Tirés des Écrits, ces morceaux choisis de "La science et la vérité" permettent de saisir les fondements de l’éthique de la psychanalyse, la vraie (qui ne se confond pas avec les prises de position de ceux qui instrumentalisent le nom de Lacan, s’en faisant les représentants de commerce et les employés de bureau auprès d’autres lieutenants du discours dominant)...
•L'inconscient
L’inconscient est un concept forgé sur la trace de ce qui opère pour constituer le sujet.
L’inconscient n’est pas une espèce définissant dans la réalité psychique le cercle de ce qui n’a pas l’attribut (ou la vertu) de la conscience. 830
Pour la science, le cogito marque au contraire la rupture avec toute assurance conditionnée dans l’intuition. 831
Si j’ai dit que l’inconscient est le discours de l’Autre avec un grand A, c’est pour indiquer l’au-delà où se noue la reconnaissance du désir au désir de reconnaissance.
Autrement dit cet autre est l’Autre qu’invoque même mon mensonge pour garant de la vérité dans laquelle il subsiste.
À quoi s’observe que c’est avec l’apparition du langage qu’émerge la dimension de la vérité. 524
Le sujet, le sujet cartésien, est le présupposé de l’inconscient, nous l’avons démontré en son lieu.
L’Autre est la dimension exigée de ce que la parole s’affirme en vérité.
L’inconscient est entre eux leur coupure en acte. (La rétroaction du signifiant en son efficace.) 839
•La Vérité
Quoi qu’il en soit, notre double référence au sujet absolu de Hegel et au sujet aboli de la science donne l’éclairage nécessaire à formuler à sa vraie mesure le dramatisme de Freud : rentrée de la vérité dans le champ de la science, du même pas où elle s’impose dans le champ de sa praxis : refoulée, elle y fait retour. p799
Dire que le sujet sur quoi nous opérons en psychanalyse ne peut être que le sujet de la science peut passer pour paradoxe [..] De notre position de sujet, nous sommes toujours responsables [..] L’erreur de bonne foi est de toute la plus impardonnable.
La position du psychanalyste ne laisse pas d’échappatoire puisqu’elle exclut la tendresse de la belle âme. 858-859
Oui ou non, ce que vous faites, a-t-il le sens d’affirmer que la vérité de la souffrance névrotique, c’est d’avoir la vérité comme cause? 870
Seule la psychanalyse est en mesure d’imposer à la pensée cette primauté en démontrant que le signifiant se passe de toute cogitation, fût-ce des moins réflexives, pour effectuer des regroupements non douteux dans les significations qui asservissent le sujet, bien plus : pour se manifester en lui par cette intrusion aliénante dont la notion de symptôme en analyse prend un sens émergent : le sens du signifiant qui connote la relation du sujet au signifiant.
Aussi bien dirions-nous que la découverte de Freud est cette vérité que la vérité ne perd jamais ses droits. 467
•Le refoulement originaire
Le sujet donc, on ne lui parle pas. Ça parle de lui, et c’est là qu’il s’appréhende, et ce d’autant plus forcément qu’avant que du seul fait que ça s’adresse à lui, il disparaisse comme sujet sous le signifiant qu’il devient [identification], il n’était absolument rien. 835
On comprendra dès lors que notre usage de la phénoménologie de Hegel ne comportait aucune allégeance au système, mais prêchait d’exemple à contrer les évidences de l’identification. 837
Prêter ma voix à supporter ces mots intolérables "Moi, la vérité, je parle..." passe l’allégorie. Cela veut dire tout simplement tout ce qu’il y a à dire de la vérité, de la seule, à savoir qu’il n’y a pas de métalangage (affirmation faite pour situer tout le logico-positivisme), que nul langage ne saurait dire le vrai sur le vrai, puisque la vérité se fonde de ce qu’elle parle, et qu’elle n’a pas d’autre moyen pour ce faire.
C’est même pourquoi l’inconscient qui le dit, le vrai sur le vrai, est structuré comme un langage, et pourquoi, moi, quand j’enseigne cela, je dis le vrai sur Freud qui a su laisser, sous le nom d’inconscient, la vérité parler.
Ce manque du vrai sur le vrai, qui nécessite toutes les chutes que constitue le métalangage en ce qu’il a de faux-semblant, et de logique, c’est là proprement la place de l’Uverdrängung, du refoulement originaire attirant à lui tous les autres. 867-868
Le manque dont il s’agit est bien ce que nous avons déjà formulé : qu’il n’y ait pas d’Autre de l’Autre. 818
Ce signifiant sera donc le signifiant pour quoi tous les autres signifiants représentent le sujet. 819
Le désir est ce qui se manifeste dans l’intervalle que creuse la demande en deçà d’elle-même, pour autant que le sujet en articulant la chaîne signifiante, amène au jour le manque à être avec l’appel d’en recevoir le complément de l’Autre, si l’Autre, lieu de la parole, est aussi le lieu de ce manque.
Ce qui est ainsi donné à l’Autre de combler et qui est proprement ce qu’il n’a pas, puisque à lui aussi l’être manque, est ce qui s’appelle l’amour, mais c’est aussi la haine et l’ignorance. 627
Si le désir est la métonymie du manque à être, le Moi est la métonymie du désir. 640
C’est cette image qui se fixe, moi idéal, du point où le sujet s’arrête comme idéal du moi. Le moi est dès lors fonction de maîtrise, jeu de prestance, rivalité constituée. 809
Dans la folie, quelle qu’en soit la nature, il nous faut reconnaître, d’une part, la liberté négative d’une parole qui a renoncé à se faire reconnaître, soit ce que nous appelons obstacle au transfert, et, d’autre part, la formation singulière d’un délire qui, - fabulatoire, fantastique ou cosmologique -, interprétatif, revendicateur ou idéaliste -, objective le sujet dans un discours sans dialectique. 280
•La religion
Dans la religion, la mise en jeu précédente, celle de la vérité comme cause, par le sujet, le sujet religieux s’entend, est prise dans une opération complètement différente.
L’analyse à partir du sujet de la science conduit nécessairement à y faire apparaître les mécanismes que nous connaissons de la névrose obsessionnelle. Freud les a aperçus dans une fulgurance qui leur donne une portée dépassant toute critique traditionnelle. Prétendre y calibrer la religion, ne saurait être inadéquat.
Si l’on peut partir de remarques comme celle-ci : que la fonction qu’y joue la révélation se traduit comme une dénégation de la vérité comme cause, à savoir qu’elle dénie ce qui fonde le sujet à s’y tenir pour partie prenante, - alors il y a peu de chance de donner à ce qu’on appelle l’histoire des religions des limites quelconques, c’est-à-dire quelque rigueur.
Disons que le religieux laisse à Dieu la charge de la cause, mais qu’il coupe là son propre accès à la vérité. Aussi est-il amené à remettre à Dieu la cause de son désir, ce qui est proprement l’objet du sacrifice. Sa demande est soumise au désir supposé d’un Dieu qu’il faut dès lors séduire. Le jeu de l’amour entre par là.
Le religieux installe ainsi la vérité en un statut de culpabilité. Il en résulte une méfiance à l’endroit du savoir, d’autant plus sensible dans les Pères de l’Eglise, qu’ils se démontrent plus dominants en matière de raison.
La vérité y est renvoyée à des fins qu’on appelle eschatologiques, c’est-à-dire qu’elle n’apparaît que comme cause finale, au sens où elle est reportée à un jugement de fin du monde.
D’où le relent d’obscurantisme qui s’en reporte sur tout usage scientifique de la finalité.
J’ai marqué au passage combien nous avons à apprendre sur la structure de la relation du sujet à la vérité comme cause dans la littérature des Pères, voire dans les premières décisions conciliaires. Le rationalisme qui organise la pensée théologique n’est nullement, comme la platitude se l’imagine, affaire de fantaisie.
S’il y a fantasme, c’est au sens le plus rigoureux d’institution d’un réel qui couvre la vérité. 872-873
•La science
Pour ce qui est de la science [..] je l’aborderai par la remarque étrange que la fécondité prodigieuse de notre science est à interroger dans sa relation à cet aspect dont la science se soutiendrait : que la vérité comme cause, elle n’en voudrait-rien-savoir.
On reconnaît là la formule que je donne de la Verwerfung ou forclusion, - laquelle viendrait ici s’adjoindre en une série fermée à la Verdrängung, refoulement, à la Verneinung, dénégation, dont vous avez reconnu au passage la fonction dans la magie et la religion. 874
Certes me faudra-t-il indiquer que l’incidence de la vérité comme cause dans la science est à reconnaître sous l’aspect de la cause formelle. 875
Ai-je besoin de dire que dans la science, à l’opposé de la magie et de la religion, le savoir se communique?
Mais il faut insister que ce n’est pas seulement parce que c’est l’usage, mais que la forme logique donnée à ce savoir inclut le mode de communication comme suturant le sujet qu’il implique. 876
•Les sciences de l'homme
Une physique est concevable qui rende compte de tout au monde, y compris de sa part animée. Un sujet ne s’y impose que de ce qu’il y ait dans ce monde des signifiants qui ne veulent rien dire et qui sont à déchiffrer. 840
Il n’y a pas de science de l’homme, ce qu’il nous faut entendre au même ton qu’il n’y a pas de petites économies. Il n’y a pas de science de l’homme, parce que l’homme de la science n’existe pas, mais seulement son sujet.
On sait ma répugnance de toujours pour l’appellation de sciences humaines, qui me semble être l’appel même de la servitude. 859
La dénégation inhérente à la psychologie en cet endroit serait, à suivre Hegel, plutôt à porter au compte de la Loi du coeur et du délire de présomption [..]
La psychologie est véhicule d’idéaux : la psyché n’y représente plus que le parrainage qui la fait qualifier d’académique. L’idéal est serf de la société.
Un certain progrès de la nôtre illustre la chose, quand la psychologie ne fournit pas seulement aux voies, mais défère aux voeux de l’étude de marché. 832
La psychanalyse alors y subvient à fournir une astrologie plus décente que celle à quoi notre société continue de sacrifier en sourdine. 833
•La pulsion
La pulsion, telle qu’elle est construite par Freud, à partir de l’expérience de l’inconscient, interdit à la pensée psychologisante ce recours à l’instinct où elle masque son ignorance par la supposition d’une morale dans la nature.
La pulsion, on ne le rappellera jamais assez à l’obstination du psychologue qui, dans son ensemble et per se, est au service de l’exploitation technocratique, la pulsion freudienne n’a rien à faire avec l’instinct (aucune des expressions de Freud ne permet la confusion).
La Libido n’est pas l’instinct sexuel. Sa réduction, à la limite, au désir mâle, indiquée par Freud, suffirait à nous en avertir. 851
Qu’on nous laisse rire si l’on impute à ces propos de détourner le sens de l’oeuvre de Freud des assises biologiques qu’il lui eût souhaitées vers les références culturelles dont elle est parcourue. 321
Mais Freud nous révèle que c’est grâce au Nom-du-Père que l’homme ne reste pas attaché au service sexuel de la mère, que l’agression contre le Père est au principe de la Loi et que la Loi est au service du désir qu’elle institue par l’interdiction de l’inceste.
Car l’inconscient montre que le désir est accroché à l’interdit, que la crise de l’Oedipe est déterminante pour la maturation sexuelle elle-même.
Le psychologue a aussitôt détourné cette découverte à contre-sens pour en tirer une morale de la gratification maternelle, une psychothérapie qui infantilise l’adulte, sans que l’enfant en soit mieux reconnu. 852
•L'analyste
On ne saurait ici que remarquer qu’à ce libertin près qu’était le grand comique du siècle du génie, on n’y a pas, non plus qu’au siècle des lumières, attenté au privilège du médecin, non moins religieux pourtant que d’autres.
L’analyste peut-il s’abriter de cette antique investiture, quand laïcisée, elle va à la socialisation qui ne pourra éviter ni l’eugénisme, ni la ségrégation politique de l’anomalie? 854
Car, nous l’avons dit sans entrer dans le ressort du transfert, c’est le désir de l’analyste qui au dernier terme opère dans la psychanalyse. 854
Les psychanalystes font partie du concept de l’inconscient, puisqu’ils en constituent l’adresse. 834
Qu’y renonce donc plutôt celui qui ne peut rejoindre à son horizon la subjectivité de son époque. Car comment pourrait-il faire de son être l’axe de tant de vies, celui qui ne saurait rien de la dialectique qui l’engage avec ces vies dans un mouvement symbolique.321
Méthode de vérité et de démystification des camouflages subjectifs, la psychanalyse manifesterait-elle une ambition démesurée à appliquer ses principes à sa propre corporation. 241
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