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THE WATCHER REBORN
End Game – Tania Bruguera 
La partie centrale des ateliers de construction du théâtre Nanterre-Amandiers se sont transformés, vidés, pour laisser place au gigantesque dispositif scénique de la metteuse en scène, plasticienne, artiste cubaine Tania Bruguera. On entre dans la machine baisse la tête monte les marches trouve une place sans voir la scène. Des têtes de spectateurs s’extraient des fentes vaginales et virginales de la toile blanche. Têtes de bébés attentifs qui attendent que quelque chose finisse.
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Ca va finir et d’abord ça commence. Mais quoi alors. De quoi parle ce texte, qu’est ce qui finit par finir. La vie la journée le temps au sens large ou le temps de la pièce de théâtre. La lecture de Tania Bruguera semble aller largement dans le sens de cette dernière proposition. La méta théâtralité donne l’écho à un texte anglais qui résonne incroyablement dans le blanc des murs. 
  Lorsque ce texte nous perd, le dispositif nous garde éveillé en nous renvoyant à notre condition de voyeurs dans l’âme. On regarde la meuf à droite, le gars en face. Moi je jette de temps en temps un regard inquiet à Vincent, j’ai peur qu’il trouve le temps long. Parfois je me retire pour observer l’échafaudage pour mieux revenir dans la pièce. Quatre rappels d’applaudissements. On éteint les lumières alors que les mains battent encore. Quand on sort Vincent n’a pas vu passer le temps il se pose des questions et il y a de quoi c’est vrai. Tania Bruguera est parvenue à ouvrir le texte dans cet espace clos et à le faire résonner jusqu’à nous. Elle fait accoucher notre âme de spectateur/voyeur en nous confrontant à notre naissance dans un blanc clinique.
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Photos Ricardo Castelo / John Romão
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Hier matin je riais jaune devant cet article de l’Express:
http://www.lexpress.fr/actualites/1/culture/le-theatre-prive-fait-pression-pour-acceder-aux-scenes-publiques_1943106.html#Go3tzu9EjquFD6Hd.01
Me demandant si c’était le propre de l’humanité d’en vouloir toujours plus, ou si cette affection ne touchait que ceux qui en avaient déjà beaucoup. 
Je n’avais pas de réponse, bien évidemment, et m’en allait pouet pouet de bonne humeur, me rendre dans ma structure subventionnée. 
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Et comme je ne suis pas à une contradiction prêt, le soir même, j’allais au République, voir un spectacle dont le prix du billet. Je ne sais pas comment finir cette phrase mais vous m’avez compris. 
Mon mec et (et à) moi, on allait voir Haroun. Du stand up. Du OneManShow. Du rire facile. On s’était dit merde on est à Paris ce mec nous fait marrer on va le voir. 
On est arrivés avec un peu d’avance et la salle était déjà FULL. Les premiers rangs envahis, on s’est assis où on a pu. 
Comme d’habitude j’ai commencé à regarder les gens qui peu à peu formait le public. J’expliquais à Vincent (mon mec s’appelle Vincent), qu’à mon grand désespoir je n’avais jamais vu une salle aussi bien remplie. 
Déjà parce qu’elle était remplie. 
Et ensuite parce qu’elle était complètement remplie de gens complètement différents. 
Enfin parce qu’elle était remplie exclusivement de gens venus de leur plein gré. 
Je lui expliquais aussi dans les grandes lignes, comment le théâtre public et privé se guerroient à coups de clichés dont voici un petit échantillon :
Théâtre public = contemporain = chiant = argent public = places pas chères = populaire dans le sens engagé
Théâtre privé = boulevard = humour = trop facile = marketing = places chères = populaire dans le sens beauf
MAIS 
C’était sans compter que Haroun lui-même, avait décidé d’en faire un sketch. Ce sketch qui marche toujours : la parodie du théâtre contemporain. D’un coup, il se met à dire les paroles Alexandrie Alexandra de manière totalement absurde et en expliquant ensuite que son metteur en scène l’a poussé à faire cette proposition. Qui effectivement marche très bien. Et d’ajouter quelques vannes sur les sorties scolaires au théâtre et que c’est nos impôts qui paient ça. 
Je suis une hippie utopiste qui aime croire qu’on pourra un jour, théâtre privé et théâtre public, vivre en harmonie ensemble sans se bouffer la gueule. Mais pas aujourd’hui. 
Je laisse les Robins des bois conclure : 
https://www.youtube.com/watch?v=By1MH_7M8PY
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LAPIDEZ-MOI QU’ON EN FINISSE
J’arrive, le tas de pierre, la lapidation, l’immobilité des femmes, les chants, les chœurs.
 Rien ne bouge, à peine leurs lèvres. J’ai l’impression qu’elles ne vont jamais bouger.
 Mais elles finissent par se lever. Et elles marchent lentement. Tellement lentement.
 Il ne se passe rien que je comprenne. Je n’entends rien que je comprenne.
Aucun sur titrage ne vient traduire les mots chantés.
Cette balle banche jonglée, j’apprends plus tard qu’elle se nomme Poï.
Cette danse de la dame blanche, agressive, menaçante. Haka ?
Une main sur le visage, l’autre tendue tenant la balle blanche. Justice ?
La danse effrénée des gestes répétés. Le quotidien ?
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 ©Audrey Scotto
Puis arrive la mort. Le sang coule sur le visage, venu de nulle part.
Les rites, les cérémonies. Chants et danses macabres.
 Rien que je ne comprenne. Mon esprit travaille et imagine tout.
 Mais les femmes
Toujours les femmes
Toujours plus fortes
Toujours plus grandes et plus belles
 Elles se battent, combattent, résistent.
 Mais contre quoi ?
Les victimes de bourreaux invisibles
Les grands absents de la scène
Les oubliés de leur propre crime
 Ce crime toujours pas dénoncé
Toujours pas pris à la racine
Toujours tu
 On se tue à nous montrer les femmes qui se battent contre l’injustice, la violence. Comme si elles étaient elles-mêmes la source de cette violence. Aucun homme responsable.
 La lumière grandiose participe à développer l’imaginaire entre le néon qui aveugle et le noir qui obscurcit. Les femmes se déplacent dans le noir pour donner à voir ou pour cacher. Leur visage est froid, impassible, inexpressif. Jusqu’au salut.
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CE QU’IL ME RESTE DE : Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant
Deux mois après avoir vu Darius, Stan et Gabriel contre le monde méchant de Claude Schmitz aux HTH de Montpellier, il reste des images et des émotions, quand même un peu. 
Il me reste la scénographie : trois espaces pour trois temps. 
TEMPS 1 - La réflexion réelle. Côté cour c’est le réalisme d’un appartement qui m’a tout de suite fatigué quand je l’ai vu. Des meubles, une colocation anarchique, des dessins au mur, un faux chien et un jeune qui skype avec un ami africain pour préparer son voyage. C’est le moment de l’intrusion, du ras-le-bol, la goutte d’eau qui fait déborder le vase, le départ. 
TEMPS 2 - L’action fantastique. On vole une voiture au copain clodo et on prend l’autoroute du soleil. Côté jardin la vieille merco ne bouge pas mais elle fait de la musique, elle fume, elle clignote. Le rideau descend et le théâtre laisse place au cinéma. Je m’étais dit, quand même, l’action quitte la scène, le corps s’efface, l’image s’empare du vivant. Ca me faisait un peu chier. Mais c’était beau. 
TEMPS 3 - La folie fantomatique. Plus que des ombres au fond de la scène. Les personnages se sont enfermés dans leurs erreurs, ils errent, bloqués au fin fond d’une cave qui n’existe pas. Le cannibalisme pour survivre. Le mythe de la caverne sans la lumière. 
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Photo © Clémence de Limburg 
Et puis il me reste la fin. Tout d’un coup, toute la scène envahie, occupée, explosée. La musique, la lumière et le délire comme une apothéose schizophrène qui donne sens à l’ensemble, qui relie les trois temps. Sans ces dix dernières minutes, la pièce serait tombée à plat et m’aurait laissé un gout amer. Mais elles me permettent d’accepter le délire, de me détendre et de ne pas trop intellectualiser en acceptant l’ingéniosité des passages du théâtre au cinéma. 
Il me reste l’impression d’un jeu surfait en première partie. Mais il me reste surtout la poésie des images sur l’écran. Un total WTF qui fait passer la pilule. 
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image : Florian Berutti
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NOIR OU BLANC
Les vérités ne sont pas toujours évidentes. Pas toujours posées là, au milieu de votre figure, gratuites. Ni toujours d’une couleur claire et reconnaissable. Ni même acceptables.
  Ô toi que j’aime ou le récit d’une apocalypse, c’est cette couleur pas très nette, entre la violence et l’espoir, l’extrémisme et l’amour. C’est l’homme qui devient son propre contemporain, qui prend du recul, se regarde et ne se comprend pas, ou plus. C’est l’amour qui ne résout pas tout.
Au théâtre des Doms, dans le cadre des Francophoniriques II, la lecture a duré 2h30 sans que je subisse le texte. Chose rare ce soir-là, je l’ai entendu et il m’a parlé. Je l’ai même regardé, hypnotisée. Les instruments, le chant des femmes, la bienveillance des comédiens.
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Photo - Emile Zeizig - Mascarille 
Le jeu, la scénographie, la mise en scène et le texte sont en création et annoncent déjà la couleur d’un spectacle bouleversant. Je me suis trouvée là, devant la scène d’un théâtre qui me laissait libre. De rire, de voir la violence, de comprendre et de perdre le fil, de verser une larme et de me donner le temps.
 Faut-il en dire plus.
 Ô toi que j’aime, le 11 juillet au théâtre Gilgamesh, Avignon.
Textes et Mise en scène : Fida Mohissen Création musicale : Fawaz Baker, Michel Thouseau - Création sonore : David Couturier - Vidéo et espace numérique : Benoît Lahoz - Scénographie et Lumières : Fida Mohissen - Assistanat mise en scène : Amandine du Rivau Avec : Malik Faraoun, Stépahne Godefroy, Raymond Hosni, Tewfik Jallab, Benoit Lahoz, Hala Omran, Cléa Petrolesi, Amandine du Rivau, Fawaz Baker (Oud/Chant Live), Michel Thouseau (contrebasse/guitare électrique Live) Thêatres des Doms, Avignon
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TA GRÂCE NON MERCI
En sortant du Théâtre des Doms le 25 février, on peut se poser des questions. 
De quoi ne sommes nous pas les esclaves? 
Du système, du déterminisme social, des autres, de la géopolitique, de nous-même. 
Ayelen Parolin ouvre les portes d’une réflexion, questionne la grâce avec force poétique. 
D’abord c’est la contrainte du corps engourdi, ignorant des codes, tâtonnant. Plus il gagne en amplitude, plus elle gagne en assurance. On comprend comment ça marche et son visage parle pour elle. Mais sur son son dos, la carapace de branche, le crucifix étoilé gène, empêche et pèse. 
Il faut faire avec Il faut faire avec IL FAUT FAIRE AVEC  FAIRE AVEC - IL FAUT faire avec. 
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© Thibault Gregoire
C’est triste et drôle. La petite fille dans sa chambre qui apprend comme marche son corps, comment lui donner la force, comme faire avec, avec lui et tout le reste. Comment son corps va trouver une place dans une société qui veut bien d’elle mais à quelles conditions. 
Et puis merde trouver le moyen de lâcher, quitter, s’arracher, s’extirper de cette saloperie. Laisser le poids, se poser là et libérer les mots. 
Elle nous dit alors des choses justes, juste comme ça vient, entre le français, l’anglais et l’accent espagnol. On échange une tasse de thé, on prend un temps, une pause, respiration. 
Mais ça recommence, évidemment. Le poids, la contrainte, la peur de mal faire, le devoir de faire rire, faire bien, vite. Le cycle radical de la lune. Oublier et refaire. Pareil, les même choses, mêmes erreurs, mêmes gestes. 
Ayelen Parolin, la force de refaire, recommencer, tenir bon. 40 minutes seule en scène à tenir bon. Sans paillettes, son corps, juste son corps au travail, à l’épreuve de ce que c’est la vie. Et simplement. 
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ET TOI, TU TE SENS PLUTÔT UNE FEMME OU PLUTÔT UNE PUTE?
Pour sortir énervé(e) du Hth de Montpellier en février, pas la peine d’avoir de grandes idées contrariées sur le théâtre, pas besoin d’être un frustré du TEXTE dramatique, non. Pour sortir la boule au ventre du Centre National Dramatique de Montpellier le 1er février 2017, il suffit simplement d’être une femme - ou féministe.  
Begin the Beguine de John Cassavetes n’avait jamais été monté au théâtre et ce n’est peut-être pas pour rien. Toujours est-il qu’en tant que fan de l’acteur et réalisateur américain, le belge Jan Lauwers s’empare de son dernier texte pour la scène. 
Les hommes sont obsédés par les femmes et avant de mourir, Cassavetes nous en laisse la preuve noir sur blanc dans un texte dont la misogynie s’épanoui avec la mise en scène de Lauwers. 
Le scénario : deux hommes qui ont perdu leur foi en l’amour, cherchent à assouvir leurs questionnements métaphysiques auprès de prostituées qui ne comprennent pas ce qu’ils veulent d’elles. 
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Celui qui croit encore en l’amour avec un grand A, avec tout ce qu’il soulève de plaisirs charnelles, de foi en l’autre, de passion, de poésie et qui cherche un arc-en-ciel, c’est Morris Wine. L’autre, Gito Spaiano, ne croit plus en l’amour et ne recherche plus qu’à assouvir ses pulsions sexuelles. Ils philosophent et baisent. Mais ils ne pourraient pas faire ça entre eux, alors ils font appel à un mac par téléphone qui leur fournit la marchandise demandées: belles, mineures, grosses et moches, intellos ou vraies gourdes. Le mac a un beau panel de gourdasses à leur proposer pour un moment de baise, mais pas seulement. Les deux actrices, Inge Van Bruystegem et  Romy Louise Lauwers sont sommées pendant une heure trente d’enchainer les rôles plus dégradants les uns que les autres. Se changeant en direct à vitesse grand V sur scène, elles se taisent pendant que philosophent les deux hommes et jouent les imbéciles qui ne comprennent pas un traitre mot de ce qu’ils leur demandent; en particulier celui dont le cerveau et le coeur torturés le poussent dans de grand discours métaphysiques à coup de « Si le noir est l’absence de lumière, alors l’amour c’est au moins une porte entrouverte. » ou de “l’amour est la plus effrayante des douleurs”... Navrant. 
  Sur le plan esthétique, la vidéo offre quelques moment poétiques en noir et blanc qui ne suffisent pas à faire oublier le propos et dont on ne peut pas non plus promouvoir la beauté. Les corps nus ne sont pas forcément beaux à voir mais après tout, on joue la carte de la non-érotisation et c’est plutôt touchant. 
Ces deux hommes en mal d’amour, on les appelle “anti-héros” et ça, c’est classe. Et puis les deux femmes, on n’en parle pas plus que ça parce qu’après tout, elle ne sont là que pour souligner la faiblesse de ceux qui sont au centre de la pièce. Là où ça devient encore plus insupportable, c’est quand ces hommes vont jusqu’à dire qu’une femme qui se prostitue n’est plus une femme et là on tombe dans l’ignoble. 
Mais ça va puisque Jan Lauwers explique qu’en fait il a voulu montrer l’inverse : que la pièces est féministe et que le propos est de dire justement que ces sont les hommes les vilains méchants macho perdus dans leur tête de cinquantenaires au bout du rouleau. 
N’empêchent qu’elles ferment bien leur mouilles pendant leur logorrhées philosophiques et qu’elles se contentent d’être belles et à la hauteur de ce que ces hommes attendent d’elles.
Soit belle mais ferme bien ta gueule et donne moi de l’amour.
C’est franchement pas soutenable.
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STRANGE FRUIT
 On peut faire dire beaucoup de choses aux mots.
Quand ils sont bien choisis.
Quand on arrive à les faire résonner.
Quand ils vont bien ensemble.
Quand ils sont réfléchis.
Quand ils sont spontanés.
 Les mots de Yann, les mots de Ogres, ils parlent.
Ils nous parlent de cet amour où naît parfois la violence. De cette chose étrange de refuser l’amour des autres. Ils nous parlent d’un combat contre les injustices et d’une lutte pour l’amour.
 On n’est pas sans arrêt du même côté. Dans la vie déjà. Et dans ce texte, au côté des victimes, des bourreaux, des témoins, des incompris, des pas concernés, des trop concernés.
 Ça résonne dans l’espace. La parole diffuse.
Comme une soudaine odeur de chair brûlée.
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Crédit photo Geoffrey Fages  
La scène coupée en deux, le bois caché derrière le rideau comme un enfant qui attend qu’on le trouve. Juste là. L’endroit de l’enchantement où ça pulse, où ça désire, où ça tue, où ça prie.
 L’intelligence de la mise en scène, la justesse des acteurs qui passent de rôles en rôles et la beauté brute de cet ensemble nous laissent concernés, consternés, sans jugement de valeur et libres.
 Les yeux humides, sonnés, révoltés ou effrayés.
Il n’y a pas de place pour l’ennui. Pas de place.
 La Cie des Ogres poursuit sa route, essayez de croiser leur chemin.
 https://www.facebook.com/ciedesogres/?fref=ts
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UN MONDE A ABATTRE
Le mercredi 14 décembre, nous allons au Théâtre d’Arles, voir Sainte Jeanne des abattoirs et nous rencontrons quelques heures plus tôt, sa metteuse en scène : Marie Lamachère.
Après Buchner voici donc venir Brecht et on se demande s’il parviendra, cette fois, à trouver un écho dans notre contemporain.
Ouvriers contre patronat, crise financière, armée du salut, grève du prolétariat, fordisme ; les thèmes sont lancés et nous plongent dans le Chicago des années 30. Marie Lamachère nous explique qu’elle a choisi la traduction de Pierre Deshusses, la plus récente, qui sort du classicisme pour dépeindre l’humour féroce de Brecht.
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 Le spectacle commence et la scénographie nous rappelle les abattoirs que l’équipe a visités pendant leur travail. Un bloc de béton sur pilier à droite de la scène évoque la froideur des locaux. La pièce s’ouvre sur une vidéo en noir et blanc dans laquelle des groupes de personnes s’affolent. Les acteurs, de chaque côté du public ouvrent un débat pour tenter d’expliquer la scène  et chacun y va de son interprétation. Le dispositif intervient une ou deux fois et on en rit, parce que les acteurs ont l’air tous convaincu par leurs hypothèses qui ne tiennent pas debout. Un rideau de voile monte et descend, permettant de séparer le décor de l’avant-scène et de projeter des images. On discerne bien chaque entité de personnages qui se démarquent par un style vestimentaire et verbal. Les patrons en costard forment une chorale à la voix grave ; les ouvriers en tenue blanche de bouchers s’expriment familièrement et l’armée du salut costumée est une troupe de musiciens.
Au milieu de ces voix, Jeanne Dark, sur qui tous nos espoirs reposent, fait le lien. Malheureusement, son personnage peine à prendre de l’épaisseur : d’enfant naïve qui traite les ouvriers de feignants, elle découvre les manœuvres des industriels et la corruption de ses propres amis. Elle observe le monde, et de ces vérités qu’elle découvre, met à l’épreuve le réel. Mais son dynamisme, ses grands gestes, ses cris, ses larmes et toute l’énergie qu’elle déploie ne changent rien. Petit à petit, les groupes que formaient les trois entités s’effritent et laissent place à des individualités : le spectacle perd son souffle. Le rythme est moins soutenu et le spectacle raconte plus qu’il ne donne à voir. Tout en collant au texte, la mise en scène ne se noie pas dans le didactisme et s’amuse en prenant des libertés qui permettent d’installer une distance entre ce qui est dit et ce qui doit être entendu.
 Le spectacle prend un autre relief lorsque Jeanne demande à comprendre le travail des ouvriers. Pendant environ dix minutes, on diffuse deux vidéos : à droite, un homme explique son travail dans les abattoirs et déroule la chaine de la dissection de l’agneau. A gauche, une autre vidéo illustre le propos : on filme froidement les hommes au travail, dépeçant, égorgeant, vidant les animaux de leurs entrailles. De quoi donner la nausée. La violence des images et la froideur du discours tenu n’épargnent pas le spectateur.
Autre petit éclair de génie sur le travail vidéo autour du personnage de la femme qui attend son mari décédé et qui vend son silence contre dix jours de nourriture. Jouée par une femme visiblement amatrice qui semble venue du ventre de la France, elle apparaît sporadiquement sur un écran. Fantôme oublié. Fantôme en lutte.
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C’est un spectacle de lutte. Lutte des classes. Luttes individuelles. Lutte pour dieu.  Lutte pour son bout de pain. Lutte pour son épanouissement financier. Lutte pour comprendre. Lutte pour agir. Mais lutte vaine.
 On déplore le dramatisme soudain de Jeanne qui se prosterne au sol tandis que le reste de la troupe chante en cœur à la fin du spectacle qui tarde tout de même à conclure.  
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LA MISE À MORT DE LA MORT DE DANTON
Dans la salle des fêtes de la ville d’Arles, une très (très) longue table sépare deux gradins qui se font face. On sait que le dispositif bi-frontal fonctionne bien dans le cas d’un texte politique où les citoyens sont le public et s’observent mutuellement. François Orsoni l’a voulu inconfortable et dans un lieu non dédié à la représentation théâtrale pour faire écho à ces lieux, ces jeux de paumes où se réunissait le peuple en apprentissage d’une démocratie.  
 Ainsi, au premier rang, j’ai pu voir tout le public face à moi, expérimenter l’ennui deux heures durant.
 Les acteurs sont déjà en place quand le public s’installe. Quatre hommes et une femme. Sur la table, des objets factices : perruques, poudriers, cartes à jouer, sculptures, rouge à lèvres et mascara, blaireau de rasage. Autant de gadgets que de raisons de s’inquiéter.
 Mais l’échec de cette mise en scène ne tient pas qu’à son décor.  
 Le texte est inaudible, incompréhensible. Et ça malgré les hurlements incessants de Robespierre, dont le désespoir ne sait transparaitre que dans les crachats de sa logorrhée hystérique. L’acteur ignore le texte, le sens du texte pour n’en laisser que des cris. Sa volonté d’incarner faisait trébucher sa langue sur les mots comme un débutant qui ignore la distanciation brechtienne mais avec l’habilité de l’acteur expérimenté qui nous laisse croire que ça faisait partie du jeu.
On n’est pas dupe.
Et surtout on n’a rien compris.
La direction d’acteur semble slalomer entre spontanéité, distance et incarnation.
Danton s’impose un rythme effréné et monocorde à peine croyable. Le texte est jeté, comme ça, à nos visages sans frôler nos oreilles. Ça va vite et ça parle tellement fort qu’on se croirait pris en otage par un groupe d’acteurs schizophrènes qui jouent 27 rôles à eux seuls. On a du mal à suivre.
 Et on amènera l’argument ultime : la complexité du texte.
Oui c’est dur. Oui c’est intense et riche de théories, de citations, de références et de lyrisme.
Mais on lui a pas mis un couteau sous la gorge ?!
Ils ont un train à prendre ces acteurs ? Pourquoi ils parlent aussi vite ?
Rien ne résonne, les répliques fusent, on ne prend pas le temps de poser les mots, de leur offrir un écho. De leur laisser le temps de mûrir, qu’on les comprenne et qu’on les entende.
 « Là où cesse la légitime défense, là commence le meurtre » « Misérable plaisir de trouver les autres plus mauvais que soi » « Nous n’avons pas de temps à perdre, c’est le temps qui nous perd » « Ce n’est pas nous qui avons fait la révolution, c’est la révolution qui nous a fait » « La vie ne vaut pas la peine qu’on se donne à la conserver » « La révolution vomit des cadavres »
 Enfin ici ce sont surtout les acteurs qui vomissent leur texte à notre figure.
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  Le reste de la mise en scène n’a rien de révolutionnaire. Les effets de lumière n’amènent rien. Ca s’allume d’un côté et ça s’éteint en alternance, sans trop de raisons. Et lorsqu’un des acteurs attrape sa guitare, on se dit que la musicalité, faute de ne pas être dans le texte, le sera peut-être dans le chant. Mais l’alternance entre la parole dite et la parole chantée donne à la mise en scène une allure de comédie musicale non assumée et inaudible, franchement insupportable. On se lamente dans un pathos accompagné de notes de piano et ça sonne faux. La reprise de la marseillaise chantée par un acteur qui n’a clairement pas fait ses gammes crée le malaise dans l’assemblée. De même pour les costumes, un temps d’époque et un temps contemporains. Ils n’évoquent rien pour autant : de St Just sur ses baskets à roulettes, aux lunettes noires du dandy Danton en passant par le travestissement graveleux des hommes devenus putains. Rien de tout ça ne fait sens et ni trouve justification.
Bien évidemment dans ce contexte révolutionnaire, la place faite aux femmes et à ses droits est moindre. Néanmoins, cette misogynie ambiante a été largement soulignée par la mise en scène. Une seule femme, souvent écartée du débat, qui se maquille, qui se prélasse les seins nus allongée sur la table, qui se croit forte mais dont le seul geste militant se résume à passer sous la table, à pousser un cri et à conclure de son inefficacité.
 Le plus gênant dans tout ça, c’est sans doute que le propos révolutionnaire ne trouve aucune réactualisation. On pose un objet ancien, là, devant nous et on nous le donne à voir. Mais il ne nous dit rien sur nous. Ni sur notre époque. Il est dépassé. Ni la liberté, ni la vertu, ni la république, ni le vice ne nous tendront un miroir vers notre société actuelle. Alors que nous, nous spectateurs égoïstes, c’est de nous que nous voulions entendre parler.
En somme, on rencontre l’ennui et les cris des acteurs n’y changeront rien. La pièce est plate, sans goût et sans couleur. La salle sursaute et se réveille lorsqu’un avion fait résonner son moteur et elle avait besoin de ça.
  En bref, on a presque envie de crier QU’ON LUI COUPE LA TETE, histoire d’en finir.
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ÉCHEC DE LA CONTRADICTION
À Nîmes, le mardi 8 novembre, je sors du théâtre, indécise. Je viens de voir La Mouette d’Anton Tchekhov, mise en scène par Thomas Ostermeier. J’ai l’impression d’avoir assisté à 2h30 de contradictions. Pour moi qui n’ai pas lu le texte au préalable, il me semble avoir distingué l’échec comme thème principal de la pièce.
 Échecs amoureux. Échec d’une carrière. Échec de l’écriture. Échec d’un théâtre qui change. Échec de l’art. Échec de tout. 
 Ces échecs ont été soulignés par deux procédés : la mise en abyme et l’esprit de contradiction qui surplombent toute la pièce.
 La mise en abyme est profonde. D’abord parce que le sujet même de la pièce est le théâtre ; on assiste à la querelle de deux générations qui ne s’entendent pas, au travers d’une mère comédienne reconnue et de son fils bouleversé par la recherche de nouvelles formes et d’une nouvelle esthétique. On assiste à du théâtre au théâtre, les acteurs assis à nos côtés, dans la salle, pendant que Konstantin et Nina font leur proposition sur scène.  Vivement moquée par la mère et interrompue par le fils, on assistait à une « performance » (??) : Nina attachée à un pilier récite un texte au sens peu explicite mais poétique, des images rétro projetée sur elle ; Konstantin suspend un bouc mort et l’éventre au-dessus de lui. Recouvert de sang, il arrête ici le carnage au son des hurlements de sa mère scandalisée.
Alors qu’au début de la pièce, un comédien improvisait au sujet de la qualité médiocre des propositions théâtrales contemporaines (les hommes à poil, les trois murs blancs, l’utilisation abusive de micros et de caméra, l’ironie est drôle quand on connait l’esthétique d’Ostermeier) on retrouve à cet instant une référence évidente aux happenings d’Hermann Nitsch dans lesquels le caractère cérémoniel implique le corps et le sang de l’animal. Le théâtre classique affronte le théâtre post-dramatique.
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 Les contradictions, on les retrouve autant dans la mise en scène, le jeu d’acteur que dans le dispositif scénique.
Au début, pas de quatrième mur, les acteurs assis contre les trois murs blancs nous regardent, l’adresse qui vient tard est directe. Ils nous apostrophent, nous questionnent, improvisent au sujet du théâtre actuel dans un discours critique un peu attendu et pas très subtil qui a pour effet de faire rire et plaisir au public qui à ce moment, est toujours sous la lumière. Le dispositif ne dure qu’un temps. Peu à peu le public est plongé dans le noir et une lumière crue inonde la scène. En même temps, le jeu d’acteur retourne à un registre plus classique, les personnages se dessinent et le quatrième mur se dresse. Par moment, le texte est bien entendu et à d’autres beaucoup moins, comme si les comédiens parlent un temps pour eux, un temps pour nous.
On assiste tout au long du spectacle à la construction du lac sur le mur du fond par une artiste peintre qui le détruit au dernier acte. Construction et destruction du seul élément esthétique de la scénographie minimaliste, tréteau nu.
De la même manière, la musique jouée en live s’alterne avec une musique OFF tout droit sortie des enceintes. Le live, de plus en plus utilisée dans le post-dramatique, voir néo-dramatique, fait face à l’enregistrement plus classique.
En somme, l’aspect méta-théâtral domine la pièce. Il est peu subtil et prépondérant, quitte à lisser la construction psychologique des personnages même si leurs états d’âme respectifs restent tout autant palpables qu’ennuyeux. Pourtant, il met en exergue leurs échecs et fait plonger la mise en abime en proposant un théâtre de l’échec, dans lequel le spectateur ne peut ni entrer dans la compassion cathartique des personnages ni apprécier l’opposition didactique des deux théâtres dont on tente de faire en même temps l’éloge et la critique.
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LA MAÏEUTIQUE DES TAUPES
Le mardi 12 octobre 2016, sur l’autoroute en direction de Marseille, on parle d’évènements cévenols sur 107.7.
 On arrive au parking du Merlan qui donne directement dans le hall du théâtre.
On prend nos billets. On prend un verre et on attend le spectacle.
C’est La nuit des taupes, de Philippe Quesne. Le directeur des Amandiers à Nanterre.
 Sur scène : une boite blanche dans la boite noire. On se dit qu’elle va pas rester longtemps intacte. Côté cour, des instruments de musique. Stalagmites et stalactites.
Une ampoule s’éclaire. Au même moment, un son électronique fait vibrer toute la salle.
À plusieurs reprises. Violemment.
La lumière dans le public n’est pas tout à fait éteinte et les gens continuent de chuchoter.
 Là un grand bruit.
Le bout pointu d’une pioche traverse la boite blanche. Elle reste là un moment. Comme maladroite et perdue.
Puis deux, trois, quatre, cinq coups dans le carton blanc. Rires du public. Quand le trou est assez grand, c’est une main de taupe que l’on voit creuser vers nous. Rires du public. En bas à gauche de la boite blanche, le trou maintenant béant laisse passer un tuyau. Comme ceux des égouts en plastique orange.
L’accouchement commence.
Des pierres noires en polystyrène roulent, poussées par une grosse taupe. Fatiguée, maladroite, elle rampe jusqu’à un des murs de la boite blanche et s’endort.
De la même manière trois autres taupes la rejoignent.
 Le public rit beaucoup. Il rit fort.
Le costume peut-être. La manière dont ils bougent, les jambes croisées pour faire la sieste. La taupe humanoïde.
De là à éclater de rire.
De ce rire qui veut dire « j’ai compris un truc que t’as pas compris ». Ce rire obscène et cru qui met mal à l’aise.
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 Puis une taupe arrive difficilement par le tuyau. De dos, elle tire une masse. Elle tire une taupe sans vie. Une taupe qui n’a pas survécu au voyage. Mort-née. C’est moins drôle et l’euphorie retombe dans les sièges.
Le rite des taupes. La plus petite se met à jouer de cet instrument mystérieux qui fait du bruit quand on passe sa main au-dessus. Le thérémine. Les autres attachent la taupe morte à un crochet et la suspendent au plafond. Avec les stalactites. Elle y restera jusqu’à la fin.
  Les taupes vivent, se meuvent lentement, cassent, débarrassent, jouent de la musique, chantent, font de la trottinette. Elles vivent devant nous, sans nous prêter attention.
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 Puis une taupe tombe de douleur. Deuxième accouchement. Là, devant nous, les jambes écartées comme Angelica Liddell à la cour d’honneur cet été, elle nous offre son orifice. Elle nous livre la naissance d’une taupe. C’est drôle parce que c’est faux mais c’est aussi un peu angoissant.
Cette chose qui nait, une des taupes dresse son profil sur le mur de la boite blanche. Il utilise une machine à pompe avec laquelle il projette de l’encre dorée sur le mur. Un tag avec beaucoup de distance car le jet est puissant. J’ai envie d’y voir une référence au mythe de Butadès, ce potier dont la fille entoura d’une ligne l’ombre de l’homme qu’elle aimait avant qu’il la quitte pour la guerre.
La taupe prête son instrument à une autre qui dessine le contour d’une copine posée contre le mur. Elle dessine un oiseau. Les traits sont grossiers. Comment ne pas y voir les dessins des cavernes. Les taupes sont hommes préhistoriques. Laissent une trace de leur passage.
 On les regarde. On essaie de comprendre. Et lorsque qu’une bâche se dresse entre nous et leur monde, on oublie un peu, on se laisse porter. Derrière cette bâche, des ombres. Des figures mouvantes et des lumières, des couleurs, des images. Une poésie visuelle qui tout de même rappelle le mythe de la caverne.
Décidément.
Rien n’est gratuit dans ce spectacle à la fin duquel, les taupes ôtent finalement leurs masques pour saluer le public.
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COMMENT PARLER D’UN SPECTACLE QUE L’ON N’A PAS VU : JAN FABRE SUR UN VÉLO
Le jeudi 29 septembre 2016, la fièvre me clouait au lit, m’obligeant à laisser mes camarades de classe partir sans moi à Lyon, pour assister à une performance de Jan Fabre au vélodrome de la Tête d’or intitulée : « Une tentative de ne pas battre le record du monde de l’heure établi par Eddy Merckx à Mexico en 1972 (ou comment rester un nain au pays des géants) ».
Au programme : Jan Fabre, plasticien reconnu, metteur en scène hors norme, artiste performeur. Un vélodrome, un record du monde de cyclisme, du sport. La performance artistique va rencontrer la performance sportive.
 Je rencontrais Jan Fabre en 2005 lorsqu’il est artiste associé au Festival d’Avignon et qu’il donne à la Cour d’Honneur Histoire des larmes et Je suis sang. Je découvre son travail acharné sur la beauté du corps, son esthétique et ses réflexions. En 2015, je reste les yeux ouverts pendant 24 heures devant Mount Olympus et je finis d’être émerveillée. C’est lors d’un colloque à la Collection Lambert d’Avignon « La performance, de quoi s’agit-il ? » que je rencontre ses détracteurs, ceux qui ne voient dans son travail que de la provocation et qui disent de lui qu’il est un tyran pour ses danseurs. J’entends les réactions et les critiques, mais pas de quoi me convaincre de manquer sa performance à Lyon.
 Parce qu’on s’accorde à le dire : le terme français de « performance » prend d’abord le sens d’ « exploit sportif, ou de prouesse commerciale »[1] avant de désigner, dans les arts vivants, cette pratique apparue dans les années 60 aux États-Unis. Pratique que je ne définirais pas ici, me contentant de citer Erwin Goffman dans Frame Analysis : « Une performance (…) c’est un arrangement qui transforme un individu en un performeur pour la scène, ce dernier, étant à son tour, un objet qui peut être regardé à cause de son comportement intéressant par des personnes jouant le rôle de « public » ».
Moi, c’est justement lui qui m’intéresse, le public. Dans le cadre d’une performance qui se déroule dans un vélodrome, on peut interroger la notion. Le spectacle vivant l’a souvent fait, comme Peter Handke en 1966 :
  « Vous représentez quelque chose. Vous êtes quelqu’un. Ici, vous êtes quelque chose. Ici, vous n’êtes pas quelqu’un, mais quelque chose. Vous êtes une société formant un tout. Vous êtes un public de théâtre. »[2]
 On continue de le faire : on questionne sa place, son rôle, ses envies, ses pratiques, on crée les relations publiques, les relations avec le public, la médiation. On le veut nombreux, éduqué, hétérogène, curieux, étonné, ébloui, agacé.
Mais alors, qui est-il ? celui d’un match de foot, d’une pièce de théâtre ou d’une performance ? Ne dépend-il que du spectacle dont il est l’observateur ?  
  Ici, Jan Fabre brouille les pistes. Il n’amène pas les spectateurs pas dans un théâtre. Il les amène au vélodrome. Il ne leur promet pas du théâtre, mais bien une performance sportive. Un non record du monde. En un spectacle, il réunit deux, voire trois types de spectateurs. S’il est possible de les mettre chacun dans un panier.
On peut supposer que le public qui se déplace pour Jan Fabre sait à peu près à quoi s’attendre. Il connait son œuvre, son esthétique, il peut s’attendre à tout. Quand il se voit offrir des drapeaux belges, français, flamands, lyonnais, qu’il s’installe dans les gradins et qu’il crie pour encourager l’artiste/sportif, il a conscience de prendre le rôle de supporter, qu’on lui a prêté. Par contre, le public qui ne connait pas Jan Fabre pense sans doute assister à une réelle course cycliste, malgré le titre qu’il ne prend pas forcément au premier degré.
 Car l’artiste flamand entre en piste en costume cravate, commenté très professionnellement par Poulidor et Merckx des géants du cyclisme. Et il roule pour de vrai. Après deux tours d’échauffement, le coup de pistolet annonce le début de l’heure et Jan Fabre est sur le point de donner de tout son corps, applaudi à chaque tour par son public de faux/vrais supporters. On me rapporte qu’une élégante femme en noir lui tend régulièrement des pièces de viande dans lesquelles il mord et qu’il dispose sur son vélo, dans ses poches ou sur ses épaules. Doit-on y voir une référence au surnom de Merckx, « le cannibale » ? Au dernier tour, il s’allumera une cigarette. Provocation (comme on aime tant le penser) ou moquerie, réflexion sur l’hypocrisie de l’acteur comme du cycliste. Celui qui ment à son audience. Qui se fait passer pour un autre, qui joue un rôle, qui se dope, qui fait rêver, qui déçoit, mais qu’on admire malgré tout. Il enrôle le public dans son jeu mensonger : on me dit que le stade était loin d’être rempli, mais que les gradins supportaient de toute ses voix le cycliste d’un jour. Sans le public, il semble que bien évidemment, rien de tout ça n’aurait été possible.
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 Alors, je me demande. À quoi n’ai-je pas assisté ? à du théâtre ? à une pure épreuve sportive ?
Sans doute à rien de tout ça. Peu importe. Ça nous interroge, ça nous questionne. Jan Fabre tenait le rôle du sportif et le public celui des supporters. Et tout ça se mélangeait un peu car en performance, l’effort est bien réel.
« Le théâtre est faux ; il y a une boîte noire, vous payez votre ticket et vous vous asseyez dans le noir et vous voyez quelqu’un jouer la vie de quelqu’un d’autre. Le couteau n’est pas réel, le sang n’est pas réel et les émotions ne sont pas réelles. La performance, c’est exactement le contraire : le couteau est réel, le sang est réel, et les émotions sont réelles. C’est un concept très différent. C’est à propos de la vraie réalité.
                                                                                              Marina Abramovic
Ce que j’ai raté, c’est cet endroit où la masse qu’on appelle ‘public’ s’oublie, se laisse faire et joue le rôle qu’il veut bien tenir; cet endroit où le spectacle vivant devient effort sportif et où la performance sportive devient théâtre. 
Ce que je n’ai pas manqué, c’est de noter qu’il y a matière à analyser, qu’on peut tenter de comprendre et apprécier un spectacle qu’on n’a pas vu. 
[1] Patrice Pavis, Dictionnaire de la performance et du théâtre contemporain, Armand Colin, 2014
[2] Peter Handke, Outrage au public, L’Arche, 1968.
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MASTURBEZ VOUS SANS MOI
On m’a vendu une nouvelle écriture. Une écriture plateau. Cinématographique. Inspirée de la nouvelle vague. Jean Eustache, La Maman et la Putain. Un trio amoureux. J’aurai du faire tilt. UN TRIO A-MOU-REUX. Mon détecteur était en panne.  
Du coup j’y suis allée. Le 27 avril, à 19h30, au théâtre d’Arles. Voir Nos Serments de Julie Duclos. 
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Déjà quand j’entre dans la salle je comprends. Tu me mets un canapé, une table, un lit et je sais. 3h30 entre un canapé et un lit, je sais ce que ça veut dire. Pseudo réalisme de merde. Je lis dans le programme qu’ils veulent “déthéâtraliser” le théâtre et je me dis que c’est carrément mal barré. 
Là il y a un mec dans le canapé et une femme qui tourne un peu en rond.
 Ils attendent de parler. Je sais qu’ils attendent de parler. Ils vont parler c’est sûr. ils vont parler pendant 3h30. Ils vont parler d’amour putain. De la branlette. Le public s’installe et ils sont là, ils attendent de parler. 
Voilà ils ont commencé à parler. Et ils vont pas arrêter c’est sûr. Ca commence avec un couple pas heureux, une fille hystérique, et un branleur parisien qui s’est pris pour Luchini.
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Voilà donc ils commencent à parler et 3h30 plus tard j’aurais vu un couple en crise, un couple en crise et un couple en crise. Putain leur trio de merde c’était ma soirée de samedi soir. J’ai pas besoin d’aller au théâtre pour revivre ma soirée de samedi soir. J’ai pas besoin d’aller au théâtre pour voir des couples en crise. J’ai mon entourage pour ces choses là. J’ai pas besoin d’aller au théâtre pour voir des couples qui se comprennent pas. Il y en a partout et eux, au moins, ils font pas semblant. Je pense à Carmelo Bene “Les théâtres français sont des musées du quotidien, une répétition déconcertante et ennuyeuse, parce que, au nom d’une langue parlée et écrite, on va le soir voir et entendre ce que le jour on a entendu et vu. Théâtralement: entre Maritaux et le chef de gare de Paris, il n’y a vraiment aucune différence, sinon qu’à l’Odéon on ne peut pas prendre le train.”
Entre deux crises de larmes on a eu droit a un peu de masturbation intellectuelle. C’était bien. Bien-pensant quoi. Caresse ton égo. Branle ton égo. 
J’ai arrêté de regarder la scène et je me suis tournée vers le public. La tranquillité du public. Le public content. La quiétude du spectateur. Il a compris la blague. Il a tout bien compris. C’est limpide alors il est tranquille. Posé dans son fauteuil. Quand tu comprends t’es content. Quand tu comprends pas t’es pas content. Mais là tu comprends alors t’es content. Tu ris fort. Pour montrer que t’as compris. Et que t’es content. Après tu applaudis fort et longtemps pour montrer que t’es content et que t’as compris. Tu sors et tu dis que c’était vraiment bien. Tu dis à quel point c’était profond et touchant, tu passes en revue les thèmes abordés. T’es content quoi. 
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THEATER STUDIES
Si tu veux, ça n’a pas de sens.
C’est comme tout,
                                                                                                                                                                                                                            on ne t’écoute pas.
Tu veux ça 
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                                                                                                  On te donne ça
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Le mec fait venir un conférencier, un universitaire venu de Lille pour nous parler de la Catharsis selon Corneille. Il l’a payé. Cher en plus. Nous on vient pour lui. Le gars croit que c’est au centre de nos préoccupations. On est étudiants en théâtre ou pas ? Merde. Alors tu vas écouter ce gars qui lit son article de 10 pages qui s’apprête à être publié dans la revue RHLF. 
En fait, il pense pour toi.
Ça l’arrange, comme ça il fait ce qui lui plaît. 
Puisque c’est supposé nous plaire. 
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LE THÉÂTRE & LA TÉLÉ
Hier, comme tous les dimanches je regardai en replay le “On est pas couché” de la veille. Paul Demolon et Bénabar étaient les “invités théâtre” du soir. Parce que chaque semaine, l’émission fait la promotion de spectacles de théâtre, toujours à Paris, toujours du boulevard, toujours dans des théâtre privés. On finirait presque par croire qu’en France on ne fait que du théâtre bourgeois pseudo psychanalytique, mal écrit et mal joué. En plus, on invite des acteurs dont la pièce n’a pas encore été jouée. Merci les mecs. Donc les chroniqueurs n’ont absolument rien à dire, rien à commenter puisqu’ils ont seulement lu un texte.  
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Depuis quelques mois je m’indigne devant mon écran. Où sont les jeunes auteurs, les jeunes metteurs en scène ? Seules les scènes privées parisiennes ont le droit à la parole. On nous montre 5% de ce qu’est le théâtre aujourd’hui. 
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Et c’est ça... L’hotel du libre échange, une pièce jouée par des ANIMATEURS TELE ! Je vais pas me remettre tout de suite des costumes, du scénario et du propos. Ca se passe en 1895 avec une bourgeoise mal baisée qui va se faire sauter dans un hôtel. Honnêtement je crois que je n’ai pas les mots pour dire à quel point je trouve ça ridicule. En direct sur France 2 le 22 décembre. Sérieux. 
Et pendant qu’on nous propose ça, il se passe autre chose ailleurs. Du théâtre qui fait réfléchir, qui pose des questions, qui interroge notre société, qui se redéfinit lui-même. Il y a Thomas Jolly partout en France avec son Richard III, les sublimes textes de Yann Verburgh : Ogres et H.S, et beaucoup d’autres auteurs et metteurs en scène qui travaillent et que la télé ne met pas en avant. 
Heureusement il y'a ARTE, qui diffusait en direct le Richard III de Thomas Ostermeier cet été. Et qui nous donne, entre autres, du Bob Wilson & du Jan Fabre. 
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                                                                                                  Bisous ARTE
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PAROLES PAROLES PAROLES
Je déteste le théâtre de paroles. Il me pose vraiment problème. Il ne me dit rien et il en dit trop. 
Aujourd’hui j’ai un problème ; je suis étudiante à l’Université d’Avignon, Master 1 Théâtre & Patrimoine. Je me penche sur l’actuel directeur du Festival dAvignon, Olivier Py. J’achète un tome de son théâtre complet et commence la lecture du Visage d’Orphée. Impossible de lire plus de 15 pages. Je me noie dans le texte. Pourtant il y a de belles choses. En fait, il y a trop de belles choses. Trop de phrases à noter, de citations à garder, d’oxymores, de réflexions complexes. Je me sens perdue, larguée, nulle devant ce texte que je n’arrive pas à lire et qui me laisse seule. Cette lecture est pour moi un échec.
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Le 23 janvier, je quitte le travail plus tôt pour me rendre à la FabricA.  On y organise un stage avec Olivier Py. Je me renseigne très peu et je réserve une place. En vérité, je m’attends à assister à la répétition d’une pièce, avec Olivier Py qui dirige les acteurs. Je me faisais une joie d’en savoir plus sur sa vision du jeu des comédiens, de la manière de dire le texte. Je m’installe au deuxième rang, dégaine BIC et Moleskine, prête à apprendre de nouvelles choses. Le metteur en scène/écrivain/dramaturge/directeur du Festival entre et annonce qu’il s’agit de l’adaptation de son roman Les Parisiens par de jeunes comédiens (dont on ne sait pas vraiment qui ils sont ni d’où ils viennent) qui ont eu 6 jours pour travailler texte et mise en scène. BON. Ce n’est pas du tout ce à quoi je m’attendais mais c’est du théâtre, et l’occasion de voir jouer un texte d’Olivier Py. 
“L’amour universel, c’est le politique” “L’espoir politique est un oxymore” “Réinventer l’amour, être plus grand que l’existence” “Seul le théâtre peut libérer la société, à condition qu’il soit libéré du théâtre” “Poétiser le présent” “La putitude, c’est le droit au théâtre” “C’est pas un cul qu’il me faut, c’est une idée avec un corps”
En quelques minutes, voilà mon carnet rempli de ces citations. Je me suis retenue d’en écrire d’autres parce j’aurai pu écrire tout le texte. Parce que tout le texte est constitué de ces phrases qu’on a envi de garder en tête parce qu’elles sont belles et qu’elles nous font réfléchir. Elles sont l’idée, la théorie d’Olivier Py sur le théâtre. Sauf que pendant 2 heures, c’est un tsunami de phrases plus complexes les unes que les autres qui déferlent sur moi. Et sur le reste du public je suppose. Par moment, j’ai la tête sous l’eau, je perds le fil de ma concentration et je redouble d’efforts pour continuer. Continuer à tout entendre, à tout voir, à tout saisir mais c’est trop dur. Je n’y arrive pas, je me sens nulle et j’ai trop bu la tasse. 
Bien sûr on nous dit que c’est normal de ne pas tout comprendre. Qu’on ne peut pas tout comprendre. Qu’il ne faut pas tout comprendre. Mais j’aurai pu ressentir quelque chose, un frisson, une émotion, un sursaut. Je me sens frigide. 
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                                                                                               Photo : Chloé Didion
Sur scène, les acteurs et les actrices se démènent avec le texte et avec leur corps. Ils sont beaux, brillants, certains ont quelque chose qui passe, qui me fait sentir bien. J’aurai aimé une présentation de ces jeunes femmes et de ces jeunes hommes qui ont mon âge, qui évoluent dans le même milieu que moi, que je j’aimerai connaitre un peu plus et qui méritent qu’on s’arrête aussi sur ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Parce qu’ils le font pleinement. 
                                                                          Je vais mener l’enquête.
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