Tumgik
#slutshamingatwork sexismatwork racismatwork découragementsocial
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Aujourd'hui, je ne veux pas me lever.
J'ai pas anormalement mal dormi, mais je serais déjà en retard. Nouvelle occasion pour mes collègues de se foutre de moi. Une heure plus tard on serait déjà reparti sur le registre du “Mais t'as pas la niaque!” “Allez, force comme un homme!” “C'est un travail que j'aurais fait en x-temps”.
Je suis constructrice métallique. Pas la plus forte des femmes, pas la plus débrouillarde non plus. Juste que j'ai mordu à quelque chose qui me plaît. Ça fait que quand je porte un t shirt au col un poil plus profond que les autres je ne suis soudainement plus professionnelle. Mon métier “d'homme”. Mon métier de qui veut bien le pratiquer.
En deux ans d'apprentissage, j'ai appris à souder à l'électrode, au fil, je peux encore galérer au tig selon les métaux. J'ai appris à limer et à meuler des surfaces bien planes. Scier droit à la main. J'ai appris les vitesses différentes des machines selon les matériaux. J'ai appris à me calmer tout en rapprochant mes mains du lapidaire, machine tournant du papier abrasif à une vitesse suffisante pour me déchiqueter quelques doigts. Ça me permet tous les jours de voir évoluer entre mes mains des pièces de métal qui passent d'une taule et un tube à un manchonnage pour une barrière percé et fraisé pour la fixation avec une soudure bien brossée. Et c'est extrêmement satisfaisant. Mais mon métier appartient au genre masculin qui sous la forme de certains de mes collègues n'hésite pas à me le rappeler.
Heureusement que mon contremaître me donne la même valeur qu'à tous les autres et ne sourcille pas s'il doit passer une heure en bas à l'atelier pour m'apprendre quelque chose ou me l'expliquer. Il reste logique et ouvert d'esprit. On peut toujours parler. En même temps il avait sa propre épine dans le pied et il a la fierté d'être le premier contremaître noir de ma boîte. Quand le boulot diminue jusqu'à laisser la place à de longues discutions posés contre les machines, il parle volontiers des façons de faire dans sa famille, des Antilles, du monde, mais dès que le racisme est mentionné monsieur n'est que colère. Et je le comprends tellement. Il a trop fait pour se débarrasser des préjugés. Personne ne pourra dire de Joseph qu'il manque d'intelligence de force ou de motivation. Il me dit que pour contrer la discrimination il faut être exemplaire. Je traduis ça mentalement par “le bénéfice du doute est blanc mâle cis hétéro”. Mais aujourd'hui je me suis réveillée nauséeuse et triste. Un souvenir est revenu comme une bulle dans mon rêve, ça a sali tout le reste.
Je veux pleurer, me rouler en boule et ne plus bouger, mais je vais bien finir par partir au boulot.
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