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#Joel Pomerrat
collection81 · 6 years
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Le théâtre contemporain, au Festival d’Avignon
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Hier c'était la demi-finale de coupe de monde, mais aussi un événement culturel majeur et l'avènement d'un jeune artiste Français. Mardi 10 Juillet, 23h15, La France est qualifiée et Thomas Jolly, jeune metteur en scène Français vient de faire sensation au Festival d’Avignon avec son spectacle inspiré d'une tragédie Romaine de Sénèque, Thyeste. Récit sombre sur fond de cannibalisme familiale. Pourquoi fait-il autant de bruit? Parce que le Festival d'Avignon, ce n'est pas rien. C'est la plus grande et prestigieuse manifestation d'art dramatique au monde. Si un jour vous en avez l'opportunité, allez au Festival d'Avignon. L'espace de quelques jours la ville se transforme, en plus d'être magnifique, des troupes itinérantes investissent les rues, il y a de l'art, du théâtre partout,  l'ambiance y est singulière et très bonne . Il y a même de la peinture! Ronan Barrot était présent l'année dernière, cette année c'est Claire Tabouret, elle est d'ailleurs l'auteure de l'affiche. Il y aussi une scène mythique de ce festival, connue dans le monde entier pour sa beauté et son éloquence, la cour d'honneur du Palais des Papes. Chaque année un metteur en scène la prend d'assaut, le boulot n'est pas aisé, même plutôt titanesque. Il est attendu au tournant. Mais si l'oeuvre est réussie, elle devient un spectacle inoubliable pour les chanceux ayant pu y assister, un grand moment de théâtre pour les spectateurs et la consécration d'une carrière pour son metteur en scène.
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Ca me rappelle avec nostalgie la fois ou j'étais parti au festival d'Avignon avec mes ami(e)s. On a eu l'opportunité de voir Les Damnés d'Ivo van Hove dans la cour d'honneur du Palais des Papes, de tout ce que j'ai pu voir, ressentir, c'est de loin la plus belle et intense expérience artistique que j'ai vécu. Le théâtre et surtout le théâtre contemporain a cette particularité héritée de la tragédie Grecque d'avoir un effet cathartique puissant, en plus joué dans un écrin comme celui-ci, sublime. Le syndrome de Stendhal n'était pas loin. Les Damnès, d’Ivo Van Hove .
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Pièce de théâtre tiré d’un film de Visconti, Les Damnés.
L'histoire d'une famille d'aristocrate en 1933, propriétaire de la plus grande entreprise d'aciérie d’Allemagne. La famille est réunie ce soir pour fêter l’anniversaire du grand père, malheureusement cette soirée ne se passera pas comme prévue, le Reichstag brûle, ce soir la famille et l'Allemagne basculeront dans le totalitarisme. 
Cette pièce est intéressante pour plusieurs raisons, la mise en scène résolument moderne d'Ivo van Hove qui mixe les médias, utilisant des écrans géants, des caméras, plusieurs scènes pour retranscrire le délitement progressif de la famille et du pays.
Une famille qui devra coopérer avec les nazis, bien sûr des voix (enfin une, celle du fils) s'élèveront pour protester, en vain, il sera condamné à l'exile (ou plus). La famille sera déstabilisée par ce basculement, mais en son sein déjà le pouvoir attire et des manigances amplifiées par l'état du pays se font sentir, des membres veulent soustraire la présidence de l'entreprise au grand père. Soustraire, étant la meilleure solution, car d'autres encore pense juste à une élimination sommaire.
On va suivre la descente aux enfers de cette famille, tout comme l'émergence de la doctrine nazi. Les deux se feront échos et seront liés, le gouvernement à besoin de l’entreprise pour fabriquer des armes et s'évertuera à éliminer chaque membres qui s'y opposent, utilisant à ses fins l'oncle ou d'autres personnes, le pouvoir est un thème récurrent de la pièce, celui qui empoisonne le cœur des hommes, aussi bien présent au sein de la famille que chez les politiciens. Chacun leur tour, ils rejoindront la mort, en fait ils étaient déjà condamnés, une scène à part ou est disposé des cercueils le signifie très bien, vu qu'elle est présente dès le début.
On jouera beaucoup avec les différentes scènes d'ailleurs, il y a aussi un écran géant posé en plein milieu, il montre de temps à autres les exactions Allemandes (Reichstag brûlé, déportation, discours d'Hitler...), il montre aussi les acteurs en gros plan comme pour mieux capter leurs émotions ou les mettre face à eux même et leurs actions, mais surtout et c'est là que c'est ingénieux, il sera utilisé pour filmer le public à la toute fin, car ici tout le monde est coupable.
Coupable d'avoir coopérer avec l’Allemagne nazi. C'est véritablement troublant, le spectateur est acteur de la pièce et du drame qui s'y déroule. Acteur par sa passivité, cette ultime moment nous le rappelle, j'en suis sorti hébété.
Je ne connais pas les codes du théâtre, encore moins ceux du théâtre contemporain, je suis persuadé que quelques petites choses m'échappe, comme le rôle du petit fils, j'ai juste suivis les conseils d'ami(e)s, la mise en scène d'Ivo van Hove est inventive et moderne, portée par les acteurs de la comédie française (23 ans qu'ils n’étaient pas venues à Avignon!). Un sujet d'actualité (la monté des extrêmes), tout cela fait des Damnés une très grande pièce, un très bon moment dans un décor époustouflant, que l’on pourra revoir sur Paris à la rentrée, si vous avez l'occasion n'hésitez pas,  vous en sortirez soufflé!
La pièce ne traite pas uniquement de l’Allemagne nazi, mais aussi de la famille, des liens qui les unis, du pouvoir, de la manipulation, de l'idéalisme au travers du membre qui aspire à ne jouer que de la musique, les affaires et la politique ne l'intéressant pas, de l'autorité parentale, de l'éducation...
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Avant d'entamer la critique de la pièce de Thomas Jolly, j'aimerais expliquer ce qu'est le théâtre contemporain et les différences par rapport au théâtre classique, ainsi que sa familiarité avec le théâtre antique. Pour résumer grossièrement, le théâtre classique c'est la primauté du dialogue sur le reste, il y a très peu de mise en scène, le metteur en scène est quasi inexistant. C'est la forme théâtrale que l'on a peu près tous en tête. Le théâtre contemporain est différent, les dialogues sont relégués au second plan et la mise en scène est beaucoup plus mise en avant. Il n'est pas rare de trouver sur scène des animaux, des véhicules, des décors gigantesques, mais aussi des écrans géants, des jeux de lumière élaborés, les costumes aussi changent, une pièce de Shakespeare peut très bien être jouée en costard, cela permet d'intégrer les pièces anciennes à notre époque et à l'actualité. Le basculement du théâtre classique au théâtre contemporain s'est opéré au siècle dernier. Le concept a été théorisé par Antonin Artaud avec son livre intitulé “Le Théâtre de la Cruauté”. Derrière « cruauté » il faut entendre « souffrance d'exister ». L'acteur doit brûler sur les planches comme un supplicié sur son bûcher. Selon Artaud, le théâtre doit retrouver sa dimension sacrée, métaphysique et porter le spectateur jusqu'à la transe.
Selon Antonin Artaud, pour pouvoir échapper à ce « monde qui glisse, qui se suicide sans s’en apercevoir » et à l’ « atmosphère asphyxiante dans laquelle nous vivons », il faut que le théâtre redevienne « grave » et qu’il abandonne le primat de l'auteur pour celui du metteur en scène. En effet, Artaud remplace « la vieille dualité entre l’auteur et le metteur en scène (…) par une sorte de Créateur unique, à qui incombera la responsabilité double du spectacle et de l’action ». Au-delà de l’abrogation du rôle d’auteur, il souhaite « en finir avec cette idée des chefs-d’œuvre réservés à une soi-disant élite, et que la foule ne comprend pas ». Son idée de « Théâtre de la Cruauté » s’élabore à l’opposé du « théâtre psychologique » qu’il définit comme « purement descriptif et qui raconte ». A l’inverse d’un « art détaché », « fermé, égoïste et personnel », « le Théâtre de la Cruauté se propose de recourir au spectacle de masses », pour produire une « action immédiate et violente ». Le Théâtre de la cruauté est un « théâtre qui nous réveille : nerfs et cœur ». Cependant, cette cruauté n’est pas celle du sang et de la barbarie : « il ne s’agit pas de cette cruauté que nous pouvons exercer les uns contre les autres (…) mais (…) celle beaucoup plus terrible et nécessaire que les choses peuvent exercer contre nous. Nous ne sommes pas libres. Et le ciel peut encore nous tomber sur la tête. Et le théâtre est fait pour nous apprendre d’abord cela. » Avec ce concept, Artaud propose « un théâtre où des images physiques violentes broient et hypnotisent la sensibilité du spectateur ». A la vue de cette violence naît la « violence de la pensée » chez le spectateur, violence désintéressée qui joue un rôle semblable à la catharsis. En effet, le théâtre devient une fonction qui fournit « au spectateur des précipités véridiques de rêves, où son goût du crime, ses obsessions érotiques, sa sauvagerie, ses chimères, son sens utopique de la vie et des choses, son cannibalisme même, se débondent, sur un plan non pas supposé et illusoire, mais intérieur » ; en d’autres mots, ces rêves exaltent ses pulsions pour produire une « sublimation »10, sorte de purgation des mauvaises passions. Le faible risque d’inciter le spectateur à reproduire ce qu’il voit – s’il ne comprend pas que le théâtre lui apprend « l’inutilité de l’action » et qu’« un geste fait ne se recommence pas deux fois » – vaut tout de même la peine d’être pris, selon Artaud, « dans les circonstances actuelles » d’un monde en déclin. Artaud aimerait retrouver la force que les tragédies antiques pouvaient exercer en leur temps et donc reconstruire un théâtre « autour de personnages fameux, de crimes atroces, de surhumains dévouements », avec des « thèmes historiques ou cosmiques, connus de tous » mais « sans recourir aux images expirées des vieux Mythes». En d’autres termes, il aimerait « pouvoir extraire les forces » de ces images cruelles et tirer parti de la violence pour créer une sorte de catharsis tout en installant un nouveau langage qui puisse s’adresser à la masse des spectateurs contemporains, et tout en créant de nouveaux moyens scéniques.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9%C3%A2tre_de_la_cruaut%C3%A9
Le meilleur mot pour désigner le théâtre et surtout le théâtre contemporain, serait catharsis. C'est aussi un élément que l'on retrouve dans le théâtre antique/Grecque, ou le peuple se réunissait pour voir des tragédies et ainsi expier leurs passions et émotions. Ces manifestations avaient beaucoup de succès et faisaient parties intégrante de la vie du citoyen Grecque. Ils se rendaient au théâtre comme on se rend chez un psy, pour alléger la lourdeur de l'âme.
« La tragédie est donc l'imitation d'une action noble, conduite jusqu'à sa fin et ayant une certaine étendue, en un langage relevé d'assaisonnements dont chaque espèce est utilisée séparément selon les parties de l'œuvre; c'est une imitation faite par des personnages en action et non par le moyen d'une narration, et qui par l'entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la purgation des émotions de ce genre. »
- La poétique, Aristote
Thyeste, Thomas Jolly
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Plusieurs protagonistes feront leur apparition dans la pièce. Tantale fils de Zeus, père de Thyeste et Atrée. Tantale est condamné à la soif et à la faim éternelle pour avoir offert son propre fils à manger aux Dieux. La première partie le concerne. Le fantôme de Tantale , avec l'aide d'une furie (esprit infernal qui tourmente les hommes et les damnés) va entrer par inadvertance dans sa maison, ou réside son fils Atrée, Roi de Mycènes. Par ce geste il contaminera la demeure et le cœur de ses résidents, la mort, le pouvoir, la vengeance, le sang, l'autorité, la folie, le meurtre y ferra son office. La seconde partie nous présente Atrée fils de Tantale, Roi de Mycènes. Son frère vient de l'humilier en prenant sa femme et en ambitionnant de s’octroyer le trône en volant la toison d'or, symbole des rois. Atrée rumine sa colère, son cœur devient de plus en plus sombre. Il projette de se venger et cela de la plus inhumaine et cruelle façon qui soit, en tuant les fils de Thyeste et en servant leurs entrailles à manger à celui-ci. Atrée devenu fou, ivre de pouvoir veut asseoir son autorité par la crainte, rien de mieux que cette expérience macabre pour dissuader d'éventuel prétendant. La troisième partie est centré sur Thyeste. Actuellement en exil, malheureux et sans le sous, a été rappelé par Atrée pour partager le pouvoir. Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'il court à sa perte, mais, crédule, il part avec ses fils à la rencontre de son frère et du pouvoir promis par celui-ci. D'abord hésitant, ses enfants finiront par le convaincre. La paix revient sur Mycènes, les deux frères se sont retrouvés et règnent en harmonie. Ce n'est qu'une façade. Le plan machiavélique d'Atrée se met doucement mais surement en place, la vengeance bouillonne en lui alimenté par un feu ardent. Thyeste naïf, ivre de pouvoir au sens propre comme au figuré, ne voit pas venir le malheur sur lui et sa famille. La quatrième partie nous est raconté par un messager. Il décrit avec une extrême précision le meurtre barbare des fils de Thyeste par Atrée, l'éviscération des jeunes garçons sur l"autel, le plaisir d'Atrée pendant l'acte, la jouissance de transpercer la chair, de sentir le sang chaud couler, la joie d'évider le corps de leurs entrailles et d'en faire du vin, et un repas de roi. Mais après l'acte, d'un coup le soleil se couche, pour ne jamais plus se relever, les oiseaux ne voleront plus, les plantes ne pousseront plus, les Dieux s'en sont allés. Atrée par ce geste inhumain dépassant n'importe quelle barbarie, va condamné les hommes et leur monde. Lui ne s'en rend pas compte, obnubilé qu'il est par sa vengeance.
Dernier acte. Lors d'un repas Atrée sert le vin, la viande mêlé à la chair, aux boyaux des enfants de Thyeste. Celui-ci s’enivre du nectar, goûte et apprécie la viande. Atrée regarde, ne rate pas une miette de ce qui se passe, il sait, il jubile. Il annonce à Thyeste qu'il vient de boire le sang et manger le corps de ses fils. Thyeste est sonné, il ne comprend pas, il ne conçoit pas qu'on puisse être aussi méchant, que l'on puisse ainsi tomber dans l'horreur, il pleure ses fils et son ignorance.
Thyeste maudit son frère. Atrée célèbre son ignoble dessein, il est satisfait. Dehors le monde des hommes s'effrite, il sombre lui aussi.
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Une pièce qui nous parle de la spirale vengeresse sans fin, de la violence, mais aussi de pouvoir et son ivresse, au point de vouloir voir sa propre famille (ici Thyeste le frère) souffrir d'une façon extrêmement cruelle. On a généralement pour nos proches beaucoup plus d'affections que pour un individu lambda et c'est aussi pour ça que ce crime est odieux, mais le pouvoir et l’humiliation subie par Atrée est plus fort, il n'en a que faire. Tantale par erreur empoisonnera le Château et son fils par la même occasion, là aussi on constate que l'héritage violent du père a débordé sur ses fils (un cycle sans fin), par son geste, Atrée fera à son tour plonger dans les ténèbres le monde des hommes. Une pièce qui trouve un écho dans nos sociétés contemporaines, plus que jamais d'actualité. La mise en scène de Thomas Jolly est impressionnante. Le visage d'un homme bouche grande ouverte sortant un cri silencieux mais strident trône sur l'espace, sa main voulant agripper quelque chose tout aussi imposante, est aussi présente. Autour de lui s'articuleront l'histoire et ses protagonistes.
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Il utilise aussi très bien son environnement, grâce entre autre à de nombreux jeux de lumière pour signifier une présence par ex, il projette aussi des textes de la pièce sur la façade de la cour du Palais des Papes, elles restent ici un certain moment, comme gravée dans la roche du fait de leur importance. Il y aussi un groupe de musiciens de blanc vêtu, ils seront là pour jouer quelques mélodies et accompagner la pièce, mais à partir du moment ou Atrée tuera les enfants, leurs yeux seront masqués d'un voile rouge, celui du sang, leur musique s’éteindra après ça. Ce groupe, la musique, représente les hommes. Le metteur en scène coupe sa représentation de passage chanté, la première fois du rap, ça fait bizarre mais cela s’intègre parfaitement bien, ça influe une certaine dynamique et une modernité bienvenue, les costumes sont eux plutôt modernes.
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Thomas Jolly a fait de l'excellent boulot! La pièce est extrêmement noire et sombre comme un jour d'orage, l'expérience cathartique est palpable, de la vraie bonne tragédie. Seule petite ombre au tableau, l’accessibilité. La pièce du fait de son ancienneté n'est pas très accessible, il y a quelques passages très longs et il faut avoir le texte ou au moins le résumé sous les yeux pour situer les personnages et leurs liens. Perso j'ai utilisé Wikipédia, ce qui était largement suffisant. Quoi qu'il en soit l'effort vaut le coup. Si vous désirez en connaitre un peu plus sur le théâtre contemporain et ses metteurs en scène, il y a ces deux documentaires d’Arte à ce sujet, sur Joel Pomerrat metteur en scène Français reconnu et celui sur Thomas Ostermeier. Les deux docs sont une immersion dans leur travail, avec des méthodes différentes, une troupe de comédien différent, un véritable plaisir. Si vous avez aimé et que vous êtes curieux, vous pouvez retrouver leurs pièces sur Youtube.
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