des dizaines de fois, il agrippa fermement les cordages, leva son épée et cria : « À l'abordage ! Pillez l'épave, matelots ! » Puis, il rougit furieusement, conscient que Coraline ne connaissait pas sa rêverie. Cependant, elle sourit, et le regard déterminé, pointa sa propre épée vers le ciel, et cria à son tour : « À l'abordage ! ». Alors, Gabriel rougit de plus belle, et continua le jeu.
-*- La silhouette de l'immense château médiéval se détachait de l'obscurité grâce aux lumières tremblotantes à ses fenêtres. Les flots clapotaient contre la coque de l'immense paquebot, qui les fendait tel un conquérant. Le roi d'Angleterre posait pour la première fois le pied sur ses nouvelles terres écossaises, berceau de ses ancêtres druides. Là, il apprendrait à maîtriser les pouvoirs que le magicien lui avait confiés. Il s'était éteint trop tôt, quelques mois plus tôt, sans avoir eu le temps de lui apprendre tout ce qu'il avait à savoir. Alors, dans son dernier souffle, il lui avait confié le nom de cette école mystique, où tous les apprentis mages se réunissaient pour maîtriser leurs dons. Bien qu'anxieux, il était déterminé. Il rendrait fier son mentor, même s'il n'était plus là pour le voir. Mais avant de commencer son enseignement, et sa quête de la sagesse, il devait passer par l'épreuve de la Répartition. Les apprentis mages étaient divisés en fonction des valeurs qui étaient leurs, mais également celles auxquelles ils voulaient se consacrer. Il y avait les Braves, les Sages, les Bons et les Meneurs. Son mentor lui avait appris qu'aucune d'elles n'était supérieure aux autres, mais qu'ensemble, elles créaient une unité bénéfique à l'équilibre de la société. Il lui avait également enseigné qu'il fallait remettre son sort entre les mains du Gardien, qui lui seul détenait la vérité. Il ne fallait ni préférer une maison, ni se détourner d'une autre. Cependant, le cœur de Gabriel penchait pour les Bons, depuis que sa fidèle amie Coraline en était devenue une. Lorsque son nom fut appelé, le jeune garçon fut coiffé du Gardien, qui commença à délibérer à l'ombre de son esprit. Pour lutter contre la panique qui l'envahissait, il fixa son regard sur le plafond céleste, où les bougies côtoyaient les nuages et les étoiles. Il s'imagina voler de l'une à l'autre, bravant le vent, évitant le péril des flammes... - Oh, pour toi, y'a pas à réfléchir bien longtemps, conclut le Choixpeau magique au bout d'une dizaine de secondes qui lui semblèrent plusieurs longues minutes. SERDAIGLE !
Ainsi donc, les Sages. Ceux qui valorisaient l'intelligence, l'originalité, qui usaient de créativité dans leur quête de connaissance. Des qualités que Gabriel trouvait importantes, et qui lui allaient bien. Il chercha, et trouva, le regard de Coraline, installée à la table des Poufsouffle, à côté des autres première année. Elle lui fit un sourire qui ressemblait plus à une grimace. Malgré tout, il laissa échapper un soupir. Si les quatre maisons devaient s'unir, pourquoi étaient-elles séparées ? -*- Poudlard dépassait de loin toutes ses attentes, à la fois en termes de savoir et d'imagination. Chaque cours était passionnant, et Gabriel tenait à ce qu'il soit parfaitement écrit. Il utilisait de l'encre bleu sombre, magique, qui séchait instantanément comme un stylo Bic moldu, et des surligneurs colorés. Chaque soir, il relisait ce qu'il avait étudié aujourd'hui, fasciné, puis écrivait l'histoire de l'héritier du magicien. De plus, le lieu en lui-même comblait son imagination. Dans la salle commune de Serdaigle, une immense pièce au sommet de la plus haute tour, il était le roi conquérant, qui observait l'horizon en réfléchissant aux nouvelles lois qu'il allait promulguer. Dans l'incroyable bibliothèque, il était le scientifique qui s'enrichissait soir après soir de nouvelles connaissances, toujours présent à la fermeture de l'endroit. Près du Lac, il était la sirène, qui avait désormais le pouvoir de prendre forme humaine à proximité de l'eau. Le pirate était un peu délaissé, mais il s'agissait d'une histoire quelque peu enfantine, aussi ne le regretta-t-il pas trop. Seul point négatif : il voyait beaucoup moins Coraline que ce à quoi il était habitué. Ces trois dernières années, il lui parlait presque chaque jour, et jouait très souvent avec elle. Là, il ne la voyait qu'en cours de potions, sortilèges et métamorphose, ou aux repas lorsqu'elle s'aventurait à sa table – Gabriel ne le faisait pas, n'ayant pas franchement envie de se faire réprimander par la surveillante, une horrible femme nommée Mrs Peters, et qui avait été un temps la nourrice de sa mère. Néanmoins, cela se raréfiait de plus en plus, Coraline préférant rester avec ses nouveaux amis de Poufsouffle. Gabriel essayait de se convaincre que ce n'était pas grave – il la reverrait aux vacances et ils pourraient rattraper le temps perdu. Et surtout, il avait Maya, sa meilleure amie, qu'il connaissait depuis le berceau. Elle avait été répartie à Serdaigle une lettre après lui, à son immense soulagement. Aux vacances suivantes, celles de Noël, ils se virent souvent. Ils regardèrent des films Disney – Coraline en était fan, Gabriel un peu moins, mais ils mobilisaient son imagination. Après en avoir visionné, ils jouaient au prince et à la princesse pendant des heures. Coraline finissait toujours par intégrer un dragon sorti de nulle part dans l'histoire – c'était sa nouvelle créature préférée depuis qu'ils l'avaient étudiée en histoire de la magie. Ils s'invitèrent l'un chez l'autre, firent des gâteaux, jouèrent à action ou vérité, firent des mimes, rirent aux éclats... Et pendant deux semaines, il sembla que rien n'avait jamais changé entre eux.
Mais voilà que la rentrée approchait. C'est avec fierté que Gabriel ajouta dans sa valise son cadeau de Noël préféré : un magnifique ordinateur portable, qui lui permettrait de donner libre cours à sa passion en s'évitant de fortes douleurs au poignet. Bien évidemment, en 2048, il y avait belle lurette que les scientificomages avaient trouvé un moyen de rendre les ondes électromagnétiques et magiques compatibles. Ainsi, Poudlard avait un code Wi-Fi, et il n'était pas rare de voir un élève discuter au téléphone avec ses parents ou organiser une soirée jeu vidéo dans la salle commune. Gabriel n'avait pas vraiment besoin de tels appareils : les livres lui suffisaient, et il adorait écrire des lettres. Gabriel et Coraline prirent place dans le même compartiment, comme à la rentrée. Le petit garçon sortit un livre, et Coraline se mit à lire la quatrième de couverture, comme à son habitude. Tout à coup, la porte du compartiment s'ouvrit sur les trois amis de Coraline, que Gabriel n'avait jamais rencontré. Coraline en profita pour faire les présentations, enthousiasmée. Il y avait Gael, qui adorait le vélo, la pâtisserie et la politique française. Emily, l'une des meilleures élèves de la promotion, très intéressée par les potions et la botanique. Austin, passionné de jeux vidéo, qui avait également ramené son ordinateur à Poudlard. Néanmoins, même ce point commun ne suffit pas pour délier la langue de Gabriel, qui resta désespérément muet, se contentant de hochements de tête. Il n'avait jamais été sociable, et il avait bien l'impression que les seules amies qu'il n'aurait jamais étaient celles qu'il s'était faites durant son enfance : Coraline et Maya. D'ailleurs, il aurait mille fois préféré être avec Maya qu'avec ces trois inconnus. Coraline essayait de l'intégrer à la conversation, en vain. En plus, le compartiment était bien trop exposé à la lumière extérieure. Il réussit à s'éclipser au bout d'une heure, ayant envie d'aller aux toilettes – il était trop sincère pour avoir prétexté ce besoin lorsqu'il n'existait pas encore. Après avoir accompli sa tâche, Gabriel traversa frénétiquement les wagons, cherchant Maya à travers les petites fenêtres. Lorsqu'il la trouva enfin, dans un compartiment au fond du train, en train de regarder une série sur sa tablette à l'ombre des bagages, il se sentit immensément soulagé. - Maya ! s'exclama-t-il en entrant dans le compartiment. - Oh ! Enfin ! Je t'ai cherché partout ! - J'étais avec Coraline. - Oh ok, elle va bien ? questionna la Serdaigle, qui connaissait plutôt bien la Poufsouffle, qu'elle voyait aux anniversaires de Gabriel, et parfois à des après-midis de jeu communes. - Ouais, ouais, enfin, y'avait ses amis... - Ah, je vois le problème. Ça va ? - Nooon ! Je n'ai rien su dire ! C'était l'heure la plus gênante de ma vie ! - Mince... - Je peux rester là ? Steuplait. - Euh, oui, moi je veux bien, mais Coraline ? Elle doit t'attendre. - Viens dans le compartiment avec moi alors, pitié. Pitié Maya. Je te donnerai tout ce que tu veux. - Tu me laisseras lire tes histoires ?
Gabriel émit un marmonnement inaudible, et la Serdaigle rit. - J'aurais essayé. Bon. J'arrive. Après des présentations encore plus gênantes, un silence s'installa. Puis, Coraline, Emily, Gael et Austin continuèrent leur conversation, Maya et Gabriel se racontèrent leurs vacances, puis retournèrent à leurs activités : livre et série. Gabriel passa la soirée à cogiter pour essayer de trouver quelque chose d'intelligent à dire, en vain. Même Maya, qui n'était pas non plus très sociable, réussissait à répondre lorsqu'on lui adressait la parole. Gabriel se contentait de sourires gênés et d'onomatopées. Coraline devait avoir tellement honte de lui. Il n'osait croiser son regard, alors qu'elle cherchait le sien. À l'ombre de son livre, le Serdaigle enrageait. Face à un écran d'ordinateur ou un cahier, les mots cascadaient avec fluidité, comme si une petite voix lui les murmurait, guidant ses mains. Ses mots étaient capables de créer des mondes, des gens, des relations, des magies. Mais dans la vraie vie, face à de vraies personnes, la cascade était comme gelée, immobile. Qu'est-ce-qui clochait chez lui ? -*- Alors que certaines personnes définissent certaines périodes de leur vie par leurs goûts, c'était impossible pour Gabriel, car ceux-ci ne changeaient pas : la lecture et l'écriture restaient les constantes de son cœur et de son esprit. Donc, il caractérisait chaque époque par une ou plusieurs histoires. Quand il était très petit, c'étaient les poèmes sur les fleurs et les animaux. Puis, autour de six ans, les nouvelles avec les animaux qui parlaient. Entre ses huit et treize ans, c'étaient les personnages du pirate, de la sirène, du scientifique, du chasseur de rêves et de l'apprenti magicien. Et à partir de ses treize ans, il revint aux poèmes, centrés autour d'un thème récurrent : la beauté d'une certaine paire d'yeux bleus, tantôt comparés aux vagues, tantôt au ciel, et parfois à des événements au premier abord sans aucun lien : la neige, un parfum, un gâteau, un pin, un dragon... C'étaient les seuls écrits qu'il couchait encore sur le papier, dans un carnet dédié. En parallèle, il avait commencé une nouvelle histoire – ou plutôt, un roman. Le jeune homme était déterminé à le finir, mais cela devenait de plus en plus compliqué de jongler entre les cours et sa passion. D'ailleurs, il avait eu l'idée de la trame en cours de sortilèges, lorsqu'il avait lamentablement échoué à lancer un Accio, l'objet restant immobile, comme si sa baguette magique ne fonctionnait plus. Alors que sa directrice de maison lui ordonnait de recommencer, l'esprit de Gabriel avait déjà posé les bases d'une dystopie dans laquelle, à cause de la pollution grandissante, la magie ne pouvait plus être exercée par des êtres humains. Le monde magique sombrerait alors dans le chaos le plus total... Il avait tout en tête, mais les événements, personnages et métaphores s'enchevêtraient, tournant comme une spirale. Il allait devoir travailler tout ça, et utiliser un de ses nombreux carnets pour écrire le squelette de son roman. Il couvrait plus de pages de ceux-ci que de parchemin pour ses devoirs. Néanmoins, il arrivait à obtenir des notes acceptables, voire bonnes, faisant la fierté de ses parents.
Dans son monde imaginaire, tout allait bien – ou plutôt, tout allait mal, une terrible dictature se mettant en place, mais au moins les événements de chaque chapitre se précisaient dans son esprit. En revanche, dans la vie réelle, tout était flou. Les années passant, Coraline et lui s'étaient de plus en plus éloignés. Chacun était dans son monde. Elle évoluait dans la lumière, populaire auprès de ses pairs, excellant en cours et principalement en Soins aux Créatures Magiques, déléguée de Poufsouffle et centre d'un groupe d'amis soudés. Lui se cachait dans l'ombre de ses livres, inconnu, le regard dans le vague, réfléchissant à des mondes qui n'existaient que pour lui, et un peu pour Maya, à qui il avait commencé à lire des extraits de son travail. C'était un pas énorme pour le jeune homme, mais s'il ne pouvait pas faire confiance à sa meilleure amie, il ne pouvait faire confiance à personne. Souvent, il se demandait s'il aurait partagé ses écrits avec Coraline aussi, s'ils étaient restés amis. À vrai dire, ils n'avaient jamais officiellement cessé de l'être. Il n'y avait pas eu de dispute, pas de problème. Même après le malaise dans le train en première année, Coraline avait continué à s'asseoir à côté de lui dans les cours qu'ils avaient en commun, à le rejoindre le soir à la bibliothèque, à le voir pendant les vacances. Mais l'été entre leur première et deuxième année, les Abraxas avaient fait un long voyage, puis Coraline s'était fait inviter chez ses amis – résultat, ils n'avaient pu se voir que fin août. À la rentrée, la jeune fille prenait place à côté de ses amis de Poufsouffle, et même si elle restait non loin de lui et lui parlait toujours, c'était Gabriel qui commençait à l'éviter, la présence d'autres personnes le rendant mal à l'aise. Décidément, il détestait cet aspect de sa personnalité. Ils commencèrent à avoir plus de devoirs, et se voir pendant les vacances devenait impossible. Puis, il y eut la troisième année et Pré-au-Lard, un village à côté de l'école, qui se parait de ses plus belles lumières à l'approche de Noël et qui devint rapidement l'endroit préféré de Coraline. Elle l'y invita la première fois, mais il y avait ses amis, avec lesquels elle discuta toute l'après-midi. Ils parlaient fort, de choses qui n'intéressaient pas Gabriel, et malgré ses efforts, il n'arriva pas à s'intégrer. C'était décidé : plus jamais il n'accompagnerait Coraline si elle était avec ses amis. Il se sentait beaucoup trop mal après, comme si ses batteries avaient été vidées. Elle l'y invita la deuxième fois, mais il y allait déjà avec Maya. Elle l'y invita la troisième fois, mais il était malade. Elle l'y invita la quatrième fois, la dernière de l'année, mais il ne pouvait pas venir, devant terminer un devoir de métamorphose à rendre pour le lendemain et sur lequel il avait bien trop procrastiné. Et en quatrième année, elle ne l'invita plus. Et il comprit finalement le principal paradoxe chez lui : il aimait le plus ce qui était loin, voire qui n'existait pas, avec peut-être l'exception de Maya. Il aimait des personnages imaginaires, qu'ils aient été créés par lui ou d'autres auteurs. Il aimait les univers fictifs plus que le sien. Et il aimait Coraline, maintenant qu'elle n'était plus proche de lui. Elle aurait tout aussi bien pu vivre sur une autre planète que lui, ou du moins dans un autre hémisphère, jamais illuminé en même temps que le sien. Son jour était sa nuit. Sa lumière était son ombre. Avait-il si peur du monde réel, qu'il essayait de l'étouffer avec son imagination ? Utilisait-il sa plume comme une arme, ou un moyen de comprendre la société dans laquelle il vivait ? Son écriture supposait de grandes capacités d'analyse, qu'il entraînait en observant le plus possible les phénomènes naturels, magiques, mais également humains.
Gabriel ignorait si observer Coraline faisait partie de l'analyse requise pour écrire des romans, mais si tel était le cas, il s'entraînait de plus en plus. Ses yeux étaient irrésistiblement attirés par sa présence, et ne s'aveuglaient jamais de sa lumière. Au contraire, celle-ci éclairait son ombre. Le jeune homme ne comprenait pas. Sa plume pouvait balayer prairies et jardins, cascades et glaciers, océans et montagnes, amour et haine, courage et lâcheté, oppression et révolution, rêve et réalité, ombre et lumière ; mais jamais, jamais, elle ne s'approchait du visage de Coraline, de sa démarche, de son sourire, de sa douceur, de sa bonté. Comme si elle était trop puissante, ou au contraire trop éphémère, pour être capturée par des mots. Ainsi, jamais Gabriel ne put poser les mots sur ses sentiments, et c'était bien la première fois que cela lui arrivait. Il se sentait perdu. Loin de la mise à nu que représentait pour lui le fait de partager ses écrits, il se sentait enfermé, comme si un haut mur infranchissable entourait son cœur, et que seuls les mots lui permettraient de construire une échelle. Alors, il l'observait de loin. Il souriait, parfois, et parfois pleurait. Mais ses larmes ne se changeaient jamais en encre pour sa plume. Le parchemin de son cœur restait vierge. À côté, les pages numériques de son ordinateur se remplissaient de plus belle, son esprit tout entier absorbé dans ce monde au bord de l'effondrement, privé de ses fondements magiques. Inconsciemment, Gabriel comprenait que le seul moyen de sortir de ce labyrinthe était de poser des mots sur ses sentiments. Mais il n'en trouvait aucun. Un « je t'aime » n'était rien s'il était adressé à une feuille de papier. Et il n'avait certainement pas le courage de lui dédier ces mots en face. Et un jour, il fut trop tard. Son apprentissage de magicien terminé, les portes de la salle commune, de Poudlard, puis du Poudlard Express, se refermaient derrière lui à jamais, le laissant seul avec ce sentiment de vide abyssal, que même l'achèvement de son premier roman, intitulé « Magicless », ne comblait pas. Il rentra chez lui, serra ses parents dans ses bras, et attendit. Attendit les résultats de ses A.S.P.I.C. Attendit les réponses des universités de sociologie auxquels il s'était inscrit – une matière qui le passionnait, la seule qu'il s'imaginait continuer dans le supérieur, et qui pourrait de plus lui être utile pour ses livres. La certitude s'était imposée à lui, avec l'aide de Maya : il allait falloir qu'il accepte que d'autres gens lisent ces écrits, car Gabriel Dunckin allait devenir écrivain. Car, comme l'expliquait l'autrice Maya Angelou, « il n'y a pas de plus grande agonie que de porter en soi une histoire non racontée ».
Aussi raconta-t-il le plus d'histoires possibles. Il raconta prairies et jardins, cascades et glaciers, océans et montagnes, amour et haine, courage et lâcheté, oppression et révolution, rêve et réalité, ombre et lumière. Il écrivit et il étudia, et il étudia ses écrits. Il érigea son mur de plus en plus haut, et même Maya ne put y pénétrer, cette fois. Il raconta haine et mépris de soi, amour ignoré puis perdu, isolation croissante. Il écrivit et il étudia, pendant que Coraline étudiait la dragonologie en Roumanie. Il l'avait appris lors d'un cours d'orientation, où chaque élève devait faire part de son projet. Lorsqu'elle avait parlé du sien, une fière détermination brillait dans ses yeux, une flamme que seuls les dragons auraient pu lui donner. Il savait qu'elle s'intéressait à ces animaux depuis la première année, et même avant, puisqu'elle les glissait toujours dans leurs jeux communs, il savait qu'elle avait pris l'option Soins aux Créatures Magiques en troisième année, et qu'elle l'avait poursuivie après les B.U.S.E., mais il n'avait jamais pensé que cela pouvait être sa passion. En même temps, comment pourrait-il savoir ce qu'elle aimait. Comment pourrait-il même savoir qui elle était ? Il aimait la Coraline qu'il observait, la Coraline qui riait avec ses amis, qui les prenait dans ses bras, qui souriait aux autres, qui prêtait feuilles et stylos, qui aidait pour les devoirs. Mais cette fille courageuse et douce, généreuse et patiente, était-ce bien Coraline ? Il ne pouvait pas le savoir. Elle était littéralement à un million neuf cent vingt-neuf mille soixante-quinze kilomètres de lui. Et elle ne reviendrait que dans trois ans, à la fin de son master. Plus il y pensait, plus les regrets le dévoraient. Il aurait pu être plus courageux. Ses parents lui avaient toujours appris à exprimer ses émotions, à ne rien garder à l'intérieur. Et il pensait que c'était ce qu'il faisait, en écrivant. D'un côté, effectivement, il faisait sortir ses pensées et sentiments de son esprit, mais ce que Jamie et Harmony voulaient dire, c'était qu'il fallait les partager avec quelqu'un. Et si ces pages restaient non lues, c'était comme s'il gardait tout en lui. Il n'y avait effectivement pas de plus grande agonie que de porter en soi une histoire non racontée. Et il pourrait écrire tous les romans qu'ils voulaient, fantastiques, romantiques, utopiques, dystopiques, cela n'aurait aucun effet sur son mal-être, sur cette sensation d'échec, de non-dit, car tout simplement, ce n'était pas la bonne histoire.
Ainsi, un jour, sous sa plume, se glissa un dragon. Et une jeune femme aux longs cheveux blonds, qui l'apprivoisait et le montait. Evaline vivait en effet dans un pays, nommé Romania, qui, bien que moldu, était peuplé de créatures magiques. Les licornes, Phénix et autres animaux aquatiques étaient monnaie courante pour se rendre d'un endroit à un autre. Mais Evaline s'était décidée pour un dragon. Elle était originale, belle, douce, elle avait du cran. Dans ce monde, chaque personne avait un don unique. Le sien était de maîtriser la lumière ; là où elle marchait, le soleil baignait ses pas, lorsqu'elle souriait, il brillait plus fort. À côté de chez elle vivait un jeune garçon qui avait le pouvoir d'amener à la vie toute création de son imagination avec des ombres. Mais il avait peur de l'approcher. Car la lumière faisait disparaître les ombres, et il craignait qu'elles soient tout ce qui le constituent. Il écrivit, jour et nuit, jusqu'à ce que ses larmes se soient changées en lettres, que ses pensées soient devenues des mots, que son histoire soit racontée. Puis, il y eut une semaine, où il ne se passa rien. Où il n'écrivit pas. Il imprima son manuscrit, sortit dehors, au soleil, prit le temps, pour la première fois depuis des années, de regarder l'horizon, de se promener, de respirer. Puis, il alla chez un éditeur. Contre toute attente, ses souffrances eurent beaucoup de succès. Sa maison d'édition ne le paya pas des masses, mais voir ses pages numériques changées en papier, en encre, en objet réel, avec une quatrième de couverture que Coraline pourrait lire un jour – et il pensait cela impossible, car elle ne reviendrait que l'année suivante. Pourtant, le succès de son livre persista. Il fut même amené à donner des séances de dédicace. Gabriel essayait de ne pas penser à tout ce que cela impliquait – que, plus que son roman, c'était lui qui était aimé et admiré, puisqu'on voulait que l'objet soit marqué de sa signature. Des ateliers étaient régulièrement organisés sur le Chemin de Traverse, et il faisait de son mieux pour écrire bien, et être aimable envers les gens. Mais c'était la fin de la journée, et il devait admettre que la lumière estivale qui illuminait l'endroit lui faisait mal aux yeux. Il avait hâte de se réfugier dans l'ombre fraîche de son appartement, ou peut-être de celui de Maya – cela faisait trop longtemps qu'il ne lui avait pas rendu visite. La file de personnes s'amenuisait, heureusement. Il n'en restait que quelques-unes. Fatigué, gêné, Gabriel regardait rarement les visages de ceux qu'il s'interdisait d'appeler « ses fans ». Il se contentait de demander timidement leur nom, et à ce qu'ils l'épellent si nécessaire, redoutait qu'ils veuillent une photo, soupirait discrètement si tel était le cas.
- À quel nom ? bredouilla-t-il pour la cinq-centième fois de la journée. - J'ai cru comprendre Evaline ? le taquina une voix à la fois familière et inconnue. Il releva la tête précipitamment, le cœur battant de plus en plus vite, aveuglé. Puis, ses yeux s'habituèrent petit à petit à la lumière, et il découvrit une Coraline magnifique, son doux visage animé d'une émotion qu'il ne savait reconnaître. - Bonjour, Gabriel.
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Bright darkness - 9 - Le prix de son innocence.
11 avril 2023. 20 ans de Morgane.
Joyeux anniversaire Morgane !!!
Je suis très heureuse d'avoir réussi à finir à temps ! J'avais pour projet d'écrire cet OS, + un Camerwan, mais j'ai manqué de temps. Au moins, il y a Erwan et Cassandra, et beaucoup de drama, c'est déjà ça. Et fun fact, c'est la suite de l'OS faite pour l'anniv de Ihab, donc si tu ne t'en rappelles plus, relis-la avant;) (c'est "Who you really are")
Musique : Playlist
Juillet 2019.
- I -
CASSANDRA
“I hope someday I'll make it out of here
Even if it takes all night or a hundred years.”
_ Lovely, Billie Eilish.
Cassandra n'aurait pas su dire si le manoir Selwyn avait beaucoup changé depuis que ses parents n'y habitaient plus. Après tout, elle n'y avait pas vécu avec eux depuis l'âge de six ans. Pendant quatre ans, ils avaient été en cavale à travers toute l'Europe, habitant des maisons moldues luxueuses et semant la destruction et la mort sur leur passage. Le manoir Selwyn était le symbole du pouvoir de sa famille, mais aussi de sa chute : c'était en voulant le récupérer qu'Adonis et Gaïa s'étaient fait capturer par les Aurors, en cette funeste nuit du printemps 2014.
Elle avait quinze ans à présent, mais elle y repensait parfois, juste avant de s'endormir. Elle ne pouvait pas s'empêcher de se sentir coupable, tant d'années plus tard. Erwan lui avait répété mille fois que le sortilège que ses parents voulaient qu'elle lance était impossible pour une fillette de dix ans, et que, certes, ils s'étaient fait repérer lorsqu'elle avait échoué, mais les Aurors patrouillaient de toute façon autour du manoir, et ils se seraient de toute façon fait prendre. Adonis et Gaïa avaient été aveuglés par leur arrogance et leur soif de pouvoir, comme toujours – mais cette fois-ci, cela leur avait été fatal.
Elle se rappelait encore la souffrance du Sectumsempra que lui avait lancé cet Auror aux yeux gris acier. Lorsqu'elle se concentrait assez, elle pouvait encore ressentir le sang s'écouler des plaies béantes de tout son corps. Elle pouvait sentir la vie la quitter en même temps que le sang imbibait le terrain du manoir. Elle l'avait vu à peine quelques mois plus tôt, lors d'un cours sur les Épouvantards. Cassandra avait réussi à faire disparaître Jacob Hunter d'un Riddikulus, en l'imaginant déguisé en ananas, puis s'était enfermée dans un mutisme qui avait duré deux jours.
Ses amis avaient complètement respecté ça, allant jusqu'à parler moins en sa présence, ce qui était adorable, même si pas forcément nécessaire. Mais Shel et Camélia étaient ainsi : à chaque fois qu'ils pouvaient lui prouver qu'ils l'aimaient, ils le faisaient. Inlassablement.
Elle ne serait pas la même sans eux. Et parfois, elle avait l'impression qu'elle ne serait pas sans eux. Cassandra n'avait jamais été forgée que par les autres. Elle s'émerveillait de se voir à travers les yeux de Shel et Camélia. De développer une vraie personnalité, avec bien sûr des influences de l'un et de l'autre, le sarcasme de Shel, l'insolence de Camélia, le sérieux de Shel, la bravoure de Camélia, mais elle avait plus l'impression qu'ils assemblaient des pièces d'un puzzle préexistant, pas qu'ils le créaient.
Et ce n'était pas tant le fait qu'ils l'apprécient, ou l'aident à se construire, même si c'était déjà incroyable en soi. Shel et Camélia lui avaient ouvert la porte d'une adolescence normale. Discuter à voix basse en cours, au grand dam du Serdaigle, discuter pendant des heures près du Lac Noir, rire si fort qu'ils en perdaient le souffle, se courir après dans les couloirs pour une bêtise, lancer des rumeurs sur un camarade de classe. Cassandra n'avait pas eu d'enfance normale, et, même si elle tentait de l'oublier, cela s'imposait à elle. Lorsqu'elle tremblait dès que quelqu'un pointait un appareil photo sur elle, lorsqu'elle n'arrivait pas à dormir si elle ne pouvait pas ériger un bouclier magique autour de son lit, craignant que les Nées-Moldues de son dortoir ne volent sa magie, lorsqu'elle ne savait pas ce qu'était un objet très commun (comme un téléphone portable, que de plus en plus de sorciers possédaient).
Lors de ses nuits d'insomnie, sa responsabilité dans l'arrestation de ses parents hantait Cassandra. Surtout, elle luttait contre cette pensée terrible selon laquelle finalement, cela avait peut-être été pour le mieux. Adonis et Gaïa étaient bien plus recherchés, et coupables de bien plus de choses que lorsqu'Erwan était à Poudlard. La cadette n'aurait sûrement pas eu le droit d'y aller. Elle n'aurait pas rencontré Shel et Camélia. Qui serait-elle devenue ?
Elle le savait désormais : ses parents étaient dangereux. Factuellement, ils avaient tué des centaines de personnes, avant et après la guerre. Ils n'avaient jamais paru éprouver quelconque peine ou regret à ce sujet, et sa mère semblait même trouver un certain amusement à torturer des gens. Et elle le savait également, et en était de plus en plus sûre, même si c'était terriblement dur à admettre : leurs croyances n'étaient pas fondées sur des faits. Les Nés-Moldus ne volaient pas la magie des Sang-Pur. La pureté du sang n'était pas une donnée biologique. En laboratoire, du sang moldu et du sang sorcier étaient indiscernables : les scientificomages postulaient que la magie était la somme d'une combinaison d'allèles situées sur des gènes distincts. Des études étaient en cours. Cassandra les suivait de près.
Mais, alors qu'elle venait juste de barrer ces questions relatives à la véracité des convictions de ses parents de son petit carnet, d'autres angoisses venaient s'y ajouter, trop puissantes pour qu'elle les transcrive.
Deux mois plus tôt, elle avait vécu une expérience pour le moins unique. À la suite d'une dispute avec Camélia, causée par une remarque puriste de la part de Cassandra, la Poufsouffle était allée voir Shel, dans le but de comprendre qui elle était. Son ami disposait d'un pouvoir spécial, lui permettant de faire entrer les autres en transe et de projeter dans leurs esprits des scènes de son cru. Idéal pour l'introspection dont avait désespérément besoin la jeune fille. Le Serdaigle avait pris sa demande très à cœur.
Seulement, il s'avérait que Shel ne pouvait pas seulement projeter des images. Il pouvait également récupérer des souvenirs.
Et ce qu'avait vu Cassandra dans son propre esprit était pire que tout ce qu'elle aurait pu imaginer.
L'image de cette femme la hantait. Elle la voyait dès qu'elle fermait les yeux.
Et c'était horrible à dire, mais le cadavre par terre, le cadavre de son mari, ne la préoccupait pas tant que ça. C'était comme si, en un sens, c'était déjà fini pour lui. Alors que l'histoire de son épouse restait en suspens dans son esprit. Sans fin. Sans réponse.
Et surtout, le funeste destin de cet homme n'était en aucun cas lié à elle. C'était son père, ou sa mère, qui l'avait tué. Alors que cette femme... elle était morte, c'était certain. Mais cela pourrait très bien avoir été de sa main.
« C'est facile » l'avait rassurée Gaïa.
Cela l'avait-il été ?
Cassandra avait dressé une liste mentale d'arguments qui prouvaient que c'était impossible. Numéro 1 : elle n'avait pas réussi à lancer un sortilège d'Ubiquité, comment aurait-elle pu lancer un Avada Kedavra ? Numéro 2, en complément du numéro 1 : Pour lancer un Sortilège de Mort, il fallait le vouloir profondément, c'était connu. Voulait-elle profondément tuer quelqu'un à l'âge de neuf-dix ans ? Sûrement pas. Numéro 3 : Pourquoi se serait-elle sentie obligée ? Elle aurait tout aussi bien pu refuser poliment. Ses parents n'avaient jamais été violents envers elle. Froids, parfois, quand elle les décevait, mais jamais longtemps. Elle ne risquait rien.
Elle n'avait que trois idées principales, mais elle s'y accrochait comme des bouées en haute mer. Et si elle n'obtenait pas de réponse bientôt, elle se noierait.
Cassandra vivait pour la vérité. La vérité laide, immonde, dégoûtante. La vérité nue, tranchante, réelle. Elle avait réussi à comprendre et accepter que les convictions pour lesquelles ses parents étaient devenus des criminels, pour lesquelles ils avaient brisé les enfances de son frère et elle, pour lesquelles ils étaient morts, n'étaient que des complots paranoïaques. Elle avait réussi à comprendre, même si c'était encore difficile de se défaire de ses vieux réflexes, que les Moldus et Nés-Moldus étaient exactement comme les sorciers, à quelques exceptions génétiques près, imperceptibles et sans conséquences.
Mais elle n'était pas sûre de pouvoir accepter qu'elle avait tué quelqu'un.
Pourtant, elle avait un moyen de le savoir, et ne reculerait pas. Elle vouait une confiance aveugle en son frère, et pourrait lire son esprit si elle avait le moindre doute.
Il n'y avait pas de bonne façon de demander quelque chose comme ça. Pas de bon moment. Depuis le début de l'été, chaque moment avec son frère aurait pu accueillir cette discussion, et en même temps, aucun ne l'aurait pu.
Car dans tous les cas, qu'elle ait tué ou pas tué cette femme, elle soupçonnait fort que lui, ou leurs parents, aient effacé son souvenir. Shel maintenait qu'elle l'avait refoulé à cause du traumatisme, mais Cassandra n'y croyait qu'à moitié. Le souvenir était flou et distordu, comme s'il avait été altéré.
Elle avait longtemps réfléchi à comment introduire cette monstrueuse question. « Erwan, est-ce-que j'ai tué quelqu'un ? » semblait un peu cavalier. Mais en même temps, Cassandra n'aimait pas tourner autour du pot, parer les mots de leurs plus belles étoffes en espérant les rendre moins terribles. Erwan lui-même avait tué des gens. Et ils le hantaient encore, elle le savait. Ils se croisaient parfois la nuit, lorsqu'ils venaient s'asseoir à la lumière de la lune, tentant d'échapper à leurs pensées.
Ils le hanteraient toujours.
Il la comprendrait.
- II -
ERWAN
“Si seulement tout était si simple ! Si seulement il existait des personnes malveillantes commettant insidieusement des actes maléfiques et qu'il suffisait de les séparer du reste d'entre nous et de les détruire. Mais la ligne qui divise le bien et le mal traverse le cœur de chaque être humain. Et qui est disposé à détruire une partie de son propre cœur ? »
― Aleksandr Solzhenitsyn
-*-
Il n'arrivait pas à croire qu'elle avait déjà quinze ans.
Cassandra était, quelque part, son seul indicateur du temps qui passait. Les jours se ressemblaient pour Erwan : il se réveillait, restait au lit en pensant à la charge de travail qui l'attendait, et finissait par se traîner devant ses bouquins et son ordinateur. Erwan avait repris ses études quand Cassandra était entrée à Poudlard, en choisissant la seule matière qui l'avait vraiment intéressé à l'école : l'histoire de la magie. Il pouvait se permettre de se projeter dans un doctorat, et d'étudier autant de temps qu'il voulait, ayant hérité de la fortune des Selwyn. Ce qui tombait bien, car le jeune homme avait à peine l'énergie de compléter son mémoire jour après jour, alors avoir un métier serait un poids trop considérable.
Cassandra et Camille pensaient qu'il était malade, qu'il devrait consulter un psychologue. Mais Erwan ne l'envisageait pas comme ça. Il s'était senti ainsi depuis tellement longtemps qu'il en venait à penser qu'il s'agissait de son fonctionnement normal. Il avait du mal à imaginer ce qui relevait de sa personnalité et ce qui relevait de sa supposée dépression. Qu'était-il censé faire, de toute façon ? Voyager à travers le monde alors que n'importe qui qui avait lu les journaux ces dix dernières années le reconnaîtrait ? Faire la fête avec ses nombreux amis non existants ? Que pouvait-il faire à part dormir seize heures par jour, et consacrer le temps restant à tourner en rond dans ce manoir dont il aurait peut-être voulu ne jamais hériter ?
Les souvenirs suintaient de cet endroit du sol au plafond. Il lui semblait parfois que les voix de ses parents résonnaient entre les murs. Il avait descendu tous les portraits de leurs ancêtres à la cave, car ils avaient la fâcheuse tendance à commenter et juger la moindre de ses actions, sans aucune vergogne : sa barbe mal rasée, sa maigreur, ses épaules apparemment déformées, sa colonne vertébrale saillante, sa façon de s'habiller, le fait qu'il utilise un ordinateur moldu pour taper son mémoire...
Après tout, nous étions en 2019 et le purisme n'était vraiment plus d'actualité. Au fond de lui, Erwan restait persuadé que la magie des Nés-Moldus était moins puissante que celle des sorciers de Sang-Pur, mais il avait vu ce que ces croyances pouvaient infliger. La haine engendrait la haine. Et la mort. Il en avait longuement parlé avec Camille. Ils n'avaient pas vécu tout à fait les mêmes choses, et pourtant, il y avait ce petit quelque chose entre eux qui donnait l'impression à Erwan qu'ils parlaient une langue qui n'existait qu'entre eux. Que Camille avait des reliefs là où il avait des creux, qu'elle avait de l'obscurité là où il avait de la lumière, et inversement. Était-ce étrange d'aimer quelqu'un car ses failles étaient compatibles avec les nôtres ?
En tout cas, Erwan était certain d'une chose : cette machine moldue était fantastique. Il ne comprenait absolument pas comment elle pouvait fonctionner, mais il savait que lorsqu'il appuyait sur une touche, la lettre apparaissait sur l'écran, et c'était incroyable et instantané. Apparemment, il y avait plein d'autres choses qui pouvaient être faites avec cette machine, comme regarder des images mouvantes ou « aller sur Internet », mais le jeune homme avait peur et s'en tenait au traitement de texte.
Mais quand sa sœur était là, il passait d'étudiant-larve qui avait mal au dos car il se tenait toujours courbé devant son écran à grand frère qui cuisinait, prenait soin de la maison, interrogeait Cassandra sur ses révisions d'été et faisait du sport avec elle – alors qu'il n'était jamais monté sur un balai de toute son adolescence, il s'était initié au vol lorsqu'elle était entrée dans l'équipe de Quidditch de Poufsouffle en tant que batteuse.
Et là, il était en train de préparer des spaghettis à l'avocat, au saumon et aux crevettes, avec une touche de basilic et de citron frais. Il avait l'impression d'être deux personnes différentes en présence et absence de sa petite sœur.
« Wow, ça a l'air super bon ! T'es vraiment genre, un chef cuistot maintenant.
- Ouais, ben écoute, je suis né talentueux, je n'y peux rien.
- Humble et modeste, aussi.
- On ne peut pas être humble et modeste quand on fait d'aussi bonnes pâtes, Cassie. Goûte-moi ça. »
Elle hocha la tête en s'exécutant, réprimant un sourire.
« Ça passe.
- Ça passe ? Ado ingrate, demain c'est toi qui cuisine.
- Ben, chiche ! »
Un ange passa. Cassandra et Erwan commencèrent à manger, admirant le coucher de soleil. Le jeune homme captait les œillades inquiètes de sa sœur dans sa direction.
« Il y a quelque chose que tu veux me dire ? Me demander ? »
Il y avait ces regards, mais aussi cette façon de tirailler le bout de sa mèche de cheveux, de secouer son collier, de se balancer sur sa chaise. Il la connaissait par cœur.
Elle hocha la tête, comme si les mots étaient trop lourds pour qu'elle réussisse à les prononcer. Erwan fronça les sourcils, sentant l'inquiétude le gagner. Cassandra était une personne réservée, mais lorsqu'elle avait un problème, elle n'hésitait pas à se confier à son frère. Et elle lui avait parlé de beaucoup de choses. De tous les ouvrages scientifiques qu'elle avait lus et qui infirmaient les théories de leurs parents, de tous leurs crimes, de ce qu'ils leur avaient fait subir en prétendant les aimer. Cassandra traversait le monde comme un Palais des Glaces, tâtonnant chaque vitre de haut en bas pour être sûre qu'elle était bien réelle, questionnant sa propre place dans ce labyrinthe. Erwan, lui, se contentait de suivre le chemin que ses parents avaient tracé pour lui. Et depuis qu'ils n'étaient plus là, soit il avançait à l'aveuglette et se prenait les vitres, soit il restait immobile, terrifié d'avancer.
Admirer, estimer : aucun mot, finalement, ne réussissait parfaitement à décrire ce qu'il ressentait à l'égard de sa petite sœur. Une fierté sans bornes, tissée de jalousie et de regrets. Il aurait aimé être aussi brave et intelligent qu'elle. Il aurait aimé tout remettre en question. Cassandra traversait le Palais des Glaces en examinant chaque leurre, mais elle ne s'en contentait pas. Elle brisait les mensonges, faisait voler en éclats les préjugés. Elle brandissait son courage et se frayait un chemin, son chemin, sans prêter attention au verre brisé qui la coupait sûrement, qui la faisait souffrir.
Et Erwan savait à quel point Cassandra était prête à tout pour la vérité.
Aussi comprit-il la question qu'elle allait poser quelques secondes avant qu'elle ne franchisse ses lèvres.
« Erwan, est-ce-que j'ai tué quelqu'un ? »
Il s'était déjà imaginé cette conversation. Un questionnement logique de la part d'une jeune fille ayant grandi dans le chaos. Dont les parents, l'oncle, les grands-parents, le frère, avaient déjà tous ôté la vie. Et il avait déjà sa réponse, toute prête, emballée dans le tiroir mental où il l'avait soigneusement rangée six années auparavant. Il ne lui restait plus qu'à ouvrir ce tiroir, et...
« En m'entraînant à la Legilimancie, je suis tombée sur ce souvenir. »
Cassandra leva les yeux vers Erwan, et il referma le tiroir imaginaire, devinant que cette conversation allait être plus difficile que prévu.
« Je peux te le projeter ? »
Le jeune homme nota qu'elle avait enfin acquis la notion de consentement en matière de Legilimancie. Plus jeune, Cassandra lisait les esprits sans aucune vergogne, et envoyait des pensées à tout va parce qu'elle ne voulait pas faire l'effort de parler ou de se déplacer. Il était d'ailleurs devenu Occlumens pour elle, car jamais il n'aurait accepté qu'elle lise les pensées noires qui le tourmentaient.
Erwan trembla en plongeant son regard dans celui de sa sœur. Il eut l'impression de contempler les yeux d'une très vieille personne, qui avait tout fait, tout vu et ne cherchait que la paix. Mais au fond, tout au fond, tourbillonnait une flamme de panique, inarrêtable, une flamme de terreur toute teintée de jeunesse et d'innocence qui priait pour ne pas se faire éteindre.
Il se doutait de ce qu'elle avait pu voir, mais à la fois, il préférait ne pas y penser. Il reposa sa fourchette dans son assiette encore pleine, l'appétit coupé, et prononça ce qui lui semblait à cet instant être ses dernières paroles :
« Vas-y. »
Il ferma les yeux.
Il sut de quoi il s'agissait dès la première seconde du souvenir.
Il y avait un cadavre par terre.
À côté, suspendue dans les airs, un futur cadavre. Hurlant, pleurant, crachant un flot de bile non loin de ce qui fut son mari.
Au milieu des deux, comme le sommet d'un triangle, sa petite sœur. Une baguette à la main.
Et de l'autre côté, enlacés, la fixant d'un air rassurant, leurs parents.
Et il ne savait que trop bien ce qui s'était passé, car il était arrivé quelques instants plus tard. Juste après qu'Adonis pétrifie la femme, et qu'elle ne s'écrase aux pieds de Cassandra. Il était arrivé à partir du moment où le souvenir se brouille, tourbillonne, se déchire, disparaît.
Car c'était lui qui l'avait effacé.
Au moment où sa sœur se retirait de son esprit, que le souvenir refluait comme une vague dévastatrice, la suite inonda l'esprit d'Erwan.
La première chose qu'il avait vue, c'étaient les cheveux dorés de Cassandra qui ondulaient jusqu'en bas de son dos. Une ode à l'enfance, une ode à la pureté. Des cheveux d'ange.
La première chose qu'il avait entendue, c'était les explications de Gaïa. Sa voix emplissait la pièce du sol au plafond, comme toujours. Lorsque sa mère parlait, le monde s'inclinait, s'étendait à ses pieds.
La première chose qu'il avait pensé, terriblement, égoïstement, c'était qu'il aurait voulu ne jamais être entré dans cette pièce.
Car il ne savait que trop bien ce qui était en train de se passer. Et il ne savait que trop bien qu'elle le ferait. Parce qu'il l'avait fait, lui aussi. Dans un endroit différent, mais dans des circonstances semblables, un « traître à son sang » aux cheveux gris et aux yeux pâles qui était devenu le premier de ses fantômes.
Erwan avait lu tout ce qu'il y avait à lire sur la liberté. Il s'était biberonné au nihilisme nietzschéen, à la liberté de choisir sa servitude selon Camus, à la liberté qui est ce que nous faisons de ce que l'on a fait de nous de Sartre. Mais au moment où, à l'âge de dix-sept ans, ses parents s'étaient plantés devant lui et lui avaient ordonné de tuer cet homme, la philosophie n'avait plus lieu d'être. La liberté n'avait plus lieu d'être.
Et il l'avait dit.
Avada Kedavra.
Et ce n'étaient que deux mots, finalement. Deux mots que leur rime rendait presque poétiques. Deux mots inoffensifs, en soi. Jusqu'à ce qu'ils créent une onde magique qui arrête le cœur de quelqu'un, qui fige son dernier souffle, qui fasse disparaître tout l'immatériel.
Et par la suite, il avait si souvent prononcé ces deux mots qu'ils en étaient presque devenus des amis.
Erwan avait lu dans des ouvrages de magie noire que pour lancer un Sortilège Impardonnable, il fallait le vouloir, sincèrement et profondément. Il ne l'avait pas vécu ainsi. Il n'avait jamais autant souhaité que son sortilège ne fonctionne pas que lorsqu'il avait tué cet homme, et il n'avait jamais autant voulu la mort de quelqu'un que lorsqu'il avait pointé sa baguette vers lui-même, à peine quelques heures plus tard. Les lois de la magie étaient bien plus complexes qu'il n'y paraissait.
Il avait fini par se dire que c'était ainsi. Qu'il était un tueur, qu'il l'avait toujours été, qu'il le resterait. Que cela n'avait pas assez d'importance pour laisser une trace, que c'était son héritage, son destin, et tout ce que ses parents avaient fini par lui mettre dans la tête. Il avait fait une croix sur Sartre et ses fantaisies. Il avait embrassé l'éclair vert et la poésie des deux mots.
Mais en voyant sa sœur dos à lui, aussi immobile qu'une statue à l'exception de sa main qui tenait la baguette, secouée de tremblements, en écoutant les paroles doucereuses et rassurantes d'Adonis et Gaïa Selwyn, en respirant l'odeur du sang et de la mort comme pour la première fois, Erwan fut frappé par l'évidence.
Il n'était pas né meurtrier, mais l'était devenu. Il avait été coercé, piégé, ensorcelé sans magie, par ces regards pleins d'attente et ces paroles pleines de miel. Par ces compliments et ces encouragements et ces promesses.
Ce n'était pas tant qu'il s'était fait convaincre, ou même persuader, par ses parents. Ce n'était pas tant qu'ils l'avaient manipulé, charmé, ou bien d'autres choses encore.
En la présence d'Adonis et Gaïa, Erwan devenait Adonis et Gaïa. Leur prolongement. Ses pensées étaient les leurs. Ses sentiments leur appartenaient. Il leur appartenait.
Et Cassandra, adorable Cassandra, douce Cassandra, innocente Cassandra, leur appartenait aussi.
Il aurait voulu courir, hurler, bondir, protester, arracher cette baguette de ses mains, arracher sa sœur à cette famille et à ce monde qui les condamnait aux ténèbres, il aurait voulu partir, il aurait voulu l'empêcher.
Il n'a rien fait.
Et la pièce s'est illuminée de vert.
-*-
« Erwan ? »
Elle attendait une réaction. Une réponse. La flamme dans ses yeux luttait.
Il avait préparé ce moment. Il n'était pas sûr qu'il arrivait, il aurait même parié le contraire. Mais ce n'était pas si étonnant : Cassandra était Legilimens, et une véritable petite fouineuse.
« Ta sœur et la mienne, lui avait dit Camille, ce sont les mêmes. Mine de rien. Deux petites rebelles qui fourrent leur nez partout, surtout là où il ne faut pas. »
Elle l'avait aidé à mettre au point le faux souvenir. Camille était également Legilimens, par apprentissage et non par naissance, et une sorcière puissante. Elle lui avait expliqué que les Legilimens avait un accès plus simple à leurs propres souvenirs, qu'il était probable que Cassandra le retrouve un jour. Pour éviter une catastrophe, il valait alors mieux diriger tout l'effacement sur la fin du souvenir, et pour ce qui est du début, le brouiller et le projeter au fin fond de son esprit.
-*-
Heureusement, Erwan avait réagi vite.
La lumière verte s'était à peine tarie, le cadavre de la femme à peine raide, que le jeune homme avait déjà pris sa petite sœur dans ses bras, l'isolant de la vision de ses parents et de sa victime. Elle était amorphe, le corps aussi immobile que la morte. Ses yeux étaient vides. Seule sa main, toujours, tremblait.
« Cassandra. »
Elle n'avait pas réagi à son prénom.
« Cassie. Je suis là. »
Adonis et Gaïa s'avançaient déjà vers leur fille après s'être topé dans la main, tout joyeux et fiers. Erwan les a foudroyés du regard.
« Dix ans, mon amour ! Dix ans et déjà capable de jeter des sortilèges qui font peur aux plus grands sorciers et sorcières de tous les temps !
- Ma merveilleuse Cassandra, félicitations !
- Ne t'inquiète pas, elle n'a pas souffert une seconde. C'était pour le plus grand bien. Ça ira.
- Qu'aurait-elle fait sans son mari, en plus ? Tu lui as épargné un deuil, ma Cass. »
Abjects. Ils étaient abjects. Erwan s'érigea comme un bouclier.
« Qu'est-ce-qu'il y a encore, Erwan ?
- C'est bon, stop, laissez-la. Vous en avez assez faits.
- Non mais... je rêve. Tu vas encore nous blâmer ? Erwie, chéri, ce n'était pas nous qui tenions la baguette. C'était son choix. Comme c'était le tien. »
Il aurait pu dire beaucoup de choses. Il aurait pu dire que cela n'avait jamais été son choix. Qu'il avait peur d'eux, même s'il le refoulait à tout prix. Que sa seule liberté était de choisir sa soumission.
Il a juste dit :
« Laissez-lui un moment. Elle a dix ans. Elle vient de tuer quelqu'un. »
C'était comme si ces mots, les mots de son frère, rendaient soudain les choses réelles pour Cassandra. Elle commença à hurler, un hurlement strident et constant, comme si elle était en danger, comme si elle appelait à l'aide. Mais c'était trop tard. Et elle était le danger.
Elle hurla et se débattit, sous les regards surpris et tristes de ses parents, dans les bras de son frère. Elle hurla, elle frappa violemment Erwan, se frappa elle-même, se plia en deux et vomit. Erwan ne pensa même pas à se nettoyer d'un Récurvite. Il était envahi par la souffrance de sa sœur, par son horreur, par son dégoût d'elle-même et de tout ce qui faisait de sa famille ceux qu'ils étaient.
Même la première fois qu'il avait tué un homme, il avait été lâche. Il avait souri poliment et hoché la tête aux félicitations de ses parents. Il était monté dans sa chambre, n'avait même pas réussi à réitérer l'exploit et à s'ôter la vie. Et à la place, il avait égrené les marques sur ses jambes, comme si la flamme du briquet pouvait raviver celle de son innocence.
Cassandra était différente. Criante, littéralement, de vérité. Hurlant la terreur, vomissant l'inhumanité, crachant la violence et la folie.
Adonis et Gaïa laissèrent Erwan l'emmener, et firent disparaître le corps d'un simple Evanesco. Il l'immobilisa de son mieux, subissant ses coups, se noyant dans ses larmes. Ils se réfugièrent dans la cuisine de la maison moldue, désormais vide de ses occupants.
Cassandra s'arracha à l'étreinte de son frère, et commença à se frapper répétitivement la tête sur la table. Elle ne hurlait plus, la voix déjà cassée, émettant à peine de petits bruits d'animal blessé. Erwan ceignit sa taille, la ramenant contre lui. Sa pitié avait laissé place à une froide fureur.
« Cassandra. »
Sa voix était claire, autoritaire. Tremblante, aussi.
« Cassandra. Arrête. Ne te fais pas de mal. »
Elle se figea, levant la tête vers son frère. En croisant son regard, plus sombre qu'il ne l'avait jamais vu, Erwan sut exactement quoi faire.
Jamais elle n'aurait à vivre dans la haine, la honte et le dégoût d'elle-même.
Jamais elle ne connaîtrait la souffrance infligée de sa propre main, les crises de panique dans le noir, les fantômes qui la poursuivent partout.
Dès le moment où il l'avait tenue dans ses bras, dix ans plus tôt, il avait su que Cassandra serait la petite lumière dans les ténèbres brillant juste assez fort pour encourager à les traverser.
Il n'aurait pas pu lui offrir une autre vie, avec d'autres parents, une autre famille, un autre héritage. Il aurait pu arriver plus tôt, il aurait pu réagir plus vite, l'empêcher de tuer cet homme.
Mais, s'il ne pouvait pas changer le passé, seul comptait après tout la version que sa sœur avait de celui-ci.
« Cassandra, répéta-t-il, en caressant doucement ses cheveux. Tu me fais confiance ? »
Elle hocha la tête frénétiquement, tremblant de tous ses membres, haletante. Il sortit sa baguette.
« Je peux changer les choses. Avec la magie. Tu acceptes ? Je peux faire en sorte que ça ne soit jamais arrivé. Tu me crois ? »
Les grands yeux noisette de la fillette s'écarquillèrent. Elle s'effondra dans ses bras, comme une marionnette dont on avait coupé les fils. Incapable de parler, elle le supplia du regard, hochant la tête de plus en plus fort.
« OK. OK. C'est bientôt fini. Cassie, ma chérie, c'est bientôt fini. Ferme les yeux. »
Elle s'exécuta, et s'accrocha à lui de toutes ses forces, se blottissant contre sa veste encore imbibée de bile.
Il braqua sa baguette sur son front, et rassembla ses forces mentales. Pour la première fois de sa vie, Erwan Selwyn eut l'impression de faire quelque chose de bien.
« Oblivio. »
-*-
Mentir n'avait jamais été aussi facile. Il lui suffisait de raconter le faux souvenir qu'ils avaient élaboré avec Camille. Il était quasiment sûr que sa sœur allait demander à lire son esprit pour vérifier qu'il disait la vérité, mais ne le proposa bien sûr pas.
« Laisse-moi voir, ordonna Cassandra d'une voix tremblante, mais ferme.
- Cassie... Tu es sûre que c'est une bonne idée.. ? trembla Erwan. »
C'était trop facile.
Heureusement que sa sœur n'était pas une Serpentard.
La partie la plus difficile était de ne pas penser aux véritables événements alors que sa sœur était dans sa tête. Erwan imagina un haut mur, derrière lequel se cachait le véritable souvenir, et il s'efforça de rester concentré sur cela.
« Prête, chaton ? disait Gaïa.
- C'est facile, Cassandra. Tiens bien ta baguette. Elle ne sentira rien, ajoutait Adonis. »
Erwan sentit l'esprit de sa sœur trembler, si c'était possible.
Dans le faux souvenir, plus vrai que nature, la petite Cassandra restait pétrifiée de terreur.
« Eh bien, qu'est-ce-que tu attends, chérie ? Vas-y !
- Mais maman... »
Chaque mot que disait Cassandra avait été prélevé d'un autre souvenir d'Erwan, à la manière de certaines parodies moldues sur Internet, lorsqu'ils arrangeaient les syllabes pour faire dire à leurs célébrités, souvent politiques, des choses absurdes. Cassandra les lui avait présentées, l'été de ses douze ans, elle en pleurait de rire. Le jeune homme n'avait rien compris, mais cela lui avait donné des idées.
« Quoi encore, « mais maman » ? Tu n'as pas cinq ans, Cassandra, ce n'est pas difficile quand même ! » s'agaça Gaïa.
Cette phrase avait été « copiée collée » d'un souvenir d'Erwan lui-même, lorsqu'il pleurait à l'idée d'aller à Poudlard.
« Maman, je ne veux pas tuer quelqu'un ! C'est horrible ! »
Adonis leva les yeux au ciel, et Gaïa lui enserra le poignet.
« Arrête tes simagrées. Ce n'est pas quelqu'un. C'est une Sang-de-Bourbe. Ce n'est pas que tu veux pas, c'est que t'en es incapable.
- Ben oui, murmura la fillette. Je... j'en suis incapable, oui. »
La fureur dans les yeux de sa mère était brûlante.
« Tu n'es vraiment qu'une idiote, Cassandra. Une bonne à rien, comme ton frère. Je pensais qu'au moins un des deux servirait à quelque chose... »
Ces mots-ci n'avaient jamais été prononcés par Gaïa, aussi étaient-ils plus métalliques, moins fluides. Erwan espérait que Cassandra ne le remarque pas. Il ne pouvait que voir la scène se jouer dans son esprit, conscient du fait que sa sœur y assistait en silence.
La suite était un chef d'œuvre cinématographique. Tout y était. Le pathos, le chaos, Gaïa qui arrachait la baguette des mains de Cassandra et la jetait au sol, Adonis qui achevait la Moldue d'un atroce Sectumsempra, le sang dégoulinant sur les dalles beiges, Cassandra qui hurlait et pleurait. Erwan qui arrivait au moment où Gaïa pointait sa propre baguette sur sa fille, et la frappait de l'éclair écarlate du Sortilège de la Douleur.
Erwan n'avait pas voulu se donner le beau rôle outre mesure, bien qu'il aurait été tentant de faire en sorte que son double du faux souvenir pétrifie tout le monde et sauve héroïquement sa sœur. À la place, il s'était fait ramper aux pieds de sa mère, la suppliant d'arrêter, Gaïa stoppant immédiatement et s'effondrant en sanglots et se confondant en excuses, Adonis horrifié, Cassandra tremblante, Erwan l'enlaçant.
Il avait poussé le vice jusqu'à imaginer que, alors qu'Adonis ensorcelait sa fille d'un Somnubilia pour l'endormir, Gaïa demandait elle-même à Erwan de lui effacer ce souvenir. Elle plaida la colère du moment, l'inconscience, la folie. Erwan pointa sa baguette sur le front de sa sœur, tremblant.
« Oblivio. »
-*-
Erwan et Cassandra furent projetés hors du souvenir. Sa petite sœur s'effondra dans ses bras, tremblant de tous ses membres, et le jeune homme se demanda si le faux souvenir n'était pas pire que le vrai. Mais il fallait quelque chose de réaliste, de traumatisant, sinon, pourquoi l'avoir effacé ?
Dans le premier faux souvenir qu'il avait élaboré, sans l'aide de Camille, Adonis et Gaïa lançaient l'Imperium à leur fille, et c'était ainsi qu'elle tuait la Moldue. Mais ce n'était pas ce qu'il fallait faire : il fallait effacer l'acte de tuer, il fallait restaurer l'innocence, ranimer la pureté. Après de longs débats, la jeune Abraxas l'avait aidé à modifier le souvenir, avec un autre Sortilège Impardonnable.
L'important d'un souvenir – tout bon Legilimens vous le dirait – était son honnêteté. Même un faux souvenir, et c'était là tout un art. La colère de Gaïa était authentique, la détresse de Cassandra était authentique, le sortilège était authentique, le Sectumsempra aussi.
Erwan mit plusieurs minutes à réaliser que Cassandra pleurait dans ses bras. Et il comprit, entre deux sanglots, qu'il valait mieux qu'elle haïsse ses parents, qu'il valait même mieux qu'elle le haïsse, même si cela ne semblait pas être le cas, plutôt qu'elle se haïsse elle-même.
Alors, il la serra fort contre lui, superposant, et ferma les yeux, plongeant son nez dans ses cheveux. La scène se superposa à son étreinte avec la petite Cassie de dix ans, et il la berça doucement.
Pour la deuxième fois de sa vie, Erwan Selwyn eut l'impression de faire quelque chose de bien.
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Bright darkness - 8 - Who you really are.
Mai 2019. 4ème année du trio. Sans les regards soupçonneux, les murmures incessants et les pensées inquiètes dont l'accablaient inévitablement ses camarades sur son passage, et ce depuis presque quatre ans, Cassandra aurait pu oublier qui elle était. À vrai dire, avec Camélia à sa gauche et Shel à sa droite, elle devenait presque une nouvelle personne. Et aux yeux de la plupart de ses comparses de Poudlard, elle n'était qu'une curiosité, la fille qui s'était fait ensorceler par ses parents pour commettre de terribles crimes envers des Moldus et Nés-Moldus, plus qu'un réel danger. Bien entendu, elle était évitée par les élèves d'origine non-magique, ce qui n'était pas pour lui déplaire : elle était persuadée qu'ils pouvaient encore lui voler sa magie, même dans l'enceinte de Poudlard. D'ailleurs, depuis qu'elle avait appris qu'une de ses camarades de dortoir était Née-Moldue, Cassandra avait beaucoup de difficultés à dormir la nuit. Elle lançait chaque soir un Protego autour de son lit, mais se réveillait à plusieurs reprises en sursaut, vérifiant que le bouclier était toujours en place. Elle se souvenait de Sean Coleman et de la boule de magie lumineuse entre ses doigts. Sauf que Cassandra n'était pas une nouvelle personne, et toutes ses obsessions le prouvaient. Ériger un bouclier magique autour de son lit de peur qu'une Née-Moldue vole sa magie, se répugner à l'idée qu'elle lui adresse la parole, être profondément dérangée, mais en même temps passionnée par le cours d'Étude des Moldus, lire en secret des livres de magie noire pour comprendre ce dont il s'agissait véritablement... Tout cela n'était pas attendu de la part d'une jeune Poufsouffle aux airs si innocents, avec ses cheveux dorés et son nez saupoudré de délicates taches de rousseur. Et de plus en plus, depuis sa première rentrée à Poudlard, Cassandra avait l'impression de devoir cacher qui elle était pour se faire apprécier. Camélia, la rebelle de sa famille, qui abhorrait leur purisme, et Shel, né de l'union d'une Ceasy, l'une des plus puissantes familles de Sang-Pur du Royaume-Uni, et d'un simple Moldu, l'aimeraient-ils tout autant s'ils découvraient à quel point elle avait été nourrie au biberon par les idées de suprématie des sorciers et la réduction en esclavage de tous les autres ? Et surtout, à quel point elle y avait cru ? D'ailleurs, n'y croyait-elle pas encore ? Si elle n'y croyait plus, partager son dortoir avec une Née-Moldue ne la terrifierait pas autant. Si elle n'y croyait plus, elle ne chercherait pas à repousser très loin dans un coin de son esprit l'ascendance moldue de Shel. À arguer avec elle-même qu'il restait un Ceasy, il possédait même un don de la création, apanage de ce clan. Cassandra n'avait pas tout compris, mais il lui semblait qu'il pouvait plonger une personne dans ses pensées, naviguer dans son inconscient, ou quelque chose comme ça. Pas sûr que ce soit très utile, mais ça restait puissant. Quant à Camélia, elle lui cherchait des excuses. Elle se rebellait contre sa famille car ils étaient maltraitants. Mal-aimants. Ses parents à elle l'aimaient. Ils ont tout fait pour elle, et pour son frère. Jusqu'à se livrer aux Aurors pour épargner leur vie, jusqu'à mentir à la justice pour épargner leur liberté.
Cassandra l'avait compris : les idées que lui avaient enseignées sa famille étaient répudiées dans un monde magique qui avait connu deux guerres dévastatrices visant à l'élimination des non-magiques. De toute façon, Adonis et Gaïa Selwyn l'avaient bien prévenue que leurs convictions n'étaient pas populaires : sinon, pourquoi auraient-ils été pourchassés par les Aurors pendant dix ans, parfois leur échappant de justesse, et finalement en étant capturés dans une vaine tentative de récupérer leur manoir ? Être un Selwyn, disaient-ils, c'était être un héros, et se sacrifier : sacrifier sa réputation, sacrifier son confort, sa liberté et même sa vie pour le bien commun. Mais tout ça, c'étaient de belles histoires du soir qu'ils lui contaient les yeux brûlants de fierté et d'ambition, employant des termes qu'elle ne comprenait pas toujours, des métaphores telles que « purifier la race » et des mots compliqués comme « asservir ». Dans la vraie vie, Cassandra en avait bien l'impression, être un Selwyn, c'était être un monstre. Parfois, en classe, ils étudiaient une figure historique qui avait pour projet, par exemple, de créer des villes pour sorciers et des villes pour Moldus. Alors que Cassandra trouvait l'idée très ingénieuse, et la préférait à la violence de ses parents, sa classe était horrifiée par son « purisme extrémiste ». Ce dernier terme avait une signification bien différente de ce que l'on avait enseigné à la jeune fille. Alors qu'Adonis lui avait expliqué qu'il s'agissait d'une doctrine visant à rendre puissants les sorciers de Sang-Pur, et à les protéger contre les Moldus qui souhaitaient voler leur magie et les soumettre, ses professeurs, camarades et amis lui avaient répété encore et encore qu'il s'agissait d'une discrimination. Pour lui enseigner ce terme, ils firent un parallèle avec le racisme, l'homophobie, la transphobie ; mais Cassandra n'avait jamais entendu parler de ces notions de genre et d'orientation sexuelle, il ne lui serait jamais venu à l'esprit que cela existait, et il ne lui serait jamais venu à l'esprit que c'était quelque chose de mauvais, à moquer, humilier, violenter et faire disparaître. Il ne s'agissait après tout que d'une description. Une personne pouvait être noire, blanche, homosexuelle, hétérosexuelle, bisexuelle, trans, cis et mille autres choses encore. Lorsque Shel souligna, au cours de l'une de ces discussions, que le statut de sang de quelqu'un n'était également qu'une description, Cassandra s'était sentie nauséeuse. Elle n'avait rien à répliquer à cela. Mais si tous ces nouveaux mots prenaient sens, si ses opinions étaient « discriminantes », si cet homme qui voulait séparer Moldus et sorciers faisaient preuve de « purisme », cela faisait-il d'elle une méchante personne ? Après tout, si quelqu'un disait « il faut séparer les lieux selon la couleur de peau », il serait défini à juste titre comme raciste. Et le racisme – c'était là très clair dans son esprit – était quelque chose de terrible. En y pensant, la Poufsouffle oscillait entre le dégoût des Moldus, qui lui semblait aussi ancré en elle que son prénom ou sa couleur de cheveux, et le dégoût d'elle-même. Car si les gens pouvaient entendre ses pensées comme elle pouvait entendre les leurs, ils auraient tôt fait de la mépriser, de la haïr, ou même de la craindre. Et contrairement à ce que lui avaient enseigné ses parents, Cassandra Selwyn détestait être crainte. Elle n'avait jamais oublié l'horreur, la terreur absolue dans les yeux des gens qu'elle avait torturés. Elle pensait au sort, aux syllabes de la formule qui roulaient encore sur sa langue, En do lo ris. C'était si simple. C'était faire comme les grands. Avec la baguette de maman. Regarde, maman, comme le Sang-de-Bourbe se tord de douleur. Écoute, papa, comme il crie. C'était un moyen de se faire féliciter, d'obtenir un câlin, un sourire fier, comme un autre enfant qui aurait ramené de bonnes notes.
Elle y pensait toutes les nuits, au fond de son lit que son corps n'arrivait pas à réchauffer, alors qu'elle peinait à se sentir en sécurité malgré le Protego. Cassandra avait vécu en cavale toute sa vie. Elle avait appris à ne dormir que d'une oreille. Elle avait du mal à comprendre ce qui était la réalité et ce que ses parents lui avaient dit. Avant, jamais elle n'aurait fait la distinction. Mais maintenant, elle ignorait si la fierté qu'elle ressentait en torturant quelqu'un, le sentiment de puissance et d'accomplissement de son destin, l'impression d'être précoce, douée et incroyable, étaient ses sentiments ou ceux d'Adonis et Gaïa. Elle y pensait, se rassurant en se disant qu'elle n'avait jamais tué personne. C'était déjà cela. Erwan avait toujours refusé qu'elle prononce le sort fatal, Avada Kedavra. Il disait à ses parents qu'elle était trop jeune. Adonis et Gaïa n'en avaient que faire. Tuer des Moldus, des Nés-Moldus, n'était pour eux pas vraiment tuer. Ça ressemblait plus à faire le ménage : une activité ennuyeuse, éprouvante, mais nécessaire, et qui si on s'y prenait bien pouvait se révéler amusante. Sa mère disait que ça faisait toujours un Impur de moins. Cassandra avait appris, en un an et demi à Poudlard, que certains mots ne se disaient pas. Impur, Indigne, Sang-de-Bourbe. C'étaient des formules magiques qui pouvaient détruire des amitiés et des réputations. La jeune fille avait voulu parler à Erwan de tout cela. C'était son frère, son plus précieux allié, elle lui faisait confiance. Mais elle n'arrivait pas à formuler ce chaos en mots. Qu'est-ce-qu'elle se demandait, au juste ? Qu'est-ce-qui lui posait problème ? Qu'est-ce-qui l'empêchait de dormir ? Pire, ses atermoiements lui donnaient l'impression qu'elle crachait sur la tombe de ses parents. Tombe qu'elle ne pourrait d'ailleurs jamais visiter, se trouvant à Azkaban. Ses parents avaient reçu la pire des punitions du monde magique : un baiser du Détraqueur, qui aspirait l'âme.
Dans une tentative de mettre des mots sur ses dilemmes, Cassandra avait commencé un autre carnet. Elle en possédait trois : un dans lequel elle notait les citations les plus drôles et intelligentes de ses amis et professeurs, un dans lequel elle consignait avec précision tous les codes sociaux qui ne cessaient de lui échapper (comment sourire, quand sourire, à quelle fréquence regarder quelqu'un dans les yeux, pendant combien de temps, à quels moments il était approprié d'interrompre quelqu'un...), et un dans lequel elle écrivait toutes les petites choses qu'elle ignorait, ayant passé toute son enfance coupée des journaux (ce qu'était une télévision, qui était telle chanteuse, qui était Ministre de la Magie, quels étaient les partis politiques, quelles étaient les écoles de magie du monde...). Elle les avait nommés très sommairement : « Citations », « Codes sociaux » et « Faits sur le monde ». Mais elle ignorait quel titre donner au quatrième. Elle se décida pour « Questionnements philosophiques ». Mais au moment de les écrire, sa plume trembla. Tout ce qu'elle pourrait faire lui semblait immoral. Écrire, ne pas écrire. Se questionner, ne pas se questionner. Un coup d'œil à sa montre lui permit de remettre ses hésitations à plus tard : elle était déjà en retard pour le cours d'Étude des Moldus. Curieusement, Cassandra appréciait ces leçons. Elle avait même emprunté certains ouvrages conseillés par l'enseignant. Elle avait aimé découvrir ce qu'était une télévision, un smartphone, un tramway, des écouteurs. Mais ses questionnements la poursuivaient : son intérêt était-il feint ? Ne cherchait-elle à connaître les Moldus que pour les asservir ? En réalité, voulait-elle les asservir ? Qu'est-ce-que cela signifiait exactement. Cassandra ne s'était jamais posé la question. Elle n'avait jamais cherché à définit les termes que ses parents lui soumettaient. Erwan l'avait-il fait ? Sûrement, c'était un adulte. Les adultes se posaient ce genre de questions pertinentes. Mais son grand frère avait tout de même choisi de suivre ses parents. Pourquoi l'aurait-il fait s'il n'était pas d'accord ? Le chaos des escaliers reflétait le chaos de l'esprit de la petite Poufsouffle. Elle trébucha à plusieurs reprises, et heurta plusieurs épaules, à son grand dégoût. Toucher les autres devait être, à ses yeux, quelque chose de choisi et non de subi. Par chance, ses amis comprenaient, et lui demandaient la permission à chaque fois. Si Camélia et Shel comprenaient cette énième bizarrerie, pourquoi ne pourraient-ils pas comprendre son mal-être ? Mais il ne s'agissait pas de la même chose, se reprit Cassandra. Ces pensées, ces craintes qu'elle avait, portaient d'autres noms que bizarreries. C'étaient des stéréotypes, des préjugés, de la discrimination. Shel lui avait fait l'exposé complet. Tous ces concepts formaient une pyramide, avec à son sommet le génocide. Génocide, l'élimination de toute une population. Ses parents ne s'étaient jamais cachés de leur volonté de vivre dans un monde composé uniquement de sorciers. Pour eux, le fait que des êtres magiques doivent se cacher alors que les non-magiques prospéraient était d'une injustice sans nom. Dit comme ça, cela semblait logique à Cassandra. Mais ces nouveaux mots qu'elle posait sur les convictions de ses parents revêtaient un aspect bien plus sombre. Ils supposaient du sang, de la haine, de la violence, et des Sortilèges véritablement Impardonnables. Impardonnables. Ce mot aussi lui posait problème. Par qui était-elle censée être pardonnée ? Un dieu, une déesse ? Le gouvernement ? La population ?
Cassandra avait lancé des Endoloris. Elle avait même, un jour, réussi un Imperium. Pour elle, c'étaient des sortilèges comme les autres, à la différence près qu'elle ressentait un pouvoir décuplé en les accomplissant. Était-elle alors impardonnable ? La communauté magique lui pardonnait, comme le prouvait sa liberté et son droit d'étudier à Poudlard, comme si de rien n'était, même si les courriers de parents d'origine moldue affluaient dans le bureau de la directrice pour ordonner son renvoi. Elle était pardonnée, car officiellement, elle n'était pas aux commandes de son propre corps lorsqu'elle avait lancé ces sorts. Un mensonge. Si ses amis savaient, lui pardonneraient-ils ? Pas le temps de passer par la Grande Salle, Cassandra alla en cours le ventre vide. Par chance, Camélia avait toujours un petit snack à lui donner. « Je peux te faire un petit câlin sur le côté ? - Oui, sourit Cassandra. » C'est ainsi que commença le cours. Cassandra regrettait toujours que les classes ne soient qu'en commun avec deux maisons et pas trois : elle était parfois avec la Gryffondor, parfois avec le Serdaigle, mais jamais les deux en même temps. Depuis la troisième année, elle avait les mêmes options que Shel : étude des Runes et arithmancie. Cassandra se rendit compte qu'elle n'avait pas écouté le début du cours. Elle se pencha sur le cahier de Camélia, mais il ne fallait pas compter sur elle. Tant pis. Le professeur Pierce annonça des consignes pour des exposés qu'ils devraient réaliser pour le mois suivant. Il fallait choisir une invention technique moldue qu'il avaient vue cette année (ils avaient le choix !), et en parler pendant un quart d'heure. Cela compterait pour la moitié de leur note du semestre. Un concert de soupirs et de plaintes éclata dans la classe.
« Du calme, du calme ! Vous devriez être contents, c'est une bonne note facile ! Trouvez-vous un groupe de trois ou quatre, et commencez déjà à réfléchir à votre sujet. Je ne tolèrerai aucun retard, c'est le 28 mai à minuit pile, pour tout le monde ! - Minuit, au moment où le 27 passe au 28 ou quand le 28 passe au 29 ? s'enquit Cassandra. - Euh... Du 27 au 28. Bonne question, miss Selwyn. - Est-ce-qu'on peut faire à deux ? - Je viens de dire, trois ou quatre. » Cassandra se retrouvait cruellement embêtée. Elle détestait les travaux de groupe. Soit elle se sentait inutile, soit elle avait l'impression de tout faire – cela dépendait si son partenaire était Camélia ou Shel. Lorsqu'il s'agissait d'inconnus, c'était encore pire. Elle avait du mal à entrer en contact avec les gens de son âge. Les gens en général. Elle disait toujours quelque chose qui ne fallait pas. Heureusement, elle les notait dans son carnet « Codes sociaux » et ne refaisait jamais la même erreur.
Alors qu'elle stressait dans son coin, Camélia avait déjà pris les choses en main et demandé à la ronde qui voulait bien travailler avec elles. Un duo se fusionna alors au leur : deux Gryffondor que son amie connaissait bien. « Cass, je te présente Laurie et Jane ! Ce seront les partenaires idéales ! - OK, dit-elle simplement. » Le débat commença. Camélia voulait absolument faire son oral sur la voiture, mais les deux autres insistaient sur le fait que c'était vraiment très basique, tant c'était commun chez les Moldus. Elles penchaient plus du côté des montres connectées ou des « hover-board ». Cassandra n'apprécia pas la façon dont elles dénigrèrent l'avis de Camélia pour imposer le leur. De plus, elles communiquaient essentiellement entre elles, sans vraiment accorder de l'importance à leurs camarades. Au fil de la discussion, la Poufsouffle finit par deviner qu'elles étaient toutes deux Nées-Moldues, ce qui ne fit que contribuer à son courroux. Elle faisait de son mieux pour maintenir son bouclier psychique pour ne pas entendre leurs pensées, mais quelques-unes filtraient quand même. Elle est tellement chelou elle putain. Qu'est-ce-qu'elle regarde comme ça, le sol ? Elle fait flipper. Psychopathe. Maman a raison, on peut pas faire confiance à des gens comme ça. Je me demande bien à quoi elle pense. Mais les pensées de Cassandra n'était plus que le miroir de celles des deux Gryffondor. Maîtriser son don de née-Legilimens était très difficile, et malgré l'entraînement de ses parents, elle était encore beaucoup trop jeune pour ériger un boucler mental de qualité. Comment une sale puriste comme elle doit se sentir en cours d'étude des Moldus, sérieux ? Mal, mal, à étudier les sous-merdes de votre espèce, raillait une partie de Cassandra, dont la voix avait des accents de Gaïa Selwyn. La voix de Camélia lui parvenait de très loin. « Du coup, faut qu'on commence les recherches... bah... c'est dans un mois on a le temps... Y'aurait des trucs sur ça à la bibliothèque ? - Ben on cherche sur Internet, nan ? - Internet... ah oui ! Mais d'ailleurs, on pourrait littéralement faire l'exposé sur Internet, non ? C'est une majeure révolution moldue. - Trop classique, j'te dis, l'hoverboard c'est mieux ! - L'hoverboard c'est cool, mais je penche plutôt du côté des smartphones. - Les montres connectées ! C'est pareil, en plus original. - Si vous le dites, répliqua Camélia. »
Elle semblait s'agacer, Cassandra la connaissait assez bien pour le dire : ses lèvres se retroussaient, ses sourcils se fronçaient, ses yeux bleus se chargeaient d'éclairs. La Poufsouffle y vit l'occasion parfaite de dire ce qu'elle avait sur le cœur. Camélia n'y verrait pas d'inconvénient, vu qu'elle était également énervée par l'attitude des deux Gryffondor. Elle se pencha donc vers Laurie et Jane. « Puisque vous vous y sentez si bien dans le monde moldu, pourquoi ne pas y retourner, hein ? Comme ça vous porterez vos montres connectées et vous roulerez vos voitures ou vos hovertrucs et vous NOUS laisserez faire de la magie. On a pas besoin de vous. » Cassandra n'avait jamais autant parlé à d'autres personnes que Camélia et Shel, et elle n'en était pas peu fière. Elle les fusillait du regard, sans se soucier d'à combien de secondes elle en était. Elle laissait le poids du « nous » s'abattre sur elles, nous les bons et vous les mauvais, nous les sorciers et vous les Indignes. En plus, elle n'avait rien dit de discriminant, n'est-ce-pas ? Elle n'avait pas employé d'injures. Il y eut un instant de silence, le calme avant la tempête. Alors que la cloche sonnait et qu'un tonnerre de pensées éclatait dans son esprit, Cassandra tenta de les repousser, en vain, comme si elle tentait de lacérer de la brume. Celles de Laurie et Jane n'avaient pas grande importance, elles se contentaient de l'insulter, de la mépriser. Mais celles de Camélia. un homme au visage longiligne et aux yeux sombres, vomissant des insultes. Ces sales Sang-de-Bourbe... qu'ils restent chez eux ! une mère assise sur le lit d'une fillette Tu comprends bien, ce ne sont pas des gens comme nous. des cris de rage, de colère pure, vous ne comprenez rien c'est toi qui ne comprends rien tu es bornée tu n'es qu'une tu es une Abraxas tu n'es qu'une idiote une Abraxas tu l'es et tu le resteras tu n'es rien sans nous Cassandra bordel de merde qu'est-ce-que tu viens de faire putain Cassandra dis-moi dis-moi que ce n'était pas toi Je pensais pas à ce point pas à ce point pas ça non putain Sa main empoigne son épaule et les voilà hors de la classe. Leurs affaires sont encore sur la table. Les éclairs dans les yeux de Camélia la foudroient, elle. « Bordel de merde Cassandra, c'était quoi ça ?! » Sa poigne lui fait mal. Les élèves se bousculent dans tous les sens, le couloir est serré, il fait chaud, sa poigne lui fait mal. « Tu penses que je m'amuse à te donner des putain d'excuses, à dire à tout le monde « mais si elle est gentille », « mais vous comprenez c'est ses parents, ils l'ont manipulée », « elle n'est pas comme ça »... Mais tu ES comme ça ! TU ES COMME CA, CASSANDRA ! Une salope de puriste ! Comme eux ! »
Ce mot lui avait toujours paru lointain. Un qualificatif désincarné, flottant dans les airs. Honteux. Mais pas accablant. Un descriptif. De la bouche de Camélia, c'était une insulte, qui claquait comme un coup de fouet. Elle continuait, inarrêtable. Les mots cascadaient de ses lèvres, son visage rougissait, en même temps il faisait si chaud, et le couloir était si serré. Cassandra aurait aimé ne plus écouter, elle aurait aimé que le chaos des passages dans tous les sens des élèves qui rejoignaient leur cours suivant l'aspirent et l'étouffent, mais elle était douloureusement consciente de chaque mot avec lequel Camélia la frappait. « Ah pauvre Cassandra, pauvre petite Cassandra qui n'a rien fait de mal, elle était juste sous Imperium la pauvre, c'était juste une victime de ses parents, une victime de plus... Ben tu sais quoi ? J'en doute ! Tu sors des trucs comme ça, et ensuite tu veux me faire croire que t'es restée toute passive alors que tes parents torturaient et tuaient des Moldus ? C'est littéralement... c'est littéralement des arguments de Mangemorts ça, « qu'ils retournent dans leur monde ! » Putain, c'est des trucs qui ont été dit pendant la guerre pour évincer les Nés-Moldus de l'école, pour les foutre aux cachots et... » Elle se tut, et secoua la tête, lâchant un rire aigu. « Mais qu'est-ce-que je crois t'apprendre ! Tu le sais très très bien, tout ça ! - C'était... méchant ? balbutia la Poufsouffle, fixant le sol. - Te fous pas de ma gueule avec tes airs innocents là ! explosa Camélia. Je ne te comprends pas... ça te plaît de nous manipuler ? De jouer la petite fille ignorante ? Qu'est-ce-que ça t'apporte ? C'est comme ça que tu nous vois, Shel et moi ? » Sans ajouter quoi que ce soit, sans laisser le temps à Cassandra de se défendre (même si elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle aurait pu dire), la Gryffondor se retourna, empoigna son sac et partit d'un pas lourd, bousculant à son tour les élèves, moins nombreux. Le couloir avait retrouvé son calme. Les élèves étaient en cours. Kylian Pierce apparut à la porte, le sac à dos de Cassandra à la main. « Miss Selwyn, vous avez oublié votre sac. » Cassandra l'attrapa et s'enfuit. Elle erra dans les couloirs comme si elle avait oublié toutes ses raisons d'être. Avait-elle cours ? Où ? Quel cours ? Elle n'en avait aucune idée, et c'était le moindre de ses soucis. Ses pas la menèrent jusqu'aux toilettes les plus proches, où elle se roula en boule, la tête cachée sous ses bras comme si elle avait voulu disparaître – ce qui était peut-être le cas. Elle tenta de pleurer, et elle en avait vraiment très envie, mais les larmes refusaient de couler. Au bout d'une vingtaine de minutes à rester prostrée, elle se fit chasser par un groupe de garçons offusqués qu'une fille rentre dans leur espace. Cassandra ne comprendrait jamais pourquoi l'endroit où on faisait ses besoins devait être séparé en fonction du genre, ni même du sexe, mais devant ce comportement, elle se satisfaisait de ne pas souvent croiser la gent masculine.
Elle ne s'était jamais disputée ainsi avec Camélia, bien que le terme « dispute » soit probablement moins approprié que la description « se faire engueuler sans savoir quoi répondre ». À vrai dire, elle ne s'était jamais disputée avec quiconque. Elle avait bien eu des désaccords avec son frère, mais ils avaient toujours eu besoin l'un de l'autre pour survivre, et ça n'allait jamais bien loin. Elle avait déjà été chahutée par des élèves de sa classe, parce qu'elle était un peu bizarre, un peu à côté de la plaque, mais elle n'avait jamais répondu, et elle avait fini pas ne plus être le centre de l'attention. Avait-elle eu raison de se taire ? La vérité, c'est que ce n'était pas vraiment un choix de sa part. Les mots de Camélia la transperçaient de part en part, elle n'osait même pas respirer. Elle était terrifiée, terrifiée par ce que son amie voyait en elle. Un monstre. Avait-elle raison ? Les larmes finirent enfin par couler, et le temps s'arrêta. Elle ne se rendit pas au cours suivant. À la pause de midi, elle évita la Grande Salle, ne s'y faufilant que lorsqu'elle était sûre que Camélia n'y serait pas. Elle erra dans les couloirs, ignorant quoi faire. Rien n'aurait su apaiser la terreur qu'avait fait naître les accusations de son amie. Ce n'était pas tellement la violence de ses propos, de sa voix, de son regard ; mais une question obsédante : avait-elle raison ? Cassandra n'en pouvait plus. Elle n'en pouvait plus des cauchemars, des carnets remplis d'interrogations, des pensées soupçonneuses de ses camarades, de ses propres pensées insoutenables. Elle voulait des réponses. Et elle pensait savoir où les obtenir. -*- Tout le monde détestait le dernier cours de la journée, quel qu'il fût. Alors, quand c'était sortilèges avec la sévère professeure Becker, c'était encore pire. Même les Serdaigle tremblaient légèrement, cachant leurs soupirs. La plupart des Poufsouffle avaient abandonné, tête posée sur la table. Au moment de rejoindre Shel au bureau tout devant, la peur ceignit le cœur de Cassandra. Camélia lui avait-elle tout raconté ? Rien ne semblait l'indiquer. Il s'assit comme à son habitude, le dos droit, les affaires sorties avant tout le monde. Cassandra aimait Shel car il était prévisible. Il sortait toujours ses stylos dans le même ordre. Il avait un code couleur en fonction de la matière, et écrivait ses titres de la nuance la plus foncée à la nuance la plus pâle. Pour sortilèges, c'était bleu. Il disposait toujours sa règle de la même façon, parallèle par rapport à sa trousse. Il croisait les mains toujours au même endroit sur la table. Il avait un épi toujours au même endroit, près de son oreille droite. Le cours de Becker n'était pas propice aux bavardages, d'abord parce que la professeure les abhorrait, ensuite parce que Shel lui-même les abhorrait. Cassandra prit le risque de lui faire passer une petite note, sans beaucoup de précisions. « Accepterais-tu d'utiliser ton pouvoir sur moi ? » Son ami haussa les sourcils, les fronça, fixa le mot, fixa son amie, fixa Anna Becker qui montrait le geste à esquisser pour lancer le sortilège de floraison – hautement inutile dans la vie de tous les jours selon la Poufsouffle. Cassandra fut tentée de lire ses pensées, mais pour une fois qu'elle réussissait à contrôler ses barrières mentales, elle ne voulait pas tout gâcher.
« Pourquoi ? » fut sa réponse griffonnée à la va-vite, quand Anna Becker se retourna pour écrire la formule au tableau (Continens flores). La suite de la conversation eut lieu uniquement à l'écrit, avec de longues pauses entre chaque message, le temps d'écouter une consigne ou de s'entraîner au sort. Ils réussirent aisément, et eurent donc assez de temps pour discuter. « Il favorise l'introspection. J'en ai besoin. » « D'accord, mais que veux-tu que je te montre ? » Cassandra se rendit compte qu'elle n'avait pas vraiment d'idée précise du fonctionnement du pouvoir de son ami. « Euh. Je sais pas trop. Qu'est-ce-que tu peux faire ? » « Tout, je crois. Je peux te montrer des situations imaginaires. Ou te faire te rappeler certains souvenirs. » « Et ça dure combien de temps ? » « Le temps d'un songe, je crois. C'est comme si tu dormais. Mais tu restes debout. » « OK. » « Je sais pas ce que tu veux faire, Cassandra, mais ce pouvoir est vraiment difficile à utiliser. Je peux pas te garantir que les scènes seront réalistes, ni rien. Je m'entraîne rarement, en plus. Qu'est-ce-que tu veux voir exactement ? » « Je suis pas sûre. Je voudrais savoir si je suis puriste. » « C'est-à-dire ? » « Je voudrais savoir si je suis puriste, moi, si mes pensées le sont, si je suis une méchante personne, de façon innée, ou alors si ce sont juste des pensées passagères, apprises par mes parents, et je veux savoir comment j'ai appris ça, et je veux savoir qui je suis vraiment, et je veux savoir » Se rendant compte qu'elle ignorait quoi ajouter, Cassandra raya les quatre derniers mots et les remplaça par un point. « Ça nécessiterait une préparation, Cass. Faut que je réfléchisse à ce que je pourrais te montrer et à ce que ça signifierait. Et je ne peux rien te dire, pour ne pas t'influencer. » « Ça veut dire que tu es d'accord ? » « Évidemment. Ça ferait un bon entraînement. D'habitude, mon frère et mes sœurs me demande de le projeter dans un endroit imaginaire où ils se baigneraient dans des rivières de chocolat. » « Merci, Shel. » Ils n'en reparlèrent plus pendant une semaine. Une semaine pendant laquelle Camélia ne lui adressa plus la parole. Quant à Shel, elle ne le voyait qu'en classe. À midi, il mangeait avec la Gryffondor, ce que Cassandra vit comme la preuve que Camélia lui avait tout raconté. Mais alors, pourquoi avait-il accepté de l'aider ? Était-ce un mensonge ? Il n'avait plus évoqué le sujet du tout. Avait-il changé d'avis ? Mais si tel était le cas, pourquoi ne pas l'avoir prévenue ? C'était tellement compliqué, l'amitié.
Elle ne s'était jamais disputée ainsi avec Camélia, bien que le terme « dispute » soit probablement moins approprié que la description « se faire engueuler sans savoir quoi répondre ». À vrai dire, elle ne s'était jamais disputée avec quiconque. Elle avait bien eu des désaccords avec son frère, mais ils avaient toujours eu besoin l'un de l'autre pour survivre, et ça n'allait jamais bien loin. Elle avait déjà été chahutée par des élèves de sa classe, parce qu'elle était un peu bizarre, un peu à côté de la plaque, mais elle n'avait jamais répondu, et elle avait fini pas ne plus être le centre de l'attention. Avait-elle eu raison de se taire ? La vérité, c'est que ce n'était pas vraiment un choix de sa part. Les mots de Camélia la transperçaient de part en part, elle n'osait même pas respirer. Elle était terrifiée, terrifiée par ce que son amie voyait en elle. Un monstre. Avait-elle raison ? Les larmes finirent enfin par couler, et le temps s'arrêta. Elle ne se rendit pas au cours suivant. À la pause de midi, elle évita la Grande Salle, ne s'y faufilant que lorsqu'elle était sûre que Camélia n'y serait pas. Elle erra dans les couloirs, ignorant quoi faire. Rien n'aurait su apaiser la terreur qu'avait fait naître les accusations de son amie. Ce n'était pas tellement la violence de ses propos, de sa voix, de son regard ; mais une question obsédante : avait-elle raison ? Cassandra n'en pouvait plus. Elle n'en pouvait plus des cauchemars, des carnets remplis d'interrogations, des pensées soupçonneuses de ses camarades, de ses propres pensées insoutenables. Elle voulait des réponses. Et elle pensait savoir où les obtenir.
-*- Tout le monde détestait le dernier cours de la journée, quel qu'il fût. Alors, quand c'était sortilèges avec la sévère professeure Becker, c'était encore pire. Même les Serdaigle tremblaient légèrement, cachant leurs soupirs. La plupart des Poufsouffle avaient abandonné, tête posée sur la table. Au moment de rejoindre Shel au bureau tout devant, la peur ceignit le cœur de Cassandra. Camélia lui avait-elle tout raconté ? Rien ne semblait l'indiquer. Il s'assit comme à son habitude, le dos droit, les affaires sorties avant tout le monde. Cassandra aimait Shel car il était prévisible. Il sortait toujours ses stylos dans le même ordre. Il avait un code couleur en fonction de la matière, et écrivait ses titres de la nuance la plus foncée à la nuance la plus pâle. Pour sortilèges, c'était bleu. Il disposait toujours sa règle de la même façon, parallèle par rapport à sa trousse. Il croisait les mains toujours au même endroit sur la table. Il avait un épi toujours au même endroit, près de son oreille droite. Le cours de Becker n'était pas propice aux bavardages, d'abord parce que la professeure les abhorrait, ensuite parce que Shel lui-même les abhorrait. Cassandra prit le risque de lui faire passer une petite note, sans beaucoup de précisions. « Accepterais-tu d'utiliser ton pouvoir sur moi ? » Son ami haussa les sourcils, les fronça, fixa le mot, fixa son amie, fixa Anna Becker qui montrait le geste à esquisser pour lancer le sortilège de floraison – hautement inutile dans la vie de tous les jours selon la Poufsouffle. Cassandra fut tentée de lire ses pensées, mais pour une fois qu'elle réussissait à contrôler ses barrières mentales, elle ne voulait pas tout gâcher. « Pourquoi ? » fut sa réponse griffonnée à la va-vite, quand Anna Becker se retourna pour écrire la formule au tableau (Continens flores). La suite de la conversation eut lieu uniquement à l'écrit, avec de longues pauses entre chaque message, le temps d'écouter une consigne ou de s'entraîner au sort. Ils réussirent aisément, et eurent donc assez de temps pour discuter. « Il favorise l'introspection. J'en ai besoin. » « D'accord, mais que veux-tu que je te montre ? »
Cassandra se rendit compte qu'elle n'avait pas vraiment d'idée précise du fonctionnement du pouvoir de son ami. « Euh. Je sais pas trop. Qu'est-ce-que tu peux faire ? » « Tout, je crois. Je peux te montrer des situations imaginaires. Ou te faire te rappeler certains souvenirs. » « Et ça dure combien de temps ? » « Le temps d'un songe, je crois. C'est comme si tu dormais. Mais tu restes debout. » « OK. » « Je sais pas ce que tu veux faire, Cassandra, mais ce pouvoir est vraiment difficile à utiliser. Je peux pas te garantir que les scènes seront réalistes, ni rien. Je m'entraîne rarement, en plus. Qu'est-ce-que tu veux voir exactement ? » « Je suis pas sûre. Je voudrais savoir si je suis puriste. » « C'est-à-dire ? » « Je voudrais savoir si je suis puriste, moi, si mes pensées le sont, si je suis une méchante personne, de façon innée, ou alors si ce sont juste des pensées passagères, apprises par mes parents, et je veux savoir comment j'ai appris ça, et je veux savoir qui je suis vraiment, et je veux savoir » Se rendant compte qu'elle ignorait quoi ajouter, Cassandra raya les quatre derniers mots et les remplaça par un point. « Ça nécessiterait une préparation, Cass. Faut que je réfléchisse à ce que je pourrais te montrer et à ce que ça signifierait. Et je ne peux rien te dire, pour ne pas t'influencer. » « Ça veut dire que tu es d'accord ? » « Évidemment. Ça ferait un bon entraînement. D'habitude, mon frère et mes sœurs me demande de le projeter dans un endroit imaginaire où ils se baigneraient dans des rivières de chocolat. » « Merci, Shel. » Ils n'en reparlèrent plus pendant une semaine. Une semaine pendant laquelle Camélia ne lui adressa plus la parole. Quant à Shel, elle ne le voyait qu'en classe. À midi, il mangeait avec la Gryffondor, ce que Cassandra vit comme la preuve que Camélia lui avait tout raconté. Mais alors, pourquoi avait-il accepté de l'aider ? Était-ce un mensonge ? Il n'avait plus évoqué le sujet du tout. Avait-il changé d'avis ? Mais si tel était le cas, pourquoi ne pas l'avoir prévenue ? C'était tellement compliqué, l'amitié. Une semaine jour pour jour, après le cours de Becker, pendant lequel ils avaient perfectionné le Sortilège d'Attraction, Shel demanda à Cassandra de le suivre. Ils montèrent cinq étages, et arrivèrent à bout de souffle au septième, devant une hideuse tapisserie représentant un homme semblant apprendre à des trolls à danser, comme s'ils n'avaient pas déjà leurs propres traditions, culture et façons de s'exprimer artistiquement.
Shel passa trois fois dans cette tapisserie, l'air concentré. Sous les yeux ébahis de son amie, des rosaces noires émergèrent du mur, dessinant lentement une porte, qui s'ouvrit sur une petite pièce. Les murs étaient bleu pâle, mais on n'en voyait presque plus la couleur, tant ils étaient recouverts de posters en tout genre : cartes du monde, tableaux, photos. Cassandra devina qu'il s'agissait de la famille de Shel. Au centre, un lit une place était tiré à quatre épingles, avec sa couette représentant un personnage de BD. Un petit bureau était placé sous la fenêtre, qui donnait sur un petit jardin. Et surtout, une immense bibliothèque couvrait deux des quatre murs, et pas un espace de celle-ci n'était libre. « C'est... ta chambre ? supposa Cassandra. - Oui et non. Une représentation de ma chambre projetée dans la Salle sur Demande. C'est une pièce magique qui se transforme selon la volonté de la personne. Tout le monde essaye de garder le secret, mais en vrai, tout le monde est au courant. Plusieurs personnes peuvent même y être en même temps si elles pensent à des endroits différents, donc c'est l'endroit parfait. Tu comprends, je ne voulais pas risquer de faire ça dehors ou quoi, et que quelqu'un voie ton corps inconscient. - Oh, OK. Malin. » Le Serdaigle et la Poufsouffle se turent un instant. Cassandra voulut lui dire à quel point elle l'aimait. Elle pouvait toujours compter sur lui. Elle pourrait lui demander la Lune et il la lui décrocherait par un calcul savant. Alors que Camélia était son opposé, aussi énergique qu'elle était calme, aussi impulsive qu'elle était réfléchie ; Shel lui ressemblait sur bien des points. L'idée que quelqu'un pouvait la comprendre faisait le même effet à la jeune fille qu'un gros câlin.
« Bon. J'ai établi cinq scénarios. Chacun a pour but de comprendre qui tu es vraiment. Pas de pression. - Ben si, beaucoup. - C'était ironique. - Pardon. - Pas de souci. » Cassandra regarda un peu autour d'elle, touchée de découvrir l'intimité de son ami. C'était une très belle chambre, soignée et intéressante, à l'image de son propriétaire. La Poufsouffle essaya de se souvenir de sa chambre au manoir Selwyn, mais cela faisait trop longtemps. Elle n'avait jamais eu d'espace à elle. « Camélia, elle t'a dit ce qui s'était passé ? se risqua-t-elle. - Elle m'a raconté son point de vue, nuança Shel. - Oh. » Elle trembla, regrettant immédiatement sa question. Elle mourait d'envie de lire les pensées de son ami, mais il avait le mérite de bien les cacher, sans pour autant maîtriser l'Occlumancie, et elle craignait de voir quelque chose qui lui déplairait. Il y avait tant de choses qu'elle aurait voulu lui dire, tant de questions qu'elle aurait voulu lui poser. À la place, elle obéit lorsqu'il lui demanda de s'allonger sur le lit, retirant même ses chaussures, alors qu'il ne s'agissait pas réellement de la chambre du Serdaigle. « Tu es prête ? - Pas du tout, souffla la jeune fille, cramponnée à l'oreiller. - Ça ne va pas faire mal. » Cassandra craignait bien que si. Shel braqua ses doigts sur elle, à la manière d'une arme à feu. Il inspira longuement, le visage crispé, puis tira. Et le noir se fit. -*- Elle tombait. Mais ce terme ne semblait pas approprié, car cet endroit n'était pas régi par la gravité. Il n'y avait pas de haut et de bas, de gauche et de droite. Il n'y avait que du noir, et une vague impression de déplacement. Shel était à ses côtés, bras croisés, tête droite, ne semblant pas dérangé par la sensation de chuter dans le vide.
« C'est génial, ce truc » dit-elle, et sa voix peinait à s'élever, comme si elle parlait sous l'eau. Celle de Shel, en revanche, envahissait l'espace. Elle venait de partout et de nulle part à la fois, elle suintait des pores du néant. « Donne-moi accès à ton esprit. - Je... comment je fais ça ? » Il ne répondit pas, ce qui frustra la jeune fille. Elle tenta d'imaginer son esprit comme une pièce à la porte fermée, et en donna une clé à son ami. « Ça a marché ? » Pas de réponse. Autour d'eux, le néant ondulait. Des ondes colorées le transperçaient de part en part, des sons lui parvenaient de très loin. Shel et Cassandra commencèrent à tournoyer, de plus en plus vite, autour d'un axe invisible. Le soleil se leva, bien que cela ne signifie rien dans cet espace imaginaire, ce palais des glaces de l'esprit où elle ne contrôlait rien. Une brève lumière agita l'obscurité, et Cassandra s'y fondit. « Shel ? Shel ! » Lorsqu'elle tourna la tête, il n'était plus là. La pièce était immense. Le sol d'un noir d'obsidienne résonnait à chaque pas. Des colonnes de marbre soutenaient l'immense porte, qui s'ouvrit lentement en raison de son poids. Au centre, un immense lit à baldaquin, aux rideaux d'un vert pâle élégant. Sur la table de chevet, un livre, et un bouquet de roses noires. Cette fleur était l'emblème des Selwyn : un de leurs ancêtres botanistes l'avait créée, et eux seuls pouvaient la faire pousser – d'un point de vue technique et juridique, puisqu'ils avaient déposé un brevet au Ministère de la Magie. À droite, une fenêtre de bois ciselé, ouverte sur un labyrinthe allant jusqu'à l'horizon. De temps à autre, les haies se resserraient et ondulaient comme des serpents. À gauche, ses parents.
Cassandra cilla. Elle voulut courir vers eux et les prendre dans ses bras, mais elle était incapable de bouger. Des larmes silencieuses roulèrent sur ses joues. Ils lui manquaient tellement. Elle ne pouvait pas admettre que leur sacrifice n'était pas beau. Elle ne pouvait pas admettre qu'ils ne l'aimaient pas. Sa mère lui avait tant de fois expliqué que le monde des « vrais » sorciers serait d'une puissance infinie s'ils montraient à leurs enfants qu'ils tenaient à eux. Et cela se voyait, dans leur façon de lui sourire, dans leur façon de s'asseoir sur son lit et de caresser ses cheveux... Cassandra lâcha un cri de surprise, qui resta inaudible, en découvrant une autre version d'elle-même allongée dans le lit, auparavant cachée par les voiles vert pâle que Gaïa venait de soulever. Une petite Cassandra de quatre ou cinq ans, ses longs cheveux d'or étalés sur son oreiller de satin noir, un lapin en peluche dont elle avait oublié l'existence, et qui avait dû rester au manoir après sa prise par les Aurors, serré contre elle. La jeune fille trembla. Elle était au manoir Selwyn. Elle savait qu'il n'était que le pur produit de son esprit, mais Shel avait réussi à reconstituer l'endroit alors qu'elle ne s'en souvenait que de quelques bribes. Certains endroits étaient floutés, comme censurés, certains autres changeaient souvent, mais elle était chez elle. Dans sa chambre. Dans le passé. « Alors, mon amour, prête pour l'histoire du soir ? sourit son père. C'est maman qui va te la lire aujourd'hui, papa est occupé avec ton frère. - Oooh, regretta l'enfant, qui tendit les bras vers Adonis. - Bonne nuit mon ange. » Lorsqu'il la prit dans ses bras, soudain, Cassandra ne se tenait plus debout au fond de la pièce : elle était la Cassandra de cinq ans, elle ressentait l'étreinte de son père, elle respirait son parfum délicat. Ses larmes coulèrent de plus belle, et elle se retrouva à nouveau dans son corps de quatorze ans. Adonis quitta la pièce après un énième bisou envoyé dans l'air.
Petite Cassandra se blottit sous les draps, bordée par sa mère. Cassandra adolescente se demanda où était Erwan, pourquoi il n'était pas venu lui dire bonne nuit. Son père était sûrement en train de lui apprendre des sortilèges. Elle s'en souvenait, ils s'entraînaient souvent jusqu'à tard le soir. « Il était une fois, dans un royaume magique, une sublime reine nommée... Cassandra. » La fillette sourit, enthousiasmée. Sa mère s'allongea à côté d'elle, fixant le plafond. Elle était tellement belle. Leurs cheveux dorés, identiques, se mêlèrent sur l'oreiller. « Cassandra était une reine guerrière, puissante et déterminée. Héritière de la dynastie Selwyn, rien ne lui faisait peur, rien ne l'intimidait. Au contraire, c'est elle qui intimidait tout le monde. Elle était une souveraine aimée et crainte de son peuple. - Crainte ? s'inquiéta la fillette. Je ne veux pas être crainte. - J'ai précisé aimée, aussi. - Mais comment on peut être les deux à la fois ? - On est toujours les deux à la fois. Si les gens t'aiment, ils te craignent. - Ah... d'accord. » Cela lui semblait contre-intuitif, encore maintenant. « Le royaume de Cassandra était le plus puissant. Elle avait érigé de solides frontières, un immense mur invisible qui empêchait toute personne sans pouvoirs magiques d'y passer. En effet, ces gens créaient la ruine de tous les royaumes alentours. Ils pillaient les fermes, consommaient beaucoup plus de nourriture, et surtout, n'étaient d'aucune aide à la société. Ils ne savaient rien faire. - Nul, commenta petite Cassandra. - Exactement, mon cœur, ils étaient nuls. Les rois et reines alentour critiquaient Cassandra pour son mur, pensant que c'était méchant. Mais Cassandra n'en avait cure, elle savait qu'elle avait raison. Les Impurs étaient un véritable danger, et ça commençait à se voir dans leurs pays : ils volaient les récoltes, empoisonnaient les rivières... petit à petit, ils remplaçaient la population magique.
- Remplacer, genre ? - Quand un Moldu se reproduit avec un sorcier, chérie, tu es d'accord qu'il y a une moitié magique et une moitié non magique ? - Oui. - Et si ce Sang-Mêlé (ça s'appelle ainsi) se reproduit avec un Moldu, il n'aura qu'un quart de magie, c'est mathématique. Tu es toujours d'accord ? - Ben... je suppose. - Et au fil du temps, quand tu as si peu de magie, tu deviens... un Cracmol. - Oh, s'horrifia la fillette, esquissant une moue dégoûtée. - C'est ce qui nous attend tous si on continue à autoriser la mixité sorciers/Impurs. - Ah d'accord. C'est pour ça qu'on dit « impur », du coup ? Parce que c'est pur au départ mais qu'ensuite ils salissent la magie ? » Gaïa attira sa fille contre elle et embrassa son front. « Exactement, mon trésor. Qu'est-ce-que tu es intelligente, dis donc ! » Cassandra rougit et sourit, flattée, se blottissant contre sa maman. « Sauf qu'un jour, les Moldus inventèrent une horrible machine, des hélicoptères, et franchirent le mur, pourtant immense, en volant. - Wow... - Ce n'est pas impressionnant. C'est vulgaire. Un enfant de cinq ans pourrait inventer une de ces machines stupides. - Oh ok. - Ils infiltrèrent donc le royaume de la magnifique reine Cassandra. Ils pillèrent ses terres, et volèrent la magie des sorciers. - Ils... ils peuvent faire ça pour de vrai ou c'est juste l'histoire ? - Chérie. Comment penses-tu qu'un Né-Moldu existe ? Il est né Moldu. Mais il a de la magie, parce qu'il l'a volée à un sorcier. »
Tout sonnait faux. Cassandra peinait même à croire que la jeune version d'elle-même ne doute pas davantage. C'était scientifiquement incorrect, la génétique ne fonctionnait pas comme un découpage de gâteau. Il n'y avait pas un seul gène magique. Tout cela, Shel lui avait expliqué, elle l'avait trouvé dans des livres. Les Nés-Moldus ne volaient pas non plus la magie. Ils avaient simplement eu des ancêtres sorciers, mais la lignée s'était arrêtée lorsque l'un d'eux, Cracmol, avait épousé un Moldu. Cela pouvait sauter plusieurs générations. Elle le savait. « Et ensuite, qu'est-ce-qui se passe ? - À ton avis ? C'est toi la reine. Décide ! » Décide ! Ce mot résonna autour d'elle, d'une voix désincarnée qui ressembla tantôt à Gaïa, tantôt à Shel, tantôt à elle-même. Les murs ondulèrent, s'effaçant peu à peu. « Non ! » Elle voulait rester ici. Elle voulait se rouler en boule sur le lit et dormir contre sa mère. Elle voulait écouter quelle fin elle avait choisi pour l'histoire. Mais Shel n'avait pas accès à ce souvenir, et elle non plus. Le Serdaigle était réapparu à ses côtés, la faisant sursauter.
« Qu'est-ce-que tu en dis ? - C'est... c'est faux. Elle... elle ment. - Ment-elle ? Ou en est-elle convaincue ? - Peu importe. - Peu importe, répéta Shel, et le mot résonna à son tour. » Cassandra se rendit compte que cette question l'avait torturée, et qu'elle avait trouvé la réponse en quelques secondes. Peu importaient, au fond, les intentions de ses parents. Peu importaient leurs baisers et leurs câlins et leurs compliments. Ce qu'ils disaient n'était pas ancré dans la vérité. N'était pas en accord avec la science. Ce n'était pas vrai. « Je sais que c'est faux. Je le sais. Mais c'est dur. Ces enseignements, c'est tout ce qui me reste de mes parents. Si ça disparaît... ils disparaissent. » C'était plus facile de s'exprimer dans ce monde étrange sans haut ni bas ni gravité. Comme si ses pensées se matérialisaient. « Il n'y a plus rien à voir ici, avançons. - Non, Shel, s'il-te-plaît, je veux explorer le manoir, je veux... je... Shel ! » Sans qu'elle puisse le contrôler, ils reculèrent, poussés par une force mystérieuse, et l'immense porte d'ébène se referma sur eux. VLAM !
Il y a un cadavre par terre. Face contre terre, immobile, on pourrait croire que l'homme est profondément endormi. Mais Cassandra sait ce qui s'est passé, car la scène vient de se dérouler sous ses yeux. Il y a du bruit. L'épouse du mort hurle, s'arrache les cheveux, se débat. Elle lévite dans les airs, suspendue par les jambes. Elle est hideuse, le visage dénué de toutes couleurs, la bouche inondée de salive mêlée de sang. Elle ne semble plus humaine. Généralement, ses parents se contentent de tuer. Rapidement et méthodiquement. Ils disent que c'est la chose à faire. C'est facile. Deux sortilèges : Avada Kedavra et Evanesco, pour faire disparaître le corps. C'est facile, la rassurent ses parents. C'est son tour. « Prête, chaton ? » La femme est pétrifiée par Adonis, et tombe lourdement au sol, dans un craquement morbide. Cassandra cherche son double, se demande quel âge elle a. Mais elle se rend rapidement compte que son père s'adresse à elle. Derrière lui, sa mère fait disparaître l'homme. C'est comme s'il n'avait jamais existé. « C'est... tu as inventé cette scène ? » Elle parle, mais ses lèvres ne bougent pas. Adonis ne l'entend pas, mais elle sait que Shel si. « Shel, tu as inventé cette scène ? » Plus elle pose la question, plus elle sait que non. Tout cela a déjà eu lieu. Mais alors, pourquoi ne s'en souvient-elle pas ? « C'est facile, Cassandra. Tiens bien ta baguette. Elle ne sentira rien. » Son père lui sourit en lui disant ça, comme si c'était rassurant. Elle recule, regarde autour d'elle. Crie à l'aide. Elle ne veut pas rester, elle est terrifiée. Terrifiée par cet homme qui la serrait dans ses bras en lui disant bonne nuit quelques secondes, minutes, années auparavant. Où est son frère ? Pourquoi ne vient-il pas la sauver ?
« Shel ! Erwan ! SHEL ! Pitié, je ne veux pas faire ça ! Je ne ferai pas ça ! Non ! NON ! SHEL ! » La voix de sa mère agite les murs, sans que la Gaïa du souvenir ne bouge les lèvres. Décide ! La Moldue la fixe avec ses yeux bruns remplis de larmes. Elle vient de perdre son mari. Qu'aurait-elle fait si son frère avait été assassiné sous ses yeux ? La nausée la prit à la gorge. Le monde commença à tourner autour d'elle. Ce n'était pas simplement un vertige : tout tourbillonnait, tout se floutait, disparaissait puis réapparaissait, comme si le souvenir se défendait. Cassandra se rendit compte qu'elle avait une baguette à la main. Elle n'en fut pas surprise, elle avait appris la magie bien avant Poudlard – ses parents lui avaient légué une baguette appartenant à son oncle défunt et avait trouvé un moyen de supprimer la Trace, ce sort qui suivait les mineurs pour les empêcher d'utiliser leurs pouvoirs avant leur majorité, ce qu'Adonis et Gaïa trouvaient archaïque. Cassandra oublie tout, elle oublie Shel et sa demande, elle oublie Camélia et ses reproches, elle oublie que rien de tout cela n'est réel, car cela pourrait tout aussi bien l'avoir été. Elle oublie les câlins de ses parents, leurs histoires du soir et leurs encouragements. Elle voit son frère fumant une cigarette par une nuit étoilée, soufflant qu'on avait toujours le choix, comme un prisonnier expliquait qu'on était toujours libre. Elle voit l'expression méprisante du père de Camélia dans ses souvenirs. Elle voit le cadavre du Moldu, qui ne disparaîtra jamais vraiment. Elle voit l'horreur et elle voit la mort. Ce n'est pas un jeu. Ce n'est pas un jeu. Pourquoi semblent-ils traiter ça comme un jeu ? Comme une leçon de magie ? C'est un être humain. Elle la regarde. Elle ne peut même pas cligner des yeux mais elle la regarde. Elle respire et elle existe. Mais au fond de ces yeux bruns, Cassandra lit une supplique. Elle la supplie de la tuer. Elle ne veut pas vivre dans un monde sans son amour. Cassandra hurle, elle hurle comme si c'était elle qui était sur le point de mourir. Elle hurle, elle court sans bouger, elle roue le vide de coups, elle le déchire. Des pans entiers du souvenir s'éparpillent à ses pieds. Décide ! NON ! VLAM ! Shel et Cassandra flottaient. « Je suis désolé. »
Elle aimerait ne plus entendre. Elle aimerait disparaître. Elle avait l'impression de ne plus respirer. Elle ne respirait plus. « Je l'ai tuée ? - Je... je ne sais pas. Non. - Non ou tu ne sais pas ? - Ce que tu as fait dans le passé, je ne sais pas. Mais là, tu ne l'as pas tuée. - On s'en fout de ce que j'ai fait là ! ça n'existe pas ! Cet endroit n'existe pas ! C'est un souvenir ? Shel, c'est un souvenir ? Ou tu as tout inventé ? - Je... non. Je ne sais pas où j'ai trouvé ça. C'était un endroit reculé de ton esprit. Le souvenir est flou, comme effacé partiellement, j'ai dû le reconstituer. Je ne sais pas si tout est vrai, j'ai extrapolé. - Je l'ai tuée ? Shel, je l'ai tuée ? - Non. - Tu n'en sais rien ! Tu mens ! - Cassandra... » Un halo rouge entourait Shel. La jeune fille le fixait, immobile. Elle avait l'impression que rien de ce qu'elle pourrait faire avec son corps réussirait à exprimer le chaos qu'elle ressentait. Courir, crier, pleurer, vomir ? Rien n'avait de sens, c'étaient juste des manifestations physiologiques d'un inconfort. Elle n'était pas inconfortable. Elle était brisée en mille morceaux. « Tu peux demander à ton frère. Tu peux demander à Erwan, non ? » Elle peut. Elle pourrait. Mais elle n'en revenait pas que Shel en parle de manière si calme. Il était sûr de lui. Sa meilleure amie était peut-être une tueuse, et il restait calme. « Tu ne l'as pas tuée. Tu as refusé. - Tu n'en sais rien ! - C'est ce que tu as fait, maintenant. Pourquoi ça aurait été différent ? »
Cassandra avait envie de le croire. Mais elle ignorait à quel âge elle avait été confrontée à ce choix. Dix ans, six ans ? Qu'est-ce-que cela faisait, au fond ? S'était-elle vraiment opposée à ses parents ? « Ce n'est pas ça qui compte, Cassandra. La vraie question, c'est : pourquoi des parents demanderaient à leur enfant de tuer quelqu'un ? » Parce que cette personne ne peut pas faire de magie. Parce qu'elle est dangereuse. Mais pourquoi les Moldus seraient-ils dangereux s'ils sont si faibles ? Pourquoi ne pas les laisser tranquille, et même les protéger ? « Cassandra. Regarde. » Elle ne voulait plus rien regarder, plus rien voir. Mais elle n'avait pas le choix. Elle avait sept ans et se faufilait sur la pointe des pieds jusqu'aux toilettes. Pour cela, elle devait passer par la buanderie, où ses parents enfermaient les Moldus propriétaires de la maison. Deux femmes et leur fils, qui devait avoir son âge. En passant par la cuisine, elle récupéra des petits pains, des carottes, des céréales. Elle les glissa sous la porte tant bien que mal, puis courut s'enfermer dans les toilettes. « Tu leur donnais à manger. » La scène se multipliait autour d'eux, elle se projetait sur mille écrans. Des maisons différentes, de la nourriture différente, une Cassandra différente. La Poufsouffle n'était pas surprise, elle s'en souvenait très bien. Néanmoins, après les scènes précédentes, elle ne voyait pas en quoi cela faisait d'elle quelqu'un de bien. « Tu désobéissais à tes parents pour ça. Pourquoi tu leur aurais obéi s'ils te demandaient de tuer quelqu'un ? » Il avait raison. Elle voulait le croire. Mais alors, qu'avaient fait Adonis et Gaïa ? Ils lui en avaient sûrement voulu. Ou lui avaient-ils pardonné, l'estimant trop jeune pour accepter cette violence ? « Cassandra. Tu ne l'as pas tuée. » Et elle le crut. VLAM ! Elle était de retour dans la chambre, mais Shel n'était pas là. Elle était dans le lit, sous les couvertures toutes chaudes. La porte s'ouvrit sur une femme, petite, rousse, aux yeux bleus très doux. Lorsque des mèches noires de jais tombèrent devant ses yeux, Cassandra comprit qu'elle était Shel. Il l'avait projetée dans un de ses souvenirs à lui. Et cette femme, qui le saluait et lui demandait tendrement quelle confiture il préférait pour ses tartines, était Zoe Ceasy. Dans les familles de Sang-Pur, elle était connue comme les criminels l'étaient ; son nom prononcé avec crainte et un tantinet d'admiration. Par son acte de trahison, elle les avait tous défiés. Elle avait fait s'ébranler les fondations solides sur lesquelles les différentes dynasties puristes reposaient. Un seul acte de rébellion, et toutes tremblaient. Sa propre mère était une rebelle en soi, pas parce qu'elle contredisait l'idéologie, pas parce qu'elle avait épousé un déviant, mais parce qu'elle était féministe. Gaïa Selwyn avait choisi son mari, elle avait choisi ses enfants, elle avait choisi ses combats. Et elle estimait que toute femme pouvait faire de même. Car ce qui comptait pour elle, c'était la pureté du sang, non le sexe. Un homme n'était supérieur à une femme que si celle-ci était d'origine moldue. Ce discours avait toujours enthousiasmé Cassandra, mais maintenant, elle se demandait si on pouvait réellement être féministe en excluant certaines femmes du combat. En excluant, c'est-à-dire en tuant.
Cassandra/Shel se leva, et suivit Zoe à travers une maison toute simple, mais chaleureuse. Des vêtements traînaient ça et là, des éclats de rire retentissaient au loin. Autour de la table de la cuisine, un frère et une sœur blonds se chamaillaient au sujet d'un bol, allant jusqu'à se défier en duel de pierre-feuille-ciseaux pour savoir qui l'obtiendrait. Une petite rouquine se moquait d'eux, sous le regard attendri du père de famille. Cassandra cilla lorsqu'elle croisa son regard. Si Zoe Ceasy était connue pour s'être enfuie avec un Moldu – ce qui, pour certaines familles, était pire qu'un Né-Moldu (ce n'était pas le cas pour les Selwyn), le Moldu en question n'était quasiment jamais évoqué. Elle avait fini par l'imaginer comme une menace secrète ayant corrompu le cœur d'une jeune sorcière. Mais il se trouvait face à elle, un homme grand, aux cheveux bruns et à la barbe soigneusement entretenue. « Tu ne pourrais pas dupliquer le bol, ma chérie ? J'en ai marre de les entendre batailler. - Tu comprends pas, papa, se plaignit le blond. C'est LE bol des Bizarr' Sisters ! Horn Uckley a BU DEDANS ! - Mais ta gueule déjà, c'est moi qui l'ai acheté, il me revient de droit. - Quel discours capitaliste ! - Chut ! - Je pourrais dupliquer le bol, mais c'est une pièce rare, donc il finirait par disparaître au bout d'un moment. - Je comprends ! Fascinant » sourit-il en embrassant Zoe. Cassandra les regarda comme on observait des animaux au zoo : avec une grande curiosité et un intérêt certain. À l'image des parents de Shel se superposa celle des siens. Adonis embrassait Gaïa comme ça aussi. Gaïa ébouriffait les cheveux de son mari de la même manière. Elle comprit ce que son ami avait voulu lui montrer. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il prenne son rôle autant à cœur et cela la touchait. C'était la famille de Shel, à laquelle elle s'interdisait de penser. C'était une famille aimante et drôle. Et son grand frère ressemblait un peu à Erwan. Elle cherchait ce que les familles de Sang-Pur craignaient tant, répudiaient tant, mais ne trouvait rien. Jordan était Moldu, mais étrangement, ça ne se voyait pas vraiment dans les interactions avec les siens. Cassandra ignorait à quoi elle s'attendait – il n'allait pas être entouré d'un halo de non-magie non plus. Sa curiosité était tendre, au-delà de la jalousie qu'elle avait attribué aux Moldus. C'était déconcertant, mais criant de vérité. Et elle savait que Shel avait fait un gros effort pour lui montrer cela, qu'il avait peur qu'elle juge sa famille.
Soudain, sans transition : VLAM ! Cassandra se retrouva à Poudlard. Elle ignorait exactement où, car ce qu'elle voyait autour d'elle semblait être un patchwork de différents endroits du château. Rien ne se passa pendant un long moment, qui la poussa à appeler son ami. « Euh... Shel ? C'est quoi ? » Puis, une onde traversa les différentes images, et sous le regard ébahi de la jeune fille, une dizaine de petites versions d'elle-même commencèrent à bouger dans les cases. Une Cassandra en classe, levant la main avec empressement pour répondre à une question en classe de potions. Une Cassandra qui se faufilait dans les cuisines en catimini pour récupérer du gâteau pour Camélia, qui se sentait triste après une lettre acerbe de son père. Une Cassandra qui enlevait son écharpe et la posait sur les épaules de Shel, alors qu'ils tremblaient de froid dans les gradins de Quidditch. Une Cassandra qui hurlait pour encourager sa meilleure amie qui passait les sélections, au début de leur deuxième année. Une Cassandra qui soufflait les bougies de son douzième anniversaire et redoutait qu'on la prenne en photo. Une Cassandra qui souriait, les dents un peu de travers, qui riait. Une Cassandra qui noircissait centimètre après centimètre d'un parchemin d'Étude des Moldus, l'air appliqué. Une Cassandra qui débattait avec Shel, de la religion, de la nature, de la vie, de la mort. Une Cassandra qui l'écoutait avec attention parler d'un objet moldu, posant plein de questions. Cassandra à travers les yeux de Shel, encore et encore, à perte de vue dans une ruche de souvenirs qui miroitait autour d'elle. Les larmes lui montèrent aux yeux, et sa gorge se serra. Elle lisait les pensées de tout le monde, pour savoir à qui elle pouvait faire confiance. Mais elle évitait de le faire avec Shel et Camélia, par respect et par peur de ce qu'elle pourrait trouver dans leurs esprits. Mais savoir que si elle l'avait fait, elle n'aurait trouvé que de l'amour, la réconfortait bien au-delà de tout ce que Shel lui avait montré jusque-là. Elle aurait voulu regarder ces petits moments de vie à l'infini, mais VLAM !
La voici en haut d'une tour. La Tour d'Astronomie. Elle jouait son propre rôle, fixant avec une nostalgie anticipée les étoiles qui s'allument une à une dans le ciel. C'était une nuit chaude, probablement de juin. Ses mains, qui se croisaient sur le balcon, étaient un peu différentes de celles auxquelles elle est habituée, elle n'aurait pas su dire comment. Elle le savait : c'était sa dernière nuit à Poudlard. Et elle était terrorisée. Le château avait été son second foyer, après le manoir Selwyn, bien qu'elle soit restée à Poudlard plus longuement qu'au manoir. Elle y avait ses plus beaux souvenirs – ses seuls beaux souvenirs. Elle y avait ses meilleurs amis. Elle y avait ses repères. Elle savait exactement quels escaliers emmènent où. Quelle salle appartenait à quelle prof, en fonction des jours et des horaires. Vers quel date le Lac Noir se réchauffait et où on pouvait s'y baigner. Ses camarades étaient enthousiastes à l'idée de quitter l'école. Ils avaient envoyé leurs dossiers aux différentes universités les yeux brillants. Cassandra était certaine qu'elle aura une place dans la double licence potionnologie-alchimie de l'Université de Londres, ses notes étant excellentes. Mais elle avait du mal à se réjouir. Dans un instant de lucidité, elle se souvint que tout cela est imaginé par Shel. Mais c'était crédible, et réaliste. Que fera-t-elle après Poudlard ? Cette question lui semblait bien loin, mais elle s'approchait à la vitesse de la lumière, elle qui entrerait en cinquième année à la rentrée et pour qui l'arrivée des BUSE était déjà un bond colossal dans l'avenir. « Cassie ! On a la bouffe ! » Elle se retourna. Shel et Camélia, également âgés de dix-huit ans, lui faisaient face, les bras remplis de nourriture volée aux cuisines. Des petits pains, des gâteaux, des fruits. L'idéal pour un pique-nique nocturne, pour célébrer leur dernière nuit à Poudlard. Elle n'avait jamais été si triste et si heureuse à la fois. « On se voit bientôt de toute façon, pour la visite de l'appart ? sourit Camélia, entre affirmation et question. - Ouais ! J'espère qu'il sera aussi bien sur les photos qu'en réalité. » Cassandra fut touchée qu'il les imagine en colocation à l'université. C'était également son souhait le plus cher, mais vivre seule lui semblait également être une bonne façon de rentrer dans le monde adulte.
« Et si ça marche pas, si on est pas pris dans des universités au même endroit ? souffla-t-elle, ignorant s'ils pouvaient l'entendre. - Dans ce cas, on se parlera plus jamais et on regrettera toujours ces moments fantasmés où on pique-niquait à 200 mètres de haut. - Ah ? » s'horrifia Cassandra. Camélia éclata de rire. « Je déconne ! On se verra tellement souvent qu'on en aura marre. - J'en ai déjà marre de toi, blondinette, plaisanta Shel. - Arrête, je sais que je vais te manquer tous les jours si on a pas la coloc. » Le trio rit, puis soupira en admirant les étoiles. Elles étaient à son image. Perdues dans un océan de ténèbres, mais obstinément lumineuses, refusant de laisser la nuit aussi sombre qu'elle aurait dû l'être. Cassandra se blottit contre ses amis, dans un silence réconfortant. Peu importait, après tout, s'ils vivaient ensemble ou non après Poudlard. Peu importait, s'ils se voyaient souvent. Cassandra saurait que Shel et Camélia existaient, qu'ils pensaient à elle et qu'ils l'aimaient. Et que si elle proposait qu'ils se voient, ils accepteraient toujours avec enthousiasme. Avec eux, elle serait éternellement cette adolescente joyeuse et aimée au sommet de la Tour d'Astronomie. Grandir avec eux, c'était finalement ne pas grandir. VLAM !
Lorsque Cassandra rouvrit les yeux, elle n'était plus dans la Tour d'Astronomie. Elle n'était plus dans le néant. Elle était dans le faux lit de Shel, dans la Salle sur Demande, et son ami était allongé à côté d'elle, l'air épuisé. « Ça va ? » demanda-t-elle. Le Serdaigle hocha la tête. « C'est fatiguant, mais j'ai bien réussi à te montrer ce que je voulais. » Cassandra se mordilla les lèvres, se retenant de pleurer devant tout l'amour qu'il avait prouvé à travers ces scènes. Shel n'était pas démonstratif, tout comme elle, mais sa loyauté la bouleversait. « Alors, tu ne penses pas que je suis quelqu'un de mauvais ? » Il sourit et se redressa. « J'ai lu un bouquin, il y a pas si longtemps. C'était une biographie de Harry Potter. Et son parrain, c'était Sirius Black. Né dans une famille puriste qu'il a quittée dès qu'il a pu, parce qu'il détestait leurs idées. » Cassandra hésita. Ce n'était pas la même chose. Elle n'était pas partie volontairement. L'aurait-elle fait ? Probablement pas. Comment aurait-elle entendu un son de cloche différent, comment aurait-elle pu entendre la vérité ? « Et Potter raconte qu'au moment où la guerre a commencé à faire rage, il était très souvent en colère, contre tout le monde, il repoussait tous ceux qui l'aimaient, et il en était arrivé à croire qu'il était une mauvaise personne. Et Black a sorti cette citation, que je trouve très belle : « Tu n'es pas quelqu'un de mauvais. Tu es quelqu'un de bien à qui il est arrivé de mauvaises choses. Dans le monde il n'y a pas que d'un côté les bons, et de l'autre les Mangemorts, il y a une part de lumière et d'ombre en chacun de nous. Ce qui compte c'est celle qu'on choisit de montrer dans nos actes, ça c'est ce que l'on est vraiment. »
Cassandra sourit. Bien sûr que Shel avait retenu la citation par cœur, sûrement après l'avoir lue une seule fois seulement. Elle s'imagina en étoile, lumineuse dans l'obscurité. Elle s'imagina moitié ombre, moitié lumière, avec une démarcation au milieu, ressemblant à un axe de symétrie. « Mais, tu sais. Parfois, j'ai des pensées. Puristes. Enfin... C'est ce que Camélia m'a reproché. Elle t'a dit. Je trouve qu'elle avait raison. - Camélia est allée trop loin, mais il faut la comprendre. Elle m'a dit qu'elle ne savait plus qui tu étais. - Je ne sais plus très bien qui je suis non plus. - Ça arrive. » Shel se leva, et se tordit les mains, l'air hésitant. « Tu sais, les pensées ne sont que des pensées. Garde ça à l'esprit. À part toi, personne ne les lit, les pensées. On s'en fiche. - Il y a d'autres Legilimens. - Tu as compris ce que je voulais dire. - Oui. » Ils sortirent de la Salle sur Demande, après un dernier regard à la fausse chambre de Shel, et descendirent les escaliers en silence. Il y avait tant à dire qu'ils ne disaient rien. Ils se dirigèrent vers la Grande Salle. Cassandra s'étonna qu'il la suive jusqu'à la table des Poufsouffle : « Tu manges avec moi ? - T'inquiète, Camélia s'est calmée. Elle n'attend que que tu t'excuses, sincèrement. » Cela semblait plutôt facile à faire. Mais Camélia n'était pas la seule personne à qui elle devait formuler des excuses. -*- Le lendemain, au petit-déjeuner, Cassandra alla à la table des Gryffondor presque à reculons. Le cœur battant, elle se glissa près de Laurie et Jane. « Salut. - Tu veux quoi, Selwyn ? - Euh... Dire pardon. - Ah ouais ? s'étonna Jane. - Oui. Ce que je vous ai dit était injustifié, stupide, et puriste. Je ne le referai plus. Désolée. » Les deux filles s'interrogèrent du regard, avant de fixer Cassandra à nouveau. Elles semblèrent attendre quelque chose en plus, ce qui fit paniquer la Poufsouffle. Mais elles finirent par hocher la tête. « Ouais, j'espère bien. - En même temps, bon, élevée par des gens comme ça, faut bien qu'il y ait des traces. T'inquiète, ça roule, Selwyn. » Elle se força à sourire, bien que la remarque sur ses parents l'ait irritée. Elle battit en retraite, et tourna autour de la tablée rouge et or sans oser aborder Camélia. Celle-ci finit même par l'interpeller.
« Bon, Cassandra, je te vois tourner depuis dix minutes, si tu as quelque chose à dire, dis-le ! » Son ton était acerbe, mais il y avait une véritable attente dans ses yeux. La Poufsouffle ne voulait pas que leur conversation ait lieu au milieu du bruit des discussions, des couverts contre les assiettes et des battements d'ailes des hiboux qui apportaient le courrier. Aussi, elle indiqua à Camélia de la suivre. Ce qu'elle fit – et c'était bon signe. La Gryffondor croisa les bras, tête penchée sur le côté, l'air sévère. Cassandra prit une grande inspiration. « Je me... suis excusée auprès de Laurie et Jane. - Oh. Bien. » Le silence s'éternisa. Cassandra paniquait : n'était-ce pas une horrible manière de commencer ? Camélia n'allait-elle pas croire qu'elle ne s'était excusée uniquement pour regagner son amitié ? « J'ai fait ça parce que j'ai compris à quel point ce que j'ai dit craignait. C'est, ouais. Comme tu l'as dit, puriste. Je suis un peu débile. Je me disais que comme y'avait pas d'insulte dedans, c'était ok. Mais genre... » Était-elle en train d'empirer la situation ? « J'apprends tous les jours. Et c'est grâce à vous. Je... je sais pas exactement si... Je veux dire, c'est pas facile, vraiment. Je sais pas comment tu as fait, toi. Ça m'étonne toujours, quand je me dis que tu as grandi en entendant les mêmes trucs que moi, et finalement, tu t'es tout de suite dit « non, c'est faux ». Genre. Tu as un sacré courage. » Camélia esquissa un sourire.
« Je n'ai pas entendu les mêmes choses que toi. Pardon, Cass, mais tes parents tuaient des Moldus et des Nés-Moldus. Ils disaient qu'ils volaient la magie et qu'ils devaient être asservis. Théorie du complot, genre. Les miens sont hardcore, mais pas à ce point. Et ils étaient pas sur mon dos H24. J'ai pu penser par moi-même assez tôt. Cassandra fixa ses pieds. Il lui faudrait du temps pour admettre que ses parents étaient les monstres que tout le monde voyait. Elle sentait encore leurs câlins et entendait encore leurs « je t'aime ». « Et je comprends que tes parents t'aient aimée, je remets pas ça en question. Ils t'ont même mieux aimée que les miens. Et c'est pour ça que c'est aussi dur. Je peux pas exactement savoir, mais j'imagine. » Parfois, il lui semblait que Camélia pouvait également entendre ses pensées. « Allez, viens dans mes bras au lieu de rester plantée là. Si tu veux bien, évidemment. » Cassandra ne se le fit pas dire deux fois, et plongea contre sa meilleure amie. Camélia était un peu plus grande qu'elle, et elle se sentait protégée. Elle ferma même les yeux. « Shel m'a raconté ce que tu lui avais demandé de faire. La vache, Cassandra, tu as vraiment pris ça au sérieux ! - Ben... je voulais savoir qui j'étais vraiment. - Qui tu es vraiment ? sourit la Gryffondor. Une blairelle. Une adorable personne. Ma meilleure amie. Quelqu'un d'assez courageux pour remettre tout ce qu'on lui a appris en question. Franchement, si tout le monde était comme toi, ça irait mieux sur Terre. Cassandra sentit à nouveau les larmes monter. Elle s'accrocha à son amie, le sourire aux lèvres. Elle voulait la croire. Elle la croyait. « Allez, viens, on a Étude des Moldus. J'espère que t'es quand même prête à défendre tes opinions, parce qu'il est hors de question qu'on passe un mois à bosser sur des hoverboards. - Je sais même pas ce que c'est... - Moi non plus. »
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Bright darkness - 7 - Merci.
When the days are cold And the cards all fold And the saints we see Are all made of gold When your dreams all fail And the ones we hail Are the worst of all And the blood's run stale I want to hide the truth I want to shelter you But with the beast inside There's nowhere we can hide No matter what we breed We still are made of greed This is my kingdom come This is my kingd..- Cassandra Selwyn éteignit la radio de Shel d'un geste rageur. Ses parents lui avaient appris à redouter les objets moldus, surtout les électroniques. Ils étaient radioactifs, et très dangereux. La petite Poufsouffle jeta un regard tranchant à son ami de Serdaigle, allongée sur l'herbe. - Eloigne ce truc ! s'exclama Cassandra. - Pourquoi ? - C'est radioactif ! Le premier réflexe de Shel fut de lever les yeux au ciel. Puis, il se rappela que l'éducation de son amie avait grandement différé de la sienne, et de celle de n'importe qui. Il lui expliqua calmement le fonctionnement d'une radio, concluant qu'il n'y avait aucun élément radioactif la composant. Cassandra, bien que partagée, accepta de le croire, mais ne la ralluma pas. D'ordinaire, elle se référait à Camélia pour connaître la vérité. Elle avait tout de suite été sidérée des convictions si fortes de la Gryffondor, de son refus de la haine envers les Moldus et les Nés-Moldus, de son courage face à l'adversité, même si cette adversité est sa propre famille. A côté de ça, elle avait pitié de Camélia, car sa famille ne l'aimait pas beaucoup, alors que ses parents et son frère, même s'ils sont des Mangemorts, donneraient leur vie pour elle. Les deux filles avaient souvent de longues discussions à propos de leurs familles, de leurs valeurs et de ceux que les Selwyn appelaient les Sang-de-Bourbe.
Cassandra comptait sur Camélia pour lui apprendre à discerner le Bien du Mal. La Gryffondor était pour elle une espèce d'ancre, pour lui rappeler ce qu'elle doit faire ou ne pas faire. Camélia disait toujours la vérité. Elle ne prenait pas de gants. Sans elle, Cassandra ne savait guère distinguer le Bien du Mal. Et son éducation n'avait pas aidé.
En ce 11 avril 2017, les deux amis avaient profité d'un entraînement de Quidditch de Camélia pour se retrouver près du Lac Noir, qui scintillait au soleil. Ils souhaitaient organiser une fête surprise à leur meilleure amie. Et, comme disait Shel : - On s'y prend beaucoup trop tard. Ce n'est pas faute de te l'avoir dit. - Tu me l'a dit en janvier, Shel, ironisa Cassandra. - Au moins, on serait prêts. - Tu n'as pas tort. Mais sincèrement pourquoi lui faire une fête surprise ? Ça ne sert à rien. - Parce qu'elle en a fait une pour mon anniversaire. Et le tien. - Elle doit s'y attendre, alors ! supposa la Poufsouffle. Et ce n'est plus une surprise si elle s'y attend ! - On n'en sait rien et on ne va pas lui demander, trancha Shel. Mais c'est une bonne action. Cassandra se contenta de cette explication. Faire le bien et le bonheur de Camélia était une priorité. - Bon, que lui offres-tu ? ... Laisse-moi deviner. Un livre. - Tu me connais décidément trop bien, Cassandra Selwyn, soupira le Serdaigle en agitant un livre pris dans son sac. - Le Quidditch à travers les âges... Ça pourrait l'intéresser. - Et toi ? La jeune fille se gratta la gorge, gênée. - J'ai pas trouvé, avoua-t-elle. - Son anniversaire est aujourd'hui ! explosa Shel. - Je sais ! - Tu n'as qu'à lui écrire une lettre, proposa-t-il. - Une lettre ? répéta Cassandra avec autant de mépris que d'incompréhension. Ce n'est pas un cadeau ! - Si, si ! Une lettre lui disant que tu tiens à elle. - Au pire, je peux lui prendre un gâteau aux cuisines. - Hors de question, refusa le Serdaigle. - Bon... - Tu vas quand même le faire ? - Évidemment. La cloche sonna, marquant la fin de leur heure de permanence commune. Le Serdaigle et la Poufsouffle se levèrent, les deux dernières à regret. Cassandra Défense Contre les Forces du Mal (elle abhorrait cette matière) et Shel histoire de la magie. Le jeune garçon était le seul à ne jamais s'être ennuyé dans cette matière, prenant toujours des notes avec assiduité. Notes que ses deux meilleurs amies recopiaient avant même qu'il n'ait eu le temps de dire "Quidditch". Alors que leur ami courait presque en cours, Cassandra le retint par la manche. - Qu'est-ce-que je vais écrire, sur ma lettre ? s'inquiéta-t-elle. Shel hésita, avant de répondre laconiquement : - Sois juste... sincère. Sur ces trois mots énigmatiques, il fila en histoire. ~*~ Chère Camélia Camélia Salut Cam ! Chère Cam Cam, Aujourd'hui, c'est ton anniversaire C'est ton anniversaire, aujourd'hui Je pense que tu sais que c'est ton anniversaire Ceci est une carte d'anniversaire Ceci est une carte d'anniversaire pour toi parce que c'est ton anniversaire Je t'offre cette carte parce que c'est ton anniversaire pour te dire que tu es une personne cool sympa en vie normale chouettos et que j'apprécie cette normalitude normalitation normalitatudité normalité. Cassandra relut le passage, leva les yeux au ciel et gribouilla sur ses dernières phrases avec rage. Chère Camélia Camélia Salut Cam ! Chère Cam Cam, Aujourd'hui, c'est ton anniversaire C'est ton anniversaire, aujourd'hui Je pense que tu sais que c'est ton anniversaire Ceci est une carte d'anniversaire Ceci est une carte d'anniversaire pour toi parce que c'est ton anniversaire Je t'offre cette carte xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx Se mordant la lèvre, elle froissa la lettre et la rangea dans son sac. Elle était totalement perdue. Dans ces cas-là, ceux où elle n'arrivait pas à se décider, c'était vers Camélia qu'elle se tournait. Aujourd'hui, cela lui était impossible, à cause de cette stupide surprise.
Soupirant, la petite Poufsouffle s'efforça de se concentrer sur le cours de Card, qui par miracle n'avait pas encore remarqué qu'elle n'écoutait pas. Regardant la boule de papier froissée dans son sac, Cassandra renonça à la lettre.
Qu'est-ce-qui ferait plaisir à Camélia ? Qu'aimait-elle ? Les Chocogrenouilles, son frère, embêter Shel et contredire sa famille. Il n'était pas question d'amener son frère à Poudlard. Camélia n'avait pas besoin que ce soit son anniversaire pour embêter Shel. Et Cassandra restait persuadée que les Chocogrenouilles étaient maléfiques. Elle réfléchit encore plus fort. Camélia aimait aussi le Quidditch, mais c'était Shel qui s'en chargeait avec le livre.
Soudain, Cassandra écarquilla les yeux, se levant d'un bond. - J'ai trouvé ! s'écria-t-elle d'une voix aiguë, ravie. - Vous avez trouvé le point d'enlever quinze points à Poufsouffle, en effet. Rasseyez-vous, Miss Selwyn, cingla Josh Card. Se renfrognant, Cassandra obéit, l'esprit envahi d'images de son futur cadeau. Elle se répéta tant et tant de fois ce qu'elle devait faire que lorsque la cloche avertit les élèves de la fin des cours, elle bondit de sa chaise et détala. Seulement, Josh Card la rattrapa, alors que tous les autres élèves partaient en courant. - Miss Selwyn. - Mr Card, répondit distraitement la jeune fille, le regard fixé sur la porte. Quand quelqu'un n'aimait pas son cadeau d'anniversaire, avait-il le droit de lancer un sort à la personne qui le lui avait offert ? - J'aimerais vous parler. - H-hm.
Ou bien Camélia se vexerait-elle ? Les amis sont censés savoir ce qu'ils aiment, non ? - Je crois ne pas me tromper lorsque je dis que ma matière ne vous inspire pas grand-chose. - Non non. Ce soir, elle se faufilerait hors de son dortoir et irait chercher un gâteau aux cuisines. Elle espérait qu'il y aurait un gâteau au chocolat. - Cela ne doit pas être évident d'apprendre des choses qui démentent les valeurs de votre famille, cependant... Il faudrait qu'il soit écrit "joyeux anniversaire Camélia" en glaçage sur le dessus du gâteau. Les elfes de maison pourrait-ils faire ça ? - Miss Selwyn ! s'exaspéra Josh Card. Vous m'écoutez ?! - Hm-oui. - Vous avez d'excellentes notes partout, sauf en DCFM, l'informa le professeur. Cassandra garda le silence. Josh Card soupira. - Si vous avez des questions, venez me voir. C'est important. - Oui oui. Sur ce, il la libéra. Cassandra s'éclipsa à une telle vitesse que Card ne la vit presque pas partir.
La petite Poufsouffle fila à sa salle commune, tapa les syllabes d'"Helga Poufsouffle" sur le tonneau, traversa la salle en courant et se réfugia dans son dortoir, sur son lit, près de la fenêtre. Elle sortit alors un petit miroir cadré d'or qu'elle avait reçu de ses parents. Elle sortit sa baguette magique et murmura, en la pointant sur l'objet : - Gemino. Gemino. Deux miroirs identiques au premier apparurent, et Cassandra rangea l'original sur sa table de chevet. Puis, elle lança encore quelques sortilèges aux formules longues et compliquées. Lorsqu'elle eut fini, elle emballa les deux miroirs dans un paquet cadeau qu'elle avait fait apparaître. Puis, elle découpa une étiquette dans un bout de papier, écrivit deux mots dessus et la fixa au paquet. Puis, son cadeau serré contre son coeur, elle prit la direction du Lac Noir où ils devaient se retrouver, Shel amenant Camélia. Lorsque Cassandra rejoignit le lieu de rendez-vous, le crépuscule montait peu à peu dans le ciel. Le Serdaigle n'était pas là, mais il avait fait un travail exceptionnel : des guirlandes animées étaient enroulées autour d'un petit pommier qui poussait près de la rive du Lac, le gâteau, la radio et le livre étaient posés sur une nappe en tissu rouge. Bientôt arriva son ami, avec une Camélia vociférante et aux yeux bandés.
- ARCHER, PUTAIN, TU VEUX ME JETER DANS LE LAC LE JOUR DE MON ANNIVERSAIRE ?! - Possible, répondit Shel en haussant les épaules, l'air désinvolte. Ils s'approchèrent. Cassandra posa promptement son cadeau sur la nappe. Shel retira le bandeau des yeux de son amie, qui poussa un cri de surprise, et pointa sa baguette sur la guirlande en récitant : - Musa. Aussitôt, la mélodie entraînante de joyeux anniversaire résonna. Il y eut un silence gênant, Shel ne voulant pas chanter, et Cassandra n'étant plus sûre des paroles.
Une fois la chanson terminée, la guirlande magique explosa en un tourbillon de paillettes rouge et or, illuminant l'obscurité. Camélia sauta au cou de ses amis, ravie. - Oh, waouuuuh ! Merci ! Merci ! Merciiii ! - Ne sois pas hystérique avant de découvrir tes cadeaux, tempéra Shel. Voici le mien. Telle une enfant, Camélia déchira le papier cadeau bleu. - Le Quidditch à travers les âges ! Mon père a toujours refusé de me l'acheter ! Merci, Shel ! Elle quitta les bras de Lizzy pour ceux de Shel, qui, peu habitué aux effusions, resta stoïque. Puis, Cassandra tendit timidement son paquet à Camélia. Celle-ci la fixa de ses grands yeux bleus en lisant le message sur l'étiquette : - "Merci. Cassandra". C'est pas plutôt moi qui doit te remercier pour le cadeau ?
Cassandra grimaça.
- Non, c'est... C'est moi, là, qui te remercie d'être... cool, sympa, en vie, chouettos et normale. Camélia rit, tandis que Cassandra se traitait intérieurement d'idiote. La Gryffondor déchira l'emballage, et fronça les sourcils. - Deux miroirs ? - Identiques, confirma Cassandra. Shel s'approcha de Camélia, intrigués par le curieux présent de leur amie de Poufsouffle. Celle-ci prit l'un des miroirs, et clama : - Montre-moi Camélia Abraxas. Aussitôt, le visage de la jeune fille se forma dans le miroir, tandis que celui de Cassandra apparaissait sur celui de Camélia. - Un... Un miroir à double sens ! s'exclama-t-elle, ébahie. W... Wouahou ! - Je l'ai fabriqué moi-même, dit Cassandra. - Sérieux ?! Oh, merci, Cass' ! Camélia se jeta à son cou. En respirant son parfum fruité, Cassandra ne put retenir un sourire. On lui avait toujours dit qu'avoir des amis la rendrait faible. Eh bien, si être faible signifiait être aussi heureuse qu'en ce moment-là, elle voulait bien être faible. Un tout petit peu.
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Bright darkness - 6 - Les Sombrals.
Pour leur seconde rentrée, Cassandra et ses amis furent accueillis à Poudlard par une pluie battante et glacée. Ils s'empressèrent de rabattre leurs capuches dès qu'ils posèrent un pied à Pré-au-Lard. C'était une nuit sombre, brumeuse. Des nuages se confondaient avec le ciel, masquant la lune et les étoiles.
La petite Poufsouffle chercha Hagrid du regard, mais remarqua qu'il n'appelait que les première année. Elle se souvint également que seule sa promotion avait traversé le lac en barques l'année précédente.
- Mais on va où, nous, du coup ? demanda Camélia qui avait compris la même chose.
- Pas aux barques ? s'étonna Cassandra.
- Non, seuls les première année prennent les barques, et aussi les septième année, le dernier jour de leur scolarité. Pour boucler la boucle, vous voyez ?
Le silence des filles fit soupirer Shel.
- Mais enfin, quand est-ce-que vous vous déciderez à lire L'Histoire de Poudlard, vous trois ?!
- Pas besoin, rétorqua Camélia. Tu connais le bouquin par coeur, il suffit de te demander.
Le Serdaigle leva les yeux au ciel.
- Suivons le groupe, proposa-t-il. A partir de la deuxième année, on se rend à Poudlard en dilligences.
- Cool ! jugea Camélia.
Les dilligences étaient noires et anciennes, tirées par d'étranges chevaux, assez terrifiants. Noirs, squelettiques, des yeux blancs, des ailes de dragon décharnées... Cassandra fut saisie d'un frisson. Le quatuor se dépêcha d'entrer dans un fiacre, et retirèrent leurs capuches, soulagés d'être à l'abri de la pluie. Ils ne remarquèrent pas tout de suite qu'il y avait quelqu'un d'autre dans la dilligence... La cape de cette personne se confondait avec les murs sombres, la rendant presque invisible.
- Ils sont vraiment horribles, ces chevaux, trembla la petite Poufsouffle en jetant un coup d'oeil par la fenêtre.
Camélia et Shel suivirent son regard, et les deux filles froncèrent les sourcils.
- Euh, quels chevaux, Cass ? s'enquit la blonde.
- Bah les chevaux noirs là, les moches qui tirent la dilligence...
- Personne ne tire les dilligences, Cassandra... Elles avancent toutes seules. Par magie.
- Mais non, coupa la voix calme de Shel. Il y a bel et bien des chevaux noirs squelettiques qui tirent les dilligences.
La Poufsouffle fronça les sourcils, le coeur battant. Elle ne comprenait rien. Pourquoi ses amis ne voyaient-ils pas ces chevaux ? Etait-ce une hallucination ? Etait-elle vraiment folle ?
Lorsque Shel appuya son point de vue, la petite fille se sentit plus soulagée. Ainsi, le Serdaigle les voyait aussi ?
- Je ne les vois pas non plus, la détrompa-t-il, comme s'il avait lu dans ses pensées. J'ai juste lu L'Histoire de Poudlard. Ce sont des Sombrals. Seuls ceux qui ont vu quelqu'un mourir peuvent les voir.
L'annonce de Shel jeta un froid dans l'habitacle. Les regards lourds de sens de ses trois amis se posèrent sur Cassandra, qui se mit à rire un peu nerveusement.
- Ha ha, pour voir des gens mourir, j'en ai vu ! Ca c'est clair ! Y'a un bonus quand on les a tués nous-mêmes ? Genre on peut monter sur les Sombrals ? Avec une selle ? Des étriers ! Ha ha !
Le Serdaigle et la Gryffondor restèrent silencieux, puis Camélia exprima le point de vue général :
- T'es chelou, Cass.
- Merci Cam.
Plus personne ne dit un mot de plus pendant le reste du trajet. Des pensées chaotiques avaient succédé à la surprise dans l'esprit de Cassandra. Sa tête lui tournait, son coeur se serrait. Elle ne comprenait pas. Pourquoi tout le monde ne voyait pas les Sombrals ? Ils n'avaient pas passé presque toute leur vie en compagnie de la Mort, à la voir, à la donner, à la respirer. Alors, à quoi avait ressemblé leur enfance ? Avaient-ils eu une maison ? Un jardin ? Avaient-ils fait des bonhommes de neige l'hiver, étaient-ils partis en vacances l'été ? Avaient-ils lu des livres, s'étaient-ils disputés avec leurs frères et soeurs ? Fait des gâteaux, des balades à vélo ?
Pour la première fois, Cassandra comprit que sa vie ne ressemblait en rien à celle des autres enfants. Qu'elle était étrange, anormale, morbide. Et le besoin de savoir ce qu'était la normalité transperça son coeur d'un sursaut glacé.
Elle ne réagit pas lorsque la dilligence s'arrêta. Camélia, Lizzy et Shel sortirent, pensant que leur amie les suivrait, mais elle resta assise, raide, tourmentée. Son regard noisette ne quitta plus les Sombrals, preuves de la folie de son passé.
Cassandra n'eut pas le temps de réfléchir plus longtemps. Ses amis surgirent derrière elle, Camélia rabattant la capuche de son amie sur ses boucles blondes.
- Eh bah alors Cass ? Tu t'es perdue ? la taquina la Gryffondor.
- Je viens, marmonna Cassandra, tentant de cacher son trouble.
Le quatuor se sépara, chacun rejoignant leurs tables. La Répartition commença, mais Cassandra n'entendit aucun nom. Les yeux rivés sur le bord de la table, elle réfléchissait. Jusqu'à ce que cela lui fasse mal. Que son esprit s'affole, tourmenté, dans une quête désespérée de réponses, enchevêtré par la colère et la peine. Elle explora ses plus anciens souvenirs, ranima ses émotions les plus profondes, invoqua ses vagues connaissances de la vraie vie. Mais rien ne lui amena de réponses fiables.
Alors que le banquet apparaissait sur la table, la Répartition achevée, Cassandra regarda tour à tour Camélia, et Shel. La première s'était proposée de l'aider à discerner le bien du mal. Le second pouvait lui expliquer toutes les études menées sur les Nés-Moldus et les Moldus. Mais la Poufsouffle hésitait. N'était-ce pas trop leur demander ? Parfois, elle voyait cette étincelle mêlant peur, curiosité et inquiétude, celle qui naissait dans les regards de ses amis quand elle faisait quelque chose de déconcertant, comme lorsqu'elle avait ri dans la dilligence un peu plus tôt. N'était-elle pas trop folle pour eux ? Trop folle pour expliquer ce qui se passait dans sa tête ? Et eux, n'étaient-ils pas trop normaux pour comprendre ?
Cassandra voulait des preuves irréfutables. De la logique. Des certitudes. Leur absence menaçait de la rendre véritablement dingue. Et peu importe si la vérité risquait de la détruire. Elle voulait savoir. Comprendre. Ce désir la tint éveillée toute la nuit. Vers deux heures du matin, la petite Poufsouffle se glissa dans la salle commune de Poufsouffle, seulement éclairée par la lumière des astres, qui n'étaient plus masqués par les nuages. Elle s'assit près d'une fenêtre, et contempla les étoiles, particulièrement Polaris.
Cette nuit-là, Cassandra décida de faire entièrement confiance à ses amis. De les supplier qu'ils lui apprennent la vérité. Qu'ils comblent son coeur en miettes de certitudes. Et ce, en prenant le risque qu'en sachant tout de leur amie, même sa noirceur la plus enfouie, Shel et Camélia prennent peur et s'éloignent d'elle. Et que dans leurs yeux se reflète le même feu dévorant mêlant haine et crainte qui animait le regard de tant d’élèves quand ils le posaient sur Cassandra.
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Bright darkness - 5 - Le bien du mal.
Pour tous les élèves, les vacances d'été étaient une source de joie, une promesse de liberté. Pendant deux mois, ils allaient se déconnecter de la réalité scolaire, oublier les cours et les devoirs, et profiter du beau temps pour faire ce qu'ils voulaient. Beaucoup avaient prévu de voir leurs amis pendant l'été, et la plupart partaient à l'étranger. Cassandra, elle, ne savait pas trop ce qu’elle allait faire. C’était seulement le deuxième été qu’elle passait au manoir avec son frère depuis le procès de leurs parents. Elle aimerait voir Shel et Camélia, mais elle ignorait si c’était socialement acceptable.
Presque une heure avant l'arrivée du train à King's Cross, alors que la nuit venait de tomber, Shel quitta un instant le compartiment pour aller aux toilettes. Un silence s'installa entre Camélia et Cassandra. La Poufsouffle s'étonna de constater que la Gryffondor avait perdu l'entrain qu'elle affichait en compagnie de leurs deux autres amis. Elle regardait à présent les étoiles avec un air sombre, semblable à celui de la jeune Selwyn. Cassandra ignora un instant sa morale, et glissa son esprit dans celui de Camélia. Ce qu'elle découvrit la surprit autant que cela la rassura : la Gryffondor n'avait pas l'air enchantée non plus par la perspective des vacances. Cassandra s'empêcha de lire ses pensées secondaires, et préféra lui demander à haute voix :
- Cam ? T'as l'air triste...
- Quoi ? Non, pourquoi tu dis ça ? s'empressa de répondre la Gryffondor.
- Tu ne peux pas me mentir, Camélia.
- Tu as lu mon esprit ? se scandalisa-t-elle.
- Euh... Pas beaucoup !
Cassandra redouta une des colères magistrales de son amie, mais Camélia se contenta de soupirer et de confier du bout des lèvres :
- Je n'aime pas trop les vacances.
- Tu es restés à Poudlard pendant celles de Noël et de Pâques, comme moi, se souvint la petite Poufsouffle. Tu reçois très peu de lettres de tes parents, pas une seule en fait, depuis la Beuglante de ton père qui se reprochait de ne pas être à Serpentard. Tu m'as juste parlé de ton petit frère. Tu ne partages pas les convictions pro-Sang-Pur. Tu ne t’entends pas avec ta famille c'est ça ?
La perspicacité de Cassandra ne cessait d'étonner son amie. Camélia ne savait que penser de la Poufsouffle. Elle avait l'air si innocente, si douce, que l'imaginer commettant les crimes dont elle était accusée semblait inconcevable. Loin d'être naïve, la Gryffondor était encore loin de lui faire pleinement confiance, mais Cassandra la comprenait à tant d'égards, et savait toujours trouver les mots pour panser ses blessures secrètes. Camélia se demandait si elle pourrait l'amener à faire la différence entre le Bien et le Mal, à long terme. Elle était prête à tenter l'expérience, car une chose était sûre, elle n'était pas prête à abandonner Cassandra.
- O-oui, bredouilla la petite Abraxas, c'est... exactement ça. T'as tout compris.
Cassandra ne comprenait pas pourquoi elle appréciait autant ses amis : Lizzy était une traîtresse à son sang, Shel descendait d'une grande lignée du côté de sa mère mais son père n'était qu'un vulgaire Moldu, quant à Camélia, elle était elle-même une traîtresse à son sang. Pourquoi n'était-ce pas ce qu'elle voyait chez eux en premier ? La Poufsouffle en avait honte, mais se sentait libre, ces deux sentiments se mêlant curieusement.
Camélia aurait dû être sa pire ennemie. Comment pouvait-elle cracher sur des convictions si nobles qu'étaient celles des Abraxas et des Selwyn ? Qu'est-ce-qui clochait chez la Gryffondor ? Cassandra se demandait plutôt ce qui clochait chez elle-même, qui était aussi attachée à ceux que ses parents appelaient les Indignes.
Elle se demandait toujours ce qu'Adonis et Gaïa penseraient de ceci ou de cela, de telle parole, fréquentation. Des insécurités et une certaine honte ne la quittaient jamais. Ses lettres à Erwan étaient truffées de "est-ce-que c'est bien ?" et aux yeux de la petite fille, une réponse positive était quasi vitale. Mais elle n'avait pas encore avoué à son frère les "tares" de ses amis. Il ne les avait pas demandées.
- Comment tu fais, Camélia ?
- Hein ? Comment je fais quoi ? questionna la Gryffondor.
- Pour savoir... comme ça...
Cassandra hésita. Elle ne savait comment formuler sa phrase.
- Pour juger ce qui est bien ou pas. Tu dis que les Moldus et les Nés-Moldus sont normaux, enfin, comme nous quoi, que le statut de sang ne compte pas, mais comment tu sais ? Qu'est-ce-qui te fait dire ça ? Pourquoi tu crois pas tes parents, ils ont raison ! commença-t-elle à paniquer, les larmes lui montant aux yeux.
- Non, c'est faux, Cass. Je le sais parce que des études de scientificomagie l'ont prouvé. Les Nés-Moldus ne deviennent pas sorciers parce qu'ils ont volé de la magie, mais parce qu'ils avaient un ancêtre sorcier. Enfin... Je sais pas tout, contrairement à Shel qui peut sans doute t'expliquer toutes ces études. Tu lui demanderas et tu comprendras.
- Mais... D'accord.
Cela lui semblait une bonne idée. Mais si ces études avaient été menées par des Indignes, n'étaient-elles pas faussées ? N'était-ce pas une manipulation pour endormir la confiance des vrais sorciers et ensuite prendre le contrôle du monde ?
- Mais c'est pas que ça, je sais pas... ce qui est mal ou bien.
Elle baissa les yeux. La phrase suivante s'arracha difficilement à sa gorge.
- Moi je pensais qu'on était des héros. Avec mes parents et mon frère. Qu'on sauvait le monde, qu'on le purifiait, en tuant les méchants, les Indignes. Les Sang-de-Bourbe. Et qu'on combattait leurs alliés, les méchants aussi. J'étais super fière. Et là, j'arrive ici, et tout le monde a peur de moi, me hait, et pense qu'on est tous des monstres, j'ai pas compris, je comprends toujours pas... Cam...
Touchée par la confidence maladroite de Cassandra, Camélia avança une main timide et tapota l'épaule de son amie.
- Je t'aiderais, Cass. Je te dirais ce qui est mal ou bien. Tu peux me faire confiance.
Vraiment ? songea une voix qui mêlait les tons d'Adonis et Gaïa. C'est une traîtresse à son sang, elle veut peut-être te manipuler. Parce qu'elle a peur de toi, parce que tu es puissante.
Tourmentée, la petite Poufsouffle sursauta en entendant la porte du compartiment s'ouvrir sur Shel, qui avait profité de son trajet pour ramener des friandises.
- Oui, glissa-t-elle rapidement, d'accord.
- D'accord quoi ? demanda la Serdaigle, curieuse.
- D'accord pour... venir chez moi un jour. Je l'ai invitée. Bon, peut-être pas cet été, Cass, mais un jour !
- L'année prochaine ? proposa la Poufsouffle, ignorant si Camélia était sérieuse ou si cette invitation faisait partie du mensonge.
- Oui, pourquoi pas !
Le trio mangea les bonbons jusqu'à la fin du trajet. Lorsque le train entra en gare, ils prirent leurs bagages, se serrèrent dans leurs bras (même Shel et Cassandra, peu à l'aise avec les contacts physiques), et se promirent de s'écrire régulièrement - ils avaient échangé leurs adresses plus tôt dans la soirée.
Quand elle descendit sur le quai, un vent chaud fit voler les cheveux de Cassandra. Elle agita sa main vers ses amis, qui lui répondirent avant de partir chacun dans une direction. La petite fille hissa son bagage, ignorant les tiraillements de ses muscles sollicités, et courut dans les bras d’Erwan qui l’attendait un peu plus loin, écrasant rapidement une cigarette sous son pied avant de câliner sa sœur.
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Bright darkness - 4 - A la recherche des toilettes.
Emportée par la force de l'habitude, la première semaine que Cassandra passa à Poudlard s'égrena sans qu'elle ait le temps de la voir passer. Ses journées s'harmonisaient en une permanente découverte. Que ce soit le château, ses alentours, les cours, les professeurs ou les élèves, tout pour la petite fille avait le parfum ennivrant de la nouveauté. Elle n'avait pas encore tissé de vrais liens, mais refusait d'y penser. Confrontée au monde réel pour la première fois de sa vie, Cassandra avait dû faire face aux sentiments et aux réactions de toute l'école : admiration craintive, hainte virulente, rancoeur, mépris, froideur, peur et indifférence se confondaient et se mélangeaient. Même au sein de sa maison, qui prônait la tolérance, la petite Poufsouffle n'était pas amicalement reçue. En même temps, au regard de sa famille et de ce qu'elle avait commis à travers les siècles, ce n'était guère étonnant. Il n'appartenait qu'à Cassandra, et à la descendance de son frère et elle, de redorer le blason des Selwyn. Et cette responsabilité la terrifiait.
Ainsi, Cassandra s'habituait petit à petit à Poudlard. Son sens de l'orientation et ses capacités d'adaptation aidant, l'endroit lui était presque devenu familier, en à peine une semaine. Pour le peu d'interrogations que les première année avaient eu, la petite fille maintenait un bon niveau.
En ce vendredi, c'était en Défense Contre les Forces du Mal qu'elle se rendait, son sac rebondissant sur son épaule. Une matière qu'elle redoutait beaucoup. Ses parents ne lui en avaient jamais parlé, et Erwan utilisait toujours l'expression "Arts de la Magie Noire", faisant rêver Cassandra d'un cours où elle excellerait. Mais en recevant son emploi du temps, la Poufsouffle avait déchanté. Encore un mensonge de sa famille, ou du moins une vérité altérée, qu'elle découvrait au contact du monde réel. Combien l'attendaient encore ?
La petite fille rejoignit le rang des Gryffondor, Serdaigle et Poufsouffle qui avaient cours de DCFM ensemble. De grands effectifs qui avaient étonné Cassandra en premier lieu, mais après tout, à Poudlard, tout était possible. Pour éviter de se faire remarquer, elle rabattit la capuche de sa cape noire. Personne ne lui adressa la parole, partagés entre crainte et intimidation.
Le professeur leur demanda assez rapidement d'entrer. C'était un trentenaire aux cheveux bruns et aux yeux marron, avec une barbe de trois jours. Au cours d'un discours effrayant de calme et de sévérité, il se présenta : Josh Card. Cassandra, bien que Née-Legilimens, n'eut pas besoin de rentrer dans sa tête pour deviner qu'il était le genre de professeur strict qui attendait le meilleur de ses élèves, et qui les aiderait à atteindre les sommets, malgré des méthodes peu amicales. Après son introduction, le professeur Card demanda :
- Quelqu'un peut-il me dire ce qu'est la Défense Contre les Forces du Mal ?
- Bah c'est un cours où on apprend à se défendre contre les Forces du Mal, répondit une blondinette au dernier rang, faisant rire la classe.
- Quelle perspicacité, miss...
- Abraxas. Camélia Abraxas.
- Ravi de faire votre connaissance. Je retire trois points à Gryffondor pour insolence.
- Euh, quoi ? Vous posez une question, je donne une réponse. Je ne vois pas ce qu'il y a d'insolent là-dedans.
Le professeur ignora superbement la petite blonde, ce qui amusa un peu Cassandra. Après qu'un élève de Serdaigle ait donné la réponse exacte, et fait gagner cinq points à sa maison, Card demanda à ses élèves de citer des sorts que l'on apprenait en Défense Contre les Forces du Mal. Une petite lueur dorée éclaira le regard noisette de Cassandra, et sa main se dressa au milieu d'une forêt de semblables. Enfin quelque chose qu'elle savait.
Le regard perçant du professeur Card se fixa sur Cassandra. Il la reconnut sûrement - son visage avait fait la une de dizaines de journaux depuis sa naissance, accompagné ou non de ceux de ses parents et son frère. Peut-être surpris qu'elle souhaite donner une réponse à cette question, dans ce cours à l'opposé des convictions de sa famille, il l'interrogea. Une trentaine de regards se fixèrent sur la petite fille, qui avala nerveusement sa salive avant de citer des sortilèges qu'elle connaissait :
- Eh bien alors il y a l'Imperium, le Doloris et l'Avada Kedavra. La formule du premier est Impero, celle du deuxième, Endoloris, et celle du dernier est dans le nom.
Un silence de mort suivit les propos de la Poufsouffle. Le poids des regards, et des pensées pleines de noirceur de ses camarades - qu'elle ne pouvait empêcher de rentrer dans son esprit tant elles étaient puissantes, l'assomma. Cassandra baissa la tête.
- Je vous ai demandé de citer les sorts que l'on apprenant en cours de Défense Contre les Forces du Mal, miss Selwyn.
- Eh ben... oui... répondit faiblement Cassandra.
- Vous avez cité les trois Sortilèges Impardonnables.
Un nouveau silence glacial. La petite blonde resta muette, incapable de formuler une pensée, tant celles de ses camarades polluaient son esprit. Il y avait tant de méchanceté, de haine dans leurs propos mentaux que les larmes montèrent aux yeux de la fillette. Voyant cela, Card décida de lui donner une nouvelle chance :
- Vous connaissez sûrement des sortilèges d'attaque et de défense, miss Selwyn ? Allez, citez-en quelques uns.
Cassandra ravala ses larmes, et bredouilla :
- Expelliarmus, c'est un sortilège de défense. Qui permet de désarmer son adversaire.
- C'est ça, miss. Continuez, la pria Card d'une voix plus douce.
- Le Sortilège d'Expulsion, qui permet d'éloigner quelque chose ou quelqu'un de soi. La formule est Expulso. Le sortilège de Stupéfixion. Le Maléfice du Bloque-James. Le Maléfice du Catapultage. Le Charme du Bouclier. Le supplice de Métamorphose, aussi.
Un souffle blafard saisit la classe. Leurs yeux, que Cassandra veillait à ne pas croiser, ne reflétaient qu'un quart de tout le dégoût, la peur et la haine que la fillette aux allures d'ange leur inspirait. Même Josh Card s'étonna :
- Le quoi ?
- Le supplice de Métamorphose. Vous ne connaissez pas ? C'est un sort qui pétrifie la personne visée. Bien plus puissant que Petrificius Totalus. Il fige aussi tous vos organes internes, et entraîne la mort de la cible.
Cassandra faillit ajouter : "Il est très drôle à utiliser, car on ne sait jamais ce qui va lâcher en premier : le coeur, les poumons, la vessie ? Suspense !" Mais, au vu des sentiments négatifs de presque toute l'école à son égard, il valait peut-être mieux faire profil bas. Et dire qu'elle s'était imaginé que Poudlard serait son foyer...
- Dix points pour Poufsouffle.
La récompense tomba, faisant s'écarquiller les yeux de tous les Poufsouffle, Serdaigle et Gryffondor, y compris ceux de Cassandra.
- Quoi ! Mais... bredouilla un élève de Gryffondor, choqué.
- Qu'y-a-t-il, mister Parrish ? Miss Selwyn possède une culture phénoménale en matière de sortilèges d'attaque et de défense. Je lui donne les points qu'elle mérite.
- Il s'agit de magie noire !
- Non, miss Everdeen. Il s'agit de maléfices, de charmes et d'enchantements au programme de Défense Contre les Forces du Mal. A partir de la cinquième année. Ce qui prouve les connaissances de miss Selwyn. Désirez-vous en dire un peu plus à la classe ?
- Qui, moi ? s'étonna Cassandra. Mais... Sur quoi ?
Pourquoi ne pouvait-il pas simplement poursuivre son cours ? Pourquoi cette avalanche de questions sur elle ? Les pommettes rougissantes, la petite fille écouta les explications du professeur :
- Qu'importe du moment que cela concerne la matière ! Un sujet sur lequel vous êtes à l'aise, cela va de soi. Vos... antécédents, vos connaissances sur une forme différente de magie que l'on utilise au quotidien... Nous sommes prêts à tout entendre.
- Parlez pour vous !
- Encore une seule intervention pertinente, de plus sans avoir levé la main, et je vous renvoie du cours, mister Dorkins.
Cassandra eut brusquement envie que le sol s'ouvre et l'engloutisse. Elle se tordit les mains, laissant s'installer un silence que l'enseignant respecta. Puis, les secondes passant, la lumière se fit dans l'esprit de la petite fille. Elle savait de quoi elle allait parler. Relevant la tête, Cassandra croisa volontairement les regards de chacun de ses petits camarades. Elle n'en trouva que trois qui n'étaient pas emplis de jugement, sans compter celui de Card.
- Vous savez, quand j'étais petite, je rêvais de Poudlard. Cet endroit représentait l'incarnation de tous mes espoirs. Un foyer. J'imaginais en détails ma vie ici. Pas franchement ma maison, plus les cours, les... liens que je pourrais tisser. Mais en arrivant à l'école, j'ai vu mes espoirs s'effondrer, un à un. Vous pouvez dire ce que vous voulez, vous ne me connaissez pas. Seulement à travers des journaux débiles. Vous savez quel est mon parfum de glace préféré ? Mon livre préféré ? Sur quel côté je dors ? Mon deuxième prénom ? Non, vous ne savez rien de tout ça. Et moi, je ne comprends pas. J'essaye de comprendre, pourtant. Et, juste... Toute ma vie n'a été qu'incertitudes. Je ne sais rien. Et personne ne veut me donner des réponses.
Cassandra retint sa respiration, angoissée.
- C'est impossible de comprendre vraiment les gens. Même en voyant tous ses souvenirs, dans une Pensine par exemple, ce ne sera jamais comme si on avait vécu ces moments comme la personne. Moi, je ne sais pas qui je suis. Je ne sais pas si je suis quelqu'un de bien, je ne crois pas. Mais je ne pense pas être le diable en personne non plus. J'ai eu tout loisir de réfléchir à toutes ces notions un peu d'adultes, genre la vie, la mort, les humains, le bien et le mal. Je n'ai pas plus de réponses qu'il y a un an ou cinq. Mais j'ai de meilleures questions. N'est-ce-pas ça, la philosophie ?
Ses jambes tremblèrent un peu.
- Bref, tout ça pour dire que... Je ne vais pas vous implorer de me regarder avec plus de bienveillance, je ne vais pas vous supplier pour qu'on soit les meilleurs amis du monde. Je veux juste vous dire que je ne vais pas vous sauter à la gorge pour vous tuer, promis ! Enfin presque promis, quoi. Je ne suis pas qu'un monstre. Je suis aussi une fille, une soeur, une sorcière, une Poufsouffle. Je veux juste ça : que vous me considériez comme telle. Que vous cessiez de voir en moi ce que mes parents ont fait, ce que mes ancêtres ont fait, ce que mon frère a fait, cet amoncellement de cadavres et de Gazettes du Sorcier. Je veux que vous me rendiez mon humanité. Parce que je suis sûre que j'en ai encore une. Il m'appartient de la faire vivre, mais je n'y arriverais pas si tout le monde me dénigre ainsi.
Elle se rassit.
Le professeur Card hocha la tête.
- Merci, miss Selwyn. Avez-vous quelque chose à rajouter ?
- Euh, oui ! Menthe, le Conte des Trois Frères par Beedle le Barde, sur le ventre, Gaïa.
Tandis que tous fronçaient les sourcils, Cassandra s'expliqua timidement :
- Pour que vous me connaissiez.
Après avoir dit tout ce qu'elle avait sur le coeur depuis une semaine, et formulé toutes ses craintes et tous ses sentiments, la petite Poufsouffle se sentait étrangement vide, mais plus légère. Ses camarades froncèrent un peu les sourcils. Malgré la curiosité et l'envie de savoir ce qu'ils pensaient d'elle à présent, la fillette ne s'autorisa pas à lire leurs pensées, de peur de ce qu'elle pourrait trouver dans leurs esprits. Durant l'heure suivante, elle s'efforça à suivre le cours. A la fin de celui-ci, Cassandra rangea ses affaires et sortit de la salle de classe. Il était seize heures, et les cours de la semaine, cette première semaine à Poudlard, étaient terminés. La petite fille comptait rejoindre la salle commune des Poufsouffle, faire ses devoirs et peut-être s'offrir un goûter aux cuisines. Mais tout ne se passa pas comme prévu. Cassandra eut la surprise de sentir une présence derrière elle. Elle fit volte-face, et reconnut Camélia Abraxas, qu'elle avait aperçue à la Répartition et dans quelques cours communs. C'était une Gryffondor aux cheveux blonds, aux yeux azur et au teint de porcelaine. Son sac était accroché sur une seule de ses épaules, et sa cravate était froissée, prouvant que Camélia n'était pas la parfaite poupée que son apparence angélique pouvait faire croire.
- Hey, Cassandra !
Le fait que quelqu'un vienne lui parler, et en plus de ce ton si amical, étonna tant la petite Poufsouffle qu'elle ne put répondre tout de suite à cette salutation.
- Bonjour, hasarda-t-elle, gênée.
- Je voulais te dire, commença Camélia d’un ton léger qui devint peu à peu plus sérieux. J’ai lu ton histoire dans la Gazette du Sorcier, je sais ce qui s’est passé, que tes parents t’ont ensorcelée et tout. Je connais aussi les rumeurs sur toi, et je les fais taire du mieux possible.
Cassandra eut un air triste, mais pas pour les raisons auxquelles Camélia pensait : Adonis et Gaïa avaient prétendu que leurs enfants avaient agi sous Imperium, et l’usage de Veritaserum étant interdit au Magenmagot peu importe la gravité de l’affaire, ils avaient pu les disculper en se sacrifiant. Ainsi, l’opinion publique s’affrontait à propos de cette question presque philosophique : Cassandra était-elle responsable des crimes commis ou non ? Si oui, quelle punition faudrait-il lui réserver ? Cette interrogation avait même franchi l’enceinte de Poudlard, et était le sujet de conversation chuchotée favori des élèves sur son passage.
- Parce que, je te parle en tant que connaisseuse, notre famille ne détermine absolument pas qui on est. Mes parents sont puristes, toute ma famille l’est, et tous les Abraxas se sont fait répartir à Serpentard. Et moi, bah, non. Donc, sincèrement, Cassandra : t’inquiète. Si quiconque dit du mal de toi, je le défonce. Ah, et j’adore la menthe aussi !
Cassandra ne sut que répondre à ce flux de gentillesse, qui impliquait beaucoup de questionnements (Camélia n’était donc pas puriste ? Cela ne faisait-il pas d’elle une mauvaise fréquentation ? Et comment pouvait-on ne pas être puriste ? Aimait-elle les Nés-Moldus ? Était-elle une traîtresse à son sang ?). Heureusement, elle fut sauvée par une interrogation timide.
- Excusez-moi ?
La voix posée qui les avait interpellées appartenait à un garçon de leur taille, aux cheveux noirs et aux yeux d'un bleu intense, un peu plus foncé que ceux de Camélia. Il portait fièrement les couleurs de Serdaigle, et sa posture était rigide, presque coincée.
- Heu... Je m'appelle Shel Archer, bredouilla le petit garçon en serrant maladroitement la main de Camélia - qui, surprise, se laissa faire.
Il fit de même avec Cassandra. La Poufsouffle fut la seule à trouver cette convention tout à fait normale pour des enfants de onze ans. La Gryffondor, elle, le regardait en haussant un sourcil, l’air à la fois curieux et amusé.
- Vous ne sauriez pas où sont les toilettes ? Ça... m'aiderait beaucoup.
- Euh, bah... Non, je ne sais pas. Je sais juste où sont celles des filles, dit Camélia.
- Ce qui est assez problématique.
- Il y a des toilettes pour les filles et les garçons ? s’étonna Cassandra.
- Oui, assez old school, j’en conviens, des toilettes mixtes seraient plus inclusives et surtout plus pratiques, estima Shel.
Les deux filles esquissèrent un sourire. Puis, le quatuor commença à chercher les toilettes des garçons. Lorsqu'ils eurent trouvé, Shel y fit ce qu'il avait à faire, puis, ne voulant pas se séparer tout de suite, le petit groupe se rendit dans le parc de Poudlard pour faire leurs devoirs. Ils s'assirent sur l'herbe, et profitèrent du reste de l'après-midi sous le soleil de septembre. Ils s'entraidèrent pour apprendre leurs leçons et faire leurs exercices, avant de s'entraîner à réaliser le sortilège de Lévitation. Lorsque le soleil commença à décliner et la température à baisser, les trois petits sorciers ramassèrent leurs affaires et rentrèrent au château.
Le lendemain matin, Camélia et Shel se firent une place à la table des Poufsouffle pour prendre leur petit-déjeuner avec Cassandra, sous les regards tantôt empoisonnés, tantôt étonnés, tantôt indifférents des autres élèves. Le lendemain également. Les jours, les semaines, les mois passèrent. Ils restaient toujours fourrés ensemble, malgré le fait qu'ils appartiennent à quatre maisons différentes. Ils discutaient, riaient, s'entraidaient, apprenaient à se connaître. Si bien qu'à la fin de la première année, Camélia les appela pour la première fois ses amis. Et cela toucha Cassandra plus qu'elle ne voulut l'admettre. Elle ignorait toujours si les liens d'amitié rendaient faible, et craignait que ce fût le cas. Néanmoins, dans une lettre adressée à Erwan dans laquelle la petite Poufsouffle lui présentait Shel et Camélia, il n'avait en rien désapprouvé ces relations. L'approbation de son frère était encore essentielle pour Cassandra, et elle fut soulagée de ne pas avoir à cesser de fréquenter le Serdaigle et la Gryffondor.
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Bright darkness - 3 - La magie volée.
Une volée d'étoiles piquetait le ciel d'un noir d'encre, dessinant les constallations que Cassandra connaissait si bien. Pégase, Cassiopée, Orion, l'étoile polaire. Un jour, son père qui avait dit que Polaris guidait les âmes perdues. Et en ce soir d'été, la petite fille lui remettait la sienne. Elle sentait la tristesse empoisonner chaque fibre de son être. Chaque nouvelle pensée faisait naître une larme dans ses yeux noisette, et quelques-unes roulèrent sur ses joues. Ce poids sur son coeur l'empêchait de dormir. Cassandra était donc descendue dans le jardin du foyer pour enfants John Clifford, en quête de la lumière des étoiles.
L'air chaud de juin l'enveloppait, malgré l'heure qui devait avoisiner minuit. La petite fille s'assit en tailleur dans l'herbe, et finit par s'allonger sur le dos, les bras croisés derrière sa tête. Le silence qui régnait dans le parc, entouré d'arbres, ainsi que l'obscurité, auraient effrayé beaucoup d'enfants. Mais Cassandra, hypnotisée par la lueur des étoiles, ne voyait plus qu'elles.
Cette nuit sombre et chaude n'avait rien à voir avec celle qu'elle avait partagée avec son frère, des années auparavant. La petite fille de souvenait encore du froid mordant sur sa peau, de la fumée de la cigarette d'Erwan se mêlant à celle formée par leurs souffles, du fin croissant de lune qui scindait les ténèbres... de la chaleur du corps de son frère contre le sien, de la façon tendre qu'il avait de la bercer. Une douceur que personne n'aurait soupçonnée chez le Mangemort. Elle se souvenait de sa promesse.
A cette époque-là, tout semblait figé dans le marbre. Le quotidien de Cassandra était répétitif : chaque matin, elle se levait pour tuer, suivait ses parents et son frère, transplanait avec eux, visitait de nouveaux lieux, et se couchait le soir avec le sourire et des rêves plein la tête. Elle ne songeait jamais à l'avenir, car à ses yeux, toute sa vie se déroulerait ainsi. La fillette faisait entièrement confiance à sa famille, et les suivait, les imitait, sans réfléchir.
Comment aurait-elle pu imaginer que sa vie allait basculer ? Que l'incertitude, la solitude, le dégoût, la peur, la tristesse allaient l'enchaîner ? Qu'on lui retirerait ses projets, ses rêves, ses buts... et pire que tout, sa famille ?
Le souvenir de la capture de ses parents restait intact dans la mémoire de Cassandra. Pourquoi étaient-ils retournés au manoir Selwyn ? Les Aurors les y attendaient depuis des semaines. Des mois. Gaïa et Adonis étaient tombés dans la gueule du loup. Des dizaines de sorciers surentraînés, qui les encerclaient. Les pires sortilèges avaient fusé. Les parents de Cassandra ne s'attendaient pas à ce que les Aurors assiègent le manoir. Et encore moins à ce qu'ils prennent leur fille en otage.
Ils étaient prêts à tout... Cassandra sentait encore cette baguette sur sa gorge... cette autre sur sa tempe... Elle avait plus craint, plus souffert en cette nuit de pure horreur que jamais. Cette scène était, et resterait, la favorite de ses cauchemars. C'était d'ailleurs l'un d'eux qui l'avait arrachée à son sommeil quelques minutes plus tôt. Bouleversée, la fillette avait enfilé ses chaussons à ses petits pieds, et était descendue en silence dans le grand parc du foyer Clifford.
La douceur silencieuse de la nuit apaisa son esprit. Cassandra captait les senteurs de l'herbe fraîche, entendait le vent secouer les arbres. La pleine Lune éclairait le jardin, et fit naître un sourire triste sur le visage de la petite fille. Ses parents et son frère lui manquaient tant. Sa vie avait perdu toute saveur depuis la capture de Gaïa et Adonis, et le début de la cavale d'Erwan. Coincée dans un orphelinat pullulant de Moldus, Cassandra était chaque jour confrontée à ces créatures dégoûtantes. Et, pire que tout, obligée de faire profil bas, elle ne pouvait leur faire du mal. La petite fille n'avait désormais que deux choses qui la faisaient tenir : imaginer sa vie à Poudlard, et les lettres de son frère. Cassandra s'attendait à en recevoir une dès que le soleil serait levé. En effet, depuis trois heures, elle avait neuf ans.
La petite fille resta là, allongée sur l'herbe, la tête dans les étoiles, pendant un long moment. En fait, il lui semblait qu'elle aurait pu rester pour toujours. Mais le sommeil la gagnait. Cassandra finit donc par se relever à regret, et traversa le parc pour regagner sa chambre. Elle eut cependant la surprise de croiser quelqu'un sur le chemin du retour. Dans la pénombre, elle ne distinguait pas son visage. La fillette et le garçon sursautèrent en même temps.
- Qui va là ? s'exclama Cassandra, menaçante.
- Euh, Sean ! Et toi ?
La petite blonde lui dédia un regard conjuguant dégoût et haine. Et ce, alors qu'ils ne s'étaient jamais rencontrés. Mais la présence de ce Sean ici attestait sa condition de Moldu. De Sang-de-Bourbe. Il ne méritait même pas la présence de quelqu'un au sang aussi pur près de lui. Cassandra fit quelques pas en arrière, sans répondre.
Un rai de lumière lunaire passa sur le visage du petit garçon, dévoilant une peau pâle, des cheveux bruns et des yeux gris. Un regard qui pétrifia la petite sorcière.
- Cassandra, répliqua-t-elle à mi-voix, ignorant ce qui la poussait à adresser la parole à cet Impur.
- C'est joli. Dans la mythologie grecque, Cassandre était une grande devineresse, maudite par Apollon. Tu le savais ?
- Evidemment, cracha Cassandra, qui n'avait jamais étudié la mythologie grecque.
- Enchanté, sourit Sean en tendant une main, qui effleura celle de la petite fille.
- Ne me touche pas !
Sa réaction fut virulente. Ses doigts devinrent immédiatement brûlants, et électrisèrent ceux du petit garçon, qui recula. La Lune éclaira ses traits déformés en une expression entre la peur et l'admiration. Cependant, le petit garçon revint sur ses pas, et suivit une Cassandra très pressée de le quitter.
- Tu as fait... souffla-t-il. Tu as fait de la... magie...?
La petite fille s'arrêta aussitôt de marcher, stupéfaite. Comment ce Moldu pouvait-il prononcer ce mot ? Comment pouvait-il le souiller ? Elle se retourna, furieuse, et se figea. Une perle de lumière violine dansait au creux de la paume de Sean, transperçant les ténèbres. Hypnotisée par son éclat, Cassandra resta silencieuse. Une légère brise caressa son visage, et elle plongea son regard dans celui de Sean, qui précisa à mi-voix :
- J'en fais aussi.
Il y eut un moment de flottement. Pendant lequel le temps sembla suspendu. Tout était silencieux. La perle lumineuse de Sean faisait office de pont entre les deux enfants, si différents, réunis seulement par le hasard en cette nuit d'été.
Le coeur de Cassandra se mit à battre de plus en plus fort dans sa poitrine. Son regard était si sombre que Sean en trembla. Ses pensées tourbillonnantes noircissaient son esprit... Le besoin de fuir lui comprimait la poitrine. Sean était donc un Né-Moldu. C'était pire que les Moldus. Les Moldus n'avaient pas d'autres torts, aux yeux des Selwyn, que d'exister et d'être aussi ridiculement pathétiques et faibles. Tandis que les Nés-Moldus, eux, étaient au comble de l'ignonomie, se servant d'une magie volée aux sorciers.
Soudain, le coeur de Cassandra sembla s'arrêter, alors que ses yeux s'écarquillaient : c'était à elle qu'il avait volé cette magie. En entrant en contact avec elle, par le biais de ses doigts, ce Sang-de-Bourbe lui avait volé une partie de sa magie.
Une immense colère enflamma le coeur de la petite fille. Sa magie crépitait à ses doigts. Elle dressa le bras, dirigeant sa paume vers Sean. Le petit garçon fut projeté en arrière par une onde de choc incontrôlable. Un rayon de lune éclaira le visage de Cassandra : ses traits angéliques étaient brisés, déchirés par une haine sans nom. Luttant contre l'inconscience, Sean se demanda ce qui lui valait une telle rage...
Une éducation stricte, à la limite de la manipulation. Une doctrine ancestrale. Une enfance plongée dans les ténèbres et le chaos. Une souffrance sans fin, depuis qu'elle se retrouvait seule, à la merci d'un monde dont elle ne connaissait rien, seulement ce que ses parents lui avaient enseigné... Des préjugés éternels, un mode de pensée soigneusement formaté. Telles étaient ces raisons.
Lorsque Sean reprit conscience, le jour s'était levé. Son bras, sur lequel il était tombé, était fracturé. Dévoré par la douleur, l'incompréhension, la colère et la peur, le petit garçon se rendit à l'infirmerie. Il ne saura jamais pourquoi il raconta simplement à l'infirmier qu'il était tombé en grimpant dans un arbre. Peut-être parce que personne ne l'aurait cru s'il avait dit la vérité. Peut-être parce qu'il voulait garder le secret instable de sa magie. Mais ce n'était certainement pas pour protéger Cassandra Selwyn. A ses yeux, et pour des années encore, la petite fille aux boucles d'or n'était rien d'autre qu'un monstre.
Mais peut-être subsistait-il un espoir... Les étoiles détenaient la preuve que Cassandra n'était pas vraiment ce monstre que voyait Sean. En effet, la nuit avait accueilli ses larmes de culpabilité, et pas même l'éclat rassurant de la Lune n'était parvenu à l'apaiser.
~*~
Le ciel, dégagé et parsemé d'étoiles naissantes, se dévoila dès que les barques quittèrent la grotte. De l'autre côté du lac, perché au sommet d'une falaise le surplombant, le château de Poudlard resplendissait à la lumière de la lune, remarquable par ses arcs boutés gothiques hérissés de pinacles pointus. Sa silhouette majestueuse était soulignée par les lumières orangées, émanant des fenêtres, qui éclairaient la façade du château. A l'intérieur des bateaux en bois qui avançaient d'eux-mêmes sur la surface de l'eau, sans s'éloigner les uns des autres, les première année s'émerveillaient de ce spectacle.
Certains étaient plus émus que d'autres, comme Cassandra. Son visage d'enfant était traversé par un sourire radieux, rayonnant de joie et d'innocence. Son rêve le plus ancien se réalisait... A son tour, elle allait devenir une élève de Poudlard. Fréquenterait des sorciers, pratiquerait la magie, et serait libre... Certes, elle se rapprocherait du Ministère de la Magie et de leurs soupçons, mais le bonheur du moment éclipsait tout autre sentiment dans le coeur de l'enfant. La petite fille ne prêtait pas attention aux garçons qui se trouvaient dans la même barque qu'elle, mais même si elle l'ignorait encore, elle serait amenée à connaître leurs noms bientôt : Shel Archer et Angueran Thompson. Elle n'avait d'yeux que pour Poudlard.
Les barques accostèrent bientôt, et les première année en descendirent avec précaution pour la plupart. Ils suivirent Hagrid, qui leur ouvrit la voie. Après avoir traversé le hall, où ils furent accueillis par le professeur McScott, qui leur servit son habituel petit discours de présentation, les première année firent leur entrée dans la Grande Salle. Sous les yeux de leurs aînés, ils se regroupèrent autour de l'estrade où était placé le Choixpeau Magique. Le regard curieux de Cassandra se posa sur la vieille relique, et soudain, son sourire s'évanouit, de même que son enthousiasme. Une angoisse sans nom comprima son coeur. Autour d'elle, les réactions de ses camarades étaient très diverses, mais l'anxiété prédominait. Un tourbillon de pensées plus sombres et terrifiées les unes que les autres vinrent torturer Cassandra, qui entendit à peine le premier nom être prononcé. Elle reconnut le patronyme appelé par la directrice adjointe : la famille Abraxas était une famille de Sang-Pur, plus ou moins amie avec celle de ses parents. Elle se souvenait vaguement avoir entendu ses parents discuter des parents Abraxas, souvent en termes moqueurs.
Camélia Abraxas fut envoyée à Gryffondor. Un silence précéda les premiers applaudissements, qui provenaient d'une première année brune aux côtés de Cassandra. Tous les Abraxas, sans exception, étaient passés par Serpentard, ainsi l'admission de la petite blonde dans la maison opposée était plutôt mal vue. Ce qui ne fit que tordre les entrailles de la petite Cassandra un peu plus. Qu'en serait-il d'elle ?
- Allen, Elizabeth.
La petite brune, qui avait été la première à applaudir la répartition de celle qui la précéda, s'assit à son tour sur le tabouret. Quelques secondes de plus furent nécessaires à la décision du Choixpeau, qui finit par l'envoyer à Poufsouffle. Cassandra la vit être accueillie par la maison jaune et noire, et se sentit trembler.
- Archer, Shel.
La fillette reconnut le petit garçon aux cheveux noirs et aux yeux bleus qui était dans la même barque qu'elle, même si elle n'avait pas beaucoup fait attention à lui. Le Choixpeau l'envoya à Serdaigle dès qu'il eut touché sa tête.
Les noms défilèrent, descendant de plus en plus bas dans l'alphabet. Serpentard dut attendre jusqu'à la lettre C, en la personne de Sean Coleman, pour accueillir leur premier élève. Horrifiée, la petite fille revit soudain avec netteté de cette nuit de juin, peu avant la rentrée. A présent, c'était clair : ce Sang-de-Bourbe avait volé une partie de sa magie, et était ainsi devenu un sorcier. En plus de ce crime inhumain, il avait eu le culot de rejoindre la maison des ancêtres de la petite Selwyn, celle des mages au sang pur.
Au fur et à mesure que la Répartition se poursuivait, Cassandra se sentait comme prisonnière d'un bloc de glace. Prisonnière de ses propres incertitudes, qui lui semblaient bien plus compliquées, bien plus étendues que jamais. Peut-être avait-elle simplement grandi... Peut-être était-ce ce contact nouveau avec la société qui entraînait un tel chaos en elle.
Pour certains, le stress de la Répartition n'était que passager. Mais même les moins angoissés et les plus sceptiques devaient reconnaître que le choix d'une maison était quelque chose de primordial. Le Choixpeau, en un simple mot, ajoutait un tournant à la destinée de l'élève. Une maison, c'était certes un dortoir, une couleur, une classe et une salle commune, mais c'était avant tout sept ans de vie, de possibles futurs amis, une réputation, des valeurs. Personne ne pouvait oser prétendre sans mentir qu'une maison n'avait aucune importance.
Une maison pouvait renforcer des liens, les briser. Surtout dans les familles de Sang-Pur attachées à Serpentard comme l'étaient les Selwyn. Enfin, ça, Cassandra le supposait seulement. Elle savait que toute sa famille avait été à Serpentard, mais ignorait si ses parents en avaient quelque chose à faire de la maison où leur fille serait répartie. Une lettre d'Erwan, datant de la veille, lui avait fait comprendre que pour son grand frère, peu importait la maison de Cassandra ; il serait fier d'elle dans tous les cas. La petite fille tenta de se remémorer ses mots exacts, pour calmer son coeur qui s'emballait. Cela fonctionna un peu, mais pas assez.
Cassandra s'était souvent demandé dans quelle maison elle serait. Mais c'était toujours avec l'innocence de l'enfance, et peu de réel intérêt. Ce n'était qu'en ce premier septembre 2015 que ces interrogations ressortaient, alors que son regard noisette balayait les six tables.
A laquelle d'entre elles serait-elle assise à la fin de cette Répartition ? A laquelle s'assoirait-elle jusqu'à la fin de sa scolarité ?
La table des Serdaigle se trouvait directement à gauche. La maison de l'aigle accueillait les personnes intelligentes, curieuses et avides de savoir, parfois aussi les plus originales et excentriques. Cassandra avait du mal à s'y voir, même si elle était sûre de son intelligence et de ses capacités. Après tout, c'était une sorcière précoce, qui avait déjà manipulé la magie par le passé. Mais cet esprit ne lui correspondait pas vraiment.
Derrière la table bleue et bronze se trouvait la jaune et noire. Les Poufsouffle étaient souvent vus comme les cancres, ceux dont personne ne voulait. Cassandra avait déjà cédé aux quolibets sur eux par le passé, mais devait avouer qu'elle admirait leurs principes. Les Poufsouffle avaient bon coeur, ils étaient travailleurs, loyaux, patients, gentils et tolérants. Cassandra n'était pas du genre paresseuse, passive ou impatiente. Elle était plutôt prête à tout pour arriver à ses fins, et ne se décourageait jamais. Ce qu'elle voulait, la fillette l'aurait, peu importe le temps que ça prendrait. Elle était certaine d'être loyale, et même d'une loyauté sans faille. Mais là encore, le problème de la gentillesse et de tolérance se posait. Gentillesse rimait avec faiblesse, après tout. Cassandra n'était pas sûre de vouloir se retrouver à Poufsouffle, mais admettait que là-bas, aucune pression n'alourdirait ses jeunes épaules. Personne ne se méfiait des Poufsouffle.
Encore à côté, sous les fières bannières vert et argent, les Serpentard suivaient la cérémonie de Répartition avec plus ou moins d'intérêt. Ces bancs avaient accueilli tous les ancêtres de Cassandra, ainsi que les personnes qu'elle aimait le plus au monde : son père, sa mère et son frère. Elle se retrouvait dans nombre des critères pour entrer à Serpentard : la ruse, l'ambition, la détermination, l'amour du pouvoir...
Cassandra savait que normalement, elle ne devrait même pas se poser autant de questions, qu'elle devrait juste craindre de ne pas rejoindre Serpentard une fois son tour venu. Après tout, elle était une Selwyn. Une fille de Mangemorts. Et la plupart des Mangemorts étaient passés par la maison du serpent, c'était bien connu.
Elle était censée être fière de cela. Mais durant le voyage dans le Poudlard Express, Cassandra avait senti pour la première fois les regards lourds de sens sur sa personne. Les murmures derrière son dos. La crainte qu'elle inspirait à ses camarades la faisait sourire, mais le dégoût et la colère qu'exprimaient leurs regards, leurs chuchotements, la déconcertaient. Certes, ses parents l'avaient prévenue que la communauté des sorciers n'était pas entièrement favorable à leurs idées, qu'ils étaient stupides et ne comprenaient rien, manipulés qu'ils étaient pas les Sang-de-Bourbe. Mais la fillette n'imaginait pas que ce serait à ce point-là... Serait-elle haïe, dénigrée, rejetée par tous ? Quoiqu'il en soit, Cassandra était sûre que ce serait pire si elle était envoyée à Serpentard. Tout simplement car cela signifierait qu'elle est comme ses parents. Ses parents qui avaient semé le chaos même une fois la guerre terminée. Elle était censée être fière, oui, mais souhaitait plus que tout s'intégrer, trouver en Poudlard un vrai foyer, avec des amis. Ce serait impossible si tout le monde la voyait comme la méchante...
Dégoûtée d'elle-même de formuler cette pensée, Cassandra refusait de se l'avouer. Mais c'était bien la vérité : elle ne voulait pas se retrouver à Serpentard. Néanmoins, suivrait-elle réellement la tradition familiale en étant envoyée là-bas ? Ou la renierait-elle malgré elle, à l'instar de Camélia Abraxas ?
Par association d'idées, le regard de Cassandra s'attarda sur la table des Gryffondor. Ses parents, bien que fervents Serpentard, n'avaient jamais vraiment critiqué cette maison. Il leur arrivait de lancer quelques piques à l'encontre de ces "chevaliers receleurs de beaux rêves héroïques", mais rien de plus. Cassandra était d'accord avec Gaïa et Adonis, trouvant que les rouge et or revendiquaient de bien belles valeurs : le courage, la persévérance, le sens du sacrifice... La petite Selwyn admirait les Gryffondor, mais n'était pas sûre de vouloir en être une, ni même d'avoir les qualités requises. Elle n'était sûre de rien.
Le professeur McScott avait atteint la lettre S. Cassandra se reconcentra, fébrile. Une petite fille brune répondant au nom de Laurel Saddler s'assit sur le tabouret, et se laissa coiffer du Choixpeau Magique. Une minute plus tard, celui-ci clama :
- GRYFFONDOR !
Sous un tonnerre d'applaudissements de la part des orange et cuivre, Laurel rejoignit leur table. Cassandra serra sa cape de toutes ses forces, à tel point que ses petits doigts blanchirent.
- Selwyn, Cassandra.
Son patronyme, prononcé calmement, trouva une étrange résonnance dans la Grande Salle. Un souffle blafard saisit la plupart des élèves et professeurs, qui considérèrent soudain cette petite fille aux allures angéliques d'un oeil nouveau. Quelques murmures parvinrent aux oreilles de Cassandra, très pâle. Elle s'avança rapidement et s'assit sur le tabouret. La petite fille voulait juste être répartie, à présent, et que ce stress prenne fin. Elle reçut bientôt le Choixpeau sur la tête. La vieille relique masqua la lumière, et Cassandra frémit en sentant sa voix chaude et rauque s'insinuer dans son esprit.
- Oho, intéressant, lui susurra-t-il. Je sens beaucoup de choses en toi, jeune Selwyn. Principalement des choses enfouies, cachées, reniées. Tant de facettes, que tu dissimules au creux de ton coeur... Laquelle choisir ? La trempe des Gryffondor... l'esprit des Serpentard... le coeur des Poufsouffle... l'ingéniosité et l'originalité des Serdaigle... Ce ne sera pas un choix facile, oh non...
Cassandra trembla de plus belle, l'esprit confus et le coeur battant à toute allure. Que signifiait tout ceci ? N'était-il pas censé la répartir, au lieu de discourir ?
- Nous y venons, Cassandra, point d'impatience... Procédons par élimination. Serpentard n'est pas appropriée, tu n'es pas ce que cette maison recherche... Tu es rusée, et le feu de l’ambition ne brûle pas en toi, il ne fait que crépiter, ce qui est bien, évidemment, mais pas suffisant… Gryffondor, peut-être ? Je vois un grand courage… Mais il s’agit de la seule valeur de Gryffondor que tu possèdes. La justice, la hardiesse, l’héroïsme… Tout cela t’échappe, mais comment t’en vouloir…
Une minute était déjà passée. Pour Cassandra, le temps s'était arrêté. Etait-ce le moment où il l'envoyait rejoindre les bancs des verts et argent ? Et non. Le Choixpeau Magique reprit simplement son analyse.
- De Serdaigle, tu as cet esprit vif, brillant, cette curiosité incroyable… Mais elle n’est pas désintéressée, tu n’es pas à la recherche du savoir pour le savoir, cela doit toujours avoir un but… Cette originalité également… Tu ne réfléchis pas comme tout le monde.
A cet instant, Serdaigle semblait le meilleur choix pour la petite Selwyn.
- Quant à la dernière option... Quand je parlais de toutes ces choses refoulées en toi, je pensais à des critères de Poufsouffle. Tu as un coeur d'or, tu n'as pas peur du travail et tu es déterminée. Tu es d'une loyauté sans faille, ce qui est rare... Une grande persévérance. Tout ce que tu renies, tout ce que tu ignores en toi, est purement Poufsouffle. Tu as tout le potentiel pour appartenir pleinement à cette maison.
Cassandra ne s'attendait pas à ce retournement de situation. Elle n'avait jamais pensé que Poufsouffle pouvait lui convenir. Mais en même temps... à Poufsouffle, elle ne serait pas jugée. Les jaunes et noirs l'accepteraient. C'était une certitude. Une certitude, tout comme le fait qu'elle ne voulait pas aller à Serpentard. Car là-bas, le poids de l'héritage de ses parents serait trop important. C'était ce que lui disait Erwan, quelquefois.
Les minutes défilaient. Le mot « Chapeauflou » naquit sur les lèvres de certains élèves, mais la petite fille n'entendit rien. Le silence du chapeau usé était assourdissant.
- Pas Serpentard, hein ? lui susurra celui-ci à l'oreille en lisant ses pensées. Je sens cette conviction au fond de toi... Alors Serdaigle ou Poufsouffle ?
Cassandra sentait ses oreilles bourdonner. C'était beaucoup trop long ! Son angoisse étouffait son coeur. Elle était à deux doigts de retirer le chapeau et de le brûler. Au moment où la fillette formula cette pensée, l'exclamation du Choixpeau Magique retentit dans la Grande Salle :
- POUFSOUFFLE !
La lumière éblouit la petite Cassandra, alors que le professeur McScott lui ôtait enfin le Choixpeau. Un silence surpris saisit les sept tables, puis les jaunes et noirs laissèrent éclater leur joie. Sous un tonnerre d'applaudissements qui n'avait rien à envier à ceux qui avaient accueilli les précédents, Cassandra rejoignit sa nouvelle maison. Alors que la directrice adjointe appelait un nouveau nom, la petite fille surprit un sourire fier à poindre sur ses lèvres. Malgré l'incertitude à propos de ce qu'auraient pensé ses parents, et ce que penserait Erwan, Cassandra sentait que c'était le bon choix. Il n'y avait qu'à voir les sourires bienveillants des Poufsouffle, qu'à entendre leurs applaudissements. Ils ne la jugeaient pas car c'était une fille de Mangemorts. Ils ne l'excluaient pas. Et c'était tout ce que Cassandra demandait pour l'instant.
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Bright darkness - 2 - Le tombeau.
Un bruit semblable à un claquement de fouet fendit les ténèbres. Quatre silhouettes se dessinèrent au milieu des ombres, et un rai de lumière lunaire dévoila deux hommes, une femme et une fillette. Face à eux se trouvait le domaine Selwyn. Au centre d'un labyrinthe ensorcelé se dressait un immense bâtiment tout en longueur, à l'architecture raffinée, royale, vaguement gothique. Les murs étaient gris ardoise, ce qui permettait au manoir de se fondre parfaitement dans l'obscurité.
La famille qui se tenait face au manoir en était la propriétaire. Adonis, Gaïa, Erwan et Cassandra Selwyn reposaient le pied dans leur domaine pour la première fois depuis que leur Gardien du Secret, Ulysse Selwyn, était mort. Il avait été torturé, et avait confié l'emplacement du manoir aux Aurors. Adonis avait assassiné son frère en représailles de sa trahison, mais le mal était fait, et le domaine n'était plus sûr. Le Ministère de la Magie avait placé l'endroit sous très haute surveillance. Ulysse avait avoué une bonne partie des secrets du manoir, y compris comment désactiver les protections magiques qui rendaient le labyrinthe agressif envers toute personne intruse, c'est-à-dire pas de sang Selwyn. Des Aurors patrouillaient jour et nuit, dans l'espoir que les criminels les plus dangereux et recherchés du monde sorcier chercheraient à reprendre leur possession.
Alors, pourquoi Adonis et Gaïa avaient-ils décidé de se jeter dans la gueule du loup en connaissance de cause ? Leur fils, Erwan, avait été plus clairvoyant, et les avait priés de ne pas s'y rendre. Mais, aveuglés par leur arrogance, le couple avait répliqué que ce n'était pas quelques Aurors ridicules qui allaient les empêcher de récupérer leur bien. Voilà trois ans qu'ils erraient à travers le monde, sans point d'ancrage. Pour Adonis et Gaïa, il était temps de se battre. Mais ils ne réalisaient pas que malgré leur puissance magique inouïe, la supériorité numérique de leurs adversaires serait un atout certain. Les Aurors étaient une centaine, et les Selwyn étaient trois, plus une enfant. Mais leur arrogance les aveuglait. Ils avaient préparé un plan à la va-vite, sans en informer leurs enfants, convaincus que nul adversaire serait jamais de taille à les vaincre.
- Papa, maman, je vous en supplie, ne faites pas ça, supplia Erwan une dernière fois.
- Faire quoi ? interrogea la petite Cassandra, âgée de huit ans.
- On va reprendre notre manoir des mains des méchants, choupette, expliqua sommairement Gaïa, et ce n'est pas une poignée d'Aurors débiles qui va nous en empêcher !
- Il y en a sûrement des dizaines, maman, tu les sous-estimes.
- Évidemment que je les sous-estime, ce sont des Indignes !
- T'as fait une rime, non ? demanda Adonis.
- Presque !
- Bon, chut, on y va ! les coupa Cassandra. J'ai le droit de tuer ?
- Bien sûr, sweetie, autant que tu veux. Mais rapidement, d'accord ? Pas l'temps d'niaiser, tu comprends.
- OUAIIIS ! ... ça veut dire quoi niaiser ?
- Bah ça veut dire... pas le temps de traînasser quoi !
- Ah, OK. Et quand on aura gagné, je récupérerai ma chambre ?
- Oui, Cassie, on récupèrera tout le manoir.
- Mais c'est trop génial, pourquoi tu veux pas y aller Erwan ? T'as peur ou quoi ? se moqua la petite fille. Trouillard !
- Je n'ai pas peur, rétorqua sèchement son frère. Mais je vous aurais prévenus. Nous sommes en infériorité numérique.
- Quatre Selwyn valent mille Impurs, récita Adonis avec orgueil.
- Je suis d'accord ! s'exclama Cassandra, les yeux pleins d'admiration envers son père, si grand, si fort, si puissant.
Gaïa et Adonis sortirent sa baguette magique, qu'ils firent tournoyer entre ses doigts. Erwan ne put s'empêcher d'avoir un mouvement de recul. Si les parents Selwyn aimaient leurs enfants plus que tout au monde, leur esprit n'en était pas moins sombre et instable. Et leur éducation oscillait entre la manière douce, qui s'apparentait à de la manipulation mentale, et la manière forte - des tortures, la plupart du temps. Erwan avait plus connu la seconde que Cassandra, car il avait mis un point d'honneur à protéger sa petite sœur de la violence, physique et psychique, de ses parents.
Le jeune homme ne blâmait pas ses parents pour ce qu'il avait subi. Il les vénérait, les adorait. Quand ils le punissaient, c'est qu'il avait fait quelque chose de mal. Les raisons n'étaient pas toujours claires, et lorsqu'Erwan avait du mal à leur pardonner, il songeait aux troubles mentaux qui accablaient ses parents, et les innocentait de tout aux yeux de leur aîné.
- Quel est le plan ? demanda-t-il.
- Oh, le plan ! Y'a pas vraiment de plan pour l'instant.
- Maman, tu es sérieuse ? Je t'en prie, rentrons, et réfléchissons à un plan d'attaque. Nous ne sommes pas à quelques jours près.
- Tais-toi, Erwan, on va finir par nous entendre, siffla Adonis.
- Pas besoin de plan, intervint Cassandra, on a qu'à tous les tuer.
- J'approuve ce plan, ma chouette, sourit tendrement Gaïa en caressant les boucles d'or de sa fille.
- Hominum revelio, incanta Adonis.
Des filaments blancs jaillirent de sa baguette magique, et dessinèrent une carte dans le ciel. Sa femme et ses enfants s'approchèrent pour voir de plus près les points représentants chaque personne présente dans le manoir. Les Aurors étaient une centaine. Les yeux d'Erwan s'écarquillèrent, mais Adonis et Gaïa sous-estimaient toujours la menace.
- C'est déjà dans la poche.
- Au risque de me répéter, aussi puissants que nous soyons, ils sont cent et nous sommes quatre.
- Tu me déçois beaucoup, Erwan, ricana Adonis, et une flèche glacée se ficha dans le coeur de son fils. Ne t'avons nous pas appris que la magie est puissance ?
Le jeune homme s'efforça de réfléchir rapidement pour donner une réponse satisfaisante à son père, afin de se faire pardonner.
- Un Sortilège d'Ubiquité ?
- Exactement, mon fils. Tu ne pensais quand même pas que nous étions assez bêtes pour ne pas ruser.
- Non, bien sûr que non..!
- C'est quoi ubiquité ? demanda la petite Cassandra.
- C'est quand tu es à deux endroits à la fois, trésor. Dans notre cas, bien plus que deux !
- Trop bien !
- Mais... Le sortilège n'est pas à la portée de Cassie. Et il a la particularité de ne fonctionner que lorsqu'on se le lance nous-mêmes, souligna Erwan.
- Cassandra est une Selwyn. Elle n'a qu'à savoir la formule et le mouvement adéquat pour lancer un sortilège.
- Elle a neuf ans !
- Dix dans un mois, rectifia la fillette. Papa et maman ont raison, Erwan. Je suis tout à fait capable d'apprendre ce sort maintenant, et rapidement, s'enorgueillit-elle.
- Je crois en toi, Cassie, promit son frère en déposant un baiser sur son front. Regarde, et fais comme moi, d'accord ?
Une étincelle d'intérêt et de concentration illumina les iris de Cassandra, qui regarda attentivement son frère tracer ce qui semblait être un huit à l'envers, et entonner la formule :
- Multame ubique.
La petite fille eut soudain l'impression de voir flou. Puis, une multitude de sosies d'Erwan jaillirent du vide, autour de lui. L'illusion était parfaite. Perdue, elle s'exclama :
- Mais tu es lequel ?
- Aha, ricana l'un des jeunes hommes, ses yeux bleu sombre brillant d'une flamme de ruse.
- Tu aimerais bien le savoir, hein ? s'amusa son voisin en croisant les bras.
Cassandra était émerveillée. Chaque Erwan parlait et bougeait indépendamment les uns des autres. La magie était réellement puissance. Elle brûlait d'envie de lancer ce sort, dont la complexité la dépassait. L'orgueil avait toujours été le défaut fatal de sa famille, et elle n'échappait pas à la règle. Les Selwyn se pensaient capables de tout faire mieux que tout le monde.
Son grand frère rompit le sortilège, et l'éventail d'Erwan se fondit en une seule et même personne, qui se pencha à la hauteur de Cassandra.
- Tu as retenu la formule, Cassie ?
- Multame ubique ! clama-t-elle, fière.
- C'est bien. A présent, sors ta baguette.
Cassandra exhiba la fine pièce de bois de marronnier avec fierté. Son père l'avait conquise après le duel qui avait été fatal à Ulysse Selwyn, et l'avait offerte à sa fille. Un cadeau inestimable aux yeux de la petite blondinette.
- Entraîne-toi pendant que je mets le plan au point avec papa et maman.
- C'est quoi le geste ? Erwan, c'est quoi le geste ?
- Un huit à l'envers, le symbole de l'infini.
Son grand frère le mima avec son doigt, puis se retourna vers ses parents.
- Je propose qu'on attaque chacun un côté du domaine. Erwan, l'Ouest. Cassandra, l'Est. Je prendrais le Sud, et Gaïa le Nord.
- Parce que je te fais perdre le Nord ? ricana son épouse.
- Tais-toi, s'il-te-plaît.
- Aucun humour.
- C'est un excellent plan, risqua Erwan, mais je préférerais que Cassandra et moi attaquions l'Est et l'Ouest ensemble... Enfin, on ne peut pas la laisser seule face à des dizaines d'Aurors ! Elle vient à peine d'apprendre ce sortilège...
Il risqua un coup d'œil vers Cassandra. La petite fille, trop curieuse, ne s'entraînait pas, occupée à espionner la conversation. Lorsqu'elle vit qu'il l'observait, elle s'empressa de répéter le geste, faisant mine d'être très concentrée.
- Ça suffit, Erwan, ordonna la voix froide d'Adonis. Ton comportement est ridicule. N'as-tu pas confiance en notre sang ? Les Selwyn vaincront toujours, aussi sûr que le ciel est bleu.
- Le ciel est noir là papa, intervint Cassandra doucement.
Personne ne l'entendit.
- Peu importe son âge, dans les veines de ta sœur coule l'essence de la puissance et de la victoire. En doutes-tu ?
- Non, père, souffla Erwan.
- Je n'ai pas très bien entendu.
- Non, père, répéta-t-il plus fort.
- Très bien. Tenons-nous en au plan. Mais rappelons-nous qu'à cause de ce traître d'Ulysse, les Aurors connaissent les secrets du domaine aussi bien que nous. Cependant, seuls les Selwyn peuvent le contrôler...
Gaïa et Adonis partagèrent un rire machiavélique, que Cassandra essaya d'imiter dans sa tête.
- Je récapitule une dernière fois, Cassandra, cesse de t'entraîner et écoute. Le domaine est rectangulaire, chacun d'entre nous attaquera d'un côté, en utilisant le Sortilège d'Ubiquité : Cassie à l'Est, Erwan à l'Ouest, Gaïa au Nord et moi au Sud. Bien sûr, tous les coups sont permis, mais essayez de rester aussi discrets que possible : un classique Avada Kedavra puis un Evanesco pour faire disparaître le corps. Ce qui signifie : pas-de-torture-Gaïa.
- Mais ! bredouilla la mère de famille, comme une enfant à qui on aurait refusé la dernière part de gâteau au chocolat.
- Il y aura d'autres occasions. N'oublie pas ce que nous venons chercher.
- Mais je croyais que vous ne cherchiez rien de particulier ici, que votre seul but était de récupérer ce qui vous appartenait...
Ses parents firent comme s'ils n'avaient pas entendu Erwan.
- Les Aurors patrouillent en majorité dans le labyrinthe. Une fois tous ceux-là éliminés, retrouvons-nous en son centre. A partir de là, les forces seront plus égales, et nous pourrons lancer un combat offensif. Compris ?
- Compris ! scandèrent les trois autres.
- Moins fort !
Les quatre Selwyn se séparèrent. Alors que Cassandra avançait dans l'obscurité, l'excitation et l'immense fierté de faire partie d'un plan officiel de ses parents pour la première fois – et pas n'importe lequel ! - fondit, laissant place à l'anxiété. La fillette se retrouvait toute seule, dans le noir le plus complet, avec une centaine d'ennemis à proximité... Pour se rassurer, elle leva sa baguette magique. Cela lui rappela les mots de son père : l'essence de la puissance et de la victoire coulait dans ses veines. Les Selwyn vaincront, peu importe leur âge. Elle se sentit ranimée d'un sentiment d'importance grisant, et accéléra le pas. Que pourrait-il arriver de différent du plan qu'avaient monté ses parents au dernier moment ? A cet instant, son destin, leur destin lui semblait clair, limpide. Ils allaient récupérer leur domaine, le siège de leur pouvoir. Cassandra n'avait aucun doute : ses parents avaient bel et bien un plan pour conquérir le monde et le débarrasser des menaces impures, et le manoir était un élément indispensable.
Le domaine était plongé dans les ténèbres, mais la petite fille s'y sentait liée, irrémédiablement. Une sensation de puissance l'envahit, faisant battre son coeur de plus en plus vite. Était-ce vrai ? Contrôlait-elle vraiment ce manoir immense ? Quels sombres et fascinants secrets magiques ses ancêtres cachaient là depuis des siècles ? Elle comprit soudain pourquoi ses parents voulaient tant le récupérer, au-delà de leur plan visant à purifier et sauver le monde. Parce que c'était chez eux, tout simplement. Pour la petite fille, qui n'était jamais restée sous un même toit plus de quelques mois, à cause de l'éternelle fuite de sa famille, avoir un foyer était une idée aussi lointaine et rayonnante que la lune lors d'une nuit très sombre – comme celle-ci, par exemple.
Au fil de ses pensées, Cassandra remarqua qu'elle s'approchait du coin Est. Elle se rappela alors qu'elle ferait bien de lancer le Sortilège d'Ubiquité. Bien sûr, elle ne l'avait pas pratiqué, mais ses parents lui avaient répété mille fois que la théorie suffisait pour un.e Selwyn, alors...
Cassandra ignorait tout de la science des baguettes magiques, des lois de possession, etc. Aussi ne comprit-elle pas pourquoi, après s'être concentrée et lancé le sortilège, rien ne se passe, exceptée une douleur cuisante dans la main qui tenait la baguette d'Ulysse. L'instrument magique, qui appartenait auparavant à son oncle, avait été conquise par Adonis, qui était donc devenu son propriétaire légitime. Ce n'était pas Cassandra, et la baguette le lui fit comprendre. Lorsqu'elle rouvrit sa main, la fillette grimaça en découvrant des traces de brûlure semblables à des griffures au creux de sa paume. Elle réessaya, mais la souffrance ne fit que s'amplifier – et par conséquent, sa panique aussi.
Elle entra dans l'immense labyrinthe et s'accroupit dans l'ombre. Elle angoissait, transpirait et commençait même à trembler. Si elle ne pouvait pas lancer le Sortilège d'Ubiquité, non seulement elle était un déshonneur, une honte, mais en plus, elle était terriblement en danger...
Puis, elle repensa à ce que son père avait dit un peu plus tôt : « Quatre Selwyn valent mille Impurs ». Tout ce que disait Adonis était vrai, alors, elle devait pouvoir se battre même si ce sortilège ne fonctionnait pas.
Cassandra avançait à pas précautionneux, tout en essayant de tester jusqu'à quel point elle pouvait contrôler le domaine, et donc le labyrinthe. Elle se découvrit l'habilité de bouger les haies et faire jaillir des roses d'un noir profond, aux tiges hérissées d'épines, en plus de trouver instinctivement son chemin vers le centre, malgré l'obscurité presque totale. Seule la pleine lune éclairait les environs, le silence qui régnait était surnaturel, et elle n'avait encore croisé aucun Auror, ce qui l'apeurait plus qu'autre chose.
Soudain, au détour d'une haie, Cassandra aperçut deux hommes, qui patrouillaient. Elle ne distinguait que leurs silhouettes, à la lumière fantomatique de l'astre de nuit. Elle ferma les yeux un instant, le temps de réunir assez de confiance et de concentration. Puissance, victoire, pouvoir. Elle était une Selwyn, elle était capable de tout, rien ne lui résistait. Elle rouvrit les yeux. Impureté, sang, mort. Ils étaient des Indignes, la sous-race que des héros comme des parents cherchaient à anéantir depuis des siècles. Elle voulait voir leur sang impur imbiber le sol du labyrinthe, elle voulait arracher la vie de leurs corps et les faire disparaître. Elle battit des paupières, serrant la baguette magique dans sa main blessée. Maintenant.
- Avada Kedavra !
Le mouvement, le ton, tout était parfait. Le sortilège avait été lancé correctement. Mais la baguette ne reconnaissait pas Cassandra comme sa propriétaire légitime, aussi le lui obéit-elle pas. Au lieu que jaillisse un éclair vert, ce fut une mince boule de feu que crachota le bout de bois dans un bruit d'explosion. La haie juste à côté de Cassandra s'enflamma, et elle hurla en bondissant sur le côté. Une flamme venait de mordre son épaule, consumant son vêtement à cet endroit, meurtrissant sa peau. Pire : elle était repérée.
A la lumière du mur de feu, les deux Aurors reconnurent le visage d'ange de la petite fille la plus dangereuse du monde magique, de l'héritière de la noirceur des pires criminels qu'ils aient eu à affronter ces dernières décennies. Ce qui se passa ensuite fut très rapide. Ils sortirent leurs baguettes. L'un la pointa sur Cassandra et la désarma, avant de la pétrifier à l'aide de deux sorts informulés. La baguette de la fillette tomba par terre, et fut consumée par les flammes. L'autre utilisa la magie pour contrôler celles-ci, et referma autour d'eux un cercle de feu. Cassandra ne pouvait plus fuir. Au milieu de cette prison de flammes, sans défenses, incapable d'esquisser un mouvement, elle eut l'impression d'avoir atterri en enfer.
- Tiens tiens, qu'avons-nous là... susurra un grand Auror aux yeux aussi noirs que deux puits sans fond. La petite Selwyn... Si elle est là, les trois autres le sont aussi. Alertez nos troupes, Goyle, et traquez-les. Ils sont sûrement dans le labyrinthe, à tenter une infiltration discrète. Je reste ici surveiller ce petit trésor...
Goyle hocha la tête, le regard flamboyant d'excitation à l'idée d'enfin coincer les Selwyn. Il créa une petite ouverture dans le cercle de flammes, qui se referma dès qu'il en fut sorti. L'Auror se tourna vers Cassandra, terrorisée, pleurant et hurlant de toutes ses forces de l'intérieur, mais ne faisant que respirer rapidement à l'extérieur, triplement prisonnière : du Sortilège de Pétrification, de cet homme et du cercle de feu. Leur lumière orangée se reflétait sur son visage. Il avait des traits peu délicats, un nez et un sourire tordu, des yeux et des cheveux d'encre en bataille. Son teint était pâle, transpirant à cause de la chaleur étouffante. Il eut un rictus ravi, cruel.
- On dirait bien que tu as signé l'arrêt de mort des tiens, chérie. Ecoute... écoute le son de leur défaite.
En effet, au loin retentissaient des bruits d'explosions, de hurlements et de sortilèges. Le son d'une violente bataille finale.
Une immense colère bouleversa Cassandra, repoussant sa terreur dans un coin de sa tête. Elle ne pouvait peut-être plus esquisser aucun mouvement, mais elle avait encore deux armes. Elle se concentra, et étira sa conscience pour plonger dans l'esprit de l'Auror. Elle ne s'occupa pas des souvenirs, survolant juste quelques informations : Jacob Hunter, Sang-Mêlé, veuf, père d'une fillette de l'âge de Cassandra, nommée Némésis, ancien Serpentard – cette information l'irrita : un Sang-Mêlé à Serpentard ? Cet homme était à éliminer. Une fois au coeur de son esprit, elle y instilla un ouragan d'énergie négative, destinée à lui donner une migraine terrible. Cela fonctionna : lorsque Cassandra rouvrit les yeux, Hunter s'était écroulé au sol. Elle se concentra encore plus, malgré sa fatigue mentale, et ordonna aux roses noires de l'emprisonner. Leurs épines se plantèrent dans sa peau, le faisant gémir de douleur. Malheureusement, ce n'étaient pas ces quelques astuces d'enfant qui allaient arrêter un Auror entraîné : Hunter avait gardé sa baguette magique en main, et réussit à neutraliser les roses, puis à soigner son mal de tête. Entre-temps, son collègue était arrivé avec des renforts.
La vision de ses parents, en-dehors du cercle de feu, prisonniers de chaînes ensorcelées pour les brûler à chaque mouvement et les empêcher de transplaner, chacun escorté par quinze Aurors, transperça le coeur de Cassandra. Adonis et Gaïa Selwyn, les guerriers invincibles, irréductibles, ses héros... enchaînés, à la merci d'Impurs. Cassandra ne ressentait plus que de la panique. Où était son frère ? Erwan se cachait-il, attendant le bon moment pour sauver sa famille, ou... l'avaient-ils tué ? Un flot de larmes silencieuses coulaient sur ses joues : les seuls membres qu'elle pouvait encore bouger étaient ses yeux.
- Où est le jeune ? demanda Hunter. Où est-il, Goyle ?
- Hors d'état de nuire. On lui a lancé un Sectumsempra...
C'était de la magie noire, mais le chef des Aurors hocha la tête avec un rictus satisfait. A la guerre comme à la guerre, tous les sorts étaient permis. A ses yeux, il paraissait impossible qu'Erwan Selwyn ait survécu à un sortilège qui fasse jaillir son sang par tous les pores de sa peau.
Jacob Hunter s'était relevé, fixant les ennemis publics n°1 avec un sourire cruel, celui de la proie qui avait piégé ses prédateurs. Goyle se glissa à ses côtés et pointa sa baguette sur la tempe de Cassandra. Terrorisée, sans défense, la petite fille ne pouvait stopper ses larmes de couler. A son tour, Hunter enfonça le bout de sa baguette magique dans sa gorge, et appuya jusqu'à ce qu'elle étouffe à moitié.
La voix forte de Hunter traversa aisément le mur de flammes circulaire. Dans sa voix, il y avait le triomphe, la guerre, la menace, le danger.
- La vie de votre fille contre votre liberté. En voilà un beau marché, n'est-ce-pas, Selwyn ?
Adonis et Gaïa le transpercèrent d'un regard si glacé, si cruel, que plusieurs Aurors tremblèrent face à la puissance de la noirceur du couple. Même sans défense, ils étaient redoutables, et terrifiants. Seul Hunter semblait réellement comprendre qu'ils avaient l'avantage.
- Sales Impurs... Sangs-de-Bourbe... Ne touchez pas à un cheveu de mon enfant, ou je jure sur ma vie que l'enfer ne sera qu'un agréable sauna comparé aux tortures éternelles auxquelles je vous condamnerais !
La menace de Gaïa, toute impuissante qu'elle était, n'en était pas moins impressionnante. Même Hunter frémit. Mais son collègue, Goyle, passa nonchalamment une main dans la chevelure dorée et soyeuse de Cassandra, lui donnant envie de vomir. Puis, il appuya de plus belle sa baguette sur sa tempe, et approcha la petite fille immobile des flammes. La chaleur fut telle que ses larmes s'évaporèrent. Ses yeux la piquaient, ses cheveux roussissaient, sa peau la brûlait.
Adonis et Gaïa échangeaient un regard, où tout le désespoir du monde se trouvait. Ils tentaient d'élaborer un plan par Legilimancie, mais tout espoir semblait perdu. Ils n'avaient plus leurs baguettes, ils étaient prisonniers de ces chaînes toutes-puissantes, et leur enfant, leur fille, leur plus grand trésor, était à la merci de ces monstres d'Indignes.
Les propos qu'ils échangèrent dans l'esprit l'un de l'autre restèrent à jamais un secret, mais il est certain qu'ils allaient se rendre lorsqu'un torrent d'eau glacée jaillit de nulle part, éteignant le cercle de flammes et emportant la moitié des Aurors dans une bulle flottant dans les airs. L'autre moitié réagit immédiatement et tentèrent de détruire la bulle dans laquelle leurs collègues suffoquaient, privés d'air, mais la magie noire qui l'avait créée était trop puissante, et lorsqu'elle disparut, ce fut pour libérer une pluie de quinze cadavres. Avant qu'ils n'aient pu se rendre compte de ce qui leur arrivait, l'autre moitié des Aurors fut foudroyée par le sortilège Multa Fulguris. Hunter et Goyle hurlèrent en voyant leurs collègues assassinés. Le second relâcha sa prise sur Cassandra, dont le corps pétrifié tomba comme mort sur l'herbe noircie.
Dans les cœurs des trois Selwyn renaquit l'espoir. Leur sauveur ne pouvait être qu'une seule personne...
Comme dans un songe, mélange entre rêve et cauchemar, Cassandra vit son frère émerger des ténèbres. Il était dans un état épouvantable. Sa peau aussi blanche qu'une feuille de papier et ses vêtements déchirés étaient poissés de sang, il tremblait de tous ses membres, épuisé. Comme la petite fille l'apprendrait plus tard, son grand frère avait réussi à récupérer sa baguette, tombée à côté de lui quand il avait été terrassé par le Sectumsempra, et à rompre le sortilège. Il avait échappé de quelques secondes à une mort très douloureuse...
Un éclair vert faucha Goyle en un battement de paupières. Hunter, seul Auror encore debout, réagit immédiatement en se servant de Cassandra comme bouclier le temps de réfléchir à une riposte. Tous ses collègues étaient morts... Mais trois Selwyn sur quatre étaient sans défenses, quant au dernier, même si sa puissance magique était remarquable, il n'avait presque plus de forces, tenant à peine debout. Erwan boita jusqu'à l'Auror, baguette pointée sur lui – et par conséquent, sur Cassandra. Mais Hunter savait qu'il ne lancerait aucun sort, de peur de toucher sa précieuse petite sœur. Alors que la suite de son plan se dessinait dans son esprit, un sourire cruel déforma ses lèvres. Sa baguette s'enfonça à nouveau dans la gorge de Cassandra. Les trois « NON » simultanément hurlés par les trois Selwyn couvrirent le son de la formule fatale que l'Auror prononça : pas un Avada Kedavra, mais un Sectumsempra : le plus rapide des comptes à rebours.
Une douleur mortelle terrassa Cassandra. Des fentes écarlates apparurent un peu partout sur son corps, laissant son sang couler. Bientôt, elle n'eut plus aucun contact avec la réalité, entre vie et mort. Jacob Hunter ouvrit les bras, la laissant s'effondrer à ses pieds. Il profita de l'horreur d'Erwan pour le désarmer. Vidé de ses forces, désespéré, le jeune homme tomba à genoux, crachant du sang, incapable de parler.
Tout à coup, au beau milieu de sa transe fatale, Cassandra entendit de très loin la voix de son père. Loin de son ton habituel, elle était brisée, faible, rauque. Celle de sa mère se joignit à sa supplique, bien plus aiguë que d'habitude.
- PRENEZ-NOUS... ON SE REND.
- FAITES-NOUS CE QUE VOUS VOULEZ... MAIS PAR PITIÉ... PAR PITIÉ... NE TOUCHEZ PAS A NOS ENFANTS.
- ARRÊTEZ CA, ET NOUS NOUS RENDRONS ! VOUS POURREZ NOUS ENVOYER A AZKABAN SANS PROCÈS.
- JE VOUS EN SUPPLIE ! STOP !
Le sourire glacial d'Hunter s'élargit, et il rompit le sortilège, refermant les blessures de la fillette. Néanmoins, elle avait perdu beaucoup de sang. Elle ne s'évanouit pas, mais resta à terre, sans esquisser le moindre mouvement. Erwan puisa dans ses dernières forces pour se traîner aux côtés de sa petite sœur, vérifiant son pouls.
- Ne me laisse pas... bredouilla-t-il d'une voix faible. Cassie... Reste... Cassie... Tu m'entends ? Reste...
Hunter laissa le frère et la sœur d'un côté, et avança jusqu'à Adonis et Gaïa, à genoux eux aussi. Ils pleuraient, tremblaient, asservis par les chaînes ensorcelées, esclaves de leur amour infini pour leurs enfants. Pour eux, ils acceptaient un sort pire que la mort : le reste de leurs vies à Azkaban, et peut-être même le baiser du Détraqueur... Erwan et Cassandra étaient trop faibles pour ne pas les laisser faire. Face à Hunter, au milieu de l'océan de cadavres dont Erwan était la cause, les Selwyn n'étaient plus puissants, ni victorieux. Ils n'étaient plus rien. Ils avaient renoncé à tout cela en se rendant.
- Sage décision...
- FUYEZ ! hurla Gaïa, en larmes, allongée sur le sol. Fuyez, je vous en prie, mes amours !
- Je vous aime, souffla Adonis d'une voix brisée. On vous aime tellement. Fuyez, et vivez.
- Adorable. Mais comme vous pouvez le voir, aucun de vous quatre n'est en mesure de fuir... Ni maintenant, ni jamais !
Hunter envoya un Patronus au Ministère de la Magie, puis susurra au couple Selwyn :
- Dites adieu à votre liberté, à votre âme... et à vos enfants.
Cependant, il ne leur en laissa pas le temps, transplanant aussitôt avec Adonis et Gaïa.
Le silence glacé après une bataille était presque plus terrifiant que la bataille elle-même. Devant la trentaine de cadavres d'Aurors, sans compter tous ceux qui avaient été détruits dans le labyrinthe, Erwan et Cassandra respiraient difficilement, gravement blessés. Hunter, trop accaparé par leurs parents, les avait laissés là en étant sûr que jamais ils ne réussiraient à s'enfuir. Ils avaient reçu deux Sectumsempra, et étaient extrêmement affaiblis. Néanmoins, Erwan parvint à se dresser sur ses jambes, à récupérer sa baguette magique, celles de ses parents et hisser sa petite sœur dans ses bras. La force que cela lui demanda fut surhumaine pour le peu d'énergie physique et magique qui lui restait, mais il réussit quand même à transplaner. Un dernier claquement de fouet retentit, brisant le silence mortel qui régnait dans le domaine. Le même domaine qui avait connu l'ascension magique et sociale des Selwyn avait failli, durant cette fatale nuit, devenir leur tombeau.
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Bright darkness - 1 - We are all a little weak.
Une douce fumée opaque montait dans le ciel bleu sombre, où les premières étoiles commençaient à poindre. Le jeune homme suivait du regard leurs ondulations, frissonnant à cause de l'air frais de février. La nuit venait à peine de tomber, et la voûte céleste avait la teinte de ses yeux.
- Erwan ?
La voix douce et innocente de sa soeur le tira de ses pensées. L'ancien Serpentard se retourna, découvrant une Cassandra en chemise de nuit blanche, pieds nus.
- Cassie, rentre vite, tu vas attraper froid ! s'exclama Erwan, enhardi d'une volonté de protéger sa petite soeur de six ans.
- J'ai pas froid. Qu'est-ce-que tu fais ?
- Je tricote.
- Tu fumes, constata Cassandra en levant ses yeux noisette vers son frère. C'est pas bien.
Un rire sarcastique s'échappa des lèvres d'Erwan.
- Ah ouais ? Et depuis quand un Selwyn sait ce qui est bien et ce qui ne l'est pas ?
Cette réponse amère désarçonna la petite Cassandra, trop jeune pour comprendre les interrogations de son frère de douze ans son aîné. Elle sembla réfléchir un moment, levant ses yeux vers les étoiles. Cette vision la fascina, et lui fit instantanément oublier le sarcasme d'Erwan. Celui-ci tira une nouvelle bouffée de la cigarette, aspirant à pleins poumons la fumée mortelle. Absorbé par la contemplation de ses ondulations immatérielles, le jeune homme mit du temps à constater que le regard de sa petite soeur avait déserté les étoiles pour se poser sur lui, avec à l'intérieur cet éclat pensif qu'il n'aurait su expliquer.
- Quoi ? demanda-t-il sèchement en tournant la tête vers Cassandra.
- Qu'est-ce-qui se passe Erwan ? T'as l'air tout bizarre. C'est à cause de la Sang-de-Bourbe que t'as tuée tout à l'heure ? Elle était dans ta classe à Poudlard, non ? Tu l'aimais bien c'est ça ? C'était une amie à toi ?
La perspicacité de Cassandra, si jeune, ne manquait pas d'étonner les Selwyn. Erwan sentit, au-delà du vide engourdissant qui le tétanisait, une cascade de pensées sombres se déverser dans son esprit. Les mêmes qui l'habitaient depuis longtemps. Les mêmes qui venaient de ressurgir à la mort de Maëlys Dempsey.
- Je ne devrais pas, rétorqua furieusement le jeune homme, avant de tirer une nouvelle bouffée, appréciant l'onde destructrice qu'elle créait en lui.
- Pourquoi ? C'est pas bien l'amitié ? C'est pas bien l'amour ?
Les autres Mangemorts avaient un avis bien tranché là-dessus : l'amitié prenait la forme de relations d'intérêt, et l'amour ne devait servir que la cause de Voldemort. Les parents Selwyn, qui partageaient un amour fusionnel, avaient laissé leurs enfants dans le flou à ce niveau-là, ignorant eux-mêmes si c'était "bien" ou pas.
- Je sais pas, Cassie. L'amour rend faible.
Cassandra essaya de monter sur le muret sur lequel était perché son frère. Les Selwyn élisaient quelquefois domicile dans des maisons au hasard, lors de leur cavale. Celle-ci, dans un quartier tranquille de Boston, avaient plu à Gaïa et Adonis, qui avaient enfermé le couple de Moldus qui y habitaient à la cave. Erwan, amusé par ses tentatives infructueuses, lui tendit la main pour l'aider. Une fois juchée sur le muret de pierre, la petite fille rebondit :
- Mais tu m'aimes, moi. Hein, tu m'aimes ?
Erwan resta muet quelques secondes, piégé par ses sentiments, qu'il avait du mal à avouer si facilement. Mais la jeunesse et la candeur de sa soeur l'aidaient à se confier.
- Je... Oui, Cassie, je t'aime. Je t'aime plus que tout au monde.
- Même le chocolat ?! s'exclama Cassandra, ébahie.
Son frère rit spontanément, le regard plus doux.
- Bien plus.
- Wooow ! Moi aussi je t'aime plus que le chocolat Erwan ! Genre... Grand comme ça !
Cassandra étira ses bras au maximum, puis constata, mécontente, que cet espace ne correspondait pas à l'étendue de l'amour qu'elle portait à son frère. Alors, elle désigna la Lune, un fin croissant voilé par un nuage sombre.
- Jusque là, aller-retour ! déclara-t-elle, plus satisfaite.
Le jeune homme esquissa un sourire attendri. Cassandra reprit le sujet de départ :
- Mais vu qu'on s'aime, ça veut dire qu'on est faibles ?
- Je... suppose.
- Moi je suis pas faible ! Je sais me battre et j'ai même tué des gens ! s'enorgueillit-elle, très fière. Et des fois j'utilise la magie. Je suis super forte !
Le rire d'Erwan résonna à nouveau, créant un nuage de buée autour de ses lèvres.
- Et toi non plus t'es pas faible. T'as tué plein de Sang-de-Bourbe méchants, et tu le fais super bien ! Et puis t'es adulte, t'es allé à Poudlard et t'as eu tous tes... euh... Azics ?
- A.S.P.I.C.
- Et puis t'es rusé et intelligent comme un serpent, et t'as des muscles ! T'es très fort aussi !
Cassandra croisa les bras, aussi fière d'elle que si elle venait de poser le point final à une thèse des plus compliquées.
- Donc l'amour ça rend pas faible du tout, voilà !
- Cassie... sourit doucement Erwan, attendri et envieux de l'innocence de sa cadette. Nous, on a un amour fraternel. Moi, je te parle de l'amour comme papa et maman, ou de l'amitié.
- L'amour avec des bisous ? Beurk !
Le jeune homme éclata de rire en tirant encore une fois sur sa cigarette, de plus en plus petite. Cassandra n'aborda pas le sujet de l'amitié. Elle se retrouvait face à un mot et une notion dont elle ignorait tout, et voulait paraître brillante devant son frère. Aussi ne posa-t-elle pas de questions à propos de l'amitié, et préféra changer de sujet en regardant la cigarette d'Erwan, qui se mourait entre ses doigts.
- Dis, j'peux goûter ?
- Quoi ? s'exclama Erwan, interloqué. Pas question ! Hors de question que tu touches à cette merde, t'entends ?
- T'y touches bien, toi. Et puis t'as dit un gros mot.
- Fumer tue, Cassie.
- Alors c'est pour ça que tu le fais ?
Le jeune homme, touché par la question en plein coeur, choisit de ne pas y répondre. Il détourna la tête et écrasa son mégot sur le muret, avant de le jeter dans l'herbe en contrebas. Cassandra le regarda faire, puis lâcha un petit soupir. Un nuage de buée monta dans le ciel, ce qui l'amena à lever la tête. Rêveuse, la fillette regarda les étoiles, et vint se blottir contre son frère. Erwan, surpris par ce contact, suspendit sa respiration un temps. Après un instant de flottement, il enveloppa de ses bras puissants le petit corps de sa soeur, le berçant doucement. Ainsi enlacés, Erwan et Cassandra n'avaient plus froid.
- Hé ? souffla doucement la petite fille au bout d'un long moment de silence.
Elle interpréta l'absence de réponse de son frère comme une invitation à poursuivre, ce qu'elle fit :
- Tu... Tu continueras à m'aimer si je suis faible ?
Très touché, Erwan serra Cassandra plus fort contre lui, avant de poser son menton sur sa tête, respirant le parfum de sa douce chevelure dorée.
- Bien sûr. Je t'aimerais toujours, quoi qu'il arrive. Même si tu deviens faible. Tu sais, nous le sommes tous un peu.
- C'est promis ? préféra s'assurer la petite.
- C'est promis.
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Premières fois.
La première fois qu'Erwan Selwyn avait parlé à Camille Abraxas, c'était lors des vacances de Noël, pendant leur cinquième année. Ses parents avaient organisé une réception au manoir Abraxas, et avaient convié les Selwyn. Adonis et Gaïa étaient déjà devenus des Mangemorts, et avaient abandonné leur manoir. Ils voyageaient, tuant sur leur passage des centaines de Sangs-Impurs. Camille, centre de ce bal, faisait tourner les têtes. Il lui avait refusé une danse ; jamais personne n'avait offensée une Abraxas de cette manière. Erwan avait été amusé de l'éclat glacial dans ses yeux bleu clair. - Qu'as-tu dit, Selwyn ? - Non. J'ai dit "non". Mais je peux aussi reformuler ce mot en : jamais. Offusquée, elle l'avait fusillé du regard et était repartie, sa longue robe verte chatoyant à chacun de ses pas. Erwan l'avait suivie du regard, un sourire satisfait aux lèvres. La première fois qu'Erwan Selwyn avait vu Camille Abraxas sourire, c'était en cours de potions, en sixième année. Ils s'étaient choisis en tant que binôme, alors qu'il venait tout juste d’accomplir son premier meurtre. Les Abraxas avaient aussi des tendances à la magie noire, mais cela restaient des rumeurs. Néanmoins, lorsque sa manche avait glissé pour dévoiler son singulier tatouage, la rose noire des Selwyn, les lèvres de Camille s'étaient étirées en un sourire en coin. La première fois qu'Erwan Selwyn avait vu Camille Abraxas pleurer, c'était pendant une soirée au manoir Abraxas. Cette fois, il y avait juste sa famille et la sienne. Le père de Camille souhaitait la marier à Erwan pour la puissance et la richesse de leur famille. Mais Adonis et Gaïa, peu fervents des mariages arrangés - eux-mêmes ayant fait un mariage d'amour - avaient refusé. Camille avait envié l'amour que ses parents portaient à Erwan. La première fois qu'Erwan Selwyn avait vu Camille Abraxas rire, c'était à cette même soirée, lorsqu'il lui avait dit qu'elle n'avait pas besoin d'eux, ni de personne. Amusée par sa réponse, elle avait ri. La première fois qu'Erwan Selwyn avait vu Camille Abraxas vomir, il s'agissait de sang. Un cancer dûes au cigarettes moldues qu'elle fumait en secret. Un cancer qui la dévorait de l'intérieur, au remède mystérieux. Remède finalement trouvé par Cassandra, la soeur d'Erwan, devenue alchimiste. La première fois qu'Erwan Selwyn avait embrassé Camille Abraxas, quelques mois après sa rémission, il s'était alors senti vraiment complet. Comme s'il avait trouvé ce quelque chose, ce morceau de puzzle qui manquait à l'endroit vide de son coeur qui n'avait jamais appris qu'à haïr. Et, au plus profond de son âme divisée par tous les meurtres qu'il avait commis, quelque chose s'est allumé. Subistant à travers les ombres. Et qui le réparait, petit à petit. L'Espoir d'un avenir qu'il pensait condamné...
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La vraie bonté.
- J'imagine que ça devrait aller. Le ciel est bleu, on est en avril, les examens de fin de deuxième année sont encore loin, et mon frère vient de m'envoyer une lettre. Mais à côté de ça, je pense à tous ces gens malheureux. Et je me dis : "Voir des gens heureux doit les rendre encore plus tristes, non ?" Est-ce-que le bonheur peut se partager ? Est-ce-qu'on peut être sûr qu'on est heureux, ou juste qu'on va bien ? Non.
Camélia écarquilla ses grands yeux clairs, étonnée par ce que sa meilleure amie lui a répondu à un simple "Ça va ?".
- Et toi, ça va ? La vie, la santé, les amours, tout ça tout ça quoi ? demanda joyeusement Cassandra.
La fillette entrevut alors des bribes de souvenirs. Au mot "vie", les souvenirs des moments passés ensemble, avec Shel et Lizzy, revinrent en mémoire à la jeune Gryffondor. Le mot "santé" n'évoqua rien à Camélia, ce qui était une bonne chose. Au mot "amour", un visage sérieux se forma dans l'esprit de la petite fille.
Cassandra fit un bond en arrière. Camélia haussa un sourcil, étonnée.
- Euh... Quoi ? - Shel Archer ? - Hein ? - T'aimes Shel Archer ! affirma la petite Poufsouffle plus qu'elle ne questionna.
Les joues de Camélia prirent une teinte rosée alors qu'elle marmonnait quelque chose à propos des nés-Legilimens. Son silence approuva la théorie de Cassandra, qui resta silencieuse.
- Quoi ? s'enquit Camélia. - Je me demande ce qu'est l'amour, au-delà d'une inclination d'une personne pour une autre, de caractère passionnel et/ou sexuel.
Le dernier mot cloua Camélia sur place.
- Mais... Cass' ! Je ne veux pas... Avec Shel ! - Je le sais bien, c'était juste une définition de l'amour. Au-delà de cela, y'a-t-il quelque chose de plus pur à découvrir ? Un amour désintéressé est-il forcément plus sincère qu'un autre ? Si on pousse la théorie plus loin, on pourrait penser qu'un mariage arrangé entre deux êtres s'aimant à la folie pourrait être moins bénéfique qu'un mariage volontaire entre deux personnes ne s'aimant que superficiellement ? Aimer superficiellement, est-ce aimer ? - Hé, chuuuuuut ! s'exclama Camélia en posant un doigt sur les lèvres de Cassandra. Tu parles comme Shel ! Et ce n'est pas un compliment !
Cassandra se mit à rire, et les deux amies partirent en cours de métamorphose.
- Dis, Cass'... Tu garderas le secret ? D - Qu'est-ce-qu'un secret ? Discrétion, silence qui entoure quelque chose ? Ou une marque de confiance profonde ? s'amusa Cassandra. - Les trois.
Cassandra fixa son regard noisette sur Camélia.
- Je le promets.
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Lettres à travers le brouillard
Joyeux anniversaire CT ! J'ai voulu faire dans l'originalité en écrivant sur un couple qu'on n'avait pas encore travaillé, à travers une forme épistolaire. J'espère que ça te plaira ! (Tu comprends maintenant mes questions sur la date de naissance de Vee ;) !)
27 octobre 2021.
Première année – Ils ont 12 ans.
Chère Viviana,
On ne se connaît pas, mais le professeur Archer m’a demandé de te donner les devoirs. Je suis venu hier, mais l’infirmière m’a viré, parce que tu es contagieuse. C’est pas de chance d’être malade à quelques jours d’Halloween. Y’a une rumeur comme quoi c’est le Covid-19, j’espère que c’est faux. Ci-joint, un questionnaire d’astronomie à remplir sur le Système Solaire, pour dans 2 semaines. Il y aura aussi un contrôle de DCFM jeudi. Rien de compliqué t’inquiète pas !
Je te souhaite un très bon rétablissement 😊
Connor O’Sullivan
*
Chère Viviana,
Je suis désolé que tu aies dû recevoir ma lettre d’hier sans les devoirs, que j’avais oublié de transmettre à l’infirmière. Les voici.
Connor
24 juillet 2021.
Ils ont 12 ans.
Très chère Vee,
Tu me manques beaucoup depuis juin ! J’espère que tu passes de bonnes vacances. Perso, je joue de la musique, je dessine et tout, je ne m’ennuie pas. Hier soir, je me baladais en forêt et j’ai trouvé un arbre énorme. Il serait parfait pour une cabane. J’aimerais bien en construire une ! Ce serait plus facile avec la magie mais y’a pas moyen, il faudrait un adulte sorcier. Tant pis. De toute façon, j’ai énormément de choses à faire ces vacances ! J’ai inventé un nouveau jeu aussi, de cartes. Les voisins ont adopté une chienne, elle est énorme et elle s’appelle Dana, comme le surnom de ta sœur, c’est marrant !
Je te joins un petit bricolage que j’ai fait.
J’ai hâte de te voir en septembre !
Connor
*
Vee,
Désolé d’avoir oublié de joindre le bricolage, lol. Le voici. Bisous
Connor
23 décembre 2022.
Deuxième année – Ils ont 13 ans.
Joyeux Noël !!
J’espère que les fêtes se passent bien chez toi. Chez moi, c’est moyen, on ne fête pas vraiment. Je joue des musiques de Noël au fiddle mais Maureen râle. J’en ai marre de sa mauvaise humeur. Mais bon. J’espère que je vais recevoir le parchemin portatif que j’ai commandé, c’est une grosse dépense mais je n’ai rien demandé d’autre donc ça passe. Je te joins ton cadeau ! Je m’excuse par avance si ce n’est pas ressemblant. J’ai eu du mal à dessiner tes cheveux, à cause des boucles. Mais ils sont vraiment jolis.
Connor
*
Je n’arrive pas à croire que j’ai encore oublié. Ça me saoule. Bref, gros bisous!
30 juillet 2022.
Ils ont 13 ans.
Coucou Vee !
J’espère que ton premier mois de vacances se passe bien. Perso, super ! Je me suis promené et j’ai vu l’arbre dont je t’avais parlé l’année dernière, dans lequel j’avais projeté de construire une cabane. Je me suis dit qu’on pouvait le faire ensemble, je ne sais pas si ça te tente. Dans tous les cas, j’ai demandé à mon père et il est d’accord ! Tu peux même dormir ici si tu veux. Tu peux demander à tes parents ?
S’ils disent oui et que tu viens, je pourrais te montrer un autre dessin que j’ai fait ! J’ai réussi tes cheveux ! 😊
Câlin,
Connor
6 avril 2023.
Troisième année – Ils ont 14 ans.
Ma chère Vee,
Commencer cette lettre a été compliqué. J’y ai pensé pendant des jours. Que répondre à une lettre de ta meilleure amie qui te raconte toutes les épreuves qu’elle a dû traverser ?
Tout d’abord, je veux te remercier de ta confiance. C’est très précieux et j’espère que je m’en montrerai digne. Tu mérites d’être totalement en sécurité avec quelqu’un qui sait tout ce qui est nécessaire de savoir sur toi, et c’est un honneur d’être ce quelqu’un, donc merci.
Ensuite, tu as un courage incroyable. Je suis très fier d’être ton ami. Je sais que tu peux me répliquer que tu n’avais pas le choix, que c’est juste ta vie. Mais si, je t’assure, tu avais le choix, tu aurais pu devenir, sombre, rancunière, colérique, en vouloir à tout le monde pour tes problèmes. Ce n’est pas le cas : tu es adorable, tu es pétillante, tu es généreuse, tu es douce. Tu es un rayon de soleil, pour moi, pour Dana, et pour plein d’autres gens. Peu importe que ta famille soit maudite, peu importe que tu aies ce don dangereux, moi je tiens à toi et je ne t’abandonnerai jamais.
Concernant le retour de ta mère, je vois ça comme une très bonne nouvelle ! Elle a l’air d’être une femme intelligente. C’est très courageux et intelligent de reconnaître quand on a besoin d’aide, et si elle estime être assez guérie pour s’occuper de vous, je pense que tu peux lui donner une chance. Tu reverras ta grand-mère souvent, ne t’inquiète pas !
J’ai conscience que c’est un gros changement, mais mon amitié pour toi ne changera jamais.
Beaucoup de câlins,
Connor
13 septembre 2024.
Vee a 14 ans, Connor a 15 ans.
Vee,
J’espère que j’aurais le courage de t’envoyer cette lettre. J’espère également que tu as deviné ce que je vais y écrire. Je ne suis pas le plus discret avec mes poèmes et mes portraits. Mais tu comprends, tu es une muse magnifique. Déjà, tu es belle. Très belle. Ton visage est adorable, j’ai envie d’embrasser doucement tes joues et de me perdre dans tes yeux. Tes taches de rousseur sont une superbe constellation, qui s’illumine lorsque tu souris. Tes cheveux sont tout aussi magnifiques, aussi lumineux et désordonnés que toi. J’aimerais beaucoup les caresser, mais en attendant, je les dessine. Tout ton corps est joli, élégant et câlinable.
Ensuite, tu es une personne incroyable. Personne n’est aussi drôle, altruiste et courageux que toi. Tu es si mignonne quand tu aides les autres. Quand tu es fière de toi. Quand tu écoutes attentivement quelqu’un. Quand tu ris avec ta sœur. Je me sens bien, complet, en sécurité avec toi. À chaque fois que je te regarde, je me sens honoré d’être aimé par toi, et j’ose espérer que tu m’aimes, ou m’aimeras un jour, de la même façon que moi. Si ce n’est pas le cas, tu auras toujours mon amitié.
Je t’aime, Viviana.
Connor
12 février 2025.
Ils ont 15 ans.
Ma Vee,
Je suis désolée de ne pas avoir répondu tout de suite, mon père vient à peine de me prévenir que ton hibou est arrivé hier. Il avait oublié. Je m’en excuse tellement. J’ai expliqué la situation à papa (j’ai juste dit que Dana avait eu un accident), et il va prendre la voiture pour m’amener à Londres. Je serai là demain. Tiens bon. Je te ferai tellement de câlins.
Je suis tellement désolé pour ce qui s’est passé. J’espère que tu me crois si je te dis que je comprends la peur et la déception que tu peux ressentir. Je t’avoue que je ne sais pas quoi écrire. J’aimerais te réconforter aussi bien que tu l’as fait pour la mort de maman. En tout cas, j’espère que mon affection t’aidera demain.
Dana va se rétablir. Elle est entre les mains d’excellents médicomages. Il n’y a rien que la magie ne puisse guérir.
Je t’aime.
Connor
15 août 2026.
Ils ont 16 ans.
Ma chérie,
Tu me manques déjà beaucoup. Dès que je ferme les yeux, j’ai cette image magnifique de nous dans la cabane. C’est peut-être un peu bête, mais j’ai compris le sens de l’expression « faire l’amour ». Chacune de mes caresses, à chacun de tes baisers, me donnait l’impression que nous créions une œuvre d’art. Et dormir à tes côtés était fabuleux. Même si tu ronfles un peu, je dois dire… Vivre avec toi semble si naturel.
Tu es parfaite pour moi, merci 😊
Par contre, tu as oublié ta brosse à cheveux, je te l’envoie.
Je t’aime,
Connor
*
Bon, tu connais la chanson, j’ai oublié la pièce jointe. La voici ! J’ai dû emprunter le hibou de ma sœur, j’espère qu’elle ne s’en apercevra pas, sinon je vais me faire tuer.
Des bisous !
20 juillet 2027.
Ils ont 17 ans.
VEE !
J’ai bien reçu ta lettre me communiquant tes résultats aux A.S.P.I.C, et j’ai également reçu la mienne ce matin ! J’ai eu Optimal en botanique, divination et arithmancie, EE en histoire de la magie, sortilèges et potions, et A en DCFM ! Par contre, j’ai foiré la métamorphose, mais ce n’est pas une surprise. J’ai eu Piètre.
Toi aussi, tu t’es tellement bien débrouillée ! Mon père te félicite aussi. Ta grand-mère serait tellement fière de toi, chérie. Moi aussi, je suis fier de toi.
Apparemment, on devrait recevoir les réponses des universités cette semaine, je dois t’avouer que j’ai peur. Je pense que c’est foutu pour la fac de design de Manchester, il fallait au moins un A en tout. Sinon, il y a celle de Glasgow, mais c’est plus loin.
Je transplanerai dès que je recevrai une lettre, pour qu’on les ouvre ensemble.
Je t’embrasse très fort,
Connor
14 décembre 2027.
Ils ont 18 ans.
Coucou mon cœur !
Je t’écris une petite lettre entre deux révisions. Mon premier semestre se passe bien, même si tu me manques beaucoup. L’internat, c’est sympa, Glasgow aussi, les gens aussi, quant aux études, je t’ai déjà envoyé assez de lettres les vantant ! Bref, j’espère que la socio te passionne toujours autant et que l’autre prof débile a été puni pour sa remarque horrible. Comment tu peux être prof de fac en 2027 et utiliser un cours de sociologie pour essayer de faire passer tes convictions transphobes ? Bref, beurk. Tiens-moi au courant !
Ci-joint un dessin de toi que j’ai fait hier soir, je n’arrivais pas à dormir. Et cette fois, je vérifierai au moins 5 fois que je l’ai bien joint. J’en ai marre que tu te moques de moi à chaque fois !
Bonne chance pour tes partiels !! Ça va aller !!
Je t’aime,
Connor
10 avril 2028.
Ils ont 18 ans.
Mon amour,
Je ne sais pas bien pourquoi j’écris. Tu es littéralement dans la même pièce que moi, ta chambre du Grognon. Tu es endormie sur ton lit, je suis assis à ta coiffeuse. Tout ce que je m’apprête à écrire, je te l’ai déjà dit à haute voix, mais avec confusion, avec crainte.
Il est cinq heures du matin, et au lieu de dormir, comme souvent, j’ai réfléchi. J’ai réfléchi à tout ça. À tout ce qui s’était passé. À nous. À notre futur. À notre enfant. (Qu’est-ce-que ça fait bizarre de l’écrire.)
Quand tu me l’as annoncé, j’ai été pris de panique. Créer un être humain n’est pas censé être quelque chose qui arrive par accident. C’est censé être réfléchi et voulu. Mon mutisme t’a fait peur, et je le comprends, j’en suis désolé.
Je ne peux pas tout à fait comprendre ce que tu ressens, mais je peux deviner que même si tu veux garder cet enfant, arrêter tes études te fait peur. Vee, comme je te l’ai dit hier, ce n’est pas obligatoire. Au contraire, tu dois continuer la socio. Ça te passionne tellement. On se relayera pour prendre soin de l’enfant, tout en faisant nos études respectives. Et il y a toujours mon père ! Je sais qu’il ne nous jugera pas et qu’il pourra s’en occuper. Il y a beaucoup de solutions possibles, et aucune qui nous oblige à sacrifier notre avenir.
Je t’avoue que j’ai eu peur, parce qu’une parentalité non désirée, dans ma tête, c’est mes parents. Une mère absente et un père, bien malgré lui, négligeant. J’ignore si je serai un bon père. Je ne sais même pas ce que ça signifie. Mais j’essayerai d’être tout ce dont j’avais besoin. Aimant, présent, quelqu’un dont mon enfant pourra être fier. Et toi, tu seras une mère formidable, si c’est ce que tu as choisi. Il y aura des obstacles, mais on les franchira ensemble. Vers la fin de ta grossesse, je m’installerai avec toi au Grognon, et j’aurai mes cours par correspondance. Tu pourras faire ça aussi, pour continuer tes études.
On va y arriver, Vee. C’est terrifiant, c’est inimaginable, c’est bizarre. Mais on peut y arriver. On pourra l’aimer, on pourra l’élever. On se débrouillera. Je te le promets.
Connor
20 janvier 2029.
Connor a 19 ans, Jaya a un jour.
Je ne comprends pas.
Tout est flou, tout bouge trop vite, tout m’envahit. La moindre lumière m’assomme. Le moindre bruit me terrasse. J’ai mal, mais en même temps, je ne sens rien. Je ne suis personne. J’ai disparu.
Je ne comprends pas. Hier, on m’a dit que j’étais père, mais plus petit-ami. Qu’une mort avait été échangée contre une vie.
Mais ce n’est pas censé arriver, ça. Ce n’est pas possible, ça. Je ne comprends pas. Explique-moi, s’il-te-plaît, Viviana. Dis-moi où tu es. Souris-moi. Câline-moi. J’ai tellement froid.
Elle est là, la personne pour qui tu as donné ta vie – involontairement. Elle me regarde avec ses grands yeux bleus. Les tiens ou les miens ? Difficile à dire. Elle est là et elle est silencieuse. Elle ne pleure pas. Elle regarde. Elle me regarde. Elle attend. Elle attend comme moi, quelqu’un qui ne reviendra pas.
Et pour elle, tu ne seras qu’un nom. Qu’un visage animé sur une photo. Immobile sur un dessin.
Je ne comprends pas. Comment je dois l’aimer avec tout ça ? J’ai promis. Ce n’est pas sa faute, je le sais. Mais quand je la regarde, j’ai envie de pleurer. En fait, même quand je ne la regarde pas.
19 janvier 2030.
Connor a 20 ans, Jaya a un 1 an.
Ma Vee,
C’est bête, mais j’ai besoin de t’écrire. J’ai rassemblé toutes les lettres que je t’ai écrites dans un classeur, et toutes tes réponses dans un autre. Tu crois que ça fera plaisir à Jaya de les lire plus grande ? Je ne veux pas que tu sois une inconnue pour elle. Je veux qu’elle t’aime, même si elle aime un fantôme. Je veux qu’elle aime tes photos et ton écriture, des bribes de ta personnalité, ton rire dans des enregistrements audio, ton souvenir dans mes yeux et sur son corps.
J’ai l’impression de traverser un épais brouillard. Ça fait un an. Et je ne sais pas ce que ce jour doit signifier. Ta mort ou sa naissance ? Le fait qu’ils ne fassent qu’un est immonde. Serais-je capable de fêter son anniversaire un jour ? Elle vit chez mon père. Moi, j’étudie tant bien que mal. Quand je vais la voir et que je la prends dans mes bras, je ne ressens rien. J’ai tellement peur. Pardon, Viviana, pardon. Je n’arrive pas à l’aimer. Mais je vais persévérer. Je te l’ai promis, et elle mérite d’être aimée. C’est un beau bébé, innocente, qui n’a rien fait de mal.
Connor
19 janvier 2032.
Connor a 21 ans, Jaya a 2 ans.
Je l’ai ressenti, Vee. Cet élan d’amour. Cette lumière qui point soudain, traversant les ténèbres, t’indiquant le chemin. Ce matin, alors que je lui donnais à manger, Jaya a dit « Papa ». Avec ses yeux si bleus. Et son sourire presque fier. Et ses boucles qui imitent de plus en plus les tiennes.
Elle a essuyé mes larmes et je l’ai câlinée. Je l’ai serrée très fort contre moi et j’ai répété ma promesse. Je l’aimerai et je l’élèverai. Elle sera ma muse et mon trésor. Je fêterai son anniversaire de façon grandiose chaque année. Et quand elle sera assez grande pour comprendre, je lui expliquerai à quel point sa maman est une personne exceptionnelle. Je lui parlerai de l’héritage de sa famille et je lui donnerai tous les conseils qu’il faudra. Je lui montrerai notre cabane. Je la guiderai et je la protègerai au mieux.
Je dois vaincre le brouillard pour elle.
Connor
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Mama, just killed a man.
Is this the real life, is this just fantasy
Caught in a landslide, no escape from reality
Open your eyes, look up to the skies and see
La nuit était tombée. Le ciel d'encre était parsemé d'étoiles, qu'une jeune femme admirait par la fenêtre de la cuisine. Ses yeux bleus, qu'encadraient une cascade de cheveux blonds en désordre, étaient fixés sur la pleine Lune. Elle était assise sur une chaise, les genoux repliés contre elle, ses bras les enlaçant. La lumière de l’astre nocturne rendait son visage plus pâle qu’il ne l’était déjà, et accentuait ses cernes. La jeune femme avait la vingtaine, mais sa jeunesse semblait brisée. Dans son regard se reflétaient les rayons lunaires, et une noirceur d’un passé encore trop présent.
I'm just a poor girl, I need no sympathy
Because I'm easy come, easy go, little high, little low
Anyway the wind blows, doesn't really matter to me
To me
Abigail Archer n’avait jamais dormi sur ses deux oreilles. Jusqu’à l’âge de quatorze ans, elle vivait avec un père violent. Elle souffrit de stress post-traumatique de nombreuses fois.
A l’âge de sept ans, elle vit sa mère se faire assassiner de la main de son géniteur. Argus Filch était un homme à l’esprit profondément détruit, que la folie possédait. En frappant son épouse, cette nuit-là, il brisa sa nuque, sans même se rendre compte de son geste sur le moment. Après cela, il fit disparaître son corps, sous les yeux de son enfant.
A l’âge de quatorze ans, Abigail s’échappa de son enfer, et trouva refuge chez les Archer, la famille de son meilleur ami, qui devinrent sa famille. Ils l’aimèrent, la choyèrent, la protégèrent, comme si elle était leur fille et sœur de sang. A leurs côtés, elle avait découvert qu’elle était bien plus que son passé, bien plus que ses origines, bien plus que son traumatisme. Les Archer avaient traîné Argus Filch devant la justice. Malheureusement, son géniteur avait été déclaré non coupable du meurtre de Mary Filch, déguisé en suicide dans un de ses souvenirs falsifiés grâce à l'aide de son avocat corrompu. Il fut condamné à cinq ans de prison pour maltraitance, mais étant un Cracmol, il échappa à Azkaban et se retrouva dans une prison moldue. Quelques mois avant la majorité de la jeune fille, son père s'échappa de prison. Elle était terrifiée à l'idée qu'Argus se soit échappé pour la tuer, et qu'il fasse aussi du mal aux Archer. Alors, dès la fin de sa septième année à Poudlard, la Serpentard prit la fuite. Elle voyagea à travers le monde, aidée par son don de Polyglotte. Elle revint quatre ans plus tard, lorsque les Archer lui manquaient trop, avec l'intention de retrouver elle-même Argus Filch et le tuer. Ce qu'elle fit. Elle métamorphosa son cadavre en un seul os, qu’elle brisa en petits morceaux et jeta dans un lac. Argus fut déclaré mort quelques mois plus tard, et l'affaire fut classée. Personne n’était au courant de sa culpabilité, sauf son frère Headley, qui l’avait aidée à traquer et tuer Filch.
Mama, just killed a man, put my hands around his neck
Held tight and harder, now he's dead
Mama, life had just begun
But now I've gone and thrown it all away
Mama oooh... Didn't mean to make you cry
If I'm not back again this time tomorrow
Carry on, carry on
As if nothing really matters
Abigail n’osait pas imaginer ce qui se passerait si les autres Archer l’apprenaient. S’ils apprenaient qu’ils avaient adopté une meurtrière, qu’ils protégeaient et aimaient une tueuse depuis toutes ces années. Dans les faits, elle n’était une meurtrière que depuis un mois et deux jours, date de la mort d’Argus Filch. Mais au fond d’elle, la jeune femme avait l’impression qu’elle l’avait toujours été. Comme son père, une noirceur sans fond l’habitait, et jour après jour, la noyait. Personne ne s’en rendait compte, personne ne voyait les ténèbres derrière le masque lumineux qu’elle affichait au quotidien. Sauf peut-être Headley. Headley avait vu ses ténèbres la posséder, il l’avait vue pétrifier son géniteur, puis serrer ses mains autour de son cou jusqu’à ce qu’il meure. Abigail aurait pu l’achever d’un Avada Kedavra, mais ce sortilège est indolore. Ce n’était pas ce qu’elle voulait. Elle voulait le faire souffrir. Elle voulait lui arracher son souffle, sentir ses poumons collapser dans une dernière recherche d’air, elle voulait voir la vie quitter ses yeux et que son cadavre s’effondre à ses pieds. Elle en avait rêvé, nuit et jour, elle l’avait imaginé mille fois, mais elle n’était jamais parvenue à deviner ce qu’elle ressentirait lorsque le corps de son père s’écroulerait à terre, sans vie. Lorsque son âme se briserait en deux.
Ce qui lui faisait le plus peur, c’est qu’elle n’était pas dégoûtée d’elle-même. Elle ne se haïssait pas de l’avoir tué. Argus Filch était un monstre, qui avait fait de sa vie un enfer. Parfois, elle souriait en se souvenant de la dernière expression qui avait traversé son regard noir avant que celui-ci ne se fige à jamais. En fait, c’était cela qui lui faisait peur : son insensibilité. Lorsque le corps de Filch était tombé à ses pieds, tout ce qu’avait ressenti Abigail, c’était de la puissance, l’impression d’avoir accompli une mission à l’échelle du destin. Aucune honte, aucune culpabilité.
Elle était comme lui. Une tueuse. Un monstre. Une malédiction. Et tôt ou tard, les personnes qu’elle aimait le plus au monde s’en rendront compte. Headley ne l’avait pas abandonnée, même en ayant vu ce côté de sa personnalité, mais peut-être n’était ce qu’une question de temps.
Too late, my time has come, sends shivers down my spine
Body's aching all the time
Goodbye everybody, I've got to go
Gotta leave you all behind and face the truth
Mama oooh, any way the wind blows
I don't want to die, I sometimes wish I'd never been born at all
Elle ne dormait plus, prisonnière de son secret, prisonnière de ses ténèbres, horrifiée par la conscience d’être quelqu’un d’abject. Son esprit était sûrement malade, comme le sien. Elle était comme lui.
Des bruits de pas l’arrachèrent à ses pensées destructrices. Un rayon de Lune éclaira le visage de sa mère. Abby se souvenait que lorsqu’elle l’avait appelée maman pour la première fois, sans vraiment s’en rendre compte, elle avait été horrifiée. Tout se bousculait en elle : la peur de trahir Mary, sa mère biologique, morte depuis si longtemps, la crainte que les Archer ne veuille pas d’elle comme fille ou sœur… Mais ils lui avaient prouvé, avec les années, qu’ils étaient sa famille. Malgré tout, Abigail était terrifiée qu’ils apprennent un jour ce qu’elle avait fait, et qu’ils prennent peur, qu’ils comprennent qu’elle était comme son géniteur.
- Ma chérie, tu ne peux pas dormir ?
Abby secoua la tête. Elle ne comptait plus le nombre de fois où Zoe s’était réveillée la nuit, pour boire ou pour aller aux toilettes, l’avait vue encore debout, et avait discuté avec elle, l’avait câlinée jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Mais en la voyant, elle n’éprouva pas le désir que sa mère s’occupe d’elle. Elle ne le méritait pas. Elle se répugnait à ce que Zoe touche une tueuse.
But I'm just a poor girl and nobody loves me
He's just a poor girl from a poor family
Spare him her life from this monstrosity
Easy come easy go, will you let me go
Beelzebub has a devil put aside for me, for me, for me
La vérité se précipitait au bord de ses lèvres, elle ne pouvait la retenir. En croisant le regard noisette de Zoe, un ouragan se déclencha en elle, et le verrou posé sur son secret explosa. Elle gardait espoir, peut-être que sa mère continuerait à l’aimer malgré ses démons, malgré ce meurtre. Alors, la vérité cascada de ses lèvres, la vérité les noya toutes les deux. Et lorsque le regard de Zoe s’éteignit, lorsque sa main quitta son épaule, lorsque peur et dégoût se confondirent dans son expression, Abigail se crut mourir.
- Abigail, tu te rends compte de ce que tu as fait ? Par Merlin…
Sa voix se brisa.
- Dire que je t’ai accueillie sous mon toit… Avec ma famille… Je t’ai aidée, aimée, je t’ai donné tout ce que j’avais… Toute la famille t’a traitée comme si tu étais des nôtres. Mais tu ne l’es pas.
Des larmes commencèrent à couler des yeux d’Abigail, silencieusement. Elle eut l’impression de mourir étouffée, comme Argus. A la différence près qu’elle ne voulait plus respirer.
Zoe commença à reculer, refusant de la regarder dans les yeux.
- Tu es une Filch. J’aurais dû m’en douter dès le moment où tu as posé le pied dans cette maison. J’aurais dû te fermer la porte, te renvoyer chez lui. Là où tu appartiens. Chez les fous, chez les assassins.
- Maman… pleura Abigail, les épaules secouées de violents sanglots, les jambes tremblantes.
- Ne m’appelle pas ainsi !
Le hurlement de Zoe déchira ses tympans, et ne fit que redoubler ses sanglots.
- Abigail ?
Le visage de sa mère lui apparut. Il n’était plus brisé par la crainte et le dégoût, mais empreint de la douceur infinie qu’Abby lui connaissait. Désorientée, la jeune femme comprit qu’elle avait halluciné, comme ça lui arrivait parfois. Des cauchemars éveillés, preuve de son instabilité mentale.
- Qu’est-ce-qui se passe, sweetie ?
Zoe essuya tendrement ses larmes, et s’assit près d’elle. Elle ouvrit les bras, et sa fille s’y effondra, tremblante, en larmes.
- Parle-moi, je t’en prie…
- Maman…
Abigail s’interrompit, mais Zoe ne la corrigea pas comme dans son hallucination. Elle attendit simplement, lui caressant les cheveux.
- Est-ce-que tu m’aimes ?
La question était si simple, si enfantine. Mais elle cachait un réel besoin de connaître la réponse. Les grands yeux noisette de sa mère s’écarquillèrent, et elle les plongea dans ceux d’Abigail.
- Abby, mon trésor, qu’est-ce-que tu racontes ? Bien sûr que je t’aime. Je t’aime infiniment. Tu es ma fille, ma famille, n’en doute jamais. Pourquoi cette question.. ?
- Tu m’aimerais… quoi que je fasse ? bredouilla la jeune femme entre deux hoquets.
- Mais bien sûr… Mon coeur… Il y a quelque chose que tu voudrais me dire ?
Zoe berça Abigail, qui pleura longuement contre son coeur. La question resta longuement en suspens, et ne trouva une réponse que lorsque les sanglots de la jeune femme se furent calmés. Elle leva la tête, croisa le regard de sa mère, et y vit tout ce qu’elle mourrait de perdre.
- Non. Il n’y a rien. J’ai juste fait un cauchemar…
- Tu voudrais reprendre les somnifères à base de drachane qui t’aidaient avant ton voyage ? Demanda gentiment Zoe.
Abigail hocha la tête.
- Oui, s’il-te-plaît…
- D’accord, j’irais t’en chercher demain matin. Tu veux un thé ?
- Non, ça va, merci…
Zoe se leva, et prit la main de sa fille. Ensemble, elles montèrent dans la chambre d’Abby. La jeune femme se coucha et ferma les yeux. Sa mère la veilla jusqu’à ce qu’elle s’endorme, les lèvres scellées sur son secret destructeur.
So you think you can stone me and spit in my eye
So you think you can love me and leave me to die
Oh baby, can't do this to me baby
Just gotta get out, just gotta get right out of here
Nothing really matters, anyone can see
Nothing really matters, nothing really matters to me
Any way the wind blows...
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Cauchemar.
Au bord d'un lac. L'eau noire, opaque. Le reflet de la lune la caressant. Sur la rive, des saules pleureurs, courbés. Leurs racines, à moitié enfoncées dans l'eau. Leurs troncs, noirs. Froid, très froid. Glacial. Silence. Un silence surnaturel. Aucun vent. Aucun bruissement de feuille – il n'y en a pas sur les arbres morts. Aucun clapotis de l'eau. Silence. Tout au bord de l'eau. Ta main, blanche, fine. Une main jaune, jaillie des flots. Aucun bruit. Aucune vague. Juste vos mains. L'autre serre ton poignet. Avec une force surhumaine. Il casse. Aucun cri – le tien, bloqué dans ta gorge, t'étouffe. La main te tire, t'entraîne sous l'eau. Froide, très froide. Glaciale. Aucun air. Douleur. Une douleur surnaturelle. Inimaginable. Indescriptible. Celle qui précède la mort. Celle à qui personne n'a survécu pour la décrire. Douleur. Les branches des saules capturent ta taille. Tu ouvres les yeux, mais aucune lumière. Noir. Le noir de l'enfer. Et tu y descends. Soudain, dans un flash, le visage de la personne à qui appartient la main apparaît. Long, émacié, aussi blanc que la Lune. Des yeux morts. Noirs. Te fixent. Empoisonnés. Et tu coules. Tu coules. Tu meurs. Tu coules.
-*-
La maison des Archer est plongée dans l'obscurité, embrumée de sommeil. Par la fenêtre, Shel peut apercevoir les étoiles, mais la lune est masquée par les nuages. Après être allé aux toilettes, le petit garçon, âgé de quatre ans, remonte les escaliers pour retrouver son lit. Cependant, au milieu du couloir, il s'arrête. Il a entendu un bruit. Fronçant les sourcils, le petit brun tend l'oreille. Les bruits, qui ressemblent à des sanglots étouffés, viennent de la chambre d'Headley. Shel est très étonné : son grand frère ne pleure jamais – sauf lorsqu'il tente de manipuler quelqu'un. Puis, il se rappelle qu'il n'est pas le seul à dormir ici : depuis un mois, une jeune fille partage sa chambre : Abigail Filch, sa meilleure amie.
Shel se souvenait comme si c'était hier de son arrivée. C'était le 7 juillet 2012. Il devait être vingt heures, car ils sortaient de table. On a frappé à la porte. C'est Headley qui est allé ouvrir. D'habitude, il ne s'encombrait jamais de cette tâche – peut-être avait-il pressenti que c'était très important. Le petit garçon les avait espionnés, caché dans les escaliers qui donnaient vue sur l'entrée. Dehors, un orage avait éclaté, et il pleuvait beaucoup. La jeune fille qui se tenait sur le pas de la porte était trempée. Elle a fait peur à Shel la première fois qu'il l'a vue : pâle, maigre, sale, épuisée, elle n'avait pas l'air tout à fait en vie. Elle avait l'air sur le point de tomber en miettes. En voyant son frère, elle a fondu en larmes. Des sanglots déchirants, les mêmes que ceux qui résonnaient aux oreilles de Shel en ce moment. Headley l'a prise dans ses bras, et elle s'est effondrée contre lui, comme si elle n'avait plus aucune force, plus aucune vie.
Ses parents sont arrivés à leur tour. La surprise passée, le premier réflexe de Zoe a été de donner une couverture à Abigail. Jordan lui a fait un chocolat chaud et l'a invitée à manger le reste de pâtes à la bolognaise. Une fois cela fait, ils l'ont nvitée à prendre une douche pour se réchauffer, et Zoe lui a prêté des vêtements. Pendant que la jeune fille se douchait, Jordan, Zoe et Headley se sont enfermés dans la cuisine. Shel et Liddy, sa petite sœur âgée de quelques mois seulement, les ont écoutés, collés contre la porte. Ils disaient qu'Abigail Filch était maltraitée par son père – Headley a employé le mot « torturée », ce qui était plus exact aux yeux de Shel, qui tenait aux définitions appropriées. Il a convaincu ses parents de la laisser vivre ici, un temps, avant de réfléchir à l'avenir.
Shel avait laissé Liddy devant la porte en entendant quelqu'un descendre les escaliers. C'était Abigail. Elle regardait les photos accrochées sur les murs avec un air curieux, comme si elle se demandait « c'est à ça qu'une famille aimante ressemble ? »
- Tu fais quoi ? a-t-il demandé en la rejoignant. Abigail s'est retournée, et a baissé les yeux pour le voir. - Je regarde les photos. Et toi, petit gnome, tu fais quoi ? - J'allais à ma chambre depuis la bibliothèque, a rapidement menti Shel, fronçant les sourcils pour marquer son désaccord avec le surnom utilisé. La jeune fille a esquissé un demi-sourire, puis ricané. Elle ressemblait beaucoup à Headley à cet instant-là. - Alors comment ça se fait que tu n'aies pas de livre en main ? Je t'ai grillé, Archer n°2, t'étais en train d'espionner tes darons et ton frangin. Je ne suis pas à Serpentard pour rien, le gnome ! Shel s'est renfrogné. - Bon. J'avouerais si tu arrêtes de m'appeler le gnome. - OK. - J'avoue. - C'est bien, le gnome. Exaspéré de s'être fait avoir, le petit garçon a regardé attentivement Abigail. Elle avait repris des couleurs, mais n'avait pas l'air en bonne santé. Son regard était éteint, comme si elle ne vivait qu'à moitié dans le présent. Elle nageait dans les vêtements de Zoe, qui n'était pourtant pas grosse. Shel s'est rappelé de l'expression qui avait transcendé son visage lorsqu'Headley avait ouvert la porte. La même expression qu'une personne errant dans le désert depuis longtemps, qui aurait enfin trouvé une oasis. - Tu l'aimes bien mon frère, hein ? C'est ton meilleur ami ? La Serpentard n'a pas tout de suite répondu. - Ouais. Tu vois... Il est aussi chiant que génial.
Ce n'était pas peu dire. - Wow. - Comme tu dis. Allez, va lire, le gnome, avant que je te fasse faire des roulés-boulés dans les escaliers. Shel a froncé le nez et a rejoint sa chambre, oubliant la petite Liddy devant la porte de la cuisine. En sortant de la pièce, He adley avait sans le faire exprès fait voler sa petite sœur. Après l'avoir ramassée et prétendu qu'il ignorait pourquoi le bébé pleurait, il avait confié Liddy à ses parents et était allé voir Abigail pour l'informer de la décision prise. Shel a entendu ses cris de joie depuis sa chambre.
Au début, il n'était pas enchanté à l'idée qu'une inconnue squatte la maison comme si elle était leur sœur. Abigail n'était pas du genre envahissante, pourtant. Au fil des semaines, il avait appris à s'habituer. Elle ressemblait à Headley, en plus mature et gentille – un tout petit peu.
Au cours des vacances d'été, elle avait repris un peu de poids, mais pas assez. Elle était toujours anormalement pâle, et même si elle riait et blaguait à tout v a, Shel devinait, même à son jeune âge, que ce n'était pas normale qu'elle sursaute dès qu'on la touchait ou qu'on faisait un geste dans sa direction. Une fois, elle a demandé la télécommande à Jordan, qui la lui avait lancée. Elle a hurlé, et s'est cachée derrière le canapé dans un réflexe. C'était bizarre. Peut-être que ce n'était qu'une trouillarde ?
Devant la porte, Shel hésite. Abigail fait un cauchemar, c'était certain. Mais pourquoi Headley ne se réveillait pas ? Il finit par entrer, et voit que son frère s'était endormi avec ses écouteurs aux oreilles. Il n'y a sûrement que lui au monde pour dormir comme un bébé avec Panic At The Disco en fond sonore. Le petit garçon se balance d'un pied sur l'autre devant le lit de la jeune fille, hésitant. Doit-il la réveiller ? Ça a l'air d'être un sacré cauchemar, pense-t-il. Ses draps sont en désordre, trempés de sueur, et Abigail est recroquevillée sur elle-même, le visage déformé par une terreur inhumaine. Elle tremble de tous ses membres, et son visage est trempé – de larmes, de transpiration ou des deux ?
Shel réfléchit. Il reste deux bonnes minutes à réfléchir. La solution la plus logique serait de sortir et de la réveiller en faisant un gros bruit. Bon, il réveillerait sûrement le reste de la maison avec – sauf Headley, avec sa musique. Mais, étrangement, ce n'est pas celle qu'il choisit de faire. A la place, le petit garçon s'assoit dans le lit d'Abigail. Ses gestes sont lents, car il hésite toujours. Mais il finit par enlacer l'adolescente, essayant de contenir ses tremblements. Bientôt, il se retrouve blotti contre elle. Elle a utilisé le shampoing de Zoe, ses cheveux sont imprégnés du même parfum d'amande douce que sa maman. Shel a très chaud, dans cette position, mais ne la lâche pas. Il sent qu'elle se détend. Elle ne tremble plus. Elle est immobile, et sa respiration s'est apaisée.
- Abigail, c'est un cauchemar, ce n'est pas la réalité, lui chuchote-t-il à l'oreille pour la rassurer.
Il ignore que pour la jeune fille, les deux se confondent.
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