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Quatre-vingt-dix
L’odeur d’un vieux tube de maquillage retrouvé me fait fermer les yeux pour mieux me souvenir. En les ouvrant, j’ai 12 ans, des brillants mauves sur les joues, une ligne blanche sur chaque paupière, une queue de cheval et tout l’optimisme du monde.
Mon sport préféré est d’inventer des chorégraphies de danse-gymnastique-cheerleading qui ne connaîtront jamais de finale ou de finalité pendant un party pyjama à deux chez ma meilleure amie Jess, au son de Britney Spears qui joue à Musique Plus sur un cinéma maison gros comme trois éléphants dans son sous-sol en tapis beige.
Notre plus grande angoisse est de se faire attraper en train de voler des biscuits ou de la crème glacée à deux heures du matin dans la cuisine pour mieux alimenter nos fous rires suraigus de filles-femmes-en-devenir qui s’excitent pour un ouï-dire ou une note de l’ami de notre kick passée dans l’autobus.
Je ne vis que pour quelques moments d’intensité, où la fébrilité de bafouiller trois mots à P m’occupe tout entière et dont le seul souvenir peut me sustenter pour les semaines à venir.
Une douzaine d’années plus tard, il ne reste plus de cette intensité qu’une odeur ténue au fond d’un tube de brillants en gel désséché et la sensation fantôme, malgré moi de plus en plus distante, de mon coeur surexcité de préadolescente qui bat plus vite et plus fort qu'il ne le fera jamais.
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Pelleter des nuages

Quand tu étudies pour devenir pelleteuse de nuages, tu t'attends à entendre plein de blagues sur les pelleteux de nuages. Ça rend pas les blagues meilleures, mais au moins tu t'y attends. C'est déjà ça. Tu le sais, que c'est pas tout le monde qui aime ça, les nuages. Tu le sais que ça fait mal au cou de les regarder tout le temps, la tête en l'air. Pis ça donne une drôle de position, se promener la tête en l'air pour regarder les nuages. Ça fait snob. Les gens aiment pas ça.
À Noël, au Jour de l'an, à Pâques, quand tu vois ta famille, il faut toujours que tu réexpliques ce que tu étudies. Pelleteuse de nuages, c'est dur à se rappeler."Pelleteuse de quoi?" "Gosseuse de nuages?" "Sauveuse de cumulo-nimbus?"
Des fois, il y en a des plus hardis qui te demandent sur quoi tu travailles. Ça a l'air de les intéresser. Jusqu'à ce que tu sois rendue à l'avant-dernière phrase de ton pitch de vente de nimbostratus. Là, ça les intéresse plus tant. Ils font comme une overdose soudaine, faut surtout pas que tu finisses ta dernière phrase, ça pourrait être dangereux.
"En tous cas, faut aimer ça." Ouais, c'est ça.
Quand tu cherches un emploi de pelleteuse de nuages, c'est là que tu réalises que les nuages sont dans le ciel, pis que toi, t'es encore à terre. Tu pensais être sur une montagne - une montagne, c'est toujours ben plus proche des nuages que le plancher des vaches -, mais tu viens de te rendre compte que ta montagne, c'est juste une petite colline au fond d'une vallée ben, ben, ben profonde. C'est juste qu'il y avait du brouillard avant, pis t'avais pas vu les autres montagnes pas mal plus hautes tout autour.
Fait que tu t'assois dans le gazon sur ta petite montagne niaiseuse, pis t'attends un appel du ciel. Parce que t'as lancé plein de feuilles de papier avec ton numéro de téléphone pis plein de beaux adjectifs dans le ciel pour essayer de pelleter des nuages professionnellement (maintenant on fait ça avec des documents PDF, mais on va dire des feuilles de papier, c'est plus beau pour l'image). Mais on dirait que ta montagne est trop petite, pis que tu lances pas assez haut, parce que tes feuilles te retombent dans la face, pis personne t'appelle. Sauf, t'sais, des fois, un conseiller Desjardins. Ou ta mère, à partir d'un téléphone dont t'avais jamais vu le numéro. Juste pour te donner des petits papillons dans l'estomac quand tu vois un numéro inconnu sur ton afficheur.
Esti que j'haïs ça, les papillons.
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La guerre

Ça fait un bout que mon intérieur est en guerre. Souvent. Pas à tous les jours. Mais beaucoup. Des fois, la guerre est plus douce. Les soldats ont peut-être un peu d'empathie pour ceux de l'autre côté. D'autre fois, on dirait que tous les camps sont en train de s'entre-annihiler au grand complet. Avec la Terre, la Lune, pis la galaxie aussi.
Le problème, c'est que personne ne sait pourquoi cette guerre-là se guerroie. C'est comme toutes les guerres, finalement: ceux qui la font ne sont pas au courant des pourquois de ceux qui les ont forcé à être là. Et ça se bat, parce qu'une fois rendus là, il faut bien survivre.
Bon, la différence, c'est qu'ici, la personne qui a envoyé tout le monde au front n'a jamais envoyé personne au front. Mais tout le monde est là quand même. C'est une sorte d'initiative citoyenne. Mais violente. Désagréable. Tout ça pour dire que ma guerre intérieure fait des dommages collatéraux. Mon humeur, for one. J'arrête pas de sentir des coups de feu dans mes tripes; ça me fait faire des grimaces. Ça fait que je reste chez moi. C'est déjà bien, je me lève, je bois un café sans trop le goûter, je mets du tissu sur mon corps. Je me mets même une face, des fois. Mais j'ai peur que les autres voient ma guerre. Ils ne comprendraient pas. Ça fait que je creuse mon spot dans le divan; j'use ma chaise de cuisine. La tête dans l'internet, le corps dans mon appartement, je m'imagine une autre vie. Je m'imagine un autre intérieur, pas de guerre celui-là, juste du coconut, du caramel, de la musique, plein de livres pis du café.
Si je l'imagine assez bien, si je me concentre assez fort, ça va être comme si c'était vrai, c'est ça?
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