Tumgik
metoo-emma · 4 years
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Histoire de sexisme banale d’une jeune fille de 21 ans
#metoo
Mes premiers souvenirs d'agressions sexuelles remontent à ma très jeune enfance, je vais parler de ceux dont je me rappelle.
Mes parents m'emmenaient fréquemment à des concerts, et dans la foule, il pouvait arriver que des hommes adultes me fassent des attouchements ou collaient leur sexe contre moi. Des fois, ça pouvait être des garçons de mon âge, comme cette fois de mes 13 ans où je suis allée à un concert avec un ami et j’y ai rencontré un garçon d’environ 1 an de plus que moi qui me plaisait. Mon seul souvenir de cette soirée est d’avoir été tétanisée tout le long du concert car j’avais sa main qui tâtait mes fesses.
A mes cours de natation, mon prof me faisait faire des exercices spéciaux en dehors de la piscine pour apprendre un mouvement spécifique d’une nage: je devais m'asseoir par terre, écarter les jambes et les bouger de manière répétitive vers l’extérieur. Lui se mettait debout face à moi et ça lui permettait d'admirer mon entre-jambe à chacun de ses cours. J'avais 11 ans, j'adorais nager et j'ai dû dire à mes parents que l'eau me faisait mal aux oreilles pour pouvoir arrêter d'aller à ses cours. Aujourd’hui, je n’arrive plus à remettre les pieds dans une piscine.
A l'école, les garçons soulevaient nos jupes et nous touchaient les fesses. C’était un jeux pour eux, pas pour nous.
Novembre 2015, un homme me drogue au GHB à une soirée. Je suis complètement défoncée et, bien mon profond désintérêt de départ pour lui, je lui propose qu'on aille chez lui. Mes seuls souvenirs sont d'avoir eu des rapports non protégés avec lui, de vouloir rentrer chez moi le plus vite possible et de ne pas savoir comment car je ne pouvais même plus marcher droit. Je me réveille dans un train entourée d'une dizaine d'hommes et effrayée car je savais que j'aurais été incapable de me défendre dans mon état. Plus tard, j’apprends que le GHB provoque du désir sexuel. 1 an après, je décide de porter plainte pour viol. Je suis pendant 1 heure dans une pièce avec une psychologue qui, au lieu de prendre des notes, dort (et même ronfle) et un policier qui me pose les questions du genre: "aviez-vous bu ? et combien aviez-vous bu ? pourquoi venir déposer plainte avec 1 an de retard ? et pourquoi pensez-vous qu'il s'agit d'un "viol" comme vous dites ?".  A la fin de l’entretien, la psychologue et le policier en question entament une conversation sur des cas de pédophilie graves sur lesquels ils sont en train d’investiguer, en face de moi, pour bien décrédibiliser mon histoire et me rappeler ce que c’est vraiment un “viol grave”. J’avais 16 ans, et l'affaire n'a eu aucune suite.
Aout 2017, suite au choc d’une agression que j’ai subie par 6 hommes dans la rue, je décide de partir me réfugier dans les bras de mon ex copain qui habitait Paris. Nous logions dans le quartier de La Chapelle, où j’étais regardée, suivie et insultée tous les jours en y marchant dans la rue. Un soir, fatiguée de ces harcèlement incessants, j’explose en pleurs. Je veux prendre une douche, mais suis beaucoup trop mal pour pouvoir me déshabiller en face de quelqu’un, surtout un homme, même si cet homme est mon copain. Mon ex le remarque, pique une crise et me juge. Je suis dégoûtée de sa réaction, je ne suis plus à l’aise dans cet appartement en sa présence alors je décide de sortir, tout en sachant que la nuit était tombée et qu’il ne fallait pas se promener seule dans les rues la nuit. Je marche et une voiture commence à me suivre pendant bien 5 minutes, alors je me réfugie dans la réception d’un hôtel où j’explique au réceptionniste pourquoi je suis là et me dit que je peux rester me cacher dans la réception autant de temps que je veux. On parle de tout pendant bien 20 minutes, notamment du contraste entre son homosexualité et la famille conservatrice qu’il a. Il me propose d’aller fumer un joint dans une des chambres pour sa pause. Je refuse, et après encore 20 minutes de discussion il re propose, j’hésite, et finalement j’accepte. On fume le joint, on parle. Il me dit qu’il doit descendre au sous-sol car des amis à lui y sont en train de jouer aux cartes et il veut voir comme ils vont. J’attends 5 minutes et je me dis qu’il faudrait que je rentre car je commence à être fatiguée, mais que je préfère attendre qu’il revienne pour pouvoir le remercier pour le joint et le saluer. J’attends encore 5 minutes, et il n’est toujours pas revenu. Je décide alors de descendre à la réception de l’attendre là-bas. En y étant, j’entends des voix qui viennent du sous-sol. Je m’approche pour écouter et j’entends sa voix dire: “si je la prends, je la prends par le cul”, et d’autres voix rirent: “ahah, si tu fais ça, elle va te dénoncer à la police, et tu vas perdre ton boulot”. J’ai fui en courant, et je pense n’avoir jamais couru aussi vite que ce soir-là. Si je n’étais pas descendue à la réception et n’avais pas entendue ces voix, la pire des choses me serait arrivée ce soir-là dans cette chambre.
Août 2019, je me sépare de mon copain pensant que c’était pour de bon, que la séparation était définitive. Je me retrouve à être logée pendant quelques jours chez un de ses amis car je dois donner un DjSet lors d’un événement qui se trouve chez lui quelques jours plus tard. Il est gentil, il me réconforte quand je pleure de ma rupture et me fait des compliments. Et un jour il me dit que je lui plais. Jusqu’à là, je ne m’étais jamais rien imaginé avec lui, mais après sa déclaration je me suis dit: “pourquoi pas”. Le soir, nous dormons ensemble, et au milieu de la nuit il m’embrasse, mais se retire en disant “c’est mal, j’ai une copine et je suis ami avec ton ex”. Je dis: “ok”. Le soir d’après, nous couchons ensemble. Je me suis laissée porter par le désir, et ça m’a fait du bien. Je m’étais dit que ça allait juste être une histoire de flirt qu’allait durer un week-end, et après c’est tout. Après ça, il ne se passe plus rien, jusqu’au dernier jour où je décide de dormir dans son lit car je n’en peux plus de dormir par terre dans son salon trop froid. Le matin, s’apercevant que je me réveille, il se met à m’embrasser me faisant comprendre qu’il avait envie de moi, je me dis à nouveau “pourquoi pas”. On s’embrasse, je lui fais une fellation, et tout d’un coup, il se met à se masturber, tout seul. Et moi je suis assise, là, en face de lui, en train de me demander qu’est-ce qu’il est en train de se passer…Jusqu’à ce qu’il me dise: “suce-moi” et qu’il prenne soudainement ma tête pour mettre sa bite dans ma bouche et y jouir. Je suis sous le choc, et en suite je me dis que moi aussi, je veux du plaisir. Je monte sur lui, je me frotte et le caresse, et il ricane en me disant: “mais… j’ai plus envie moi, haha”. Je suis sous le choc, je ne comprends pas ce qu’il vient de se passer, mais je sais que ce n’était pas ok.
Après ça j’essaie de lui expliquer en quoi c’est pas ok d’utiliser les gens pour son propre plaisir, que le sexe à 2 personnes se fait à 2 personnes, que ce qu’il venait de se passer, c’était violent. Il le prend mal, il est sur la défensive, et après admet qu’il pense qu’il a fait ça inconsciemment pour me dégoûter, car il voulait que ça s’arrête entre nous. La première personne à qui j’en parle m’avait vue fuir de chez lui en pleurs, et j’ai juste eu le droit à un: “Emma, t’arrives tout juste à Bruxelles, ne te mets pas dans des histoires comme ça.” J’ai pleuré pendant des jours, je me sentais agressée, déshumanisée, salie, humiliée.
Pendant les mois qui ont suivis, je l’ai recroisé à plusieurs évênements, et à chacune de ces fois-là il est venu me parler. Soit pour me crier dessus, en pleurs, en me disant que je suis immonde par mon comportement car je l’évitais, et que ça faisait de lui une victime. Soit pour me dire que j’ai gâché sa vie, qu’à cause de moi il pensait “qu’il était un violeur” et qu’il n’en dormait plus. Chacune de ces fois-là, c’était une agression de plus. J’ai jamais rien demandé, j’ai jamais voulu qu’il vienne me parler.
Janvier 2020, je vais chez lui récupérer des plantes que son coloc m’offrait, j’étais certaine qu’il n’allait pas être là. Il me voit sur le pas de sa porte prête à partir et évidemment, encore une fois, il vient vers moi, et c’est à 3 cm de mon visage qu’il commence son palmarès d’enchaînement d’insultes: “Si je t’avais vraiment violée, tu ne serais pas revenue ici.”, “T’étais juste frustrée que je ne veuille plus te baiser alors t’as inventé des histoires de viol.”, ça ne s’arrêtait pas, il me criait dessus, j’avais des plantes trop lourdes dans la bras qui m’empêchaient de partir et je lui demandais de se taire, de me laisser tranquille, j’ai demandé de l’aide à son coloc qui m’a dit que ça ne le regardait pas. Je me refaisais agressée une fois de plus, mais une fois de trop: suite à ça, impossible de sortir de chez moi pendant des mois, par peur de le recroiser. Mon copain a reçu un mail de lui qui disait que si il m’avait vraiment violée, je ne serais pas allée baiser avec tous ses amis, dressant une liste de noms d’amis de mon copain à qui j’avais à la limite parlés quelques fois. C’était devenu du harcèlement. Mon copain a dû lui demander de me laisser tranquille, pour qu’il me laisse vraiment tranquille. Ce qu’il ne semble même pas vraiment avoir compris, car juin 2020, je l’ai croisé dans la rue et il m’a suivie avec son vélo. J’ai dû me mettre à courir pour qu’il décide de partir.
Dans toute cette histoire, j’ai jamais utilisé le mot viol, j’ai jamais partagé cette histoire publiquement par peur des représailles, j’ai même essayé d’entamer conversation avec lui au début, mais rien n’a y fait. Par la suite, tout ce dont j’ai toujours voulu, c’était qu’il me laisse tranquille, et ce simple souhait a été violé et re-violé sans relâches.
Aujourd’hui, j’ai 21 ans, et je ne peux plus compter le nombre d’hommes qui m’ont suivie dans la rue, ni le nombre d’insultes sexistes que j’ai reçues sur les réseaux sociaux, je ne peux plus compter le nombre d’hommes qui ont mis leur main sur ma tête, pensant que j’étais au service de leurs désirs, et je ne peux plus compter le nombre de fois où on a minimisé ce que j’ai vécu. Mon histoire est banale, mon histoire est semblable à la vie de n’importe quelle fille de 21 ans. Les agressions sexistes dans nos vies sont continues, quotidiennes. Et tant que je serai en vie, ce texte sera inabouti. 
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