Tumgik
all-about-control · 7 years
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"Comment on fait pour être maigre comme toi?"
Ah ça c'est facile, t'arrêtes de manger. Pas complètement bien sûr, tu continues à manger des fruits, des trucs pas caloriques, uniquement les aliments qu'on trouve sur les listes du genre "Que faut-il manger pour perdre du poids?". Tu comptes les calories, tu veilles à ne pas dépasser un certain nombre, qui étrangement diminue avec le temps. Tu bois beaucoup pour combler la faim, de l'eau évidemment, tout le reste est trop calorique, tu dors tes 8h par nuit et tu fais du sport, parce que c'est ce qu'on te dit sur tous les sites de régime. Tu fais ça, et tu continues même si t'as mal partout, même si tu trembles tout le temps, que tu pleures tout le temps, que tu es d'humeur exécrable et que tu t'énerves pour un rien. T'as froid, tes doigts deviennent bleus, tu perds tes cheveux et tes os tentent de transpercer ta peau, mais tu continues, parce que le seul truc qui te met de bonne humeur c'est de constater en te pesant le matin que le chiffre affiché par la balance a encore diminué. Tu planifies tes repas, et peu à peu la nourriture est la seule chose qui occupe tes pensées. Tu mens aux gens pour ne pas qu'ils s'inquiètent, "j'ai pas faim", "j'ai déjà mangé", "j'aime pas ça", alors qu'en vrai c'est ton plat préféré et que tu meurs de faim. Mais les gens n'y croient plus et on t'emmène voir plein de médecins, faire plein d'examens. On te dit qu'il faut que tu prennes du poids, on t'oblige à manger, à boire des compléments alimentaires dégueulasses, on t'interdit de faire du sport. Mais tu ne comprends pas, tu te trouves bien comme tu es, t'as enfin réussi à perdre du poids, c’est ce qu’ils voulaient, non? Tu ne veux pas manger, mais t'as plus le choix maintenant, et ton ventre est gonflé après chaque repas, tu te caches pour boire tes compléments au goût de fraises artificielles, tu ne veux pas que les gens sachent - anorexique, la honte. Tu veux mourir, tu ne supportes pas d'avaler tout ce gras, ce sucre. Parce que c'est comme ça que tu vois la nourriture maintenant. Glucides, lipides, protéines, calories. Tu as beau avoir supprimé les applications pour compter, tu connais les chiffres et tu ne peux pas t'en empêcher. Et tu sais que ça ne te quittera jamais, que tu ne seras jamais satisfait.e de ton corps, qu'il y a certains aliments que tu ne pourras jamais remanger, du moins pas sans t'en vouloir et avoir envie de mourir.
Tu veux vraiment être maigre comme moi?
(spoiler alert : un jour, tu remangeras une glace sans la moindre arrière pensée, tu mangeras des cookies et de la tarte aux pommes sans culpabiliser, parce que tu en as envie, et tu seras heureux.se)
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Alors voilà, parlons anorexie.
Parlons de cette incitation permanente à perdre du poids, comme si il y avait quelque chose de profondément révoltant à peser plus que la moyenne. Cette grossophobie ancrée, partout, dans les pubs, dans les films, dans les séries, dans les paroles des gens, même la famille, même des gens trop jeunes pour penser à perdre du poids. Ça commence comme un régime, mais ça devient vite une obsession, compter les calories, faire du sport, chercher des astuces pour perdre du poids sur internet, se peser tous les jours....
A 15 ans, j’écrivais sur ma liste annuelle de trucs à faire pendant les vacances scolaires "maigrir" et "devenir belle". J’ai fait une liste des "astuces pour perdre du poids" que je pouvais trouver sur internet (oui j’aime bien faire des listes). Cette liste incluait des trucs assez logiques concernant le sport et l’alimentation, mais aussi des astuces beaucoup plus étranges, voire franchement repoussantes. On pourrait se demander pourquoi de telles astuces existent, pourquoi elles sont trouvables si facilement par n’importe qui, même des enfants, mais on connaît tous déjà la réponse.
J’ai commencé à compter mes calories, manger de moins en moins, faire de plus en plus de sport. Incroyable de repenser à cette période, et de réaliser à quel point les conseils donné par des pseudos comptes de “fitness motivation” étaient malsains. Sans donner de détails, parce que ces “conseils” sont déjà bien trop présents ailleurs : des règles strictes que je respectais à la lettre, des images de "motivation" qui t’incitent à faire du sport, hyper culpabilisantes quand c’est LE jour où t’avais réussi à te dire que tu te reposais. Beaucoup d’images du “corps parfait”, des corps minces auxquels je voulais ressembler, auxquels je pensais que je devais ressembler.
On peut parler d'addiction, pour moi c'en était une, dans le sens où j'aimais avoir faim, me coucher le ventre vide, j'aimais me sentir faible comme si j'allais m'évanouir – comme être pompette mais sans avoir bu, et sans les rires – et surtout j'aimais constater tous les matins que le chiffre sur la balance avait diminué. Plus qu’une non envie de manger, c’était une envie de ne pas manger, pour continuer à ressentir tout ça. Je me souviens avoir pensé, quand j’ai commencé à me peser, qu'il fallait que je fasse gaffe parce que je savais que je n’allais jamais pouvoir m'arrêter après avoir atteint le poids que je m’étais fixé, et c'est effectivement ce qui s'est passé. 
J’avais bien conscience que j’étais en train de faire une connerie, je sentais que j’allais de plus en plus mal, j’avais mal partout, je me sentais faible, je faisais des crises de colère pour vraiment rien, j’étais deux fois plus émotive, j’avais plus mes règles, la nuit j’étais réveillée par la douleur des os de ma hanche qui essayaient de transpercer ma peau ; mais je le cachais bien : je faisais mon sport en cachette, comme si au fond je savais que c’était pas normal, le soir je mangeais avant que mes parents rentrent, et je sortais toujours plein de trucs sur la table pour donner l’illusion que j’avais mangé normalement, alors que tout ce que j’avais avalé c’était un demi pamplemousse. Le pire c’est que ma perception de quantités "normales" a changé aussi, même ce que je prétendais avoir mangé, c’était beaucoup trop peu.
Mon corps ne suivait plus, j’avais mal partout, alors j’ai enchaîné les rdv chez différents médecins spécialisés dans tout plein de trucs différents, jusqu'à ce qu'on me dise que tout était lié à ma perte de poids et que j'étais anorexique mentale. 
Après ça j'ai dû avaler des compléments alimentaires absolument dégueulasses (confession : je trouvais ça presque bon à force, j’avais vraiment faim je crois), et me forcer à manger les trucs bien gras et caloriques qu'on mettait dans mon assiette, et c'était assez horrible de ne plus avoir aucun contrôle, et en même temps quand j’arrivais à lâcher prise c’était vraiment agréable de manger enfin, et de pas avoir à se soucier de ce que je mangeais, comme si je pouvais me reposer un moment des calculs que je faisais constamment autour de la nourriture. Et c’est dans ces moments là que tu te rends compte à quel point la maladie est épuisante, c’est épuisant de penser à la bouffe tout le temps, de tout planifier, repas, sport, épuisant de se comparer sans cesse aux autres.
En plus de la perte de poids, la maladie isole. Parce que t’es de mauvaise humeur tout le temps, parce que les situations sociales impliquent presque systématiquement nourriture et boissons sucrées et alcoolisées. 
Plus qu'une obsession sur le poids, l’anorexie est pour moi une obsession sur le contrôle: contrôler mon image, contrôler ce que je mange, à quelle heure etc. Et c’est un peu paradoxal parce que finalement à force de te fixer de plus en plus de règles et de les suivre à la lettre tu perds un peu le contrôle sur ta vie. 
Aussi, paradoxalement le fait de pas manger ça me donnait l'impression d'être forte, parce que je résistais à la tentation, parce que je tenais et faisais du sport en mangeant à peine alors que le commun des mortels avait besoin de manger, je me sentais supérieure. Comme un sentiment de satisfaction apporté par le fait de ne pas manger, de pas céder. Je me voyais vraiment forte, et je supportais pas qu’on me traite comme une petite chose fragile qui risquait de s’énerver/fondre en larme à tout moment, même si c’est exactement ce que j’étais (et suis toujours).
Inconsciemment je m'en servais aussi d'excuse pour tout ce que j'arrivais pas à faire, par exemple, j'ai raté tel examen : "j'avais pas assez mangé", j'ai eu une sale note à l’oral : "j'avais rien mangé à midi", etc. L’anorexie était mon moyen de justifier mes échecs. On lit souvent que l’anorexie c’est une compétition, une quête de la perfection, et même si c’est différent pour tout le monde et que je pense pas que ce critère s’applique à tou.te.s les anorexiques, c’est le cas pour moi, je voulais être unique, être la plus maigre, celle qui mange le moins, celle qui fait le plus de sport, la plus maigre, la meilleure. 
J’ai conscience que j’ai eu assez de chance, dans la mesure où j’ai repris mes kilo perdus (et même plus), je me suis jamais fait vomir, j’ai jamais pris de laxatifs, j’ai jamais eu besoin d’être internée, j’ai jamais été à un poids qui me mette en danger de mort (du moins je crois ?), je pense pas avoir gardé de séquelles physiques graves, et ça ne m’a jamais posé de problème au niveau de mes études ou loisirs, ça aurait pu être bien pire, comme ça l’est pour beaucoup d’autres, et je m’en suis "sortie", sans aide.
La perte de cheveux, le froid constant, les sautes d’humeur pas possibles, la perte de mémoire, la douleur, les larmes, tout ça pour quelques kilos qu’on a même pas besoin de perdre, qu’est-ce que la société a fait de nous ? Ça me fait mal d’entendre les gens parler de perte de poids et de régime comme d’un truc nécessaire, j’voudrais que personne ressente jamais ça, que personne ne se sente obligé de se priver pour perdre du poids ou par peur de grossir, que personne se sente obligé de faire du sport pour compenser un repas. C’est horrible d’être dans une société tellement grossophobe que la majorité des pubs et produits, que ça soit dans l’alimentation ou les vêtements, confirment le sentiment que si t’es pas mince tu mérites pas ta place dans la société, que tu mérites même peut-être pas d’exister. On a pas idée de ce qu’un.e ado influençable peut faire pour plaire aux gens quand iel se sent mal dans sa peau.
J’ai envie de partager ce témoignage (et c’est bien tout ce que c’est, un témoignage de MON expérience, je prétends pas avoir la science infuse ni parler pour tou.te.s les autres malades évidemment) pour lutter contre cette culture du régime qui m’horripile. Laissez donc vos gosses manger en paix, laissez donc les gros.ses vivre en paix. Et encore, je sais très bien que je connais presque rien des discriminations/violences que peuvent subir certaines personnes, donc surtout : écoutez les concerné.e.s.
J’ai conscience que mon expérience n’a rien d’exceptionnel, je ne suis qu’une meuf blanche et mince de plus à être tombée là dedans, mais l’anorexie peut toucher tout le monde, gros.se ou pas, blanc.he ou pas, pas que les meufs, et pas que pour des histoires de poids.
(mais beaucoup de meufs surtout pour des histoires de poids parce que la société est sexiste et grossophobe, what’s new 🙄)
“Stop taking pride in your ability to destroy yourself.”
(ptite citation sympatoche pour la fin, bisous. ✌🏻)
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