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Epilogue
(bande son: O cometa - Rodrigo Amarante)
Dans les deux jours qui suivent, je vais dormir au moins onze heures par nuit et faire environ six siestes par jours. Pas fatigué ? Ben si, mais surtout en mode relâche. Un de mes objectifs était de finir cette French sans me faire mal et je suis assez content d’avoir réussi. J’ai les mains un peu engourdies mais ça va. Les tibias ont morflé, mais je n’ai ni tendinites ni autres problèmes aux jambes, au contraire, je les sens affutées. Pendant plusieurs jours je vais être sur un petit nuage et comme vous le confirmeront beaucoup de dividers, ce n’est plus la même personne qui en redescendra. Un tel évènement vous apprend énormément sur votre mental, sur votre corps et la relation entre les deux. Tout ce que j’ai entrepris depuis que je suis jeune adulte a toujours été guidé par une volonté d’apprendre et de grandir. “Porter sa mort à maturité” disait Rilke en allant jusqu’au bout de ce cheminement. Cette French est un gros morceau de vie complètement dans cet état d’esprit. Je ne l’ai pas commencée le 8 août, mais il y a un an quand j’ai décidé de m’inscrire. J’ai consacré une année à me préparer mentalement, matériellement, physiquement. Dès le début je disais que ma French était déjà entamée. Le final, ces deux semaines d’août, est incroyable, imprévisible et magistral. On me demande déjà si je vais le refaire. La réponse est non. Je ne crois même pas refaire d’épreuve dans le genre. Je ne ferme pas la porte, on ne sait jamais, mais ce serait sans doute pour aller découvrir un autre pays dans ce cas. Tout ce que j’ai appris, je vais m’en servir pour des voyages en famille et des virées solitaires ou entre potes, que je ferai à un autre rythme, avec d’autres objectifs.
J’ai déjà eu des retours très sympathiques sur ce blog que j’ai écris dans un sentiment d’urgence . Lors de ma prép, j’ai lu moi aussi des blogs et c’est une bonne source pour anticiper et se plonger dans l’épreuve. Mais bon, je vais être un peu banal en disant que si vous vous jetez dans l’aventure, vous allez entrer dans une autre dimension et oublier tout ou partie ce que vous avez lu avant. Futur divider : Enjoy !
Spéciale dédicace à Sam et Stef sans qui mon aventure n’aurait pas eu lieu.
Spéciale dédicace à ma chérie qui m’a soutenu tout au long de l’année, je sais les concessions que tu as faites, je t’aime.
Spéciale dédicace à mes enfants, mes parents, mes frangins, le reste de ma famille et tous les amis qui m’ont suivi et encouragé - you’re the sunshine of my Life.
Spéciale dédicace à Will qui a bichonné mon vélo et pris le temps de répondre à toutes mes questions, à Alex pour les conseils techniques et à toute l’équipe de Bicyc’all / Mountain services.
Spéciale dédicace à Guillaume Barbey à qui je ressemble étrangement en souriant sur la photo ci-dessous.
Spéciale dédicace à Géraldine dont l’aventure de l’an dernier m’a bien inspirée.
Spéciale dédicace à Karim et Thomas, c’était cool de rouler avec vous.
Spéciale dédicace à tous les dividers, les followers, les passants.
Spéciale dédicace aux animaux, méfiez-vous des cages en métal.
Spéciale dédicace à la bouteille de Powerade goût orange que j’ai bue dans l’Allier, t’avais un goût bizarre mais tu as su rester fraiche.
Spéciale dédicace à tous les boulangers/boulangères et épiciers/épicières de France, vous tenez la baraque !!!!
Spéciale dédicace à tous les raggamuffin.
Pas de dédicace aux deux trois connards qui m’ont frôlé en bagnole, à la taulière du premier camping de la Bourboule, à Jean-Michel Blanquer parce que j’aime pas sa coupe, aux guêpes génération 2020 (vous êtes trop nombreuses les filles) et aux cailloux qui s’amusent à sauter sur mes tibias.
Love you all

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Jour 14: Vendredi 21 août - 111km
Mendionde à l’horizon. Ça devient réel. Je décolle vers 6h du camping. Je traverse Navarrenx sans trouver de boulangerie ouverte. Ce matin ce sera sans café ni viennoiseries. J’ai encore une trentaine de bornes avant Larribar-Sorhapuru qui signe le début de la dernière section tracée par Sam. Je me farcis quelques bonnes bosses et je sais que la journée va être ponctuée de montées jouant avec des pourcentages supérieurs à la quinzaine. Je retrouve Sven et nous parlons des forêts maléfiques. Je plaignais hier soir ceux qui auraient à se les fader au matin. Sven me raconte qu’il a fait la première hier au soir et qu’il était tellement harassé à la sortie qu’il s’est endormi dans un talus au bord de la route juste un peu plus loin. Il me dit en anglais : « les chemins avec des ronces je comprends, pas de problème, les pentes énormes où l’on pousse, ok, mais ça, c’était quoi ? Ce n’est pas du vélo !». Je décolle et m’échappe, les ailes me poussent. Je veux profiter à plein de cette journée, je sais que je vais en baver, mais je veux en baver avec plaisir. La fin de la trace est annoncée goudronnée et même si les pentes seront dures, je sais que c’est un exercice qui ne me pose pas beaucoup de problème.

Larribar me voilà ! Il n’y a rien ici mais c’est le pied d’une montée remarquable. La suite va être une succession de poussage/roulage dans les caillasses sur de jolis chemins découvrant des paysages de carte postale. Je croise quelques marcheurs, de jeunes randonneuses s’amusent à me faire la Ola quand je passe à côté d’elles. Je fais régulièrement des pauses pour profiter. Ma chérie m’envoie des messages d’encouragements pour cette dernière journée. Ce soir je passerai une dernière nuit en mode bivouac à Mendionde, puis après une journée qui sera sans doute galère dans les transports, j’aurai l’immense bonheur de retrouver ma petite famille qui m’attend à Montauban chez la belle-sœur. Elo ne voulait pas m’attendre à l’arrivée, d’abord parce qu’elle se tapait déjà pas mal de route pendant toutes ces vacances et aussi parce qu’elle appréhendait clairement de me voir arriver en mode zombie. Les images qu’on avait vu de certains finishers des éditions passées l’avait impressionnée et je suis déjà revenu bien amaigri de bons nombres de virées à vélo. Je me toise de bas en haut, je n’ai pas l’impression d’avoir maigri, je suis assez sec, mais pas plus que d’habitude (en même temps il n’y avait pas grand-chose à faire fondre à la base) et je trouve même que j’ai un peu pris du muscle à certains endroits (bon, ne regardez pas la dernière photo sinon vous aller pouffer). Avec tout ce que j’ai mangé les derniers jours, ce serait la moindre des choses et je ne me suis sans doute pas poussé aussi loin dans mes retranchements que certains participants qui finissent la divide en une dizaine de jours.

J’entame la descente après le sommet de cette énorme montée qui amène à La Chapelle de Sayarza. Une bonne partie se passe en forêt et c’est très agréable. Les parties techniques ou pentues ne sont pas trop nombreuses et ça me va bien. J’arrive plus loin à Ostabat où je vais enfin pouvoir faire une pause-café dans un restaurant qui fait aussi épicerie du village. Je prends quelques provisions même si je suis en fin de parcours - réflexe. Discussion charmante avec un couple qui est en voyage de noces et je repars.
Je continue cette dernière trace avec un grand sourire aux lèvres. Il fait beau, les maisons sont devenues typiquement basques : murs blancs, toits et volets rouges. Le paysage est doux mais pas assez boisé à mon goût. Je préfère la moyenne montagne chevelue comme par chez moi ou dans les Vosges. Ça y est, je réalise, toutes les vingt minutes je me dis : “Mais qu’est-ce que j’ai fait ? C’est complètement dingue ! J’ai traversé la France ! Une course effrénée de plus de 2000km par les chemins !”. Je cherche des souvenirs du parcours, mais à ce stade, les deux dernières semaines forment dans ma tête une boule compacte de papiers froissés, comme si je ne pouvais dissocier les moments que j’y ai vécu. C’est comme si je n’avais vécu qu’un instant intense et quasi homogène. Je n’arrive pas à sortir une émotion ou une image particulière. C’est la French et j’en suis à la fin, le temps des souvenirs viendra, maintenant c’est juste cette French que je termine et qui se dévoile à moi sous la forme d’un trophée : une boule de papiers froissés - weird.
Je passe Saint Jean-Pied-de-Port qui est bondé de monde. Pas envie de m’arrêter. Je poursuis et les chemins laissent de plus en plus place aux petites routes de montagne. Je fais une pause saucisson fromage à Iroulégy sans trop m’attarder. Il me reste moins de 40 bornes. Au lieu de m’exciter et de rouler à toute allure, je profite. Je suis bien content car je vais arriver en début d’après-midi alors que la veille je pensais que j’arriverais le soir. Rien ne presse. A vingt kils de l’arrivée je prends un malin plaisir à faire durer ma fin de divide en m’arrêtant dans une auberge pour prendre café, eau gazeuse, gâteau et glace. J’échange des sms avec Stef qui me dit : “T’es le seul mec au monde de la divide à bouffer une glace 20km avant l’arrivée Ahaha”. Ouais mais elle est très bonne et en plus je l’ai attendue. J’ai commandé deux boules et j’ai bien cru que les restaurateurs étaient aller traire les vaches pour obtenir le lait dont il avait besoin pour faire les glaces vu le temps qu'ils ont mis à me les apporter. Stef me prévient : montée typiquement pyrénéenne (c’est-à-dire parsemée de raidards qui font mal aux pattes) avant un long faux plat qui sert à rien et qui mène à Mendionde.

La montée tient ses promesses, costaud, mais je l’ai déjà dit mille fois, la route ça ne me fait pas peur. Au sommet la voiture media me croise à grands coup de Klaxons. Louis et Clément font demi-tour et me rattrapent un peu plus loin. Ils me demandent si j’ai cinq minutes pour faire la star. Séance photo en bikini puis drônage dans la descente, ça sent le podium crédit lyonnais tout ça !



Je ne peux plus retirer le sourire de mes lèvres, j’y suis, je termine. Je roule assez fort pour ces derniers kilomètres et je me dis que j’arrive plutôt en bonne forme au final. Pause obligatoire devant le panneau Mendionde et hommage aux Picard Brothers.


J’arrive au restaurant du finish sous les applaudissements, je vois Karim, Loïc et d’autres dividers. Je me retourne et là - surprise ! Ma chérie est finalement venue me rejoindre ! aux anges.
Je ne suis pas submergé d’émotions comme j’aurai pu le croire, je suis juste extrêmement bien. On échange des checks du coude avec les dividers et les organisateurs. Sam me remet le précieux t-shirt de finisher et m’annonce mon temps de voyage : 13 jours 8 heures et 45 minutes. Je m’enquille une Badoit, une pinte de bière, un Patxaran et une autre pinte en l’espace de deux-trois heures, soit plus que ce que j’ai bu depuis un bon mois sans doute.
Dino arrive un peu plus tard, puis Thomas et Jérôme, les trois mousquetaires, Sven, Nicolas et Nick, les deux derniers auront le droit à une belle saucée. Je fais la connaissance de Stefan Maertens, Patrick Lamarre et sa compagne. La soirée est amicale et bavarde. J’aurai finalement le droit à l’hôtel ce soir et pas de retour compliqué à organiser en train le lendemain. Mais surtout j’ai eu le droit à la plus belle surprise à l’arrivée qu’on pouvait me faire. On met mes vêtements de la divide en quarantaine dans une boite, j’enfile mon t-shirt de finisher.
… Voilà, c’est fini …
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Jour 13: Jeudi 20 août - 184km
(bande son: Des petits pas - Zebda)
Une fois n’est pas coutume, je vais commencer ce jour par des souvenirs d’autres jours. La fin approche, à part la mécanique du vélo qui m’interroge, je ne vois pas trop ce qui pourrait m’arrêter. Depuis que hier j’ai vu les Pyrénées au loin, mon esprit a opéré un tournant. Les images reviennent et un avant-goût de nostalgie pointe déjà le bout de son nez. Alors je vais rendre à nouveau hommage aux personnes qui sur la route nous ont encouragés. On m’en avait parlé, je m’y attendais, mais quand on est un quidam, quand on n’estime pas qu’on ait quoique ce soit d’exceptionnel, c’est un sentiment fort et surprenant que de se voir soutenir et félicité par des inconnus. Je pense que ce que ces gens soulignent dans notre aventure, ce n’est justement pas le fait qu’on fasse une chose d’exception, mais simplement qu’on ait la pugnacité d’aller au bout de ce qu’on s’est fixé. La French, c’est un sacré morceau, mais il n’y a pas besoin d’être un géant pour le faire. Certains parlent de courage, je n’emploierai pas ce mot. Pour moi il faut du courage pour réaliser quelque chose à laquelle tu ne peux pas échapper : combattre une maladie, aller au turbin quand ton boulot est chiant mais qu’il faut nourrir la famille, traverser la Méditerranée pour éviter les balles perdues .... Nous, on a voulu ce qui nous arrive, on s’est engagés seuls comme des grands pour cette aventure. Alors oui, il faut un mental proche de celui d’un guerrier et beaucoup de persévérance, mais il nous reste une bonne zone de confort. Bref, j’aime à penser que ce que nos “supporters” aiment dans la French c’est sa dimension terriblement humaine qui facilite la catharsis. Il en est d’ailleurs bon nombre qui disent vouloir participer un jour à l’aventure.
Je me souviens pêle-mêle. Un photographe dans une forêt, que je prends d’abord pour un ornithologue, avant qu’il ne me prenne pour cible puis me dise avec un regard franc “c’est fort ce que vous faites”. Un joggeur qui arrive à contre sens dans un chemin du Gers et m’interpelle par mon prénom qu’il avait lu sur Map Progress, pour m’offrir une bouteille d’eau et discuter un moment. Deux petites filles blondes dans un jardin qui m’attendent pour m’applaudir et leur père derrière qui me demande si je n’ai besoin de rien. Des gars assez louches et avinés dans le nord qui me disent avec un accent à couper au couteau : « bouai ! y veut d’l’eau ou y veut pas d’l’eau ? ». Il y a ceux dont j’ai déjà parlé et j’en oublie. Ils n’étaient pas mille, mais suffisamment rares pour apporter une touche unique à cette French Divide. Merci.
Je repars ce matin du jeudi 20 août vers 5h - 5h30 et ma lampe avant confirme son dysfonctionnement. Jour - nuit - jour - nuit - jour - jour - nuit. J’ai ma frontale pour garder une certaine continuité, mais elle devient insuffisante dans les descentes et je me fais peur sur des chemins Gravel qui ne poseraient d’habitude aucune difficulté, car je ne vois pas les trous et je n’arrive pas à appréhender les zones où le trop plein de gravier induit des dérapages incontrôlés. Je ralentis et n’hésite pas à mettre pied à terre, je ne vais pas me viander si près du but ! Je rattrape Sven, parti une heure plus tôt. Il me film quand j’arrive sur lui. Il fait sa pause, il a l’air heureux même s’il m’apprend qu’il a crevé ce matin. Nous rentrons dans une longue, longue forêt, parsemée de montées conséquentes. Stef m’avait dit que c’était roulant après Marciac, mais comme promis j'avais bipé la phrase et donc je roule assez fort sans me soucier du reste. Je perds Sven qui a plus de mal dans les montées, j’avance vraiment bien. J’arrive à Ibos où je mets à sac la boulangerie. Sven me rejoint peu de temps après et repart avant moi.

Bien repu, je repars en direction de Lourdes en mode débranché de la cafetière. J’imagine que la ville va être bondée de touristes/pèlerins et je décide de ne pas m’arrêter là-bas sauf si le magasin de vélo que l’on dit “French Divide Friendly” est ouvert. Dans ce cas je demanderai l’avis d’un mécano sur le bruit de mon guidon. J’hésite aussi à acheter de nouvelles plaquettes de freins et à faire remonter mon tubeless à l’arrière. J’ai vraiment pas envie de perdre de temps. La chambre tient bien, il ne reste pas tant de bornes alors ça devrait quand même passer pour les freins.
Je fais la boucle dans Lourdes, il y a du monde, mais pas si pire du fait de la Covid sans doute. La fin de trace GPS m’amène au magasin de vélo qui semble fermé ce qui n’est pas anormal à 12h30. Je descends tout de même de vélo et je vois le rideau métallique, qui n’était que partiellement fermé, se rouvrir comme par magie. Le gérant m’accueille et me propose de prendre le temps de m’arrêter. Je prends un café, une eau gazeuse puis discute avec lui et une de ses collègues pendant leur pause déjeuner. Ils sont très agréables et m’offrent de partager leur dessert : pêches bien juteuses. Je lui demande mon avis pour le vélo. Il pense aussi aux roulements de direction - pas grave. Les freins ? pas besoin au pays basque - ahaha j’aime les vrais VTTistes !
Je repars par des chemins bucoliques qui longent la Gave de Pau (la rivière qui traverse Lourdes). Je vois des petites familles ou des bandes de jeunes plonger dans l’eau et j’ai de subites pulsions qui me commandent de sauter avec eux sans même poser pied à terre. Ça pourrait faire une jolie vidéo et une bonne gamelle. La trace suit les chemins de Compostelle dans une version spécialement adaptée au vélo pour la plupart des tronçons. Il y a de plus en plus de pèlerins à pied et ils ne me donnent pas envie. D’abord parce qu’ils sont trop nombreux et moi je suis trop ours pour cette promiscuité. Ensuite parce qu’ils ne vont pas assez vite : il n’y en a pas un qui sera capable de me redépasser – ahaha - les nuls. Enfin parce que la plupart ont une démarche qui trahit les bobos multiples. La marche, j’adore, je viens de là, de la randonnée en montagne, et je crois que c’est plus dur que le vélo sur la somme des efforts. A vélo, tu puises sans t’en rendre compte et c’est traître. Tu as des moments d’efforts plus violent, mais il ne tient qu’à toi de les tempérer. En revanche, quand tu marches, tu portes ton poids plus celui des bagages et tu n’as pas de levier de vitesses dans les passages difficiles. En descente, les genoux, les cuisses, le dos, tout prend. C’est difficile de marche, je le fais depuis que je suis tout petit et une grosse partie du mental que j’arrive à développer à vélo s’est forgé pendant mes randonnées. J’ai déjà marché avec des novices, ils craquent souvent très vite, sur des efforts qui te paraissent anodins quand tu es habitué.
J’arrive à Bruges (mais la Belgique c’était pas au début ?) où je me pose confortablement devant une église pour manger un sandwich que j’avais dans la besace. Voilà, bouffe, patrimoine et pédale, un bon instantané de French. Un peu plus loin je m’arrête dans un bistrot où la petite famille du patron digère à l’abri du soleil. Je prends un café, une glace et ça repart. Pendant tout ce passage de Lourdes à Oloron je vais glisser de concert avec l’eau de la rivière, c’est une journée pour le Gravel, ma mère.

Oloron ! Dans ma tête ce doit être une petite bourgade charmante des Pyrénées avec tout ce qu’il faut pour se sustenter. J’arrive vers 19h, les épiceries sont fermées, je trouve ça moche et je me retrouve sur un rond-point pourri à commander de quoi manger dans une boulangerie/snack. Je n’ai pas du tout envie de m’installer par ici et j’aimerai pousser au plus loin tant que j’ai les jambes, pour avoir le moins de bornes à faire demain et profiter de la dernière journée le plus sereinement possible. Il me reste 140km à partir d’ici, en profil montagneux c’est bien trop pour une dernière étape. Je me résous à contrecœur à passer à l’hypermarché 1km plus loin pour faire des courses pour ce soir, car sur la trace je n’ai pas coché de lieu de ravito avant un bon moment. Retour au mauvais côté de la civilisation. J’arrive tant bien que mal à négocier de poser mon vélo à l’accueil le temps de faire mes courses. Je me perds dans les rayons et choisis sans trop réfléchir pour déguerpir le plus vite possible. Il est 20h, j’ai de la bouffe plein le sac, un vélo qui craque, des jambes en bon état et des scoubidou-bidou.
J’ai trouvé qu’Oloron c’était pourri et la suite va être du même acabit. Quelle zone merdique ! On passe par des espèces de bocages humides et puants qui contrastent avec ce que j’ai traversé depuis ce matin. Il y a du moucheron, des orties et des ronces. Le chemin qu’on suit est balisé VTT, mais tous les 50m il y a des passages alambiqués, sans doute pour éviter que des motos passent, où je suis obligé de passer mon grand vélo roue avant en l’air, ce qui me fera dégommer une de mes lumières arrières pour pas grand-chose. Agaçant. Plus loin je perds la trace dans une simili forêt et je me retrouve à faire prendre un bain d’ortie à mes mollets avant de remonter et de retrouver le sentier. Dans une autre forêt, je reperds la trace et je suis obligé de porter mon vélo et de remonter une pente sèche à la boussole pour retrouver à nouveau le chemin. Ce n’est qu’un avant-goût. Je ne le sais pas encore mais après “les forêts merdiques”, je vais affronter “les forêts maléfiques”.
Je m’engage dans la première et après quelques mètres, je vois un gros tronc d’arbre en travers du chemin. Je regarde à gauche, à droite, pas de chemin pour contourner, pas de problème, je soulève le vélo et je passe. Puis, quelques mètres plus loin, il y a cette fois-ci tout un tas d’arbre en travers de ma route. J’en soulève un, je penche le vélo à terre, je passe sous les autres arbres en me râpant un bras, je tire le vélo, ouf ! Je repars et je me rends compte que j’ai perdu mon GPS dans la bagarre. Je retourne à pied et je le retrouve facilement. Heureusement qu'il ne fait pas encore nuit. Mais ce n’est pas fini. Il était dit que je ferai faire à mon vélo l’équivalent d’une petite virée spéléo. Je me trouve vite en face d’une grande question “comment les autres ont pu passer ?” : un gros tronc d’arbre au sol (un bon mètre de diamètre), un autre arbre couché au-dessus, pas moyen de passer par dessus, trop de branches, forêt très dense à gauche, à droite, et seulement un espace ovale entre les deux troncs qui mesure environ 2 mètres de longueur et moins d’un mètre de hauteur. « Bon ben ça doit être par là ». J’approche le vélo au plus près de ce trou, j’y passe une jambe tout en me cognant la tête, vive le casque, je passe l’autre jambe, je tire sur le guidon d’une main en essayant de soulever le vélo par l’avant du cadre de l’autre main et j’arrive tant bien que mal à faire glisser le vélo dans cet espace et à l’en sortir indemne. Fou-dingue. Sam me dira que les années précédentes, il n’y avait pas ces “pièges” et qu’une tempête avait dû faire tomber des arbres récemment. Je fais l’état des lieux pour voir si je n’ai rien perdu et je repars. Je sors de la forêt et je rentre dans la deuxième, un peu moins maléfique mais qui sait se défendre. J’y perds à nouveau la trace, je dois porter le vélo et m’orienter au jugé, passer d’autres arbres, c’est bon, je suis prêt pour l’Ouganda Divide.
Je suis bien cuit après ces efforts sylvanesques, j’avance encore un bon moment sur des routes et chemins roulants avant d’arriver à Navarrenx. Il fait nuit, il est dix heures, ma lampe avant ne marche plus du tout. Je demande à un passant s’il y a bien un camping dans le coin et il m’indique comment y aller. La réception est fermée mais il y a un numéro. J’appelle et je suis super bien accueilli. Je m’installe pour ce qui devrait être ma dernière nuit d’itinérance, je vais prendre soin de moi avant la dernière ligne pas droite de mon voyage. Aujourd’hui, j’ai abattu du boulot au sens propre comme au figuré. Il me reste 110km demain, attention, je sais que ça va tirer, il ne faut pas relâcher.
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Jour 12: Mercredi 19 août - 163km
(bande son: Condolence - Benjamin Clementine)
Je me lève totalement démotivé. Je commence mon paquetage sans aucunes convictions. Je suis éreinté, j’ai laissé beaucoup trop de forces en Auvergne et dans le Lot. Quand je réenclenche les pédales, j’ai l’impression d’avoir deux pailles en plastiques à la place des jambes, sans aucun jus à l’intérieur. J’ai envie d’abandonner, je ne veux plus subir les descentes dangereuses et j’ai l’impression que je ne retrouverai plus jamais mes jambes tellement je suis cuit. Cet état va durer au moins trois interminables heures pendant lesquelles je serais au plus bas. Alors, comme un animal blessé, je me tourne vers ce qui me rassure. J’envoie un message à ma chérie “Envoyez moi de l’énergie, j’en n’ai presque plus ! :( “. Ni une ni deux, Elo active le réseau de résistance. Dans la foulée je reçois plus d’une dizaine de messages d’encouragements de mes proches. Enfants parents, frangins, amis, et même un tonton dont je n’ai pas eu de nouvelles depuis belle lurette. Tous ceux qui m’ont suivi m’envoient une poussette dans le dos. J’en ai la larme à l’œil et j’avance au forceps. Pas le droit d’arrêter. Si à ce moment je n’ai plus envie de finir la French pour moi, il me prend l’envie de le faire pour eux.
A 9h je m’arrête à l’entrée de l’Isle Jourdain et je dévalise une boulangerie : grand café - tarte - croissant - torsade au chocolat - jus de pomme pour remplir les pailles. Puis je reprends un café, une autre viennoiserie et enfin un sandwich pour la route. Ça y est, la cheminée se désencrasse, les jambes commencent à retourner un peu mieux. A peine 20 bornes plus loin je m’arrête à nouveau, rebelote : boulange - viennoiseries - sodas. J’engrange, je bouffe tout ce que je trouve, je crois que je vais finir par bouffer la trace. Aujourd’hui je vais danser le Gers.
Le moral est remonté avec le physique et il me pousse des ailes sur ces chemins. Je suis bien content qu’il n’ait pas plu récemment. Stef m’a prévenu que la terre ressemble à de la glaise. Ça doit être terrible quand c’est humide. Sinon le Gers c’est Gravel.
J’arrive à Auch vers 13h. L’entrée dans la ville n’est pas folichonne mais on passe ensuite par les rues qui montent dans la vieille ville et ça devient chouette. Je m’arrête sur la trace où il y a un snack libanais qui propose des assiettes de mezzés. Je me gave de feuilles de vignes farcies, houmous et autres mets délicieux et je prends le temps de laisser passer un peu les heures chaudes de la mi-journée. Avec le moral regonflé à bloc, les jeux de mots débiles et puériles reprennent en rafale avec mon Stef : “Il fait Auch à Auch” - Nul - “quitter Auch, c’est och” - facile - “L’été t’habite à Auch ?” - Gras - “Auch iote l’arbitre” - ahahah. On se retape comme on peut. Je regarde vite fait Map Progress pour me rendre compte que Thomas est repassé loin derrière moi de manière incompréhensible. Je m’inquiète. Il a dû lui arriver quelque chose. Je regarde sur Facebook si je ne trouve pas de nouvelles dans le groupe des dividers - RAS. Je verrai plus tard que son tracker est reparti ce qui me rassurera : sans doute un problème mécanique.

Ça file droit. Ce matin au fond du gouffre et maintenant plus rien ne m’arrête. Tous les cyclistes ont vécu ça, c’est juste l’amplitude du phénomène qui est énorme sur une course aussi longue. Le Gers est beau, les chemins ne sont pas toujours faciles mais j’ai fait bien pire les derniers jours. J’arrive à L’Isle de Noé où je fais un stop à une petite boulangerie. Dino arrive 10min plus tard et je l’accueille avec plaisir, d’autant que ça fait un moment que je n’ai pas vu de divider. Je lui indique la boulangerie qu’il n’a évidemment pas vu en passant. C’est Dino, c’est normal, il ne repère pas la bouffe, c’est son super pouvoir. Je repars avant lui et à l’entame d’une montée pas piquée des hannetons (expression de vieux que j’aime bien mais que je n’ai jamais comprise), je me rends compte que si j’ai le pneu collé au goudron, ce n’est plus à cause de la pente mais bel et bien parce qu’il a crevé. Pas de panique, je me mets sur le côté, je retourne le vélo, je sors la roue arrière, j’enlève la chambre à air, je trouve où se situe le trou pour vérifier ensuite qu’il n’y ait rien de coincer dans le pneu à l’endroit correspondant - c’est bon. Plutôt que de changer de chambre à air, je décide de réparer. J’ai le souvenir d’un récit de divider qui disait avoir crevé une tonne de fois avant l’arrivée et je me dis que je vais faire à l’économie, je garde les chambres neuves sous le coude. Je rustine et je teste la technique de Sioux dont Stef m’a parlé avant le départ : tu gonfles un peu la chambre avec sa rustine, tu fous du scotch d’électricien tout autour de la rustine sans trop serrer pour que ça la maintienne bien et tu réinstalles le tout. Attention spoiler, ça marche très bien, j’ai fini comme ça la French sans aucuns soucis. C’est pas si mal les chambres à air non ?
J’en profite pour frotter sur le bitume mes plaquettes de freins arrière et leur redonner un peu de fraicheur puis je remonte mon biclou. Dino a eu le temps de me dépasser, je le retrouverai plus tard pour qu’il me fasse encore une bonne blague. Je passe encore par de beaux chemins, une forêt qui n’est pas bien rangée, sans doute parce qu'on est dans la région de Marciac et que les gens ont d’autres festivals à fouetter que de s’occuper d’une forêt pardieu ! La trace nous impose encore de vilaines bosses. Je peste à nouveau contre cette fichue manie de compliquer sans arrêt le chemin quand on est prêt du but. J’ai l’impression d’être dans un jeu de Nintendo où à la fin de chaque section tu es systématiquement obligé d’affronter la bosse de fin de niveau. Ça devient lassant Sam, il faut ménager les surprises merde ! Ça tourne au concours du village qui aura la plus grosse. Bon j’arrête, je deviens vulgaire et ça m’excite. Mon vélo craque de plus en plus et lors de deux descentes je tape vilainement la fourche. Alors que les jambes reviennent, le matériel semble vaciller.

Fin de journée, j’arrive à Marciac. La ville parait très agréable avec une touche bobo bien assumée. Je vois un divider attablé à une pizzeria. Je viens le saluer sans le reconnaitre, c’est lui qui me remet : Sven, l’allemand avec qui j’ai roulé un peu le premier jour. Bien content de revoir ce sympathique gaillard. Je file au Proxi avant fermeture. Le patron essaie de me vide au plus vite alors que je m’accroche encore au rayon yaourt pour ne pas me faire déloger aussi vite. Je rejoins ensuite Sven et je partage sa fin de repas. Bon on va faire light : « tartare de bœuf, puis vous me rajouterez une pizza et un nougat glacé – merci ». Sven et moi nous racontons quelques phases de notre périple et la manière dont nous voyons la French ainsi que sa fin imminente. Sven n’est pas en mode course, comme moi, il est juste content de pouvoir finir cette épreuve qu’il trouve très dure par rapport aux autres qu’il a pu faire.
Avant de le rejoindre j’ai réussi à contacter un camping qui annonçait faire dortoir. J’arrive même en fait à réserver une chambre dans ce petit camping à la ferme. L’affaire est idéale, j’en ai un peu marre de regonfler mon matelas et une bonne nuit me permettra d’aborder sereinement ce que je pense être mes deux derniers jours sur cette French. Sven pense repartir et trouver un spot ou dormir sur la route. Il semble bien fatigué et se ravise. Je lui propose d’appeler le camping pour lui car je sais qu’il y reste des chambres. Il accepte et part un peu avant moi vers ces pénates convoitées. Alors que je termine mon repas je vois arriver Dino qui me demande où il pourrait s’acheter à manger - le sketch. Mais Dino ! il est bientôt dix heures du soir ! Je lui demande s’il a pu manger quelque chose. Il me dit que oui. En fait il est arrivé bien avant moi, il a mangé au restau, mais ça aurait été de la triche de prévoir les courses avant - sacré Dino. Il repart bredouille pour aller dormir sans doute plus loin sur la trace.
Je décolle alors qu’il fait nuit et je me rends compte que ma lampe avant n’a pas l’air de bien fonctionner. J’arrive au camping, l’accueil est super agréable et la chambre confortable. Douche, lessive, j’essaie de recharger la lampe pendant que j’engouffre encore moultes victuailles malgré le festin de roi déjà ingurgité. Mon corps est devenu un ténia à part entière. N’étant pas confiant envers ma lampe je décide de ne pas partir trop tôt. Avant de me coucher je vois que Thomas a bien repris et n’est plus trop loin. Mon grand plaisir c’est aussi de voir que Nick est aussi en train de revenir. Je m’écrase sur le lit.
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Jour 11: Mardi 18 août - 141 km
(bande son: “Cp3 Cp3 Cp3″ sur l’air d’un chant de supporter)
La nuit n’a pas été top. Entre les regonflages, les voitures ou mobylettes et la lumière de l’abri qui s’est allumée, on ne peut pas dire qu’on y mettrait trois étoiles. Pendant qu’on plie les gaules, on voit passer les frontales des trois mousquetaires qui nous saluent (je les appèleraient dorénavant ainsi, c’est plus simple, c’est pas de moi, c’est un des gars de l’équipe média qui les a baptisé ainsi à l’arrivée). Je n’en parle plus, mais j’ai toujours les précieux messages de Stef qui m’accompagnent quasiment dès le réveil. Il m’annonce qu’il me reste 90 bornes avant le Cp3. C’est beaucoup trop. 90 bornes de Lot ça équivaut à 150 bornes dans l’Allier - pff va falloir sortir les jambes et les bras pour pousser. C’est reparti pour le rodéo.
La première pause se fera à Caylus où j’arrive encore à rattraper Thomas après la descente. Ravito + café et je prends le temps de me poser pour changer les plaquettes du frein arrière qui n’ont plus grand chose dans la mâchoire. Thomas repart, il est pressé d’arriver à Puycelsi et je le comprends. J’en profite pour nettoyer mon dérailleur, ma chaîne et huiler le tout. Je remballe mon barda et décanille. Si les paysages sont magnifiques, il n’y a finalement pas tant de choses à dire sur cette section. C’est dur et toujours suivant le même scénario: une montée d’âne bâté, un peu de plat encaillassé, et une descente profilée par Edgar Grospiron. J’en chie, forcément, et il n’y a pas vraiment de phase où je peux récupérer. Comme j’ai aussi envie d’en finir, je puise dans mes forces et j’avance inexorablement. La bonne nouvelle c’est que le genou va mieux ce qui me confirme que c’est de l’ordre de la contracture. Je vais encore le sentir aujourd’hui, mais ça va passer au fur et à mesure.

Un petit passage à Saint-Antonin où je suis déjà venu pour un festival il y a deux ans. La ville est agréable mais je n’ai pas l’envie de trainer. Arrêt minute au stand épicerie bio et je file. La montée qui suit est dans la forêt avec un single en dévers, pas désagréable, mais je manque une ou deux fois de partir dans le fossé. On passe ensuite à Penne qui, pour une ville au nom de pâtes, est vraiment incroyable, un petit bijou. Bim, une bosse de dromadaire. Badaboum descente à la con vers Bruniquel. J’arrive ensuite aux cycles Pechtregon. Ce sont des artisans qui font de beaux vélos et qui m’accueillent fort sympathiquement : café, petit cake au chocolat et sneakers. Ils me dépannent d’une chambre à air car je préfère prévoir, même si la chambre que j’ai mise à l’arrière tiens sacrément bien le coup au final. Un des deux gars m’explique ce qu’il me reste à faire avant Puycelsi. Quand je l’écoute, ça n’a pas l’air si terrible, mais il m’annonce que j’en ai encore pour 1h30 alors qu’il reste à peine 15km. J’ai l’impression d’avoir déjà roulé avec le deuxième gaillard sur un love tour ou sur un autre évènement mais je n’arrive pas à me souvenir. Peu importe. Je repars et me coltine sous le cagnard la montée de Pechtregon qui est juste su-per difficile. Je pousse comme tire le mulet et je me dis qu’en fait sur cette section c’est plus le vélo qui fait de moi que moi qui fait du vélo. Cette inversion syntaxique fera bien rigoler l’équipe de Sam au Cp3 mais je vous jure que je ressentais bien profondément sa puissance sémantique à ce moment précis où les mains sur mon cintre noir, j’assistai mon destrier dans son ascension des sommets du Pech.
La trace suit ensuite une partie roulante, puis descend vers Puycelsi, sauf que, stop, stop ! stop ! Puycelsi c’est plus haut là non ? Ben oui, ça n’aurait pas été drôle de finir sur une descente non ? Donc Sam, quand il a préparé le parcours, il a bien regardé la carte, il s’est consciencieusement rendu sur le terrain, il a pris son clinomètre, il a fait le tour de Puycelsi, et quand la jauge est passée au rouge foncé, le maître a dit : “c’est par là. Faut monter par là. Si ! si ! on peut, j’ai vu un oiseau qui le faisait”. OK, OK, OK, je courbe l’échine et je prends le chemin du calvaire. J’arrive au Cp3 sous les applaudissements des clients du restaurant, je passe voir Sam et son équipe : “bon-on-on-jou-ou-our je m’a-a-a-p-e-e-e-lle va-a-a-len-en-tin et je fais du gra-a-a-vel”. Je m’assois avec eux et je suis content. Le Lot c’est fini ! Il est 14h30 et j’ai fait mon morceau de bravoure. Le patron me propose une assiette gigantesque de pâtes sauce foie gras agrémentée d’œufs aux plats, que je regarde avec enthousiasme même si mon petit doigt me dit qu’elle est bien trop copieuse pour un repas de la mi-journée. Thomas vient me saluer et je mange à côté de Thierry qui ne fait pas l’épreuve, mais qui dans la catégorie mot d’esprit m’a tout l’air d’être un champion comme je les aime. Le moment partagé est bien sympa, comme à chaque fois que je vois des gars de l’équipe - on ne les voit pas assez les monos dans cette colo. Je m’inquiète un peu pour mon vélo qui se met à craquer dès que je tourne le guidon. Pour Sam il s’agit des roulements ce qui ne devrait pas m’empêcher de finir le parcours.



Je passerai bien l’après-midi ici mais il faut avancer. Le Cp3, c’est pas le finish. Je refais le plein d’eau et quitte les copains un peu à contrecœur. Thomas est parti une demi-heure plus tôt et tout le monde m’a dit que la suite était roulante. Le moral est donc plutôt bon mais je vais prendre une claque aussi sec. Comme je l’avais soupçonné, la quantité de pâtes étaient bien trop grande et je me suis fait avoir comme un bleu, ça me plombe. On est toujours partagé entre le moment présent où l’on a envie de profiter sans calculer et la raison, qui puise dans l’expérience pour nous dire qu’on est en train de faire une belle connerie qu’on va finir par payer. Le chemin juste après Puycelsi monte salement. En fait c’est pas du tout roulant et je dois pousser comme si je me retapais le Lot en sens inverse. Je jure et je maudis tous ceux qui m’ont dit que la difficulté était passée. Le terrain est super chiant et j’en ai marre. Alors que j’étais béat à Puycelsi, je suis à deux doigts d’abandonner une heure plus tard. Mon moral évolue comme les courbes de la trace. Je me fais la promesse qu’à partir de maintenant la phrase “tu verras c’est roulant à partir de là” serait bipée à chaque fois que je l’entendrai. Tout ça c’est de ma faute. J’essaie de me rassurer en glanant des infos comme un gamin qui demande : “il va être dur le prochain contrôle de maths tu crois ?”. Il faut que je me ressaisisse et me rappelle que les moments où j’ai le mieux roulé, ce sont les moments où je ne regardais pas devant moi, j’avançais sans rien calculer. Je vais devoir retrouver cet état d’esprit sinon je vais finir maboul ou alors je ne vais pas finir cette French.
Il y a encore quelques bonnes bosses mais les chemins deviennent cette fois plus roulants. J’ai quand même énormément de mal à pédaler et je ne prends plus beaucoup de plaisir. C’est la défaite. Ce serait ahurissant d’abandonner alors que j’ai passé le plus dur, mais pourtant l’envie est partie. A ce moment même, j’ai du mal à trouver encore du sens à ce que je suis en train de réaliser. Je suis juste épuisé. Stef est derrière moi, ma chérie aussi, mais je ne sais pas si ça va suffire.
J’arrive vers Villemur-sur-Tarn où je comptais trouver un camping ou un hôtel, mais la ville ne me plait pas du tout. Je fais des emplettes dans une supérette dont le gérant m’indique un endroit qui, pour lui, fait peut-être camping, mais je sens le plan foireux et je n’ai pas envie de perdre du temps inutilement. Je reprends le guidon. Je sais qu’il y a une série de villes ou villages qui m’attend, donc je ne m’en fais pas trop, même si je n’ai pas repéré de camping dans le coin lorsque j’ai fait mon road book. C’est étrange, les lieux que je traverse maintenant sont vraiment radicalement différent de ceux de la section précédente et je ne m’y sens pas très bien. Je trouve l’ambiance moins accueillante. Je croise sur la route des gens du coin qui flânent et je leur demande s’ils ne connaissent pas un coin où dormir. Ils sont très sympathiques, regardent sur leurs smartphone les chambres d’hôtes éventuelles en commentant le prix et les personnes qui proposent ces services. C’est assez drôle, on se croirait dans un film de Pagnol où les histoires de voisinage sont prêtes à ressortir par la force des choses. Finalement une des comparses me dit que je ferai aussi bien d’aller au stade de foot du village (Vallaudric) qui est un endroit tranquille avec de l’eau. L’idée me plait, le stade de foot étant passé depuis peu dans le top five de mes spots de bivouac.
Je file à Vallaudric et me pose dans un bistrot où l’on me sert des tapas créoles. La patronne doit venir de la réunion et je me régale. Elle est installée avec des amis sur une table à côté. Ils ont l’air bien sympathiques. Les flâneurs que je venais de rencontrés se joignent à eux en clamant au passage “mais c’est notre cycliste !”. Encore une fois l’accueil dans nos petits villages français n’a pas dérogé à la règle. On est peut-être des râleurs dans ce pays, on a peut-être mauvaise réputation, mais bordel, quand on prend le temps d’aller les uns vers les autres, ça rend les choses plus faciles ! J'observe les femmes qui m’ont renseigné tout à l’heure. Elles ont une bonne cinquantaine bien passée à mon avis, mais à les regarder j’ai l’impression de voir de jeunes filles folledingues et je suis attendris par leur simplicité.
Je finis la soirée en m’installant au stade de foot où je passerai une très bonne nuit malgré les classiques regonflages de matelas qui ne m’empêchent cependant guère plus de me reposer à ce stade de l’épreuve.
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Jour 10 : Lundi 17 août - 130km
(bande son: Humble - Kendrick Lamar, rien à voir avec Patrick, enfin je crois)
On se réveille vers 5h tout humides. J’ai les jambes raides mais pas de douleurs et le moral est un peu meilleur. On remballe et on va prendre un café/viennoiseries à Beaulieu. Thomas arrive sur nous, il a déjà enquillé ce matin les 20km qui nous sépare d’Argentat. Il est solide ce gars. On décolle sachant que les emmerdes vont commencer aussi sec. On ne va pas être déçu. On entame par une montée en mode poussage dans un mélange de caillasse, d’herbes et de ronces. C’en est drôle tellement c’est éloigné de la pratique du vélo. Les jambes ne semblent pas trop mauvaises et je pars un peu devant. On monte, on pousse, on descend c’est assez rude.


On traverse de beaux villages et d’ailleurs le pays est superbe. Plus loin Karim me repasse devant, tandis que Thomas continue à son rythme derrière. J’ai une douleur au genou gauche qui est apparue dans la matinée et qui m’inquiète. Je n’arrive pas encore à comprendre si c’est une tendinite ou une contracture. Il s’avèrera que le diagnostic conforme est le second et que je me suis fait ça à force de me crisper sur la pédale en descente. On a tous un appui préférentiel quand on descend sans pédaler et moi c’est la jambe gauche. Du coup je m’efforce de changer cet appui, moi qui ne suis déjà pas à l’aise dans cet exercice, imaginez que j’en suis ravi. Du coup j’ai mal quand je pousse à pied et dans le Lot on ne peut pas faire l’impasse sur cet exercice. J’ai aussi un peu mal en danseuse ce qui est plus problématique. Faut comprendre que je suis une starlette de la montagne moi, une danseuse étoile. Quand je grimpe, j’alterne sans cesse les positions et je suis capable de rester très longtemps en danseuse - mais là, je suis privé de joujou. Heureusement quand je pédale assis ça va. Je sais que si je mouline sans forcer, ça passe, et mieux encore, ça soigne. A force, on se connait, tous ces petits détails issus de l’expérience vous permettent d’avancer encore et toujours. Et l’on bénit les sorties passées où l’on a souffert pour apprendre.
J’arrive sur Rocamadour et je retrouve Karim qui vient de s’arrêter au bar. On boit un coup, on mange et je le préviens que la descente à venir est dangereuse. On est dans un des villages les plus touristiques de France et il va y avoir du piéton à éviter. Bon moi je ne m’inquiète pas trop parce que je me doute que pendant la descente je vais faire partie des piétons. Nous partons et la descente est en effet très technique. Je crois qu’à partir de ce moment-là je ne reverrai plus Karim qu’à l’arrivée à Mendionde. Après la descente m’attend une nouvelle montée de poney où je dois pousser. Les enfants d’une famille de marcheur devant moi crient “attention vélo” et j’ai envie de leur dire qu’ils ont un peu le temps de me voir venir. Je douille à nouveau du genou. Je remonte sur le vélo pour pédaler dès que c’est possible même quand ça parait difficile car c’est ainsi que j’ai moins mal.


Grosse pause en fin de section à Labastide-Murat. Je m'installe au seul restau du coin avec Thomas qui m’a rattrapé. Nous mangeons et buvons copieusement. J’en profite pour filer un sac poubelle au barman qui me le remplit de glaçons et je me cale ce bloc de froid improvisé sur le genou gauche pendant toute la durée de la pause. C’est ici que nous verrons pour une des premières fois 3 dividers qui depuis le début de la French ont décidé de rouler ensemble et qui s’y tiendront jusqu’au bout, ce qui est assez fort : Olivier, Quentin et Christophe. Pendant plusieurs jours on se croisera régulièrement et sans leur retirer quoique ce soit, j’avoue égoïstement que ça m’a un peu boosté de les avoir croisés, puis finalement peu à peu dépassés, car les premiers jours ces gaillards m’avaient facilement mis une journée dans la vue. Comme je l’ai dit dans les chapitres précédents, Thomas, Karim et moi sommes monté en puissance et même si on ne fait pas la course, on a toujours un œil sur l’évolution de chacun car ce genre de petit détail peu vous donner le coup de pouce moral au moment où vous en avez bien besoin. On se ravitaille ensuite au supermarché du coin et on repart pour la section de la mort qui se termine à Puycelsi où nous attend le CP3. Je sais déjà que ce ne sera pas pour aujourd’hui. Il est 15h et ce qu’on vient de faire n’était qu’un avant-goût de ce qui nous attend.

Mon Gravel n’est vraiment pas dans son élément par ici - et moi donc. Ça tabasse sec dans les descentes. Il y a beaucoup de caillasse, mais finalement je gère à peu près correctement. Dès que c’est trop dur je n’ai aucun orgueil qui m’empêche de poser pied à terre, le seul problème est que ça me fait mal. Quand la pente n’est pas trop sévère, j’arrive à piloter et j’y prends même un plaisir un peu sadomasochiste vu que je me sens dans la peau d’un parkinsonien au volant d’un marteau-piqueur. J’ai même la belle surprise de rider un superbe single dans la forêt où je prends mon pied. Pour les montées on est tous à la même enseigne. Étant randonneur à la base et ayant de grandes guibolles, je ne me débrouille pas trop mal sur cet exercice, mis à part aujourd'hui puisque, comme je l’ai déjà dit dix fois, j’ai mal au genou.

Thomas ne tarde pas à me lâcher car si on avance à peu près au même rythme en montée, je perds un temps de dingue sur les descentes. Je prends mon temps, je profite du paysage, la chaleur est rude mais supportable et on n’est quand même pas si malheureux ! Je passe en coup de vent à Vers (j’aurai bien aimé écrire « il pleut à Vers », mais bon) et je m’élance dans un nouveau poussage de biclou. En haut de la bosse je fais une courte pause et je regarde mon portable. Je vois que j’ai eu un appel en absence de Ben mon poto de Thonon. Il m’avait déjà envoyé un message bien sympa d’encouragements et m’avait dit qu’il était dans le Lot avec Marie et les enfants et qu’ils essaieraient de me capter sur la trace. Je suis dans mon rythme de contre-la-montre et j’hésite à le rappeler avant de réaliser que je suis vraiment con. Je peux bien prendre 2 putains de minutes pour répondre à un pote qui essaie de me faire plaisir non ? Redescend un peu mon garçon. Je l’appelle et il me dit qu’ils viennent de me rater à Vers (où il ne pleut toujours pas ahaha) et qu’ils m’attendent au prochain pont. Génial ! Je remets une dent tout en essayant de ne pas trop m’exciter, ce serait con de me planter dans la descente, par ailleurs sévère, juste à ce moment-là. J’arrive au pont et je vois toute la petite famille qui m’attend en applaudissant avec un sourire grand comme ça - non, comme ça. L’arrêt est super chaleureux et me donne un sacré coup de peps. Je repars comme un seul homme, d’ailleurs je suis seul, mais ragaillardi.

Je retrouve Thomas victime d’une grosse fringale qui se ravitaille en eau dans une montée. Je l’attends et on s’entend pour faire route ensemble puis se trouver un spot de bivouac à deux. Dans la pampa c’est quand même toujours plus rassurant. J’ai fait dans les 110km et je veux en faire encore un peu pour anticiper la difficulté du lendemain. 130 ce serait bien. On avance jusqu’à Concots et Thomas est fatigué. Je le suis aussi, mais les chiffres restent les chiffres et bêtement je le stimule pour qu’on pousse jusqu’à Bach, hameau qui a quand même un nom de prestige. Il fait presque nuit lorsque nous arrivons et nous tombons sur un préau pour pèlerin qui dispose d’un grand lavabo, de bancs très inconfortables, d’une table et de toilettes - au top. Normalement il y a un espace plus bas pour planter les tentes, mais on n’a pas de tente et on décide de dormir sous ce préau pour être bien abrité. Pendant qu’on s’installe, une jeune femme sortie de nulle part vient faire sa vaisselle et se laver les dents au robinet. Elle nous regarde un peu bizarrement. On n’a pas compris où elle est installée, sûrement pas en tente, peut-être dans sa voiture où dans une maison plus loin qui n’aurait ni eau ni électricité. Plus tard j’ai bien cru l’entendre beugler “putain d’enculés de campeurs ! On peut même pas aller chier tranquille à cause d’eux ! “. Bon, ok, c’est vrai qu’on squattait près des toilettes, mais là, à part à venir nous le demander gentiment, on n’allait pas s’écarter 15min comme si de rien était pour que madame puisse démouler son cake sans oreilles indésirables dans les parages. Bref, on se fait un bon petit repas et dodo, réveil programmé à 5h. Je me cale dans mon matelas dégonflable avec accoudoir incorporé en me disant que sur du béton, je ne vais pas échapper à 3 ou 4 regonflages dans la nuit. Les jambes tirent et j’espère que le genou gauche va bien profiter de la nuit pour se décontracter.

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Jour 9: Dimanche 16 août - 193 km
Je me réveille encore boursoufflé de sommeil dans mon petit abri de luxe improvisé. J’ai envie de prendre le temps, pas de me presser. Il pleut dru dehors et la météo annonce que ça devrait se calmer, mais je ne sais pas si c’est dans une heure ou trois. Je me prépare doucement, ça me va bien. Lorsque je suis prêt il pleut encore mais un peu moins fort. Comme je me suis réveillé assez tard, je pense aller au centre et profiter du mauvais temps pour me ravitailler sans me presser, puis me caler un bon petit déjeuner dans le paletot. Je mets ma veste imperméable et je pique deux trois sacs poubelles ramasse-crottes-de-chiens en libre-service au camping, que je me garde afin de me fabriquer des surchaussures au besoin. J’ai depuis longtemps tendance à être assez veinard avec la météo et ça se confirme. Je prends mon vélo, je sors du camping et il s’arrête de pleuvoir. T’es un killer Berthier !

J’arrive en ville et je tombe sur une boulangerie qui fait des croissants gigantesques pour sa devanture. Muffin au myrtille (le muffin s’avère être pour moi un très bon carburant le matin), croissant, café, oh yeah ! Je file ensuite au Proxi du coin qui ouvre juste pour moi. Parfait ! A la sortie je croise Thomas, toujours combatif, qui a réussi in extremis à trouver à manger et où dormir hier au soir. Je décolle pour la montée de la Tour d’Auvergne. Ça passe crème comme disent les jeunes. Je rattrape Martine et Jérôme par des chemins d’herbes humides que je trouve bien agréables. La montée ne me semble ni trop longue ni trop dure. Je suis bien. A la Tour d’Auvergne je passe devant Nicolas qui vient de se ravitailler (je vous avais prévenu, cet homme est partout), puis j’enchaîne sur la descente. Les paysages sont superbes. On passe par les lacs de Lastioulles, ça roule, ça glisse, le sourire est revenu.

Je cale mes avant-bras sur le guidon et j’adopte ma position préférée sur le plat, les jambes tournent toutes seules. Grosse partie sur piste cyclable avec des barrières à la con qu’on doit esquiver tous les 500m, j’arrive à Ydes et la fin de section de mon GPS m’amène au diable Vauvert - erreur de trace - je suis obligé de rebrousser chemin. Je me pose au PMU qui est au début de la trace suivante et je me goinfre. Malheureusement la section suivante commence par une punaise de bosse et je regrette le trop plein que je me suis fourré dans le bide. Karim me dépasse, il a l’air tout frais, et comme je l’ai dit plus tôt il est en train de monter sacrément en puissance. Plus loin ça redescend, puis on entame une montée qui commence avec un panneau qui signale l’arrivée dans le département de la Corrèze. Au moment précis où je lis “vous êtes en Corrèze”, une vingtaine de moucherons vient s’agglutiner à mon visage. J’ai l’impression que la horde a été dressée par des membres de la Corrèze Libre, pour bouter les étrangers hors de leur département “bbzzzz dégage avec ton vélo. bbzzz t’as rien à faire chez nous”. Mais laissez-moi mouches de malheur !

La suite se passe plutôt bien, les jambes sont assez bonnes. C’est une journée où je croiserai et recroiserai beaucoup des dividers cités les derniers temps. La course a lissé les niveaux et grosso modo on voit souvent les mêmes têtes pendant plusieurs jours. On se perdra tous dans les fourrés à essayer de trouver un chemin de la trace vers Lapleau, sans succès, merci Sam pour la feinte.
Nous passons en Dordogne et ses villages en “ac”, ça montac, ça descendac, c’est pas possible, mais dès qu’il y a de la pente, les gars de la DDE du coin ne peuvent pas s’empêcher de tracer la route en ligne droite. Faudrait qu’ils viennent faire un stage par chez moi les bougres, on leur apprendrait à faire leurs lacets. Bon mais au final ça reste assez roulant car il y a beaucoup d’asphalte. J’avance bien.
La journée se termine et j’arrive à Argentat où je retrouve Karim et Dino attablés à un Kebab. Je me joins à eux pour une pause bien agréable. Dino n’en peut plus et veut trouver un hôtel. Moi je pense avancer encore un peu et trouver un spot au hasard pour dormir. Karim hésite et comme l’hôtel qu’il essaie de contacter ne répond pas, il décide de se joindre à moi. On se motive même pour aller jusqu’à Beaulieu-sur-Dordogne 20km plus loin si on a assez de forces. On repart de nuit et j’ai toujours les jambes. Je me mets devant et j’envoie les watts. Karim a plus de mal sur le plat mais il suit quand même sans sourciller. Tentative infructueuse sur un camping au bord de la route (personne à l’accueil et le gros portail ne nous inspire pas confiance, s’il ferme pendant la nuit on va rester bloqués un moment avec nos vélos). Alors qu’on croit être arrivé à Beaulieu, Sam nous sort un raidard dont il a le secret, histoire de bien nous calmer avant le dodo. On traverse la Dordogne et nous voilà à Beaulieu. On avise le premier camping sur la droite après le pont. On passe voir à l’accueil mais il est déjà bien tard, il n’y a personne. Tant pis, on va resquiller dans ce camping 4 étoiles bien calme. On finit par trouver des emplacements tout près des sanitaires. La nuit va être humide et froide, c’est clair, on est tout près de l’eau, mais on n’est pas mal. Douche, bouffe, soins et compagnie, mes fesses ont l’air d’aller de mieux en mieux, c’est cool. J’évite de laisser mes vêtements sécher à l’air libre car ce soir ça ne va pas le faire. Maintenant il faut récupérer, les deux jours qui viennent vont voir arriver le terrible Lot, la terre du milieu, l’antre du diable, le précipice de tous les espoirs - ça vous fait peur à vous aussi ?
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Jour 8: Samedi 15 août - 153km
(bande son: stupeflip vite ! - stupeflip)
Samedi 15 août : une semaine que je suis en vadrouille. Je ne vais pas mentir, je ne suis pas au stade où je me dis “déjà, comme ça passe vite !”. Je suis plutôt à me rendre compte qu’il reste encore au moins 7 jours à en chier et j’oscille entre le fait de trouver ça trop long ou enfin acceptable. La dureté de l’épreuve se fait ressentir. Il faut tenir. Si les bons moments sont indéniables, je compte aussi le temps qu’il me reste avant de revoir ma famille et de me laisser le droit de buller. Sur la French on se fait l’esclave de son challenge.
Je quitte mon château situé à 240m d’altitude. Je ne le sais pas encore, mais c’est aujourd’hui que j’atteindrai les 1400m au point culminant du tracé de Sam. Stef m’a prédit que j’allais prendre cher en Auvergne, mais mon expérience du Morvan me rend confiant. Je pars vers 5h, ça monte, ça descend. Mon poto m’a prévenu qu’il y avait une descente super dangereuse entre Fleuriel et Chantelle. J’ai l’impression que toutes les descentes sont devenues dangereuses et finalement le fait qu’on m’en signale une me rassure, je me sens autorisé à la faire à pied - comme un gamin. Je trouve ladite descente à l’entrée de Chantelle, dangereuse mais jolie, et le village médiéval qui suit est très beau mais il se mérite à la suite d’un bon poussage de vélo.

J’avance assez bien et je me retrouve à Charroux où je fais un arrêt ravitaillement conséquent (boulange + supérette) car je sais que dans le Massif Central, je ne trouverai rien pendant un bon bout de temps. La supérette, comme beaucoup d’épicerie de villages que j’aurai traversés, semble hors du temps. J’y retrouve une vieille bière sur le nom de laquelle je m’amusais plus jeune à broder avec des copains le slogan ironique de ma non-célébrité :“Valstar superstar !”. On se moque parfois, mais les supérettes avec les boulangeries sont devenues les poumons des villages français abandonnés de tous. On a pu le voir sur ce parcours, mais j’ai pu aussi en faire l’expérience lors de nombreuses autres virées à vélo, en particulier dans les régions vidées par l’exode rurale. Je me souviens d’un arrêt dans une ville de Nièvre dont les immeubles du centre-ville trahissaient une importance passée. Tout était fermé sauf une supérette qui ne payait pas de mine. A l’entrée je rencontrai une vieille dame qui me dit : ” Ah ben vous avez bien de la chance que ça existe ces petits magasins - y a plus rien - y sont tous partis - nous on n’a plus que ça”. Et les vitrines des magasins autour étaient en effet poussiéreuses - triste.
Je repars et un peu plus loin je fais un dernier arrêt à la boulange d’Ebreuil pour me laisser séduire par un morceau de pizza à la viande, trop gros, mais je ne peux résister. Je l’avale et je repars avec du plomb dans le ventre. Ce n’était pas une très bonne idée. Un peu plus loin, j’entame une descente bien caillouteuse dans laquelle je file comme un seul homme car aujourd’hui j’ai un peu repris confiance sur le vélo. Soudain j’aperçois un tracteur remonter la pente. Je ne me désunis pas et passe en force sur le côté, puis je poursuis la descente à toute berzingue, pas mécontent de mon pilotage sur le coup. Mais quelque chose cloche. Je me retourne et vois le pneu arrière qui fait grise mine : le liquide préventif a giclé de partout. « Crevaison à l’arrière du peloton ! » Je ne m’affole pas, j’avance jusqu’à un coin d’ombre, je pose le vélo et je fais la petite manip qu’on m’a appris. Tu bouches 30s avec le doigt, tu fais tourner la roue 30s et rebelote plusieurs fois. Bon … pas sûr que ça marche, le trou est gros. Je regonfle un peu, je fais rouler le vélo - pschitt. Je recommence plusieurs fois, Stef m‘a dit qu’il fallait être patient (je suis passé au tubeless depuis peu, j’ai donc peu d’expérience, je ne peux me fier qu’à ce qu’on m’a dit). J’ai bon espoir même si c’est très long, mais au nième regonflage, une partie de la valve s’expulse et le pneu se dégonfle entièrement. Je n’arrive pas à remettre se bout de valve qui s’est simplement cassé et je me résous à passer en chambre à air. Pendant que je finis mon bricolage, je vois passer Dino (pour la première fois), puis Nicolas, Loïc et enfin Karim. J’ai perdu plus d’une heure et demie et le seul bénéfice de cet arrêt c’est que j’ai eu le temps de digérer ma pizza et que je me suis un peu reposé.
Je repars donc assez frais et je rattrape assez vite Nicolas. Pendant les jours à venir, je serai toujours surpris d’avoir à nouveau à le dépasser, ce gars-là est un guerrier, il ne roule pas vite mais apparemment longtemps. Je crois qu’il a un super pouvoir : il peut dormir n’importe où. J’apprendrai plus tard qu’il est rompu aux voyages d’aventure en solo, c’est un costaud. Pour le vélo, j’espère que la chambre va tenir et que je ne vais pas avoir vingt mille crevaisons. On est le week-end, aujourd’hui c’est férié et de toute façon le premier bouclard est à la Bourboule, bien trop loin pour y arriver avant la soirée.
Je rentre dans le vif du sujet et j’atteins bientôt une belle et longue forêt d’Auvergne. Je retrouve Dino qui a l’air désespéré. Dino, c’est un grand et jeune gaillard flamand mais surtout une grande farce culinaire. On va bien en rire pendant le voyage avec Karim et Thomas car presqu’à chaque fois que l’un de nous le rencontrera, Dino sera en galère de bouffe. Là il est parti à l’assaut de l’Auvergne, un jour férié, avec trois cacahuètes et il est désespéré. Je ne compte pas lui filer à bouffer car j’ai pris juste ce qu’il faut pour moi et que je ne sais pas combien de temps je vais rester dans ce massif. De plus, ça fait partie de la French de se démerder pour le ravito. En revanche, j’arrive à lui faire comprendre (il ne parle pas français), qu’il a une chance de trouver un restau à Vulcania qui est à 10kils de l’endroit où l’on se trouve. Je redémarre et il me suit. J’ai de bonnes jambes et je roule bien et ce qui est hallucinant c’est que, malgré la fringale qu’il est censé avoir et la triste mine qu’il affiche, Dino roule vraiment très fort - on n’est vraiment pas tous fait pareil. On arrive à Vulcania et là je n’y comprends rien. On s’enfonce dans l’interminable parking jusqu’à se rendre compte que le parc est de l’autre côté de la route et qu’on doit rebrousser chemin, Je lui fais comprendre où est le restau et le quitte en bonne condition pour qu’il se rassasie. Il me dira plus tard qu’il y avait du monde et qu’il n’a finalement pris qu’un coca dans ce restau. Tout ça pour ça ? Ce mec est incroyable, je ne sais pas comment il fait.
Je poursuis et je fais une pause bouffe sur le chemin. Plus tard, pause à Olby ou Ceyssat, je ne sais plus, je trouve une tarte aux myrtilles dans un snack bio et je m’arrête dans une épicerie un peu plus loin où j’achète un saucisson et une tranche de saint Nectaire que je bouffe sur place. S’ensuit une montée interminable jusqu’au col de saint Laurent. C’est régulier mais vraiment très long et la fatigue se fait sentir. Je me crois arrivé au sommet, mais non, ça repart. le relief jouera ainsi avec moi deux ou trois fois. Thomas et Karim me diront plus tard avoir pesté de la même manière sur ces fausses joies. Sorti de la forêt, les paysages deviennent enfin magnifiques. Jusqu’à présent la trace en Auvergne m’a déçu. On n’a eu le droit qu’à une courte vue d’ensemble sur la chaine de volcan, le reste était dans des forêts, certes agréables mais pas au niveau de celles du Morvan. Ça fait du bien de s’en mettre plein les yeux mais j’avoue être tellement fatigué et obnubilé par les descentes à venir, que je n’en profite que très peu.


La première descente est beaucoup trop technique. Je la fais à pied et ce n’est pas de tout repos que de retenir un vélo chargé de plus de 20 kilos. Il y en a ensuite une en forêt où je prends à nouveau trop de vitesse à mon goût, je prends une caillasse sur le tibia gauche pour la deuxième fois de cette French. Je gueule. Je suis fatigué et pas rassuré, je peste. En bas je croise Dino arrêté à une table de camping, toujours l’air dépité, une canette de coca et un paquet de chips en main. Puis ça remonte sur 3km. Ensuite j’ai le droit à une descente aménagée pourrie sur de la petite caillasse, genre gravier. Il y a du monde et des barrières des deux côtés, ça va vite et ça me stress, j’ai peur de ne pouvoir m’arrêter et de foncer dans des piétons, je dérape, bref c’est la merde. J’ai envie de tout arrêter et je ne suis absolument plus lucide.
Plus loin, dans une autre descente, un cycliste est arrêté. Il me prend en photo, me félicite. C’est un ami de Martine et Jérôme Chartier, couple que j’ai croisé lors des montées du mémorial avant Verdun. Je poursuis la descente et je croise trois jeunes femmes postées dans un virage qui m’applaudissent. Il suffit vraiment d’un rien pour regonfler un divider. « Bon ça vaut le coup merde cette aventure quand même ! ». Ou comment passer du froid au chaud.



Je finis tant bien que mal la descente sur La Bourboule et, épuisé, je me mets en quête d’un restau. Je retrouve Karim qui m’apprend que Thomas est loin derrière. Nous sommes très mal accueillis par la gérante d’une pizzeria et nous nous rabattons sur “le Rustik” qui porte bien son nom. La bouffe est pas top mais l’accueil sympa, très rustique mais sympa. Je mange comme deux, so does Karim - donc ça fait 4 couverts ma bonne dame - et Thomas, qui a dû se taper la descente de nuit, arrivera trop tard pour avoir le droit de se faire servir - dur. Avec Karim on échange pas mal sur nos derniers jours où l’on s’est très peu vu. J’en profite pour lui parler de mes appréhensions en descente et de l’état peu rassurant de mes freins. Il me donne quelques bons conseils pour freiner de manière plus sereine.
Mes deux compères ont réservé un hôtel et moi je me mets en quête d’un camping. Je sais qu’il va y avoir de l’orage donc il faut que je trouve un lieu avec abri. Au premier camping je tombe sur une conne qui me répond ahurie que “non il n’y a pas de place - ahaha - parce que quand même c’est le 15 août quoi et que tout est plein alors”. Je me casse. Je suis serein et je me dis que si je ne trouve pas de camping, je me fourrerai sous un abri quelconque sur la route. Je passe devant un camping fermé. Au détour d’une route je croise une chatte et sa dizaine de chatons qui me regardent passer. Je décide de tenter ma chance une dernière fois sur un camping. J’arrive devant le portail et je vois un petit bonhomme qui s’avère être le patron. Je lui expose mon cas pendant que sa femme sort des sanitaires qu’elle est entrain de désinfecter. Le couple est adorable. Ce sont les auvergnats de la chanson de Brassens. Ils m’accueillent sans sourciller et quand je leur demande s’ils ont un endroit abrité quelque part, ils me proposent d’aménager la salle de jeu rien que pour moi. Je suis comme un coq en pâte. Je vais pouvoir me refaire cette nuit. Je suis bien content même si je me sens las de me faire peur dans les descentes, surtout que le Lot tant redouté arrive à grand pas. J’échange un peu avec Stef qui essaie de me rassurer, il avait raison au final, j’ai pris cher en Auvergne sur tous les plans. Bouffe, douche, soin, dodo comme une masse, même si le matelas se dégonfle.

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Jour 7: Vendredi 14 août - 158km
(bande son: La suite - 1995)
Fini d’blaguer on passe à la suite. Vous reprendrez bien un petit bout de Morvan ? Reste en effet une bonne bosse après Mèvres, puis une deuxième : un bon 40 km avant que ça ne devienne roulant. La première se passe dans une forêt que nous rebaptiserons d’une voix inquiétante : “la forêt des frelons”. J'ai en effet été accompagné 4 à 5 fois par des frelons le long de mon chemin, m’obligeant plusieurs fois à mettre un coup de rein pour leur fausser compagnie. Bizarre, de si bon matin. C’est aussi je crois dans cette forêt que j’ai dérangé un hibou qui s’est mis à voler au-dessus de moi - magique. J’arrive à un lac en pleine nuit avant la fin de cette première bosse : l’étang de Vauvillard après vérification sur la carte.

Suit la deuxième bosse et encore un peu de relief jusqu’au kilomètre 80. C’est après la deuxième bosse je crois que je prends une gamelle. Je crois perdre la trace dans une descente et du coup je prends un chemin qui la coupe mais je me retrouve dans une descente super raide et glissante. Le vélo heurte le sol et le guidon semble bloqué C’est en fait seulement un des bidons de côté qui s’est glissé dessous le cadre et qui bloque le tout - ouf. De mon côté je me suis fait un peu mal à l’épaule, au coude et à la jambe mais vraiment rien de bien grave. Je le dis depuis un petit moment déjà, les descentes me font de plus en plus flipper. Cette gamelle ne va pas arranger les choses. C’est même le début du seul doute qui va persister pour moi dans la French : est-ce que je ne me mets pas inutilement en danger vu mon matos et mon niveau technique ?
Le vélo a un souci, il faut que je règle les vitesses et que je change les plaquettes de disques du frein avant qui m’ont l’air de ne plus bien réagir. J’arrive à Toulon-sur-Arroux et je commande un café croissant pour reprendre mes esprits. J’ai le moral assez entamé et j’ai laissé des forces dans la première bagarre. Je fais un ravito puis m’installe dans une ruelle près des chiottes publiques pour faire la bricole sur mon vélo. Petite ruelle sombre où les passants croisent un pouilleux penché sur un vélo à l’envers.
C’est reparti, je sais que pour un temps je vais avoir du répit car le parcours qui suit qui va être moins accidenté.
Je rentre peu à peu dans l’Allier et dans mon souvenir ça devient de plus en plus agréable. Je prends un rythme de course qu’il m’arrivera souvent d’adopter. J’avance, j’avance, le cerveau est débranché - avec ou sans musique - et je suis pris dans une espèce de nécessité d’avancer et de ne pas perdre de temps. Quand je m’arrête pour un ravito, je sens ma respiration qui reste sur le rythme que j’avais en roulant, comme s’il ne fallait pas que je le perde. Je sens que moins je m’arrête plus mes jambes restent affutées. C’est finalement un peu comme en ce moment où j’écris dans une forme d’urgence et que je ne veux pas m’arrêter pour ne pas perdre le rythme du récit. Je crois que je touche de loin à ce qui doit faire le quotidien des cadors de l’ultra. Sauf que moi, il y a des moments où j’ai quand même envie de faire une grosse pause saucisson, salade-tomate-ognion. On est aussi venu pour manger bordel ! J’arrive à Bourbon-Lancy et je me ravitaille. Je cherche un spot pour manger peinard. Je m’arrête dans un parc mais un nuage de pluie me rattrape et j’ai pas envie de manger comme un con des pâtes et des crud trempées dans l’eau. Je remballe, je bouge, j’arrive dans une zone de loisir proche du fleuve - géniale - mais pas d’abri en vue. Peu importe, j’avise une table sous un saule, j’ai déjà mis mon imper, la pluie n’est pas forte et c’est au plus un régime d’averse qui se profile. Et là je profite. La pluie se calme, il fait bon et j’ai à manger.

Le reste de la trace est très roulant, parfait pour le Gravel. J’en profite pour passer pour la première fois un coup de fil à ma chérie qui est avec les enfants, puis à mes parents, tout ça en roulant grâce aux écouteurs. Ça fait un bien fou de les entendre et d’échanger plus longuement. Elo me raconte comment ça se passe “derrière les écrans” et je suis touché et tout émoustillé de savoir qu’il y a pas mal de monde qui me supporte.
60 bornes plus loin, je déboule sur Moulins en passant par une grosse zone commerciale bien pourrie. Je ne veux pas m’arrêter dans un gros supermarché, on y perd trop de temps, on a peur de se faire chourer le vélo, c’est moche, ça pue et je pue assez comme ça tout seul. Je me dis que je trouverai quelque chose plus loin. RAS, la trace esquive le centre-ville et je ne veux pas faire de détour. Je l’ai dit, aujourd’hui je suis dans mon rythme et je ne veux pas le quitter. Je vois sur ma droite un autre supermarché et je me souviens que Stef m’en avait parlé lorsqu’on avait regardé une dernière fois la trace ensemble. J’ai toujours pas envie de me détourner ni même de m’arrêter en fait. J’ai encore un petit peu de stock, il n’est pas trop tard. Je trouverai bien quelque chose d’ici la fin de la trace. Je continue et je prends le single du Castor à la sortie de Moulins. C’est sympa ... puis ça devient chiant à la longue ... puis j’ai presque plus d’eau et le single est exposé au soleil ... ça commence à devenir vraiment chiant. Je sors enfin de ce punaise de single pour rentrer dans des chemins à travers champs. Toujours rien pour se ravitailler ... jusqu’à ce que, dans la lumière bénite de cette fin de journée ... le miracle se produise, saint Maradona priez pour nous : un stade de foot ! Les stades sont vos amis chers cyclistes, surtout lorsque les portes des toilettes sont ouvertes. Je m’arrose abondamment, je bois, je remplis mes gourdes et c’est reparti mon kiki.

J’arrive encore assez frais à la fin de la section de l’Allier, telle que Samuel la découpée : Chatel-de-Neuvre. Normalement il y a un camping et je pense me poser là vu que j’ai fait à peu près 150kil, que je suis encore en forme et que je commence à aimer ce rythme : levé entre 4h et 5h, roulage tant qu’on est en forme, se poser pas trop tard pour s’endormir vers les 22-23h. Je trouve une épicerie avec des produits locaux. J’achète un saucisson qui s’avèrera trop poivré, du fromage, des yaourts, et puis plein d’autres choses dont vous vous foutez éperdument à juste titre. Je pars en continuant la trace vu qu’un camping est indiqué dans la même direction. Je tombe sur gars debout à côté de sa voiture dans laquelle il y a toute sa petite famille. Voiture qui est bloquée à l’intérieur du camping car la barrière est fermée. Je lui demande si le camping est ouvert, il me dit que oui, mais que le gars qui gère est parti je ne sais où et qu’eux viennent d’arriver, mais repartent car les sanitaires sont crados. Il me dit que sinon le camping à l’air très bien et que les gens sont gentils. L’état des sanitaires ne me rebute pas vu qu’ils risquent d’être pires quand j’en ressortirais, aussi j’attends que le gérant daigne revenir pour me trouver une place dans ce petit camping bien ombragé et bien calme - et donc a priori parfait pour un bon repos. Le gus arrive et il est assez ahurissant. A la cool mais dans les vapes et après discussion il ne voit pas de solution pour que je puisse sortir du camping à vélo avant 6h du mat vu que tout sera fermé et gnagnagni et gnagnagna. Bref ça colle pas, je me casse. Je vais au bord de l’Allier pour manger et réfléchir à la suite.
Une fois poser et un peu repu, je décide que je suis assez en forme pour poursuivre la trace, mais sachant les portes de l’Auvergne plus très loin, je ne veux pas user trop mes forces. Je regarde sur mon smartphone s’il n’y a pas de chambre d’hôte dans le prochain bled sur la trace. Je tombe sur un truc qui indique « chambre et dortoir ». Bingo ! ça a juste l’air parfait. J’appelle et je tombe sur une voix lente qui semble ennuyée. La dame me dit qu’ils sont complets. Je sors alors le couplet du pauvre diable : “non mais moi, même une place dans le jardin ça me suffit, tant que j’ai accès à un point d’eau c’est cool, j’ai mon duvet mon matelas, je me ferais tout petit” - “Bon, venez, on va trouver quelque chose” - génial. Je finis de manger en même temps que je me fais aborder par un type qui me demande “alors c’est ça un Gravel ?” on discute un bout et le gars me dit qu’il veut se mettre davantage à faire du VTT ou du Gravel mais qu’il lui faut un objectif. Ben tiens je vais t’en donner de l’objectif moi ....
Je repars donc direction Monetay-sur-Allier et quelques kilomètres plus loin, après un passage débile par un chemin privé dont le propriétaire à rien l’air de vouloir faire pour faciliter la vie aux randonneurs, je me retrouve au lieu-dit et trouve l’entrée du “Château Lachaize”. Je rentre dans le domaine, car c’est vraiment d’un domaine dont il s’agit, je ne vois pas de réception ni d’entrée allumée. Alors que je m’interroge, une voiture arrive et une jeune femme en sort avec son enfant “Je peux vous aider ?” -“Ben oui, j’ai appelé pour pouvoir loger dans le coin” - “Ah venez suivez-moi”. Je passe à l’arrière du château et je vois une magnifique piscine au bord de laquelle se tient une réunion de famille à la cool. Celle qui semble être la matrone du clan vient vers moi et m’explique qu’en fait ils sont fermés car ils se réunissent entre eux avec tous les enfants et petits-enfants. Du coup elle peut me mettre quand même dans une chambre si je ne suis pas trop regardant sur le désordre - mais alors j’en n’ai rien à foute du désordre, je veux juste dooormiiiir !!! Les personnes présentes sont toutes bien sympathiques et l’ambiance est cool. Seul hic, la chambre est tout en haut du château et mes jambes se seraient bien passées de plusieurs aller-retours entre mon vélo et la cime du donjon.
Ce soir je serai donc châtelain. Je mange aux portes de mon fief et je peux songer à mon plan d’invasion de l’Auvergne.


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Jour 6: Jeudi 13 août - 158km - Tiens ! Voilà le Morvan !
“Je me lève, je te bouscule, tu ne dérailles pas, comme d’habituuuuudeu”. Je quitte cette maison bourgeoise comme un voleur au petit matin (bon j’ai quand même payé la veille - je ne suis pas mauvais garçon). Stef m’annonce un objectif - Autun je crois - mais depuis hier et la dernière heure difficile, voire dangereuse avec la fatigue, j’ai changé d’optique - toujours s’adapter tu sauras. Je ne veux plus me fixer un point d’arrivée. J’ai calculé qu’avec l’avance que j’ai pris sur ma montre, 140 à 150 kils par jours suffisent pour finir dans l’étang - pardon - à Mendionde le samedi 22. Mon objectif est clair maintenant. Je connais mieux mes forces, mes faiblesses et surtout mes envies. Je veux arriver dans les 15 jours et en bon état. Je ne veux pas forcer - pas envie de trainer une tendinite pendant trois mois ou une quelconque fracture de fatigue. J’ai envie d’être bien. Toute l’année j’ai fait du gainage et du yoga pour aller dans ce sens : me dépasser certes, mais pas me terrasser. Stef acquiesce, ça me rassure d’avoir l’aval du maître.
En route donc pour Quarré-Les-tombes. Je commence par un énorme arrêt boulange à la sortie d’Avalon pour prendre des forces et du ravitaillement. Cette étape, on m’a prévenu qu’elle allait être rude. Pourtant, ça va être une des plus belles et sans doute celle où j’ai été le plus costaud. J’ai avalé le Morvan comme le repas de la veille et en profitant pleinement de chaque instant. J’ai adoré ! C’était technique mais pas trop pentu, c’était beau et j’avais la grosse grosse niaque.

Je prends le temps d’une photo symbole et d’un petit texto pour l’anniv de mon grand frère et c’est parti. La forêt est fraiche et belle. Ça monte ça descend mais ça passe bien. L’autre avantage de la canicule c’est que tout au long de cette French on ne souffrira que très peu de la boue (à part Sofiane dans le Gers mais il n’avait qu’à pas aller aussi vite). Ici pourtant quelques passages bien humides mais rien de rédhibitoire.


Ça y est ! CP2 ! Je retrouve les compères de l’orga. Clément s’est rétamé la veille et abhorre une plaie à la jambe comme s’il s’était frotté à un ours, ou plutôt l‘inverse. Je suis bien content de les retrouver ces moniteurs de ma colo. On échange quelques conneries autour d’un café, j’envoie des cœurs à ma chérie et je pars faire le plein au Proxi du coin (loué soit le Proxi) car le Morvan c’est pas la rue Sainte Catherine.


Je repars pour ce qui à mon goût restera une des plus belles sections de cette French : une longue traversée en forêt le long d’un ruisseau exhalant sa fraicheur. Je croise des marcheurs qui ont tous l’air sereins. Je ne saurais vraiment dire où j’étais ni ce que j’ai vu exactement mais, sûr, je m’en suis pleinement imprégné à ma manière. Sur une épreuve de longue distance comme celle-ci on se dit souvent qu’on ne va pas profiter des lieux par où on passe mais c’est faux. On n’en profite simplement pas de la même manière. C’est vrai qu’on ne se pose pas, c’est vrai que parfois j’aurais bien fait un plouf ou pris le temps de m’allonger nu dans la mousse, mais les contraintes qu’on s’impose nous permettent de vivre autrement les lieux où l’on passe. Le lieu est à la fois la contrainte et l’espace de liberté. On en comprend certains ressorts inaccessibles à celui qui flâne. Le vélo a de ça qu’on n’avance pas assez vite pour passer vraiment à côté de ce qu’on traverse.


Je fais une pause bien agréable près de Saint-Brisson au bistrot du parc. Une omelette et une assiette de crudité bienvenues, mangées près d’un parisien qui a bien voulu accepter que je m’installe avec lui à la dernière place disponible. On en profite pour discuter, il me questionne sur mon aventure et il m’apprend qu’il a une maison qui finit de se construire dans le coin, son havre de paix - tu m’étonnes. Il est abasourdi par les distances qu’on peut avaler, lui qui pourtant se déplace à vélo quotidiennement sur Paris. Je lui dis qu’il y a encore 4 ans je n’étais pas au courant que ça se faisait de dépasser les 150kils à vélo. Quand Stef est venu en vacances chez moi l’été 2016, il se préparait pour la première édition de la French. Il m’avait prêté un magazine 200 et m’avait un peu parlé de tout ça. Je l’avais suivi pendant le mois d’août sur sa French et le virus m’a pris. L’année d’après je tapais mon premier 200 tout seul, puis une confluence Genève-Lyon avec Chilkoot, puis une semaine mémorable de Love Zig-Zag tour en juillet. C’était parti, ça ne me quittera pas.
Je repars et je roule, je roule, je roucoule. Il y a des moments où ton cerveau débranche littéralement. Tu regardes ta montre, tu as roulé trois heures sans t’en rendre compte. La seconde partie de la journée se passe ainsi. Je ne me préoccupe pas d’où je suis, je ne regarde pas encore mon compteur, je sais juste que je veux caler mes 140-150kils minimum et je verrai plus tard où j’en serai.
Autun arrive au loin alors que je ne m’y attends pas. Incroyable. C’est sûrement une des seules fois où je suis arrivé dans un lieu “en avance” par rapport à ma montre, simplement parce que je ne l’ai pas regardée. Jour béni, qui est resté une référence, même si je ne retrouverai pas d’aussi bonnes sensations sur le reste du parcours à part peut-être dans le Gers.
A Autun je retrouve Thomas et Karim et j’en suis le premier étonné. Ils accusent un peu le coup de la journée, mais ils ont surtout dû faire un long arrêt dans un magasin de cycle où les mécanos n’avaient pas l’air super réactifs. Thomas a crevé et en a profité pour se faire remonter le tubeless, Karim, qui souffre toujours, a décidé d’acheter une nouvelle selle, pari risqué mais qui s’est avéré payant. Karim c’est presque une image d’Épinal sur un vélo, celle du jeune fou qui part sans trop se poser de questions. Il est super chargé, avec tente et sac à dos. Avant la French, il n’a apparemment jamais fait de grosses distances. Pour lui 150kils c’était de l’ordre du fantasme et pourtant qu’est-ce qu’il roule bien ! Thomas est aussi un pur Vététiste, pas un cycliste habitué à la longue distance même s’il a fait quelques longues étapes de reconnaissances en amont. Je vais avoir l’occasion de voir que ces deux-là vont monter en puissance tout au long de l’épreuve, parce qu’ils ont un gros mental qui leur a permis de passer les premiers jours. Karim a souffert, a hésité à continuer ce jour-même encore, mais finalement il a su s’envoler de belle manière. Il ne le sait pas encore à ce moment, mais il est bien plus fort que nous et il va peu à peu opérer une remontada impressionnante. Thomas, force tranquille, à son rythme dans les montées, mais imperturbable, saura toujours mettre le coup de rein qu’il faut pour se mettre au mieux à la fin de ses étapes. Super gestion.
Je fais le plein de carburant, fais regonfler mes pneus au compresseur dans le Bouclard et je repars avant les deux compères pour profiter des jambes que je sens encore bonnes. Après Autun il y a une bonne montée et on finit par pousser le vélo dans les chemins. Karim me rejoint plus loin, puis on se retrouve à rouler à trois, puis je les quitte à nouveau. Je décide de me poser à Mèvres, seul spot civilisé envisageable à cette heure-ci avant un bon petit moment.
Pause restau et grosse tranche de steak. Thomas et Karim me rejoignent et on peut prendre le temps d’échanger sur les quelques jours qu’on a fait à distance. Les deux ont mal dormi à Quarré-les-tombes la veille au soir, avec du vent et de la pluie et un divider qui les a fait chier super tôt en faisant tourner la roue libre de son vélo pour faire les réglages pendant que les autres dormaient - sympa. Honte à toi ! Si tu lis ces mots et que tu te reconnais, sache que c’est mal, c’est très mal mon garçon.
Je demande au patron où on pourrait bivouaquer. Je lui parle d’un préau d’école que j’ai vu, mais il me dit qu’il faudrait demander l’autorisation au Maire, surtout que la concierge vit dans l’école (information très importante que Karim et Thomas regretteront de ne pas avoir imprimée). Il me parle du stade de foot et je pars m’y installer avant les autres. Il fait nuit noire et avant d’arriver au stade je croise un mec torse nu qui dit à son chien de ne pas m’approcher car je suis peut être un extra-terrestre. J’ai pas l’impression qu’il rigole et je me dis que ce n’est peut-être pas le signe que le coin est un bon endroit pour dormir. Ça doit manquer d’oxygénation dans le coin. Au stade je ne trouve pas de robinet, mais il y a une sorte de grange qui doit servir d’abri pour les supporters. C’est crade et il y a des bouts de verre, mais je décide de m’y caler. Bon choix car il commence à pleuvoir. Peut-être pas si bon car c’est sans doute après cette nuit que mon matelas passera en mode « crevaison lente » avec la nécessiter de le regonfler toutes les 3 heures.
Thomas et Karim n’apparaissent pas, j’ai peur qu’ils arrivent tard et me réveillent en début de sommeil. Je regarde sur Map Progress et je vois qu’il se sont installés sous le préau de l’école, sans doute à cause de la pluie, ne sachant pas qu’il y avait un abri au stade. Karim m’expliquera que leur nuit a été pourrie car ils se sont fait réveiller par les phares de la concierge braqués sur eux aux alentours de minuit, et n’ont pas compris ce qui leur arrivait.
De mon côté la nuit fut bonne, le stade de foot devenant une infrastructure à cocher pour les bivouacs à venir.
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Jour 5: Mercredi 12 août - 168 km
(bande son: No Hope - The Vaccines)
Après soins du vélo et du bonhomme, je dis au revoir à ma Loge aux Chèvres et je décanille vers 5h. J’avale les 20kil vers Bar-sur-Seine où je retrouve Anne à l’arrêt boulangerie. Elle a passé la nuit à l’hôtel et a pris son temps pour se réveiller - besoin de récup. Elle décolle avant moi mais nous ferons l’accordéon toute la journée et en roulerons une bonne partie ensemble. Anne avance comme une horloge, super régulière, elle bouge pas de sa selle, gravit les montées les plus raides sans sourciller - solide.

L’objectif aujourd’hui c’est au moins d’atteindre Avallon. Coach Stef me l’a dit et je suis d’accord. Alors pour continuer les jeux de mots pourris, avalons les kilomètres. La digestion va de mieux en mieux, je rebouffe, je revis. En fait c’est tout le corps qui semble avoir compris qu’il n’y aura rien à faire, il n‘échappera pas à la French. Du coup le moral monte en puissance. Pour la première fois je commence à y croire réellement, à me dire que je peux vraiment la boucler.
Je rattrape Anne, lui fait un coucou, mais comme c’est roulant et que j’ai la musique à fond dans les oreilles, je fais l’ours et je trace. Plus loin elle me rattrape à son tour et cette fois-ci j’ouvre les écoutilles. Nous commençons à bavasser. Ça fait du bien et nous partageons nos expériences des jours passés. Elle me parle de son copain Stefan Maertens que je connais un peu de réputation via Stef qui a participé à l’ACT5 qu’il organise. J’aurai le plaisir de rencontrer Stefan à l’arrivée : un passionné d’aventure à vélo bien marrant.
L’étape est faite d’une succession de bosses qui semblent prévenir de l’arrivée imminente du Morvan. Je commence à avoir quelques difficultés techniques dans les descentes raides. J’aime pas du tout ça, dès qu’il y a trop de vitesse, ça tabasse et en plus mon système de freinage est trop light. Ça va devenir une constante et mon principal problème dans les jours à venir, le problème étant que plus tu te crispes plus ça devient compliqué, c’est le cercle vicieux. Passer dans des chemins techniques comme je le ferai dans le Morvan, c’est pas trop un problème en soi, je me suis bien entrainé dans les alpes, mais quand la vitesse s’en mêle j’ai plus confiance en mon engin ni dans son pilote, alors je deviens encore plus mauvais, c’est la règle ma pauvre Lucette. Et comme à la French, on aime tout ce qui dépasse les 20% en montée comme en descente. En revanche, on reste en général en dessous en ce qui concerne l’alcool, parce qu’on préfère la bière.
Nous arrivons à Tonnerre et nous nous ravitaillons. Anne décide de trouver un coin ou manger et alors que je suis en train de faire mon paquetage, Simon, un des bénévoles de l’organisation, me dit que Clément m’attend avec sa caméra un peu plus loin. Mon instinct de star reprend le dessus et je me dis que je mangerai un bout un peu plus loin dans Tonnerre - erreur d’appréciation, l’appel des sirènes de la gloire est souvent fatal, j’aurai dû le savoir. Je décolle, ou plutôt je reste collé à la route qui grimpe salement pour sortir de la ville. Clément me shoot en me disant “alors ça te plait Tonnerre” - ahahahah - même pas drôle - même pas mal. Je suis bien forcé de poursuivre l’ascension, d’abord car je déteste m’arrêter en montée, et ensuite parce qu’il n’y a aucun endroit propice à une pause. Je m’arrêterai donc quelques kilomètres plus loin, à l’ombre d’une forêt, au bord du chemin. Comme j’en ai pris l’habitude, je me mets à poil (le gros avantage des chemins de la French c’est qu’on est vraiment peinard), je fais sécher ce qu’il faut, je panse, je bouffe, je me raconte des blagues tout seul, c’est la fête. Anne arrive à son rythme inflexible - “alors que revoilà la sous-préfète” - elle a d’abord peur que je sois un bandit de grand chemin (je vous rassure je ne suis plus à poil), puis elle me reconnait et se rassure.

Je repars quelques minutes après son passage, direction Chablis - un nom prometteur et riche en tanin. J’y fais un arrêt rapide surtout qu’un orage se forme dans les parages. Je sors de la ville et ma route semble dangereusement s’approcher dudit orage. Je vois bien que dans sa zone ça drache sévère et je croise les doigts pour que nos chemins divergent. Ce n’est pourtant pas ce qui semble se profiler. Nous avançons inexorablement vers un point commun. L’orage arrive de ma gauche et la route va tout droit. Il n’y a pas d’abri à l’horizon. Je décide d’accélérer, je remets deux dents. Je vais tâter les frontières de l’orage : bourrasques violentes et pluie drue qui présage la grêle, mais ça passe. Je prends juste ce qu’il faut pour bénéficier d’un rafraichissement salvateur (car il fait encore très chaud aujourd’hui), sans dégâts. Un boulanger rencontré plus tard me racontera que ce même jour, des coureurs du Dauphiné prirent de gros grêlons sur le dos pendant leur course, ce qui aurait pu m’arriver vu qu’il n’y avait vraiment aucun endroit où m’abriter. L’orage se développe encore en largeur et je ne suis pas sûr d'en avoir fini. Aussi, comme j’ai de bonnes jambes, je remets une troisième dent. Je dépasse Anne en trombe, elle me rattrapera un peu plus loin. Elle n’a pas vu une goutte de pluie et n’a pas quittée quant à elle l’atmosphère caniculaire. C’est assez drôle de voir qu’à quelques minutes prêt, tu ne passes pas du tout par les mêmes ambiances. C’est aussi à ce moment que je me suis rendu compte que mon corps s’était transformé intérieurement en profondeur. Certaines de mes sensations semblent métamorphosées, particulièrement celle qui concerne la captation de fraicheur. Je m’explique. A partir de ce moment, à chaque fois que je suis face à une source de fraicheur (eau, ombre, boisson, ou même simplement le fait de voir une rivière ou un lac), tous les pores de ma peau s’ouvrent comme des fleurs qui éclosent, pour capter un maximum de cette fraicheur qui lui manque tant. Quand plus loin, à l’entrée de Sermizelles, je vois deux filles se baignant dans le fleuve, je profite par procuration de la fraicheur sur leur peau - weird. C’est très étrange et très agréable, quasi extatique. Je vais ressentir cette sensation pendant un bon moment sur la French et même encore parfois quelques jours après.
Sur le reste aussi je sens que mon corps a pris une autre dimension. En échangeant avec Stef, il me dit que beaucoup de dividers ressentent ça, que je suis sans doute “rentré” vraiment dans ma divide - il appelle ça le “déblocage”.
Expérience mystique peut-être, quoiqu’il en soit la fin de journée et la fatigue se rappellent tout de même à moi. Il me reste une bonne heure pour rejoindre Avallon et les buttes s’enchainent plus raides les unes que les autres. J’ai envie d’arriver et je me décide pour la première fois à trouver un hôtel, pour bénéficier enfin d’une vraie nuit réparatrice.
Je roule de nouveau avec Anne, puis, je suis pris de cette furieuse envie d’en finir, je remets une dent et pars seul devant. Grosse fatigue, je m’endors sur le guidon. Je me fais quelques arrêts au stand cimetière pour m’arroser avec de l’eau fraiche afin de rester éveiller. Après quelques nouvelles bosses qui semblent avoir été placées spécifiquement pour l’occasion, histoire de ne pas arriver trop facilement à destination, j’entre dans Avallon et je reconnais le nom de l’hôtel où Anne m’a dit avoir réservé une chambre. Je vais à la réception, plus rien de dispo. Pendant toute la French je n’ai jamais voulu réserver à l’avance, c’est débile mais au fond de moi j’avais l’impression que ce n’était pas du jeu, qu’il fallait que je trouve sur place. Je crois surtout que je n’avais absolument pas envie de prévoir, ne serait-ce qu’une heure à l’avance et surtout pas tant que je n’étais pas sur place. C’est mon problème, ça fait partie des règles de mon contre-la-montre.
J’essaie d’appeler un autre hôtel qui fait un peu usine, ils me placent en attente téléphonique et je roule en même temps dans la ville pour voir si je trouve quelque chose. Je raccroche - marre d’attendre - et je vois un bistrot qui affiche “hôtel-bar-restaurant”. J’aborde le taulier, un petit bonhomme sympathique la soixantaine bien entamée, qui me dit qu’il est complet. Il a vraiment de la peine en me voyant pouilleux et affamé. Il me dit qu’il connait une Dame qui a des chambres d’hôte et il l’appelle. C’est bon ! “Elle arrive dans 5 minutes en voiture pour vous guider !” oups, j’espère que ce n’est pas trop loin de la trace. En l’attendant je bois mon 203ème San Pelegrino depuis le début de l’épreuve et je discute avec le barman qui vide gentiment ses copains en leur rappelant qu’il y a dix minutes il leur avait dit de partir dans cinq minutes. Je me dis qu’encore une fois, mon timing a été bien inspiré. Le gars me dit de revenir manger au restau chinois qui est en face “tu verras, il y a une formule à volonté, tu vas pouvoir manger du riz, des pâtes, tout ce qu’il faut”. Attendez le paragraphe suivant, ce mec aurait dû être coach sportif. La Dame arrive et je la suis. Sa maison n’est pas trop loin même s’il y a un bon raidard pour y arriver. Elle m’installe, je vais être bien, bon lit, bonne douche, j’en frémis d’avance. Elle me dit de ne pas trop m’attarder si je veux aller au restaurant car il est déjà tard. Je prends une douche et lave mes affaires en même temps, je mets mon short à tout faire, mon t-shirt de nuit et je me fais déposer au restau en voiture comme un roi. Je rentrerai à pied.
Et là, c’est le rêve éveillé. Pour 18 euros, une vraie formule à volonté, avec plein de bac rempli de sucres lents, de protéines, de crudités, de légumes cuits, de desserts, de tout ce qu’on veut : ma maison d’Hansel et Graetel. Je vais faire un vrai putain de bon repas. Les produits sont frais, j’apprécie particulièrement le croquant des pousses de soja (encore cette sensation de fraicheur), je mange des sushis à la pelle. Je prends le temps de manger, lentement, pour me refaire. Je crois que j’y suis resté 1h30. Bilan : deux assiettes pleines d’entrées et plats en tout genre + une assiette de dessert - le pied.


Je rentre, je me couche repus et je dors comme un bienheureux. Je crois qu’à partir de cette nuit je n’aurai plus aucun problème à dormir où que ce soit par ailleurs. Ça y est, je suis vraiment rentré dans un autre monde, celui qui accompagne la longue distance en contre-la-montre.
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Jour 4: Mardi 11 août - 215km - Le jour le plus long.
Ça commence par un carnage. Je me lève vers 2h et décolle avant 3h. J’ai mal dormi mais je suis prêt. Je pars vers Haudainville en traversant Verdun, il fait bon frais, “je rouleuh dans la nuit noire, je suis un voyouhou !”. Il parait que c’est roulant et là ... c’est le drame. J’entame par une forêt où je vais pousser, lutter, flipper, me perdre à moitié. C’est pas du tout roulant bordel ! Je dois pousser et puis on doit suivre une piste noire VTT qui termine par une descente de DH. Ça je le savais, je l’avais noté. Bon je la descends à pied comme tout bon graveleux qu’a pas de technique qui se respecte. Mais le carnage n’est pas fini. Un peu plus loin, je perds la trace. Je reviens sur mes pas, je trouve un petit chemin merdique qu’a l’air de correspondre. Je prends ce chemin, et là c’est le bordel. Ça ressemble à une piste de VTT avec des bosses aménagées, mais le chemin commence à dévier aussi de la trace de mon GPS. Je continue et ça va plus du tout. Je pose mon vélo et je remonte à 90°, tout droit dans la pente en pleine broussaille. Plus haut je trouve un chemin qu’a l’air plus cohérent. Je hisse mon vélo au-dessus des buissons et des troncs, je prends une suée de malade. Je peste, j’en chie, je maudis les satellites et les logiciels de tracé et puis je finis par m’en sortir. J’ai laissé des forces dans la bataille. J’arrive à l’entrée d’un bled, il y a un abris-bus avec un banc. Je pose mon vélo, je m’affale sur le banc et je m’endors aussi sec pour un quart d’heure.
Au début de la section, je suis passé devant un bivouac de dividers. J’ai appris plus tard que Thomas et Karim y étaient. Les gars avaient eu la brillante idée de faire le plus dur la veille au soir. Une leçon que je garderai en mémoire.

Je repars, il fait encore nuit, pas pour trop longtemps. Je ferai encore une micro sieste un peu plus loin, j’enchainerai encore quelques bonnes montées, puis ça va enfin devenir roulant. A noter une jolie pause à poil près d’une chapelle alors que la chaleur monte qui se finira par une nouvelle sieste sur un banc

Alors forcément quand on se réveille tôt, la journée est longue. La chaleur arrive et j’ai toujours ces problèmes de digestion. Je décide de m’arrêter à la prochaine pharmacie pour voir ce qu’ils ont à me proposer. J’arrive à Revigny. Je fais un stop à la Boulange où un vieux me demande d’où je viens comme ça. Je lui dis que j’ai dormi à Verdun et ce saloupiaud me dit : “pouah c’est pas loin Verdun, c’est même pas à 60 bornes”. Rire jaune, t’as qu’à bien m’enfoncer vieux. Je crois que t’as jamais fait de vélo sur les chemins et surtout en suivant une trace satanique méticuleusement pimentée par l’ange du démon dénommé Samuel Becuwe. Après cette bonne blague, je pars, dépité, en quête d’une pharmacie et en espérant qu’on ne me propose pas un coussin péteur pour soulager mes maux de ventre. La Pharma est fermée. C’est pas encore l’heure mais la porte est ouverte et la pharmacienne en a rien à foutre des convenances : elle me dit de rentrer, me laisse aller aux chiottes, me donne plein de conseils avisés, tout ça sans masque parce que “c’est bon y a personne dans le magasin”, bref un ange. Je repars avec un truc au fenouil qui va bien m’aider à me retaper dans les jours qui viennent. Ça se boit en uni doses qui ressemblent à des seringues. J’ai peur qu’on m’accuse de doping si je subis un contrôle inopiné. Je vais me poser un peu plus loin dans le parc. Je me cache derrière un fourré pour refaire mes pansements, je bouffe, je prends le médoc miracle et je pionce.
En me réveillant je vois un message de mon Stef qui me dit “t’arrêtes pas à Revigny c’est pourri” - “trop tard et j’ai fait la sieste” - “bouge de là je suis pas loin”. Là il me revient en tête que Stef m’avait dit qu’il viendrait me voir sur le tracé. Comme il était là au début je ne pensai pas qu’il le ferait. Tout excité je monte sur le vélo et je remets une dent. Plus loin - incroyable ! Stef qui nous fait un ravito sauvage. Le moral se regonfle à bloc. Je suis touché/coulé, mais pour mieux remonter à la surface. Bordel Stef - Amazing - je t’aime.


Du coup je repars comme un seul homme. Un peu plus loin je loupe un pont et je passe dans la flotte. J’ai les pieds trempés mais vu la chaleur je ne vais pas trop me plaindre. Je croise la voiture média et Louis me dit qu’on va faire des shoots un peu plus loin sur une route en longue ligne droite. L’endroit est bien choisi, la lumière est belle et je me sens pousser des ailes de starlette - nan je déconne - je roule, je roule et ils me rejoignent un peu plus tard quand c’est moins beau. A ce moment, déboulent deux gaillards du dimanche qui se sont arrêtés au ravito de Steph juste après moi. Ils ont l’air bien sympa et déconnant comme j’aime. L’un d’eux lance même un sprint pancarte juste avant l’entrée d’un village - n’imp, mais très drôle - Ils me proposent de prendre la roue, mais comme j’ai pas envie de perdre un genou, je laisse filer - savoir rester à sa place fait partie de la maîtrise de la force.
J’ai déjà l’impression d’avoir vécu trois journées quand j’arrive à Vitry le François sous le coup de midi et ce n’est qu’un début. J’ai retrouvé les jambes, mais la grosse chaleur est à nouveau là. Je décide de changer de stratégie, vu que j’ai davantage la forme : faire de petites pauses mais rouler quand même. Après un cours arrêt ravito et une pause pour boire et manger un peu, je m’apprête à repartir quand je vois Thomas arriver. Du coup on discute et je le suis dans sa quête d’un restau ou au moins d’un bar. Je ne pense pas rester longtemps avec lui mais ça ne me déplait pas de causer un moment et de prendre café. On trouve un bistrot sympa et Thomas semble partant pour finalement décoller assez vite. La suite va être une succession de villages de Champagne qu’on va relier à rythme lent mais régulier en prenant soin de s’arrêter à tous les cimetières pour se rafraîchir et se recharger en eau. Les églises à colombages sont étonnantes et réconfortantes. Elles sont entourées des dits cimetières dans lesquels j’adopte un rituel : j’arrive au robinet, j’enlève le casque, je passe la tête et la nuque sous l’eau, j'arrose les bras, je m’agenouille telle une grenouille de bénitier et je fais couler l’eau sur les cuisses et les mollets, tout ça sans tremper le cuissard monseigneur - quel talent !

Je rentre au fur et à mesure dans une sorte de torpeur, ou mon corps alterne entre le four et la fontaine. Bizarrement ça devient agréable, j’apprécie drôlement cette phase du voyage. Un peu plus loin un gars qui habite sur la trace a mis des panneaux ravito. Il nous propose de l’eau et un tuyau d’arrosage pour se rafraîchir.
Plus tard nous serons rejoints par Karim que je vois pour la première fois. Il douille au niveau douleur de fesses ce qui me fait réaliser que de mon côté, avec les crèmes et pansements, c’est devenu supportable et ça n’empire pas - les nuages qui obscurcissaient l’horizon de ma French ont l’air de s’en aller les uns après les autres. Au kilomètre 707 (déjà !!!) on profitera du fameux ravito de Stéphane, annoncé sur Facebook avant que la course commence : barres céréales, jus et autres gourmandises, vraiment sympa. C’est assez dingue sur cette épreuve, on n’a évidemment pas une foule en liesse autour de nous, mais les quelques rencontres sont fortes. Je me souviens d’un moment où j’étais dans le dur, je vois écris en rose sur la route un truc dans le genre “Bravo la French Divide, c’est grand ce que vous faites”. Dix secondes après je retrouvais les jambes.
La dernière phase de cette longue journée est digne d’un cartoon. Thomas et Karim veulent absolument passer la Forêt d’Orient dont la traversée est interdite à partir de 9h du soir jusqu’à 6h le lendemain. Je finis par être convaincu que c’est une bonne idée pour ne pas être bloqué le lendemain, même si après la journée que je viens de passer, je sais que je ne vais pas forcer sur l’heure du lever. On arrive à un dernier bled où on peut se ravitailler et là mes deux compères semblent de plus en plus pressés. Pourtant, même s’il ne faut pas qu’on traine, on a encore du temps devant nous. A la sortie de la ville les deux loustiques se mettent à envoyer du braquet comme c’est pas possible. Je les vois partir dans une course effrénée à la Benny Hill. Je leur lance de derrière qu’à cette allure il ne faut pas qu’ils comptent sur moi pour les suivre et je ne sais même pas s’ils ont pu m’entendre. Pour ma part, vu l’heure à laquelle je suis parti cette nuit, je ne peux guère plus que rouler comme une pétrolette, mais je sais pourtant que j’ai largement le temps de voir venir, quelques calculs de vitesses moyennes et distances parcourues et me voilà rassuré. Il y a pourtant des signes inquiétants qui pourraient me déstabiliser, comme ces rafales de vents et l’orage qui se forment devant nous, mais sur le coup je ne m’affole pas. Je peux très bien rouler sous l’orage et j’ai encore le temps de m’arrêter dans le village juste avant la forêt si vraiment c’est la cata. Je vais donc continuer à mon rythme et traverser ladite forêt pour arriver finalement largement dans les temps à sa sortie où je retrouve Thomas et Karim enfin rassurés. Les deux me disent vouloir allonger jusqu’à Bar-sur-Seine, vingt kilomètres plus loin, mais pour moi ce ne serait pas raisonnable et je décide de tenter ma chance dans le bled juste à côté : La Loge aux Chèvres. S’ils ont logé des chèvres, ils doivent bien pouvoir loger quelqu’un qui sent le bouc. Le temps de me poser deux secondes à côté de Thomas et Karim et une guêpe me pique au doigt. Je pars en jurant et après coup, je me demande si mes deux compères n’ont pas cru que je leur faisais la gueule du fait de m’avoir semé. Ce qui est bien dans la French c’est que les choses sont claires : “demerdez-vous” - tu ne dois rien à personne. Si t’as les jambes, tu dois avancer, c’est ton horloge qui tourne, il n’y a pas à se culpabiliser parce que t’attends pas quelqu’un, l’aventure - en théorie - elle est solo. Si sur le parcours tu décides de faire autrement c’est ton problème. Avec Thomas et Karim, on va se retrouver régulièrement mais on ne s’est jamais mis d’obligations. Si parfois on s’est attendu, c’est qu’on avait envie, point.
Je me lance donc à la recherche d’un lieu où dormir et je décide de trouver quelqu’un à qui demander. J’alpague la première personne que je vois et je lui demande s’il y a un coin où squatter dans le hameau. Il me dit que la mairie mettait à disposition un petit local à l’époque où le village était référencé dans les GR pour Compostelle. Je lui demande comment je pourrais contacter le maire pour avoir l’autorisation et on l’appelle au restau où il bosse le soir. Une fois l’autorisation obtenue, je file et je tombe sur un endroit toppissime : j’ai un toit, un robinet et je suis tranquille. Je vais prendre le temps de me refaire une santé. Je crois que c’est ce soir-là que je vais découvrir que mon matelas à un boudin qui dit merde à l’autre et que j’ai donc le droit à un accoudoir incorporé au matelas vu que j’ai un boudin deux en un sur le côté.
Je programme un réveil plus tardif pour le lendemain - quelle journée !




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Jour 3: Lundi 10 août - 143km
(bande son: “I left my heart in San Fransisco” - Bobby Womack)
Je quitte mon boulodrome et m’apprête à grimper puis pousser dans la côte empierrée juste après Donchery. Dès le début de la montée je vois un phare qui me rattrape, sans aucun doute un divider. “Salut” oh ben tiens c’est Sofiane. On fait la montée ensemble, il me dit avoir pris bien cher lui aussi pour son premier jour, c’est-à-dire hier, sans compter qu’il n’est pas encore remis de ses courses de l’été. “On m’avait dit que c’était roulant au début, mais c’est vraiment le tout début qu’est roulant !”. Oui c’est peu dire. Je vais l’accompagner une petite demi-heure avant d'être obligé de m’arrêter dans la descente, ma lampe avant se desserrant de son support (le système d’attache est pourri). J’aurai eu l’occasion d’observer le guerrier - impressionnant - ce qui prime chez lui c’est d’avancer, le reste est subsidiaire. Besoin de m’arrêter ? je trouve pas de coin ? il se met à faire jour ? Ok alors je continue, pas grave je m’arrêterai sans doute demain ...

Je prends mon rythme et au petit matin j’aborde les routes de la Meuse. Elles sont splendides, douces et rassurantes. Certes il y a quelques beaux raidards, mais c’est plutôt un profil qui me va bien. Je sais grimper, de là où je viens il vaut mieux, et mon Gravel est plutôt dans son registre. Pour la première fois de la French, je mets les écouteurs et je débranche le cerveau. Plus loin je rencontre une famille sanglier. C’est surprenant, elle se promène à champ découvert, pas loin de la route et quand je m’arrête et que les bêtes me voient : panique à bord, tout le monde détale. Je ferai une autre rencontre avec nos amis sangliers, invisibles cette fois, le lendemain ou surlendemain, dans une forêt en pleine nuit avant le lever du soleil. Je m’arrêterai sur le chemin et j’entendrai une horde sur ma gauche se déplacer en grognant. Je dis une horde car elle a bien mis 30 secondes à passer à côté de moi. Étonnement, jamais je n’ai eu peur, alors que de précédentes rencontres avec cette espèce ne m’avaient pas forcément mises à l’aise. Ce sentiment de sécurité va grandir pendant cette French. Les bivouacs ne deviendront plus un problème et mis à part les guêpes et les frelons, les bêtes ne me gêneront jamais. Un sentiment de sérénité s’installera peu à peu vis-à-vis de l’environnement qui m’entoure.


Vers midi je m’installe pour une sieste sur les hauteurs de Dun-sur-Meuse. Je suis réveillé par un chien qui doit être intrigué par mon odeur. Je vois passer quelques dividers puis je reprends le vélo pour chercher un ravito plus bas dans la ville. Je rencontre un p’tit vieux qui me tient la jambe pour parler vélo, il est marrant et bien sympa comme la plupart des gens qu’on rencontre sur cette French. Le vélo attire la sympathie (à part celle des automobilistes bien sûr) et notre accoutrement suscite les interrogations. Du coup la palabre est facile.
Plus loin je retrouve Nick qui se ravitaille à son tour. Il souffre aussi beaucoup de la chaleur. Pour ma part, depuis le premier jour je souffre de ballonnement, du coup c’est compliqué de manger et j’ai peur que ça se transforme en gastro comme ça a pu m’arriver sur deux virées que j’ai faite sous la chaleur les années précédentes. Pendant ces trois premiers jours je n’ai pas été serein vis à vis d’un éventuel abandon. Pas sûr que mon corps tienne, mais il le fallait, je ne voulais pas écourter la “colonie de vacances” comme titrait un des post du site de la French Divide.
La chaleur toujours la chaleur, alors des siestes, toujours des siestes. Juste avant un bled, je repère un arbre avec un banc en dessous. Une belle ombre et la possibilité de me recharger en eau dans le village une fois la sieste passée. C’est idéal parce que tu peux te permettre de ne pas compter ce que tu bois pour le coup. Je me fous à poil, je m’asperge d’eau, je refais les pansements, je m’asperge d’eau, je bouffe, je m’asperge d’eau, je dors, je m’asperge etc. Mon pote Stef ne me lâche pas, il me suit à la trace et post mon spot dans la minute :
Stef sur cette French, ce sera mon ange gardien, mon coach, ma pom-pom girl, mon doudou, ma diseuse de bonne aventure. Alors ok des fois il me dira : “tu verras la portion qui vient c’est roulant” et je le maudirai trois fois avant le chant du coq en me rendant compte qu’on n’avait pas la même notion du “roulant”, mais putain - excuse my French - ce que ça faisait du bien d’être sans arrêt en contact avec quelqu’un qui a vécu deux fois la French et qui l’aime comme tu peux pas l’imaginer. Le mec a eu la patience de me suivre du début à la fin, plus d’une fois par heure, de me soutenir et de répondre à mes doutes. Un mec en or.
Peu à peu j’ai aussi compris que toute ma famille et d’autres potes s’étaient pris au jeu de suivre l’aventure. Je leur avais filé le lien de tracking avant de partir en me disant que s’ils ne suivaient pas ça ne me choquerait pas. Le vélo c’est mon truc, dans ma famille et chez beaucoup de mes potes ce n’est pas le cas. Mais ça a pris. Je ne l’ai appris que plus tard et au fur et à mesure par ma chérie car ils ne voulaient pas me déranger en envoyant des messages. Sur le groupe WhatsApp de la famille, c’était apparemment l’ébullition, le gros soutien - le dot watching à fond. Je n’en savais rien parce que d’habitude j’ai pas de smartphone et donc pas WhatsApp. J’en ai pris un pour la French et j’ai seulement un Facebook pour le vélo. Bref quand j’ai commencé à m’en rendre compte, j’ai eu l’impression qu’il y avait tout un tas de personne au-dessus de moi, en train de me zieuter et de m’envoyer des good vibes. Ça m’a donné une sacrée dose de motiv pendant la suite de l’aventure.
Le reste de la journée, c’est les raidards du mémorial. On les enchaîne, on n’avance pas beaucoup. Stef m’avait dit que c’était très dur, mais je n’ai pas tant souffert que ça, parce que beaucoup de montées étaient sur de l’asphalte et que j’ai l’habitude de gérer ça dans mes montagnes. En revanche quand je vois le nombre de kilomètres parcouru, je me rends compte en effet que j’ai pas tant avancé ce jour-là. Arrivé à Douaumont, je prends une grosse pause au bar juste avant le mémorial - j’ai trop chaud pourtant le soir approche déjà. Je liquide une bouteille d’eau gazeuse et un soda avant de repartir. Je descends sur Verdun et je retrouve Nick avec lequel on se ravitaille au centre-ville. On décide d’aller ensemble au camping en faisant d’abord la trace dans les remparts de la ville.


Je me rends bien compte que j’ai pas énormément fait de kils, or on m’a dit qu’après Verdun ça glissait. Je décide donc de me coucher tôt et de partir le plus tôt possible dans la nuit le lendemain. Nick est crevé, malade à cause de la chaleur et il compte faire une nuit plus complète. Je rencontre pour la première fois Nicolas qui a cassé une partie de son frein hydraulique et qui doit attendre l’ouverture d’un magasin de cycle le lendemain. Je me dis que pour l’instant je ne suis pas si mal.
Au camping la nuit sera pourrie, parce que justement je me suis couché trop tôt, qu’il fait chaud, que les gamins hurlent encore et les motos dans la ville font du rodéo. C’est aussi la seule fois où j’aurai envie de rouer de coup un divider qui arrivera tard et à qui il prendra l’idée de marteler comme un malade à plusieurs reprises ses cales de chaussures contre le sol ou je ne sais quoi. Je ne sais pas s‘il avait un truc bloqué dedans ou s’il fixait juste les putains de sardines de sa tente, mais je sais que s’il est tombé et qu’il s’est fait mal le jours d’après, c’est sans doute de ma faute car je l’ai maudit de toutes mes forces.
Gros Camping de grosses villes : mauvaise idée - à ne plus refaire.
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Jour 2: Dimanche 9 août - 177 km
Je me lève avant tout le monde au camping, décidé à rouler un max jusqu’aux grosses chaleurs et à siester pendant le plus dur. J’ai pas des jambes de feu mais ça roule correctement. Rouler de nuit c’est extra. On est peinard et puis il y a les bêtes j’en reparlerai sans doute plus loin mais pendant la French j’ai vu des renards, des furets ou belettes, des lièvres, des lapins, un hibou, des sangliers, des chevreuils, des blaireaux (je ne parle pas des automobilistes), et un ours (ah non, c’était Sven dans un fourré ah haha).

Le jour se lève, j’ai déjà plus trop de carburant dans les sacoches, aussi je perds un temps fou à faire des détours pour trouver une boulange. Il est encore trop tôt pour les supérettes et c’est dimanche. Va falloir être malin pour s’approvisionner et prévoir. C’est un des grands jeux sur la French. Après un détour qui me conduit à une boulangerie fermée et qui m’oblige à me taper une montée imprévue, je reprends la trace et retrouve trois compères déjà vus la veille qui roulent bien plus fort que moi et qui au bout de quelques kilomètres s’inquiètent aussi de trouver à manger. On fait de nouveau un détour infructueux puis on repart. Je finirai par trouver un super spot ravito au Val Joly et j’hélerai à temps mes 3 futurs ex-compagnons qui étaient partis comme un seul homme sans apercevoir l’oasis en question.

On se fait une pause avec de grands sourires, il y a tout en un : boulange café, supérette et guêpes. Pendant les dix premiers jours, à chaque stop on se fera assaillir par ces punaises de guêpes. On sait qu’elles aiment la viande rance et je crois que c’est exactement l’odeur du divider. Un des copains se fait piquer au dos pendant la pause. Plus tard arrive Nick que je croiserai souvent les prochains jours.
Je passe en Belgique et c’est là que je vais appliquer mon plan sieste. Après avoir pas mal roulé en forêt, je vois qu’on a un bon bout de chemin à faire à découvert. Il est déjà midi passé et ça va cogner. Je me trouve un coin avec trois pommiers juste à l’entrée d’un bled. Je me dis que comme ça je vais pouvoir me recharger en eau quand j’aurai décidé de repartir. Je me pose, je me mets à l’aise en short, je bouffe, je gonfle le matelas et je fais une première sieste. Il fait super chaud alors tous les quarts d’heures je m’asperge d’eau. Ça gère. Au bout d’une heure et demi, je me dis qu’il faut que je reparte. Un gars s’arrête en bagnole et me demande si je suis divider. Il vient me voir, on discute, il prend un selfie pour montrer à ses copains à quoi ça ressemble un divider. Je lui demande où je peux trouver de l’eau au village et il me dit de passer chez lui, que sa femme pourra m’accueillir, me donner de l’eau et à bouffer si je veux. Génial ! J’y vais et j’ai le droit à de l’eau fraiche, deux tranches de jambon et un œuf dur - DES BANANES ! - et une bonne remontée de moral grâce à l’extrême gentillesse de ce couple.


Je repars revigoré. Passage à Rocroi qui est une ville hallucinante dans sa construction. J’arrive à rouler pas mal même si le corps a toujours ses bobos de ci de là.

Plus tard le ciel s’obscurcit, il semblerait qu’un orage se profile et on va pas s’en plaindre. Je suis plus très loin du CP1 à Charleville et j’ai envie d’y arriver. Quand tombent les premières gouttes de pluies, je me dis que ça va passer. Je traverse un village et je vois de loin deux dividers réfugiés au niveau d’un lavoir couvert. Ça va passer ! Je continue et je rentre dans une forêt. Ça commence à dracher sérieux et les éclairs tombent. Je m’arrête dans la forêt, je me dis que je ne vais pas trop prendre comme ça et que je repartirai tantôt. Ça ne se calme pas et au contraire un éclair tombe vraiment très très près. Je me résigne à retourner vers le lavoir car ça bastonne sec et que ça n’a pas l’air de vouloir se calmer de suite. Après une bonne saucée je me retrouve donc au lavoir en compagnie de Thomas et d’un autre divider. La pause est agréable, on refait nos deux journées et on s’échange nos expériences, nos idées pour la suite.
Une fois l’orage calmé, on repart tous les trois avec un bon rythme. Je roule un peu plus fort sur le plat et les montées, mais dans les descentes c’est une autre affaire et ce sera mon lot quotidien pendant toute la French surtout quand je roulerai avec Thomas et Karim. Thomas envoie du gros avant Charleville au point qu’on ne le reverra que devant la bière du cp1. Je tamponne à 20h15, ça fait plaisir de revoir les gars de l’orga qui sont bien sympa. Sam s’inquiète. Pour lui, il y a déjà presque 50% des dividers qui ont pris trop de retard. Les chiffres à l’arrivée lui donneront raison. Les serveurs du resto sont un peu manchots, je vois encore ce gars qui a son masque collé au menton et qui s’approche de nous en nous soufflant son haleine dans la gueule pour prendre les commandes. Mais bon, la pause est sympa même si : 1) j’aurai pas dû prendre de bière 2) j’aurais bien voulu un deuxième tiramisu aux fraises.

J’ai pas envie de dormir au camping et je me dis que ce serait pas un mal de me coller encore quelques kilomètres sous le paletot. “Le plus que j’en mets le plus que j’augmente ma marge” pour parler bien la France. D’ailleurs, je ne regretterai pas quelques jours plus tard d’avoir un peu forcé les premiers jours. J’avance donc pendant que Thomas et notre autre compère dorment à l’hôtel. Je fais une quinzaine de bornes et je cherche ensuite un endroit où dormir. J’ai déjà fait cet exercice en juillet lors de mon entrainement vers Bordeaux, mais je ne suis pas encore super à l’aise avec ça.
Je tourne un peu dans Donchery puis je trouve un Boulodrome qui dispose d’un grand espace vert et surtout d’une espèce de kiosque bien miteux avec une avancée qui pourra me protéger de l’orage qui s’annonce. J’installe mon barda et je me demande si je vais être dérangé dans la nuit. Une micro souris passe pas loin de moi et s’affole quand elle se rend compte de ma présence. Puis vient l’orage salvateur. Avec cet orage je sais que personne ne viendra m’emmerder quand je dors et en plus il crée un bruit de fond qui étouffe toute source de réveil en sursaut. Finalement je dormirai assez bien et je louerai ma décision d’avoir pris le bivy pour me protéger des projections d’eau.

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Jour 1: samedi 8 août - 222km

C’est parti ! Levé à 5heures, Stef m’amène sur la ligne de départ. Je ne me sens pas spécifiquement excité, j’ai tellement préparé ce moment. Sur la digue nous sommes quelques Gus masqués avec ou sans vélo. Elo et les enfants nous rejoignent quelques minutes avant le départ. La plage est belle, il fait bon, j’ai hâte de m’élancer.
Je me positionne sur la ligne de départ. Sam me demande quel est mon objectif, je réponds “Objectif Nul” parce que j'ai pas envie de répondre autre chose qu’une connerie. Je n’ai pas envie de répondre modestement que mon objectif est simplement d’arriver à bon port au plus tard samedi 22, parce que j’ai la vague intuition qu’il faut que je roule quelques jours pour pouvoir réellement savoir ce que je vais réussir à faire. Je n’ai jamais fait de virée aussi longue et si je suis bien préparé physiquement et matériellement, je ne sais pas pour autant comment je vais réussir à gérer. Je sais déjà que je ne suis pas un avaleur de kilomètres, quelqu’un qui met les watts, alors je sais qu’il faudra que je roule longtemps. Je me suis pris parfois à croire que je serais capable de très peu dormir comme les meilleurs, l’expérience me montrera que ça ne s’improvise pas.


Le top est donné, je pars sous quelques applaudissements et les premiers kilomètres sont un régal. Il ne fait pas encore trop chaud, il y a peu de monde. Je rattrape un ou deux dividers : Sven que je reverrai bien plus tard et Thomas que je côtoierai beaucoup plus. Je suis en Gravel et j’ai donc l’avantage sur les portions roulantes. Mon vélo, j’en reparlerai, c’est pas un vrai VTT : pas de suspensions, des pneus larges mais pas non plus au point de la plupart des VTT. Clairement c’est pas le vélo le plus adapté pour la French, j’en ferai l’amère expérience sur quelques étapes. Pour dire, on n’est sûrement pas beaucoup à être parti en Gravel, en tout cas pas beaucoup à arriver car (attention spoiler !), j’arriverai troisième Gravel en étant dans les quarantièmes sur 49 finisher.
Ah oui, crevons l’abcès, la French n’est pas censée être une course mais une épreuve, une sorte de brevet. Clairement pour certains c’est une course : les tout meilleurs qui se tirent la bourre pour arriver le premier, les rêveurs qui se croient un temps capables de rivaliser avec les premiers nommés et qui se calment en général assez vite, et puis ceux qui gardent un esprit de compétition et qui vont quand même essayer d’être avant tel ou untel. Et alors ? C’est mal ? Ça ne fait jamais du bien de se faire dépasser (à part par des cadors qui ne sont pas du même monde, là on s’en fou, on est même content de les rencontrer) et au contraire ça gonfle d’énergie de rattraper quelqu’un. Le suivi avec Map Progress fait qu’on se prend au jeu. J’avoue que parfois, en seconde partie de parcours, ça m’a motivé en me montrant que j’avançais pas assez vite ou au contraire que j’avançai bien par rapport à d’autres. Bref, ça reste une course et c’est pas un gros mot, sinon on le ferait tous chacun de notre côté à un moment différent. Il y a une émulation autant qu’il y a de la camaraderie qui se crée.
Certains disent que c’est une course contre soi. Je ne suis pas d’accord, si tu cours contre toi, t’es mal barré. Et puis ça veut rien dire, dans ce cas, si tu gagnes, tu perds aussi. Au contraire, il faut t’écouter, prendre soin de toi, te recadrer, te faire plaisir, etc. Je définirai finalement cette épreuve comme une course contre ta propre montre : c’est toi qui te fixes ce que tu veux en faire, en combien de temps tu veux la finir, ce que tu es prêt à sacrifier, et ensuite c’est vrai que tu te retrouves à courir contre le temps. C’est sans doute pour ça qu’avec le recul j’ai vraiment eu l’impression d’avoir fait un truc complètement débile, parce que ce qui rend l’épreuve aussi débile que belle c’est que tu te presses comme si c’était vital, comme si tu étais ce premier coureur grec qui devait rapporté aux athéniens que l’armée Perse débarquait à Marathon, alors que tu cours seulement après une putain de deadline que tu t’es fixée, parce que tu veux montrer que tu en as, ou parce qu’après il faut simplement retourner au turbin après le 22.
Mais revenons à notre premier jour. Le ciel ne s’assombrit pas et c’est là que le bât blesse. Une punaise de chape de plomb va s’abattre sur nous et on va tous se la ramasser en pleine gueule. Au début j’ai eu l’impression de bien gérer. J’ai fait gaffe à boire beaucoup, à m’arroser. Je me suis fait une superbe pause avec ombre, banc pour la sieste et de l’eau fraiche puisque le cimetière était juste à côté. J’en était fier et pourtant ça n’a pas suffi.

Le problème, je crois, c’est qu’on s’est tous fixé de faire un max de bornes ce premier jour. Tout le monde le dit, c’est une partie roulante, si tu n’enquilles pas 250 bornes la suite va être compliquée. Alors comme d’autres, je suppose, je ne me suis pas assez arrêté. Je regardais le compteur et je voulais caler 250km en m’autorisant 230 minimum vu les conditions.

Les pavés, la chaleur ... Putain déjà dans le dur. Je dépasse un coureur qui m’avait mis mines sur mines en début de parcours, il roulait fort et maintenant je le vois s’arrêter toutes les 5min, vraiment, il n’a pas l’air bien, je crois qu’il a abandonné le premier jour.
Lors d’un des nombreux arrêts cimetière, je croise Anne que je reverrai plus tard. On est tous les deux quasi incapables d’ouvrir les yeux à causes de la sueur qui nous les brûle. Je l’aide en lui versant de l’eau directement au visage. On rencontre Louis qui fait partie de l’équipe média. Il me demande mon objectif pour aujourd’hui. Je lui réponds une boutade “entre 230 et 1000kms” je ne suis pas encore au fond du trou.
Plus loin je me trouve vraiment mal. J’ai dû enquiller 180 km, mais je commence à avoir la nausée et plus rien qui passe. Je me pose dans un endroit pourri en bord de route simplement parce que je ne peux plus avancer. J’ai la gerbe, mes fesses me font mal, les blessures que je m’étais faites en juillet semblent se rouvrir. Ajouter à cela les douleurs au genou que je ressens souvent en début de périple, je fais le compte et je ne vois pas l’affaire d’un bon œil. Putain je ne veux pas abandonner au bout d’un jour ou deux, c’est nul, ça rime à rien. Je me raisonne et je sais que beaucoup de mes douleurs s’estompent la plupart du temps. J’ai quand même un sacré doute pour les fesses et je ne sais pas non plus si je ne vais pas finir totalement déshydraté.
Je repars. Je passe par des bois où je vois un divider qui a mis son matelas dans un coin et fait une sieste. Je trouve plus loin un cimetière ou je me fais une douche quasi complète. Deux gars sont là, ils attendent un pote à eux qui fait la French. Tout le monde a chaud. Plus loin je retrouve un couple (qui finira parmi les premiers du samedi) que je sais être fort, c’est bête mais ça me rassure, tout le monde galère. Le dormeur croisé précédemment me rattrape. Lui aussi est déshydraté, il envisage comme moi de rouler plutôt de nuit les prochains jours.
Je vais rouler jusqu’au camping de Le Quesnoy au km 220 environ. Je suis déçu, mais je ne peux clairement pas avancer plus, depuis 10km je suis perclus de crampes et il y a des moments où je ne peux plus tourner les jambes.
Je m’installe avec d’autres divider, je me douche et m’arrose les jambes d’eau fraiche tant que je peux. Je regarde l’état de mes fesses en prenant des photos (il faut vous dire qu’il y a un paquet de divider qui doivent avoir des photos de leur cul dans leur smartphone - à moins qu’ils soient contorsionnistes je ne vois pas comment ils peuvent faire l’état des lieux). Heureusement grâce à ma mésaventure de Juillet j’ai tout prévu niveau soin. Je décide d’arrêter de me poser des questions pour la suite : je vais dormir, caler mon réveil à 3heures du mat et je verrai bien si je peux rouler demain.
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J-3 et -2: on continue la prép chez le poto du ch’nord.


Repos, changement de câblage de la Dynamo pour que ce soit plus solide, pétage de multitool de merde en voulant serrer les cosses -scuze my french- heureusement Stef a un leatherman à me refourger, faisage de gras, tourisme et détente.., à la cool ....



La bizzzzz
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J-6 :

Ok bordel de merde - excuse my French - je vais l’écrire cette aventure. J’avoue que j’ai hésité, parce que je n’aime pas trop m’épancher et puis parler d’aventure, ça peut paraître bien présomptueux. Ce que j’ai fait, ce n’est pas grand-chose comparé à ce que font plein d’autres personnes, mais pour moi et pour mes proches ce n’est pas rien. Alors je vais la partager cette histoire, avec ceux qui veulent, avec ceux qu’en ont fait un bout avec moi, qu’ils aient été sur le vélo ou derrière des écrans.
Je crois qu’il est temps d’accepter l’incertitude.

La French Divide 2020 pour moi ça a été d’abord une année de prép physique, mentale et matérielle bien tourneboulée par les événements mondiaux (au point de craindre encore une possible annulation quelques jours avant le départ). A J-6, je prépare les bagages avec la petite famille, je me retrouve aux portes de la concrétisation de ce projet qui est né petit à petit en suivant les pérégrinations de mon pote Stef qu’on va justement rejoindre dans le ch’nord avant d’aller tous ensemble vers la ligne de départ.

Je pense avoir réglé les derniers détails matériels, c’est irritant, il y a toujours de nouvelles questions ou de nouveaux doutes qui apparaissent. Et puis je ne suis pas encore certain d’être assez fort pour finir cette épreuve qui est une première pour moi. Mon entrainement début juillet sur trois jours à Bordeaux a été riche d’enseignement mais s’il a chassé certains doutes, il en a aussi provoqué de nouveaux.
Je crois qu’il est temps d’accepter l’incertitude.
Je vais aller respirer un grand coup et profiter de la petite familia.
Bizzzz
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