Tumgik
#patrice de carolis
reseau-actu · 6 years
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Comment concevoir des programmes qui puissent à la fois porter une exigence et attirer, intéresser, divertir, informer, émouvoir le plus grand nombre possible de téléspectateurs ?
On ne peut que s'interroger sur ce que signifient aujourd'hui ces mots: service public de l'audiovisuel. Françoise Nyssen présentait en début de semaine son interprétation de cet épineux problème. A-t-il été question de la façon dont la télévision peut être un vecteur de transmission du patrimoine culturel et de la vision du monde spécifique que porte la France? S'est-on demandé, dans un monde où les séries télévisées sont un des premiers instruments de la globalisation culturelle, comment concevoir des programmes qui puissent à la fois porter une exigence et attirer, intéresser, divertir, informer, émouvoir le plus grand nombre possible de téléspectateurs? Selon toute apparence, il est plus urgent pour nos vertueux réformateurs de rééduquer que d'éduquer.
Le constat de départ relevait de ce désarroi habituel chez les politiques: comment toucher «les jeunes»? «C'est un tiers de la population qui n'est pas là, qui ne distingue pas l'offre privée de l'offre publique, se désolait la ministre de la Culture et de la Communication. Ils n'attendent rien de cet audiovisuel. À nous de les surprendre.» Ce que le patron de TV5 Monde expliquait le lendemain sur Radio Classique de façon un peu plus claire: «Comment toucher un public que seul Cyril Hanouna parvient à toucher? Il y a une contradiction entre ce qui intéresse ce public et le service public tel que nous l'avons conçu.»
Mais ces grands esprits ont découvert une panacée: le numérique. Ils ont, paraît-il, en ligne de mire le succès retentissant de la BBC, dont la plateforme numérique est consultée par 80 % des 3-18 ans.Il faut dire que la BBC n'utilise pas cette plateforme pour accueillir les chaînes qui «n'ont pas trouvé leur public», comme on le dit pudiquement de France 4, mais pour proposer des contenus pédagogiques qui servent aux jeunes gens à réviser leurs examens. Pour toucher le public que seul Cyril Hanouna parvient à toucher, il ne faut pas faire du Cyril Hanouna qui ne s'assume pas, du Cyril Hanouna un peu plus propre sur lui, il faut proposer une offre de service public.
Pour toucher le public que seul Cyril Hanouna parvient à toucher, il ne faut pas faire du Cyril Hanouna qui ne s'assume pas, du Cyril Hanouna un peu plus propre sur lui, il faut proposer une offre de service public.
Ladite plateforme en projet doit offrir à nos jeunes un décryptage des «fausses nouvelles». Une sorte de vérité d'État censée convaincre ceux qui, justement parce qu'ils ne croient plus médias «officiels» et discours institutionnels, sont prêts à croire n'importe quelle théorie délirante. Une manière, surtout, de délivrer un catéchisme citoyen à l'opposé de la confrontation des idées qui constitue le cœur de la démocratie.
Parmi les bonnes intentions de la ministre, on trouve l'idée de garantir la représentation des «territoires». Il ne s'agirait pas de passer pour la ministre des villes d'un président des villes. On prévoit donc davantage d'heures pour les programmes régionaux, attention portée au local fort louable. Mais la représentation de la France dans sa diversité - dans sa beauté, oserait-on ajouter - relève aussi des missions de service public. Il ne s'agit pas seulement de faire en sorte que la Bretagne ou le Languedoc aient leurs émissions, mais surtout que le jeune de Brest ou de Saint-Denis puisse avoir une idée du Languedoc et de la culture occitane. La longévité d'une émission comme «Des racines et des ailes» le démontre. Et ce que cette émission réalise sur la géographie et le patrimoine appelle l'équivalent pour l'histoire, la littérature, le théâtre, les traditions populaires, bref, tout ce qui dessine le visage de la France et qui constitue l'héritage de tous ses habitants.
On se souvient d'une magnifique interprétation de La Reine morte par Michel Aumont, sur France 2 en première partie de soirée, sous la présidence de Patrice de Carolis, qui, quelle qu'ait été l'audience, incarnait l'honneur du service public, davantage que cette habitude de croire qu'on lutte contre le déferlement de séries policières américaines sur les chaînes privées en saturant l'antenne de séries policières françaises - quelle que soit la qualité de certaines d'entre elles.
Hélas, la Rue de Valois semble plus intéressée par ce qui nous divise que par ce qui nous rassemble. Françoise Nyssen, comme la présidente de France Télévisions, trouve qu'il y a trop d'«hommes blancs de plus de 50 ans» sur nos écrans. S'adresser au peuple français consisterait simplement à s'adresser à chacune de ses «communautés». Ce faisant, le service public réduit progressivement la place d'émissions comme «Le Plus Grand Cabaret du monde», émission unique et connue de tous les artistes de cirque, de la Chine à la Russie, en passant par l'Amérique, émission surtout qui démontre la qualité d'une authentique culture populaire.
Réfléchir sur le «service public de l'audiovisuel» pour ne mettre en avant ni le patrimoine, ni la culture classique, ni la culture populaire relève de l'exploit. Mais rassurons-nous, la rééducation par les écrans est en marche.
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