yannaudrain-blog
yannaudrain-blog
Yann Audrain/Mes Pieds frappent la terre
8 posts
littérature-arts-découvertes 
Don't wanna be here? Send us removal request.
yannaudrain-blog · 6 years ago
Text
La poésie ou l’art de la trinité selon Vilsaint
Depuis le 1er mai 2019, se joue au Théâtre du Lavoir Moderne Parisien, la nouvelle œuvre d’Emmanuel Vilsaint, homme orchestre, à la fois auteur, metteur en scène, producteur avec sa troupe de l’Acte Essentiel, et acteur. Ce spectacle succède à son monologue à plusieurs voix Maudit Cas de Jacques-journal d’une putain violée, dans laquelle il exprimait, entre autre, le trauma vécu suite au séisme de Haïti. Son personnage, ainsi que la symbolique qui en était induite, déclinait les choses par trois. Cette nouvelle œuvre, si l’on résumait fort les choses, traite du trauma du poète. Parlons d’oeuvre et non de spectacle ou de drame. Même si des éléments tendraient à y penser. Ce n’est rien de tout cela, c’est plus que tout cela. Serait-ce un croisement, une trinité qui donnerait le jour à une nouvelle conception de l’art scénique ?
  Il ne s’agit pas d’un simple spectacle. Car le public n’est pas là pour voir des acteurs jouer. Il n’est pas là pour voir de la danse. Il n’est pas là pour entendre de la musique. Il est là pour assister, vivre les événements incarnés sur la scène. Des voix, que j’entends déjà, viendront dire que tout cela est vécu, dans le meilleur des cas, dans les créations d’art vivant. Mais que cela est généralement galvaudé afin de critiquer positivement ladite création. Certes. Mais que diraient-ils d’une création qui constituerait une cérémonie mystique ?
 Une cérémonie mystique, il en est question. Plus précisément d’une cérémonie vodoo. Les incantations à Erzulie, campée par le rôle d’Ange douceur, le poteau mitan, symbolisé par un tambour, nous y reviendrons, la possession du corps par les esprits, la douleur et la joie et la communion. Tout commence par une voix off. Mise en place, contextualisation, mais aussi première incantation. La déesse parle. Elle parle non pas des hommes mais du poète. La pertinence de cette ouverture se fait a posteriori, en parallèle avec la fin. En effet, la fin concorde avec le début, ce qui nous renvoie au concept d’écriture spiralaire qu’adopte Vilsaint depuis plusieurs années maintenant, sauf qu’ici une modification a lieu alors que dans Maudit cas de Jacques, cette modification était avortée. Cette modification se remarque par l’échange entre l’ouverture par Ange-Douceur et la clôture par la voix du poète émancipé. Opposition ? Complémentarité ?
Dans l’échange que le poète a avec Ange Douceur déjà au sol avant le début, nous ne pouvons pas parler d’opposition. De confrontation à la rigueur, même si une version plus pertinente consisterait à y voir une incarnation du monde sensible du poète. Ainsi le poète serait ici incarné par l’Homme, tout comme l’Homme peut être possédé par l’esprit divin dans la culture vodoo. Mais si Ange-Douceur est l’incarnation d’Erzulie, comme le suggère la robe rouge, qui, d’ailleurs, aurait peut-être gagné à être plus nuancée niveau couleur, si sa raison d’être est de symboliser la passion. Toutefois, réduire ce duo incarné/désincarnée à l’expression de l’Amour, ou de l’Amour dans la Poésie, serait réducteur. Une lecture plus subtile serait d’y voir le rapport parfois difficile entre le poète et le langage, le poète et les mots. Ce sont ses mains et ses bras qui enfilent la robe. La palette des émotions se déploie dans toute la première partie par son rapport avec Ange-Douceur. Notons que le nom même d’Ange-Douceur est intéressant pour quelqu’un d’extérieur à la culture vodoo : le poète veut-il de la douceur de cette Ange ? Ressent-il de la douceur pour elle ? Espère-t-il qu’elle s’adoucisse ? Cherche-t-il à concentrer la douceur de cette Ange ? Tout à la fois. Ange-Douceur, que l’on connaisse ou non l’artiste, représenterait donc à la fois la divinité, l’écriture et la femme. Trois entités. Toujours.
L’énigmatique et fascinant Simidor. Simidor est le personnage insaisissable de l’oeuvre car il est tout et rien. Rien car il n’a pas un rôle. Il revêt des fonctions. En effet, il construit les ponts dans la création : Erzulie/Poète, Poète/Hommes, incarne le public sur scène, l’homme des Caraïbes. Il est l’Homme-tambour avec tout ce que cela représente, le poète, dévêtu de sa fonction, dans la vie de l’exil. Il est, tout comme Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain, et selon le travail de l’universitaire  Maximilien Laroche, dans son article La Diglossie littéraire dans Gouverneurs de la Rosée:termes de couleur et conflit de langues (erudit.org) le présentent en tant qu’incarnation de l’oralité de la culture haïtienne.
Enfin arrive le poète. La création s’ouvre sur trois temps. Le poète arrive, paré d’un tambour, d’un cabas, d’une chaise. Trois accessoires.
Appesantissons-nous sur le tambour car il pare le poète et symbolise le poteau mitan. Car il est divisible par trois au niveau symbolique chez Vilsaint. En effet, le tambour est un repère spatial. Bien. Mais au niveau symbolique, dans cette œuvre, il fait le lien entre l’Homme, l’artiste et le religieux. L’Homme, car il est fait de bois travaillé, et de peau. Nous sommes donc dans l’incarnation. La peau, le travail et ne fonctionne que par l’action mécanique de l’Homme-en scène par Jackson Thélémaque. Il est aussi l’instrument de musique, de rythmique, d’ailleurs. Il est forme d’art par sa fonction première, mais aussi par le lien avec la rythmique de la poésie. Quant au religieux, il est évident car il scande les cérémonies vodoo, ainsi que nombre d’autres cérémonies spirituelles, pour ne pas dire religieuses. Il devient donc un repère logique dans cette œuvre, surtout que sa verticalité rappelle celle du poteau mitan, repère et centre des cérémonies vodoo. Si l’on ajoute qu’historiquement, dû au passé esclavagiste qu’a connu les Caraïbes, le vodoo fut entrelacé du christianisme-puisque religion imposée par les Blancs, les esclaves ont caché le vodoo en trouvant des correspondances et un langage codifié par le langage chrétien, ce qui résulte de la forte présence vodoo dans le christianisme des Caraïbes- nous pouvons décemment parler de trinité pour évoquer la présence de l’Homme, de la divinité et de l’artiste, dans la cérémonie vodoo.
Quant au rôle du poète-brasseur, la trinité est d’autant plus flagrante. En effet, Vilsaint campe un poète, c’est-à-dire un Homme, tour-à-tour haïtien et exilé (même s’il s’agit de la même personne, sa voix, son propos changent), un artiste et celui qui communique avec les divinités. Mais qu’en est-il des thèmes  qu’il aborde, me direz-vous sans que vous le demande ?
 Le poète-brasseur brasse. Par définition. Il brasse sa culture, sa culture vodoo. Il brasse une vision distanciée du monde capitaliste. Il brasse la poésie. Soit trois thématiques majeures. Encore cette question de la trinité.
La culture vodoo, même si il est très compliqué de la commenter en raison de sa complexité et d’un besoin de grandes connaissances en la matière afin de ne pas tomber dans les raccourcis, les clichés et les facilités auxquels il est facile de succomber, il nous sera plus aisé d’évoquer la question de la critique du monde capitaliste et de la poésie, de façon liée.
Il montre dès le début de la création, que la voix est un souffle, une voix éternelle qui peut servir à différents desseins, toujours les mêmes  depuis la nuit des temps : l’amour, la gamme des émotions humaines, l’incantation mystique, un regard distancié sur le monde. Le poète, dans son rapport au monde et par son expression, se verticalise, surplombe le monde en transcendant le temps. Ainsi, il opère une coupe de la vie. En l’occurrence, celle d’un poète exilé de sa terre natale. Ceci lui permet de parler de l’exil et de l’absurdité d’avoir préféré un dieu-économie, plutôt qu’une déesse amour. De parler de la bêtise humaine, résultat d’avoir donné de l’importance à du vide. Ainsi, il critique la vacuité du monde actuel et le besoin de réenchanter le monde par la poésie, par le fait de prendre son temps, par la création artistique. Ainsi il se détache des choses en chantant les mots qui expriment ses maux. Il se libère de tout en brassant le monde à coup de caresses lexicales tantôt douces, tantôt cruelles.  Par conséquent, lui qui était encombré, d’une chaise, symbole de l’Homme, car la chair a besoin de se reposer, d’un cabas, symbole de la consommation et de l’exil, d’un tambour, symbole d’art, de mysticisme et d’humanité, s’en est délesté pour se tenir debout.
La difficulté pour le public est de ne pas attendre d’histoire linéaire, des dialogues théâtraux. Mais, s’il se laisse bercer par les courants des émotions lexicales, rythmiques et chorégraphiques, alors il abordera sans encombre l’île du poète Vilsaint.
 Ainsi, porté par une lumière savamment travaillée (les jeux d’ombres sont fantastiques), une mise en scène impeccable, un jeu aussi fort que juste, le poète, par l’intermédiaire d’une cérémonie vodoo, se libère pour être son propre poteau mitan, libre que ce soit par rapport aux choses, aux êtres ou aux idées. Une spirale langagière libératrice du rien qui forme, hélas, à l’heure actuelle, un grand nombre de tout. Nous pourrions même voir un clin d’oeil taquin avec Gouverneurs de la rosée entre le couple Simidor/ Manuel et ici Simidor/ Emmanuel…
A quand le public autour de l’acte essentiel performatif ?
                                                                                                   Yann Audrain
0 notes
yannaudrain-blog · 6 years ago
Text
“Mes Pieds frappent la Terre” (extrait)
Mes pieds frappent la terre
Mes pieds frappent la terre
 Et toi l’ami
Dont les pieds
Frappaient la terre
De ton pays
Viens avec moi
Entonnons des chants que nous ne connaissons pas
Nos pieds frappent la terre
Nos pieds caressent la terre
5 notes · View notes
yannaudrain-blog · 6 years ago
Text
Salon du tiers livre
Loin des lumières vives. Près des chiottes aux femmes qui attendent, piétinant. Dans un coin, ô générosité ancestrale, les zèbres griots d’Afrique et de la Caraïbe. Mais, pardon, en costumes ! On a remplacé les bracelets de fer par les montres dorées, cela sied bien à leur teint.  On discute avec eux, ils attirent les âmes contrariées par un passé dérangeant. Consomme, consume les arbres sur lesquels leurs pleurs ont peint leurs morts, pour lesquels ils ont sué leur musique. Mais s’ils peuvent ouvrir leur esprit, ils n’ont pas accès à votre âme, la caisse. La caisse ne connaît que le livide, le rose pragmatique. C’est à ce prix que vous lisez le créole en Europe ! Le reste n’est, hélas, que littérature.
1 note · View note
yannaudrain-blog · 6 years ago
Quote
Cesse de t'accrocher à cette idée que tu ne connais pas.
Yann Audrain
0 notes
yannaudrain-blog · 6 years ago
Photo
Tumblr media
#affiche#spectacle#peinture#souvenir#poésie#littérature#liberté#négritude#lecture#bookaddict#writing#poet#poetry#poète#media#musique#music#loisirs
0 notes
yannaudrain-blog · 6 years ago
Text
Sur le pont de la ville
Sur le pont de la ville
Passent les ombres et les soleils.
Sur la cire du goudron, flottent jeunes et vieilles. S’enfoncent les visages burinés, sombres ou éclairés. Le vent transporte bonheur, attente, dépit. La nuit sème amour ou illumination.
Sur le pont de la ville
Passent les ombres et les soleils.
Sur les flaques des réverbères
Clapotent les mains, dans les poches. Un mégot resplendit aux lèvres d’un soir pluvieux de novembre. A l’heure où les viles rentrent chez eux. Caricature de noël, feux des voitures boules de neige, via les verres entachés de pluie, de rêves, du gars aux désespoirs.
Sur le pont de la ville
Passent les ombres et les soleils.
La hors du temps claudique de gauche à droite. Dans cette vie moite.
Qui la pourrit à vivre entre les courses, les traditions et le ménage.
Sur le pont de la ville
Passent les ombres et les soleils.
Un pas de tambour vers un nouveau jour de labeur.
Une savate qui traîne sur le retour. Le désespoir de l’échec.
Sur le pont de la ville
Passent les ombres et les soleils.
0 notes
yannaudrain-blog · 6 years ago
Photo
Tumblr media
0 notes
yannaudrain-blog · 6 years ago
Text
Mes pieds frappent la terre
Mes pieds frappent la terre
Mes pieds frappent la terre
Mes pieds frappent la terre
Alors que mes yeux ne voient rien
Le regard en avant
Le regard fuyant mes mains vides vers le néant
La tête obscurcie par le vide
Mes pieds frappent la terre
Mes pieds frappent la terre
La bouche amère des lendemains
Mes pieds frappent la terre
Mes pieds frappent la terre
Mes oreilles et mon nez parlent aux arbres
Mes mains caressent les murmures du vent
Mon regard se baisse et se lève
Je suis vivant
Mes pieds frappent la terre
Mes pieds frappent la terre
Ma voix entonne un chant
Mon cœur appelle les esprits
Les esprits de la foret
Les esprits de la nature
Les esprits des hommes sages
Ne font qu’un
Mes pieds frappent la terre
Mes pieds frappent la terre
Et toi l’ami
Dont les pieds frappaient la terre de ton pays
Viens avec moi
Entonnons des chants que nous ne connaissons pas
Mes pieds frappent la terre
Mes pieds caressent la terre
2 notes · View notes