#60
Continent ovale,
recueil de poésie et de dessins
auto-édition
100 exemplaires
Janvier 2023
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#59
Guider celle qui ne peut plus voir
Te voilà ici sous la terre dans une position que personne ne viendra déranger. Je suis à tes côtés par les mots et comme avant je t'ai glissé quelques messages sur des bouts de papiers.
Tu trouveras ici notre premier paysage. Tu retourneras près de la rivière et tu prendras le courant. La fraîcheur sera plus chaude que la dernière heure.
Dis au rocher : " Ici j'ai su qui j'étais, redonne moi le souvenir du visage que j'ai laissé."
Dirige toi maintenant à l'opposé en suivant la marche des yeux qui t'a été confié. Tu pourras désormais tout voir, l'arbre qui pousse, l'intérieur des cœurs, la cartographie du vivant en devenir, les récifs, la neige que rien n'est venu remuer, les corps amoureux, la patience sous les pieds des êtres chers. Le lever du soleil demain à sept heure cinquante huit.
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#58
Sur toutes mes tartines du matin je vois des visages
J’en vois aussi sur toutes les montagnes
Tous les jours mes yeux sont pris par le temps
Hier la colline m’a donné une forme
Le paysage m’a remplit de la tête jusqu’au pieds
Peux-tu me dire si tu te sens bien ?
La mousse m’a donné du repos
Les saisons m’ont salué
Mon oreille me dit la vérité
Je t’aime avec tous tes travers
Je t’aime avec mes mains qui se posent
Ici là-bas et maintenant
Peux-tu me dire si tu te sens bien ?
Ceux qui existent m’ont fait défaut
Le manque m’a ouvert la bouche
L’eau m’a entourée sans compter
Je t’aime avec mes zygomatiques
Ma respiration et mes chevilles
Ton corps peut-il se refermer sur moi ?
Les caresses m’ont lavée
Les oiseaux m’ont donné un abris
Le silence m’a réveillé
Le sommeil m’a donné des années
Je t’aime à perte de vue
Tout près et dans mon ventre
Peux-tu me dire si tu reçois mes cils depuis tes paupières
Peux-tu me dire si tu te sens bien ?
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#57
C’est la mer comme une autre
c’est un jour pour chausser des palmes de sept lieux
autour d’une assemblée de coquillages
elle parle à la roche
elle lui dit la vérité
à la surface de l’eau elle fait la parole au vivant
lentement elle dit
je m’accroche à des mains imaginaires
je m’accroche aux yeux qui ne se tourneront pas vers moi durant le sommeil
je m’accroche à une assiette pleine
je me repose sur le dos des animaux
je dors là où je peux croire
je me relie à des reflets comme à des épaules qui peuvent tenir une tête
j’apprends à être avec les sons des absentes dans les oreilles
le langage est déposé écouté et retiré au rythme des marées
sans faire vœux de silence les octopus tendent les bras à ce qui vient du dessous des peaux
et la clarté à la sortie de la bouche vers le ciel
nul ne me connaît je parle la nuit
nul ne me connaît je parle mon corps
nul ne me connaît je parle la pluie
nul ne me connaît je parle les morts *
(*Alejandra Pizarnik)
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#56
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#55
Ta tête est celle que j’ai mise au monde sur un papier
je l’ai décidé au milieu du printemps alors que jamais, et je le savais déjà,
je ne saurai ce qu’est de mettre une main sur ton dos puis de sentir ta respiration.
Mes mains sont toujours au-dessus, à une distance qui ne permet de toucher que l’image.
Tu t’appelleras Lùcia, celle qui vient éclairer les jours.
Tu porteras comme deuxième prénom un million d’yeux
et ceux-là mêmes me diront à chaque endroit
pourquoi tu n’existes qu’à quinze centimètres de ma main.
Je sais reconnaître quand tu es sans vie et quand au contraire ta présence
remue à côté de mes yeux.
Devrais-je penser que la magie n’est qu’une affaire de mains sachant écrire ?
Pour se rappeler on peut remplir le vide par des gestes, assister à des naissances dont les premiers battements se trouvaient dans des habitacles moues,
là où l’on pilote les idées,
là où toi et moi on s’est regardé pour la première fois.
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#54
Elle figurait comme ce qu’il reste d’une plaie guérie, ce qui n’échappait pas à son regard, bien évidemment là sur la terre mais floue à l’intérieur.
Dans la pénombre elle s’écrivait tous les jours un peu plus et c’était pas facile de rendre les écritures visibles, de composer avec les soixante pour cent d’eau de son corps.
« Je veux dire c’est vrai quoi, pourquoi nous ne sommes pas comme ce papier dont les écritures résistent à l’eau, c’est un papier magique, un papier minéral, un papier imperméable, pour les gens qui partent en randonnée, pour celles et ceux qui pédalent sous les déluges. »
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#53
Est arrivée sous les pieds une matière qui brûle
des mouvements rapides multipliés d’où la consistance des corps se perdait
il ne restait plus que des lignes cisaillant l’espace de toute part
et parfois une main pleine qui revenait à elle
à force de la regarder c’était comme voir un visage dire bonjour
sans se mentir à rebondir du sommeil à l’éveil
ici et pas ailleurs
Les yeux se relevaient puis tombaient
Les joues se levaient puis retombaient
Le menton se relevait puis tombait
Les seins se levaient puis retombaient
Le ventre se relevait puis tombait
Les poils se levaient puis tombaient
Les muscles se levaient puis retombaient
Le jour se levait puis tombait
pour laisser les cils des animaux au repos
de haut en bas pour finir toujours en bas
tout avancé ainsi
en sautant
de paysage en paysage
des flèches toutes tracées dans l’ADN
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#52
Déclare qui tu es
Rayonne devant ce qu’il te reste à faire
Respire fort quatre fois
Imagine que tout soit possible en gardant les yeux ouverts
Ouvre très grand le tiroir de l’intuition
Maintiens la lumière où qu’elle soit dans les signes
Colle toi à ce qui ne lasse pas le regard
Opère des métaphores qui te permettent de bien vouloir continuer la vie
Se tourner les pouces n’est jamais inutile sache le
Observe tous les jours ce qui est plus bas que toi et souvent chaque jour ce qui te dépasse
Allonge toi dans l’eau dormante
Croise décroise tes doigts en tenant des mains de passage
Hurle toi entièrement bien qu’il fasse doux
N’oublie pas celui qui t’a volé ta bouche
Reprends dans tes poings des poignets de terre
Marche vite mais aussi à pas feutrés
Délimite des périmètres sacrés
N’attends rien
Ris pour te donner chaud
Projette des moyens de locomotion qui suffisent aux paupières
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#51
Est arrivée sur ton bras une main qui déplace le silence
qui laisse passer l’air dans ta gorge
Est arrivée au bout des cinq doigts une histoire commune qui touche la peau
comme quelque-chose qui demande à fermer les yeux pour écouter
quelque-chose qui s’accorde dans la tête
plongeant l’extérieur dans une parenthèse floue
Le croisement de nos champs parallèles au petit jour
comme se lève l’écume sur mon ovale plein
le masque de l’eau qui s’agite
Est arrivé sur mon visage un regard qui déplace le silence
partageant nos deux âmes entre nos lèvres
comme s’imite le bruit du courant
Sont arrivées dans nos bras des mains qui ne coupent pas le feu.
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#50
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#49
Prends repos, le silence ne fait que passer, c’est une façon de dire car je crois qu’il n’existe nulle part, ni ici, ni même dans les cinq sens
Au bord de la parole comme l’on penche le corps pour plonger dans le creux je suis ici dans une langue inconnue aux extrémités de ma tête
J’ai vu des lèvres faire des chorégraphies pendant que je tenais à peine assis, entouré de tous ces sons, là où- et je le découvrais- peuvent avoir lieu les proximités des langages, je pensais que la manière de m’exercer à assembler des formes en plastique ressemblait beaucoup à celle dont l’oralité se déplaçait, je l’entendais se chevaucher, se mastiquer, se superposer, se rapprocher, s’harmoniser, se heurter, elle trébuchait dans un rythme irrégulier semblable à ce que je ressentais à un endroit du corps
Une nouvelle destination pouvait donc arriver sans changer de place
Tu me voyais éprouver les mots, des débuts d’onomatopées qui modulaient à l’ouverture de ma bouche quand bientôt -et je ne le savais pas encore- je serai au seuil des bavardages, à faire des phrases à emballer la gestuelle, à dire la soif et la faim en me tenant sur des visages qui avancent et reculent
J’étais envoûté par les mimiques, les froncements juste avant que les mots ne se laissent tomber
Alors même que j’avais connu l’éclosion lente de lettres successives je me représentais soudain le nombre de paysages que je pourrais articuler à la lisière de chaque langue
Le premier serait celui de dire ayyur
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#48
Chaque doigt porte sa plume
les mains sont deux ailes que l’on ne voit pas pousser
elles grandissent lorsqu’on ne se voit plus derrière un geste
le désir a la forme d’un oiseau qui quitte son nid
et les mains, avant le grand départ, bougent partout dans tous les sens
Si l’on avait des mains qui marquent toutes les caresses combien de passages d’oiseaux aurions-nous sur la peau ?
Dans cette dernière seconde comment savoir à quoi je ressemblerai la nuit d’après ?
Je vole vers le repos dans une chambre que j’ai toujours voulu sans appui
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#47
Je suis des points de suspension
les phrases que je ne prononce pas continuent derrière moi
elles habitent les recoins des organes
je suis comme tout le monde
je contiens une encyclopédie qui profite surtout aux invisibles
certains autres voient un texte en train de s’écrire dans les corps passants
je ne suis pas de ceux qui oublient de regarder
je suis celle que je ne voudrais pas être
je déchire mon image lentement tous les jours
les yeux qui ont connu mon visage ont des morceaux qui s’affichent sous leurs tempes
je figure par intermittence
et d’autres fois on me demande de ne pas quitter la table
je brasse mes mouvements pour être sûre de toucher une présence
il arrive qu’on me nomme l’agitée du bocal
celle qui n’a jamais su fermer sa bouche
je ne suis pas d’une forme inconsistante
j’habite sans réserve
comme une femme qui parle vite
elle ne plie jamais sous les mots
je prends le temps de ramasser le silence
ma personne ne sait jamais bien si elle existe
je me relève chaque jour de mes sommeils
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#46
Je voulais te dire vers ton petit visage - ce dont tu te rappelleras aux années qui s’ajoutent- car tu risques parfois de détester ce monde mais soit sans peur sous le ciel :
Mettre un pied dehors tôt le matin
c’est comme découvrir un arbre sous la brise après une opération des yeux
Regarder les vagues venir à nous
c’est comme se mettre sous une couette après une longue journée
Trouver le soleil
c’est comme laisser glisser une première gorgée de thé
Faire un sourire à une inconnue
c’est comme aimer son propre regard dans un miroir de poche
Retrouver un ami
c’est comme sentir venir le mot juste
Écrire
c’est comme observer des nuages avancer
Manger des frites
c’est comme toucher les mains de quelqu’un qu’on aime
Dans les heures qui poursuivent les jours tu pourras t’asseoir et continuer de penser les petits riens, chercher celle que l’on dit subjective, faire du bien à l’horizon de ton front
Se rappeler les souffles coupés
c’est comme t’écouter respirer.
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#45
Je suis mourante, personne ne me le dit mais je le sais bien. Je ne sens plus mes cellules, je ne sens plus les petites chambres à air qui font que tout roule, le souffle est coupé je suis mourante, c’est comme ça qu’on dit quand c’est fini. Je ne suis plus démangée par l’univers qui tous les jours à voulu rentrer dans les yeux, maintenant que mon corps est inséré dans une parcelle dont le temps a fait son œuvre, une belle parcelle dirait-on, à ne jamais manger mes morts, mourante jusqu’au bout des doigts je peux enfin rire de tout.
J’ai choisi pour mettre au-dessus de ma tête un plafond de verre fissuré de partout, comme ça le ciel s’il a envie il peut venir toucher la mourante, il peut dire : « tu vois la mourante là c’est la matière du jour et là c’est la matière de la nuit » alors je chercherai dans quelle matière rentrer pour continuer de rire de ma voix de mourante, chaque journée ainsi je refuserai d’approcher le silence en mourant à petit feu.
Et j’ai mi des lueurs dans le dos pour me soulever les jours de fête.
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#44
Après un demi-siècle heureuses de se retrouver elles coururent l’une vers l’autre
elles avaient un poids certain, du fait de ce qu’elles n’avaient pas enlevé depuis tout ce temps
elles pesaient lourd de vérité comme un premier jour sur la terre
et les cheveux jamais coupés et les poils jamais retirés et la parole jamais supprimée
car il faut bien du courage
et porter sa tête comme l’on porte un enfant
et se jurer souvent :
« Tout ce qu’on dit on fait tout ce qu’on dit »
elles se demandaient comment envisager les nuits désormais ou comment faire pour regarder à nouveau les yeux s’en aller sous leur regard respectif
les yeux c’étaient les leurs mais aussi ceux du soleil
des trajectoires dans un rayon sans kilomètres quand soudainement elles partent de zéro
sans désirer durant quelques minutes aller plus loin que ces deux corps rapprochés
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