Quand j'étais petit, je gribouillais sur mes tables de classe des croquis qu'on me forçait d'effacer. Maintenant que je suis grand, je tape des lettres sur un clavier pour lâcher des mots sauvages dans les vastes étendues du web... Petits billets d'humeur, textes poétiques ou drolistiques, philosophie de comptoir, nouvelles glaçantes ou amusantes... Vous trouverez ici une vitrine des bêtises magnifiques qui peuplent mon cerveau, et d'autres endroits, bien moins connus.
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Prédation
*vignette montée à partir du tableau : Le coup de pied - Artiste : François Bahvsar
!! (L’auteur condamne fermement les actes présentés. Cette oeuvre ne vise en aucun cas à justifier ou érotiser les atrocités qu’elle présente) !!
Un souvenir qui a marqué ma vie, est celui ce jour d'été 1939. Mon camarade Heinrich et moi-même étions de service au camp de Dachau. Depuis des années que je le connaissais, il avait toujours été un soldat exemplaire. En sa compagnie, nous avons accompli notre devoir sans lésiner. Pourtant, depuis quelques jours, son comportement avait changé.
Il faut comprendre, s'occuper des youpins à longueur de journée, ça vous monte à la tête. On a tellement de pouvoir, on se sent vite comme intouchable. Je pense qu'il devait se dire ça : qu'après tout il était arien lui, et que ça lui donnait des droits. Ou peut-être que c'était pas lui … peut-être qu'elle lui avait vraiment fait quelque chose, même sans faire exprès.
En tout cas, quand il a rencontré cette juive, j'ai bien vu qu'il se passait quelque chose. Il était comme captivé. Il était devenu absent : son regard se perdait dans le vide et il parlait plus. Quel combat avait lieu dans sa tête ? On peut pas aimer une juive, pas quand on est allemand. Et c'était pas un sensible Heinrich. Je le voyais pas céder comme ça …
Un soir, il m'a demandé si je pouvais garder un secret. Il lui fallait de l'aide et j'étais le seul sur qui il pouvait compter. Et moi dans tout ça, je n'ai jamais su dire non … Son plan était simple. Elle l'avait ensorcelé … Pour se libérer, il la prendrait de force, brisant ainsi le maléfice qu’elle lui avait jeté.
Le lendemain, alors que nous faisions marcher les prisonniers, Heinrich et moi emmenèrent la sorcière à l'écart. Je dois bien admettre que je comprends ce qu'il lui trouvait … Bien que maigre, elle avait des bons restes. Sa poitrine était provoquante et on sentait qu’elle avait les hanches souples. Son visage avait quelque chose, avec ses grands yeux de biche et sa chevelure ondulée. Pour une youpine, elle était foutrement baisable, de quoi faire tourner des têtes. Heinrich l'a emmené à l’écart. Moi j'étais à quelques mètres, je montais la garde. Malgré la distance, je me rappelle nettement leurs échanges.
Lui il la domine d'une tête. D'en haut, il la toise. On le voit dans ses yeux, il va se venger, et tant qu'à faire, il va en profiter. Elle doit bien s'en rendre compte, puisqu'elle le regarde. Elle a le dos courbé. On comprend la peur sur son visage : ses yeux implorent. On aurait dit un loup et une brebis. « Déshabille toi » dit-il, laissant entrevoir ses crocs. La brebis pleure. Un coup de griffe, elle tombe, puis doucement retire son haut. Malgré ses côtes saillantes, elle reste bien faite. Une fois dénouée de sa fierté, elle se lève en titubant. Maintenant, c'est le chat qui joue avec la souris. « Danse » dit le matou, et la souris se met à bouger.
Je suis mal à l'aise quand j’y repense, Heinrich n'aurait pas dû se compromettre ainsi … Elle était si vulnérable, et lui si fort … Voilà ce que je me disais … Et là, c’est arrivé.
Les mouvements saccadés de la juive gagnèrent en fluidité, bientôt, ses formes prirent vie. Son corps devint une scène et ses yeux brillèrent d'une lueur jamais vue jusqu'alors. Ils s'allumaient, comme mus par un feu intérieur. Était-ce son cœur, ses tripes ? ... La danseuse foudroyait Heinrich. Les yeux de mon compagnon se plissèrent et un sourire vertical fit grimper les coins de sa bouche jusqu'en haut de ses oreilles. Je pouvais deviner la tension dans son corps, il se tendait. Il allait bientôt jouir de son pouvoir. Déformé par un rictus, il articula « approche toi ».
Le dégoût perlait des larmes de sa victime, et le dégoût coulait dans sa salive d'agresseur. Mon ami était méconnaissable. Lui qui était de nature si modeste, il prenait dans la domination un air dément. Il me faisait peur. Et là … C'est allé très vite… Honnêtement, j'y ai pas cru. Alors qu'Heinrich ouvre sa braguette, la juive se jette à sa ceinture. Elle glisse une main sur son buste et la fait glisser vers son bas ventre, à croire qu'elle le griffe. « Quel changement d’attitude, » je m’disais… « Ces rats n’ont donc aucune fierté. » Surpris, lui aussi, Heinrich se laisse aller au spectacle. Elle descend vers on machin … Soudain, BAM ! Un coup de feu … Un bruit sourd et je vois la tête de mon ami tomber au sol. De sa main libre, la danseuse s'était emparée de l'arme. En une seconde, Heinrich, mon ami… le prédateur était mort...
Alors bien sûr j'ai réagi. J'ai pointé mon arme sur elle et j'ai vengé mon Heinrich. Mais si je vous raconte tout ça, c’est qu’au de-là de la tristesse, au de-là de la violence, cette histoire m’a réveillé. La juive s'est défendue avec ses armes, elle a combattu … même si elle pouvait pas gagner. Je la croyais sans force, ça l’a pas empêché de tuer Heinrich, lui qui se pensait tout puissant.
Et quoi ? Elle venait d’où cette énergie ? Peur du viol ? Haine de l’allemand ? Bah, elle était foutue ! Y avait pas moyen qu’elle survive. Elle avait été choisie … Dos au mur, elle a pris ses armes, son corps quoi, et elle a mordu. Avec sa morsure, elle a condamné son bourreau. Etait-ce de la bravoure ? Je n’en sais rien … elle était foutue de toute façon … La danse de cette juive, c’est avec le mort qu’elle l’a dansée. Aurait elle préféré vivre ? Ne pas être choisie ? Sans doute … Elle était d’une race de traitres. Et puis, y a que les cons qui veulent vraiment mourir en héros. Elle était pas conne elle.
Heinrich lui, par contre, était devenu mégalo. Il avait oublié une vérité basique : il était de chair et d’os. Ainsi, qu’importe le peuple allemand me dis-je aujourd’hui. Nous ne sommes que des goûtes d’eau dans l’océan de l’histoire. Et cette juive, elle n’a pas changé l’histoire, elle n’a pas gagné la guerre, pourtant, un court instant, elle a remonté le courant. Depuis ce jour, mes certitudes sont mortes.
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Frères Loups
Tout jeune déjà, il mangeait toujours avant moi. Puisque nous venons de la même portée, nous sommes frères. Pourtant il a toujours mangé avant moi. Alors que nous étions louveteaux, j’étais intouchable grâce à lui. Si un membre de la meute en voulait à ma nourriture, il me défendait. En contrepartie, je devais accepter qu’il était le maître. Une fois, j’ai commencé à mordre le pied d’une brebis avant qu’il ne m’y ait autorisé. Il m’a mordu si fort, que je n’ai plus jamais recommencé. Puisqu’il était grand et fort, il n’a pas tardé à devenir le chef de la meute. Il était valeureux et nous sortit de l’embarras bien des fois … Il savait tromper les chiens et les hommes. En montagne, il dénichait les proies mieux que quiconque.
***
Aujourd’hui encore, je suis ses pas. Pourtant, son ombre qui toutes ces années m’a servi de protection, m’écrase aujourd’hui. Quand je vois les louves qui lui tournent autour, je me sens étranglé, je veux être fort, qu’on me regarde. Comme lui …
Depuis qu’il est chef, il m’a délaissé. Je ne suis même plus son frère. Nous ne dormons plus blottis l’un contre l’autre, nous ne partageons plus les proies. Il dort proche de son harem et me commande comme son soldat. A-t-il oublié comme nous étions proche ? Au fond de moi, je le hais un peu. Je veux qu’il me reconnaisse, je ne veux plus être son chien discipliné. C’est pour ça que je me tiens devant lui.
Toute la meute nous encercle, c’est un moment grave. J’ai défié l’autorité de l’Alpha, je défie mon frère. Tous les yeux sont rivés sur nous, qu’importe le gagnant, la meute ce soir aura perdu un de ses membres. Il neige autour de nous, la meute en cercle contraste de gris l’étendue blanche étincelante de ce vallon montagneux. Un vent fort fait frémir nos poils. Au-dessus de nous, la lune pleine semble immense. Le soir où mon frère prit la tête de la meute était un soir comme celui-ci. Il planta si fort ses crocs dans la nuque de l’ancien chef, qu’il le tua sur le coup.
Je frémis un peu en pensant au sang de mon père qui colorait la neige. L’adrénaline monte en moi. Ça va bientôt commencer. Le sang bat dans mes oreilles et mes babines se dilatent, découvrant mes crocs. Je dois prendre l’initiative. Levant le nez au ciel, je pousse un cri puissant. Sorti du plus profond de mon âme, ce hurlement me nettoie, il purifie mes muscles et rallie mon courage. À ce râle, mon frère répond. Nos chants se joignent en communion, précédent la violence. Pendant de longues secondes, nous laissons nos voix ricocher sur les montagnes. La jubilation est à son paroxysme, les autres membres de la meute répondent à nos cris. Toutes nos voix s’élèvent, c’est une grande fête. Par le son, nous survolons la vallée, nous devenons le vent qui caresse les sommets. Le rituel est accompli, plus de retour possible. La lune sera témoin du combat. Je regarde mon frère, nous avons les crocs déployés. Il ne peut plus m’ignorer.
Nous avançons doucement l’un vers l’autre. Il est proche, si proche que je peux sentir son haleine, la bave coule de ses crocs … Je me rappelle ma vieille blessure, elle m’effraie. Alors de toutes mes forces, je lance ma mâchoire au visage de mon frère. Il fait de même et nos crocs s’entrechoquent. Un gout acidulé coule sur mes babines. Je sens saigner mes gencives et contracte la mâchoire, de toutes mes forces. À l’aide de mes pattes arrières, je pousse mon poids vers l’avant. Toute ma vitalité est consacrée à le détruire. Nos forces semblent s’annuler, nos corps font des va-et-vient dans le cercle. Il est plus fort que moi, je le sens. À ce rythme, je vais me faire anéantir. Les mâchoires de mon frère sont aussi dures qu’un piège de métal.
De ma patte avant, je lance un coup de griffe à son museau. Confiant comme il est, il ne protège jamais son museau. Mon coup l’atteint. Pourtant, sa force s’amplifie. Bientôt, je sens trois traces se former sur mon visage. Il réplique, rend les coups. Le combat dure longtemps. Nos crocs s’entrechoquent, nos griffes nous lacèrent.
Nous reculons simultanément d’un bond en arrière. Je sens ma fourrure toute collante de sueur et de sang. Avec intensité je maintiens son regard. Il ne montre rien, mais il est à bout de souffle lui aussi. Cet assaut sera le dernier.
Je lui saute dessus avec toute l’énergie qu’il me reste. Lui tombant dessus, je réalise mon erreur. Une attaque pleine d’intensité, trop présomptueuse. Ma gorge est découverte, il va sauter, me l’arracher. Je ferme les yeux et abats mes crocs. La fin est proche. Pourtant, ma gorge est intacte ? Un goût de sang … La nuque de mon frère. Surpris, mais victorieux, je dessers la mâchoire, il est à terre.
Les cris de la meute s’arrêtent petit à petit. Je vois mon frère sur le sol. Ses yeux ouverts me regardent, tandis que son sang colore la neige. Il se relève doucement, la tête baissée. Me lance un dernier regard, se tourne puis s’écarte en clopinant. Il n’est plus le chef de la meute, comme veut la tradition, il part. Je pousse mon cri. J’ai gagné, je suis l’Apha maintenant. La meute répond à l’unisson tandis que mon frère s’en va seul, en direction de la forêt. Mon chant est triste ce soir. Je voulais me faire remarquer par mon frère ... Je l’ai éclipsé et jamais je ne le reverrai.
***
Voilà déjà longtemps que je mène la meute. Souvent, je repense au soir de ma victoire. Pourquoi ne m’a-t-il pas tué ? Était-il trop fatigué ? A-t-il hésité ? M’a-t-il laissé gagner ? Quand j’y pense, j’ai honte ... Il devait gagner ! Était-il si faible ? Parfois, quand la brume se lève et que le vent souffle en haut de la montagne, on ne discerne plus ni les odeurs, ni les membres de la meute. C’est un temps de doute, et il me faut être fort pour mener le groupe. Pendant ces tempêtes, j’entends parfois un chant familier. Je crois reconnaître mon frère qui veille sur moi.
*Un grand merci à Sonia Mathioudakis pour son aide précieuse à la relecture.
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Critique : Le Révisoir
Dans Le Révizor, Gogol brosse encore une fois le portrait peu flatteur de la bureaucratie Russe du XIXème siècle. Mais peut-on vraiment limiter sa critique à un temps ou une époque ? Je ne suis pas Russe et j’ai grandi dans le XXIe siècle, pourtant, les comportements décrits dans la pièce me sont pour le moins familiers, aussi il me semble que le regard acéré de l’auteur ne se limite pas à son temps et son milieu mais nous donne un éclairage universel sur la petitesse de l’homme dans son rapport au pouvoir.
Il n’est nullement question ici de détailler l’importance de Gogol dans la littérature Russe. Pas question non plus de relater les divers réceptions de la pièce aux différentes époques de sa programmation. Malgré tout, il reste intéressant de souligner qu’elle eut droit à des accueils divers selon les interprétations et les époques qui l’ont vu jouer : Vaudeville cartoonesque, allégorie du diable en chacun de nous ou plus simplement satyre sans pitié de la société Russe, la pièce divise et est désigné tantôt pro-Tzariste, tantôt pro-soviétique. Elle justifie ainsi sa place au panthéon de la littérature, puisqu’en représentant un peu la profonde complexité de l’homme, elle transcende la vision de son auteur pour gagner au fil des lecteurs et des époques, une vie et un message universel en constante actualisation.
Tout d’abord, je confesse n’avoir pas vu la pièce, ma connaissance se limite donc à la lecture de cette dernière. Cela n’empêche pas l’humour de faire mouche à l’écrit tant les dialogues sont évocateurs et les situations cocasses.
Dans une petite bourgade de Province, les haut-fonctionnaires se retrouvent pour une réunion de crise. Un Révizor, c’est à dire un agent haut placé du pouvoir central de Saint Pétersbourg, s’apprête à visiter la ville. Or, entre alcoolisme, corruption et abus de pouvoir, ces gens ont des choses à se reprocher et craignent qu’un contrôle ne menace leur position. Par ailleurs, ils ont tout intérêt à être bien vus de ce visiteur qui en une lettre pourrait garantir leur avancement. Dès le début, c’est leur petitesse qui marque le lecteur. Les soucis de ces notables sont tout à fait déconnectés de leurs responsabilités et on est frappé par leur obsession du paraître : les élèves du maître d’école ont l’air trop stupides, l’hôpital à l’air trop rempli etc. Ils n’ont que faire d’arranger les problèmes qu’ils évoquent et se rejettent sans vergogne la faute les uns sur les autres. Leur seule qualité semble résider dans une certaine solidarité les poussant à collaborer pour créer une mascarade susceptible de satisfaire le Révizor, favorisant ainsi leurs avancements mutuels. On constate cependant rapidement la fragilité de cette collaboration, tant les intéressés sont prêts à se tirer dans les pattes à la première occasion. Tous occupés qu’ils sont à créer un beau mensonge pour la venue du prestigieux envoyé, ils se laissent entraîner de surinterprétation en surinterprétation jusqu’à se trouver convaincus qu’un vaut-rien de passage – Khlestakov - est en fait le Révizor. Les signes de l’irresponsabilité et de l’inconséquence du jeune homme sont alors interprétés comme des marques d’importance. D’abord surpris, ce dernier finit par utiliser ce malentendu à son avantage et profite grossièrement de la crédulité de ses hôtes.
Si l’humour de la pièce repose sur un quiproquo et donne l’occasion de rire des défauts de la société représentée, Gogol, contrairement à Molière, ne montre aucune bienveillance envers ses personnages qui sont avides, stupides et mesquins. Entre autres, la femme et la fille du gouverneur sont interchangeables et en compétition constante, l’inspecteur des collèges est paralysé devant une image d’autorité qu’il adule au point d’en perdre toute capacité d’expression, le juge est médisant, et le gouverneur qui se montre soumis et cajoleur envers ses maîtres est aussi cruel et vantard envers ses subordonnés. Khlestakov lui-même est un sot irresponsable qui doit plus ses méfaits à la chance qu’à la ruse et n’est sauvé au dernier moment que par l’intelligence de son valet. À aucun moment, les personnages ne s’encombrent de morale. Sans aucune lourdeur, Gogol nous montre les différents rôles sociaux assumés par les petits bourgeois de la pièce en fonction de leurs interlocuteurs. Tantôt mielleux et bêtement généreux, tantôt cruels et despotiques, tout n’est qu’avancement, intérêt et soumission face à un pouvoir et une reconnaissance sociale acceptés et désirés de tous.
Cela dit, on pourrait penser que la pièce date du XIXème siècle et qu’on n’a plus rien à en apprendre. Pourtant, l’œuvre semble toujours d’actualité. À la lecture du livre et en pensant à ces notables de province affublant celui qu’ils pensent être le Révizor de qualités exceptionnelles, comment ne pas penser aux relations des salariés face à la haute hiérarchie. Je me rappelle d’une conversation aux côtés d’un ami, au cours de laquelle ce dernier me racontait comment ses collègues encensaient l’intelligence incroyable d’un jeune manager qu’ils avaient croisé deux ou trois fois tout au plus. Comment aurait-il pu en être autrement ? Après tout, s’il est jeune et occupe un poste important, c’est sans doute qu’il est brillant. Ce raisonnement n’est pas stupide après tout, dès lors qu’on accepte l’idée que la hiérarchie est juste, c’est-à-dire qu’il faut accepter de se soumettre un peu devant l’autorité. Cela est d’autant plus visible quand on voit les fonctionnaires de la pièce parler entre eux pour encenser la supériorité de Révizor, relevant ses mots de manière sélective et leur prêtant un sens supérieur, légitime. Finalement, le public se rit d’eux tandis qu’ils sont roulés dans la farine par un sot, lui-même sorti d’affaire par son valet que personne n’estime.
On a beau se moquer des notables de la pièce, leur admiration envers les élites relève pourtant d’une tactique psychologique cohérente, car en effet, apprécier les représentants du pouvoir facilite notre envie de leur ressembler. Le monde de l’entreprise a cela de commun avec l’administration provinciale de Gogol qu’il présente un terreau fertile à une vénération du pouvoir par ceux qui en sont légèrement dotés : tout le monde croit pouvoir monter, on veut être à la place de nos chefs et donc, quelque part, leur ressembler. Je ne parle pas ici d’un N+1, mais d’un supérieur hiérarchique occupant une position qui nous paraît inaccessible et donc prestigieuse. Un seul de ses mots et vous pouvez tripler votre salaire, fréquenter des ministres et des maires …
Mais avant, il faut qu’on vous ouvre la porte, et pour cela il faut qu’on vous apprécie. Alors il faut cajoler ses supérieurs, faire de la politique. Car ce sont bien nos chefs, petits ou grands, qui décident de notre avancement. Le souci des apparences qui anime les notables de la pièce se justifie dans tout fonctionnement hiérarchique. En effet, nos supérieurs ne peuvent nous juger que sur ce qui est montré, en opposition à ce qui est fait. Nos motivations pour cela peuvent varier … Qu’on ait peur, qu’on cherche la gloire, l’argent ou simplement une place au soleil pour se bourrer la gueule, la pérennité des ambitieux passe par une certaine soumission aux élites : ces êtres choisis qui peuvent faire don de leur amitié, un cadeau inestimable pour servir l’orgueil de quelques petits chefs.
Prenons l’exemple d’une personne réelle que j’ai connu et ne nommerai pas. Fière de sa position, cette manager n’hésitait pas à se ruer comme un toutou devant les directeurs régionaux pour effectuer des tâches dignes d’un stagiaire bac-4. Elle le faisait probablement dans l’espoir d’un retour d’ascenseur, un peu comme les fonctionnaires de Gogol donnent sans réfléchir leur argent au faux Révizor. Tout pour la hiérarchie ! En se battant pour ses chefs, elle défendait sa propre position, sa soumission était le prix de son accès à une certaine forme de domination. Accepter la supériorité des maîtres lui permettait d’assoir son pouvoir sur ceux qu’elle estime naturellement sous ses ordres. Tout cela semble fort proche de la pièce de Gogol qui montre admirablement des petits bourgeois qui se battent au cœur d’un système qu’ils estiment légitimes pour défendre leur position et en grimper les échelons, garantissant ainsi la légitimité et le prestige de ceux qui les dirigent.
En fin de compte, je recommande ce livre à tous les petits chefs qui en jouant sans s’en rendre compte le jeu d’un pouvoir qui les exploite, sont les dindons d’une farce bien réelle. Or cette farce n’est drôle que quand on en ridiculise les acteurs, car si l’on peut rire de leur hypocrisie, de leur servilité ou de leur orgueil, la pièce n’oublie pas de montrer les conséquences de leur égoïsme. Le peuple souffre, il demande le changement, mais il est rendu impuissant. Les plus faibles sont forcés de demander le soutien de celui qu’ils croient être le Révizor : la petite bourgeoisie contribue donc à donner une image positive des grands maîtres, ces hommes à la culture et aux valeurs supérieures qui sont capables de rendre la justice. On peut constater des processus similaires dans le monde de l’entreprise, où les N+2 paraissent souvent sympathiques, au même titre que tous les grands dirigeants.
« Vous voyez, on voit qu’il a su rester simple et garder les pieds sur terre, d’ailleurs il m’a dit bonjour dans l’ascenseur … rien à voir avec tous ces petits chefs ! » (Phrase type qu’on entend à la machine café.)
Jamais un blâme, toujours des encouragements et des belles paroles. Le blâme c’est le rôle du N+1, et ce sont les petits chefs qu’on peut détester, peut-être simplement car ils sont à notre portée. Ainsi, on se dit que si l’on conversait directement avec nos patrons, on aurait une oreille plus juste, plus noble et plus à même de nous comprendre, car après tout, s’ils ne disent rien, c’est sûrement qu’ils ignorent tout. Douce ignorance et beau statu quo qui légitime et stabilise la position des chefs d’entreprise : la hiérarchie se couvre sans se forcer. D’ailleurs, si Khlestakov se montre bienveillant aux supplications du peuple, il n’a aucune intention d’intervenir en leur faveur ne serait-ce qu’une seconde.
On pourrait regretter de trouver la classe dominante absente, voire épargnée dans la pièce de Gogol. Pourtant, le fait de ne pas la représenter directement renforce son pouvoir. Les maîtres sont loin, invisibles et inaccessibles. Malgré tout, on peut supposer qu’elle n’est pas épargnée par la pièce dont le sous-texte attaque violemment la légitimité du pouvoir. À commencer par Khlestakov, ce faux Révizor, ce dirigeant factice auquel on attribue tant de qualités. Car après tout, d’où vient la crédibilité d’un roi, d’un héritier ou d’un intendant à diriger, si ce n’est de la confiance qu’a le peuple dans les institutions ? Que Khlestakov soit une représentation directe de la classe dirigeante ou non n’a d’ailleurs que peu d’importance, ce qui compte c’est que doté du pouvoir pendant un instant, il ne sert que son propre plaisir. De la même manière, on comprend mal pourquoi il devrait en être autrement de la part de cette classe dirigeante invisible. Sûrement le vrai Révizor, dont on ne voit jamais l’apparition, est-il semblable aux notables de campagne caricaturés dans la pièce … difficile d’imaginer quelles motivations le pousseraient à modifier l’ordre des choses. Peut-être se montrera-t-il lui aussi corruptible et égoïste ? Il convient tout de même de nuancer cette interprétation car la pièce n’apporte aucun élément concret dans ce sens. Elle s’achève même sur l’apparition du Révizor légitime, laissant suggérer qu’il représente en effet la justice qui s’apprête à rendre son verdict, d’où peut-être certaines critiques accusant Gogol de soutenir le pouvoir en place.
Et pourtant, lisant Le Révizor avec un regard moderne, la pièce marque de manière amusante, froide et réaliste, les mécaniques du pouvoir soutenues par la servilité des petits bourgeois envers un système qui les rend assez puissants pour prétendre à des privilèges tout en étant soucieux de les perdre.
Merci à Laura Chouzi pour l’aide à la relecture
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Les Zoiseaux
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À cette heure encore où j’ai dépassé cette nuit l’heure du coucher,
je me permets d’écrire en cette page ces quelques pensées.
Les objectifs parsemés dans ma tête parasitent mon âme.
Car enfin pour être libre d’écrire il faudrait croire en soi …
Profondément en fait, il faudrait assumer que pour se donner dignement r’à la page,
il faudrait se rêver oiseau.
Sans réserve et sans niaiserie, imiter dans la tête un peu le vol du colibri.
Butiner la rosée et flirter avec le ciel pour en baiser les nuages.
Pas de manière mignonne mais bien de façon animale.
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Car enfin l’oiseau avant d’être le calque des bons
comme des mauvais poètes,
l’oiseau avant tout est une bête.
Une machine animée d’amour et de pulsion.
Une mignonne bête qui viole, qui tue et qui décarcasse les pauvres êtres
qui par malheur sont tombés sous ses serres acérées.
Et de cette douleur, de cette mort, de cette peine,
naît un bonheur, un plaisir père de la putréfaction,
et car la merde est bonne mère,
la vie toujours se développe mieux dans un engrais de malheur.
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Ainsi tombe la fange céleste du trou du cul d’un colibri,
chiant sur le monde de toute sa hauteur,
pris dans son rêve lui aussi, d’être un être qu’on extrait.
Une caresse sur l’horizon,
un au-revoir aux soucis,
un vol sans fin vers la nuit,
celle qui est sombre et nous attend.
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Celle qui accueille sans discrimination, les réacs, les militants, les militaires, les présidents, les presque rien, les ratés, les rassurés, les rassasiés, les assassins, les assoiffés, les sardoniques, les sarcastiques, les artistiques et quelques milliards d’autres encore que mes lettres oublient.
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Ainsi peut-être, faudrait-il un peu se rêver oiseau,
car en fin de compte nous serons tous mornes.
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Mort née dans l’éternel,
vantant à nos êtres cette fausse faculté de celui qui veut voler au-dessus des mondes,
se transcender dans la vie ou se saoûler à son nectar.
Dieu sait qu’il est tard et je devrais dormir
Mais déjà prêt à veiller je me rêve vautour
tournant autour de ce cadavre de moi même,
de ce pommé au sommeil qui combat pour exister.
Je sens le goût de mes os sous ce bec de noires pensées.
Je me sens vautour, je m’appelle Morel et sous mon bec
je crois que je sens déjà le souffle de mes os que craquellent.
Mon corps à soif, je veux de l’eau.
Mes ailes battent, je vole haut
et sous mes pattes acérées je vois la plaine, je m’en extraits.
En charognard mental, je tire plaisir dans le spectacle de la mort.
Je contemple le déclin et y trempe ma plume.
Je comprends enfin pourquoi le noir est la couleur des charognards.
Je prends la morts dans mes plûmes.
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Les artistes tuent le monde et cultivent le mensonge
ou plutôt ils font pousser leur vision dans la merde !
Comment leur en vouloir,
ne nous reprochez pas d’être puant,
nous cherchons les merveilles.
Orgueilleux, nous peinons à prendre comme telle la valeur du monde …
alors on veut faire pousser des choses qu’on croit percevoir
Qu’on croit vraies et issues de nous.
On croit s’envoler, mais on en sortira pas.
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Notre corps est là et notre âme n’est pas.
Nous allons sur place, nous nageons au milieu d’un lac …
En apnée dans la vie, nous agissons vers le trépas.
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Passager de l’absurde, nous traçons tant bien que mal des lignes sur le monde.
Et ses lignes nous portent en ses rebords Notre planète est un bateau et nous voguons en son bord
Or nous n’allons nulle part, et les planches se souillent.
Elles prennent l’eau, la mer du void en imbibe le corps
Le bateau pourrit.
Et c’est bon… Oui, nulle inquiétude : c’est bon !
Nous nous nourrissons de ces champignons.
Aujourd’hui dégringolades, demain nous serons : des champignons.
Nous gorgerons les planches de cette scène voguante
De ce navire englobant en son sein vie et trépas,
ce radeau sans méduse et sans destination,
cette grande galère qui craque pour aller nulle part.
Et les rameurs se penseront albatros, ils voudront inspecter les mers.
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Mais voulant les décrire, ils ne parleront que de lacs
et ces lacs seront la manière dont nos enfants connaîtront les albatros.
Alors certains enfants se croiront goélands
et leurs nuits seront douces.
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...
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Le Vagabond des steppes mentales (critique Narcisse et Goldmund)
Hermann Hesse, prix Nobel de Littérature, est l’un des plus nobles représentant du romantisme allemand. Dans Narcisse et Goldmund, l’écrivain nous conte l’histoire d’un artiste dont la quête d’identité nous mène jusqu’aux plus sombres confins de la passion.
En grand voyageur, il n’a pas son pareil pour emmener ses lecteurs en terre inconnue. Adepte de Saint-François-d’Assise, il fantasme le moyen âge et nous transporte à travers le temps. Bercé par les préceptes de Bouddha et ceux de la religion protestante, il a le don de décrire le monde dans chaque brin d’herbe. Enfin, comme la psychanalyse le passionne, les paysages qu’il nous dévoile sont des espaces mentaux où se rencontrent les archétypes de la conscience. Dans chacun de ses livres, Hermann Hesse nous offre une partie de sa vie qu’il rend universelle en la transfigurant par le prisme de l’art. Un style inégalable forgé dans les tempêtes, celles de la vie d’un homme qui, refusant de se conformer aux attentes du monde, a commencé élève maudit pour finir Prix Nobel de Littérature.
Un succès que rien ne laissait pourtant présager : enfant à la santé fragile, le jeune Hesse est renvoyé de nombreux lycées et rate ses études à plusieurs reprises. C’est en travaillant comme bibliothécaire qu’il se fait écrivain et rencontre un succès rapide dès sa deuxième publication. Et pour cause, Hesse impressionne déjà par la musicalité de son style et par son art de la description qui donne à ses œuvres un caractère hautement sensoriel. Auteur aux écrits très personnels, l’un des grands talents de Hesse réside dans sa capacité à nous conter la vie de personnages intemporels, capables de toucher les lecteurs d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
L’indépendance récompensée, mais à quel prix ? Très vite, le franc-parler de l’auteur lui cause de nombreux ennemis, notamment pour ses prises de position contre le nationalisme allemand aux abords de la Première Guerre mondiale. À cela, s’ajoutent des problèmes familiaux qui plongent Hesse dans la dépression. Pour se reconstruire, il poursuit une thérapie auprès d’un élève de Carl Gustav Young. Sa rencontre avec la psychanalyse l’impacte grandement et transforme sa manière d’écrire. Ses romans prennent alors des airs de récits allégoriques où des personnages archétypaux parcourent le paysage fantasmé de l’inconscient universel.
Aucune limite n’est alors permise à l’imagination de l’auteur, qui nous transporte tour à tour en Inde pour chercher l’éveil auprès de Siddhartha, ou dans un moyen âge fantasmé dans l’œuvre qui nous intéresse ici : Narcisse et Goldmund. Dès son titre, le roman présente ses deux personnages principaux. Pourtant, c’est bien Goldmund que nous suivons tout du long, tandis que Narcisse n’intervient qu’à quelques moments clés. Ils ont en commun leur caractère exceptionnel : Narcisse est un mentor parfait, une émanation de la sagesse tranquille ; Goldmund est un artiste indomptable qui se nourrit des tumultes de l’existence.
C’est dans un monastère en retrait du monde que les deux personnages se rencontrent. Narcisse est un moine doué de talents merveilleux qui le destinent dès son plus jeune âge à faire prospérer sa communauté. Encore adolescent, il rencontre Goldmund, donné aux ordres par son père. Or Narcisse, qui a le don de lire dans le cœur des hommes, présage une autre voie pour son nouveau camarade. En lui dévoilant le souvenir de sa mère oubliée, il révèle Goldmund à lui-même. Cette découverte pousse ce dernier à fuir la vie monacale.
Commence alors une vie d’errance où il s’imprègne de la nature et des nombreux personnages qui croisent sa route. Suivant son instinct et ses envies, il vit de nombreuses aventures et se lie avec des pèlerins, des femmes, des brigands et des chevaliers. Dévoué à ses passions, il ne souffre aucune morale et n’hésite pas à se battre ou a tuer quand il en ressent le besoin. Ne craignant aucun danger et doué d’un charisme mystique, Goldmund ressent l’amour comme une respiration et courtise sans discrimination : les paysannes et les nobles, les femmes mariées et les filles de joie ; mais toujours avec une même obsession : celle de la liberté chère à l’artiste. Un jour scribe, l’autre sculpteur, il conserve toujours son âme de vagabond. Cela le pousse à refuser les honneurs et les responsabilités, à voir le monde dans ce qu’il a de plus beau, mais aussi dans ce qu’il a de plus cruel. Goldmund inspire son art dans les yeux des poissons morts du marché, il explore les villes atteintes par la peste et souffre dans le froid des donjons …
Comme souvent dans l’œuvre de Hesse, le roman est presque prétexte à un essai philosophique ! Les influences de Nietzsche et Freud sont imbriquées dans la narration et parcourent l’ADN des personnages. La volonté de puissance de Narcisse s’exprime dans son vœu d’ascétisme qui le pousse à s’éloigner du monde et de ses tentations, tandis que Goldmund se consume dans l’assouvissement de ses désirs, avec une quête toujours inassouvie : la recherche de cette mère qui l’a abandonné et dont il ne sait rien. La quête de Goldmund le mènera finalement à sa perte, occasion d’un face-à-face poignant entre le mentor et l’artiste qui clôt le roman par une phrase aussi énigmatique que poétique … un final magistral qui résonnera encore dans l’inconscient des siècles à venir !
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La fugue de Mina
C’en était trop, cette fois on ne l’y reprendrait plus ! Ha, ils croyaient vraiment que ça se passerait comme ça !? Mina fulminait au summum de la rage, ses parents étaient allés bien trop loin ! Ce n’était plus une gamine après tout et elle ne permettait pas qu’on lui parle ainsi. À neuf ans, la jeune fille avait toujours été première de la classe. Même quand ses parents la drapaient de petites robes roses et de collants blancs, même s’ils lui tressaient ses petites couettes blondes, leur fille conservait un air sévère. On avait beau la pomponner au mieux, son regard buté intimidait tous ses camarades de classe. D’ailleurs, la maîtresse ne tarissait pas d’éloges à son égard. Malgré son jeune âge, elle impressionnait les adultes qui préféraient éviter de débattre avec elle. Ils avaient beau parler d’elle comme on parle d’une enfant, ils avaient peur de son regard perçant…
La fillette avait tout d’une forte tête. Précoce, elle avait dévoré toute la série des Rougon-Macquart et s’attaquait à la comédie humaine. Sans avoir rien expérimenté de la vie, ou presque, elle connaissait des adultes certaines facettes décrites dans les romans. Sûre d’elle, elle se pensait au moins leur égale et n’accordait pas son intention à n’importe qui. Quand ses camarades jouaient à la poupée ou au football, elle tenait avec les grandes personnes des conversations tout à fait soutenues. Les « Ho, quel avenir pour cette petite !», ou encore « Quelle enfant brillante ! », accompagnaient partout son passage. Jamais on ne disait : « Comme elle est mignonne » ou « Quelle enfant pleine de vie ! ». Rien de surprenant donc dans le fait qu’elle aimait jouer les adultes, ce qui pouvait agacer. Comme par exemple, quand elle étalait ses références littéraires à des aînés qui, au même titre que la plupart des mortels, n’avaient pas autant lu qu’elle. Bien sûr, ils refusaient souvent de l’admettre, afin de ne pas perdre la face. Elle prenait alors plaisir à les humilier, à les prendre de haut. Disons les choses franchement, trop accoutumée aux compliments, la petite avait développé un égo digne d’un Napoléon en culotte courte. Elle était prétentieuse et hautaine. En grandissant, elle ferait mieux que tout le monde, et d’ailleurs, à l’entendre elle savait déjà comment. Un bulldozer auquel rien ne pouvait résister. Quand elle parlait, le monde devait se taire.
Un jour, son père fut impatienté par ce caractère cavalier. Il se leva et toisa sa fille du haut de son bon mètre quatre-vingt. « Écoute jeune fille, tu as beau lire, tu as beau utiliser des mots compliqués, tu restes une gamine et tu vas respecter les adultes. » Comme on pouvait s’en douter, Mina n’accepta pas les remontrances de son père. Pire, au moyen de cris, elle tenta de couvrir sa voix. Il fallait voir la scène… Le grand salon était rempli d’invités qui avaient encensé Mina pendant tout l’après-midi. En parfaite enfant gâtée, Mina tenait à son droit d’imposer ses visions sur tous sujets, son père n’avait qu’à se taire. Or ce dernier était lui aussi plutôt borné. La fierté qu’il ressentait pour sa fille virait à la honte quand elle le rabaissait face aux convives. Le grand salon était empli de cris. Les interjections, et insultes du père et de la fille emplissaient la salle, ricochaient sur les murs. Une sacrée pagaille qui poussa le père à prendre Mina par le poignet pour la traîner dans la pièce d’à côté. Ce fut le début d’une bonne correction. Il l’allongea sur ses genoux et avec vigueur, lui assena une fessée bien méritée. Pour elle, ce fut une première. Au premier claquement, les larmes montèrent à ses yeux qui s’écarquillèrent de surprise et de honte. À la fin du châtiment, elle chouinait comme une enfant de son âge. Les invités qui entendirent la scène firent comme si de rien, mais beaucoup furent rassurés de voir qu’il s’agissait bien d’une petite fille. Ils approuvèrent silencieusement, car aussi intelligente fût-elle… diable : quelle était peste ! Toute groggy, Mina fut envoyée dans sa chambre.
Elle avait les yeux rouges et la morve au nez. Ils étaient loin, Balzac, Zola et les autres… Mina n’était plus qu’une petite fille humiliée. Voyant son visage dans la glace, une nouvelle colère l’envahit… Plus froide, la rage contenue plantait ses racines jusqu’aux tripes de Mina. Comment avait-il osé ?! Elle qui serait sans doute ministre, ou cosmonaute… La voilà battue, agressée… et par son propre père ! S’il croyait qu’elle allait se laisser faire, il se trompait ! Oh oui, il se trompait. Toute la nuit, elle rumina sa haine, au point d’oublier de dormir. Tout n’était pas perdu pour lui… Il allait probablement passer pour demander des excuses, c’était sûr. Elle voudrait bien le pardonner, à condition qu’il se mette à genoux, qu’il rampe pour son pardon. Alors peut-être se montrerait-elle magnanime. Après tout, elle l’aimait quand même bien … Seulement, il devait comprendre qu’il y a des manières de traiter une femme de sa trempe. La nuit passa, mais aucune trace du papa.
Au potron-minet, sa maman vint la convier au petit déjeuner. La mère semblait confiante, presque froide. Aucune trace de pénitence ne soulignait son regard. Elle se crut même généreuse, faisant part à sa fille que la punition était levée. Sortie du lit, Mina alla dans la cuisine et prit place à table. En stratège, elle s’assit en face de son père et le fusilla du regard. Sentant le défi, il la regarda d’un œil amusé, l’air de dire : pas la peine de me regarder comme ça, je ne regrette rien. Il se permit même de prendre un air narquois en disant : « Et bien jeune fille, la nuit porte conseil ? J’espère que tu as compris ta place, il y a des manières de s’adresser aux adultes ». Oh oui, il y avait des manières de se comporter pensa Mina. Elle était folle de rage, mais elle décida de ne rien laisser paraître. Ainsi se croyait-il plus malin ? Très bien, il verrait qui sait mieux faire preuve de finesse. Toute la journée, elle fomenta sa vengeance. Comment rendre aux « adultes » la monnaie de leur pièce ? Il fallait les toucher en plein cœur. Et le cœur de tout parent, Mina le savait, c’est leur enfant. Elle les fera ramper à ses pieds, mais pour cela, il fallait taper où ça fait mal : ce soir, elle partira. Ho, comme ils seraient inquiets le lendemain matin… Bien fait pour eux ! Elle les fera attendre quelques jours, peut-être un mois ou même un an. On eût pu la trouver rancunière, mais elle préférait se dire déterminée. Napoléon ne pardonnait pas ! Telle une petite Machiavel, elle anéantirait son ennemi, au point de ne plus jamais devoir le craindre. Ce soir. Elle partait ce soir…
Pour garantir un départ flamboyant, elle concocta une lettre bien salée, du genre à provoquer une bonne dose de larme. Elle avait lu, donc elle se croyait bonne manipulatrice. Comme on peut être naïf, quand on a neuf ans… Comme on peut être cruel aussi ! Elle se délectait à la délicieuse idée de la souffrance qu’elle pouvait affliger. Pas qu’elle ne les aimait pas, bien au contraire, c’est parce qu’elle les adorait qu’elle pourrait jouir de leur peine. Rien ne vaut une preuve d’amour obtenue dans les larmes. Neuf ans, et déjà tordue par la passion … Il faut dire qu’elle avait lu… Maintenant, elle voulait expérimenter. Sa lettre s’articulait comme ceci :
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Cher Papa, Chère Maman,
Tout d’abord, sachez que je suis reconnaissante des services que vous m’avez rendus jusque-là. Grâce à vous, j’ai pu parvenir à mon éducation et grandir comme une personne saine. Vous m’avez donné tout ce dont j’avais besoin, si bien que j’aurai pu rester un peu plus longtemps parmi vous avec grand plaisir.
Seulement, il est certaines humiliations qu’une femme ne peut accepter impunément. La fessée rustique qui me fut administrée est d’un tel manque de goût, d’une telle laideur, qu’elle me pousse à partir voir la vie ailleurs. Oh bien sûr, j’eus pu pardonner, mais encore eût-il fallu que je trouve dans vos yeux la trace d’un repentir. Or je n’y ai vu qu’une flagornerie idiote. Peut-être y repenserez-vous ce matin, ou les jours à venir, en prenant votre petit déjeuner seuls.
Père, vous comprendrez être coupable de ma décision. Mère, ne lui en voulez pas trop. Vous avez vous-même tant brillé par votre absence au cours de cette crise, que vous faites tous deux un couple bien assorti.
Peut-être dans quelque temps, serez-vous grandis par cette affaire. Il ne me reste plus qu’à vous dire adieu.
Bien cordialement,
Mina.
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Elle relut sa lettre plusieurs fois, plutôt fière de l’effet général. Elle se sentait comme une comtesse défendant sa vertu. Bien contente, elle fit silencieusement sa valise. Un manteau de pluie, un pull pour le froid et une petite robe, puisqu’il était important de garder bonne allure. Pour le reste, elle ne pouvait malheureusement pas prendre autant de livres qu’elle le souhaitait … Elle choisit donc un volume du père Goriot et un gros livre de Kant qui traînait dans la bibliothèque. Elle ne comprenait pas bien le titre, mais elle aimait les noms compliqués. En prévision des intempéries, elle rangea dans son imperméable jaune le petit couteau et la lampe torche inoxydable, qu’elle avait reçus pour son anniversaire. L’un pour manger, l’autre pour mettre en déroute d’éventuels animaux sauvages. Elle trouverait bien du travail en chemin, mais tout de même, elle vola un peu d’argent dans le sac de sa mère. Avant de partir, elle se dit qu’elle avait mérité une petite pause lecture. Livre à la main, elle s’allongea sur le lit et s’assoupit quelques minutes plus tard.
À son réveil le lendemain matin, elle fut embarrassée par son manque de rigueur physique. Heureusement qu’il était tôt. Elle brandit son sac à dos et courut vers la porte. En chemin, elle fit un crochet par la cuisine, où elle prit quelques barres de chocolat. Quelle tête de linotte … elle avait failli oublier d’emporter des provisions ! Une fois dehors, un vent frais souffla sur son visage. Devant elle, s’étendait une petite rue résidentielle. Cette allée, elle la connaissait par cœur avec ses petites maisons et ses grands portails. La brise qui frappait son visage avait un goût délicieux : celui de la liberté. Gonflée à bloc, elle s’élança en sautillant sur le chemin qui mène vers l’inconnue. Elle était fière, elle était forte et surtout, elle était indépendante. Elle courut jusqu’au bout de son souffle, prit alors le parti de marcher. Le village était connu, trop connu. Sa disparition serait bientôt annoncée et elle se ferait attraper. C’était une petite célébrité dans le patelin. Aucun doute qu’au moment où sa mère lirait la lettre, tout le monde se mettrait à sa recherche. Si on la rattrapait si tôt, la fugue de Mina perdrait toute crédibilité. En plus, elle risquait une autre fessée. Elle se rappela Machiavel : un ennemi blessé est dangereux… Pour triompher de son père, elle devait l’anéantir. Elle sauta donc dans le premier bus de passage.
Assise à l’arrière, elle eut le loisir de contempler les paysages défilant par la fenêtre. D’abord, il y eut le centre-ville, la mairie et les petits magasins où sa mère allait faire les courses. Puis elle dépassa la ville voisine, où elle était allée au cinéma avec ses parents. Enfin, champs et forêts prirent le contrôle du panorama qui devint complètement inconnu. Aventure, me voici ! pensait-elle. Avec cet état d’esprit, elle pourrait aller n’importe où sans jamais se croire perdue, elle serait en voyage, voilà tout. Ho, comme c’était excitant ! Rousseau se sentait sûrement comme ça lui aussi, quand il parcourait la France ! Les champs se succédaient derrière la vitre du bus, comme c’était charmant ! Au bout de quelques heures, elle descendit à un arrêt de bus perdu dans une route de campagne. Elle passa là une demi-heure à regarder les champs de coquelicots, attendant un autre transport. Elle grimpa dans la première navette venue qu’elle paya avec l’argent de sa mère. Engagée sur la pente glissante de la découverte, elle ne vit pas passer les heures… Partie de chez elle aux aurores, elle ne descendit du troisième bus que quand sa montre indiquait treize heures. Dieu sait où d’ailleurs …
L’arrêt de bus était perdu au milieu d’une route terreuse cernée par des champs de maïs. Hypnotisée par la féerie du voyage, Mina ne revint à des considérations terrestres que par les gargouillis parcourant son ventre. Malheureusement, pas âme qui vive aux alentours. Un panneau indiquait tout de même le nom d’un patelin cinq kilomètres plus loin. Sacrée distance, mais la fugueuse n’avait pas froid aux yeux. Elle avait un peu froid aux pieds … C’était le mois de novembre, et le vent frais du matin était devenu plus virulent. Qu’importe, Mina, qui était prête pour l’apocalypse, brandit pull et manteau. Elle savait ne rien avoir à craindre, car marcher écarte le froid. Quant à la faim, elle se sustenterait au village. Sans doute un brave paysan lui laisserait une place dans sa grange. Elle lui rappellerait sa fille perdue et il la gâterait. Peut-être même pourrait-elle rester chez lui un moment ! Sinon, il restait les barres de chocolat. Malgré la marche et le pull, Mina sentit ses doigts de pied se raidir sous l'action du froid. Pleine de ressources, elle prit le parti de sautiller, ce qui la fit transpirer allègrement sous son imperméable. Le soleil de la matinée avait disparu et le ciel se couvrait de nuage. Tout cela prenait une bien sale tournure.
Mina regarda sa montre : treize heures trente-sept. Mince ! Ça ne faisait même pas une heure qu’elle marchait… Pour garder le moral, elle pensa aux personnes imaginaires qui lui offriraient sûrement le gîte une fois au village. Ça ne l’empêcha pas de grelotter de tout son corps au bout de deux heures. Il ne pleuvait pas, mais le vent s’était encore intensifié, il poussait si fort contre la face de Mina qu’elle était parfois obligée de fléchir les jambes pour résister à sa pression. Elle ne voulait pas pleurer, et y arrivait tant bien que mal en pensant à la tristesse de ses parents. Ils la cherchaient sans doute en ce moment. Pas qu’elle voulait être retrouvée, mais s'ils y arrivaient, elle les pardonnerait sans hésiter. Il faudrait bien récompenser leurs efforts. Certes, elle serait punie, mais tout de même, sans doute aurait-elle assez fait comprendre l’importance de sa prise de position. Les épis de maïs se suivaient et se ressemblaient, si bien que Mina n’avait aucune idée de son avancement. Peut-être avait-elle été prise dans un loop ? Comme un genre de sortilège magique ? Bien sûr, ça n’existe pas les sorcières, les malédictions et tout ça … Le sac de Mina tirait sur ses épaules, personne n’en parlait dans les livres de ça ! Il faut dire que les livres d’aventure, c’était enfantin, et Mina n’avait jamais pris le temps de s’intéresser à ce genre de bêtises. Aurait-elle dû ? Ses jambes lui faisaient mal et son estomac criait famine. Elle n’aurait pas la patience d’atteindre le village, tant pis … Elle s’assit en tailleur aux abords d’une noue et ouvrit une barre de chocolat. L’herbe humide mouilla sa robe, et Mina constata avec horreur des traces de boue s’imprégnant sur sa robe. Oh non ! De quoi aurait-elle l’air en arrivant au village ? Mina pensa qu’elle ressemblerait à une petite souillonne, et donc que personne ne voudrait plus l’accueillir. À cette idée, sa gorge se noua, capturant le sentiment désagréable qui parcourait son corps. Pour la deuxième fois cette semaine, les larmes vinrent remplir ses yeux. Elle était seule, sa robe était sale et elle avait froid. Oh… mais que faisaient ses parents ?
Elle resta plantée sur sa noue pendant une bonne heure en proie à une atmosphère glacée, quand la fraîcheur de l’air était devenue insupportable, elle se leva. L’après-midi touchait à sa fin, obscurcissant le ciel hivernal. Les alentours étaient de plus en plus sombres et le vent s’infiltrait jusque dans l’imperméable de la jeune fille, caressant son cou d’une bise glacée. Elle pensa couper à travers champs, mais n’y voyait pas assez. Drapés dans les mystères naissant de la nuit, les épis semblaient la contempler d’un œil sombre. Bientôt, par l’imagination d’une jeune fille aveuglée, ils prendront l’air de monstres à l’affût, prêts à la saisir pour l’entraîner en des lieux invisibles. Mina rassembla ses esprits, comme une grande, elle amena ses réflexions vers un objet plus réaliste. Et s’il y avait des vipères ? pensa-t-elle. Il y en avait beaucoup à la campagne, comme celle qui avait mordu le chien des Marengo … La pauvre bête avait été sauvée, puisque le vieux couple avait toujours une trousse de soins sur eux. Ils racontaient l’histoire à chaque fois que quelqu’un se moquait de leur prudence excessive. Ha, mais si elle se faisait mordre Mina ? Elle aurait dû penser à une trousse de secours … Si seulement quelqu’un pouvait passer par là, la déposer au village … Elle n’avait vu passer presque aucune voiture ! Et celles qu’elle voyait se fondaient vite dans la nuit pour disparaître à jamais. Pourquoi ne s’arrêtaient-elles pas ? Une enfant seule dans les champs, ils pourraient quand même se douter que quelque chose n’allait pas… Oh, que faisaient les parents de Mina ?
Il ne manquait plus que ça, et ça finit par arriver : alors que le chemin devenait de plus en plus noir, Mina sentit une petite goutte frôler son nez. Elle était jeune, mais elle connaissait la suite : dans quelques secondes, ça serait la douche froide. Elle pressa donc le pas. C’était insuffisant : bientôt, des trombes d’eau s’abattaient sur elle. Un clapotement intense emplissait les oreilles de Mina, la pluie envahissait tout, tapait sur sa tête et ses épaules, glissait sous ses pas et entrait dans ses yeux. Elle peinait à regarder droit devant, il n’y avait aucun réverbère. Les gouttes d’eau lui piquaient la face. Elle eut du mal à ouvrir la fermeture éclair de son manteau pour chercher sa torche … Les bouts de ses doigts étaient glacés, elle avait du mal à les bouger. Le jet lumineux de la lampe transformait les gouttes d’eau en une armée de lucioles froides tombant misérablement sur le sol. Sans voir ses ballerines, Mina les devinait noires de boue… Comme ses collants ! Elle trimballait des bassines aux pieds : à chaque pas, on entendait mentalement les flocs des pieds s’enfonçant dans des semelles spongieuses. La petite fille voulut se réfugier en elle-même, elle pensa à des salles aux parquets lumineux chauffés par de grands radiateurs, sur lesquels elle poserait ses chaussettes et son pull. Si ses parents arrivaient maintenant, ils l’emmèneraient bien au sec, dans leur voiture, elle pourrait se mettre pied nu et… Prise dans ses pensées, la petite dériva de la route et son pied glissa dans un petit fossé. Le corps suivit, comme entraîné dans un petit toboggan terreux. Une belle chute. En tombant, le profil de Mina rappa sur la paroi de la noue, traînant la moitié de son corps et de son visage dans la boue. La terre humide s’était infiltrée sous son imperméable. Pauvre Mina, le contact gluant de la terre infiltrée remplissait son pull, ses chaussures, son cou et la moitié de sa tête. On eût dit qu’elle avait deux visages : l’un enseveli, l’autre pleurant. Elle n’avait plus le cœur à rêvasser, la littérature avait abandonné son esprit. Dégoulinante, elle se leva et reprit la marche. La pluie martelait le sol, résonnait dessus, comme si le ciel martelait la route. Mina marchait poisseuse, jambes et bras écartés. Enfin, elle vit la pancarte du village. Elle courut vers la civilisation. Il était vingt heures, et elle avait perdu son sac.
C’était l’heure du dîner et les entrailles de Mina réclamaient leur dû. Avoir le ventre vide, c’était une première à ne jamais reproduire, la bohème ce n’était vraiment pas son truc. Elle venait d’une bonne famille où l’on mange trois bons repas par jour. La jeune fille travaillait bien à l’école et la pauvreté n’avait jamais été dans ses prérogatives. Elle, elle voulait devenir riche, avoir plein de livres et les lire devant sa cheminée. Pourtant, elle marchait le ventre vide sous une pluie battante. Le mirage du brave paysan avait disparu… Pour se réconforter, elle se disait que n’importe qui ferait l’affaire. Il ou elle accueillerait Mina, on aurait une bonne soupe au bord de la cheminée… C’était possible ! À travers le filet d’eau, on distinguait enfin de très vieilles maisons, types chaumières, avec leurs murs de brique et leurs toits de paille. Le sol était pavé comme une vieille route parisienne. Loin d’être pittoresque, ce dallage noir donnait l’impression de marcher sur la peau d’un crocodile géant. Les ruissellements et les claquements de l’eau glissaient et tambourinaient sur la peau du monstre, ils lui donnaient presque vie. On eût dit que la bête respirait, mouvant le sol au gonflement de son immense poitrine. Sous le parterre, on devinait terrée une gargantuesque machine ténébreuse et l’écrasement des gouttes sur le sol rappelait des craquements mécaniques. Mina tremblait, elle avait l’impression d’avancer dans le ventre d’une baleine. Mais elle n’était pas dans un conte et que son père ne l’attendait pas ici. Aucune lumière n’éclairait les vitres des maisons, le village semblait désert ! Les jeunes étaient sans doute partis depuis longtemps. Quant aux vieux… ils étaient morts. Ce n’était pas un bourg, mais plutôt un cimetière, l’empreinte d’une vie passée qui eut jadis empli ces lieux. S’accrochant au peu d’espoir qui lui restait, la jeune fille se précipitait aux portes des maisons qu’elle martelait de toutes ses forces. Une fois. Deux fois. Puis elle changeait de porte et recommençait. L’absence de bruits humains à l’heure du dîner avait quelque chose d’oppressant, au point d’oublier le froid, le vent et la pluie. La ville était minuscule, trois rues parsemées de chaumières vides et au milieu du village, un préau qui abritait de grandes machines abandonnées. À croire qu’un jour, il y avait eu des récoltes. En faisant le tour, Mina ne vit aucune église. La ville était vide, abandonnée des hommes et de Dieu. En son cœur, devant les tracteurs hors d’usage, se trouvait un puits de brique qui en avalant des trombes d’eau, exaltait un râle profond.
Réfugiée sous les tôles d’une construction, recroquevillée comme un animal esseulé, Mina sanglotait dans le noir. Elle avait été méchante … Sûrement que ses parents ne la retrouveraient jamais, d’ailleurs, peut-être n’en avaient-ils même pas envie ! Il fallait dire qu’elle n’y était pas allée de main morte avec sa lettre. Vilaine fille, bien fait pour toi ! sanglotait Mina. « Pardon Papa, Pardon Maman, dépêchez-vous… S’il vous plaît… Au secours ! Quelqu’un ! ». Ses cris embués se perdaient entre les nuées.
Vers minuit, la pluie se calma, laissant place à la solitude. Seul le vent défiait le règne du silence. Il s’engouffrait dans chaque espace, faisait frémir les brins d’herbe et longeait les murs en un incessant murmure. Soudain, un râle sortit du puits. C’était un genre de gargouillis, le type qui sort d’un estomac. Ça venait de l’intérieur, ça capturait les fantasmes et les craintes de Mina. Combattant la boule qui obstruait sa gorge, elle finit par rassembler ses forces pour bredouiller :
« Y’a quelqu’un ? »
Le bruit se tut, pour reprendre quelques secondes plus tard. Les yeux écarquillés, Mina fixait dans sa direction, se rappelant les avertissements de son père. « Surtout, ne t’approche jamais des puits ! C’est très dangereux ». Les puits sont les croquemitaines des villages, sauf qu’ils tuent vraiment. Paralysée, Mina pensait à tous ces enfants morts noyés. Quelle fin atroce, pensa-t-elle. Alors qu’il faisait noir, elle pensa qu’il n’y avait rien de pire que de mourir seule et sans aucune lumière. Elle, elle voudrait finir sa vie en haut d’une montagne, avoir un beau paysage à emmener dans sa chute. Mina n’était pas stupide, loin de là. Elle avait peur du puits, ne voulait pas s’en approcher. On eût presque pu flatter son instinct de survie. Malgré tout, l’inconnu avait lui aussi un aspect terrifiant, c’est pourquoi par un réflexe saugrenu, elle cria encore :
« - Est-ce qu’il y a quelqu’un ?»
- Est-ce qu’il y a quelqu’un ? » répondit une voix sortie des profondeurs.
Entendant ces mots, le cœur de Mina se mit à sauter dans tous les sens, comme s’il voulait briser sa cage thoracique, partir loin, montrer le chemin à ce corps incompétent qui restait immobile, comme suspendu au-dessus du vide, avec les étoiles sous les pieds. Il y a quelqu’un… pensa-t-elle. Dans le puits ? On eût dit une voix d’enfant, en plus caverneuse. Sûrement était-il tombé ?
« -Tu es tombé ? lança-t-elle de loin.
- Tombé ?
- Ça va ? »
Aucune réponse.
« - Qui es-tu ?
- To… es-tu ?
- Mina, et toi ?
- Mi…Na… »
Le pauvre… Mince, il fallait peut-être l’aider !
« - Tu as besoin d’aide ?
- Aide ! »
Mina réfléchit.
« - Il y a une échelle ou une corde quelque part ? »
Aucune réponse.
« Tu es toujours là ? » demanda-t-elle.
Mais le silence demeurait.
Il se noyait, c’était sûr… Mina devait faire quelque chose ! Mue par une sincère abnégation, elle s’approcha du muret. Elle se déplaça vite, mais resta prudente… Elle avait déjà assez glissé pour aujourd’hui. Et puis les pavés lui inspiraient quelque chose de pas net, comme s'ils étaient coupants, ou foncièrement mal intentionnés. Quand elle fut à quelques centimètres du trou :
« - Je suis là… Tu es bloqué ?
- En bas … »
C’était la seule réponse qu’elle obtint, et elle ne lui plaisait pas. Il fallait regarder se pencher au-dessus du trou. Mince la paroi était encore toute mouillée. Prenant ce qui lui restait de courage, la petite fille posa ses mains sur le petit muret circulaire. Pour se sécuriser, elle posa les genoux à terre. Enfin, elle pencha la tête par-dessus le gouffre.
« Je suis là-là-là-là… » Les mots de Mina se réverbéraient en direction des profondeurs.
« Au secours », répondit une voix montante.
C’était différent de tout à l’heure, il y avait des pleurs dans cette tonalité. Même si elle ne voyait pas le fond, Mina était désormais sûre de ce qu’elle avait entendu.
« Qui êtes-vous ?» Lança-t-elle vers l’écho profond.
Encore une fois, Mina n’entendit pas de réponse. Elle passa la tête dans le gouffre pour un contempler les profondeurs. Même si elle ne voyait rien, elle entendait comme des remous issus du gouffre obscur. Ses genoux tremblaient, tout son corps lui criait de faire demi-tour. Tant pis, elle ne pouvait rien faire de toute façon. Mina prit appui sur la paroi et se leva. Elle faisait attention à bien encrer ses pieds sur le sol. Dans son dos, même le vent semblait mal attentionné. Dans sa tête, elle se répétait qu’elle ne glisserait pas, que le vent n’était pas assez fort pour la faire plier.
« Mi…Na » hurla la voix des profondeurs.
Sursautant, la petite poussa sur les parois du puits. Sous son poids, les pierres se déboulonnèrent pour s’écraser vers le gouffre. Elle fut entraînée dans l’éboulement.
La chute sembla durer une éternité, jusqu’à ce que Mina sente un choc violent tandis que son corps rencontrait l’eau du bassin. C’était glacial, comme si un millier de lames la transperçaient en même temps. Son corps s’enfonça jusqu’à toucher le fond. C’était vaseux et informe. Elle eut beau ouvrir les yeux, tout était noir. Elle ne voyait même pas la surface, pas un petit rond de lumière pour lui indiquer la sortie. Son cœur battait vite, elle sentit ses forces décuplées tandis qu’elle nageait vers la surface. La tête hors de l’eau, elle prit une grande aspiration.
« A l’aide » cria-t-elle dès qu’elle eut récupéré son souffle.
Mais personne ne lui répondit, si ce n’est l’écho incessant de sa propre voix.
« Y a quelqu’un ? » hasarda-t-elle encore. Mina eut beau tendre les bras, impossible de toucher les parois du puits. Elle nagea quelques mètres. Rien. Juste de l’eau. L’échelle… Il fallait trouver l’échelle… Mais comment faire, si les murs avaient disparu ? Alors que les questions s’enchaînaient dans la tête de la pauvre enfant, elle sentit quelque chose effleurer la plante de son pied. En proie à la surprise et au dégoût, la seule réaction qu’elle trouva fut de se mettre en boule, plongeant ainsi malencontreusement la tête sous la surface. Ainsi émergée elle se sentit proche d’un corps inconnu. C’était juste à côté et elle en supposait les mouvements grâce aux remous de l’eau. Avec toute sa fougue, elle hissa sa tête vers l'extérieur. Encerclée par le fluide glacial, elle gesticulait de manière chaotique. Elle cherchait un mur, n’importe quoi pour s’accrocher. L’anarchie dans ses mouvements lui faisait dépenser une énergie phénoménale … Elle fatiguait la petite, ce n’était pas une experte du sauvetage en mer, ou même une grande sportive. Elle ne savait nager que depuis deux ans. Ce matin, elle s’était levée dans un lit chaud, et là, elle pataugeait dans une mare noire comme la mort, entourée de choses qu’elle ne pouvait qu’imaginer, qu’elle ne voulait pas imaginer. À force de se débattre contre son poids, elle atteignit finalement la terre ferme. Toujours pas de mur, juste un genre de plage boueuse.
Une voix retentit, la même que celle de tout à l’heure :
« Mi…Na »
Vite ! Elle mit la main dans la poche de son impaire, en sortit sa lampe. Tic ! Un jet de lumière fendit l’obscurité ! C’était tout bonnement immense. À l’aide de sa torche, elle cherchait l’origine de cette voix. Pas facile, puisqu’elle se répercutait partout, s’amplifiant dans le sombre écho. Par endroit, elle discernait quelques stalagmites et…
« Mi…Na »
Ses pieds nus étaient posés sur une plage vaseuse. Le sable semblait immense et gorgé d’eau. Existait-il des puits donnant directement sur la nappe phréatique ? Cet endroit ressemblait à la nappe phréatique.
« Mi…Na »
« Mi…Na »
Derrière elle, une paroi rocheuse avec une petite entaille, que pouvait-elle donc bien abriter ? « Papa… Maman… Quelqu’un… ». À ce stade, c’était plus une prière qu’un appel à l’aide. Même elle se figurait qu’elle n’avait pas été une gentille fille. Mais il devait bien y avoir une fin heureuse dans cette histoire, un héros pour venir la sauver, ou…
« Mi…Na »
« Mi…Na »
« Mi…Na »
C’était comme si la voix ricochait dans sa tête. La caverne se moquait d’elle ! La surface de l’eau était plate, mais opaque. Par moment, des remous agitaient le bassin. Elle ne voulait pas penser à ce qu’il y avait dessous, elle n’osait même pas regarder son pied. Bien que faisant partie de son corps, ce membre la dégoûtait, comme s'il avait été corrompu. Elle aurait pu éclairer ses pieds qu’elle n’aurait rien vu de toute manière. La vase recouvrait la quasi-totalité de son corps. On aurait pu croire à une deuxième peau.
« Mi…Na » « Mi…Na » « Mi…Na » « Mi…Na » « Mi…Na » « Mi…Na » « Mi…Na »
« Mi…Na » « Mi…Na » « Mi…Na » « Mi…Na »
« Mi…Na » « Mi…Na »
Toujours la même voix, elle s’intensifiait, modulait sur les murs, quand soudain, elle se tut. Une autre voix, plus maternelle, prononça distinctement ces mots :
« Mina… Comme tu as changé. »
La petite fille se mit à toucher son visage, ses épaules, ses bras… Ses cils avaient-ils toujours étés si longs ? Et cette boule au niveau du coude, c’était normal ? Elle eut beau retourner le problème plusieurs fois dans sa tête, elle n’arrivait pas à dépatouiller la moindre réponse à ses questions. Et pendant qu’elle était aux prises avec son esprit, les voix se multipliaient.
« Hmmm Elle est pas mal »
« Je la préférais avant »
« Tu penses qu’on peut la manger ? »
« Comme elle est sale »
« Bah, qui l’a invitée ici »
« ksssskssss »
« Hahahahaha »
« ARRETEZ »
« Hoo laissez-la donc »
« Pas encore… »
« HIhihihHIHi »
C’était une vraie cacophonie de voix, des jeunes, des vieilles, des belles, des laides. Mina ne comprenait plus ce qu’elles disaient, les mots avaient laissé place à un vacarme assourdissant … C’est alors qu’un jet d’eau lui arriva en plein visage. Mue par son cerveau reptilien, elle pointa sa lampe vers l’origine du tir. C’est alors qu’elle aperçut une silhouette, dont la peau grise comme celle d’un dauphin brillait presque avant de s’enfoncer dans l’eau. Ce fut si bref, que Mina ne fut pas sûre de discerner clairement ce qu’elle avait vu, pourtant cela suffisait à lui glacer le sang. Elle en vint à regretter le froid, la boue et la solitude. Elle sentait sa glotte trembler sans qu’aucun son ne s’en extraie. Au comble de la terreur, elle les entendit de nouveau : les voix. Cette fois, un rire tonitruant éclata dans la caverne :
« HAHAHahAHAHAhahaHAhHAhHAhHAhahAHHahhaaHAHAHahAHAHAhahaHAhHAhHAhHAhahAHHahhaaHAHAHahA »
« Regardez là !!!! »
« Regardez là !!!! »
« Regardez là !!!! »
« Hihihihi, Ça du kzzzzzzz c’est tout craché »
« Il l’a bien eu »
« HAHAhahaHAhHAhHAhHAhahAHHahhaaHAHAHahAHAHAhahaHAhHAhHAhHAhahAHHah !!!!haaHAHAHahAHAHAhahaHAhHAhHAhHAhahAHHahhaaHAHAHahAHAHAhahaHAhHAhHAhHAhahAHHahhaaHAHAHa «
« Qui C’EST qui Y eSt AlLé? »
« hAHAHAhahaHAhHAhHAhHAhahAHHahhaaHAHAHahAHAHAh !!!!ahaHAhHAhHAhHAhahAHHahhaaHAHAHahAHAHAhahaHAhHAhHAhHAhahAHHahhaaHAHAHahAHAHAhahaHAhHAhHAhHAhahAHHahhaa !!!! »
« Aucune chance celle-là, aucune chance ! »
« N’aie pas peur, viens avec nous tout ira bien »
« HIHIhihihiHIHIHihihiHi HIHIhihihiHIHIHihihiHi HIHIhihihiHIHIHihihiHi HIHIhihihiHIHIHihihiHi HIHIhihihiHIHIHihihiHi HIHIhihihiHIHIHihihiHi HIHIhihihiHIHIHihihiHi HIHIhihihiHIHIHihihiHi HIHIhihihiHIHIHihihiHi HIHIhihihiHIHIHihihiHi HIHIhihihiHIHIHihihiHi HIHIhihihiHIHIHihihiHi »
Les voix se mélangeaient de plus en plus, certaines semblaient bienveillante, d’autres tristes. Hommes, femmes, enfants… Toutes s’enchaînaient… elles conversaient ensemble. Puis une autre se leva, si forte que le temps d’une phrase, toutes les autres se turent :
« À mon tour. Finit les blagues »
La voix était grave et calme. Après un silence, les autres se firent entendre de nouveau :
« olalalala, ça craint pour toi petite !! »
« Laissez là ! »
« Viens jouer avec nous Mina… »
Un grand jet d’eau s’éleva vers le sommet de la caverne. On eût d’abord dit le souffle d’une baleine, puis le jet s’intensifia au point de ressembler à un véritable geyser qui vint se heurter au plafond caverneux. Une pluie de poussière tomba partout, obscurcissant jusqu’au rayon de la lampe de torche.
« MI-NA »
Paralysée, la petite sentait la poussière ensevelir sa peau, s’infiltrer sous ses paupières à lui en brûler la rétine. Ses genoux tremblaient comme ceux d’un hérisson pris dans les phares d’une voiture. Mais il n’y avait aucun phare, juste un nuage gris et étouffant qui lui provoquait le début d’une toux grasse.
« FUIS ! DANS LA BRÈCHE VITE !!! » Hurla une voix féminine.
Mina eut à peine le temps d’obéir. Derrière le trou, le sol était incliné, comme dans un toboggan naturel qui entraîna la pauvre fille dans les profondeurs de la terre. La dernière chose qu’elle entendit en entamant sa glissade fut un caverneux « MI-NA ? ».
Une fumée minérale d’une autre nature s’infiltrait dans son nez et ses yeux pendant qu’elle dévalait la pente. Son corps s’enfonçait à vive allure dans les entrailles rocheuses. La température montait et l’air se raréfiait. La pauvre Mina avait peine à respirer tant la chute était rapide. Soudain, elle sentit un choc net, comme si elle avait heurté un matelas. Sa nuque lui faisait mal. Elle reprit doucement sa respiration. L’air était poisseux, comme chargé de particules collantes. Comme il faisait chaud… Trempée, boueuse et fatiguée, la petite se sentait écrasée par l’atmosphère humide et étouffante, comme dans un hammam. Brandissant sa lampe torche, elle se mit à scanner les alentours.
Devant elle s’étendait un paysage vert et mousseux. Mina voyait des plantes à perte de vue. Chaque seconde, elle sentait son corps s’alourdir. Elle sentit une présence envahissante sous ses pieds, comme si quelque chose voulait les ensevelir. La mousse, elle montait sur elle ! Dégoûtée par cette présence spongieuse, Mina se leva d’un bond. Elle aurait aimé sautiller dans tous les sens, mais l’environnement suffocant l’en empêchait. Elle se contenta donc de bouger mollement pour chasser les herbes parasites lui grimpant dessus. Elles tombaient facilement, mais dès que Mina posait le pied, de nouvelles herbes partaient à l’assaut. Un ennemi faible, mais déterminé qui ensevelit la vie sous une masse d’assauts incessants. Les paupières de Mina étaient lourdes, pourtant, elle n’avait pas le choix, il fallait marcher, rester en mouvement … Là-haut, c’était pour échapper aux monstres, ici, c’étaient les plantes qui voulaient la prendre, coloniser sa peau, empoisonner son âme. La terreur vive laissa place à une amertume profonde. Les plantes dégageaient des spores nauséabondes, comme une viande qu’on aurait laissé pourrir pendant des mois. C’était parfaitement immonde … Pourtant, Mina s’y habituait petit à petit. Elle voulait s’asseoir. Se coucher… Qu’importe les herbes, la puanteur, la chaleur… Ça ne faisait plus rien. Ici, personne ne se moquait. Les plantes avaient l’air gentilles, elles… Après tout elles l’avaient sauvée ! C’était comme si elles l’invitaient à rester bien au chaud avec elle. Et puis, Mina n’avait plus faim ici, elle se sentait juste groggy.
Malgré ses pensées, elle continua d’avancer, peut-être dans l’espoir de retrouver ses parents, ou simplement pour revoir la lumière du jour … En marchant, elle se promit que plus jamais de sa vie elle n’approcherait un puits… « Papa… Maman… » Elle soupira ces mots sans conviction. Les parents ne vont pas chercher leurs enfants tombés dans le puits. Elle était seule, elle était partie trop loin. Le monde était un endroit effrayant et elle avait pris trop de bus. En pensant aux paysages qui défilaient par la vitre des transports en commun, elle réalisa que les collines et forêts qu’elle avait appréciées des yeux étaient autant de pièges mortels, des émanations malfaisantes qui en voulaient à son intégrité. Elle voulait rétrécir, retourner dans le ventre de sa mère. Oh, dire qu’elle se croyait adulte… Mais non, elle était un bébé, elle était perdue, il fallait la retrouver… À ce genre de pensées, elle ralentissait le pas. Submergée de sentiments, elle voulait s’effondrer, pleurer un bon coup pour recharger les batteries. Mais alors qu’elle stoppait sa marche, la mousse visqueuse gagnait sa cheville. La moisissure s’amoncelait sur elle, grimpait jusqu’à sa taille. Il serait si facile de s’asseoir. Posant les fesses sur un rocher, elle sentit la mousse grimper sur elle. Pourquoi pas ? Alors qu’elle commençait à fermer les yeux, elle vit une forme saugrenue. Un visage vert se trouvait face à elle, comme sculpté dans la mousse d’un rocher. Il semblait paisible, reposé. On n’en discernait pas grand-chose, ça n’avait pas d’importance, car à ce moment, Mina comprit le sort qui l’attendait si elle s’endormait.
Qui voudrait de ce genre de repos ? Non ! Elle se reposerait quand elle serait morte. Elle pourrait pleurer, sangloter tout son corps… Mais avant, il fallait sortir. Trouver une échelle, une voie, une radio, un timbre, une bouteille, un stylo, une cuillère… N’importe quoi qui l’aiderait à sortir, à fuir cette puanteur lascive. Elle marcherait jusqu’à en crever, ça n’avait plus d’importance, elle n’était pas une plante et ne mourrait pas comme un champignon. Elle avait peur, l’angoisse ne la quitterait jamais. Mais quitte à craindre le moindre bruit, quitte à affronter la nuit, elle voulait que ce soit dans de grands espaces ! L’obscurité ne l’aurait pas, elle chercherait la lumière jusqu’au bout. Si un jour, elle devait s’écraser dans les rapides de la vie, elle ne se noierait pas tant qu’une goutte d’oxygène subsisterait dans un atome de ses muscles. Ainsi, elle prit le goût du combat et l’inconnu devint son allier. Partout serait mieux qu’ici. Qu’ils arrivent les monstres à la peau écailleuse, elle ne finirait pas comme un légume. Bien que la force lui manqua, elle voulut crier, extraire d’elle-même un râle guerrier qui aurait ricoché dans la caverne, effrayant ainsi les mousses invasives et les créatures tapies. Par ses battements, le cœur de Mina donnait le rythme d'une marche forcée. Qu’importait la victoire, une seule idée l’absorbait : mettre un pas devant l’autre.
Bientôt, la mousse se fit de plus en plus rare. Les parois grises se découvraient autour de Mina. Cheminant parmi les stalagmites, elle avait oublié la fatigue et le froid ne l’importait plus.
À force d’avancer, elle sentit une brise fraîche lui chatouiller le menton. Du vent… Qui dit vent, dit air ! Encore de l’espoir… Mina s’était déjà fait avoir plus tôt dans la journée, et elle en redemandait ! Elle en voulait plus, « Donnez-moi des mirages ! » eût-elle crié si quelqu’un avait pu l’entendre. De l’air, sur son visage, c’était inespéré ! Un cadeau de Dieu… Oui, il avait sûrement entendu ses prières. Des larmes d’émotion mouillaient les joues grises de Mina. C’était la troisième fois cette semaine, sauf que pour la première fois, elle était contente de pleurer. Du vent, du vent… De l’air… Elle suivait le filon. Malgré la chaleur, elle se sentait presque légère. Ses jambes se délièrent, elles avançaient toutes seules. Mina se contentait de laisser son poids tomber vers l’avant, et ses pieds la rattrapaient, l’empêchant ainsi de s’écrouler. Les bras de la jeune fille ballottaient le long du corps … Une marche forcée où le cœur tenait les rênes. Elle se dirigeait quelque part, n’importe où lui allait, tant qu’il y avait de l’air. Elle tenait sa lampe torche en direction du souffle… La mousse diminuait, la roche petit à petit se découvrait à nue. Un bruit, un ruissellement, de l’eau, mais surtout… De la lumière !
La paroi caverneuse était ouverte, il y avait une sortie. À travers des trombes d’eau, le petit jour perçait jusque dans la grotte. Les larmes aux yeux, Mina courut vers l’extérieur et s’arrêta devant le rideau aqueux qu’un débit puissant rendait opaque. Une cascade… pensa Mina. Passant la tête sous l’eau gelée, elle fut prise de vertige. Il faisait jour et à peu près vingt mètres sous les pieds de Mina, se trouvait un immense bassin naturel. De retour au sec, elle fut gagnée par l’excitation. La lumière du jour ! Elle avait donc eu raison de s’accrocher, elle l’avait bien vu ! Comme c’était beau dehors, comme c’était grand ! L’horizon à perte de vue ! Bon, bien sûr, il fallait descendre… Pas le choix, piégeant son cerveau, elle courut vers la brèche et sauta de toutes ses forces. Alors que ses pieds se décollaient du sol, une ribambelle de questions lui vinrent à l’esprit. Quelle hauteur ? Quel fond dans le bassin ? Allait-elle mourir ? Autant d’interrogations qui s’effacèrent sous l’adrénaline de la chute. Au bout d’un long cri mental et physique, il y eut un grand Splach. Encore une fois, Mina s’enfonçait dans l’eau, mais cette fois, le lac était ouvert, translucide… Et à travers, elle voyait les rayons du soleil qui coloraient la surface.
Elle nagea quelques secondes pour rejoindre la surface. Autour d’elle, l’herbe était verte et l’eau claire s’obscurcissait autour d’elle, ou plutôt, elle absorbait un peu de sa saleté, la lavait. Elle mit la tête sous l’eau et tourbillonna un peu. Les yeux ouverts, elle pouvait voir le fond : de la vase, des rochers et quelques poissons. Ressortant la tête, elle inspira une énorme bouffée d’air frais. Devant elle, à perte de vue se dégageait l’horizon. À sa droite, elle pouvait voir le début d’une forêt, à sa gauche, elle observait des collines de plus en plus vastes allant vers une montagne où l’on discernait quelques neiges éternelles. Nageant vers la rive, Mina contemplait les sommets d’un air rêveur, comme on devait être bien là-haut, comme le panorama devait être splendide. Derrière elle, la cascade battait la surface du lac. Arrivée sur la terre ferme, elle prit quelques minutes pour regarder en arrière. La chute d’eau était trop opaque, impossible de voir à travers. Elle resta un moment puis tourna les talons. Jamais elle ne se retourna. Un village se trouvait non loin.
Aux abords du lac, on trouvait maisons, églises et tous les éléments caractéristiques d’un charmant hameau de campagne. Les habitations étaient d’un beau bois, ce qui leur donnait un aspect chic, bien que modeste. Comme Mina avait perdu ses chaussures et était vêtue de loques, les habitants la regardaient avec dédain. Cela ne suffit pas à la décourager, elle alla vers les passants pour leur demander un téléphone. À son approche, les braves gens contractaient les narines et détournaient le regard, faisaient semblant de fixer un point vague au-dessus d’elle. Alors voilà, c’était comme ça le rejet, pensa-t-elle simplement. La peur est souvent quelque chose de diffus. On craint de se retrouver dans une situation, mais quand on y est confronté, rien ne reste que la fatalité. Il suffit alors de faire au mieux pour s’en sortir. Elle tenta donc plusieurs tactiques pour imposer son existence, sans trop se forcer, elle se mit à faire du bruit : elle eut beau crier, pleurer et s’énerver, rien à faire, ils l’ignoraient inlassablement. Ils la séquestraient dans un monde invisible, un univers parallèle où elle ne pourrait les importuner avec sa misère. Si elle courait vers eux, cherchant à imposer le contact, leur indifférence se mutait en haine. Elle se sentait traitée comme une pestiférée. Mais enfin, ils ne vont tout de même pas devenir pauvres en me parlant ! pensa-t-elle. Puis elle comprit qu’elle faisait fausse route. Au-delà de l’odeur qu’elle dégageait, c’est la honte qui faisait fuir les passants. Comment regarder ceux qui sont au plus bas ? Comment affronter son reflet quand par égoïsme, on refuse la tribune à ceux qui en ont le plus besoin ? Ils ne la détestaient pas, seulement ils n’avaient aucune raison de l’aimer. Un fossé immense les séparait, au point de casser leur empathie. Élevés dans des traditions morales faisant l’apologie de la générosité, ils ne savaient comment voir en elle autre chose qu’un monstre … Après tout, elle marchait vêtue de loque.
Peut-être les brusquer n’était pas la bonne approche, il fallait simplement leur rappeler qu’elle était humaine, les rassurer quant à eux même. Elle repensa à ses lectures, les inconnus ne sont pas foncièrement généreux, ils ont besoin d’une connexion émotionnelle, besoin de se projeter dans l’autre ! C’était justement pour ça qu’ils l’évitaient, qui aurait envie de se projeter dans sa situation ? Elle tenta alors de sourire, ce qui lui valut quelques regards amicaux et pleins de pitié. C’était déjà mieux, les inconnus osaient la regarder, peut-être se sentaient ils généreux en rendant son sourire. Maintenant, il fallait se faire respecter, au moins un peu. Cela se fit plutôt naturellement, car, bien qu’épuisée, Mina gardait une certaine dignité… Son regard ressemblait à celui des vétérans faisant route vers chez eux après une dure bataille. Sûre d’elle, vaillante à sa manière, elle en avait trop vu pour avoir peur de ces gens. Depuis son départ de la grotte, sa situation ne faisait que s’améliorer. De plus, elle se sentait en contrôle des rênes de son malheur, ce qui lui donnait une assurance certaine dans sa capacité à s’en sortir. Le mépris présentait un moindre mal en comparaison des choses tapies dans le puits. Elle finit par attirer l’attention d’une vieille dame charitable qui, malgré les murmures réprobateurs de la foule, accepta de prêter son téléphone. Mina avait bonne mémoire, aussi ce fut de tête qu’elle composa le numéro de sa maison. Le téléphone sonna deux fois. À chaque bip, son cœur faisait un bon. Elle misait tant sur cet appel, qu’elle respirait avec difficulté, comme si son souffle était prisonnier d’un étau.
« - Allo ?
- Papa !? »
De longues secondes silencieuses passèrent. On pouvait sentir comme un tremblement de l’univers passant dans le combiné du téléphone. Le soleil et la douceur des après-midi en famille caressaient l’oreille de Mina.
« - C’est bien toi ma fille ? Nous t’avons cherché partout, nous… »
La voix s’était enrouée en prononçant ses mots. On y sentait un mélange de regret, d’excuses et de soulagement.
« - Pardon Papa … j’ai été vilaine, je ne recommencerai plus, c’est promis ! »
Toutes traces de fierté s’étaient volatilisées dans la voix de Mina, elle avait littéralement chouiné cette phrase, comme l’enfant qu’elle n’avait pas voulu être en partant. À ses sanglots, répondirent ceux de son père, mais aussi ceux de sa mère qui accourut bientôt derrière le combiné. Malgré la distance, Mina pouvait sentir la chaleur se réanimer au sein de ce foyer, et cette réalisation lui donnait du baume au cœur. À l’autre bout du fil, ses parents jubilaient, chantaient, dansaient … une fête improvisée de la plus pure espèce ! La fille aussi dansait, entraînée par le rythme du bonheur. Autour d’elle, certains passants eurent même un air attendri en voyant la petite souillonne gesticuler pleine de joie. Qui sait, peut-être assistaient-ils à une belle histoire, le genre qu’on lit dans la bible, le retour du fils prodigue. La bonne humeur est contagieuse, si bien que le patron d’une petite auberge au bord de l’eau lui offrit de se débarbouiller dans l’attente de ses parents. Il la fit passer par la porte de derrière. Le bâtiment était en bois laqué et les fondations étaient apparentes de l’intérieur. Bien que rustique, on ne pouvait qu’admirer la finesse de l’ouvrage. Mina aurait voulu serrer les poutres dans ses bras pour s’imprégner de leur texture. Une douce odeur de pin embaumait la pièce. Le directeur la guida jusqu’en haut d’un escalier luisant et la laissa face à une porte, celle de la salle de bain.
Entrant dans la petite pièce rose, Mina évita soigneusement de se regarder dans le miroir. Elle se rendit tout de même compte qu’elle avait la peau colorée, sûrement par un masque de terre. Elle se verrait dans la glace quand elle serait propre. Elle ne se sentait d’ailleurs pas sale, mais grandie, et son reflet devait lui montrer l’image d’une belle jeune fille, pas d’une souillonne. L’eau du pommeau était tiède, elle avait quelque chose de réconfortant. Le jet clair de la douche faisait couler un liquide noir de crasse jusqu’aux pieds de Mina. La vapeur de la douche cacha bientôt le flux boueux coulant à ses pieds. La peau de Mina reprenait peu à peu sa couleur naturelle. Elle prit un petit savon violet qui sentait la lavande et se mit à frotter énergiquement son corps. Passant sur ses seins, elle sentit une vive douleur. Ils étaient comme bombés… Affolée, elle se mit à tâter son corps. Son ventre avait pris de l’embonpoint et ses hanches étaient dessinées. Ses cuisses aussi semblaient plus lourdes. Sous ses bras, et en place de son sexe, des touffes de poils blonds s’étaient installées. Le cœur battant, elle sortit de la douche, et pour la première fois, fit face au miroir dont elle épongea la buée avec sa main. À travers lui, une jeune femme blonde aux cernes dessinées observait Mina. Le monde s’effondra alors une nouvelle fois sous ses pieds. Combien de temps était-elle partie ? Tombant à genoux elle sanglota à grosses goûtes… Elle n’avait tenu que par l’espoir, mais à cette nouvelle épreuve, la fatigue reprenait ses droits. Elle avait mal à la tête et resta ainsi de longues minutes, nue sur le carrelage couleur saumon… Jusqu’à ce que quelqu’un toque à la porte.
« Mina ? » demanda timidement le patron de l’auberge.
Elle regarda la poignée, et mit sa main dessus. La froideur de l’inox lui fit une impression particulière sur laquelle elle se concentra pendant quelques minutes. C’était un peu froid, et plutôt agréable en même temps. Elle sentait comme une fumée de poussière lui remplir le plexus. Les années perdues de l’enfance ne se rattraperaient jamais, pensa-t-elle tristement. Pourtant, tout irait bien, ses parents seraient bientôt là, à ses côtés. En attendant, elle sécha ses larmes. Bientôt, elle pourrait rouvrir les vannes. D’ici une heure ou deux, elle aura des bras pour l’étreindre, et des épaules sur lesquelles pleurer. Elle sentit comme une chaleur dans sa gorge qui monta jusqu’à ses tempes… elle souriait ! La solitude était passée, le pire resterait derrière elle.
Merci à Catherine Martinier, Marina Tsarkova et Frédéric Dupuy pour l’aide à la relecture.
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Ramdam au jugement dernier
Quand Jésus revint sur terre, il fut assez mal à l’aise au vu du spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Oh, les humaines n’étaient pas pires qu’avant. Comme il y a 2000 ans, ils faisaient de leurs mieux. Seulement, quelle suffisance ! Ce n’était pas nouveau. Le monde en avait même vu avant lui : des sages, des philosophes et autres mathématiciens. Et il y avait aussi des sorciers, des poètes et aussi des artistes et des dompteurs de serpents. A Bethléem, ça existait déjà les chroniques, les chamanistes et les dentistes, oui, les dentistes aussi. Mais mon dieu, il s’en était passées des choses. Tout le monde parlait, mais personne ne s’écoutait. Les frères du Fils étaient tous connectés, et ils voulaient recréer Dieu par la science. L’idée était bonne, les hommes et les femmes avaient fait un transfert de foi. Fini les alléluias, on entendait plus les mots saints que dans des parodies. La technique dominait tout, et tout le monde maquillait tous propos à son effigie. Méthode littéraire, discours de la méthode, méthode pour le bonheur, méthodes contre les tocs, méthodes pour sortir de la méthode… Les vendeurs de solutions miracles qui rendent la vie, les nouveaux oracles du cybernétique, les paranoïaques, les douteurs mécaniques tous se prenaient pour des illuminés. Et les illuminés étaient appelés « fous » ! On voulait leur inculquer la raison… Mais quelle raison y a-t’il quand on est humain à vouloir comprendre le schéma de Dieu ?
Et pour quelle raison les animaux rêveurs ne voulaient-ils plus croire en la magie ? Ha, il avait bien raison ce bon Lao Tseu, les mots avaient obscurci le monde pour en extraire des merveilles. Mais Jésus était divin, il n’y comprenait rien au délire de l’or et à la passion des diamants. C’était pour écarter ses frères de tels maux qu’il avait rédigé son dernier testament. Bouddha devait bien rire de lui… Dire qu’il avait pris le pari de réussir mieux que lui. Tourner les hommes vers le ciel n’était peut être pas un plan infaillible pour calmer leur folie des grandeurs.
Enfin, tout ça n’avait plus d’importance, si Jésus revenait, c’était pour annoncer la dernière nouvelle de son père. « Le temps est écoulé, c’est l’heure du jugement dernier ». Mais il pouvait le dire, le crier, plus personne n’en avait rien à carrer. C’était pourtant pas rien : la fin du monde, le jugement ultime et la vérité révélée. A la désinvolture, suivie la mauvaise foi : quand les morts se sont levés, pas un péquin n’y a cru. « Fake News » titrait le Figaro. Débunkage du jugement dernier s’affichait à la une de tous les JT. Jésus se dit que Dieu pourrait bien descendre en personne qu’on lui demanderait de citer ses sources. L’orgueil humain allait si loin, que les artistes et savants croyaient à la propriété intellectuelle, ils se disaient inventeurs et demandaient à être cités. On accusa le Fils de plagia … Quelqu’un avait racheté les droits de la Bible. Maintenant, tout le monde revendiquait son petit lopin de terre et tout le monde se foutait du ciel. Devant le fait accompli, on dut bien accepter le retour des morts… Mais alors tout de même, il y eut débat : qui possédait la terre en premier ? Le gaulois voulaient récupérer la Gaule, mais la France était là. Les américains voulurent se racheter auprès des natifs, mais pour les Incas, « natif » ça ne voulait rien dire. Au final, personne ne s’entendit sur rien, sauf sur une chose, toute cette histoire de jugement dernier était bien mal orchestrée.
Toute l’histoire était tellement ingérable que Jésus dû faire appel au papouné qui convoqua tous les humains au procès. Au tribunal des cieux, Dieu eut grand mal à maintenir un semblant de silence. « Ach, aber Got ist tot ! » dit Nietsche. Il parla beaucoup et fut très applaudis, certains prirent même les armes pour attaquer le grand barbu, et ceux malgré que Lucifer leur déconseilla fortement. En fin de compte, le moustachu annonça que personne n’avait compris son message. Jésus se demanda si ça leur faisait un point commun, mais puisqu’il en doutait, il préféra se taire. Ses poignées lui faisaient mal et franchement il pensa qu’il avait eu tort de se donner tant de tracas. La foule était si mécontente, qu’on aurait dit que c’était le grand Barbu qui était jugé, et que tout le monde avait son mot à dire. C’était la croix et la bannière pour trouver une oreille attentive. Imaginez un peu la taille de la salle, toute l’humanité passée et future au même endroit. Un bordel sans nom, la foire au monstre, le théâtre de guignol en plus animé. Un bruit pas possible, de quoi péter les oreilles de Dieu. Ce dernier appela à la rescousse, mais tous les saints dirent qu’il avait semer les graines, maintenant à lui de récolter les fruits. Fallait les comprendre, ils avaient suivi les règles et endurer la misère toute leur vie, on allait quand même pas leur demander de remettre l’habit après tout ce temps. Le problème d’un libre arbitre, c’est que quand il part on ne sait où, c’est au patron de faire tout le sale boulot. Tous en même temps c’était pas possible, le Seigneur décida de convoquer un par un les humains dans son bureau.
Il y en avait pour des siècles, et bien plus encore. Sur les premiers clients ça allait, la charte était au poils et Dieu connaissait le job. Mais il fallait voir la file d’attente, le bout de la queue avait le moral dans les chaussettes, et ceux du milieux avaient la colère montante. Bref, les jugés arrivaient de plus en plus énervés. Les sentenciés étaient appelés par ordre alphabétique. L’abbé Pierre, passa dans les premiers, il tenait une sacrée rogne, au point de dire à son patron que c’était vraiment du salle boulot qu’il avait fait. Il demanda même à Dieu comment qu’il justifiait toute cette misère ! Emmerdé le Seigneur… Il dit juste que c’était pour le meilleur monde possible. Sauf que les humains se la racontaient tellement... Comme s’ils étaient capables de faire mieux ! Dieu voulut appeler son avocat, mais Leibnitz… «L» c’est la 12ème lettre de l’alphabet. Autant dire qu’avant lui, il y avait du monde à passer. Une chose est sûr, c’est dur d’être patron, surtout quand les employés croient qu’ils peuvent demander des comptes ! Tout de même, ça se saurait ! On a beau dire qu’il n’était qu’amour le grand chef, mais fallait pas charrier. Pour la première fois, Dieux jugea qu’il avait fait une belle connerie, et que l’ennuie du néant finalement, ce n’était pas si mal. Le pire, c’est qu’il avait prévu tout ça… A se demander pourquoi il s’imposait toute cette histoire. Enfin, les dessins de Dieu sont impénétrables, même pour lui… Les humains ne sont pas les seuls à ne pas se comprendre ! On ne pourra donc pas dire que le Père ne nous a pas faits à son image...
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Ce que Jean-Hugues Patos fit de son don de vision...
Jean-Hugues Patos c’était le genre de type qu’on remarque de loin : un mètre quatre-vingts et laid comme un pou. Son visage long semblait coupé en diagonal par un long nez cassé et disgracieux. Ses yeux logeaient à cheval sur son arête nasale et s’illustraient par un strabisme incontrôlable. Son corps était étonnamment maigre, ce qui n’empêchait pas son bidon de pointer au-dessus de sa ceinture, comme une île déserte au-milieux de la mer. À trente-cinq ans, il peinait à ramener quiconque dans sa couche et son salaire de manutentionnaire ne lui permettait pas de s’offrir des nuits de folies auprès d’une fille de joie. Et pourtant, il avait faim : faim de chaire, faim de caresses. Il voulait plonger son nez dans les corsages profonds des stars des films pornographiques, délecter ses papilles de la sève féminine. Il avait tant d’amour à donner et si peu de volontaires, qu’il passait la plus grande partie de son temps libre face à son écran, seul dans sa chambre, à asperger son bureau du jus de ses fantasmes.
Monsieur Patos présentait donc toutes les caractéristiques d’un homme tout ce qu’il y a de plus tristement banal dans sa laideur extraordinaire. S’il s’était fait à l’idée qu’il ne plairait pas aux déesses qu’il convoitait, à savoir n’importe quelle femme munie d’un appareil reproducteur plus ou moins en état de marche, Jean-Hugues aurait remué ciel et terre du bout des ongles pour approcher, ne serait-ce qu’un peu, une femme nue : détailler ses formes, sentir son odeur… Un vœu qui lui fut accordé d’une bien drôle de manière. Cette histoire n’a que faire de l’amour qui en est totalement absent. Elle parle de magie, une magie absurde et cruelle qui n’altère en rien la tordante tristesse de la réalité.
Alors que Jean-Hugues dormait du sommeil du juste, la fée Vision vint lui donner une petite visite. Comme il fut surpris en la voyant arriver dans son rêve ! Il faut bien dire que même pour lui, elle était moche, avec ses cheveux gris en bataille, ses joues gonflées et sa grosse mouche poilue sous la bouche, ce qui contrastait avec les femmes qui peuplaient les rêves de Patos et y jouaient habituellement un rôle érotique. Pour une fée vision, on eût cru que cette créature magique était l’ennemie des miroirs. Résigné, il s’était pourtant fait à l’idée que même en rêve, il ne pouvait se permettre de jouer les fines bouches. Il commença donc à baisser son pantalon.
« - Hey là ! Mais qu’est-ce que tu fais donc là ! s’exclama la fée.
- Heu… Et bien je m’apprête à… heu…
- Non, mais non ! Hors de question ! C’est du harcèlement… Moi qui croyais que les temps avaient changé ! Il reste encore beaucoup à faire !
- Alors vous n’êtes pas là pour…
- Non malotru ! Bon sang non ! Je suis une bonne fée, je viens vous visiter en rêve !
- Une bonne fée ?
- Oui voilà…
- Une fée du féminisme ? »
Ce rêve prenait décidément une tournure bien étrange… et décevante.
« - QUOI ? Mais enfin, féministe n’est pas un travail, c’est un combat militant et… M’enfin non, je suis la fée Vision ! Et vous vous êtes un mufle ! En 30 ans de métiers jamais il ne m’était arrivé de pareilles mésaventures… »
Jean-Hugues sentait bien qu’il avait déconné… Le pauvre, comment aurait-il pu se douter qu’il était possible d’être incivil au sein d’un rêve. Au comble de la gêne, il fit son possible pour consoler son invitée.
« - Je vous prie de m’excuser… Vraiment, je n’aurais pas pu me douter que vous étiez une fée… Voyez-vous, c’est mon inconscient qui s’exprime et… Comment puis-je me faire pardonner ?
- Pour commencer, vous pourriez reboutonner votre pantalon !
- Oui oui… voilà… dit-il en exécutant.
- Bon… lança-t-elle en regardant son calepin, vous êtes bien monsieur Patos fils ?
- En personne.
- Ha, très bien… Vous avez donc droit à un vœu, faites vite, j’ai du travail ! »
Un vœu ? Voilà qui eu pu surprendre Patos. Mais puisqu’il venait d’avoir un comportement déplacé envers une fée venue le contacter dans un rêve, il accepta l’idée plutôt facilement.
« - N’importe quel vœu ?
- Non pas n’importe quel vœu, je suis une fée vision, pas un génie ! Décidément, les jeunes sont bien trop gâtés de nos jours… Vous avez le droit à n’importe quel vœu se rapportant à mon domaine de compétence, c’est-à-dire n’importe quel vœu lié à la vision ! Voir le futur, déceler la vérité dans l’âme des gens ou encore lire dans les paumes des mains. Tout ce qui touche à la vi-sion ! »
D’abord, Jean-Hugues eut la satisfaction de comprendre d’où venait le don des Roumaines diseuses de bonne aventure, ensuite il se mit à réfléchir… Ou plutôt, il fit semblant de réfléchir, car son vœu finalement, il le connaissait déjà, mais puisque la fée n’avait pas l’air commode, il devait bien trouver un moyen de le lui soumettre sans la vexer.
« - Eh bien… Il y a un vœu auquel je pense…
- Vraiment ? Vous croyez être le premier ?
- AH ! Vous savez donc quel est mon vœu !
- Je suis une fée vison bon sang ! Évidemment que je peux lire vos pensées… Et c’est pas joli joli…
- Ouf, je ne savais pas trop comment amener la chose, vous m’ôtez une sacrée épine du pied !
- Ne croyez pas que c’est si simple Monsieur. Nous avons un protocole, si vous ne dîtes rien, je n’exhausse rien !
- Ha… Eh bien, j’aimerais voir nues les femmes qui m’entourent.
- Toutes ?
- Oui… Toutes !
- Aucune originalité… bref, j’enregistre votre dossier et vous aurez votre pouvoir demain au réveil. Bonne fin de nuit.
- … Au revoir ! »
Ainsi se déroula la rencontre entre Jean-Hugues et la fée vision.
À son réveil, il se rappelait du rêve très clairement, mais n’y prêta aucune attention. Peut-être même aurait-il préféré un rêve érotique. Il s’habilla donc et partit pour le travail. Mais dès qu’il eut franchi le pas de la porte, vers sept heures du matin, il tomba nez à nez avec Géraldine, sa voisine de palier. À 22 ans, la jeune étudiante n’était pas du genre à se lever tôt pour aller bosser, si elle était debout, c’est parce qu’elle commençait son footing matinal. Alors qu’elle partait en courant, Patos resta bloqué à regarder ballotter ses petites fesses blanches de droite à gauche. Elle était totalement nue ! Si bien que notre héros ne pouvait pas même imaginer les vêtements qu’elle portait ! Et pourtant il avait tout vu ! Sa petite tête blonde quand elle était passée devant lui, ses petits seins dressés et vaillants qui bougeaient à peine tandis qu’elle avait commencé à sautiller… Le souffle coupé, Jean-Hugues resta immobile pour quelques secondes, au cours desquelles il sentit son sexe durcir au fond de son caleçon. Ça avait marché ! La fée était réelle, c’était un vrai conte de fée ! À ces pensées, il se mit à danser en chantonnant une chanson de son invention :
« Merci ma ptite marraine la fée !
Je vais pouvoir mmater
Merci ma ptite marraine la fée !
Je vais pouvoir mmater »
Il s’arrêta cependant, constatant le regard circonspect que lui lançait une passante de la rue déserte. C’était une brune aux lèvres charnues à la peau mate, probablement d’origine maghrébine, ses seins tombaient lourdement sur un ventre bien rempli. Elle avait les hanches larges et un peu de cellulite sur son derrière volumineux qui était solidement posé sur ses fortes cuisses. Le corps ondulant de cette femme stoppa net les divagations de notre héros. Elle marchait, mais il avait presque pu l’apercevoir, son… Mais au fait, comment la regardait-il en ce moment ? Elle avait accéléré le pas, apeurée par le regard insistant de Jean-Hugues. Mon Dieu, il devait faire attention à ne pas effrayer son entourage… mais c’était plus fort que lui ! Sept heures dix, il fallait se presser ou il serait en retard au travail.
En chemin vers le métro, il était comme porté par un petit nuage, tandis que passait sur son chemin des femmes rondes, fines, blanches, noires, brunes, blondes, belles, laides et toutes complètement dévoilées, nues sous son regard. Alors qu’il croisait un groupe de jeunes adolescents, il entendit leurs rires et comprit qu’ils le visaient. Rien de moins normal, une érection monumentale dressait son pantalon… Pris de gêne, il mit sa main dans son caleçon pour mettre son sexe sur le côté, ce qui poussa une mère de famille qui arrivait en face de lui, à mettre la main sur les yeux de son enfant…
« Non ! Ce n’est pas ce que vous croyez », s’écria-t-il en tendant la main libre dans sa direction. Mais elle pressa le pas sans essayer de lui répondre. Cet épisode gênant eut au moins pour effet d’atténuer son érection.
Qu’allait-il donc bien pouvoir faire ? La porte du métro se dressait devant lui, et une myriade de femmes en sortaient. Pour stopper son érection, il prit le parti de fermer les yeux. Il devait se contrôler, mais comment faire ? Il n’avait jamais vu autant de femmes nues… Elles bougeaient, leurs formes ondulaient, toutes proches de lui, et dans tout ça, il devait rester impassible, autrement il passerait vite pour le pervers du quartier ! Cette idée légitime n’arrangea en rien sa situation, puisqu’elle avait pour lui quelque chose d’excitant. De nouveau, il sentit le sang affluer vers le bas de son corps. Gêné, mais stimulé, il mordit sa lèvre inférieure, n’osant pas rouvrir les yeux. « Mince, mince, mince… » pensa-t-il tout haut, tandis que sous son ventre, la bosse ennemie menaçait de repointer le bout de son nez. Pour se calmer, il imagina sa mère, ce fut radical, d’autant plus qu’il se rendit compte qu’à leurs prochaines entrevues, elle serait systématiquement totalement nue. Après tout, c’était sa mère… Il s’y habituerait…
Une fois ses esprits retrouvés, il s’engouffra dans les couloirs du métro. La ligne treize était noire de monde, il eut beau se concentrer sur les odeurs nauséabondes des couloirs, il avait du mal à contenir son excitation tandis que le tissu de son pantalon caressait le bout de son gland. Sa peine fut à son paroxysme quand il arriva dans la ligne bondée du métro. Elles étaient là, compressées contre les usagers. Lui, était non loin de la porte. Devant lui, deux adolescentes conversaient en riant, à moitié compressées l’une sur l’autre. Leurs poitrines jeunes, mais déjà fermes s’effleuraient presque. La vitre reflétait aussi l’image d’une femme noire dont la forte poitrine encerclait la barre du métro, semblant presque l’ensevelir. Une mère de famille se trouvait épaule contre épaule pressée sur lui, en regardant dans sa direction, il avait une vue plongeante sur sa poitrine, on aurait dit une piste de ski filant droit vers un tremplin… Les jambes de Patos se mirent à trembler tandis que le sang affluait dans leur direction ; elle était de retour, plus forte que jamais, et elle pointait vers les deux adolescentes. Pour ne pas les toucher du bout de son membre, il mit les fesses en arrière et se faisant, il sentit comme une boule en contact avec son derrière.
« - Ça va garçon, tu veux pas ma bitte tant que t’y es ? » dit l’homme derrière Jean Hugues, un grand noir avec une cicatrice en travers du visage.
« - Ce n’est pas ce que vous croyez Monsieur… bredouilla notre héros
- Et ça c’est pas ce que je crois ? » Répondit le Monsieur en pointant la forme bombée sous la ceinture de Jean Hugues.
La sonnerie du métro sonna juste à temps pour éviter à Patos de prendre le poing de son charmant voisin dans la figure. Une fois sur le quai, il prit la décision d’attendre un wagon moins bondé pour se rendre au travail, et tant pis s’il était en retard. Assis sur son banc, il gardait les yeux fermés et ne les ouvrait que quand un train entrait à quai. Soudain, une odeur de mort s’insuffla de force dans ses narines. « Monsieur, une petite pièce s’il vous plaît ? » demanda une voix rocailleuse. C’était une vieille femme qui quémandait de l’aide… En la voyant, Jean-Hugues eut un haut-le-cœur, à son halène fétide s’alliait un corps décharné aux seins tombants. La vieille femme était édentée et son corps qui sûrement était couvert aux yeux des passants, se présentait pour lui dans toute sa décrépitude… Des veines bleues parcouraient ce corps usé et parsemé de pustules rouges et infectieuses. Jean-Hugues resta coi devant la misère mise à nue. Elle insista un peu et il finit par lui donner une pièce de deux euros. Leurs mains s’effleurèrent, ce qui le dégoûta au plus haut point.
Vers dix heures, notre héros arriva finalement sur son lieu de travail. Comme il avait deux heures de retard, son patron lui fit une remontrance dont il se moqua allègrement. Pas qu’il était heureux de se faire houspiller, seulement sa matinée fut si mouvementée qu’il n’avait que faire de ce genre de détails… Après tout, il ne risquait ni de se faire virer ni de se faire augmenter, c’était juste une humiliation de plus à passer. Pendant que son chef lui postillonnait au visage, Patos restait interdit, comme si son esprit était ailleurs, emprisonné dans le traumatisme constant que devenait sa vie. Sa dépression avait du bon, puisque dans son état, l’usine ne serait pas un lieu d’excitation. Inspirant un bon coup, il se dit que cette partie de la journée serait plus facile. « Enfin un peu de répit ! » Et puis, il n’avait qu’à s’habituer, tout irait bien ! Il prit place sur son poste de travail et commença à plier les cartons qu’il devait déposer à l’entrepôt.
À sa pause déjeuner, il entendit la voix de Manu qui l‘appelait de derrière. Quelle ne fut pas sa surprise en se retournant, quand il constat que son vieux pote était… nu ! Emmanuel avait toujours été un peu enveloppé, mais ses poiles au menton et sa voix grave ont toujours suggéré à Jean Hugues que c’était… Et d’ailleurs, lui, enfin elle avait toujours prétendu être… Un homme.
« - Dis donc, tu t’es bien fait remonter ce matin, j’ai cru que le boss allait exploser !
- Heu… Oui c’est sûr.
- Bah alors, qu’est-ce qu’il s’est donc passé ?
- Ha… Heu c’est une longue histoire… Enfin non, j’ai pas pu me réveiller voilà. »
Quoi de plus naturel que de vouloir couper court à la conversation… Patos se sentait comme trahi ! Son ami lui avait donc caché son sexe pendant toutes ces années… Manu était une femme…Il devrait donc contempler son ami(e?) nu(e?) jusqu’à la fin de ses jours ? Une question fort pertinente qui l’accompagna pendant le reste de l’après-midi.
Vers dix-sept heures, la journée arrivait enfin à son terme, quand soudain, le téléphone de Jean-Hugues de mit à vibrer. Il blêmit en décrochant :
« -Halo maman ?
- Oui mon chéri, ça s’est bien passé le travail ?
- Oh… Le boulot quoi.
- Très bien, tu n’as pas oublié pour ce soir hein ? »
Il avait oublié… Le 23/10, sa mère fêtait son anniversaire, aussi, il ne pouvait clairement pas bouder la soirée qu’elle avait organisée. Une dizaine de personnes étaient conviées principalement des amies de sa mère. Jean-Hugues déglutit à l’idée de passer la soirée avec huit femmes mûres complètement nues… Le rendez-vous était à dix neuves heures, et il fallait apporter un cadeau. En temps normal, il savait sa mère friande de macarons, mais hors de question d’aller jusqu’aux Champs Élysées pour des gâteaux. Il y avait un Jeff de Bruges non loin du boulot, il passerait par là et commanderait un Uber pour aller chez sa mère. Pour cela, il allait devoir sortir, affronter le monde du dehors et ses tentations multiples. Cette simple idée suffisait à le faire trembler… Une idée lumineuse germa alors dans son esprit ! Pour arriver chez sa mère en un seul morceau, il décida de sortir armé. Il se munit d’un rouleau de gros scotch de chantier et alla dans les toilettes pour attacher son sexe sur le haut de sa jambe.
Fière de son stratagème, il sortit bien heureux dans les rues de Paris. Muni de lunettes de soleil, il pouvait admirer les corps dévoilés des Parisiennes. Elles étaient belles pour la plupart, ce qui faisait battre son cœur. Un sourire niais soulignait son vilain nez, tandis qu’il entrait dans la boutique. La vendeuse était une belle brune, du type de celle qu’on voit dans les magazines… Il avait fantasmé dessus pendant des mois. En la voyant nue, il ne put s’empêcher de sentir une légère déception… Ses seins étaient bien plus petits qu’il ne l’avait imaginé. Ho, elle restait très belle, juste un peu plus commune qu’il ne pensait. Ça n’empêcha pas son membre de tirer sur le scotch de sa jambe qui tint bon malgré tout. Profitant de la file d’attente, il savoura à loisir le corps svelte, mais néanmoins bombé de la vendeuse.
Le scotch fonctionnait à merveille, donc pas besoin de prendre un taxi. Il marcha donc jusqu’à l’appartement de sa mère. « Bonjour mon chéri ! Comment vas-tu ? Ho c’est pour moi ? Merci mon chou ! ». Elle lui avait toujours parlé comme ça, c’était d’ailleurs la seule femme qui utilisait ce genre de mots doux à son égard. Elle était plutôt maigre elle aussi, mais ses traits étaient moins laids que ceux de son fils… Le nez et les yeux, ça venait du père. Jean-Hugues fit un effort pour ne pas fixer la grande touffe pubienne de sa mère pendant qu’elle lui parlait.
«- Je vais me changer, en attendant les invités !
- haha…ha, oui, bonne idée
- Bonne idée, sous-entendrais-tu que ta mère ressemble à un vieux sac ? »
Elle avait dit ça avec une voix rieuse. Sa bonne humeur fut toujours comme un rayon de soleil dans la vie de Jean-Hugues.
« - Salut mon grand, comment tu vas ?
- Bonjour Papa, ça va.
- Le boulot, c’est bon ?
- Bah… on fait aller »
Le père Patos était du genre plutôt calme, un être plutôt rangé qui n’aimait pas se faire remarquer. Jean-Hugues avait toujours voulu acquérir un jour son niveau de force tranquille. Ils passèrent un moment tous les deux dans le salon, savourant un verre de whisky en attendant les invités. Dans la chambre d’à côté, la mère Patos faisait un vacarme de tous les diables en ouvrant et refermant les placards, on sentait qu’elle mettait du cœur à l’ouvrage.
Quand elle sortit pour demander à ses hommes ce qu’ils pensaient de sa tenue, Jean Hugues fut complètement abasourdi. Non pas par la robe de sa mère qu’il ne voyait absolument pas, mais plutôt par la petite ficelle qui dépassait entre ses jambes. Elle avait beau afficher un air tout à fait naturel, ses yeux croisaient parfois ceux de son mari avec un air coquin. Ils avaient vraiment prévu une sacrée soirée.
« - Alors Jeanno, ça te plait ?
- Non ! Heu… oui, c’est pas mal…
- La couleur, c’est bon la couleur ?
- Oui, c’est très bien…
- Haha, je croyais que le noir n’était pas une couleur ! » s’exclama victorieusement sa mère avec un air malicieux.
« - Ha… Heu oui
- Tu m’as tellement embêté avec ça la semaine dernière !
- Hmmm J’ai changé d’avis »
C’était douloureux d’admettre qu’elle avait raison là-dessus, d’autant que non : le noir n’était pas une couleur ! Mais ce qui le gênait vraiment, c’était le sex-toy qu’il voyait dépasser entre les cuisses de sa mère. Il devint livide… Le scotch collé sur sa cuisse ne tirera pas ce soir, au moins il pouvait en être sûr. Quoi que, si ça arrivait ? En se posant cette question, on aurait pu penser à une pub de lessive en voyant son visage : il était plus blanc que blanc. Ses parents auraient pu s’en rendre compte, heureusement la sonnette attira leur attention. Les uns après les autres, les invités arrivèrent et on se mit à table.
Le repas sembla durer une éternité. Les invités s’échangeaient des blagues d’un humour gras et douteux. Par moment, Jean Hugues voyait sa mère se mordre la lèvre inférieure, pendant que son père portait la main à sa poche sous la table. Le dégoût inspiré par cette vision suffisait à lui faire oublier les images de seins tombants de la plupart des invitées. La vue des seins de Madame Berger, qui gagnait un bonnet de soutien-gorge chaque année, ne put le réconforter. Cette dernière intercepta son regard et en fut flattée, pourtant, les cicatrices de ces deux énormes ballons n’avaient rien d’attirant, même pour Jean-Hugues.
En rentrant chez lui, Patos avait les idées noires. Une soirée à observer ses parents se livrer à des jeux sexuels sous la table, ça change un homme. D’aucuns auraient-ils pu se sentir heureux de voir qu’à leurs âges, ils continuaient à mener une vie sexuelle épanouie ? Ce n’était pas le cas de Jean-Hugues… Il n’en avait pas la force… Quelque chose n’allait pas dans cette histoire ! Ils étaient vieux, pourquoi vivaient-ils plus de choses que lui ? Les corps nus des femmes qui arpentaient la rue ne lui faisaient plus rien, il voulait rentrer, en finir avec cette histoire.
Au moment de se déshabiller, il vit le gros scotch écrasant son pénis contre sa cuisse et tenta de le retirer. La douleur fut très intense avant même qu’il n’ait atteint son sexe. Il souffla un bon coup, pris tout son courage à deux mains et d’un coup sec, tira sur la grosse bande de scotch de chantier. Dans sa douleur il cria de toute ses forces « Fée de meeeeeeeerde ! ». Un bruit sourd retentit tandis que le scotch imbibé de poils se décrochait de son corps, embarquant son lot de peau au passage. Haletant, le scotch à la main, Jean Hugues regarda son pénis d’un air penaud. Il était si rouge, qu’on l’eut cru brûlé au troisième degré… Patos remercia Dieu de n’être pas né juif et alla se coucher. Attendant le sommeil, il pria pour le retour de la Fée vision, et son vœu fut exaucé.
C’était la nuit noire. Allongé dans son lit, Jean Hugues sentit une vive chaleur au niveau de son pénis : il brillait. La lumière était si forte, qu’elle devint une flamme qui se mit à grignoter la couette. Une épaisse fumée montait au plafond, tant et si bien que la chambre fut plongée dans un épais brouillard de cendre. Effrayé, Patos tenta de dissiper la fumée en agitant les bras dans tous les sens. À tâtons, il se mit en quête d’une sortie. Il entendit soudain des violons déchaînés jouant dans ses oreilles la mélodie de l’Hiver composée par Vivaldi. Suivant la musique, il trouva une lumière qui émanait d’une petite fenêtre située en haut… D’une porte ? Saisissant la poignée il entra dans une salle de petite taille. « Eh bien Monsieur Patos… Je vois que vous n’êtes décidément pas à l’aise avec le concept de vêtements ». La fée était assise derrière un bureau rempli de dossiers et dévisageait le rêveur d’un air morne. Elle leva la main et fit un cercle dans les airs, ce qui eut pour effet d’éteindre le flambeau qui brûlait entre les jambes de Jean Hugues.
« - Merci Madame ! Je vous dois une bien fière chandelle !
- Il me semble pourtant que vous aviez apporté la vôtre… » dit la fée, plutôt fière de sa boutade
« - Haha, oui, mais contre mon gré ! » Répondit Patos avec un air de soumission.
La voix acariâtre de la bonne fée ne suffit pas à décourager Jean Hugues, il avait prié pour la revoir et elle était là : devant lui. Ce serait probablement sa seule chance !
- Vais-je devoir subir votre hideux visage chaque nuit ? »
Jean-Hugues trouva la remarque déplacée, d’autant qu’elle n’était pas gâtée non plus.
« - … Comment ça ! S’offusqua la fée. Faîtes attention jeune homme !
- C’est-à-dire que… Je ne peux contrôler ce que je pense.
- Alors faites attention à ce que vous dîtes, qu’est-ce qui vous amène ?
- Et bien…
- Oui, oui, vous en avez assez de votre pouvoir, c’est un vrai cauchemar et bla, bla, bla…
- Vous avez lu mes pensées ?
- Mais non, gros nigaud ! Contrairement à vous je ne suis pas stu-pide. Inutile d’avoir le QI d’Einstein pour savoir que votre vœu était absolument débile ! Voyez-vous, le corps humain est dirigé par des facteurs bio-lo-gi-que… On ne peut pas faire n’importe quoi ! »
D’abord, Jean Hugues fut énervé par le ton professoral et acariâtre de la fée, puis il se dit qu’il y avait quelque chose de formidable à l’idée de se faire donner un cours de biologie par une créature magique.
« - Revenez avec moi Monsieur Patos, je sens que vous vous égarez… Bien, je disais, pensiez-vous réellement que la satisfaction de ce petit désir pervers n’entraînerait aucune conséquence ? Allons… Le corps utilise le désir pour vous pousser à accomplir votre devoir de survie ! La nudité, n’avait rien de sensuelle il y a quelques années, mais votre perversité, votre envie de voyeurisme : voilà qui a provoqué un tourbillon de désir impossible à stopper. D’autant qu’un homme comme vous ne pourra jamais les satisfaire ! Fétichiste comme vous êtes, obtenir un tel pouvoir, c’était comme signer votre perte.
- Vous avez sans doute raison… dit Jean Hugues, les yeux baissés. C’est pour ça que je voulais vous voir, je ne veux plus de ce pouvoir, pouvez-vous me le reprendre ?
- Absolument pas !
- Pardon ?
- Enfin, ce n’est pas si simple, que pensez-vous ? Qu’on travaille pour rien ?
- Mais… J’ai appris une leçon ! N’est-ce pas suffisant ?
- Monsieur Patos… Arrêtez donc de faire l’enfant, nous sommes au vingt et unième siècle ! Vous avez fait travailler tout un service pour rien.
- Mais enfin…
- Oui bien sûr, je peux vous proposer une solution, mais ça ne sera pas gratuit. Bon où en étais-je ? Oui ! »
Elle fouilla dans ses tiroirs pour sortir un papier manuscrit qu’elle tendit à Jean-Hugues. En haut du document, était écrit : contrat de rétractation magique.
« - Vous n’avez pas d’imprimante ? demanda-t-il sans réfléchir.
- La ferme ! Bien, laissez-moi vous expliquer, vous pouvez rendre le pouvoir, mais en échange, vous serez facturé pour le travail à vide que vous nous avez fait effectuer !
- Vous acceptez les cartes de crédit ?
- Haha m’enfin bien sûr que non ! C’est en unité de vue que vous nous payerez ! Dois-je vous rappeler que vous êtes chez une fée vision ? »
C’était cher payer, mais Jean Hugues était prêt à tout… Il signa sans hésiter.
« - Merci. Bien … à votre réveil, vous serez myope et sans super pouvoir ! J’espère que vous avez appris une super leçon, sinon cette aventure aura été sacrément nulle pour vous ! »
À son réveil, Jean Hugues trouva sa chambre un peu floue, mais fut rassuré de voir que ce n’était en aucun cas aussi mauvais que ce que la fée avait annoncé. Quelle mégère tout de même de s’être moquée de lui comme ça ! Alors qu’il descendait vers la rue pour aller au travail, il croisa sa voisine de palier sur le pas de la porte. Ce n’était pas pour bosser qu’elle se levait si tôt. Alors qu’elle lui passait devant, pour aller faire son footing, Jean-Hugues observa ses petites fesses, qu’il devinait blanches, bien serrées dans son legging, bougeant comme si elles étaient nues. Tournant la tête, il revit la femme d’origine maghrébine qu’il avait croisée la veille. Ses courbes voluptueuses étaient comme prisonnières de ses vêtements. Alors qu’elle passait, Patos se rappela l’aspect de ses formes quand il les avait vues nues, et la pensée de ce corps en frottement constant contre une tenue qui cherche à discipliner tant de volupté fit descendre la sève de notre héros jusqu’entre ses jambes. Maintenant qu’il avait découvert les joies du voyeurisme, les vêtements étaient devenus pour lui tout aussi excitants que les corps nus qu’il convoitait. Cette réalisation le frappa par sa cruauté : il avait ouvert une boîte de pandore, que jamais ses yeux ne pourraient refermer.
Merci à Catherine et Baptiste Martinier pour la relecture
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4 leçons pour atteindre la sagesse quantique et trouver son Soi profond
Bienvenue à toi. Si tu lis ces lignes, c’est que tu es intéressé par la théorie des cordes transcendantales pour atteindre une pleine conscience réalisatoire du moi profond. Et comme je te comprends ! Avant d’atteindre cet état de bonheur parfait, j’ai moi aussi été ballotté d’un coin à l’autre de la vie. L’existence était comme un torrent et moi j’y étais entraîné sans espoir de me diriger. Les études, le travail puis la routine, et avec tout ça : le stress et les responsabilités imposées par mon patron, ma famille, mes enfants… J’avais besoin de respirer. Par chance, j’ai découvert les écrits de Bouddha, Platon, Confucius et Tibo In Shape. J’ai compris que si je n’aimais pas ma vie, c’est parce que je n’avais pas développé le bon mindset : celui des winners.
Le savais-tu ? D’après une étude en neuroscience effectuée par le Boston Institute of Real Actual Science, les milliardaires pensent tout à fait différemment que les pauvres ? Ils ne voient pas des échecs dans leur vie, ils tirent des leçons et trouvent des opportunités : c’est ce qu’on appelle la capacité de résilience. Tu as souffert ? C’est une bonne nouvelle, cela t’as rendu plus fort ! C’est prouvé, d’ailleurs le philosophe hollandais Friedrich Nietzsche disait mot pour mot : « Ce qui ne te tue pas te rend plus fort ! ».
Tout ira bien, à condition bien sûr que tu tiennes compte des quelques conseils que je vais te donner.
1. Embrasser l’Inconnu, Embrasser tous les Inconnus
Avant d’arriver à de grandes réalisations, j’étais comme toi : plongé dans un abîme de malheur ... La détresse accompagnait mes pas. Je devais travailler pour un patron, pour satisfaire ses propres exigences, pour l’enrichir ! J’avais besoin d’un sens à ma vie… Alors, j’ai fait ce que toute personne courageuse aurait fait dans ce genre de situation, j’ai pris mon courage à deux mains pour ouvrir une porte vers l’avenir. En franchissant ce pont qui m’a mené vers l’accomplissement personnel, j’ai eu peur, toi aussi tu auras peur, mais ne t’en fais pas, c’est tout à fait normal. Cette crainte est causée par l’Inconnu : quand on tourne une page, on ne sait pas ce que l’histoire nous réserve.
C’est effrayant, mais ne crains rien, puisque voici mon premier conseil : embrasser l’inconnu ! J’irais même plus loin, embrasse tous les Inconnus que tu croises, car l’Amour est une force sans précédents : rien ne peut vaincre l’Amour. Cela peut paraître simpliste, surtout pour ceux qui n’ont pas encore réalisé le pouvoir de ce dernier. Pourtant, d’après de nombreux historiens, c’est l’Amour qui a donné à Napoléon la force de conquérir toute l’Europe ! Ce même Amour peut déplacer des montagnes, dès lors qu’on accepte en soi sa grande puissance. Donc : embrassez l’Inconnu, embrassez avec amour tous les Inconnus, voici ma première leçon, mon premier commandement. D’ailleurs, je n’en suis que le messager, nombreux l’ont dit avant moi : Jésus, Moïse, Mohamed ou encore Einstein en sont quelques exemples. Suis ce précepte, et tu seras le Napoléon de ta propre vie.
2. Soyez empathique. S’ils ne vous comprennent pas, c’est qu’ils ont peur !
Le début de mon chemin – ma rencontre avec l’inconnu - a eu lieu il y a quelques années, alors qu’on m’a viré de mon travail. Je comprends aujourd’hui que les prétextes avancés par mon patron étaient dictés par sa peur. Peur de voir son entreprise s’écrouler, peur de voir un être meilleur que lui prendre sa place au sommet de la montagne. La Bible nous raconte l’histoire de ce roi, qui voulait atteindre le ciel par la construction d’une tour immense. Il n’y arriva pas, car il avait peur de ne pas être le plus fort, le plus beau et le plus grand. Quand on gravit les échelons en étant motivé par la peur, on se sent bien seul tout en haut de sa tour de Babel. C’était le cas de mon patron… Il a prétendu qu’il « me rendait ma liberté » parce que j’étais un « branleur sans nom, pas foutu d’envoyer un e-mail au bon prestataire et sans faire 15 fautes d’orthographe », mais je sais que c’est faux. Il ne l’a pas non plus fait parce que j’ai accidentellement envoyé une vidéo de chat à l’ensemble de notre fichier client… Jamais il ne m’aurait mis à la porte seulement parce que en plus de ça, j’ai mis le feu à son bureau un fois. S’il s’est séparé de moi, c’est parce que j’avais un potentiel, une vision du monde qu’il ne pouvait pas comprendre. La peur est un bien lourd fardeau… Si aujourd’hui, ce patron réalisait la force que l’Amour renferme, il gravirait des sommets bien plus hauts, et surtout, il ne les gravirait pas seul ! Il deviendrait un vrai leader, quelqu’un qui entraîne avec lui sa team dans les Alpes ! Quand tu auras bien intégré les préceptes que je te livre, toi aussi tu pourras partir dans les Alpes, grâce à l’Amour.
Mon ex aussi avait peur de l’amour. Quand elle m’a quitté, ce n’est pas parce que comme elle disait : j’étais « trop collant avec mes 30 appels par jours »…. Ce n’est pas parce que je me suis tatoué son visage sur le torse au bout d’un mois de relation ! Non, si elle est partie, c’est parce qu’elle craignait de ressentir pour moi des sentiments sur lesquels elle n’aurait eus aucun contrôle ! Le besoin de contrôle est une source de peur ! Abandonne ce besoin, la vie dirige bien les choses… Si tu sais ce que tu veux, la vie te le donnera, c’est la loi de l’attraction qui a été découverte par un grand sage indien : Gandhi.
Ne fais pas comme ceux qui craignent la vie, puisque tu as choisi d’embrasser l’Amour, ne te préoccupe pas de ceux qui n’ont pas encore le courage d’en faire autant. La Peur, je la rencontre encore souvent aujourd’hui, mais seulement chez les autres. Puisque j’ai réussi à supprimer mes craintes pour les remplacer par une force d’équanimité profonde, une mission s’est alors présentée à moi : transmettre aux autres les leçons qui m’ont apporté le bonheur.
Toi qui a acheté ce livre, je vais t’expliquer comment je suis parvenu à me trouver moi même, dans l’amour de ma personne. Ces lignes sont mon cadeau pour toi.
3. Sautez sur l’Inconnu, laissez-le entrer en vous
Comme tous les êtres exceptionnels et incompris par un système oppressif visant à brider le potentiel de chacun, j’ai enchaîné les périodes d’essai, et j’en ai beaucoup appris. Au bout de mon huitième renvoi, j’ai décidé de prendre ma vie en main, de construire quelque chose de fort. Mais je ne pouvais y parvenir. Pourquoi ? Parce que je devais d’abord me construire moi même. C’est pourquoi j’ai emprunté de l’argent à mes parents pour faire le tour de l’Asie. C’est là bas qu’une jeune thaïlandaise de 13 ans rencontrée en boîte de nuit m’initia à la sagesse de Bouddha. Elle m’apprit quelque chose d’extrêmement important, le fait que Bouddha et Jésus ne sont pas si différents ! Ils nous dictent le même message, celui que je te transmets aujourd’hui : il est important de se trouver soi même, que ce soit par la prière, ou par la méditation. Aujourd’hui, les progrès de la physique quantique nous confirment la vérité de ces préceptes ancestraux !
Ce n’était que le début de ma quête… J’ai ensuite découvert le tantrisme en Inde, qui permet de se retrouver dans l’autre, et même dans plusieurs autres à la fois ! Nous ne faisons qu’un avec notre environnement, pour être heureux, nous devons apprendre à nous reconnaître dans les autres.
J’ai ensuite découvert la sagesse des voyageurs au sein de nombreuses auberges de jeunesse. Voyager, c’est découvrir de nouvelles cultures et apprendre des sagesses millénaires ! Bien sûr, il m’est aussi arrivé de rencontrer quelques touristes intolérants qui refusaient de dire « Namasté » et s’obstinaient à saluer d’un « hello »…. Mais je ne m’en offusquais point : j’étais dans la pleine conscience du fait qu’ils avaient peur de perdre leurs racines en utilisant un terme issu d’une autre culture. Nul doute que si ils ont continué à voyager, ils ont renoncé à cette idée de racine mensongère, tout comme je l’ai fait. Il suffit de suivre le chemin. Toi aussi, tu peux y arriver, mais pour ça, il faut aller au bout de la voie !
4. Trouver son propre succès !
Nous arrivons au quatrième précepte, le plus important, qui est cependant inatteignable sans respecter les trois précédents : trouve ton succès ! Prends moi comme exemple, avant de relever toutes les épreuves que j’ai relevé, avant d’embrasser l’inconnu, de comprendre ce qu’était la peur pour la vaincre et de m’imprégner de toute les nouveautés de ce monde, je n’aurais jamais pu trouver ma voie ! Guider les autres vers la réalisation d’eux même ! Vous aussi vous pouvez y arriver, il suffit de me lire, de suivre mes formations, et surtout de faire les exercices que je vous conseille ! Avant d’en arriver là, ma vie n’était pas facile, mais avec le temps j’ai fini par me réaliser en apprenant aux gens à se réaliser eux même ! Et toi aussi, tu te réaliseras bientôt en me lisant.
De rien ;)
Merci à Nétha Samarasinghe pour la relecture.
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Spiderman loin de chez lui
NewYork, 20.10.2020, Spiderman fait face à sa plus grande menace : le réchauffement climatique !
Alors qu’il enfile son costume, aucun spider-sense ne l’avertit tandis qu’une main le saisit au col : « Il va falloir nous suivre monsieur ». C’est un homme en uniforme bleu… Un nouveau vilain ? Mais… Derrière lui, c’est Marie Jane !
- Marie Jane ! Tu t’es encore faite enlever ? Ne t’en fais pas je viens te sauver !
- Mais enfin Paul… On en a déjà parlé, il faut prendre tes cachets..
- N’en dit pas plus, je cours à ta rescousse !
La main se sert sur le col de Peter « Ça commence à bien faire monsieur, remettez vos vêtements ! »
Aucun problème, le jeune Parker peut compter sur sa Spider force pour envoyer valdinguer le méchant. Son poing percute avec force le torse du vilain qui recule d’un pas. Sacrément résistant ce type, il faudra s’en occuper, mais d'abord : aider Marie-Jane ! Cette dernière le regarde avec des yeux éberlués, sûrement parce qu’elle est rudement impressionnée. Mais pourquoi donc persiste-t’elle à l’appeler Paul ? Un choc parcourt soudain le corps de Peter, il part de derrière son dos et paralyse son corps, tandis qu’une vive et familière douleur se répand dans ses membres. L’homme en bleu est fou de rage pendant qu'il utilise son drôle de boîtier noir qui transmet vers Spiderman de violentes décharges électriques.
Si notre héro n’avait pas la mâchoire au prise avec de violentes contractions musculaires, il se serait écrié « Electro, c’était donc toi !». Avant qu’il n’est le temps d’exprimer son juste désarroi, le paysage se trouble autour de lui, tout devient noir... Il a perdu connaissance.
À son réveil, un homme en blouse blanche le regarde d’un air déconcerté. « Et bien monsieur Michot, qui étiez-vous aujourd’hui ? Vous avez fait un sacré grabuge…. ». Cet homme en blouse blanche ignorait-il donc à qui il avait affaire ? Dès son retour à la maison blanche, George fera exécuter cet éberlué ! Mais d’abord, il lui fallait sortir d’ici.
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