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figureslibres · 8 years ago
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LICENCE ES LUTTES
Président de l’UNEF depuis deux ans, William Martinet cavale de plateaux télé en cabinets ministériels pour pourfendre la loi Travail. Évidemment, quand on est le successeur de Jean-Christophe Cambadélis, Pouria Amirshahi et Bruno Julliard à la tête du syndicat étudiant, on a tout pour être soupçonné d’être un apparatchik en puissance. Pourtant, celui qui peut déjà se flatter d’avoir obtenu un chèque de 500 millions d’euros pour les jeunes de la part du gouvernement jure qu’on ne fera pas de lui un « militant politique professionnel ».
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par Clémence de Blasi portraits Sophie Carrère
(portrait paru dans la revue politique Charles, mai 2016)
Ce n’est pas le premier portrait de William Martinet. Depuis qu’il est sous les feux de la rampe, les médias lui en ont déjà consacré quelques-uns. Là, on a raillé sa scolarité en dents de scie, ailleurs on l’a dépeint en «dinosaure bouffeur de patrons». Peu lui chaut. «Je fais un peu office de punching-ball, en ce moment, mais ce n’est pas très grave», souffle-t-il, vaguement las, avant de commander un Picon bière en terrasse d’un bistrot populaire du XIXème arrondissement de Paris.
Son regard est franc. Sa voix, posée. Il a l’air de savoir où il va. Il raconte d’abord ses deux parents infirmiers, la mère dans une école, le père dans un service de psychiatrie. «Mon père a voté pour la première fois lors de l’élection présidentielle de 2012, pour Hollande, c’est moi qui l’ai poussé, fanfaronne-t-il un tantinet, pas franchement biberonné à l’unionisme, avant de tempérer : Mon grand- père paternel était quand même à la CGT ». Oui, mais il ne l’a pas connu...
Le jeune homme de 27 ans grandit à Bois-d’Arcy, dans les Yvelines. Avant de se retrouver scolarisé au prestigieux lycée Hoche de Versailles. Yvelines toujours, mais côté chic, cette fois. «La carte scolaire, grimace-t-il à ce souvenir. Là-bas, j’ai découvert un environnement social très différent de celui de ma famille. J’ai compris qu’il fallait que je choisisse mon camp. Il y avait un tel décalage entre les mondes...» Ses yeux bruns se troublent un instant. À tâtons, il attrape un paquet sur la table, allume une blonde. Avant l’UNEF, il ne fumait pas. Désormais, il tourne à un paquet par jour.
Avec son pull marine, duquel émerge le col d’une chemise verte, il a plus l’air d’un jeune communiant que d’un jeune communiste. Délégué, lui? Même pas. «C’est un truc de premier de la classe, ça ! De toute façon, je crois que je n’avais pas le bon positionnement politique», se marre-t-il. En terminale S, il épluche Le Manifeste du Parti communiste, «découvre le matérialisme historique comme grille d’analyse du monde», et participe, avec deux copains, à quelques manifs contre le CPE. Sur la photocopieuse familiale, une cinquantaine de tracts sont imprimés, «de manière un peu artisanale», et distribués devant les grilles du lycée. 
« Le matin, à 8 heures, on était trois connards à tendre nos tracts, plutôt pour le sport que par amour de la révolution. Ça marchait pas du tout, on se faisait engueuler et insulter par les autres élèves, et en prime on a vite eu le principal au cul, se boyaute encore son ami Édouard. Ce lycée, c’était le XVIème et Neuilly réunis. Y avait les autres, et y avait nous. » 
Dans la section locale de Saint-Quentin-en-Yvelines, William tracte, anime, recrute. Et redouble. Financièrement, ça se gâte. Commence une parenthèse de deux ans, qu’il passe à confectionner des sandwichs dans une chaîne américaine, transpirant des mains dans des gants de caoutchouc trop grands pour lui.
Un bac mention AB, et William Martinet arrive en Sciences et techniques des activités physiques et sportives. Par passion pour le vélo qu’il pratique en com- pétition, et avec l’idée de devenir entraîneur sportif. Il renonce parce qu’il n’a pas le niveau en foot, s’inscrit en première année de licence (L1) de biologie à la fac, et « cherche l’engagement ». Aux Restos du cœur, d’abord, où il se livre à de vaines tentatives d’alphabétisation d’immigrés isolés, puis à l’Afev, une asso étudiante qui propose du soutien scolaire aux collégiens « des quartiers ».
En janvier 2008, alors qu’il entame sa deuxième année de licence, William Martinet rencontre l’UNEF. On lui tend une pétition ; il signe. « Je me suis dit : ça y est, j’ai trouvé ! » s’enthousiasme encore le jeune homme, en se balançant légèrement sur son siège. Du syndicat étudiant, il apprécie notamment « la camaraderie, ce truc un peu particulier qui fait qu’on dort chez les militants quand on se déplace en France ».
Dans la section locale de Saint-Quentin- en-Yvelines, William tracte, anime, recrute. Et redouble. Financièrement, ça se gâte. Commence une parenthèse de deux ans, qu’il passe à confectionner des sandwichs dans une chaîne américaine, transpirant des mains dans des gants de caoutchouc trop grands pour lui. Machinalement, il en mime les gestes : ouvrir le pain, étaler la salade, discipliner la tranche de jambon... En parallèle, il bosse en intérim sur des chantiers («ça consistait à foutre des gravats dans une benne»), et brique des trottoirs pour une municipalité. «Pas très original comme parcours, pour un étudiant précaire, mais très galère, commente-t-il avec une note d’amertume. Certains arrivent à continuer leurs études en parallèle, pas moi. » À l’époque, côté UNEF, il doit lâcher du lest. « Je n’y allais plus qu’une ou deux fois par semaine, c’était plus une bouffée d’air qu’autre chose. »
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En 2012, il est reparti de plus belle : il prend des responsabilités au bureau national, lance un plan de lutte contre les discriminations sexistes (« Il suffisait de regarder la répartition des responsabilités au sein de l’UNEF pour comprendre qu’il fallait commencer par balayer devant notre porte... »), monte en puissance en prenant la commission universitaire du syndicat... « Jusqu’au jour où il est devenu assez naturel que je remplace Emmanuel Zemmour », le président sortant, aujourd’hui premier adjoint à la mairie de Paris.
«En 2013, lorsqu’on a travaillé côte à côte pendant six mois sur les bourses et la réforme des universités, il était déjà évident qu’il était le meilleur pour reprendre le poste », confirme son prédécesseur, qui se dit admiratif de «son côté forte tête, genre “je ne m’en laisse pas conter”». «L’UNEF, ça ne se conduit pas comme une vedette rapide. C’est plutôt un porte-conteneur, avec plein de courants. William paraît doux, mais il est très habile côté management», renchérit Stéphane Leymarie, secrétaire général du syndicat Sup’Recherche UNSA, membre de l’intersyndicale « réformiste » (avec le SGEN-CFDT et la FAGE). 
«Les autres présidents de l’UNEF avaient fait Sciences Po, l’ENS, ils avaient des parents politisés. Pas moi...», pointe William Martinet, sans qu’on sache vraiment s’il en a souffert ou s’il en tire de l’orgueil. « Il n’essaie pas de se mettre dans un moule; il est plus près de la base, plus authentiquement étudiant que ses prédécesseurs, atteste le président de la Conférence des présidents d’université (CPU), Jean-Loup Salzmann, qui l’affronte régulièrement sur des sujets universitaires. William est carré, il croit à ce qu’il dit, à ce qu’il fait. Contrairement à l’image qu’on en donne parfois, c’est loin d’être un invertébré. Mais quand on fait un choix militant, forcément, les études en pâtissent. »
Une vision qu’est loin de partager Olivier Vial, président de l’Union nationale interuniversitaire (UNI), le vieil adversaire de droite du syndicat majoritaire: «C’est un pur produit de l’UNEF, dans la lignée de Bruno Julliard. Le mode opératoire est connu: ils mettent le bazar, donc ils se font repérer, c’est une façon comme une autre de faire passer leur CV...», ironise-t-il. En avril, William Martinet a participé au blocage d’un McDo, gare de l’Est. En soutien, seulement. «C’est une forme de mobilisation comme une autre. Sans rapport de force, on ne peut rien faire. Cette radicalité, face à ce que vivent les étudiants en situation de précarité, ce n’est pas grand-chose », évacue l’intéressé, dans un haussement d’épaules. 
Cette année, le président de l’UNEF est inscrit en première année d’un master d’économie sociale et solidaire (ESS) au CNAM, pour suivre ses cours à distance. Son mémoire sur l’impact du numérique dans l’économie sociale et solidaire, qu’il doit rendre dans quelques semaines, attend toujours d’être entamé. L’étudiant vient de négocier avec son professeur de le rendre à la fin de l’été. « Le numérique, ça ouvre des possibles dans plein de domaines. La mobilisation contre la loi travail est d’ailleurs partie d’un collectif de YouTubeurs (#onvautmieuxqueça) et d’une pétition en ligne, on n’avait jamais vu ça!», s’enflamme William Martinet, en torturant une olive noire du bout de son cure-dents. Le souvenir des premières mobilisations le galvanise. «En l’espace de quelques semaines, tous ceux qui vous méprisent sont obligés de discuter avec vous. Avant ça, on essayait de voir Myriam El Khomri depuis des mois; c’était lapin sur lapin. » Plus maintenant. 
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« C’est un pur produit de l’UNEF, dans la lignée de Bruno Julliard. Le mode opératoire est connu : ils mettent le bazar, donc ils se font repérer, c’est une façon comme une autre de faire passer leur CV... » (Olivier Vial, président de l’UNI)
Mi-avril, aux côtés d’autres organisations comme la FAGE ou la FIDL, il est reçu à Matignon. « J’ai bien rigolé en recevant le coup de fil du conseiller social de Matignon. Je lui ai dit : “Ah, vous avez enfin retrouvé mon numéro !” N’empêche, à la sortie, on avait obtenu les mesures les plus importantes du quinquennat pour les jeunes (la promesse d’un investissement budgétaire de 500 millions d’euros –NDLR) », s’emballe-t-il, en tapotant la table du bout des doigts. Il marque un temps, puis ajoute: «Mais ce qu’on veut, c’est le retrait de la loi travail. Et ça, je ne sais pas si on y arrivera. »
Avec ce compromis, l’UNEF s’est «décrédibilisée», sanctionnent plusieurs étudiants rencontrés pendant la quatrième manifestation nationale contre la loi travail, le 28 avril. «Ce syndicat n’est plus qu’une blague. Il est instrumentalisé par une poignée d’élus frondeurs, qui se servent de leur réserve parlementaire pour le financer, et veulent seulement déstabiliser Hollande », étrille l’un d’eux. Le président de l’UNEF balaie l’accusation d’un geste de la main : les subventions de la réserve parlementaire servent à financer des projets, rien d’autre.
Et Nuit debout, dans tout ça ? William Martinet passe la main dans sa barbe de quelques jours. « J’ai fait deux-trois soirées. Si je n’avais pas de responsabilités syndicales, j’y passerais sans doute toutes mes nuits. Mais je veux rester concentré sur la loi Travail, et il faut que je bosse beaucoup pour pouvoir suivre les technocrates qui nous reçoivent. Sur la surtaxation des CDD, par exemple, tu as plutôt intérêt à connaître ton sujet à fond, si tu ne veux pas passer pour un con. Nuit debout, ça ressemble quand même beaucoup aux indignés espagnols : un cadre démocratique qui a du mal à déboucher, mais forme toute une génération à la politique. Mais est-ce qu’il va y avoir un Podemos français? Ce qui est sûr, c’est qu’il vaut mieux que les gens aillent à Nuit debout plutôt qu’ils restent chez eux et votent FN », explique William Martinet, avec l’air de celui à qui on a demandé s’il préférait avoir des dents en bois ou des jambes en mousse.
«Encore une marionnette aux mains de l’aile gauche du PS », ricanent ses détracteurs. «Il a dû avaler beaucoup plus de couleuvres que ses prédécesseurs. Là, il est à l’indigestion», commente Olivier Vial, qui juge que le président de l’UNEF «ne tient rien du tout sur le terrain, mis à part le service de presse». L’intéressé clame pourtant haut et fort son indépendance. Il se définit comme « progressiste, avec une défiance importante vis-à-vis des partis et des institutions politiques, comme beaucoup de jeunes. Penser qu’on puisse être manipulés par des politiques, c’est très mal nous connaître », martèle-t-il, un chouïa agacé.
Vraie naïveté? Fausse candeur? Quand on évoque son futur en politique, William Martinet fait l’anguille. « Après l’UNEF, je resterai engagé syndicalement, bien sûr, mais je ne veux surtout pas devenir un militant politique professionnel, assure-t-il. Il faut bien distinguer l’engage- ment syndical de l’engagement politique. C’est ce que fait l’UNEF, et c’est pour cela qu’elle fédère. » La première organisation syndicale étudiante de France revendiquait en 2015 quelque 19000 adhérents, sans publier de justificatif. Selon plusieurs observateurs, ses membres actifs seraient quelques centaines seulement. Martinet, quant à lui, évoque « 34 000 à 35 000 adhérents ». Il prend un peu d’élan et lance : « Sur 2,5 millions d’étudiants, c’est vrai que ça ne fait pas beaucoup, mais nous avons une capacité de mobilisation importante. » 
Vraie naïveté ? Fausse candeur ? Quand on évoque son futur en politique, William Martinet fait l’anguille. « Après l’UNEF, je resterai engagé syndicalement, bien sûr, mais je ne veux surtout pas devenir un militant politique professionnel.»
Ces derniers temps, comme en témoigne son regard cerné, l’engagement syndical de William Martinet l’absorbe complètement. Même plus le temps de faire du sport. Mais après ses études, il voudrait « travailler dans l’économie sociale et solidaire: soit dans une fédération, soit sur l’innovation et le numérique dans une grande entreprise». Ce dont il est sûr, c’est qu’« on ne peut pas vivre toute sa vie de la politique ». Des hauts-parleurs du bar s’échappe une salsa ponctuée de « ay papi ! » 
Difficile à croire pour certains, au vu des trajectoires de ses illustres prédécesseurs à la tête du syndicat. Y aura-t-il un avenir politique pour William Martinet? «Qu’il termine ses études, d’abord: pour le reste, on verra plus tard!» plaisante Stéphane Leymarie. À la même question, Jean-Loup Salzmann élude: «Pour reprendre Marx, je dirais qu’en dernière analyse, ce sont les conditions d’existence qui déterminent la conscience... » —
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figureslibres · 10 years ago
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Bernard Pruvost, l’acteur qui ne jouait pas
Dans la série P’tit Quinquin de Bruno Dumont, il incarne le truculent commandant Van der Weyden, chargé de mettre la main sur un tueur qui planque ses macchabées dans le cul des vaches. Dans la vie, Bernard Pruvost assemble des pièces de tuyauterie dans une entreprise de la zone industrielle de Calais. Portrait de l’artiste en acteur.
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Son visage m’avait scotchée. On aurait dit que chaque élément qui le composait était indépendant des autres et vivait sa vie propre, le nez-la bouche-les yeux. Une trogne en éruption continue, agitée de soubresauts et de tics grand-guignolesque. Merde, j’avais pensé tout haut, son visage clignote.
Quand il se mettait à parler, c’était presque pire. Les mots trébuchaient, se télescopaient, pour finir par ne former plus qu’un grommellement, une pâte de langage. On dirait qu’il ne comprend pas un traître mot de ce qu’il raconte, avais-je ajouté pour moi-même. Ce type crevait l’écran, et je m’étais enfilé d’une traite les quatre épisodes de cet objet visuel non identifié. Quel acteur, bon sang ! C’était à Lille, en novembre 2014, et j’étais littéralement soufflée. Au générique, accolé à celui du commandant Van der Weyden, il y avait un nom tout simple : Bernard Pruvost. Je me mis à sa recherche.
Bernard et les apôtres
Zone industrielle de Calais. Temps gris. Je pénètre dans un vaste entrepôt, peuplé de palettes de bois et d’outils métalliques. Mon regard parcourt la salle à toute berzingue, avant de s’arrêter net. Nous y sommes. Autour d’une imposante table de bois clair, une demi douzaine de manutentionnaires en bleu de travail s’appliquent à assembler des boulons deux à deux, avant de les déposer dans une caisse de plastique. Bruit des écrous qui s’entrechoquent à intervalle régulier, murmure des conversations qui fusent et s’interrompent. Absorbés par leur tache, réunis de part et d’autre comme des convives au repas dominical, on dirait des apôtres. Parmi eux, sous les néons qui éclairent la scène d’une lumière blanche et bourdonnante, j’aperçois soudain le commandant Van der Weyden. Il se débat avec un boulon.
J’attends Bernard Pruvost sur le parking de son lieu de travail, Les Ateliers du Channel, qui emploient des personnes « en situation de handicap ». C’est la fin de la journée, il fait un vent à décorner les cocus. Dans le vestiaire des hommes, Bernard enlève son uniforme de travail, qu’il range dans un casier, sur un cintre, avant de se mettre au volant de sa Twingo verte. Une acquisition récente, dont il est plutôt fier. Direction le quartier des Fontinettes, à Calais. Un quartier où il a emménagé, seul, il y a un peu plus d’un an ; il y loue le rez-de-chaussée d’une petite maison de briques.
Les murs blancs de son domicile sont entièrement nus, à l’exception d’un petit crucifix et d’une photo de ses enfants. Ils sont grands, maintenant. Peu de meubles. Un canapé, un micro-ondes, une coupe pour les fruits de saison et une lunette de toilettes humoristique : un appartement de célibataire, petit mais bien entretenu. Ici, l’acteur peut s’adonner librement à ses loisirs. Avancer sur son puzzle géant (on devine un paysage paradisiaque), penser à l’aménagement de sa parcelle de jardin ouvrier ou faire un jeu sur son ordinateur. Il me montre, puis m’oublie, et enchaîne quatre ou cinq parties en fronçant ses sourcils broussailleux derrière des lunettes rectangulaires.
La possibilité d’une suite
Sur la nappe cirée multicolore où il prend tous ses repas, je note la présence de coupures de presse, empilées proprement. Toutes évoquent Le P’tit Quinquin. En termes plus ou moins élogieux, d’ailleurs : à sa sortie, le film a fait largement jaser dans toute la région: déclaration d’amour au Nord-Pas-de-Calais du réalisateur de La Vie de Jésus, ou simple foutage de gueule ? Chaque épisode plongeait le spectateur dans un abîme de perplexité.
Bernard n’a pas vraiment d’avis sur la question, mais il a gardé tous les articles qui parlent de lui. Plusieurs numéros de La Voix du Nord, et aussi des journaux nationaux.
Il parcourt les titres, en ouvre un par le milieu, dont il tourne les pages en humectant son doigt avec un peu de salive. Au fond, qu’est-ce que ça a changé, pour lui, le succès ? « Au départ, j’ai eu un peu de sous, et puis j’en ai plus eu, c’est tout ! Il se gondole, un bras négligemment passé sur le dossier du canapé. J’ai changé de voiture, c’est déjà ça ! Et la si on fait une suite c’est pareil, ce sera juste une voiture plus grande ! »
La possibilité d’une suite, Bernard y croit dur comme fer. Il veut y croire, à sa chance, celle qui l’a propulsé acteur à l’été 2013. Aux acteurs professionnels, le réalisateur Bruno Dumont préfère des amateurs rencontrés sur place, dans le Nord-Pas-de-Calais. C’est dans une association d’insertion que l’assistant du cinéaste rencontre Bernard Pruvost, la cinquantaine tassée. A l’époque, il enchaîne les périodes d’intérim et de chômage. Le voilà acteur, après qu’un premier commandant ne déclare forfait pour raison médicale.
Pendant le tournage, qui a eu lieu entre Audresselles, Ambleteuse et le cap Gris-Nez, tout n’a pourtant pas été rose. Pas facile de retenir son texte quand on n’y est pas habitué, par exemple. Le problème est réglé avec une oreillette : Bernard n’a qu’a répéter les phrases qu’on lui souffle pendant le tournage. Un texte auquel il insuffle un racé peu ordinaire, quelque chose de décousu, d’enfantin, un comique terrible : quelque chose de lui, exactement.
Bernard et les gendarmes
Sur son ordinateur, il lance le DVD de la série. Aussitôt, il est pris. L’acteur est très bon public : il rit volontiers, fronce les sourcils quand la situation se complexifie et retient même son souffle pendant les cascades. Sous mes yeux, le voilà qui vit à nouveau les scènes, littéralement. C’est qu’il a donné de sa personne, pendant le tournage ! Sur le petit écran, je vois son double partir dans un vol plané tout à fait chaplinien devant la porte d’une ferme. « Celle là, je l’ai faite qu’une fois, la roulade, il m’explique, elle a été bonne du premier coup ! ». Combien de fois a-t-il déjà vu ces images ? Impossible à dire : en tout cas, il n’a pas l’air de s’en lasser.
Bernard m’amène en voiture jusqu’à « son QG », un bar de Blériot-Plage.  Impressionnés par le film, les propriétaires du troquet tenaient à le rencontrer. Depuis, il est devenu un habitué des lieux. De temps en temps, comme ce soir, il y donne même rendez-vous à Cindy. Dans le film de Bruno Dumont, la jeune femme dirige l’équipe des majorettes. Dans la vie, elle est chef de caisse chez Lidl, et maîtrise parfaitement le bâton de majorette. Après le tournage de la série, ils ont continué à se voir. Ils se connaissent depuis seulement deux ans, mais on croirait que ça fait bien plus. « Le succès du P’tit Quinquin, ça n’a rien changé, il a toujours été comme ça Bernard, à rigoler, dire ses blagues…», glisse une Cindy rayonnante alors que son acolyte commande un café au comptoir.
Il reconnaît quand même que ça a peut-être été un peu plus facile, après la série, de trouver du boulot. Et puis il a eu quelques opportunités : cette année, il a été invité avec Cindy au gala des gendarmes de Calais, heureux de se faire photographier avec le commandant, képi sur la tête. Une agence de com’ de Wambrechies lui a même demandé de renfiler le costume le temps d’une vidéo de présentation de ses vœux. Elle a été tournée le lendemain de Noël, dans son propre salon.
A Blériot-Plage, derrière le comptoir du bar, un DVD de la série trône fièrement sur une étagère, entre deux rangées de verres retournés. Bernard l’attrape, et lit la couverture, en détachant bien chaque syllabe : « Bernard Pruvost, le meilleur gendarme que le cinéma français ait produit. Depuis de Funès. Ils me comparent à de Funès, dans le temps ! C’est bien, hein ? ». Il m’adresse un clin d’œil. Heureux d’avoir joué, le temps d’un été, un bon tour à la France.
Prix Coup de Coeur 2015 du Club de la Presse Nord-Pas-de-Calais.
Photo: Samuel Lebon
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figureslibres · 10 years ago
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Il ne fait pas Chabrol
Dans le village creusois de Sardent, ce taulier de bistrot conserve intact le souvenir de l’époque chabrolienne.
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Bichette n’a pas d’actu. Derrière son précieux zinc, planqué dans le hangar par son grand-père pendant la guerre, il couvre la salle d’un regard brouillé de cataracte. La pendule poussiéreuse n’indique pas encore 11 heures, mais les fidèles sont déjà présents. La cour de Bichette. Des ouvriers du coin, quelques chômeurs, des chasseurs, qui se retrouvent là tous les jours, pour lever le coude et se marrer.
On n’arrive pas Chez Bichette par hasard. Aucun panneau, aucune enseigne n’indique le bouge, planqué au cœur de la campagne creusoise, à 16 kilomètres de Guéret. Le bar se planque sur la place du village endormi, derrière la pompe à essence. Un sapin miséreux, décoré à la va-comme-je-te-pousse, déborde un peu sur la porte d’entrée.
 Chez Bichette, c’est un comptoir et deux larges tables de bois, autour desquelles prennent place les habitués, qui entrent et sortent. Ça poisse un peu, ça sent le bois. Les murs, impossible d’en deviner la véritable couleur, recouverts qu’ils sont de plusieurs centimètres de petites annonces à l’encre effacée, de photographies jaunies et de calendriers de 2007, 2008 et 2010, qui se chevauchent et finiront par se superposer. Deux chiens âgés se lèchent les couilles dans un coin de la salle, sur l’air d’accordéon que diffuse une radio portable. Ici tu peux fumer, c’est bon, tout le monde le fait. « Par contre le cendrier, c’est interdit ! », plaisante Bichette, en lançant une barquette en alu sur l’une des tables.
« Le bar, on le garde comme il est, on fait pas de transformations ! », meugle Bichette. C’est à peine s’il s’est permis un petit écart, sur un pan de mur, qu’il a habillé de filles à poil aux seins refaits, gros comme des ballons. Rien ne bouge. Même la crasse est d’époque. « Ici, ça ne change pas », confirme la femme du maire, qui tient la boulangerie sur la place.
 Nouvelle Vague. Le temps s’est arrêté en 1957. Au début du mois de décembre, Claude Chabrol vient poser ses valises dans ce pays qu’il a habité enfant, pendant la guerre. Étoiles de l’époque, les acteurs Jean-Claude Brialy, Bernadette Lafont, ou Gérard Blain l’accompagnent. Ils y tourneront Le Beau Serge, produit par Chabrol lui-même. L’histoire de François, un jeune homme tuberculeux qui retrouve son village natal et son ami Serge après de longues années d’absence.
Le film est considéré comme le premier de la Nouvelle Vague. Pendant le tournage, qui durera jusqu’en février 1958, c’est le grand chambardement. Tout Sardent met la main à la pâte. « J’étais pas né, mais tous les anciens ont participé, c’est un sacré souvenir », lâche un Bichette ému. Dans le film, son père, André, sert à la pompe. Punaisée à un mur, Bichette pointe une photo de Bernadette Lafont, qui pose à côté de cette même pompe. À l’époque, le diesel coûtait une poignée de francs. Aujourd’hui, l’écriteau affiche 1,26 euro le litre.
 Né ici. « Dans Le Beau Serge, il y a aussi ma grand-mère, au bar ! », reprend l’actuel maître des lieux. Lui ne s’est jamais marié. Il vit au-dessus du troquet avec son frère Jean-Paul, célibataire également. Après eux, la lignée s’arrête. Plus personne pour reprendre. Michel hausse les épaules, ce qui défroisse le logo de son pull. On y lit : 10 et 11 novembre, foire aux huîtres de Sardent. Michel, qui n’aime pas les chichis, préfère dire « foire aux moules ». Pas d’ordinateur, pas de portable. Il s’amuse. « Qu’est-ce que tu voudrais que j’en foute ? ». Son truc, c’est plutôt la pétanque. Et il doit avoir un petit niveau, à en juger par le nombre de coupes et de fanions sportifs qui trônent autour du comptoir.
Il est né là, au-dessus de ce bar qui a appartenu à son père, et à son grand-père avant lui. Il a grandi dans ses murs, près de sa cheminée, surplombée d’assiettes décoratives un peu sales. Après le collège, il intègre une spécialisation de fraiseur, dans le lycée professionnel du coin. Puis enchaîne les petits boulots : bucheron, électricien, déménageur. Deux jours avant son départ pour le service militaire, son père se supprime sans un mot. Michel ne part plus. Il aide sa mère au bastringue.
 Faux-départ. Il y a ceux qui sont partis, et ceux qui restent à Sardent. Bichette se targue d’appartenir à la deuxième catégorie, celle de ceux qui sont restés dans le bourg de 860 habitants, près de la préfecture de la Creuse. Adossée au bistrot, la maison de Claude Chabrol préserve quelque chose de la majesté du vieux. À la mort du cinéaste, en 2010, elle a été reprise par l’un de ses fils, Thomas. Un acteur. « Avec Thomas, on a le même âge. Petits, on était toujours fourrés ensemble. À une époque, on m’avait proposé de tourner avec lui dans un film, mais ma mère m’a fait une scène. J’aurais très bien pu me barrer avec eux, si je voulais ! ». Bichette n’a pas voulu, ou pas pu.
Il essuie un verre au torchon, pour servir un client, en casquette et bleu de travail. Deux chauffeurs routiers belges sont là, qui paient une tournée générale. Michel fait le tour, attend à côté de toi le temps que tu finisses ton verre, et te rince à la bière ou au porto. À force, plus personne ne sait vraiment combien il doit au patron. La note est très approximative, mais à 80 centimes le godet de rouge, les clients ne rechignent jamais à s’en acquitter.
Chez Bichette, on cherche de la compagnie, un peu de chaleur ; causer météo et s’enivrer de souvenirs de l’âge d’or du village. On y trouve le canard local, et une oreille bienveillante. Bichette connaît tout le monde ; et en Creuse, tout le monde le connaît. Peut-être même au-delà.
Bichette ne sait même plus pourquoi on l’appelle Bichette. Ni son visage rubicond, ni son allure pachyderme n’évoquent pourtant la femelle des sous-bois. La vie l’a mis là, Bichette, dans un troquet chargé de fantômes et de voix. Celles des copains d’aujourd’hui, et celles de l’hiver 1957, venues tout droit de l’époque chabrolienne. Il ne les a pas connues, qu’importe, elles font partie de son panthéon personnel. Quand même, c’était un sacré bel hiver…
Michel Peyrot est mort le 4 mai 2015, à l’âge de 53 ans, dans la cuisine de son bar. 
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figureslibres · 12 years ago
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Bernard Blot, la poesie pour mode de vie
Chercheur, poète, conteur, Bernard Blot entretient avec les lettres françaises depuis toujours une relation très étroite. Son dernier opus, Chemins, didascalies en rêves, grands chiens maigres et clarté d’avant mémoire, vient d’être publié.
Imposant. C’est l’adjectif qui convient le mieux pour qui rencontre le conteur. Imposant par la taille et la stature, tout d’abord. Imposant pour mille autres raisons ensuite, quand le conteur vient à prendre la parole.
Bernard Blot naît dans le Sarthe en 1932. Fils d’ouvrier, il tombe éperdument amoureux de la littérature à l’époque « où le livre est encore un luxe ». Alors que leur maison est détruite pendant la guerre par les bombardements alliés, la famille Blot trouve refuge en Creuse, à Saint­Sulpice. L’enfant s’attachera au département, l’adulte lui restera fidèle.
Une poésie liée 
à l’événement

À Guéret, il reçoit une solide éducation classique, se familiarise avec l’ancien français, et décide de de­ venir instituteur. Très vite, il est détaché à la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente, avant d’être sanctionné par l’Éducation nationale pour avoir signé, explique-­t­-il, « une caricature de Charles de Gaulle qui dénonçait la baisse des crédits destinés à l’instruction au profit de ceux alloués à la bombe A ». Qu’à cela ne tienne, il se retrouve à l’École normale supérieure de Saint­-Cloud comme chargé de recherche en linguistique appliquée, et écrit de nombreux ouvrages pédagogiques.
Bernard Blot est un homme de convictions. Il se mobilise très tôt contre la colonisation et participe aux événements de mai 1968, avant de proposer à Guéret une exposition de peinture dont les rentes reviennent aux grévistes guérétois dont l’activité de l’entreprise a été bloquée le plus long­temps.
1987, poésie, contes, ateliers d’écriture et autres manifestations littéraires en tous genres : la retraite de Bernard Blot n’est pas une retraite hors du mon­de, bien au contraire ! Aujourd’hui encore, il s’implique entièrement dans ce qu’il entreprend, qu’il s’agisse de conter chaque semaine sur France Bleu, de participer au festival des « Sortilèges de la pleine lune », aux Rencontres de Chaminadour ou d’écrire, encore et toujours.
Sur les chemins
 de Creuse

Sa poésie est très insaisissable, mystérieuse. Pour sa dernière œuvre en date, il a choisi de se perdre sur des chemins fictifs de Creuse, cette Creuse qu’il décrit comme le pain blanc de ses jeunes années. Le recueil comporte des textes, poèmes en vers libres ou en prose écrits ces deux dernières années.
Errances symboliques, rêves de théâtre, réflexions sur le vieillissement et finalement hymne à la vie, les thèmes repris par l’auteur sont variés, qui prouvent que celui­-ci a encore beaucoup d’histoires à raconter. Bernard Blot n’a pas encore écrit son dernier mot.
(Article publié dans le journal La Montagne en août 2010)
Bibliographie:
Recueils de poèmes
(liste non exhaustive) Chamade (1965), Patience de l’ombre (1969), A la lumière surgissant (1996),
Herbier, Béatrice éblouie (1998), Les Fougères (2005), Le Plateau (2007), Le Silence (2008), Chemins, didascalies en rêves, grands chiens maigres et clarté d’avant mémoire (2010)
Pièces de théâtre
La Malbête, Le Sanglier, La Pierre qui chantait, Celle qui pêchait les étoiles
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figureslibres · 12 years ago
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Systaime, ou le choix du “now future”
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Après avoir fait ses preuves à Paris comme artiste touche-à-tout, Mickaël Borras a choisi de s’installer à nouveau à Limoges, la ville qui l’a vu grandir. Une nouvelle page de l’histoire de son œuvre est en train de s’écrire.
Sur la toile, il est surtout connu sous le pseudonyme de Systaime, mais ses avatars sont bien plus nombreux. Jamais vraiment là où on l’attend, Mickaël Borras refuse de se voir cantonné à une identité unique. Ce qui l’enthousiasme, c’est la globalité, l’exploration des diverses possibilités qui s’offrent en permanence à lui.
C’est aux Arts D��co de Limoges qu’il découvre l’art vidéo, pour lequel il se passionne. Après avoir présenté son diplôme en installation vidéo expérimentale, il arrive à Paris « en même temps que le haut débit », à l’aune des années 2000. Il y achète son premier ordinateur, la clé d’un monde où tout est à portée de main. Sys­taime naîtra de cette découverte. « Pour faire partie d’un système, il faut avant tout l’aimer, savoir l’analyser et le comprendre », explique Mickaël Borras.
Le virtuel lui permet bientôt de concrétiser réellement ses projets : les nombreuses vidéos qu’il réalise rencontrent presque immédiatement un énorme succès, auquel il doit des collaborations avec Charlélie Couture ou Bianca Jagger. Initiateur de la “French Trash Touch”, il s’érige contre l’aspect lisse et policé de la “French Touch” : un mouvement est créé, qui devient son manifeste.
Particulièrement productif, l’artiste s’illustre avec des séries qui traduisent bien son envie de « sortir le web du web ». Vaste projet que celui de cet homme du mélange, qui milite pour un art universel, généreux, qui s’adresse à tous. Au fil de son travail, on retrouve un certain nombre d’éléments récurrents, de symboles. C’est en moraliste qu’il se sert de l’imagerie du web, pour traduire par exemple de la disparition du sens de l’image du fait de la sur­ charge, de la saturation.
Alors que ses œuvres sont exposées dans de nombreux pays du monde, Mickaël Borras a fait le choix d’opérer un retour aux sources il y a un an. Après une longue absence, il a posé ses valises à Limoges. « Par le biais du web, avec l’émergence de ce qu’on appelle le “village-­monde”, il est possible désormais de travailler n’importe où. À Limoges, la qualité de vie est in­ comparable », explique l’artiste, qui s’est remis avec bonheur à la peinture.
C’est d’ailleurs depuis la métropole limousine qu’il crée le “SuPer Art Modern Museum” en décembre 2011, avec le Pictavien Thomas Cheneseau. En­ semble, ils sélectionnent une cinquantaine d’artistes internationaux, émergents ou reconnus. L’occasion d’une réflexion sur la rémunération et la conservation de l’art numérique. À la rentrée, un partenariat avec Arte devrait voir le jour autour de ce musée virtuel. La révolution du Net n’a pas fini de faire parler d’elle.
Pour découvrir son travail: spamm.fr  ou neticones.com
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figureslibres · 12 years ago
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Jeremy Jannick parcourt le Nord pour Wikipedia
Officiellement sans activité professionnelle, Jérémy Jännick sillonne chaque jour la région Nord-Pas-de-Calais pour le site Wikipédia. De fosses en terrils et de puits en voies ferrées, il est devenu le 2ème contributeur mondial de contenu sur l’encyclopédie virtuelle.
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Grâce à Wikipédia, Jérémy Jännick entend "laisser une trace après [l]a mort".
“Encore un seul kilomètre, et j’aurais fait 1.900 kilomètres avec!”. Jérémy Jännick contemple fièrement sa monture, un VTT Rockrider B’Twin rutilant. Avec le train, qu’il prend presque chaque jour, c’est son seul moyen de locomotion. Il a monté la selle très haut. « Pour les longues distances, ça évite de fatiguer les genoux ! » explique le jeune homme au fort accent nordiste, qui a fêté le 26 mars dernier ses 25 ans. Sur son bolide, il s’est déplacé dans tout le Nord Pas-de-Calais. Il a parcouru toutes les fosses, vu tous les terrils, longé toutes les voies de chemin de fer.
  Jérémy grandit à Somain, dans une cité minière, à 50 mètres « à vol d’oiseau » de la maison ou sont arrivés ses arrière-grands-parents dans les années 20. « Je n’ai toujours connu que la même rue » s’excuse-t-il presque en haussant les épaules. Cette ville de Somain, il lui voue un attachement terrible. Après avoir obtenu de justesse son baccalauréat, en 2006, il commence un BTS en comptabilité dans le même lycée. Pas par vocation, mais « uniquement pour rester à Somain ». Il redouble sa première année, et n’obtient pas le diplôme. De toute façon, il n’y tenait pas, à ce sésame. Ce qui l’intéresse, en revanche, c’est la région, et les découvertes qu’il y fait.
  Du blog à Wikipédia
  En mars 2003, Jérémy a 15 ans. Un après-midi, pour tuer le temps, il entreprend de suivre l’une des voies ferrées minières, qui se rejoignent toutes à Somain. Il fait plusieurs kilomètres. « J’ai même traversé l’autoroute ! » se souvient-il, amusé. Par la suite, l’adolescent passe le plus clair de son temps dans la nature. Chacune de ses sorties devient l’objet d’un reportage photo, à commencer par la fosse Lambrecht, à Wallers. Il crée un blog, sur lequel il liste les fosses et les puits. « Sur Wikipédia, il existait déjà quelques rares articles, mais mal faits. Alors je me suis lancé. », poursuit le jeune homme aux lunettes fumées. En 2011, il poste très exactement 13.750 photos sur Wikipédia, et devient le 2ème contributeur mondial d’images sous licence libre.
  Une activité dévorante, à laquelle il s’adonne souvent plus de 40 heures par semaine. Pour ce travail d’illustration, il n’obtient presque jamais de rémunération. Faute de mieux, il se contente des minima sociaux, ainsi que de vacations comme guide-conférencier à la fosse d’Arenberg. Pour ne pas faire de frais, il habite chez ses parents, et se passe de téléphone portable. Il ne fait pas mystère de son adhésion au Front National, mais n’a pas renouvelé son adhésion cette année, par souci d’économie. Soudain, il lève la tête, son sourire disparaît. Son vélo, accroché à une barrière, a disparu : on lui a volé son précieux VTT ! Il ira porter plainte au commissariat, pour le principe. N’empêche. Plus qu’un kilomètre, et il franchissait la barre des 1.900…
    Repères:
  26 mars1988 Naissance à Somain (Nord)
2003 Première expédition dans le bassin minier
2006 Obtient son baccalauréat ES
2011 Met en ligne 13.750 photos du bassin minier sur Wikipédia
2013 Est engagé comme guide-conférencier vacataire à la fosse d’Arenberg
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figureslibres · 12 years ago
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Valdir Martinez, une vie de patience
  Lorsqu’il s’exprime, le sourire de Valdir Martinez, 31 ans, contraste étrangement avec son métier, qui exige de lui un froid de marbre : depuis une dizaine d’années, six heures par jour et plus de six mois par an, il exerce la profession de « statue vivante ».
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  En cet après-midi de novembre, l’hiver semble presser l’automne de lui céder le pas. Aujourd’hui, à Bordeaux, le thermomètre affiche seulement 3 degrés. Pas de quoi effrayer Valdir Martinez, qui reste impassible aux assauts du froid. Dans la rue Sainte-Catherine, entre la Fnac et un magasin de vêtements, la foule se presse devant lui, presque sans discontinuer. Ramassé en lui-même, c’est à peine si le jeune homme l’aperçoit. Quand il devient statue, après toute une heure passée à se maquiller et préparer son costume de scène, Valdir ne pense plus à rien, n’entend plus critiques ni éloges.
  Né au Brésil d’un père portugais et d’une mère brésilienne, Valdir a rencontré son art en Espagne. Il était sculpteur de sable, quand l’un de ses amis l’a initié aux statues vivantes, qu’il n’a plus jamais quittées. Pendant de longs mois, il a appris des techniques de respiration particulières, s’est familiarisé avec des postures de yoga et de tai-chi. Le personnage qu’il a choisi d’incarner aujourd’hui, c’est celui du casal de barro, un repriseur de filets de pêche. Intrigués, les passants s’arrêtent un instant devant cette statue de marbre, vêtue d’un imperméable et d’u chapeau de pêche. Valdir ne cille jamais, même lorsqu’un enfant s’approche pour le toucher du bout du doigt. Avec le personnage du casal de barro, comme avec ceux du carpintero (le menuisier) ou du barrendero (le balayeur), il a fait plusieurs fois le tour du monde. En septembre dernier, il a même représenté l’Espagne au mondial des mimes, le World Statues festival, qui a réuni en Hollande près de 300 mimes des cinq continents. Avec sa compagne, il y remporte le prix de la meilleure création.
  « Le public de la rue est difficile… »
  D’aucuns prétendent que sa discipline viendrait d’Egypte, ou encore de Grèce. Sur le mont Olympe, des soldats se seraient déguisés en statue, pour tromper l’ennemi. Peu importe. Pour Valdir, le mime est devenu une affaire de famille : sa femme et son fils, restés en Galice, sont également immobiles à leurs heures. Ses tournées, Valdir préfère les faire seul, dans sa caravane aménagée. Libre d’aller là où ses pas le portent. Il est arrivé à Bordeaux trois jours auparavant, mais n’y restera pas très longtemps. La destination suivante ? Peut-être Montpellier, ou Genève. Il n’ira plus à Lyon, où des jeunes lui ont arraché son couvre-chef, ont cassé sa jarre, et mis leurs doigts dans ses yeux. « Le public de la rue est difficile », explique-t-il, résigné. Il aime mieux l’Allemagne ; « Düsseldorf, tout ça… ». Là-bas, le public est plus poli, et apprécie son art. Car ce n’est pas pour l’argent qu’il a choisi cette profession exigeante, qui l’expose à tous les vents. Valdir aime son métier, et méprise les mauvais mimes, ceux qui copient son personnage, ou se peignent mal le visage. Les autres, les professionnels, il les invite parfois à dîner. Dans sa caisse à outils, les flâneurs déposent un peu de monnaie.
Avec certains costumes, il gagne plus qu’avec d’autres, sans pouvoir l’expliquer. Il arrive à vivre. Ce qui compte, c’est le public, les rencontres, comme celle de l’écrivain Paolo Coelho, qui l’a un jour invité chez lui. Le futur ? Il n’y pense pas, c’est loin…Ce qui est sûr, c’est qu’il continuera de créer des personnages, qui lui succèderont peut-être. De la sorte, il deviendrait « presque immortel »…
(novembre 2012)
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figureslibres · 12 years ago
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Cyd Sailor, verticale ballerine
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Bordeaux, rue du Palais-de-l’Ombrière.Entre les murs de pierre blanche de la salle de danse, Mathilde s’élance dans les airs. Son image se reflète de miroir en miroir, de sorte qu’elle paraît démultipliée. Avec une facilité déconcertante, elle s’enroule comme un jonc autour de la barre argentée. Son corps semble ne rien pouvoir refuser à l’expression de sa volonté. Fixés au plafond, des néons de couleur qui éclairent la pièce font naître des reflets brillants sur la peau translucide.
Sur scène, Mathilde devient Cyd Sailor. Un pseudonyme qu’elle a choisi il ya déjà plusieurs années, en un double hommage anglophone à la mer et à l’actrice Cyd Charisse de Chantons sous la pluie. « Un film que j’ai vu des centaines de fois ! » s’exclame la jeune fille en replaçant du doigt la queue de ses boucles d’oreille, en forme de cerise.
A seulement vingt-trois ans, Mathilde est devenue l’une des plus grandes danseuses françaises de sa discipline. La pole dance, elle la découvre un peu par hasard, par le biais d’un clip de rock en noir et blanc des White Stripes dans lequel Kate Moss se trouve confrontée à sa verticalité. « Elle volait littéralement dans les airs, c’était magnifique ! » se souvient Mathilde, qui ne pratique encore que la danse classique. « Avec une petite poignée d’euros en poche, je me suis inscrite à un cours de découverte, en 2009. Ces sensations, cette liberté, je les ai immédiatement aimées ! »
Le ver est dans le fruit : en très peu de temps, la discipline finit par orienter la plupart de ses décisions. « J’ai d’abord fait un stage en communication au Pink Paradise, sur les Champs-Elysées, pour être près des danseuses» explique Mathilde. Un matin, dans le RER qui la conduit sur le lieu d’un énième stage de marketing, elle choisit de donner une autre direction à sa vie. Et s’envole pour un an à New-York, dans les pas des grandes danseuses qui ont su y développer leur art. A son retour, en 2011, elle terminera cinquième lors des championnats de France de pole dance, organisés au théâtre Déjazet à Paris.
  Origines sulfureuses
  Sous les projecteurs, Mathilde endosse aussi bien le costume d’un marin que celui de l’incendiaire Jessica Rabbit. « Je fais de la pole burlesque, très cabaret, mes numéros sont toujours à mi-chemin entre les deux disciplines ! » explique Mathilde. Les réactions du public sont sans équivoque. « Quand j’ai commencé, la plupart des professeurs de pole venaient du strip-tease. Aujourd’hui c’est différent, complètement dissocié. C’est dommage, plus personne ne veut faire du sexy ! » regrette-t-elle. Pour gagner en crédibilité, la discipline tente d’échapper aux fantasmes et amalgames faciles avec le lap dance.
Si un nombre croissant d’écoles de pole dance a vu le jour en Europe ces dernières années, il reste difficile de vivre de cette toute jeune discipline, comme s’y essaie pourtant la superstar américaine Jenyne Butterfly, qui multiplie les workshops autour de la planète.
Avec deux danseuses, Diane et Axelle,  Mathilde, a finalement choisi d’enseigner à son tour cette discipline en Gironde. Depuis le 17 octobre 2011, date de sa création, l’Electrick Pole Studio de Bordeaux ne désemplit pas. « La discipline passe encore assez inaperçue, mais je vois de plus en plus de filles s’y inscrire. A la télévision, j’ai même vu Audrey Pulvar et Patricia Kaas s’y essayer ! » note Mathilde, amusée. Quelques hommes s’y mettent également, avec des figures différentes, plus en force. Et pour cause : la pole dance reste un domaine susceptible d’offrir à ses danseurs des milliers de possibilités : beaucoup de figures sont encore à inventer, et d’enchaînements uniques à imaginer.
 « Et si tu crées une figure, tu peux même lui donner ton nom ! » explique Mathilde avec un sourire franc. Dont acte !
  Genèse
Des origines de la pole dance, on sait finalement peu de choses, et les hypothèses se succèdent pour s’invalider tour à tour. D’aucuns prétendent qu’elle serait née au Canada dans les années 1920, autour des barres qui soutenaient les petites tentes foraines dans lesquelles les Hoochie-Coochie se livraient à des danses suggestives.
Dans les années 50, la barre fait l’objet d’une récupération dans le milieu du striptease, et devient un support destiné à soutenir les déhanchements des filles.
Une étape décisive sera franchie dans les années 90 par la canadienne Fawnia Mondey, qui crée des figures qu’elle tente de populariser sous forme de vidéos. 
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