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Carnets d'hivers
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Carnets de voyage dans les hivers indiens et népalais / Aventures de Benjamin Duronflan
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Les Aventures de Benjamin Duronflan, chapitre 20 - Un lit à Madurai
Elle avait raison, ils arrivèrent sans encombre à Madurai, les contrôles avaient été sommaires, malgré des sueurs froides lorsqu’un policier, à la fouille, avait renversé méticuleusement l’intégralité du porte-feuille de Benjamin.
Un taxi les attend, ils grimpent en silence. Le trajet est loin, la nuit tombe, ils distinguent qu’ils quittent la ville pour la périphérie, et soudain, au milieu d’un terrain vague et sec, se tient leur hôtel. Un hôtel de standing avec des portiers, du marbre, une piscine, un room service. Silencieusement, ils font ce qu’ils ont à faire. Leur chambre est immense, c’est une véritable suite avec plusieurs pièces et deux salles de bains. Finalement, Benjamin qui n’en peut plus, brise le silence.
« -Mais, qu’est-ce que… qu’est-ce que tu as fait ? - Hum… je pensais pas vraiment que cela serait comme ça, répond-elle perplexe. C’est la première fois qu’une expression apparaît sur son visage depuis plusieurs heures. - Enfin, bon, c’est très très bien, on va pas se plaindre du confort. - Oui, enfin, c’est un peu ridicule quand même, ça pète un peu plus haut que son cul je trouve. - C’est vrai qu’il y a des traces d’humidité sur les peintures. - Et puis, c’est pas très bien meublé. - Il y a un bar à thème en bas. - C’est quoi le thème ? - Western. Ça te tente ? - Bof, tu sais, les westerns, ça vient de chez moi. - Ah oui, j’avais oublié. Tu parles bien français d’ailleurs, c’est marrant, c’est la première fois que je le remarque. J’avais toujours pris ça pour acquis en fait. - On va se promener ? »
Se promener, ça voulait dire aller voir le « bar », le hall d’entrée et la piscine. Ils firent aussi le tour de l’hôtel à travers les friches qui l’entouraient. En rentrant, ils commencèrent à discuter avec un homme, grand, brun, « la cinquantaine » avait dit l’Américaine. Sa femme était dans leur chambre, « elle dessine » il dit. Benjamin remarque qu’il lit le Monde Diplo, « ah, c’est le Diplo ». « Vous connaissez ? ». Un peu. Ils sont venus voir leur fils, qui voyage depuis longtemps. « Nous aussi, on voyage depuis longtemps » remarque l’Américaine. Il leur explique qu’il n’a pas trop compris comment ils étaient arrivés ici, ils devaient être plus proches du centre dans quelque chose d’un peu plus modeste, explique-t-il en levant les yeux au lustre qui pendouille au plafond. Mais, on comprend pas grand-chose à ce qu’ils racontent dans ce pays, quand même un accent… alors, il a pas osé dire non, et… « bah, voilà, on est là. Forcément, on est un peu déçu, enfin on va pas se laisser abattre. C’est pas grave ». Benjamin dit que c’est un peu pareil pour eux, qu’ils ne pensaient pas que cela serait comme ça. Il raconte un peu son voyage, il explique en riant qu’avec l’Américaine, il et elle s’étaient rencontrés une première fois à Bénarès, puis s’étaient retrouvés par hasard à Jaisalmer. « Ah ! Mon fils aussi est allé à Jaisalmer, il a fait du chameaux ! ».   C’est marrant, comme Benjamin, son fils veut devenir instit’… L’homme explique, sa chemise à carreaux entrouverte, que tous les gens qu’il connaît sont tombés malades en Inde. « Ah oui, c’est une lutte permanente pour rester en bonne santé » acquiesce Benjamin. Alors, lui, il a décidé qu’il ne tomberait pas malade : « c’est un peu mon défi, quoi. » Alors, il ne prend qu’un repas par jour, et toujours dans un endroit « où les assiettes, les couverts, sont propres, vous voyez ». « C’est pas un peu radical quand même? » demande l’Américaine. « C’est toi la gauchiste qui parle de radicalité » lui réplique Duronflan en riant. « Écoutez, vous savez j’ai pas beaucoup de vacances, j’ai envie d’en profiter alors… gauchiste ? ». « Oui, je me définis comme appartenant à la gauche critique ». « Mon fils aussi, il est engagé comme ça, dans les luttes il dit, le syndicalisme... ». Là, Benjamin est certain, son fils, il l’a croisé à sur la route de Jaisalmer, et il a fait du dromadaire avec lui. C’était au moment où il avait été ruiné par son séjour à l’hôpital, et finalement, à son fils, il lui avait taxé pas mal d’argent. « Il va voter Poutou, alors ! ». « Faudrait qu’il trouve ses cinq cents signatures ». « Il arrive quand ? ». « Il ne devrait pas trop tarder. » répond l’homme en regardant l’heure sur son téléphone. « On va vous laisser alors ».
Lorsqu’ils furent revenus dans leur chambre et qu’ils profitaient de la fraîcheur de la climatisation, nus sur le lit, immense, Benjamin déclara : «  - Il faut qu’on parte d’ici dès demain. - Non, après-demain, on a rien visiter, elle répondit. - Je croyais qu’on était en cavale. - Oui, je vois pas pourquoi ça nous empêche de visiter. - C’est vrai, admit-il. Par contre, j’ai une condition. Elle se retourna vers lui, elle le voyait loin loin au bout du lit, ses bras étendus le long de la peau blanche de son ventre et ses hanches. Quand elle vit les marques de bronzage de son ami, elle releva sa tête pour tenter de voir son décolleté et ses épaules. Oui, c’était pareil, en un peu plus claire. - C’est presque trop grand ce lit, elle dit tout en se rapprochant. Ils sont ensemble, leurs courbes tendres vont bien ensemble, le tableau est doux. - Tu as une taille presque féminine, elle dit encore. - Toi, aussi, il répond, mais… tu ne m’as pas demandé ma condition. C’est pas très important, mais je voulais t’en parler. Elle ne lui répond pas, elle compare leurs genoux respectifs. Ceux du jeune homme sont dures et anguleux, ils articulent ses longues jambes, alors que les siens sont ronds. Ce ne sont pas des os qu’ils relient, ses jambes sont comme de la porcelaine ou plutôt, comme de la pâte d’amande. - Je veux qu’on ne parle plus ni à cet homme, ni à son fils, faut les éviter, tu comprends. Demain, on les évite. Elle compare leurs pieds, les siens semblent minuscules à côté. - Comment on dit en français déjà… panards ? De grands panards ? Il ne répond pas, il se dit qu’elle ne l’écoute pas, qu’elle ne l’écoute jamais. L’Américaine le sent, elle se rapproche encore un peu, suffisamment pour qu’il sente sa peau froide d’air conditionné près de lui. - Pardon. Les éviter… Benjamin, ça va pas ? - Je… tu te rappelles, quand on s’est retrouvé, je faisais, enfin, j’avais des activités peu… peu morales quoi, commence-t-il à expliquer. L’Américaine se souvient le drama qu’il avait fait à l’époque, cette scène de repentance quasi-mystique. En se souvenant du ridicule de la scène, elle se demande presque pourquoi elle l’avait alors suivi. Cela sembie si dérisoire par rapport à ce qu’ils avaient fait, tous les deux, à Varanasi. - Oui ? - Leur fils. - Ben, abrège, dit-elle autoritaire, je suis certaine que tu me fais peur pour rien. - Bah, je lui ai… on va dire que je lui ai coûté pas mal d’argent et que ça me met un peu mal à l’aise. - Tu as peur qu’il te le demande, parce que tu sais, moi je suis une fugitive alors un coup de schlass et c’est réglé, elle lui dit les yeux dans les yeux. - Mais… mais… bredouille son ami épouvanté, mais… tu… tu connais le mot « schlass » ? - Faut croire. Suffit d'un geste, d'un mot pour qu'la gazeuse te douche, chante-t-elle tout en mimant une mitraillette avec son avant-bras que le soleil a rendu légèrement cuivré, pour qu'la rafleuse te touche ! Bam bam bam bam bam bam ! »
Duronflan se recroqueville dans un coin du lit, il la regarde, elle qui est nue, debout devant lui le menaçant d’un FAMAS imaginaire. Il ne comprend pas, et la regarde sauter sur leur lit. Elle parle du public et du cheval de Troie ou de quelque chose comme ça. Elle rebondit près de lui, essoufflée, demain, ils doivent aller visiter un temple très connu.
Le lit était tellement grand qu’il autorisait toutes les fantaisies pour dormir, ils en profitèrent, dormant dans les positions les plus improbables. Pendant la nuit, Benjamin qui avait froid à cause de l’air conditionné se blottit contre sa compagne qui lui renvoya un coup de poing sur la face. Il cria, il et elle se disputèrent à moitié endormis, avant que l’Américaine n’ait la bonne idée de baisser la climatisation. Benjamin voulut continuer à geindre contre le coup de poing, mais fut arrêté par un « tu sais, je suis une fugitive, je suis prête à tout ». Elle se rendormit rapidement, tandis que l’imagination de Benjamin quant à elle, allait bon train. Après tout, il ne la connaissait pas tant que ça, et elle parlait peu de sa vie avant. Peut-être qu’elle était déjà en cavale, que depuis qu’ils voyageaient ensemble, il l’aidait à fuir les autorités de son pays. Il pensa d’abord aux « black blocs », « je suis de la gauche critique » elle disait. Oui, elle disait ça. II la regardait dormir, ses joues rondes et roses. Lèvres fines, mèches blondes si claires. Son bourrelet léger et pâle sur les hanches comme pour mieux souligner les lignes pures de ses jambes. Elle, peut-être qu’elle avait jeté des cocktails Molotov, blessé des policiers. Ou peut-être pire. Une poseuse de bombe, ou alors elle a tiré dans les genoux des patrons. « Pour que la raffleuse te touche » répéta-t-il encore avec la chair de poule. Ils ont trouvé son ADN sur quelque chose, ou alors, ils avaient une vidéo. Et elle a dû partir. Il crevait d’envie de la réveiller pour lui demander, mais craignait un autre coup de poing. Il rêva toute la nuit qu’ils braquaient des banques, puis il la vit à son procès. Elle disait « Oui, je suis une révolutionnaire professionnelle, je suis une anarchiste et le seul jugement que j’accepterai sera celui de mes sœurs de lutte ». Il la voyait avec sa combinaison orange, dans un parloir avec d’autres couples - sans avoir l’autorisation de se toucher.
Quand le lendemain, derrière un large pilier du temple de Madurai, il lui demanda : « tu étais déjà en fuite  avant de me rencontrer ? », elle lui répondit « on fuit tous un peu quelque chose, non ? ». Une énième fois, il la regarda consterné. Elle marchait à travers le vieil et immense édifice d’un pas assuré. « C’est quand même beaucoup plus facile d’être une femme ici que dans le nord de l’Inde » lui fit-elle remarquer. Ils jouaient à reconnaître les dieux, ce qui n’étaient pas si évident parce que l’iconographie n’était pas totalement la même ici qu’en Uttar Pradesh ou au Rajasthan. Il y avait par exemple, ces statuts de Shiva comme « danseur cosmique ». Le dieu qu’il avait l’habitude de voir plein de muscles et des haschichs, couvert de sa peau de bête, était là tout gracile, que souplesse et élégance. Duronflan déclara que cet endroit l’oppressait un peu : l’obscurité, les colonnes, les pierres massives. Ils sortirent ; de dehors, on pouvait observer les toits. Ils étaient composés d’un enchevêtrement de multiples statuettes de dieux, déesses, animaux, êtres humains, très colorées. L’ensemble était à la fois kitsch et impressionnant. Il lui demanda où ils allaient le lendemain, elle lui répondit « Munnar, Kerala ». « Munnar », ça lui faisait un peu penser à un personnage d’Harry Potter mais il ne se rappelait plus bien lequel. « C’est au bord de la mer ? ». « Non, à la montagne ». « Ah ».
Lorsqu’ils rentrèrent à leur hôtel, ils aperçurent dans le restaurant la petite famille réunie, le père devait avaler son unique repas de la journée, et le fils… le fils était bien le jeune homme à qui Benjamin avait extorqué un voyage en bus et un safari en dromadaire. Ils regagnèrent leur chambre avant d’être aperçu. Cette nuit-là, ils réglèrent correctement la climatisation avant de se coucher. Ils purent ainsi dormir nus sans avoir trop froid et dormir l’un près de l’autre sans avoir trop chaud. C’était parfait. Benjamin lui souffla à l’oreille un « tu règles bien les climatisations, tu sais ? ». Elle lui dit que s’il essayait de donner une connotation érotique à sa phrase, c’était ridicule, mais que si c’était juste un constat, c’était mignon. Il dit que, bien entendu, ce n’était qu’un constat et elle revint se pendre à son épaule.
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Les Aventures de Benjamin Duronflan, chapitre 19 - Kolkata
Benjamin avait un goût de fin dans la bouche tandis qu’il regardait les paysages défiler devant lui. Au petit matin, ils avaient pu découvrir le Bengale. Plus luxuriant, avec des cocotiers partout, de larges feuilles vertes, des étangs, des rizières inondées. L’Inde poussiéreuse et sèche était derrière eux. Il y avait quelque chose de tropical dans cette approche tranquille de Calcutta. « Kolkata », elle prononçait ce nom machinalement. La ville de la fuite. Kol – ka – ta, un mot simple et équilibré. Loin du drame de Bé – na - rès. Un mot comme de raison, une ville d’intellectuels. Kol – ka – ta.
Pourquoi Calcutta ?
Tout d’abord, parce qu’il y a un train direct depuis Varanasi. Oui, c’est la principale raison. Peut-être aussi parce que les grandes villes sont faites pour les fugitifs.
C’est tout ?
Non, aussi parce que l’Américaine… elle en rêvait depuis plusieurs semaines déjà, depuis leur premier séjour à Bénarès. Elle avait littéralement épousé le désir de Kolkata des habitants de Bengali Tola, la  rue des Bengalis de Bénarès. Elle avait vu les lumières dans leurs yeux, elle y avait vu une ville de culture, une fierté pour autre chose, une pratique de la pensée, de l’art qu’elle ne trouvait pas à Varanasi et qui lui manquait.
La capitale coloniale, en somme ?
Oui, et non. Calcutta, c’était aussi Anne-Marie Stretter emmenant « aux îles » ses amants. Le vice-consul criant dans les rues. Une mendiante qui chante. Bien entendu. Mais, Calcutta, c’est aussi la révolution. Le marxisme triomphant. Et puis, il y avait Mère Térésa.
Mère Térèsa ?
Non, enfin, cela faisait partie de… du problème, ça construisait Calcutta comme un problème. Et elle aimait les problèmes. Donc quand on dit qu’elle voulait se rendre à Calcutta parce que c’était une capitale coloniale, c’est vrai dans le sens où elle était attirée par l’épaisseur politique de la ville.
Un goût pour la polémique, vous voulez dire.
Ils avaient quitté Varanasi dans la journée. Manu Chao ne tiendrait pas sa langue longtemps et toute la ville ne tarderait pas à être au courant. Ils sentaient qu’ils devaient partir sans attendre le début des rumeurs ; il n’y a pas d’anonymat possible à Bénarès. Prendre le premier train pour Calcutta. Fuir cette ville, fuir cette tragédie. Qu’avaient-ils fait ? Pourquoi cela ? Même Benjamin était possédé par le remord, l’Américaine quant à elle était froide, glacée. Partir. Partir. Partir. Fuir Bénarès. Fuir ce drame, ce théâtre. Fuir cette ville où le sublime et la merde se donnent la main, toujours. Fuir cette ville si vivante et si tournée vers la mort. Fuir. Sortir de la tragédie par la petite porte, refuser la mise à mort. Le Doon express arriva avec deux heures de retard. Les deux amants faillirent d’abord prendre le train pour Bombay, puis manquèrent de rater celui pour Calcutta qui changea de quai au dernier moment. Dans leur compartiment, deux militaires. Benjamin s’étonna du pouvoir qu’avait sa compagne pour reconnaître les militaires. « Je le sens » répondait-elle. Les vêtements de sport, l’œil mélancolique, le visage jeune et rasé, les cheveux courts. Un corps svelte. Les trains indiens sont plein de jeunes militaires qui rentrent chez eux pour quelques jours. Elle aurait parié trois milles roupies que les deux venaient d’Assam, au nord du Bengale. Ils n’échangèrent pas un mot, tous s’endormirent rapidement.
Quand ils arrivèrent au matin dans la gare de Howrah, la gare principale de Calcutta, de l’autre côté du Gange, ils prirent la sortie des marchandises. Au milieu des ballots et des caisses de denrées, ils embrassaient l’anonymat et évitaient les possibles contrôles de police. Et là, presque par hasard, ils grimpèrent dans un ferry pour traverser le fleuve, se mêlant à la masse paisible des commuters de Calcutta sur le chemin du bureau. Le petit ferry débarqua ses passagers, la foule envahit les rues de BBD Bagh et ses larges avenues de quartier d’affaires. Ils suivent ces gens qui marchent au milieu de la rue, dans l’ombre des arbres et des immeubles coloniaux. C’est là, que l’Américaine ressentit soudain un grand calme : la ville, sa protection, sa grandeur, son vide étaient comme le souffle d’un soupire, un soulagement. De la peur d’être arrêté, mais aussi d’autres choses d’une boule au ventre qui grandissait au fond d’elle à Varanasi. Ils marchent tous les deux, parfois se touchent le bout des doigts pour être certain que l’autre est toujours là, oui, il est toujours là. Il ne s’agit plus de fuir, cette ville, Kol-ka-ta, elle-même est une fuite. Il suffit de se laisser aller, se laisser marcher, soudain ressentir et retrouver son corps, sa vitalité, son élasticité, sa résistance. L’éprouver, l’épuiser.
Ils remontèrent l’avenue qui borde le parc, saluèrent la statue de Lénine, sourirent au policier qui faisait la circulation dans son pantalon serré immaculé, son casque et ses bottes en cuir. Ils passent devant des échoppes servant des puris pour le petit-déjeuner à des employés de bureau. Jusqu’à ce que leurs pieds endoloris ne les arrêtent dans la très chic Park street. Il y a une église dans une rue adjacente, et un café vendant des pâtisseries européennes à déguster dans des petits fauteuils Louis XV. Ils regardaient les gens à travers la vitrine : la bourgeoisie de Calcutta et quelques touristes, cela leur faisait envie mais ils n’osèrent pas entrer, fugitifs à grands sacs à dos dans ce lieu de raffinement. Dans un dernier souffle, il trouvèrent une guest house dans une rue adjacente. Un grand immeuble du début du XXème siècle à la façade orange, aux escaliers en bois et au vieil ascenseur.
Que firent-ils à Calcutta ? A Calcutta, ils marchèrent beaucoup sans s’arrêter, sans se faire arrêter. A Calcutta, aussi, ils se firent amateurs d’art, ils marchèrent dans les rues et dans les musées, les galeries. Il dit qu’ « il est arrivé ici comme un étudiant en voyage mais que de jour en jour il vieillit à vue d’oeil ». Et elle « L’ennui, ici, c’est un sentiment colossal, à la mesure de l’Inde elle-même ». Non, ce ne sont pas eux qui ont dit ça, mais à l’ambassade de France, dans un fin de soirée d’un été moussonneux. Eux, ils ne s’ennuient pas puisqu’ils marchent, tant qu’ils marchent, il et elle sont heureux. C’est nouveau pour eux, cette harmonie dans le pas, dans l’épuisement. Ils comprennent la langueur, parfois l’envient même, mais non, pour eux Calcutta ce n’est pas ça. La grande cathédrale Saint-Paul, blanche et seule au milieu de son jardin, le Victoria memorial - « Taj Mahal victorien » lit-on, un bâtiment qui n’a jamais servi à rien qu’à une colonisation symbolique d’une ville rebelle, l’Indian Museum. Ils passent des heures debout, fatigués, à observer les peintures de Tagore et l’école du « Jeune Bengale », ces jeunes peintres formés dans les écoles d’art britannique qui revendique à l’aube du Xxème siècle leur art, leur culture. Le Bengale : la capitale a été transféré à Delhi parce que Calcutta était trop révolutionnaire, puis les Britanniques ont imposé une première partition pour affaiblir le nationalisme bengali. C’est cette partition qui a été reprise en 1947 lors de l’indépendance, entre le Bangladesh et le Bengale occidental participant, lui, à l’Union Indienne à majorité hindou. Puis, le Bengale a connu le communisme. D’abord, la répression d’Indira Gandhi, les meurtres… puis, enfin, le PCI a gagné les élections, plusieurs fois jusqu’à aujourd’hui. C’est aussi pas très loin qu’est né le mouvement naxalite, la guerilla, rencontre des intellos de Calcutta en fuite qui ne croiyaient plus aux moyens démocratiques et des paysans. Ils regardaient ces peintures, y voyant le mélange subtile de la tradition des miniatures et des techniques venues d’Occident. « Il y a une vraie modernité dans cette hybridation » répétait l’Américaine.
Dans les jardins du Victoria Museum, il y a un couple sous chaque arbuste, sous chaque buisson. Eux aussi en choisirent un. On dirait que là, on a le droit, alors ils se foutent un peu des regards obliques et des passants honnêtes. Puis, Benjamin soupire. « Ça a un goût de fin, cette cavale, tu trouves pas ? ». Elle ne sait pas, elle s’en fout un peu, ça fait tellement longtemps qu’elle est partie qu’elle ne sait plus trop ce que revenir veut dire. « J’ai peu écrit sur Katmandou, et ce que j’y ai fait » remarque Benjamin. Il parle seul. « Quand j’y pense aujourd’hui, je ne peux m’empêcher d’y penser avec une profonde tendresse. Je crois qu’au début, elle m’avait un peu déçu, peu d’immeubles à l’allure ancienne, peu de monuments. Et c’est vrai que les temples importants sont plutôt en périphérie. Mais que fut douce ma vie là-bas. C’est dure de décrire la douceur. On dit souvent que Katmandou est fatigante, bruyante, agitée, et pourtant, moi j’ai été frappé par sa tranquillité, son caractère presque rural. En un quart d’heure, tu es à la campagne, tu sais. Mais peut-être que je ne puis parler de cela qu’en parlant de mon expérience à l’école. Mon plaisir d’y travailler le soir quand tout le monde est parti, celui d’y arriver le matin sur ma bicyclette ». « Oui » elle luit dit. Il la regarde, pourquoi comme ça, pourquoi elle dit cela. Elle a les yeux fermés, il voudrait l’embrasser mais n’ose pas, il voit qu’elle pense mais pas à lui. Il y a la vie de famille, de quartier, de fac, la vie nocturne et la vie diurne,  celle de Brooklyn et celle de Manhattan. « Oui, elle répète, ça a peut-être un goût de fin, cette cavale ».
Ils prenaient un petit-déjeuner dans une échoppe de Sudder street, elle est calme cette rue, bien que cela soit la rue touristique de Calcutta. La chaleur n’est pas encore pesante, pas de suée, au contraire, on profite du soleil. L’homme explique avec fierté qu’il est le seul, ici, à posséder une vraie machine à café, une cafetière à l’italienne que lui a fait livrer une Européenne, il y a longtemps. Elle regarde les aller-venus tranquilles, les taxis jaunes, le vert vif des arbres. Ces couleurs, c’est Calcutta. Benjamin achète le Time of India  à un marchand ambulant, il feuillette distraitement. Hier, ils ont parcouru à pied le sud de la ville. Ce temple de Kali couvert de mosaïque « à l’italienne », son sacrificateur de chèvre avec son ventre rebondi et son tee-shirt taché de sang. Les quartiers résidentiels, les modestes avec leurs  petites maisons et les moins modestes. Elle s’était dit  que c’était une ville où elle pourrait habiter, même si elle pensait à tous ces commuters qui faisait des allers-et-retours tous les jours, oui, elle pensait quand même que c’était une ville où elle pourrait vivre. Avoir une vie normale avec un travail, elle voulait dire. « Putain, sa mère » L’Américaine s’étonna et inquiéta, il n’était pas dans les habitudes de Benjamin d’être vulgaire. Elle passa sa tête au-dessus de son épaule pour voir la page.
The BJP chairman Ramhaman Swareep speaks about a « Paki provocation », Varanasi police portrayed a couple of tourists.
« - Ils disent que je suis italien, c’est déjà ça, marmonna-t-il. - « La couleur verte du tag sur un monument les plus importants de la religion hindou, quand on connaît l’histoire de ce temple et sa première destruction par les musulmans, il est clair que cet attentat vient des islamistes pakistanais » a avancé le porte-parole du BJP, Ramhaman Swareep, lundi lors d’un déplacement à Lucknow, lut L’Américaine. Quelle bande de bouffons… Le BJP, c’est les nationalistes hindous. - Oui, je sais. C’est le parti de Modi, le président. Oui, oui, merci (parfois, elle le prenait un peu pour un con). - « En attaquant le Vashiwnath temple, ce n’est pas seulement Varanasi qu’on attaque, mais l’Inde entière. Ce temple est le coeur  battant de notre foi et de notre culture. » continua-t-elle de lire. La police de Varanasi a cependant déclaré au TOI, dimanche, que la piste privilégiée serait celle d’un couple de touristes ayant séjourné à Manikarnika ghat les jours précédant l’événement. Il s’agirait d’une Américaine et d’un Italien. Le porte-parole du commissariat central de Varanasi a assuré aux fidèles que la police mettait tout en œuvre pour arrêter les coupables, quels qu’ils soient a-t-il ajouté. Personne à ce jour n’a pu attribuer une quelconque signification à ces mots abjectes ‘Fuck Mr Onion’. »
Les amants regardaient la photographie de leur œuvre en silence. Duronflan ne pensait pas par lui-même, mais tentait désespérément de percer les pensée de l’Américaine. « Elle est en train de penser à se rendre, se donner à la police, inventer une histoire, présenter ses excuses… se disait-il un peu effrayé, si elle le fait, je dois le faire aussi. » « Jamais. Non. La liberté ou la mort. Qu’ils aillent se faire foutre. » s’écria-t-elle soudain tout en se levant. Benjamin était troublé, c’était comme si elle lui avait répondu, il ne comprenait qu’à moitié.
L’Américaine était partie.
Il la retrouva une heure plus tard, à leur guest house. Les sacs faits ; sur le lit, deux billets d’avion. Madurai, Tamil Nadu. Elle avait le visage tendu et ses yeux claires orageux, les lèvres légèrement pincées. « On décampe ». La seule fois où il lui avait vu cet air, c’était justement lorsqu’elle ébauchait et mettait en œuvre leur « plan », cela fit un peu peur à Benjamin. Il tenta de bafouiller quelque chose, puis abandonna, mit son sac sur ses épaules et la suivit. Il voyait défiler Calcutta dans leur taxi, il ne comprenait rien. Elle lui disait qu’elle avait tout prévu, qu’il n’y avait normalement pas de contrôle de police les aéroports domestiques, qu’il avait un hôtel à leur arrivée… « Un hôtel ? » répéta-t-il, idiot.
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Calcutta.
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Calcutta dans le petit matin. La joie de l’anonymat des métropoles et des grandes avenues.
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Les Aventures de Benjamin Duronflan, chapitre 18 : FUCK MR. ONION
Que pouvait-on faire de mieux qu’un graffiti à Manikarnika ghat ? Après le geste de Mr. Onion, la moindre fresque semblait être au mieux un jeu d’enfant, au pire une insipide activité touristique. Telles étaient les pensées qui tourmentaient Benjamin, l’Américaine et Manu Chao. Si effectivement, tout était possible à Varanasi, le jeu du street art perdait franchement de son intérêt. La bande voulait du challenge. Manu Chao avait rassemblé le matériel, il ne restait plus qu’au deux autres à décider du support. C’est l’Américaine qui trouva l’idée. En réalité, elle y avait pensé dès le début, mais avait mis longtemps avant d’oser la dire. Elle-même avait du mal à se départir de sa morale, mais finalement, leurs débats sans fin pour trouver un lieu adéquate l’avaient convaincue. Elle l’avait dit. Vishwanath temple, le temple d’or. Manu Chao et Benjamin l’avaient regardé silencieux, leurs traits étaient devenus soudainement soucieux. N’avait-il pas dit que tout était possible ? Elle plongeait ses yeux dans les leurs, elle voulait, là, leur faire sentir leur peur. Leur reste de morale, de sens du devoir. Benjamin lui était transparent comme une eau minérale, elle pouvait distinguer les mouvements de son âme. A ce moment-là, sur la terrasse surplombant les crémations de Manikarnika, elle n’était qu’un mélange de crainte et d’excitation. Rien de plus. Les yeux de Manu Chao, eux, étaient plus difficiles à sonder : elle le sentait réfléchir intensément, peut-être comme il avait rarement eu l’occasion de réfléchir. Elle sentait aussi qu’elle avait visé juste, que tout n’était pas possible mais qu’il ne pouvait dire non, qu’au fond de lui, il avait déjà accepté. Ils ne dirent plus un mot ce soir-là : leur silence était un pacte de conspirateurs, il les traversait et les unissait dans un destin commun.
Le lendemain fut consacré aux préparatifs : le Vishwanath temple n’est pas n’importe quel temple. Il s’agit d’un des lieux de pèlerinage les plus importants de Varanasi et l’endroit le plus sécurisé de la ville. En réalité, c’est tout un pâté de maisons, contenant plusieurs temples et une mosquée qui est soumis à un plan vigipirat à l’indienne très strict par peur des attentats de la part de l’ennemi pakistanais. Ainsi, si on voit peu de policiers à Bénarès, on observe une véritable militarisation des alentours du golden temple. Pour entrer dans la ruelle qui dessert les temples, le visiteur doit abandonner à l’entrée tout effet personnel sauf son porte-feuille et ses offrandes (fleurs, verres de lait...) qui sont assidûment contrôlées. En outre, les étrangers ne peuvent entrer sans leur passeport et un contrôle d’identité. Une fois à l’intérieur, des policiers surveillent chaque porte des temples. Bref, il était impossible pour la bande de faire entrer les bombes de peinture par la voie normale, et de toute manière, cette dernière ne leur permettait pas d’accéder à la toiture dorée du temple, futur support à leur caprice artistique. Il leur fallait donc prendre une voie de traverse, et cette dernière, ils l’avaient tous les trois remarquée lors d’une de leur visite de reconnaissance. A environ cinquante mètre au nord de la porte 3, une petite impasse leur permettait d’arrivée à un point de vue surplombant la mosquée et le temple d’or, il suffisait d’un peu d’escalade. Le point délicat était toutefois que ce point de vue se trouvait à moins de trois mètres d’un poste de police, lieu de repos des gardiens du temple.
L’Américaine était le cerveau de l’opération, elle donnait les ordres et les deux autres acquiesçaient. Parfois, Manu Chao faisaient quelques suggestions d’ordre pratique qu’elle intégrait au plan sans discuter. Il était simple. A cinq heure du matin, les trois compères se rendraient au point de vue. Si les policiers ne dormaient pas, Manu Chao déguisé en un sadhu extravagant serait chargé de les divertir pour laisser descendre sur l’esplanade en contre-bas le couple de touristes. En dernier recours, ce dernier allumerait un fumigène sous-prétexte d’un rite particulier pour troubler la visibilité des policiers. Une fois à l’intérieur, ils devaient escalader le temple – ce n’était pas difficile, les bas-reliefs faisant comme des marches d’escalier, et poser leur graffiti sur le toit en profitant des dernières minutes d’obscurité. Cela fait, il leur fallait enfiler des déguisements de pèlerins et attendre les premières lueurs du jour, pour se laisser glisser côté ruelle et se volatiliser en se fondant dans la foule naissante. L’Américaine ne dormit pas cette nuit-là, elle n’avait en tête pas d’autres pensées que son plan dont elle se répétait les moindres mouvements. Elle avait des doutes concernant les capacités de Benjamin à ne pas faire quelque chose d’idiot dans un moment crucial. Quant à Manu Chao, on verrait bien, se disait-elle. Ils sortirent tel des ombres à quatre heures et demi du matin. Bénarès dans le silence. On a parlé des sons de Bénarès, mais a-t-on parlé de son silence, des ruelles si sombres que l’on ne voit pas ses propres pieds. Duronflan et l’Américaine suivaient mécaniquement l’ombre de leur guide qui caressait les murs de la vieille  Kachi. Qu’allait-il lui faire à la vieille Kachi ? Il était travaillé par le doute mais avançait sans hésitation du pas agile de celui qui est né ici. Qu’allait-il lui faire à la vieille Kachi ? Tout est possible, l’Américaine l’avait forcé à soutenir sa parole, à lui donner la consistance d’un acte et il se transformait maintenant en porteur de bombes. De peinture, certes. Mais porteur de bombes quand même. Ce ne serait même pas les Paki, mais ces deux touristes lunaires et lui qui leur servait de guide. Lui-même qui les avait encouragé. Oui, il les avait poussé à l’acte et s’était retrouvé entraîner dans un engrenage qu’il n’avait pas maîtrisé. Comme lorsqu’on pousse quelqu’un dans un piscine et que le poussé reste accroché à votre maillot de bain, vous entraînant dans sa chute. Le poste de police était endormi, ou presque. Un policier affalé dans un fauteuil regardait un feuilleton à la télévision, à demi-somnolant. Manu Chao n’avait pas besoin de jouer son rôle, ou alors en dernier secours. Les deux passèrent devant le poste et basculèrent par-dessus la balustrade. Fracas. Le policier lève les yeux ; heureusement, Manu Chao est là, virtuose. Il joue le baba à moitié fou, son costume est parfait. Il se fait chassé rapidement par l’officier, mais les deux autres sont déjà de l’autre côté de l’esplanade en train d’escalader le temple.
Quand on pense à ce qu’il se passa sur le temple, on pourrait penser que nous avons pu observer-là une véritable duronflanisation de l’Américaine. Comment cette étourderie, ce manque de sérieux avait-il bien pu lui arriver, on se le demanda longtemps. Toujours est-il que se trouvant face à la toiture plaquée or du Vishwanath temple, tentant d’éviter les projecteurs qui l’éclairaient et l’attention des gardes sur les miradors (qui heureusement se situer de l’autre côté), Benjamin et l’Américaine furent traversés par un mouvement de panique. L’angoisse de la page blanche. Le plan minutieux de l’Américaine ne comprenait tout sauf. Sauf… quand elle se rendit compte de son oubli, elle… sauf… qu’avaient-ils à dire ? À écrire ? Elle avait décrit des procédures mais pas l’objet final, et ni Manu Chao, ni Benjamin n’avaient non plus pensé la chose une seule fois. Et ils étaient, là, perchés comme deux oiseaux idiots, aplatis de tout leur corps sur le plaquage d’or pour ne pas glisser, devant décider ensemble quoi écrire. Et puis le jour se levait plus rapidement que prévu, déjà, on entendait les premiers pèlerins sonner les cloches du temple. Déjà ! Les minutes s’écoulaient à une vitesse extraordinaire, Benjamin semblait avoir perdu connaissance sous l’effet de la peur… elle eut alors un sursaut et laissa échapper un « tant pis ! » agacé. Elle se saisit de la première bombe qu’elle trouva – elle était verte – et traça avec de grands mouvements un « FUCK MR. ONION » dégoulinant. La spontanéité de l’Américaine avait parlé. Il fallait maintenant amorcer un mouvement de fuite.
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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#varanasi #street #people #life #kashi #banaras #benares (at Varanasi, India)
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Les Aventures de Benjamin Duronflan, chapitre 17 : Devenir artiste
Benjamin et l’Américaine conclurent que le sens de la peinture importait finalement moins que celui que les « locaux » lui donnaient. Redescendant de leur perchoir, ils prirent ainsi place dans le tea shop de Manikarnika pour en savoir plus. Au milieu des tas de bois, derrière les plate-forme de crémation et le temple de Shiva, se tenait en effet une petite échoppe où l’on vendait du chai et quelques samossas. Une vieille radio diffusait de la musique. Depuis leur banc, ils pouvaient apercevoir les têtes de mort de Mr. Onion et même parfois, quelques flammes dépasser de la balustrade de la plate-forme des brahmanes. Ce matin-là, un baba les accueillit en buvant un chaï, il leur fit remarquer qu’ils les avaient déjà vu le jour d’avant. Oui, oui, ils habitaient à côté. Après quelques échanges de politesse, l’Américaine se lança. « Qu’est-ce que vous pensez de la peinture, là-bas ? ».
Le saint homme dit tranquillement qu’elle avait été faite par un ami colombien. Les voyageurs se regardèrent, on leur avait dit la veille que le peintre était allemand. L’Américaine se demandait si elle pouvait toujours considérer ce geste comme un geste néocolonial, un ultime geste de possession du territoire de la part de l’Occident, si l’homme était colombien. Plongée dans cette perplexité géopolitique, elle resta muette et laissa Benjamin prendre le relais. « Mais, vous, vous l’aimez bien ? » demanda Benjamin. Le vieil homme répondit doucement que l’artiste avait fait cela avec le cœur, qu’il leur avait laissé cela et que cela, oui, cela était bien. Et puis, on pouvait le voir depuis la rivière… Quelques minutes plus tard, ils interrogèrent un autre homme : s’il semblait connaître bien Manikarnika, mais n’avait ni la posture, ni le regard des gens du coin, et pour cause, il venait de Delhi et faisait des études d’anthropologie dans une université estonienne. « Ce n’est pas bien… les gens, ils viennent, ils peignent les murs sans en connaître l’Histoire. Cet endroit... très ancien, très sacré, vous savez… non, il n’aurait pas dû. » leur expliqua-t-il d’un air sombre. « Mais bon, les choses changent, ce n’est peut-être pas si mal... ». Un autre homme écoutait la conversation, Benjamin se tourna alors vers lui pour le faire participer au débat : « Et vous, vous en pensez quoi ? ». « On comprend pas. Ici, personne ne comprend ce que ça veut dire ».
Un plus tard, ils réitèrent l’expérience dans un second tea-shop un peu en contre-bas. Et là encore, il n’y avait pas d’unanimité. Un jeune homme qui passait beaucoup de temps ici semblait indifférent à la peinture en elle-même (« cela ne change rien à ma vie, rien de plus, rien de moins ») mais expliquait que le peintre leur avait laissé quelque chose, et que ce dernier pourrait dire à ses amis « vas à Manikarnika et tu verras ». Un autre, plus âgé – qui disait avoir vécu à « Fille-du-Calvaire » à Paris – trouvait que les gens ne se rendaient pas compte et qu’ils ne protégeaient pas assez leur culture : on n’aurait pas dû laisser le peintre dégrader les lieux. Benjamin et l’Américaine n’arrivaient donc pas à distinguer de tendance générale : ce qui était certain, c’était que le geste n’avait pas été unanimement considéré comme sacrilège. Mais cette incompréhension s’ajoutait à leur difficulté à comprendre ce petit quartier qui fonctionnait, et cela ils le percevaient, différemment du reste de la ville. On leur avait dit : « Faites attention, Manikarnika, c’est un endroit dangereux »… ce qui posait a priori un voile sombre sur ce ghat, qui s’ajoutait en plus à sa fonction mortuaire et à la présence des bûchers. Et oui, en effet, on sentait qu’il existait des solidarités cachés, un fonctionnement spécifique. « Ce n’est pas un lieu publique ici, ce n’est pas le gouvernement qui gère le ghat » leur disait-on. Non, c’est vrai, les lieux sont contrôlés par les Doms, une puissante caste d’intouchables, qui gère leur monopole de la crémation à Varanasi. A Manikarnika, tout passe par Dom Raja, le roi des Doms, et l’État ne semble pas y mettre les pieds. Il y avait aussi la présence de la drogue qui transformait cet endroit en un lieu interlope, la marijuana à usage religieux mais aussi pour les junkies… Benjamin et l’Américaine ne comptaient plus les propositions qui s’allongeait comme des chapelets : « marijuana, haschich, MD, héroïne, opium, cocaïne, LSD... ». D’ailleurs, l’endroit où ils vivaient avait la réputation d’être un repère à junkies (ils ne s’en étaient pas rendus compte) et le patron serait un vieil héroïnomane. A chaque fois, l’Américaine refusait poliment, pour elle, vivre c’était se battre et elle avait besoin de toute sa lucidité dans son entreprise. Analyser la situation pour donner le premier et le dernier coup.
Benjamin lui n’analysait pas, jamais, ce qui ne l’empêcher pas tâcher de comprendre. Par exemple, cette ambiance lui faisait penser à Jean Genet qui voulait mettre le théâtre dans le cimetière, faire un spectacle qui réunisse la mort et les marginaux. «  Car c’est une Fête qui aura lieu à la tombée du jour, la plus grave, la dernière, quelque chose de très proche de nos funérailles » répétait Benjamin avec un air intelligent. Il faisait aussi remarquer qu’on voyait déjà cette figure du cimetière comme lieu interlope dans Hamlet avec la scène du fou et du fossoyeur. L’Américaine lui fit d’abord remarquer que c’était difficile de rapprocher cette image occidentale de Manikarnika ghat,avant de succomber rapidement au rapprochement qui était trop séduisant intellectuellement. Elle ajouta donc sa pierre à l’édifice et remarqua que l’expurgation des cimetières des villes européennes au XIXème allait de pair avec le mouvement hygiéniste et la mise au ban, socialement et géographiquement, des prostitués, des drogués, des théâtres… bref, de tout ce qui  ne correspondait pas à la morale de l’époque. Elle remarqua aussi que l’Inde et l’Europe n’avaient pas vécu séparément, ne serait-ce qu’ à cause de la colonisation, et que ce statut de Manikarnika était peut-être lié à une évolution récente. D’ailleurs, il lui semblait avoir entendu que le nombre de crémations avait augmenté ces dernières décennies. Ainsi, Benjamin et l’Américaine se gargarisaient de leurs analyses dans l’odeur douceâtre du feu de bois (« l’odeur de la viande grilléééée » plaisantait Benjamin sans que son amie comprenne la référence*). Si l’endroit avait donc cette dimension sulfureuse, il y faisait bon vivre et la présence de nombreux babas réjouissaient notre héro. Il passait de longues heures assis en silence à côté d’eux, observant leurs postures et, comme l’aurait fait un enfant, tentait de reproduire ces états méditatifs. L’Américaine, elle, regardait cela de loin, ressentant toujours le même malaise quant aux pratiques de spiritualité hindous.
C’est l’Américaine qui, pendant, que Benjamin était encore on-ne-sait où en train de faire on-ne-sait-quoi, demanda au gérant de leur guest house ce qu’il pensait du graffiti de Mr. Onion. Pour lui, c’était un taggueur coréen assez connu ici, notamment parce qu’il prenait de la cocaïne. S’il le voyait, il pourrait lui présenter. Mais, aimait-il la fresque ? Cela ne le regardait pas vraiment, il s’en fichait. Mais avait-il le droit de peindre sur le ghat ? Il n’y avait pas de problème, non vraiment pas de problème, everything is possible. Demander aux locaux, seulement si la police arrivait, ils pouvaient te demander d’arrêter pas plus. Si elle était intéressée, si elle voulait peindre, il pouvait l’aider. L’Américaine tentait d’expliquer qu’elle en était bien incapable, mais son interlocuteur l’encourageait. Vraiment si elle voulait, pas de problème, il fallait qu’elle essaie. Il pouvait venir avec elle, où elle voulait, tout était possible. Lorsque Benjamin rentra, l’Américaine écoutait encore les conseils de Ravi, alias Manu Chao, pour décorer les murs de Bénarès. Le Français qui n’avait pas suivi la conversation fut tout de suite emballé par ce qu’il croyait être le projet de l’Américaine et ce qui encouragea leur hôte qui était déjà en train d’imaginer déjà les aspects pratiques de l’expédition. Il fallait trouver de la peinture, des pinceaux – à moins qu’il ne souhaitait peindre à la bombe, mais c’était plus difficile à trouver –… il fallait surtout trouver un lieu. C’est ainsi que de critique d’art, ils passèrent avec l’aide de Manu Chao, du côté des artistes. L’Américaine était à la fois un peu effrayée et gênée ( n’était-ce pas un peu colonial) mais ses doutes furent balayés par l’insistance et la motivation de leur hôte aux cheveux longs. Elle se laissait aller à l’expérience, le cœur léger : aujourd’hui, elle n’était plus analyse mais création. Les scrupules pouvaient aller se faire foutre.
* pour comprendre la mauvaise blague de Duronflan
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Les Aventures de Benjamin Duronflan, chapitre 16 : From Here To Eternity / Street art
Minuit, Manikarnika ghat. Un homme s’affaire contre le mur de la plate-forme des brahmanes. Il peint. La lumière des lampadaires ne le touche pas ; il profite de l’épaisseur de l’obscurité et de la brume. La musique directement dans ses oreilles rythme son bras qui se balance avec des mouvements vifs, parfois il prend du recul et hoche la tête un air satisfait. Autour, il y a les témoins de ce qui est en train de se passer, tous restent silencieux. Ils observent ce grand homme aux yeux bridés, les cheveux longs et noirs ramassés dans un chignon sur le haut de son crâne, un tikka noir sur le front. Le mur quant à lui se recouvre de traits de couleurs vives, une noueuse composition psychédélique s’étale sur le mur tandis que moins d’un mètre au-dessus, le corps d’un membre d’une haute caste brûle lentement.
Benjamin et l’Américaine s’étaient levés de bon matin ce jour-là. Après ce qu’ils avaient pris l’habitude d’appeler sa « crise », Benjamin était resté pendant une semaine dans un état de faiblesse relative. Il s’était réellement épuisé dans sa « crise », mais cette faiblesse semblait aussi une manière pour Benjamin de se protéger, un bon prétexte pour rester enfermé : il avait eu peur et , malgré l’intensité des sentiments qu’il avait pu vivre et le sursaut existentiel que cela lui avait procuré, il voulait mettre à distance le spectre de la folie et de la mort, et la manière qu’il trouva dans un premier temps d’exorciser cela fut de mettre à distance la ville elle-même, bien qu’il y résida. Au bout d’une semaine cependant, il retrouva sa curiosité habituelle, celle pour laquelle nous l’aimons. Il organisa leur déménagement de Bengali Tola (où ils étaient retournés après la « crise ») à Manikarnika ghat pour « prendre un nouveau départ ». Ainsi, ils s’étaient levés tôt ce matin où il et elle avaient découvert avec stupéfaction le graffiti coloré sur le mur de la plate-forme de crémation des brahmanes.
« - Oh, putain nique sa m…, murmura l’Américaine. - Bougre, il y en a un qui s’est fait plaisir, commenta son partenaire. - Mais mec, comment c’est possible ? - C’est quand même marrant… - Inimaginable. - Pardon ? - J’ai dit, inimaginable. Impossible. - Ah. - …. - De quoi parles-tu ? - Regarde ! - Oui, oui, il y a un tag. - Enfin, Ben ! C’est pas n’importe quelle… enfin,  je veux dire, on est à Manikarnika ghat, goddam ! - Everything is possible, twenty-four hour, répondit Benjamin en riant. Ce dernier ne semblait pas se rendre compte de la lourdeur de l’acte dont ils étaient en train d’observer le résultat. Il prenait cela avec un air amusé qui scandalisait un peu l’Américaine. - Tu ne trouves pas ça beau ? lui demanda-t-il. - C’est pas la question. Mais… Qui est le fils de pute qui a bien pu faire cela ? - Euh, je pense que tu ne devrais pas parler comme ça, lui fit-il remarquer. Le français vulgaire de l’Américaine le mettait souvent mal à l’aise, il trouvait que cela était comme comme une fiente de pigeon sur une fresque de Raphaël, une faute de goût flagrante dans sa manière d’incarner sa féminité. - Sorry, dude. - C’est quand même oser de poser son graff’ là, sur un des endroits les plus sacrés du monde, déclara Benjamin. On pouvait sentir qu’il avait fait un effort pour éprouver cette réflexion. L’Américaine le regarda encore une fois, un œil tout étonné, l’autre sur le point de sombrer dans le désespoir. - Oui, c’est ce que j’essayais de te dire… - Je me demande ce que les gens peuvent bien penser de tout cela, continua-t-il avec un air méditatif.
La fresque était principalement composée de traits colorés formant un ensemble psychédélique et acidulé. Lorsqu’on l’observait longtemps, on pouvait voir émerger comme un « motif dans le tapis » (Benjamin détestait cette expression mais bon…) l’inscription « From Here To Eternity » (même si on distinguait mal le « y » de « eternity »). Le couple était fier de leur découverte et continuèrent donc à faire parler cet audacieux graffiti. Dans le coin gauche, étaient dessinés plusieurs grosses têtes de mort dans un style un peu enfantin, et aussi un délicat portrait de sadhu avec une technique impressionniste. L’Américaine dit avec un ton docte que c’était une pièce de street art quelconque comme on pouvait en trouver aux quatre coins de la planète. Benjamin défendait l’œuvre avec entrain quand ils découvrirent qu’elle était probablement signé. « Guido Cipolla : Mr Onion »¨était inscrit dans la partie haute. Dans le silence que provoquait la découverte de la probable identité du « vandale » (l’Américaine) ou de l’ « artiste » (Benjamin), un jeune homme comme il en existe beaucoup à Manikarnika vint leur proposer une explication des rîtes funéraires. Benjamin coupa rapidement court à ces explications qu’il connaissait déjà par cœur et posa frontalement la question du graffiti. Ce dernier semblait laisser complètement indifférent leur interlocuteur, contrairement toutefois au peintre qu’il connaissait bien. Selon ses dires, l’artiste était un « gars allemand » qui venait souvent ici et qui maintenant habitait près de Lalit Ghat, oui, il était venu de nombreuses fois ici et surtout, il consommait beaucoup de drogues, il en achetait à un ami à lui. De la marijuana mais aussi… il se boucha une narine et respira de l’autre, le nez collé à sa main droite. Cocaïne.
« - Tu vois, c’est quelqu’un qui connaissait le coin, il est pas arrivé comme ça un matin… dit Benjamin à son amie, satisfait. - A bloody junkie ! s’exclama-t-elle avant de traduire.Un putain de camé. - Je comprends l’anglais tu sais. - Ah oui ? »
Benjamin qui se sentait vexé se décida à mener l’enquête, il entendait bien prouver, pour une fois, sa supériorité en matière de compréhension du pays dans lequel ils voyageaient. On verra bien. Il se lança donc dans un important travail de recherche avec une connexion internet vacillante, mais son ambition d’en savoir plus sur la fresque furent rapidement déçues. Après avoir activé tous les réseaux interdiscursifs de la fresque, le sens de cette dernière lui restait toujours opaque.
« - Au rapport colonel, s’adressa-t-il à l’Américaine. - Oui ? - Alors, j’ai fait mes recherches. D’abord l’auteur : Guido Cipolla. Déjà cipolla, ça veut dire oignon en italien, d’où le Mister Onion… et « Guido », alors soit c’est juste un prénom. Soit c’est un mot d’argot new-yorkais pour désigner les italiens, et notamment la figure de l’italien macho. Ou ça peut aussi être le verbe « conduire » à la première personne du singulier, mais je pense pas que ça soit ça… - Intéressant dis-moi, souffla-t-elle dans un demi-sourire. - Oui, oui ! Et… alors… sur Facebook, j’en ai trouvé vingt-six des « Guido Cipolla » mais aucun qui fait l’affaire. Par contre, et là plus intéressant, j’ai trouvé un Guido Cipolla qui fait de la longboard en Italie, ce qui nous rapproche de l’univers des cultures urbaines. - Mais pas de graffeur. - En effet. J’ai aussi essayé de comprendre à quoi l’œuvre faisait référence… je te préviens, c’est un peu flou. Déjà, « from here to eternity » c’est pas de lui. La première fois que ça intervient, c’est dans un film de Fred Zinnemann, réalisé en 1953, c’est le titre du film. - Et alors, ça voudrait dire quoi ? - Je ne sais pas trop… le film critique, selon ce que j’ai lu, l’institution militaire… Toutefois, l’histoire de l’expression ne s’arrête pas là. Vingt-quatre ans plus tard, c’est le musicien Giorgio Moroder qui sort son tube du même nom. J’ai écouté, c’est de la disco un peu planante qui fait « From here to eternity / That's where she leads me / From here to eternity / with love, with love, with love, with love ». - Une chanson d’amour. - Exact. - Ce qui ne nous aide pas vraiment à comprendre, ajouta l’Américaine dont la curiosité commençait à s’éveiller. - Il y a aussi une chanson d’Iron Maiden sortie dans les années 90, de ce que j’ai compris, elle parle d’une jeune femme se faisant séduire par un bad boy lui proposant d’aller « from here to the eternity », à savoir en enfer… j’ai pas trop aimé la chanson. - Ça m’aurait étonné. Et alors ? - Bah… c’est tout. J’ai rien d’autre. - Et comment tu interprètes ça ? Lui demanda-t-elle toujours ironique. - Hum, peut-être, peut-être, commença Benjamin qui chercher quelque chose à dire, peut-être que Guido Cipolla, alias Mr Onion, a fait ce graffiti pour déclarer son amour à une femme qui allait prendre un bateau le lendemain pour voir Manikarnika ghat depuis le Gange… - Ou peut-être que ce bastard s’est cru profond en écrivant un truc sur l’éternité dans l’endroit où on brûle des morts qui, selon ce qu’on dit, devraient atteindre le moksha et qu’il n’a pas du tout penser au réseau interdiscursif qu’il était en train de produire. - C’est quoi déjà le moksha ?... C’est marrant aussi d’imaginer cet endroit avec un tube de disco, peut-être qu’il écoutait ça pendant qu’il peignait, déclara crânement Benjamin tout en se mettant à chanter « From here to eternity, That's where she takes me, Frome here to eternity »… L’image la fit rire et elle concéda que le gars avait dû « prendre son pied et se taper un bon petit trip ». Le moksha, c’est la libération ultime de l’âme individuelle, sa sortie du cycle des réincarnations… si on est incinéré à Bénarès, normalement, on rejoint le moksha. - Peut-être qu’il voulait dire que le véritable moksha, c’est l’amour. »
Benjamin lui-même se sentit niais, ce qui le fit rougir, ce qui attendrit l’Américaine, et ce qui les détourna de cette épineuse question. Dans leur nouvelle maison, sur ce toit grillagé (contre les singes), il et elle profitaient de la chaleur du mois de février. Quelques cendres venant des ghats de crémation en contrebas flottaient dans le vent. Ils étaient bien, à deux, dans la lumière de la fin d’après-midi. D’ici à l’éternité, c’est là où elle le menait, d’ici à l’éternité, lalala lala la...
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Pachganga ghat. Varanasi.
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Sur la bénarèsité
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"Adab and Banarsipan: Embodying Community among Muslim Artisans in Varanasi, India” * CHRISTOPHER LEE, Comparative Islamic Studies
https://www.academia.edu/22850949/Adab_and_Banarsipan_Embodying_Community_among_Muslim_Artisans_in_Varanasi_India
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Et l'image photographique, en particulier, est un outil puissant pour à la fois documenter et catégoriser. Ainsi, les images coloniales de Bénarès ne peuvent pas être vues comme indépendantes d'un dessein plus large, le "texte" du colonialisme.
Madhuri Desai, “ Mosques, Temples, and Orientalists:Hegemonic Imaginations in Banara”, TDSR Vol. XV  n° I,  2003 (la trad c’est moi !)
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Ainsi, les descriptions de l’Inde comme une civilisation de castes, de villages, de spiritualité et de royaume divin, ont persisté dans de nombreux travaux orientalistes. Les récits coloniaux sur Bénarès sont typiquement à l’origine de ce type d’attitude, insistant sur la notion d’intemporalité […]. Le nationalisme postcolonial peut, lui aussi, être compris comme un projet hégémonique. […] Les sociétés colonisées conçoivent souvent leur monde comme divisé entre une « extériorité » matérielle, et une « intériorité » spirituelle. La sphère extérieure est celle dominée par l’Ouest ; et c’est celle là qu’il faut égaler en termes de technologie, économie et de compétences administratives. Par contraste, le domaine intérieur est spirituel, et défini comme une identité culturelle. Et dans le contexte de l’émergence d’un nationalisme indien hégémonique, cela a été définie comme hindou. »
  Madhuri Desai, “ Mosques, Temples, and Orientalists:Hegemonic Imaginations in Banara”, TDSR Vol. XV  n° I,  2003 (la trad c’est moi !)
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Dans le cas de Bénarès, ces "traditions inventées" [Hobsbawm ;  Ranger] portent à la fois sur l'environnement architectural et sur les représentations textuelles indigènes. Cependant, étant donné le scénario politique du sous-continent indien depuis la fin du XVIIe siècle, elles apparaissent enchevêtrées avec le projet orientaliste d'origine coloniale, s'attelant à produire une Bénarès pure au passé indiscutablement hindou.
Madhuri Desai, “ Mosques, Temples, and Orientalists:Hegemonic Imaginations in Banara”, TDSR Vol. XV  n° I,  2003 (la trad c’est moi !)
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Comme le montre cet article, Bénarès a été re-construite comme un lieu de pèlerinage hindou et cette reconstruction a pris place au sein d'un nouvel agenda religieux. Dans un climat de montée du fondamentalisme religieux, il semble pertinent et adéquat d'examiner le processus par lequel un site "religieux" est créé. [...] Ma première image de Bénarès est celle d'un poster du ministère du tourisme du gouvernement indien.  Il montrait les berges du fleuve, avec ses ghats, ses palais et ses temples, et en-dessous une légende où il est simplement écrit "INDIA". C'est l'image persistante de la ville, une métonymie pour une Inde "éternelle" et ses profondes traditions spirituelles. Avec du recul, je vois maintenant que ce poster comme un exemple d'une série de représentations picturales et textuelles de la ville qui réitèrent une vision du caractère exclusivement hindou de la ville. Et avec mes autre recherches historiques, c'est un autre aspect de cette image de la nation - approuvée par le gouvernement -  qui souligne une anodine hégémonie hindoue.
Madhuri Desai, “ Mosques, Temples, and Orientalists:Hegemonic Imaginations in Banara”, TDSR  Vol. XV  n° I,  2003 (la trad c’est moi !)
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Note sur le chapitre 15 et l’affaire “British officer Vs. Durga goddess”
Le chapitre 15, c’est le télescopage dans le délire de Benjamin de ses imaginaires bibliques et hindous, sans abandonner l’arrière-plan colonial qui travaille la conscience du héro. A la fin du chapitre,  Benjamin se retrouve à incarner un officier britannique qui, au cours du XIXème siècle, tira sur le temple de Durga. La légende dit que le temple se mit à saigner et que l’officier prit la fuite et trouva la mort. Cette histoire, elle m’a été racontée par Dada, un employé de ma guest house – cet homme ne sait pas lire, mais et malgré sa jeunesse, est la mémoire de la culture populaire et orale de Varanasi. Il me l’avait racontée une première fois, mais j’en avais oublié les détails, j’ai donc fait des recherches sur internet.
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En effet, cette histoire avait attiré mon attention. Elle apparaissait pour moi comme un belle objet de socio-histoire religieuse, mettant en valeur le rôle des configurations politiques et sociales d’un moment, ici la situation colonial, dans la production des croyances religieuses et de apparitions. Cela me faisait penser à ce que j’avais pu lire du travail de l’anthropologue Élisabeth Claverie sur les apparitions de la Vierge à Medjugorje en Bosnie.  Dans une interview pour le magazine Jeff Klak, on pouvait notamment lire :
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Bref, s’intéresser à comment les dieux du panthéon hindou ont réagi au contexte colonial me semblait intéressant. Le problème, c’est que sur internet, je n’ai rien trouvé de cette histoire. Enfin… je n’ai pas trouvé de trace de ces événements à Ramnaghar de l’autre côté du Gange comme Dada me l’avait dit. Par contre, j’ai trouvé la trace de plusieurs événements très similaires, produisant le même récit sommaire dans d’autres lieux en Uttar Pradesh. On trouve le même récit par exemple dans le temple Lehara Durga Mandir, près de Gorakhpur dans le nord de l’état. Il existe aussi des variantes de cette histoire avec la volonté de destruction du temple de la part des Britanniques pour construire une voie ferrée…
Je trouvais donc des échos à mon histoire, des répliques nées probablement d’une même configuration socio-historique, mais ma légende à moi, à Varanasi, aucune trace. J’ai toutefois pu me faire reconfirmer l’histoire par Dada qui m’a indiqué précisément comment me rendre dans ce temple.
D’abord, il faut traverser le Gange pour se rendre à Ramnaghar. De ce côté-ci de la ville, il y a un pont en construction depuis des années et l’hiver, quand le Gange est bas, on peut traverser sur un point flottant. Il est vraiment de bric et de broc, mais il permet de traverser.
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Après, on passe devant le palais. Puis, il faut tourner à gauche et on sort rapidement de la ville.
On retrouve l’Inde poussiéreuse des bords de route. Puis, on on tourne à droite. Sur le bord de la route, il y a un grand bâtiment, immense et sublime. Apparemment, c’est une école.
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Quelqu’un me propose de me déposer au temple sur son scooter, j’accepte avec joie cette occasion d’éviter la marche dans la chaleur et la poussière. Une fois arrivé, il  y a beaucoup de pèlerins et aucun touriste ; il se dresse au milieu d’une campagne chaude et poussiéreuse. J’observe avec amusement les bas-reliefs et les manifestations de piété. Il y a aussi une distribution de sucrerie qui crée quelques bousculades…
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Tout cela est très intéressant, mais je ne trouve aucune des impacts de balles dont Dada m’avait parlé. Ce qui est sûr, c’est que ce miracle n’est pas un objet de culte, ni d’une quelconque forme de patrimonialisation. Finalement, quelqu’un me les a montrées, on en distingue trois, à environ autre mètres de hauteur et en effet, autour, on peut voir comme des traces de sang. Mon interlocuteur m’a aussi donné des détails sur la mort de l’officier britannique : il serait mort attaqué par un essaim d’abeilles. Cela devient déjà un peu miraculeux, on peut facilement imaginer la scène, les abeilles paniquées par les coups de feu… A la fois, je suis content d’être allé voir ce temple, et en même temps, il y a aussi quelque chose d’un peu décevant  avec ces trois petites traces de balles que tout le monde semble avoir oublié. J’ai quand même eu le temps de prendre quelques photos avant qu’on m’explique que c’était interdit.
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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Les Aventures de Benjamin Duronflan, chapitre 15 : Délires II
Benjamin se réveilla dans un patio vert d’eau. Il y avait des reflets sur les murs, on aurait juré se trouver près d’une source. Autour de lui, de larges bassines en fer blanc dans lesquels du paneer flotte au milieu du petit-lait. « On eut dit à les voir dormir dans un coin sombre, d’énormes nénuphars s’ouvrant avec les flots lents ou des mets protégés par des couvercles blancs qu’on réservait pour un repas d’anges, dans l’ombre » il se murmure. Au fond, il y a ces pots en fer blanc calfeutrés avec des feuilles de bambous qu’on ouvre puis qu’on verse dans un grand chaudron. Les yeux de Benjamin se décile doucement, que lui était-il arrivé ? Était-il en paix ? Il se redressait douloureusement tout en observant cette blancheur liquide… encore et encore arrivent des hommes à bicyclette, encore les pots en fer blanc, toujours plus de lait. Avec un grand bâton, un homme ceinturé d’un longhi à carreaux remue le lait qui chauffe. S’il continue à en verser, on va frôler la catastrophe ! Benjamin se lève, il tente de leur dire mais eux n’en ont goutte, au contraire, ils accélèrent la cadence. « Une telle abondance de lait qu’on mangera de la crème ». Le ballet des bicyclettes ! Mais ! Non, Benjamin ne veut pas de ces pâtisseries blanchâtres et sucrées. L’odeur du lait frais, du lait qui chauffe, du petit lait, de la fermentation : la tête lui tourne, les reflets liquides sur les murs lui donnent le mal de mer… Dans un effort soudain, il s’arrache à ce lieu et déboule dans la rue. Il reprend ses esprits, il n’est pas loin de Thatheri bazaar, il connaît le coin, il va… une vache lui fait face, c’est une grande vache blanche comme Kamdhenu, la vache-mère. Elle le regarde, le force à plonger ses yeux dans les siens. Encore une fois, la noyade, il se plonge dans leurs sclérotiques pâles : c’est immense comme un océan. La vache et Benjamin bloquent le passage et une bicyclette, toujours chargée des mêmes pots en fer blanc s’approche ; il faut partir. Partout, il le voit ce liquide immaculé et ces petits fromages sucrés, ça déborde des magasins, il faut qu’ils fassent attention. Ça tourne ces choses-là. II veut échapper à l’étouffante odeur des ruelles, il court. Enfin, le Gange. Et l’Américaine, elle l’attend. Sa peau est pâle et son sourire est comme une touche de safran, « ses yeux sont comme des colombes au bord des ruisseaux, se baignant dans du… ». Non ! Pas toi non plus ! « Que tu es belle mon ami, que tu es belle » ! Et dans tous les ménages, on s’attelle à battre le lait, comme une grande coopérative. Les petites filles qui courent dans la rue ressemble à la fillette d’Amul, avec ces couettes bleues. Il coule sous les portes, « comme un troupeau de chèvres suspendues aux flancs de la montagne de Galaad », non pas lui, elle ! Il faut fuir ma belle. L’Américaine ne bouge pas, elle a trop couru pour le suivre. Il l’abandonne dans cette inondation lactée. Le ciel blanchâtre se reflète dans le Gange, et la boisson des Dieu coule en cascade sur les ghats, depuis les fenêtres, sort des robinets et des fontaines… Les premières gouttes ont déjà touché le fleuve. C’est un déluge de lait qui se prépare, il emporte tout. Pur et froid comme la peau de son aimée. Un boat man vite, de l’autre côté du fleuve. Benjamin ne compte plus son argent, les dents blanches de l’homme aux rames lui font mal à la tête, il se renverse le visage face au ciel brumeux. Le lait qui ruisselle arrive dans les eaux sombres du Gange, et comme dans un tasse de café noir, forme des nuages filandreux.
Lorsque Benjamin arrive sur l’autre rive, le Gange a déjà une teinte beige. Le jeune Français se trouve sur cette grande étendue de sable gris, la ville n’a pas d’emprise de ce côté-ci. Il erre comme un fou en tentant d’échapper à son délire, d’échapper au « lait de ses consolations ». Il s’insurge tout en traversant ce désert, il ne veut pas de cette purification, il ne veut cette abondance, la peur blanche. Face à lui se dresse Durga Mandir, un temple pour la déesse, il en a entendu parler. Il se dresse vers le ciel, droit et responsable et devant lui un bassin rempli du même liquide immaculé. Maintenant que le soleil perce la brume, les reflets se fond insupportable, il est sur le pire des glaciers himalayens, là où habitent les dieux. C’est elle, c’est la déesse, elle se venge oui, elle nous provoque ! Il comprend tout maintenant, cet officier anglais, il y a deux cent ans, c’est lui. Il a le fusil entre les mains, il fait face au temple. C’est un duel entre lui et moi, se dit-il. Il n’y a pas d’autres solutions. Il vise, et tire, l’Américaine n’est plus là pour retenir ses doigts. Pan, pan, pan. L’édifice est touché, trois balles sur sa partie supérieure. Qu’a-t-il donc fait le malheureux ? Celui qui pensait l’océan de lait comme une malédiction ? Le sang se mit à couler, littéralement ce temple de granit saignait, et comme dans un mécanisme inverse, le monde qui avait soudainement blanchit se mit à rougir. Le crépuscule arriva avec son voile orangé, le lait du monde prenait cette teinte rosé comme une mer de grenadine. Le rougissement soudain d’une pudeur nouvelle, le rougissement d’après la chute, celui des amants qui se découvre pour la première fois. Pendant quelques minutes, nul ne pouvait dire si le retour de la couleur était une malédiction ou une bénédiction. Ces minutes furent celle du doute pour tout le monde, et peut être que l’on aurait aussi pu influer sur le cours des choses si l’on avait su saisir l’occasion. Mais comment ne pas considérer le mélange du lait d’où viennent tous les dieux et du sang de la déesse comme un présage funeste ? Benjamin avait, une fois encore, pris la fuite. Mais où aller ?  Il courait lorsqu’il marcha sur un nid d’abeilles. Elles n’eurent aucune pitié et il perdit connaissance.
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carnetsdhiver-blog · 8 years ago
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En bas de chez nous, à Pachganga ghat, y avait une mosquée; une très vieille mosquée dans un quartier presque exclusivement hindou. Bref, cette très vieille mosquée ne ramène pas beaucoup de fidèles - sauf le vendredi - mais malgré tout, tous les soirs un vieil homme vient chanter l’appel à la prière. Sans amplification aucune hormis l’écho dans la voute de la porte. Bref, c’est beau.
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