Tumgik
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Yasmina // Demain, ca ira mieux.
Pardon papa. Sans doute de là où tu es, tu n’es pas fier de ta fille. Mais tu es parti. J’avais seulement deux ans. Et je me perds depuis que je n’ai plus de père. Je n’ai eu le temps d’apprendre de toi que le manque et la souffrance de porter sur mes frêles épaules le lourd poids de ton absence. Je suis faible encore mais je m’efforce de m’endurcir parce que la vie n’est pas facile : je l’apprends à mes dépends.
 Oui papa, aujourd’hui j’ai 20 ans et je suis à la rue. Maman est là-bas, dans ce pays si proche, mais elle est si loin de moi. Elle a ses problèmes aussi et je ne veux pas l’accabler avec les miens. Tu le sais, j’ai bien trop d’orgueil pour lui demander de l’aide. Mais je veux m’en sortir - sache-le, et devenir une grande un jour.
   Je me suis faite une copine à la gare du nord, là où je dors certaines nuits. Elle est très gentille. Certains soir, après son travail, elle reste discuter avec moi pendant des heures. Elle est jeune mais elle a eu une sacrée vie, un peu comme moi, c’est ce qui nous rapproche je crois. Elle travaille dans une maison d’édition, et souvent me ramène des livres et un repas chaud. Il y en a un que j’aime particulièrement et que je garde toujours dans ma poche. Papa, moi aussi un jour je parlerai bien, je ferai de belles phrases et écrirai de belles histoires pour partager avec le monde ce que je vis.
   Tu verrais comme le monde est pourri, comme les gens souffrent ici. Même dans un pays riche comme la France on laisse les gens crever dans le froid, mourir de faim, macérer dans leur propre excrément, vivre l’enfer sur terre dans la plus grande des indifférences.
  Hier, j’ai vu des policiers maltraiter un homme dans le RER. Il n’avait rien fait de mal. Sa seule faute était d’avoir une couleur de peau qui ne leur convenait pas et de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Ils l’ont  frappé, lui ont donné des coups de poings, des coups de pieds, lui ont craché à la figure, puis l’ont insulté des pires mots que l’on puisse dire à un être humain. Oui papa, cela t’étonne sûrement, mais de nos jours les vrais délinquants ce sont certains policiers.
 J’ai assisté à cette scène, et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps parce que ça m’a blessé comme si on m’avait planté mille couteaux dans le cœur. C’est mon monde ! Je vois des horreurs tous les jours mais je n’arrive pas et à m’y faire, et chaque fois je suis révoltée comme si c’était la première fois, et profondément triste que ça puisse exister. J’ai 20 ans, mais j’en ai déjà vécu 40.
 Si tu étais encore là, je sais ce que tu me dirais : “Lève-toi Yasmina, allez ma fille, va de l’avant, construit ton avenir, accepte de te faire aider, tout le monde n’a pas le fond méchant, il y a des gens au bon cœur qui veulent faire le bien, appelle ta mère qui t’aime et qui s’inquiète tant pour toi, retourne à l’école, tu as tellement de talents inexploités, travaille bien ma fille, et deviens quelqu’un.”
 Alors même si tu ne parles plus papa, tu vois, je vais t’écouter. Et demain ça ira mieux. Je te le promets papa, je vais faire tout mon possible, et demain ça ira mieux.
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Robert // Je crois que j'ai enfin trouve la sortie.
Messieurs dames, bonjour.
 Je me permets de vous déranger de si bon matin parce qu’aujourd’hui je vais mourir. Je le sens, mon sang n’aime plus mes veines, mes veines n’aiment plus mon cœur et mon âme est lasse de cette  terre. Je ne ferai rien pour la retenir, au contraire, je vais même l’aider à se libérer.
 Vous allez à l’école peut-être, ou au travail. Bravo. Continuez. Vous avez de la chance. L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt et qui ne se plaignent pas trop. J’aimerais encore me lever moi, pour aller quelque part, me hâter pour ne pas être en retard à un rendez-vous. Mais je n’ai nulle part où aller, aucun horaire à respecter. Mon espace est infini et je n’ai que du temps libre, qui se transforme en temps d’ennui, en temps triste. Je suis condamné à errer tous les jours dans un labyrinthe de rues mais aujourd’hui je crois que j’ai enfin trouvé la sortie. Ma vie n’a plus de but, même plus celui dicté par l’instinct primaire : survivre. J’ai essayé pourtant, je ne suis pas du genre à laisser tomber au premier obstacle venu, j’ai 60 ans, j’en ai vécu des choses, j’ai longtemps lutté pour sauver ma peau usée par la misère, pour rester debout, digne, respectable et propre. Mais voilà, c’est fini, je déclare forfait : j’ai tout donné, j’ai rien reçu. Je vois plus l’intérêt d’être moi, ce fantôme parmi vous qui passe et parle, mais que personne ne voit ni n’entend. Je ne demande rien. Gardez votre argent, j’en ai plus besoin. J’ai passé la majeur partie de ma vie à faire la manche dans le métro, alors pourquoi pas passer l’éternité dans ses entrailles. Je vais donc sortir à la prochaine station, m’allonger sur les rails et attendre que le prochain métro m’emporte très loin, quelque part hors de ce monde.
  Merci de m’avoir écouté, ou d’avoir fait semblant en tout cas, c’est bien aussi de faire semblant, on sauve les apparences tout en évitant de s’embêter avec un discours que l’on a pas envie d’écouter, et c’est vrai qu’un mec qui dit qu’il va se foutre en l’air, c’est embêtant. Adieu.  Personne n’avait écouté Robert, ou tout le monde avait fait semblant, sauf Yasmina. “Ne fais pas ça Robert, la vie est belle”! Il s’était tourné vers elle et lui avait répondu : “Elle n’a plus rien à m’offrir gamine”. Il était sorti, et avait exécuté son plan.  Personne ne l’en avait empêché. On ne l’avait pas pleuré.
  Dans la jungle urbaine, certaines vies ont si peu d'importance.
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Georges // Et je prends le métro
  Comment se fait-il que le temps passe si vite ? J’ai fermé les yeux une seconde et en les rouvrant je n’avais déjà plus 20 ans, plus d’illusions. Et mon insouciance ? Elle n’a pas duré assez longtemps pour m’épargner les rides et les cheveux blancs.
  J’ai travaillé toute ma vie comme un acharné, et aujourd’hui je suis vieux et frustré. Je réalise cette chose, alors que quelque part il est déjà trop tard, j’ai fait ma route, j’ai choisi mon chemin et c’est impossible de revenir en arrière, mais voilà : je n’ai pas consacré assez de temps à ce qui était vraiment important. Il m’a fallu tout ça, toutes ces années, ces épreuves, ces réussites et le constat de mon immense échec pour m’en rendre compte.
  Je devais faire de l’argent, et j’en ai fait, beaucoup, beaucoup plus que prévu. J’ai été pris dans une spirale malsaine où l’argent passait avant tout et j’ai fini par oublier pourquoi j’en avais besoin au tout début : réaliser mes rêves d’écriture de scénario et de réalisation de films. Parce que je suis avant toute chose un grand passionné de cinéma. À l’époque j’aurais préféré crever plutôt que de faire autre chose. J’aurais craché à la figure du businessman peu scrupuleux que je suis devenu. L’argent a fini par ne plus rien représenter d’autre que de l’argent, du papier avec des écritures, des bouts de ferrailles qui n’ont de valeur que le numéro que l’on a arbitrairement décidé d’inscrire dessus. J’ai aimé l’argent pour lui-même, c’est triste car il est arrivé un moment où je ne me souciais même plus de ce qu’il pouvait m’apporter, le simple fait de savoir qu’il était là me satisfaisait. Et ma seule vraie jouissance c’était ces zéros qui s’accumulaient sur mon compte bancaire. C’est devenu un jeu. Stupide. Enfantin. Il m’a fait perdre mon âme, a consumé mon temps, mon énergie et ma vie. Alors oui je suis riche, j’ai les villas de luxe, les voitures somptueuses, les voyages dans les plus beaux hôtels des plus belles villes du monde,  les magnifiques et jeunes femmes aux petits soins pour moi. Mais enlevez-moi mon argent, et tout ça disparait. Dans ma course effrénée vers la futilité du matériel, je suis passé à côté de l’essentiel. Je ne possède que ce qui peut s’acheter avec de l’argent alors que je ne désire que ce qui ne peut pas l’être. Je voudrais aimer, être aimé, avoir des amis, des vœux qui semblent si simples pour certains et qui pour moi sont les seuls vrais trésors , ceux auxquels je n’ai pas accès. Parfois le soir, je n’ai pas envie de rentrer tout de suite chez moi. Je demande au chauffeur de laisser la limousine au garage, et je prends le métro. J’y observe les gens : les enfants qui font des bêtises et les parents qui les grondent, les amoureux qui s’embrassent ou se disputent, les amis qui discutent de tout, de rien, ces individus normaux qui se battent au quotidien pour joindre les deux bouts mais qui ne sont pas seuls et ignorent la chance qu’ils ont. Si j’avais su que la solitude et la tristesse étaient le prix à payer pour être milliardaire, j’aurais refusé de gagner le moindre petit centime.
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