Tumgik
#khoujir
chroniques-russes · 5 years
Text
Le Transsibérien : le Lac Baikal, Olkhon et Khoujir
Tumblr media
Je venais d’achever mon récit sur la présence chinoise dans la région du Baikal et ô combien les Russes n’aiment pas ça. Et dès notre arrivée à Irkoutsk, le ressentiment de nos compagnons de voyage s’est avéré justifié. La petite ville sibérienne, aux allures baroques avec ses immeubles colorés habillés de moulages blancs, est littéralement prise d’assault par les touristes, en grande partie chinois. On dirait que se sont greffées à une petite bourgade toutes les grandes infrastructures des machines à tourisme : plusieurs aéroports, un trafic routier hallucinant, une myriade de taxis aux abords de la petite gare vert d’eau, d’immenses complexes hôteliers construits à partir de rien… Cela entache évidemment l’image que l’on se fait de la belle Sibérie sauvage bordant le célèbre lac Baikal. 
Tumblr media
Mais notre voyage est bien organisé. Loin de la foule déchaînée, nous prenons une navette pour l’île d’Olkhon, plus grand bout de terre du lac, en direction du village le plus peuplé, Khoujir. La route est sinueuse, voire tout à fait brutale, et surtout fraîche. Mais en sortant se dégourdir les jambes au bord d’une petite izba de bois servant de café, on prend conscience de l’étendue des plaines blanches, du silence, de la vie qui s’adapte à ce paysage qui nous apparaît hostile. Des chevaux broutent au loin, sauvages, tandis que de vagues clôtures délimitent des champs gelés qui ne sont probablement plus exploités. La route continue.
Olkhon est une véritable île dans la mesure où il faut prendre un aéroglisseur (ou un bateau) pour s’y rendre. Ni une ni deux, après quatre heures de route, nous montons à bord de cet engin hors du commun, dont l’hélice fait un bruit fou pour pousser le coussin sur la glace du Baikal. Même mécanique une fois sur la terre ferme, avec quarante minutes de bus, toujours entrecoupées de soubresauts sur la route sans asphalte. On ne se rend plus compte du confort que représente une voie goudronnée de nos jours, je peux vous l’assurer. 
Tumblr media
Il fait nuit noire. Les phares du vieux bus soviétique éclairent à peine la terre friable et pâle de la route. Soudain, de faibles lumières apparaissent, et on distingue la fumée de cheminées. Nous débarquons dans un petit gîte tout de bois fait, spécialement pour les touristes, mais avec un certain charme. Le froid est perçant : il s’infiltre dans le moindre de vos vêtements, referme ses griffes sur vos pieds, et resserre son étreinte comme deux bras qui vous enlacent et ne vous lâchent plus. Et cet hiver est considéré comme « chaud ».
Nous sommes arrivées en pleine période de fête orthodoxe, le 18 janvier, le krechénié. Signifiant « baptême », il est bien connu des occidentaux puisqu’il incarne de manière un peu clichée l’habitant russe et ce dont il est capable. En effet, pour se baptiser, il convient de creuser un trou dans la glace de la taille d’un cercueil (je regrette la comparaison, mais elle est vraiment parlante), le délimiter par des poutres de bois, et se plonger dans l’eau noire glacée. L’ambiance est un peu sectaire : il fait toujours nuit, les voitures des habitants sont disposées en cercles, leurs phares éclairant le « bain », moteurs tournant à fond, et vaillants croyants comme badauds reproduisent l’anneau autour de l’eau. Des pompiers sont tout de même là. Les hommes d’abord défilent, un à un, réprimant toute hésitation, à moitié nus ; ils plongent plusieurs fois dans l’eau noire, effectuant le signe de croix orthodoxe, et sortent, le corps fumant sous le froid. De jeunes garçons sont même poussés à effectuer le rituel, signe d’un passage à l’âge adulte ou d’un renouveau. Puis, deux femmes se prêtent à la même renaissance. Le baptême est terminé, et les gens rentrent chez eux après avoir empli bouteilles, seaux et gourdes de l’eau bénite. 
Tumblr media
Le lendemain matin, le soleil rougit l’horizon montagneux de l’île. Peu à peu, le ciel se réchauffe et prend une sublime teinte céruléenne, constellée de nuages épais d’un blanc immaculé. Nous descendons sur le lac gelé, recouvert d’une épaisse couche de neige, pour marcher jusqu’au rocher du Chaman. La seule chose que je peux qualifier, c’est le sentiment que l’on ressent là, sur la glace, marchant près des grottes égayées de stalactites et n’apercevant au loin que le bleu du ciel fusionnant avec le lac. Sérénité. Il y a rarement si peu de bruit, avec seul le vent qui souffle, le froid qui vous rappelle de ne pas vous arrêter, et les corbeaux en haut des collines nues qui tournent autour des monuments bouriates. Pourtant, la glace demeure un lieu de vie : un chien nous suit, maître des lieux, trottant allègrement sur un terrain qu’il connaît. Une procession orthodoxe descend aussi de la colline, vers la berge. A un moment, nous croisons une voiture arrêtée et une jeune femme qui nous interpelle : ils sont coincés. En effet, les plaques de glace entrent souvent en collision et « coupent », comme nous a appris un chauffeur. Cela signifie qu’elles forment des pics qui montent à la verticale, et fragilisent les frontières entre les deux zones. Le châssis de la voiture a dû taper dedans, sans compter l’état de la voiture au départ. Après mûre réflexion, elle nous encourage finalement à continuer, nous assurant qu’elle allait se débrouiller avec ses amis. 
Tumblr media
Nous continuons. Nous voulions aller jusqu’à un autre rocher, mais ma jambe commence à faiblir. Les distances, sur la glace, ne semblent jamais se réduire. Je mets le cap vers un ensemble de maisons de bois en hauteur avec une amie, pour me reposer. Après quelques pas supplémentaires et une montée ardue dans la neige, nous réalisons que ce n’est qu’un camp de vacances – vide en hiver. 
Tumblr media
Nous marchons des heures pour trouver un signe de vie. Je passe par la forêt, incroyablement paisible sous le soleil d’hiver, voyant au loin des vaches broutant ce qu’il reste d’herbe. Nous rejoignons une route, sans doute la principale, qui mène vers d’autres baraquements. Un chien nous guide, aboyant et courant vers le plus proche village, Kharantsi. Là encore, personne. C’est un sentiment assez perturbant. Nous sommes tellement habitués à la vie, grouillante, aux services et aux gens à disposition tout de suite, là, immédiatement. Trouver quelqu’un qui nous renseigne, peu importe l’heure, le jour, le lieu. Ici, sur cette île, sans réseau et sans téléphone qui s’est éteint sous le froid, on ne peut compter que sur son sens débrouillard – et le mien n’était pas très aiguisé.
On réapprend à suivre son instinct : on cherche les routes, les voitures, les cheminées, les animaux. Quelques autres vaches, chiens et deux petits garçons qui courent nous mettent sur la bonne voie. Ils nous indiquent avec une bienveillance candide le chemin d’un hôtel. Mais ce dernier était fermé, encore une fois, en hiver. Marcher huit kilomètres pour une néophyte était déjà une épreuve, et là, dans la neige, l’effort est encore plus grand.
De manière inespérée, nous tombons sur une femme devant sa porte. Nous nous résignons à lui demander d’appeler un taxi pour nous. De prime abord fermée, le visage basané aux traits bouriates, la quarantaine, elle nous invite à l’intérieur. Nous découvrons le club du village, où, autour d’une table de ping pong, sont assis une vieille femme, une jeune fille, et un garçon. Ils sont tous bouriates, à l’exception du dernier. Ils piquent de la laine pour créer de superbes peluches. La jeune fille nous invite à essayer, professeure patiente ; elle a seize ans, va à l’école de Khoujir, et prévoit évidemment de poursuivre des études à Irkoutsk, centre d’éducation supérieure le plus proche. Le temps de quelques bavardages, et le taxi est là. Tous nous font signe de garder le petit cœur rouge de laine raté en guise de souvenir. L’un de mes plus beaux souvenirs, sans aucun doute. Et nous retrouvons notre paradis artificiel touristique de Khoujir, où la devanture est traduite en trois langues : russe, anglais et chinois. 
Tumblr media
La journée suivante est beaucoup moins ensoleillée. Et beaucoup plus froide. Un car soviétique, le fameux OUAZ, nous prend en cours de route et s’arrête récupérer d’autres touristes. Nous visitons le nord de l’île, jusqu’au cap le plus avancé : Mys Khoboi. Les cars se suivent un à un, se garant en grappes sur les points d’intérêt pour laisser leurs clients réinventer leur Instagram. Je ne fis pas exception, évidemment. Mais il y a des moments où il faut simplement, purement regarder l’horizon lointain, et écouter le vent souffler. De toutes façons, vos doigts brûlent au bout de cinq minutes à l’air pur. 
Tumblr media
Notre chauffeur s’arrête aux rochers nommés les Trois Frères pour préparer le repas : il m’explique que la légende veut qu’un roi ordonna à ses trois fils de récupérer sa fille en fugue. Ils la trouvèrent sur le cap Mys Khoboi, tout au Nord ; mais la fille refusa de rentrer et conclut un marché avec ses frères.
Le temps d’autres récits épiques, le repas est prêt : une soupe faite de maquereau, de pommes de terres et de carottes. Le bol de métal fume, tout comme le thé ; le pain et les prianikis, petits gâteaux durs à la cannelle, g��lent au bout de quelques secondes. On a tendance à manger vite, effectivement. Il brave la glace, sûr de lui, pour nous emmener de manière imprévue plus au nord, où le froid a cristallisé l’eau transformée en cristaux bleus translucides. J’apprends qu’il conduit les touristes à temps partiel, et s’apprêtent à retourner à Irkoutsk pour travailler en tant qu’électricien. L’excursion est déjà finie.
Tumblr media
Le Nord n’ayant plus de secret pour moi (en toute ironie, bien sûr), nous réitérons l’expérience au sud le lendemain. Le soleil est revenu, et la différence est sensible. Notre nouveau chauffeur est beaucoup plus bavard, et parle volontiers de sa culture bouriate, et ses liens avec le peuple russe. Il s’appelle Serguei, a deux fils, dont l’un travaille à Irkoutsk. Il est né dans un petit village au milieu des collines, et sa rangée de dents en or brille dans le rétroviseur. Sa peau raidie par le froid et tannée par le soleil nous laisse penser qu’il a entre 50 et 60 ans, tout de camouflage vêtu, un petit bonnet sur la tête, pas de gants, et des bottes en renne. Il plaisante volontiers sur notre incapacité à résister au froid, fumant cigarette sur cigarette.
Dès le début, il nous lance que nous mangerons de l’omul, le poisson phare du lac Baikal, lointain cousin du saumon. N’est-ce pas interdit d’en pêcher ? Ou avez-vous une autorisation ? lui demande-t-on. Il nous répond hilare en un mot, contraband. Au moins, les choses sont claires. Serguei lâche aussi, au cours d’une discussion sur les chamanes, quelque chose qui nous a marquées :
« Tu peux mentir au gouvernement, aux impôts. Mais pas à la personne (tchelovek). La personne c’est sacré. Donc tous ces pseudos-chamans de nos jours qui prennent de la thune (babki), ce ne sont pas des vrais. Tout se monnaye, tout est publicité. Pour être chamane, il faut que ça soit dans tes gènes, dans ta famille. Le chamane n’est ni à gauche, à droite, il est digne et honnête, et il te connaît mieux que toi-même. C’est pour ça qu’il te soigne. »
Mais les véritables chamanes se font rares de nos jours ; il y a quelques années, un russe ethnique était parvenu à devenir chamane, mais il parlait parfaitement bouriate. Des femmes chamanes existent aussi, de temps en temps. Mais de manière générale, la pratique fait plus parler les curieux que les locaux. Je demande à un moment la signification des petites constructions de galets à proximité des sites visités ; il me répond, sardonique, que c’est l’œuvre de touristes un peu trop impliqués. 
Tumblr media
Serguei n’aime pas les touristes chinois. Et par extension, du coup, les Chinois. Avec notre faible privilège de Françaises russophones, nous parvenons à gagner ses faveurs, et il nous fait découvrir des lieux à la beauté insoupçonnée, et à l’abri des centaines de curieux. L’omul est délicieux, surtout lorsqu’on le mange face à un désert de glace au-dessus duquel se découpent les collines presque mauves. Il insiste pour nous montrer la glace la plus transparente, où les plus belles bulles furent prises dans la glace à l’arrivée de l’hiver. Véritables œufs d’un blanc pur, parfois d’un mètre de diamètre, elles sont le rêve de tout touriste du Baikal. La glace bleu sombre, lézardée de failles et fissures, laisse parfois transparaître les galets du fond de l’eau. La profondeur n’est « que » de 350 mètres. Nous nous trouvons dans la Petite Mer. Mais plus loin, sur la côte est, dans la Grande Mer, les entrailles du Baikal se creusent jusqu’à 1600 mètres de profondeur. A un instant, on entend un bruit qui suscite une réaction immédiate de notre corps : la glace bouge, se fend sous les dizaines de couches, et renvoie un son sourd, profond, que j’ai comparé aux basses d’un cinéma. Le bruit fait le tour de la zone, vous encercle, et son amplitude vous fait prendre conscience de votre insignifiance face à la nature, sans vous assourdir, loin de là. Serguei se permet un commentaire poétique à la vue de nos têtes peu rassurées : le Baikal respire. 
Tumblr media
Raconter la totalité de ce que l’on ressent en traversant les plaines bleues, ouvertes sur le lac, est impossible : c’est quelque chose qu’il faut vivre soi-même. Cependant, j’ai tenté quelque peu de le faire, pour vous convaincre de l’expérience qu’est le lac Baikal. 
0 notes
Photo
Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media
Moi quand j'en ai pour 2sec et que je gare ma vache en warning. Village de Khoujir. Les maisons sont oufs, parfois biscornues, souvent en bois coloré. Presque tous les habitants se déplacent avec la même camionnette grise style soviétique. Routes de sable, chiens errants et maisons d'hôtes, le seul village de l'île d'Olkhon, située sur le Lac Baïkal, repose sur le tourisme mais ne perd pas pour autant de son charme jtrouve.
8 notes · View notes
theperiple · 11 years
Photo
Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media Tumblr media
Last day on Olkhon island, one important activity was still missing: gain some additional 25 years of lifetime by swimming in the Lake Baikal! So that's what we decided to do despite the freezing water temperature! We even drunk some of the lake water (no additional years this time) and did not get sick. After seeing the shaman rock and mediating in the afternoon (laundry and taking a nap), we ended the evening around a fire camp at the beach. That's when we lost the 25 years we won earlier having some drinks with Alexis and Lucie... Hope to see you again in Mongolia for another french gathering.
2 notes · View notes