De l'écrit, de la musique, de l'art ... Thérèse Bécue Interprète à l'orgue, à la viole de gambe De la musique : http://la-place-traversiere.tumblr.com/
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David Pohle
Musica sacra L’arpa festante, dir. Rien Voskuilen
Carus, 83.413, 2007
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A la Cour des Princes Electeurs de Saxe, dans la Florence de l’Elbe, Dresde, irradie la magnificence d’une architecture qui s’est développée déjà en pleine Renaissance, pour se déployer dans la période baroque avec élégance et raffinement. Au XVIè siècle, Maurice de Saxe avait fait construire l’équivalent d’un opéra d’aujourd’hui : la Chantrerie électorale, un des premiers bâtiments en dur au Nord des Alpes. Puis Auguste II, dit Le Fort, Prince électeur de Saxe et Roi de Pologne en 1696, fera s’affirmer Dresde façonnée par son histoire comme la capitale au XVIIIè siècle riche de culture artistique de ce royaume immense qui s’étend de la mer Baltique jusqu’à l’empire ottoman, des portes de Prague jusqu’à celles de Saint- Pétersbourg.
La ville était devenue une Neustadt, « ville nouvelle » à la fin du Moyen-Âge grâce à un commerce florissant par les routes, mais aussi grâce à la navigation sur le fleuve de l’Elbe, et un lieu de pèlerinage dédié à la Vierge. En 1539, la réforme luthérienne arrive à Dresde, en pleine Renaissance. Puis au début du XVIIè siècle la Guerre de Trente ans, de 1618 à 1648, ne provoque pas de destruction à Dresde, mais c’est pour la ville, ainsi que pour la Saxe entière une période économique fort difficile, et cela encore dans les années qui suivent. Ainsi, on peut trouver dans une lettre de Heinrich Schütz en 1651 au Prince Electeur qui réclame le paiement des membres de la Chapelle cette phrase : « La misère des membres de la Chapelle est si grande que même une pierre dans la terre les prendrait en pitié » !
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Dans l’histoire musicale de Dresde, ce compositeur immense (1585-1672) fut Maître de Chapelle en 1617, à la suite de Hans-Leo Hassler, puis a reçu le titre de Grand Maître de Chapelle en 1657. Avant son poste à Dresde, il avait séjourné à Venise et travaillé avec Gabrieli. Il y retournera plus tard pour rencontrer Monteverdi.
David Pohle, 1624 – 1696, fut l’un de ses élèves à Dresde. La situation prestigieuse et culturelle de la ville, la religion luthérienne qui y est pratiquée ainsi que dans toute la région, et surtout la formation musicale avec un tel maître ont rassemblé ainsi un certain nombre de données qui ne seront pas sans conséquences sur sa position de musicien, et sur son œuvre. Il fut instrumentiste et compositeur, dans plusieurs cours princières du nord de l’Allemagne, puis en 1660, acceptera le poste de Maître de chapelle à Halle, et terminera sa carrière à Merseburg. On connaît peu ce compositeur dont l’oeuvre est particulière, car celle-ci n’a pas été publiée de son vivant, et nombre de ses manuscrits sont perdus. Il fut l’un des premiers à constituer un ensemble de Cantates pour l’année liturgique à l’église.
Musica sacra rassemble des pièces instrumentales, des Sonates, et des Cantates sacrées composées sur des textes de la Bible, seule l’une d’elles met en musique un poème. Ces pièces sont constituées d’un langage singulier, riches de l’héritage contrapuntique de la Renaissance, sous l’influence de Heinrich Bach, oncle de Johann Sebastian, et les mouvances de la modalité, mais aussi pétries par l’enseignement du maître Schütz, avec la profondeur et la plénitude de l’harmonie qui sonne, et aussi toutes les innovations issues de la seconda pratica du Nord de l’Italie et l’expressivité porteuse d’émotions qui les motive. Forte de toutes ces fondations, ces traditions qu’elle a assimilées, l’écriture de David Pohle évolue vers la cantate allemande protestante avec les figures ou procédés évocateurs et nombres symboliques selon la poétique religieuse, particulièrement répandue dans le mouvement piétiste. Toutes ces composantes peuvent aussi bien être remarquées dans les pièces instrumentales que dans les pièces vocales.
Les Sonates singulièrement souvent à 6 parties, contrairement à la coutume de l’époque d’une écriture à 5 en Allemagne – par exemple 2 violons, 3 altos et 1 viole de gambe et à la basse continue, violone, luth et/ou l’orgue – évoquent le clair-obscur de la peinture, avec les contrastes fréquents entre les tempi et les motifs rythmiques, entre les mouvements, mais aussi dans le récit. Les motifs rythmiques participent à l’expression par leur pouvoir d’évocation, que ce soit les notes répétées de la battaglia, les rythmes pointés, les groupes de notes rapides, ou l’utilisation des silences et de la syncope. La mélodie inventive, est reprise en écriture contrapuntique ou portée par une harmonie expressive, les dissonances se succédant d’un accord à l’autre, dans une profondeur dramatique et teintée d’affetti. L’écriture des parties intermédiaires et de la basse est riche et foisonnante et témoigne de l’importance des diverses voix, que ce soit dans l’apport de la dissonance ou dans le motif de contrepoint qui participe à l’effet expressif.
Dans les Cantates, tous ces procédés d’écriture participent à l’expression musicale portant celle du texte, dans la proximité du mot, et de la signification, avec l’alternance des tempi et des rythmes, dans les notes tenues sur une syllabe, les motifs rythmiques qui accompagnent le récit, les traits descendants ou ascendants, et autres figures rhétoriques. L’ornementation est complètement écrite avec elle aussi une fonction évocatrice. On retrouve aussi le goût pour les instruments graves dans In te Domine speravi, avec les deux altos, le basson et la basse continue jouant avec les trois voix soprano, contre-ténor et ténor.
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Entre l’héritage des musiciens de la Saxe, carrefour de tant de trésors culturels, de la tradition protestante et du madrigal italien, la rencontre du répertoire de l’Allemagne du Nord, tel celui de Buxtehude, et l’évolution vers la complexité de l’harmonie et l’architecture dramatique des cantates de JS Bach, l’oeuvre de David Pohle est une découverte pleine de couleurs et d’émotions, dans une densité qui porte à l’écouter de nouveau avec une attention aux aguets à un tel jeu de mouvements sonores. Avec ce bouquet de pièces vocales et instrumentales d’une efficacité dramatique ramassée, l’Arpa festante interprète avec fidélité et rigueur et en même temps avec une certaine spontanéité, de la fraîcheur et de l’émotion, avec dans les pièces vocales la voix claire et sensible de Hans Jörg Mammel, le chant si expressif de David Erler, et le timbre touchant de Monika Mauch, comme avec l’innocence d’une voix d’adolescent, et avec la justesse de son expression frémissante.
Thérèse Bécue
. aussi - Sonata à 2 Violin. Verstimbt, Nr. 24 aus dem "Codex Rost"
Ensemble Der Musikalische Garten
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Domenico Scarlatti
Complete Sonatas
Vol. 2 Toward modern pianism
Enrico Baiano
Stradivarius, STR 33844, 2013
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Quelques Sonates de Domenico Scarlatti 1685 – 1757 sont jouées sur les claviers d’un clavecin et d’un pianoforte, et est donné à entendre un univers en soi, un paysage sonore singulier qui, s’il propose des couleurs et des mouvements que l’on ressent assez vite comme familiers, plonge l’oreille dans une invention d’une infinie diversité qui sollicite le corps par le rythme, la danse, l’émotion, le sentiment, la passion jusqu’à l’affect de l’âme.
Dans cet immense jardin, tout chante dans une liberté faite musique. Pour la plupart des sonates, une forme binaire structure la pièce, avec pour chaque partie une reprise, et au sein de cette contrainte formelle s’invente une prolifération de thèmes avec une fantaisie créative, de l’inattendu jusqu’au contraste fulgurant, et se déploie un langage à nul autre pareil de ce napolitain devenu compositeur espagnol.
Contemporain de J S Bach, Händel, F Couperin, Scarlatti part dans la péninsule ibérique en 1720, au service de Maria Barbara à Lisbonne, puis à Madrid lorsqu’elle deviendra Reine d’Espagne par son mariage avec Ferdinand VI. Il y est son professeur, et claveciniste à la Cour.
La richesse et la grande ouverture de son écriture ont pour origine avec la musique baroque italienne, la simple inventivité des thèmes de Canzones, la souplesse de la modalité avec ses couleurs, le contrepoint et ses imbrications, la fantaisie des Toccatas de Frescobaldi, la connaissance depuis l’enfance de l’opéra – il était aussi un bon chanteur – mais aussi la fréquentation de la musique populaire de l’Andalousie et le flamenco ancien, que ce soit par son chant ou sa danse, ou plus tard la musique de la rue à Madrid, la présence de la guitare, ses cordes pincées et son jeu, entres notes répétées et accords battus, puis la possibilité de toucher les instruments de son époque tels le clavicorde et le pianoforte florentin (Cristofori) à la Cour. L’évolution du langage à cette époque, entre la musique andalouse et son jeu entre chant aux tournures improvisées et accompagnement à la guitare, et la musique pour clavier avec la recherche du tempérament en ce dix-huitième siècle, donne place à une invention harmonique qui lui est particulière : à un jeu de modulations parfois lointaines jusqu’à l’étrangeté se joignent dans l’accompagnement certains accords qui intègrent des notes étrangères à l’accord, comme des appogiatures tenues, ou acciacature, et ces accords extrêmement dissonants sont ponctuels, et frappés tels quels.
« Beaucoup de fracas »
Jean-Philippe Rameau
Parfois, certaines pièces annoncent l’écriture de Joseph Haydn, l’improvisation modulante de Beethoven avec ses violents contrastes, Clementi, la mélodie cantabile de Schubert, et de nombreux compositeurs s’y intéresseront tels Brahms, Messiaen, ou Belà Bartok qui le jouait, paraît-il, avec un toucher merveilleux sur son piano.
L’interprète est invité a fortiori à jouer ces sonates au clavecin ou au pianoforte, comme a choisi Enrico Baiano, ou au clavicorde parfois, pour se confronter à un toucher, une liberté qui se manifestent dans une souplesse des tempi entre les passages chantés et les passages au rythme plus rigoureux, le goût de l’improvisation qui se manifeste non seulement dans le tempo et les trilles, mais aussi dans des mélismes d’ornementation, et un jeu d’accents parfois marqués avec agressivité, percussifs avec les dissonances. La reprise, tradition baroque, est l’occasion de diversifier son jeu : une même page peut être jouée de tant de manières diverses.
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Sa musique est l’expression des sentiments, des passions humaines,
joie, exubérance, nostalgie, désespoir,…
Ses pièces reflètent un ensemble de tant de situations émotives et de contrastes
dans une composition fort réduite et dense.
Emilia Fadini
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Enrico Baiano joue soit sur un clavecin aux sons bien présents, au timbre plutôt nasal, soit sur un pianoforte comme aurait pu toucher Scarlatti, selon la spécificité de la sonate : proche de la musique vocale, ou avec des éléments du folklore andalou, une suite plutôt gaie ou une grande fresque avec des états d’âme et des parcours intérieurs, pour communiquer ce qu’on veut dire, comme au théâtre, comme des personnages sur une scène :
changer d’humeur, de tempo, suivre la scène, avec les notes répétées, les sauts,
les polyphonies imbriquées, la vitesse, les contrastes et les surprises,
faire chanter comme une voix et accompagner d’une manière discrète, …
Enrico Baiano
Il joue avec une vivacité pleine de couleurs, la liberté d’une grande fantaisie, une habileté qui fait chanter les cordes, et c’est avec une fine poésie qu’il fait sonner ces multiples Sonates pour une musique infinie.
Thérèse Bécue
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Enrico Baiano joue les pièces de Scarlatti sur trois instruments :
Un clavecin, Olivier Fadini, d’après un instrument de Christian Kroll, 1770, un clavecin allemand à Lyon : c’est un instrument plus allemand que français, avec une extension du clavier de cinq octaves à cinq octaves et demi, du do grave au sol aigu.
Un second clavecin, Olivier Fadini, copie d’un superbe instrument de Etienne Blanchet de 1733, de type franco-flamand.
Un pianoforte, Ugo Casiglia, d’après un instrument de Gottfried Silbermann, 1749, très proche des pianoforte florentins, comme ceux qui furent acquis à la Cour d’Espagne, et à la Cour du Portugal.
Le tempérament est inégal, avec quatre quintes pures et les autres quintes différemment réduites de manière à ce que les tonalités soient toutes agréables, mais que chacune sonne légèrement différemment des autres.
(traduction du livret de Enrico Baiano)
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Carlo Gesualdo
Responsoria 1611
Collegium Vocale Gent
Philippe Herreweghe
PHI, LPH 010, 2013
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Quatre cents ans après la mort de Carlo Gesualdo 1566 – 1613, l’oeuvre du Prince de Venosa est à la fois fascinante et énigmatique. La vie du musicien aura fait couler beaucoup d’encre et même intrigué nombreux artistes – cf Mort à cinq voix, de Werner Herzog – sans que puisse être cernée véritablement sa personnalité pathétique. Cet aristocrate du Royaume des Deux-Siciles, de la région de Naples, passera quelques années à Ferrare, à la Cour d’Este, la Cour du Duc Alphonse II où règnent alors culture et art. Il y rencontrera artistes et penseurs de son temps, Le Tasse, dont de nombreux poèmes constitueront le texte de madrigaux, Luzzaschi qui lui témoignera sa gratitude dans la préface et dédicace de son Quatrième livre de Madrigaux, 1594
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“Votre Excellence ayant de diverses manières montré au grand jour qu’il estimait
de près et de loin mes compositions malgré leurs faiblesses, et ne sachant comment vous rendre grâce d’avoir, par votre valeur, propagé cette renommée si heureuse en mon honneur, j’ai résolu de vous adresser ces madrigaux nouvellement composés”.
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avant de retourner dans son fief, son château de Gesualdo, pour la dernière partie de sa vie, étrange et tourmentée, mais où la musique tiendra une grande part.
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Carlo Gesualdo, avec la main de son oncle, le Cardinal Borromeo, sur son épaule.
( détail )
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Le recueil des Responsoria et alia ad Officium Hebdomadae Sanctae spectantia, 1611, fut imprimé au château lui-même, où Gesualdo fit venir un imprimeur de Naples. Quatre siècles plus tard, avec la restauration actuelle du château qui était en ruines, une imprimerie a été installée dans la tour, pour une toute récente édition des deux derniers livres de Madrigaux en 2013.
La musique vocale à six voix sur les courts textes de la liturgie de la Semaine Sainte, se termine avec le Benedictus, puis le Miserere. L’oeuvre met en musique les Répons des jours saints avant Pâques, dans un langage unique, qui intrigue, qui impressionne, mais trop souvent laisse l’auditeur à distance, parce qu’elle est extrêmement riche, hyperexpressive et pleine de tourments, maîtrisée et sans mesure, et requiert la liberté des émotions pour un paysage sonore d’une densité dramatique de chaque instant.
Entre Renaissance et baroque, l’homophonie de la tradition dans un grand art du contrepoint n’irradie pas de plénitude, car elle est truffée de dissonances, de retards avant une résolution en consonances, de traits chromatiques à la source de tensions sonores qui se succèdent sans continuité, générant des contrastes d’un instant à l’autre, des ruptures rythmiques et une surprenante succession d’harmonies.
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“Il s’ingéniait avec tous ses efforts et tout son art à choisir des fugues qui, bien que difficiles à composer, soient chantantes et apparaissent douces et fluides afin qu’elles semblent à tous faciles à composer lorsqu’on les chante, mais qu’en s’y penchant de plus près, on les trouve difficiles et pas du premier compositeur venu.”
Vincenzo Giustiniani
L’écriture de Gesualdo est aussi celle du madrigal, excessive, bouleversante, en mouvement incessant, équivoque entre sensualité et mysticisme, entre violence et mélancolie. Dans la succession des émotions, des sensations évoquées par le sens des mots, et non pas par le mot lui-même, s’exerce une étonnante instabilité, imprévisible, inouïe, inattendue, dans un langage qui reste modal qui éclate parfois en rencontres harmoniques stupéfiantes. Pietro Della Valle, dans son traité Della musica dell’età nostra, 1640 lui rend un magnifique hommage posthume, doublé d’une fine analyse musicale : Il faut bien savoir les règles d’art et qui ne les sait est très ignorant, mais celui qui ne se risque pas de temps en temps à les transgresser pour faire mieux ne sait absolument rien.
C’est un monde sonore en soi que l’interprétation du Collegium Vocale Gent permet de découvrir, avec ses couleurs, ses affirmations, la clarté des lignes, et les sonorités parfois rudes, mais aussitôt parfois rondes et colorées, ou faisant vibrer les tensions de l’instant, dans une fluidité et une souplesse d’adaptation à chaque superposition sonore. Et l’aventure se renouvelle à chaque fois.
Thérèse Bécue
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Le pardon de Gesualdo, Giovanni Balducci 1609
dans l’église Santa Maria delle Grazie,
à Gesualdo
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écouter … L’hommage de Stravinski
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La Follia
The triumph of folly
Ensemble Oni Wytars
Marco Ambrosini
DHM, 88765449782, 2013
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« Les circonstances ne se prêtant guère à du travail sérieux,
j’eus l’idée de composer par jeu
un éloge de la Folie. »
Erasme, Lettre à Thomas More
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Une fête ! C’est à une véritable fête que l’ensemble Obi Wytars invite, à l’occasion du 500è anniversaire de l’écrit d’Erasme, l’Éloge de la folie, avec cette suite de Follie (ou Folie) musicales.
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« Il s’agit d’une danse portugaise, très bruyante, dans laquelle de nombreuses figures sont exécutées
au son de tambourins et autres instruments. (…) Le bruit est si intense et le rythme si rapide
que les danseurs semblent avoir perdu l’esprit, raison pour laquelle ils donnèrent à cette danse
le nom de Folia. »
Tesoro de la lengua castellana o española, 1611,
Sebastián de Covarrubias y Orozco, de l’Académie Royale d’Espagne.
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Venant de nombreux pays d’Europe, voyageant à travers le monde, riches de rencontres musicales munis de leurs instruments, les interprètes se retrouvent avec une joie immense qu’ils partagent avec ceux qui les écoutent, pour jouer les ritournelles, danses et variations que tant de musiciens se sont plus à inventer sur le thème de la Folia sur quatre notes comme une basse obstinée, depuis le début du XVIè siècle dans les pays de la Méditerranée et de l’Europe de l’Ouest.
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Une palette de timbres colore tous ces mouvements sonores, entre vielle, orgue positif, nyckelarpa, viole d’amour, guitarra battente, harpe double, cornemuses, cornet, hautbois baroque, clavecin, viole de gambe, multiples percussions, et la voix au grain coloré de l’Orient. Les musiciens parcourent tout un chemin de la manifestation la plus ancienne et populaire à une improvisation pleine de fantaisie telle qu’elle a pu se pratiquer. La Folia est un thème qui n’a pas joué son dernier son, puisqu’au XXè siècle, des compositeurs s’en sont emparés dans leur langage, puis aussi dans des musiques pop et rock.
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Le jeu aux multiples facettes est à la fois joyeux et dans un mouvement continuel, mais la structure est toujours là : il faut de l’habileté et de l’inventivité pour que la musique se manifeste à chaque instant, riche de ses tournures improvisées, d’une folia à l’autre, d’une région à l’autre, entre XVIè et XVIIIè siècles. Avec vie, et avec talent, de l’imagination et un bonheur musical, un bonheur ! sont jouées et rejouées ces pièces avec fantaisie et … folia, pour que chaque nouvelle danse soit encore plus folle que la précédente !… et soit sempiternellement réinventée, pour qu’un flot musical naisse et renaisse au-dessus de ces quatre notes, dans de nouvelles couleurs, de nouvelles facettes, d’autres rythmes, et que la surprise soit au rendez-vous pour la plus grande des folies.
On peut aussi être curieux de la nyckelarpa, instrument originaire ds pays nordiques, qui avait quasiment disparu, et que Marco Ambrosini, initialement violoniste, joue dans divers répertoires.
Cf http://www.oniwytars.de/index.html
Thérèse Bécue
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http://www.youtube.com/watch?v=RWLx0n5VKgQ
http://www.oniwytars.de/html/video.html
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Les Sonates du Rosaire
Heinrich Ignaz Franz Biber
Les Dominos
Florence Malgloire
Psalmus, PSAL 018, 2013
Les Sonates du Mystères du Rosaire, de Heinrich Ignaz Franz Biber, 1644 – 1704, forment un recueil de quinze sonates pour violon seul et basse continue, composé vers 1676 ? auquel est adjointe la Passacaille de l’Ange gardien, pour violon seul, pour la Confrérie du Rosaire de Salzbourg, dédié au Prince-Archevêque.
« (..) Voici un recueil de pièces de toutes sortes pour lesquelles j’ai réglé
les quatre cordes de ma lyre de quinze manières différentes —
sonates, préludes, sarabandes, airs ; une chaconne, des variations, etc. et avec basse continue, travaillées avec le plus grand soin et la plus grande recherche que mes dispositions ont permis.
Si vous voulez connaître la clé de ce nombre, la voici : j’ai tout mis sous le signe des Quinze mystères Sacrés que vous soutenez avec tant d’ardeur (…) »
(Dédicace à Maximilian Gandolph von Khünburg).
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Les Sonates constituent les Cinq Mystères joyeux, les Cinq Mystères douloureux puis les Cinq Mystères glorieux. Mais si l’ordre chronologique de l’Histoire de Jésus et de la Vierge est respecté, l’oeuvre n’a véritablement aucun caractère descriptif. Ce sont de véritables poèmes sonores, des tableaux de méditation en musique, entre suite de danses, courantes, sarabandes, gigues, chaconnes … et variations, ou bien comme dans les sonates da chiesa, une alternance de mouvements rapides et lents, avec une hauteur de vue, une éloquence instrumentale pleine de ferveur, une esthétique pour une profonde intériorité spirituelle et mystique. C’est une œuvre surprenante, pleine de contrastes d’une sonate à l’autre, entre les mouvements de chaque sonate, à l’intérieur de chaque mouvement même, avec une expression riche d’affetti, avec une expressivité presque exacerbée : des mélodies nées de la connivence avec la mélodie vocale, dans une superposition polyphonique de mélodies, composant un alliage avec les instruments complices du continuo, avec une grande inventivité, une créativité sans pareille, c’est une œuvre majeure du XVIIè siècle !
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La poésie naît d’un jeu au violon à deux, trois ou quatre cordes simultanément, avec une virtuosité nouvelle à cette époque, mais de plus l’exploitation systématique du procédé de la scordatura ou « désaccord » qui consiste à modifier l’accord habituel de l’instrument, pour l’une des cordes ou la totalité d’entre elles (plusieurs violons sont nécessaires pour un même concert), facilite le jeu polyphonique en fonction des effets harmoniques recherchés. C’est une tradition qui vient du luth, et de la viole de gambe, qui vient du passé, alliée à la modernité des accords sur plusieurs cordes. Le procédé, qui produit plutôt au final un accroissement de la difficulté technique, est aussi un moyen d’amplifier le volume sonore, dont le luth et la viole sont familiers. La scordatura n’est pas seulement utilisée pour une sonorité plus profonde, plus totale de l’instrument, mais aussi selon l’écriture de la sonate, les spécificités des motifs, qui seront d’autant mieux servis ou davantage liés aux gestes dans cet accord là.
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L’expressivité musicale d’une telle concentration, dans une œuvre toujours à reconstruire, ici sous les doigts et l’archet de Florence Malgloire, et des « complices de rêve » aux autres instruments, dans une diversité des timbres et de résonances qui change la couleur et la profondeur sonore de l’instrument, avec une vivacité ou une intériorité qui portent à la contemplation et à la plénitude des dernières pièces, est d’un raffinement et d’une force pleine de mouvement : l’oreille multiplie les points d’écoute pour le violon qui chante, jusque dans la joie de la danse, dans l’Ascension, par exemple, avec un souffle teinté de mille affects.
Thérèse Bécue
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Accord des quatre cordes du violon pour chacune des Sonates
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#Heinrich Ignaz Franz Biber#Les Dominos#Florence Malglore#Sonatesdu Rosaire#violon#musique baroque#stylus fantasticus
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Abendmusiken
Matthias Weckmann
Concerti vocali, Sonate e Partite
Ensemble les Cyclopes
Zig Zag Territoires, ZZT110502, 2011
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Matthias Weckmann 1615 – 1674 , dans le Nord de l’Allemagne, entre Hambourg et Dresde, est un des compositeurs les plus marquants du Stylus Phantasticus, à son apogée dans la seconde moitié du VIIè siècle,caractérisé par la liberté de ton, le caractère expressif, l’exubérance imaginative, la jubilation sensuelle qui s’inscrivent dans une élégante habileté musicale au sein d’une structure maîtrisée.
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Né en Thuringe, Weckmann eut pour professeur Heinrich Schütz lorsqu’il était choriste à la chapelle de la cour de Saxe, étudia l’orgue à Hambourg avec Jacob Praetorius le jeune, lui-même élève de Sweelinck, puis fut engagé à Dresde comme organiste de la cour et musicien de la chapelle du prince électeur. Il suivit durant deux années Schütz à Copenhague au service de Christian IV, revint à Dresde avant d’être nommé au poste d’organiste de l’église Saint-Jacques et Sainte Gertrude à Hambourg en 1655, dont il fit rénover l’orgue. Puis il constitue l’ensemble Collegium Musicum :
« Après son retour à Hambourg, deux amateurs de musique distingués fondèrent avec lui un important Collegium musicum dans le réfectoire de la cathédrale. On réunit cinquante personnes, qui toutes contribuèrent à cette entreprise. On fit venir les meilleures pièces de Venise, Rome, Vienne, Munich, Dresde, etc., et ce collège atteignit une telle renommée que les plus grands compositeurs cherchèrent à y associer leur nom. » Mattheson (cf Matthias Weckmann, de Cosimo Stawiarski, trad. de l’allemand par Dennis Collins & Hilla Maria Heintz).
S’il est un des représentants les plus importants de l’école d’orgue de l’Allemagne du Nord, il peut aussi être considéré comme un compositeur majeur pour la musique vocale sacrée de cette époque, avec des pièces de grand art.
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Weine nicht, ainsi que trois autres Motets concertants, sont conservés à la Ratsbücherei de Lunebourg dans un manuscrit en grande partie autographe, et retrouvé dans un deuxième manuscrit dans la bibliothèque universitaire d’Uppsala.
Weine nicht
Adapté des Révélations 5:5, 12-14
Ne pleure pas car le Lion de Juda a surgi de la lignée de David et a vaincu. Ne pleure pas.
L’Agneau qui a été égorgé est digne de le recevoir. La force, richesse et sagesse, et puissance et honneur,
et récompense et louange, et honneur, et pouvoir, d’éternité en éternité. Amen.
La pièce en plusieurs strophes, après une introduction instrumentale aux cordes frottées et à l’orgue fondée sur un chromatisme ascendant, avec quelques fioritures ornementales au violon comme une décoration florale, ouvre les premiers mots avec la voix de contre-ténor, avec subtilité et tendresse pour une expression de joie soutenue par l’orgue avec une gaîté comme innocente. Dans une sorte de refrain, l’ensemble instrumental conduit à une voix de baryton qui chante le texte avec force et assurance, dans une sorte d’écho instrumental. Y répondent les trois voix en dialogue avec les cordes, et avec un motif ascendant sur un rythme pointé est exprimée une conviction plus grande. Une sérénité forte et avec plénitude ouvre sur un passage concertant entre voix et instruments dans un Amen jubilatoire.
D’une structure accomplie entre composition architecturale et équilibre, aux lignes audacieuses et ouvertes, Weine nicht est une œuvre extrêmement touchante, d’une expressivité théâtrale et sans mélancolie. Les timbres de voix, les sonorités des instruments, teintées de tant d’harmoniques, et le jeu des interprètes soulignent la finesse de l’invention par la délicatesse du suivi des traits et la richesse de l’impulsion rythmique, avec une sensibilité qui touche à fleur de peau jusqu’au plus profond.
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La Sonate à 4, n° 9, dans une alliance de violons, de violes de gambe et de cornets, avec une douceur ineffable, teintée de mélancolie, puis une dynamique sur un rythme pointé allant, joue avec les contrastes dans l’expression dramatique, comme pour une véritable scène d’un récit qui nous serait conté et fait ainsi goûter les miroitements des couleurs et leurs reflets dans un temps si bref, pour un véritable joyau sonore qui est offert à l’écoute.
Thérèse Bécue
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La Venexiana Claudio Cavina
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DIETRICH BUXTEHUDE
Membra Jesu Nostri, BuxWV75
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Dietrich Buxtehude 1637 – 1707 , organiste de Ste Marie de Lübeck depuis 1668, compose le recueil de sept Cantates, Musiques de la Passion ou Membra Jesu nostri patientis sanctissima humissima otius cordis devitione decantata en 1680. La partition, précédée d’une page calligraphiée avec une dédicace à Gustav Düben, « homme de premier plan, très noble et très honoré ami, directeur de la musique de Sa Très Gracieuse Majesté le Roi de Suède » est notée en tablature, puis transcrite en notation traditionnelle par Düben. Les sept Cantates auraient été exécutées au sein de la liturgie, en alternance avec d’autres textes, vraisemblablement au cours de l’office du vendredi saint, et s’enchaînent selon un plan tonal organisé qui forme un cycle, signe d’éternité. Le chiffre sept, comme les sept notes de la gamme, et selon l’Harmonie du mondede Kepler, les sept planètes du système solaire établi à l’époque, mais surtout le chiffre de la création divine en sept jours, comme ici la septième Cantate chante la face du Christ mourant regardant le monde, indique que l’ensemble a été conçu comme un tout, même si les sept pièces n’ont pas été exécutées pour une même occasion la première fois, semble-t-il !
C’est une méditation sur les plaies du Christ, dans un mouvement de la terre au ciel, avec les sept plaies des pieds à la tête. Après la guerre de Trente Ans, la poésie baroque allemande retrouve la mystique du XIIIè siècle, ainsi que la théologie plus tardive de Maître Eckhardt. L’ensemble est en langue latine, en lien avec les textes fondateurs de l’Eglise, entre contemplation et ferveur, du bouleversement à la sérénité.
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Capella Angelica
Wolfgang Katschner
Raum Klang, RK 2403, 2006
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La modestie des effectifs vocaux et instrumentaux, cinq voix et deux dessus, une basse et un orgue, sauf dans la sixième méditation qui requiert cinq violes de gambe, donne une grande intériorité à cette musique spirituelle. La quatrième cantate, Ad latus, est introduite comme les autres par une sonateinstrumentale, puis le choeur et les instruments se répondent et s’opposent, imitations, figuralismes du contrepoint, comme unconcerto vocal, avec les paroles de la Bible ; ensuite ce sont trois courtes aria, dont les strophes sont séparées par des ritournelles, et un dernier concerto du choeur pour terminer.
Ad Latus
Sonata
Surge amica mea, choeur
Salve latus lavatoris, aria
Ecce tibi appropinquo, aria
Hora mortis meus flatus,aria
Surge amica mea, repetatur, choeur
Sur un trait aux cordes frottées d’une vivacité, d’une ténacité qui expriment une force solide, les voix chantent une pièce polyphonique de grande expressivité, aux belles lignes si touchantes, avec une sensibilité qui anime le dessin. La profondeur et la poésie du texte sont de cette manière entendues au-delà du sens des mots, comme une beauté en toute innocence, et pourtant un équilibre dans la construction par un architecte accompli, avec le mouvement du dialogue entre les voix.
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La musique est distribuée entre voix et instruments pour un véritable théâtre spirituel, aux couleurs et aux lumières vibrantes, pour une oeuvre aux lignes ouvertes, pour un monument sonore d’une plénitude éblouissante avec une sincérité poétique et une sensualité à fleur de peau.
Thérèse Bécue
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Ad manus / Capella Angelica
http://www.youtube.com/watch?v=nYJ4DXJEzaQ
Ad pedes / Capella Angelica
http://www.youtube.com/watch?v=x66q-16Hes4
Ad latus / [par la Schola Cantorum Basiliensis] :
http://www.youtube.com/watch?v=SeSbFIgNl94
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musique ____
Codex Faenza 117
Faventina
Mala Punica
Pedro Memelsdorf
Ambroisie, Naïve, AM 105, 2007
Du Codex Faenza 117, 1380 – 1420, l’ensemble Mala Punica, dirigé par le flûtiste Pedro Memelsdorf, a rassemblé dans Faventina un ensemble de pièces liturgiques, l’Ordinaire de la Messe, trois pièces de Cantasi come et les Vêpres dédiés à la Vierge, interprétées par un petit ensemble de musiciens, constitué de voix d’hommes et de femmes, d’instruments à cordes frottées et pincées, d’un organetto et d’un orgue positif et quelques petites percussions.
Autour d’un plain-chant virevoltent vièle à bras et psaltérion, organetto et petit orgue positif pour l’interprétation de Ad Vesperas, avec un foisonnement de mélismes sur des rythmes dynamiques, voire haletants. A la sérénité de la phrase latine déployée avec la voix de ténor qui conduit et soutient la mélodie de la voix supérieure très ornée par des intervalles dissonants aussi bien que par des intervalles justes, s’adjoignent toutes ces couleurs de sons, timbres et nuances, mais aussi les couleurs des mots, et des courbes ornementées et ornementales. Puis une ritournelle à l’organetto accompagné des cordes pincées du psaltérion, une ritournelle qui tourne avec une subtilité rythmique dans la suite des durées, et fait entendre une musique extrêmement savante, faux désordre ou suprême éloquence, dans le jeu des superpositions mélodiques, le jeu des motifs et de leurs diminutions.
Ainsi se dessine une véritable enluminure sonore, avec ses motifs, ses surprises, ses inégalités dans le rythme. Avec une part d’improvisation, elle ornemente un texte parfois chanté en valeurs longues, parfois dans un langage polyphonique à deux ou trois voix d’hommes ou de femmes. Les courbes et les arabesques parcourues par les lignes de chant et les mélodies instrumentales constituent un véritable tableau, avec une précision des points de rencontre, qui font preuve d’une science dans la réalisation de la pièce, mais aussi de l’immense habileté des interprètes, pour un art de l’interrogation de la perception.
Comme une véritable danse musicale pour le chant d’un texte en langue latine, avec une vive profondeur au plus près d’une gestuelle musicale, c’est d’une beauté fascinante. Dans l’expression d’un monde sonore aux mélismes qui ouvrent sur l’Orient, la subtilité qu’offre la modalité avec une recherche rythmique débordante d’imagination et la richesse inouïe des diminutions, composent une savante architecture musicale pleine de grâce et de vitalité, qui évoque une spiritualité mystique et infiniment poétique.
Thérèse Bécue
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Le manuscrit Codex Faenza 117
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Constitué de quatre-vingt dix-huit folios de parchemin répartis en dix fascicules irréguliers, le Codex Faenza fut préparé de manière cohérente dans un même scriptorium, mais manipulé par la suite par quatre copistes, avant (ou pendant) sa compilation – probablement élaborée dans le Centre-Nord de l’Italie, dans les années 1400-1420. Le répertoire rassemblé par les quatre copistes anciens comprend cinquante diminutions instrumentales en tablature à deux voix. Conservé à la bibliothèque municipale de Faenza, ce codex est un manuscrit consacré à des transcriptions pour clavier de compositions vocales sacrées ou profanes datant essentiellement de l’Ars Nova, à la fin du Moyen-Âge.
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Musée des Augustins -Toulouse – XIVè siècle
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Un joueur de vièle,
enluminure tirée des Cantigas de Santa Maria, XIIIe siècle
et
http://www.youtube.com/watch?v=HsKrwO7mtT0
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Guillaume de Machaut
L’amoureus tourment
Loyauté que point ne delay
Marc Mauillon, Vivabiancaluna Biffi, Pierre Hamon
Eloquentia El 0607
Dans un temps magique si près du sentiment et au bord du vertige, se déroule le premier lai de Guillaume de Machaut 1300 ? – 1377, « le dernier grand poète qui était aussi compositeur » (manuscrits de près de 400 poèmes), une merveilleuse pièce de l’art lyrique du XIVè siècle et un poème d’amour courtois ou fin amor : avec une influence poétique probable de l’Orient venue par l’Espagne arabo-andalouse et transmise par le biais des troubadours, l’expression des états d’âme, discours subjectif dans lequel la vie et la mort sont reliées, prend la forme d’un lai dans la « matière de Bretagne » à l’origine texte narratif de la tradition celtique, dans un long texte de cet amoureus tourment.
Avec une seule ligne de chant imperturbable qui guide tout, constituant à elle seule la partie musicale du manuscrit de Loyauté que point ne delay, dans la tradition monodique de l’art des ménestrels entre musique à bourdon et petites mélodies populaires d’une simplicité claire, la vièle à archet et les flûtes à bec improvisent selon l’art du contrepoint polyphonique pour le soutien de la note du chant, et suivent les idées du chanteur dans un contrepoint de l’émotion entre monodie et polyphonie. Comme la période du XIVè siècle le permet dans la coexistence entre simple monodie et le premier contrepoint, un véritable dialogue, dans une interaction continue, s’institue entre le texte et la musique interprétée par les trois musiciens.
Dans ce lai, la structure métrique et la mélodie sont les mêmes pour la suite des 12 strophes, seules changent les rimes des vers. C’est sur la rime que se concentreront l’attention du poète et celle de l’auditeur : Loyauté que point ne delay ne rassemble pas moins de quarante-sept rimes distinctes. La musique, reprise à l’identique à chaque strophe, est un exemple unique parmi les vingt-quatre lais du compositeur rémois. On peut lire et relire ce texte qui évoque tant de finesses du sentiment amoureux, dans lequel la Loyauté conduit la vivacité de la poésie :
http://www.medieval.org/emfaq/composers/machaut/l1.html
Les mots manqueraient presque pour exprimer la sidération de l’attention à l’écoute d’une poésie si riche non seulement dans son écriture mais aussi dans la multiplicité de ses nuances, ainsi qu’à l’audition d’une mélodie d’une inspiration si judicieuse.
Marc Mauillon, de sa voix tellement reconnaissable dans sa lumière et comme avec une souplesse féline, dans une diction impeccable, privilégie le mot et la densité de la poésie avec une inventivité créative dans la musique de chaque syllabe, et fait sonner les mots dans une diversité stupéfiante. Il chante cette mélodie si ouverte de fort belle structure, dans l’ondulation de la modalité qui fait entendre des dissonances dans le temps horizontal, avec le tressage des sons de la vièle de Viva Biancaluna Biffi et les nombreux mélismes de la flûte de Pierre Hamon dans une proximité complice et une symbiose poétique. A la curiosité de la première écoute d’une des plus belles expressions de l’art de l’amour courtois succède un enthousiasme pétri d’émotion pour un art musical et poétique et on est saisi dans une temporalité qui lui est propre.
Thérèse Bécue
cf
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Antonio de Cabezon
Obras de Musica
Ensemble Doulce Mémoire
Denis Raisin Dadre
Ricercar, RIC 335, 2013
Antonio de Cabezon, 1510 – 1566 , compositeur espagnol de la Renaissance au service de la Cour d’Espagne réalise un certain nombre d’écrits, copiés suivant un système de tablature, rassemblés dans un recueil Obras de musica para tecla, arpa y vihuela de Antonio de Cabezon, Musico de la Camera y capilla del Rey Don Philippe nuestro Senor, avec une introduction de Hernando, son fils.
Être instrumentiste au XVIè siècle était savoir improviser avec son instrument sur des versets de motifs grégoriens, des motets, et aussi des chansons et des danses : ce peut être l’art de l’ornementation de pièces vocales, ou l’art des diminutions non seulement à la voix supérieure, mais dans toutes les voix de la polyphonie.
L’Ensemble Doulce Mémoire propose ces pièces pour voix et instrument polyphonique tel le luth, mais aussi pour un ensemble d’instruments monophoniques, et en ce cas le jeu polyphonique intègre les figures ornementales telles que les propose Cabezon dans la superposition des voix et la continuité de chaque ligne mélodique, dans un travail qui évoque la transcription : une reconstitution de l’ensemble noté au départ pour claviers, harpe ou vihuela.
Les instruments rassemblés ici correspondent aux ministrelles, formations d’instruments à vent : cornets à bouquin, bombardes, trombones et bassons ou des flûtes à bec dans des espaces plus restreints.
La danse est également entendue dans cet enregistrement et selon le principe de la variation ou diferencias, la mélodie est reprise plusieurs fois ornementée différemment à chaque fois, et en référence au principe didactique du recueil, avec une complexité progressive.
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L’interprétation d’une vingtaine de pièces de la Renaissance, d’origine franco-flamande pour quelques-unes, selon la manière de Cabezon pour la plupart, constitue un bouquet polyphonique savamment arrangé dans l’alternance des couleurs instrumentales, de l’instrument polyphonique à cordes pincées à l’ensemble d’instruments à vent, et la ponctuation de la voix de soprano avec une douceur ineffable.
L’attention de l’oreille peut apprécier le grand art de l’ornementation improvisée en fidélité à la science du compositeur Antonio de Cabezon notée en son recueil pour l’enseignement des instrumentistes. Mais l’écoute peut tout aussi bien être “flottante” avec pour seule focalisation de goûter le charme de toutes ces mélodies qui chantent avec une souplesse pleine de grâce et une spontanéité bienvenue, jouées par des instruments aux fort belles sonorités – les bois entre cornet à bouquin, bassons, et la famille des flûtes à bec, et les cuivres, jouent avec des timbres de velours des sons d’une rondeur si légère – et se laisser séduire par ce jeu de courbes si clairement dessinées, aux rythmes variant le geste, comme une invitation au rêve, si ce n’est au voyage de la mélodie toujours réinventée.
Thérèse Bécue
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Nicolaus Brühns Johann Adam Reinken
L’ensemble des pièces d’orgue
Bernard Foccroulle
à l’orgue Schnitger de l’église Jacobi à Hamburg
L’Allemagne et les pays baltiques ont développé un style musical singulier à la fin de la longue et terrible Guerre de Trente Ans, 1648, le Stylus Phantasticus, entre théâtre et musique sacrée. Buxtehude 1637 – 1708 compositeur de Lübeck d’une prolixité merveilleuse, entre spontanéité et sérénité, est un musicien immense : il aura pour contemporain Johann Adam Reincken 1623 – 1722 et pour élève Nicolaus Brühns 1665 – 1697 . Leur seront communs le jeu de répétition de motifs et une liberté formelle avec une suite de sections extrêmement variées, des thèmes éclatants, un contrepoint inventif toujours en mouvement et un foisonnement de surprises. Mattheson écrit en 1739 « Nous avons dit que ce style fantastique prend sa source sur les scènes de théâtre, mais que cela ne l’empêche pas de venir se montrer dans la musique, à l’église et dans les salons [...] Passages extraordinaires, ornements cachés, tournures ingénieuses et périphrases [...] . Qu’est ce que ces Messieurs les organistes nous apporteraient de beau, s’ils ne pouvaient imaginer, dans leurs préludes et postludes que ce qui vient d’eux ? »
Nicolaus Brühns a composé dans une vie si brève des morceaux de musique pour orgue d’une inspiration surprenante. Elève de Buxtehude à Lübeck, il résida quelques années à Copenhague, où il rencontra des musiciens italiens, puis brillant interprète, violoniste de renom, violiste, il fut choisi à l’unanimité comme organiste en mars 1689 à la tribune de la Stadtkirche de Husum, dont il est originaire.
Parmi les pièces d’orgue de Brühns, le premier Prélude en mi mineur, éclate sous les doigts de l’organiste, avec une brillance et un mouvement qui l’emporte. Puis la fugue sur un sujet en notes répétées comme un chant polyphonique humble et sans artifices, avec une cohérence du jeu conduit cette exploration fuguée dans une grande souplesse. Si une fantaisie s’adjoint avec toute son inventivité, elle se glisse dans le tableau, avant une deuxième fugue qui fait entendre une autre recherche sur un thème pointé. Ensuite la fantaisie revient avec un passage comme une improvisation, majestueuse. L’oeuvre avec toutes ses facettes si diversifiées est ici un geste musical de toute évidence.
Le choral Nun komm der Heiden Heiland, (Viens maintenant, Sauveur des païens) dans une certaine contemplation, d’une profondeur pétrie de poésie, avec un grand calme, une confiance qui irradie, chante à merveille tout au long de la pièce d’une section à l’autre, avec un subtil choix de timbres de l’organiste, avec une précision du jeu, une assise pleine d’équilibre, une des plus belles pièces d’orgue du XVIIè allemand.
.Scène de musique dans un intérieur ou Allégorie de l’amitié, 1674
Johannes Voorhout 1647 – 1723
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Au clavecin, ce serait Reincken, et à sa droite Dietrich Buxtehude.
Johann Adam Reincken, organiste de renom, considéré comme le meilleur organiste de l’Allemagne du Nord à la mort de Buxtehude, reçut lui aussi la visite de Johann Sebastian Bach. Il fut l’élève de Scheidemann, son assistant en 1658 à la tribune du Grand Orgue de l’église Ste Catherine de Hambourg, l’un des plus beaux instruments de toute l’Allemagne à cette époque, puis titulaire de l’orgue à la mort de son maître. On lui doit aussi la fondation de l’Opéra de la ville en 1678, et de nombreuses pièces instrumentales et vocales. Influencé par l’oeuvre de Sweelinck que lui a enseigné Scheidemann, mais aussi par Froberger, Biber et autres compositeurs autrichiens, et par la musique italienne lui aussi, il fait preuve d’une belle liberté et d’une expressivité pleine de couleurs et de contrastes dans le goût italien, pour un chant inventif d’une grâce et d’une sensualité élégantes.
Une des pièces de l’ensemble, d’une ampleur inspirée, le Choral An Wasserflüssen Babylon (Sur les rives des fleuves de Babylone) chante avec une palette de timbres et de belles sonorités, dans une multiplicité qui souligne la complexité de ce moment religieux. Avec une prolixité du propos sonore, le chant riche de tournures venues de l’improvisation comme elle pouvait être pratiquée à l’époque, écrit avec un art extrêmement touchant, une finesse et souvent une certaine tranquillité, accède peu à peu à une jubilation avec des traits sereins, avec une inventivité variée et renouvelée.
L’orgue est un instrument en plusieurs dimensions qui chante de toutes parts, non loin de l’inspiration vocale, et l’interprète est un véritable sculpteur d’un ensemble en mouvement incessant, qui remplit le lieu de poésie et d’une force de la musique en train de se faire. L’orgue aux jeux clairs dans la lumière du Nord sonne sous les doigts de Bernard Foccroulle, qui déploie son art de la registration et son goût des timbres. Avec un sentiment de confiance, une sérénité dans laquelle se glisse si bien l’interprète, avec un jeu articulé et précis, un jeu sans ombre, l’organiste bâtit avec envergure, mais aussi une fine sensibilité de véritables monuments sonores et éphémères que deviennent ainsi ces pièces variées et empreintes de liberté.
Thérèse Bécue
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Biber, Froberger, Schmelzer, Walther
Concert à la Cour des Habsbourg
Ensemble Stravaganza
Aparté, AP041, 2012
A la Cour des Habsbourg au XVIIè siècle se succèdent Ferdinand III, 1608 – 1657, puis Rodolphe I, fils de Ferdinand, 1640 – 1705, Empereurs du Saint Empire romain germanique, deux représentants de la dynastie des Habsbourg particulièrement mélomanes, et même compositeur pour le second. Malgré la période profondément troublée et sinistre de la Guerre de Trente ans, de 1618 à 1648, qui retentit sur les différents royaumes et principautés de l’Empire, Vienne sera une capitale politique, économique, puissante et fastueuse, une métropole culturelle, particulièrement dans le domaine de la musique.
Les musiciens de cette époque sont parfois des voyageurs, mais aussi avec la transmission par les maîtres ou les rencontres qu’ils peuvent faire à leur poste de musicien – instrumentiste ou compositeur, maître de chapelle, organiste, ou maître d’ensemble instrumental – dans diverses Cours ou au service de prélats exercent-ils une dynamique particulière au centre de l’Europe. Les influences anglaises du consort et la suprématie franco-flamande avec une apogée de l’écriture contrapuntique s’estompent pour une ouverture sur l’Italie, où le violon prend son essor, où les couleurs se déploient, particulièrement à Venise, et où l’innovation de l’écriture avec la seconda pratica s’affirme ; les échanges entre le Nord de l’Italie et de toute la partie Sud de l’empire germanique sont nombreux. La musique de ce XVIIè siècle allemand est foisonnante, et un grand nombre de compositeurs laissent des œuvres vocales ou instrumentales touchantes et convaincantes, et de qualité.
Quatre de ces compositeurs exercent une activité d’instrumentiste à Vienne, et entretiennent des relations privilégiées avec les Princes de Habsbourg, comme on peut en prendre connaissance avec le Lamento sur la mort de Ferdinand III, pour cordes et orgue, de Schmelzer et en lisant la dédicace de la pièce pour clavecin de Froberger, « Lamentation, faite sur la très douloureuse mort de sa majesté impériale, Ferdinand le Troisième, et se joue lentement avec discrétion, 1657 » [« avec discrétion » signifie avec liberté]. Ils sont rassemblés ici avec un ensemble de pièces pour un « Concert à la Cour » avec le violon comme instrument privilégié, avec les Sonates de Heinrich Ignaz Franz Biber et de Johann Heinrich Schmelzer, une Suite de Johann Jakob Walther, et aussi la Lamentation pour clavecin, 1657 de Johann Jakob Froberger, puis le concert se clôt avec trois pièces pour guitare, False consonances of music, de Nicola Matteis, fils d’un violoniste étrange et brillant, surprenant et passionné, Nicola Matteis, le Napolitain parti à Londres.
Un extrait du manuscrit d’une autre Lamentation
Lamento sopra la dolorosa perdita della R. Mstà di Fernandino IV, re de Romani
Froberger
Nationalbibliothek, Wien
[représentation de la montée au ciel du roi]
Le violon italien est non seulement adopté, mais porté à une expressivité virtuose, avec une fantaisie et une liberté qui demandent à l’interprète un engagement dans son jeu, une inventivité dans la multiplicité des gestes et des coups d’archet, une habileté liée à une musicalité de chaque instant. Ce sont ces qualités et ces traits singuliers qui sont partagés avec une intensité pleine d’émotion et de gravité par Schmelzer, le plus ancien de ces compositeurs, 1623 – 1680, poussés jusqu’aux confins de l’innovation et d’un lyrisme dramatique, entre rudesse, parfois violence et raffinement, avec Biber, 1644 – 1704, comme dans la Sonate n°5 a violino solo, 1681, dans laquelle l’expression exacerbée de notes rudes et répétées arrachées par l’archet comme des cris surprend, entre récit et sensualité, avec pour la pièce de Walther, 1650 – 1717 une inventivité mélodique et poétique, et une recherche d’effets sonores dans les mouvements de la suite issus de la danse.
La technique du violon est en recherche et la virtuosité est confrontée à la scordatura, ou désaccord de l’accord habituel des 4 cordes du violon, avec parfois croisement des cordes, jusqu’à une quinzaine d’accords différents dans les Sonates des mystères du Rosaire, de Biber, 1678, recueil duquel est extraite la Sonate La Crucifixion. « (..) Voici un recueil de pièces de toutes sortes pour lesquelles j’ai réglé les quatre cordes de ma lyre de quinze manières différentes — sonates, préludes, sarabandes, airs ; une chaconne, des variations, etc. et avec basse continue, travaillées avec le plus grand soin et la plus grande recherche que mes dispositions ont permis. Si vous voulez connaître la clé de ce nombre, la voici : j’ai tout mis sous le signe des Quinze mystères Sacrés que vous soutenez avec tant d’ardeur (…) » (Dédicace à Maximilian Gandolph von Khünburg).
Mais aussi pour la première fois l’usage de doubles et de triples cordes est requis, jusque dans les positions les plus aigües sur le manche, que demande aussi la musique de Walther dans une écriture polyphonique souvent complexe.
Portrait de Biber, gravure de Paulus Seel 1680
L’expressivité s’allie à une profondeur et une intensité dans l’émotion pour ces répertoires, avec des contrastes de toutes natures, une frénésie rythmique, des arabesques haletantes, de langoureuses courbes mélodiques, des traits acrobatiques, des cascades en triples croches, des dissonances étranges et surprenantes comme en équilibre instable, une imprévisibilité comme dans l’improvisation, et façonnent un ensemble singulier haut en couleurs et en affetti, partagé non seulement par les compositeurs brillants violonistes, mais aussi par Froberger, 1616 – 1667, organiste à la Cour de Vienne jusqu’en 1657, année de la mort de Ferdinand, et qui laisse une œuvre pour clavecin et orgue. Ce dernier a séjourné à Rome auprès de Frescobaldi, et à deux reprises, envoyé par l’Empereur. La Lamentation se fond admirablement dans le tableau composé par ce Concert, par ses traits et son allure d’improvisation, sa finesse et son pouvoir d’expression, jouée au clavecin seul avec “discrétion”, comme Froberger le souhaite, et avec délicatesse.
C’est un ton, une liberté offerte et demandée à l’interprète, une expression toute en relief avec lesquelles la rigueur et le jeu de la variation doivent composer. Les instrumentistes de l’Ensemble Stravaganza qui offrent ce Concert à la Cour des Habsbourg renouvellent à leur tour ces pratiques et cette innovation dans le style et l’interprétation, dans l’esprit des musiciens de la Cour dont l’oeuvre arrive jusqu’à notre époque. Le violon offre une palette d’émotions, élégamment accompagné avec belle fluidité par une viole de gambe profonde et avec une grâce poétique, parfois au bord de la danse, et par le luth, qui apporte à la fois finesse et assise, dans une imagination fertile entre variations et diminutions avec la complicité du clavecin. La nécessaire virtuosité laisse place à l’expression musicale d’une grande véracité riche de contrastes, avec passion et enthousiasme, et la liberté et l’émotion atteignent la sensibilité au plus vif.
Thérèse Bécue


#Froberger#Biber#Schmelzer#Walther#Matteis#Ensemble Stravaganza#La Cour des Habsbourg#Ronald Martin Alonso
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Johann Rosenmüller
Sonate a 2, 3, 4 e 5 stromenti,
da arco & altri, 1682
Ensemble Masques, Olivier Fortin
Renommé et fort joué dans toute l’Allemagne dans ce XVIIè siècle riche de la musique de Buxtehude à Lübeck et de Schütz à Dresde – d’ailleurs, le maître complimente, sous une forme poétique, une première publication du jeune musicien, un livre de Danses à 3 voix, paru en 1645 – après sa formation et ses débuts à Leipzig, puis un temps d’exil à Hambourg, Johann Rosenmüller séjournera un certain temps à Venise, où il sera quelques années Maître de choeur à l’Ospedale della Pietà. Son activité de compositeur sera multiple entre motets et sonates, entre œuvres vocales et instrumentales, pour les multiples églises vénitiennes, mais aussi pour diverses cours princières germaniques.
Les Sonate a 2, 3, 4 e 5 stromenti a arco & altri, publiées en 1682 à Nuremberg, de Johann Rosenmüller, 1617 – 1684, composent une œuvre instrumentale comparable à un ensemble de Suites par leur structure marquée d’une alternance de mouvements en contraste par la vitesse et le rythme, mais la référence à la danse qui était constituante des Sonates de 1667 en est absente. D’une densité et d’une profonde force expressive, elles rassemblent un certain nombre de qualités rassemblées au sein du parcours musical du compositeur.
L’écoute de ces pièces fait entendre un propos d’une intensité dramatique et spirituelle. Les habiletés contrapuntiques et la profondeur du répertoire germanique se mêlent au pouvoir expressif de la tradition italienne. Un foisonnement d’idées mélodiques touchantes à toutes les voix tisse une écriture polyphonique serrée, avec une unité thématique entre les mouvements, dans un jeu harmonique aux dissonances parfois audacieuses, telle la Sonata settima a 4, en ré mineur, avec l’expression d’une sensibilité toute en couleurs et en émotions sonores, d’une grâce et d’une sensualité qui animent d’un mouvement continuel la texture du contrepoint et donnent à ces Sonates un caractère de véritable récit théâtral. La fantaisie singulière de Rosenmüller déploie une exubérance mélodique avec une importance égale confiée à chaque partie. Les chromatismes, les harmonies riches, les contrastes de rythme conséquents à la diversité des motifs rythmiques, les passages entre rythmes binaires ou ternaires, ouvrent à l’expression d’affetti dans la proximité du langage vénitien, tel celui de Giovanni Legrenzi entre autres maîtres de la musique du XVIIè de l’Italie du Nord. D’une sonate à l’autre, la diversité étonne au sein de l’oeuvre, et avec parfois une grande économie de moyens, comme dans la Sonata seconda 2, en mi mineur, dans une invention continuelle et fascinante.
Les 12 Sonates sont jouées par un nombre croissant d’instruments à cordes frottées, aux deux violons s’adjoignent un alto, une viole de gambe et un violone, au fur et à mesure des pièces qui composent le recueil, avec la basse continue au clavecin ou à l’orgue. Mais l’Ensemble Masques a choisi un autre agencement que celui de l’ensemble publié dans le parcours de cette suite de Sonates, et le choix souligne l’inventivité. De cette présence sonore avec une réelle vivacité riche d’affetti, parfois d’une grande douceur comme on l’entend dans la Sonata terza a 2, en ré mineur, résulte une véritable joie à la découverte de ces mélodies émouvantes qui se dessinent en tous sens. Avec une grande clarté de la richesse contrapuntique et harmonique dans l’architecture de ces Sonates, les interprètes à chaque instrument jouent avec finesse et avec une virtuosité que l’on oublie pour le goût d’un jeu, ou d’un geste d’une grande pertinence au service d’une œuvre pleine d’intensité et d’émotion.
Thérèse Bécue
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Echo & Risposta / Les Cornets noirs
Les Cornets noirs réalisent un véritable monument musical vibrant de jubilation sonore avec cet ensemble de pièces du XVIIè siècle d'Allemagne et d'Italie. Les œuvres rassemblées sont interprétées dans l'église du monastère de Muri, en Suisse, au sein d'une architecture baroque brillante et foisonnante comme en recèle toute cette région entre Zürich et Constance, avec des vitraux de la Renaissance.
Dans cette église octogonale qui possède cinq orgues, sont disposés dans les deux tribunes à l'avant de la nef deux instruments relativement importants devant lesquels peuvent se placer les instrumentistes, qui se positionnent aussi éventuellement dans les deux plus petites tribunes. Les tribunes sont orientées vers la nef, en angle ouvert et de cette manière, les musiciens peuvent aussi se voir. Une symbiose s'opère entre l'architecture du lieu, le décor, l'espace et le répertoire en majorité de l'Italie du Nord, entre Vénétie et Emilie-Romagne, mais aussi constitué de quelques pièces de compositeurs de langue allemande, de Hambourg à Vienne. Avec une diversité de langage et d'expression est réalisée une véritable rencontre entre musique et espace.
Toutes ces pièces du XVIIè siècle illustrent chacune à sa manière la référence à Echo e Risposta, Imitation en écho, ou jeux de répons. Elles se réfèrent à la tradition vénitienne du XVIè des choeurs divisés, cori spezzati, selon la pratique de répartir les sources sonores en divers endroits de l'édifice, plutôt en hauteur, illustrée par de nombreuses œuvres de Gabrieli, organiste de San Marco à Venise. D'autres compositeurs, des plus prestigieux tel Claudio Monteverdi, réalisaient une mise en espace de la musique lorsque leurs oeuvres étaient données à entendre, ou lors des fêtes en leur temps. C'est dans cette perspective que l'ensemble Cantar lontano a interprété le Vespro della Beata Vergine de Monteverdi avec la technique vocale du cantar lontano dans la Basilique Santa Barbara de Mantoue, c'est-à-dire que les interprètes sont répartis dans tout l'espace de manière à ce que les auditeurs soient immergés dans un espace sonore et perçoivent des effets prégnants et éblouissants,d'autant plus que certains musiciens ne sont pas vus depuis l'assemblée. La spatialisation de la musique s'est développée dans plusieurs églises de toute cette région, mais aussi dans d'autres provinces, comme à Rome ou dans les Marches, elle donne une force, un pouvoir au phénomène sonore, parfois au service du sacré.
Le répertoire instrumental de cette époque se réfère plus précisément au jeu de l'écho, pour lequel la disposition de deux tribunes face à face est propice, comme dans de nombreuses églises italiennes et dans le Sud de l'Allemagne, en Autriche et en Suisse. Le jeu de l'écho déjà entendu dans les Fantaisies en écho pour orgue de Sweelinck au tout début du XVIIè en Hollande, est développé par son élève Samuel Scheidt dans la merveilleuse pièce Pars secunda tabulaturae : echo. Puis un certain nombre de pièces interprétées ici développent en variation des jeux de répons et d'imitations (risposta) qui font la quintessence des Canzoni à la française, telle la Canzon francese in risposta, de Lodovico Viadana, et des Ricercari du répertoire italien, avec une profonde magnificence.
Jouées par un ensemble de cornets - cornets noirs évoque l'habillage de cuir du cornet en bois, instrument à embouchure – , de trombones et bassons, de l'orgue, tous instruments à vent, auxquels se joignent deux violons, les œuvres n'utilisent pas toutes le même langage. Si la polyphonie et l'écriture contrapuntique sont de belle facture dans plusieurs de ces pièces, en homophonie, avec quelques jeux rythmiques ou une écriture en imitation, la mélodie qui prend son essor avec le début de la basse continue commence quelque peu à se dessiner, comme entre autres dans la Sonata decima a 3 de Dario Castello, avec l'expressivité des trombones et des bassons, ou dans la pièce du violoniste Dietrich Becker, ou encore au sein des dissonances, et de la gravité qui parfois affleure chez Salomone Rossi.
Avec l'alliance délicieuse des timbres des violons et des cornets, les jeux de répons entre les timbres des divers instruments à vent, bois ou métal, la tonicité allègre de l'orgue, joueur et presque espiègle et léger dans La Bergamasca de Lodovico Viadana, la découverte et la surprise toutes en réjouissances conduisent un parcours diversifié de pièces riches de leurs singularités, avec le pétillement des diminutions, des rythmes pointés dans lesquels la danse n'est pas loin, des sonorités claires et articulées qui font entendre la joie particulière des interprètes qui jouent ensemble et qui s'entendent, d'un lieu à un autre, des Ludi musici ou jeux musicaux, ainsi que Scheidt intitule une de ses pièces. Des pièces magnifiques de compositeurs trop oubliés parfois prennent ici leur réelle dimension, pour une émotion qui s'ouvre à la beauté de ces musiques. Une écoute autre résulte de cette rencontre entre espace et musique, il s'y adjoint du temps, le temps du son et le temps de l'écoute d'un son à l'autre, et se déploie un dialogue d'écoute et de jeu entre les instrumentistes qui façonne les phrases et les motifs, les sons et les résonances, et la structure prend une force et une qualité qui saisissent et émerveillent, telle une offrande de Musicalische Frühlings-Früchte, de fruits musicaux de printemps.
Thérèse Bécue
#Samuel Scheidt#Benetto Re#Giovanni Battistta Riccio#Alessandro Stradella#Biagio Marini#Dario Castello#Giovanni Picchi#Lodovico Viadana#Nicola Corradini#Salomone Rossi#Cesario Gussago#Johann Sommer#Johann Staden#Les Cornets Noirs
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Rediscovering Spain / Accademia del Piacere
Fantasías, diferencias & glosas
L'Espagne des XVIè et XVIIè siècles est à redécouvrir dans une véritable effervescence musicale, avec des pièces de Gaspar Sanz, Antonio de Cabezon, Juan Cabanilles, et aussi Manuel Machado, Bartolomé de Selma y Salaverde, Francisco Guerrero, et Hernando de Cabezon, et quelques pièces anonymes, entre danses et fantaisies. Sans renier les données connues laissées par les témoignages et les partitions de la Renaissance et du premier XVIIè Baroque, les musiciens de l'ensemble, artistes espagnols et familiers de l'improvisation de cette époque en Espagne, ont pour objectif de jouer cette musique en retrouvant le jeu du musicien dans ces répertoires et sa part d'inventivité.
Le propre de la musique est d'être éphémère, un art de l'instant. N'est-elle pas alors l'impossibilité de la copie, de la répétition, et plutôt toujours un moment de création et d'invention par l'interprète, comme tout musicien y est confronté pour toute musique ?
Dans la musique ancienne, l'essentiel du travail des instrumentistes était d'apprendre comment improviser selon les codes en vigueur, avec les modèles de motifs que l'on retrouve dans divers manuscrits, et aussi en divers pays d'Europe, sur une ligne de plain-chant ou sur une basse obstinée, inventer un contrepoint ou jouer des variations ou diferencias et glosas, comme on peut en prendre connaissance en consultant les traités de Sylvestro Ganassi (Fontegara, 1535) ou celui de Diego Ortiz.
Avec le traité de Diego Ortiz, natif de Tolède, le Trattado de glosas sobre clausulas y otros géneros de puntos en la musica de violones nuevamente puestos en luz (publié en 1553, à Rome), rédigé pour apprendre les divers modes d'improvisation - dont l'art des diminutions ou diferencias pour le jeu de la viole de gambe ou vihuela de arco, ou traits tels que gammes rapides, trilles et motifs mélodiques - on découvre une somme de procédés pour une praxis des interprètes, en quelque sorte des exemples, ou standards Renaissance et Baroque, «donnant lieu à un grand nombre d'interprétations s'inscrivant ainsi dans la permanence du répertoire », ainsi qu'il est écrit à propos des standards de jazz, et une base pour jouer ensemble, c'est-à-dire improviser ensemble, en pleine connivence. Les variations écrites étaient bien souvent des improvisations écrites sur le vif, pour que des musiciens en les jouant puissent apprendre, et en tirer des leçons, comme le confirme Christopher Simpson dans The Division Viol (1659).
Interpréter n'était pas seulement faire une lecture à l'instrument, mais faire preuve d'un savoir-faire de l'instrumentiste qui fait des choix, des modifications, des ajouts spontanés à ce qui est noté sur la partition. Jouer avec beaucoup d'invention, ... et saisir l'occasion de concerter à l'improviste, écrit Agazzari, dans Del sonare sopra'l basso, (Siena, 1607), avec le geste de transformer de manière inventive un texte donné en un moment de musique spontanée, en évitant la routine, sans perdre les références du discours musical, avec aujourd'hui l'obligation de la rigueur historique.
L'ensemble Accademia del Piacere, constitué ici avec des instrumentistes férus de l'improvisation, s'empare des fantaisies, motifs et glosas des compositeurs de l'Espagne du Siècle d'Or, adaptant l'instrumentation selon les instruments disponibles aux interprètes, cordes pincées et frottées, instruments à vent tels le cornet, la sacqueboute, la dulciane,... un petit orgue positif, des petites percussions, pour tisser avec les écrits des manuscrits leurs improvisations éphémères sur des chansons telles Suzanne, un jour, ou La dama le demanda, ou des musiques de danses, marionas, canarios, jácaras ou folías sur des basses obstinées. On peut entendre aussi une fantaisie sur Mille regretz, de Josquin, aux cordes pincées sous les doigts de Enrike Solinis, suivie d'une glosa sur cette même polyphonie, à la viole de gambe par Fahmi Alqhai. Une expérience de plusieurs années acquise au cours de divers concerts aboutit à un acte d'enregistrement, d'une qualité rare, effectué en studio, qualifié par Fahmi Alqhai de « mensonge merveilleux ». Il est vrai que l'Inventivité est un don de la Nature, mais qui s'améliore beaucoup par l'Exercice et la Pratique, Christopher Simpson, The division viol, 1659.
Ainsi, dans une suite de pièces jouées par des personnalités diverses pour des moments de musique à nul autre pareil, toute une aventure musicale est-elle parcourue pour offrir, avec une impulsion familière aux musiciens de jazz aujourd'hui, un bel hymne à l'Espagne de la Renaissance et du Baroque avec une musique qui palpite, pleine de vie dans une création nouvelle riche « de couleurs, de détails, de sentiments, de textures » et qui préserve l'essence intemporelle de la musique, une véritable invitation à la musique en train de se faire, au geste musical, à un art en continuelle créativité.
Thérèse Bécue
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#Gaspar Sanz#Juan Cabanilles#Antonio de Cabezon#Redicovering Spain#Accademia del Piacere#Fantasias#diferencias#glosas
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Les Witches
Les Witches Konge af Danmark
L’Europe musicale à la cour de Christian IV
Si on lit le livret qui accompagne le disque, on est gagné par le goût de ces interprètes d’aujourd’hui pour ces musiciens de toujours. Si on écoute la musique, on est gagné par la poésie et l’enthousiasme : la palette d’œuvres de compositeurs du Nord qui ont résidé pour la plupart à la cour de Christian IV (1577 – 1648), est ici jouée avec présence et spontanéité , et on ne peut que se prêter au jeu.
” Calme lumineux des gens du Nord ” ! La lumière naît de ces harmonies et de ces timbres prenant le temps de jouer avec une multitude de nuances, prenant le temps d’exprimer l’intensité que l’on peut saisir, prenant le temps… Nombre de ces pièces rassemblées ici témoignent d’un lien avec l’Angleterre, notamment par leur forme : pavanes, gaillardes, fantaisies, mais aussi de ce qui se passe en Europe, Pays-Bas, Allemagne, jusqu’en Italie insérant l’expressivité au sein du langage musical [Mogns Pederson a travaillé auprès de Giovanni Gabrieli à Venise et dédie à Christian IV un recueil de Madrigaux]. Deux pièces de Samuel Scheidt, entendues ici, variations inventives et multiples, font partie de cet ensemble, comme reliées à la présence de Schütz [Heinrich Schütz, le Maître de chapelle à la cour de Dresde, étudia auprès de Gabrieli et de Monteverdi, et privilégie le caractère expressif, aussi dans la musique sacrée] auprès de Christian IV pour les réjouissances musicales de son mariage en 1634.
Les interprètes jouent avec la couleur, avec les lignes, un jeu avec souplesse dans lequel se manifestent émotion et douceur. Si la mélancolie affleure dans certaines pièces, c’est sans insistance, laissant l’initiative aux instrumentistes d’introduire des ornements colorés et de s’appuyer sur des rythmes dynamiques, laissant le mouvement s’insérer dans l’expression de la mélodie, la danse n’étant jamais bien loin si elle n’est pas directement présente.
L’orgue du Château de Frederiksborg, comme un bijou lorsqu’on le regarde, est un trésor à entendre, non seulement pour la finesse de ses timbres, qui ont traversé le temps, mais aussi par la respiration vivante qui l’anime. Le vent dans les tuyaux provient de quatre soufflets actionnés par un souffleur, l’un après l’autre : un geste, une action mécanique conséquente au poids qui pèse sur le soufflet, sont à l’origine de ce mouvement d’air qui fait parler les tuyaux, ce n’est pas le vent uniforme fourni par un moteur. On entend à la fin de la première pièce de Tobias Hume l’arrêt du “vent” lorsque les dernières notes s’éteignent.
Cet instrument du facteur d’orgue Esaias Compenius, achevé en 1610, fut conçu avec les conseils de Michael Praetorius, compositeur et théoricien de cette époque en Allemagne [Dresde, Halle, Magdeburg, Leipzig, …] et en lien avec Scheidt et Schütz.
Les timbres cruchants des tuyaux d’anches, la délicatesse des jeux de tuyaux à bouche nous permettent d’entendre avec une sorte d’enchantement, comme dans l’Alamanda de Sheidt, ces pièces d’orgue qui évoquent le langage des pièces de Jan Pieterszoon Sweelinck, l’organiste d’Amsterdam.
De Thomas Simpson, le Ricercar on “Bonny sweet Robin” est un moment de festoiement mélodique qui conduit jusqu’à un pétillement rythmique, auquel s’enchaîne une Spanish Pavan dans une élégance si anglaise, interprétée au luth. “O che soave baccio” de Mogns Pederson nous surprend dans la succession de danses et de polyphonies claires de ce répertoire par l’expression de dissonances, que joue la flûte au-dessus des cordes frottées et qui étire l’espace dans un mouvement de tension qui ajoute à la sensualité de l’expression une densité de sentiments et de couleurs.
Chaque pièce ici a sa singularité qui pourrait être dite. Mais comment faire part dans ces lignes des émotions à la fois spontanées et si accessibles à nos oreilles de cette musique du début du XVIIè siècle ? Si l’orgue de Frederiksborg est un partenaire plein de vie, le dialogue avec le luth, ou le théorbe, les violes, le violon et la flûte à bec se joue avec une telle connivence, une telle complicité que l’auditeur a la sensation d’être lui-même aussi complice et s’il n’est pris dans la danse, il se retrouve pourtant dans l’espace sonore que construisent ces musiques, au sein d’un “calme lumineux”.
Thérèse Bécue
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Il Spiritillo Brando / Andrea Falconieri / La Ritirata
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L'horizon de l'aventure musicale de l'ensemble instrumental est évoqué par le nom qui lui a été choisi, La Ritirata, une invitation à la musique, comme celle de Luigi Boccherini avec la Ronde nocturne, La Ritirata di Madrid, lorsqu'iltermine son quintette avec cette invitation à la musique et à la danse dans les rues de Madrid. Si le choix a peut-être été proposé par Josetxu Obregon, directeur de l'ensemble, violoncelliste enthousiaste et proche de la musique du compositeur Boccherini, l'ensemble d'instrumentistes, si musiciens, renouvelle un tel objectif avec cet ensemble de danses et de musiques de Cour, entre l'Italie de la Cour de Naples et l'Espagne, entre Renaissance et baroque.
Depuis le règne d'Alphonse V d'Aragon en 1443 sur le Royaume de Naples, devenu vice-royauté de la Cour d'Espagne en 1504, une vie artistique et raffinée se déploie à Naples dans une politique humaniste, avec musiciens et artistes, malgré l'histoire tourmentée de la région.
Il spiritillo brando donne à entendre en majorité des pièces de Andrea Falconieri, tirées du Il primo libro di Canzone, Sinfonie, Fantasie, Capricci, Brandi, Correnti, Gagliarde, Alemane, Volte per Violini, Viole overo altro Strumento a uno, due e tre con il Basso Continuo, édité en 1650 à Naples. Le compositeur a séjourné en Espagne dans les années 1620, ensuite luthiste à Parme, Florence, Modène et Gênes, puis luthiste de la chapelle du Vice-royaume de Naples entre 1639 et 1656.
Les œuvres portent des titres libellés dans une langue entre castillan et italien, telle qu'elle pouvait être pratiquée à Naples alors, pour les suites de variations, les mélodies aux rythmes divers et principalement les danses, telles que l'on pouvait les entendre et les voir jouer et danser à Naples : le choix varié des danses, dont le brando, ou branle, danse française de la Renaissance, informe sur les danses qui se pratiquaient à la Cour à cette époque. Dans le livre Etiquetas de la Corte de Napoles, de José Raneo, édité en 1634, on découvre les règles du cérémonial dans les festivités : ainsi, les danses avaient un caractère officiel, selon un protocole strict et une chorégraphie, qui désignaient les dames et gentilshommes qui devaient entrer dans la danse.
Cependant, c'est aussi la musique de Naples, et à la danse de Cour s'adjoint aussi l'esprit du Spiritillo, un lutin, ou esprit facétieux qui court d'une maison à l'autre et justifie les défauts de chacun. Naples n'est-elle pas entre Italie et Espagne, comme la composition de l'ensemble de l'enregistrement le souligne ?
L'ensemble La Ritirata sert avec enthousiasme ce double enjeu du prestige en vogue à la Cour d'Espagne, et de l'esprit mutin napolitain, avec les formes musicales venues de diverses régions pour le goût de la variation et de rythmes animés, avec la liberté laissée aux interprètes du choix de l'instrument, en vigueur si souvent à l'époque, et telle qu'on la trouve dans le Livre de Falconieri : les pièces sont interprétées aux instruments, violon et violoncelle baroques, flûte à bec, guitare baroque, théobe, archiluth, orgue positif et clavecin, harpe triple et petites percussions, pour une grande diversité des timbres, et c'est une véritable réjouissance.
La composition de ce disque fait alterner des pièces de Ortiz, d'Andrea Falconieri, mais aussi des pièces de compositeurs espagnols comme Selma y Salaverde, Cabanilles, puis des pièces de violoncellistes de Bologne, de la Chapelle de la Basilique San Petronio.
Ces œuvres pour violoncelle permettent d'entendre cet instrument dans ses débuts d'instrument soliste, avec quatre cordes en boyau, actuellement filetées d'argent, accordées d'une autre manière qu'aujourd'hui, pour une résonance harmonique plus grande de la ligne mélodique.
Le respect de la pratique musicale sur des instruments d'époque, joués selon les traités qui sont accessibles aujourd'hui, est un principe sur lequel se fonde l'interprétation des musiciens de l'ensemble. Ainsi, Diego Ortiz, natif de Tolède, qui vint à Naples en 1558, a rédigé plusieurs traités, tel le Trattado de glosas sobre clausulas y otros géneros de puntos en la musica de violones nuevamente puestos en luz, publié en 1553, à Rome, en castillan et en italien, pour apprendre comment exécuter les diminutions ou differencias ou traits et ornementation pour le jeu de la viole de gambe ou vihuela de arco.
Si une ouverture à une certaine part de liberté anime le jeu des interprètes, avec l'expérience de répertoires divers, du jazz ou des musiques du monde et l'expérience de l'improvisation, elle préserve d'abord la fidélité à la musique du Seicento comme on la connaît actuellement. La vivacité et un ensemble de couleurs invitent véritablement l'auditeur au sein de cette musique. Avec une habileté technique sur l'instrument au service de ce qui sonne, entre l'Italie, le Royaume de Naples et la Péninsule ibérique, circule un mouvement incessant entre les divers rythmes de danses, la mélodie et l'inventivité du trait et de l'ornement, une articulation souple et élégante de la phrase, du contrepoint d'un Ricercar à la liberté de la fantaisie, dans une diversité des timbres d'une riche panoplie, et se crée un espace de musique et de danse comme en mouvement perpétuel.
Thérèse Bécue
#Andrea Falconieri#Diego Ortiz#Selma y Salaverde#Dario Castello#Domenico Gabrielli#Giovanni Battista Vitali#Giuseppe Maria Jacchini#Juan Cabanilles#Il Spiritillo Brando#Royamume de Naples
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