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lefeusacre-editions · 6 years
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BOOKHOUSE BOYS #49 | LES FRÈRES LAMBERT | VIDÉASTES & AUTEURS
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Steven & Warren Lambert, deux personnages aussi paradoxalement discrets qu’ils sont immenses. Dans la même pièce on les mélange, séparés on les confond. Mais dans l’un ou l‘autre cas, les deux Lambert, vrais frères pas jumeaux pour un sou, ont cette faculté d’agrandir les hommes qu’ils croisent au lieu de faire peser leur ombre de garçons courbés sur plus petit qu’eux. On a vu Steven L. au menu de Vies et morts des super-héros et l’on se souvient de Warren L. au programme du Livre des trahisons. Ensemble ils font des films. Isolément, Steven, l’aîné, est hanté par le motif de la boucherie (son poignant documentaire Sans colère et sans haine  ou son commissariat à l’exposition Boucherie féerique). Plus jeune et un rien plus haut - à moins que ce ne soit l’inverse -, Warren sort aujourd’hui TROPIQUE DU SPLENDID, un essai salutaire sur la France telle qu’elle est perçue depuis plus de quarante ans par les Bronzés et telle qu’on veut nous la faire gober - ce livre est un médicament de l’âme.
Les Frères Lambert sont nos premiers Bookhouse Boys de l’année 2019.
Welcome.
| Que trouve-t-on comme nouvelles acquisitions dans ​vos bibliothèques ?
STEVEN : Je n’ai pas de bibliothèque chez moi, du coup j’empile et en plus je lis lentement mais je vois : le catalogue de l’exposition que Thomas Hirschhorn a consacrée au poète Manuel Joseph, la monographie de Delphine Wibaux, Sur la forme de Jean-Christophe Bailly, Les Années 10 de Nathalie Quintane, Nuits étroitement surveillées de Pierre Pachet, Insomniac Dreams le recueil des petites fiches que tenait Nabokov sur ses rêves, L’Ecriture des pierres de Roger Caillois, Jerusalem d’Alan Moore, La Philosophie floue de Miller Levy et bien sûr Tropique du Splendid.
WARREN : Hormis les livres que j’ai reçus pour Noël (les lettres de Lou à Guillaume Apollinaire et Éloge de l’ombre de Jun'ichirō Tanizaki), il y a Autoportrait de l’auteur en coureur de fond de Haruki Murakami. De lui, j’ai d’abord lu ses nouvelles puis je suis tombé sur ce livre qui semblait avoir beaucoup de lien avec, d'une part, un regain depuis un an de mon activité physique et littéraire, et d’autre part avec le livre que je finis en ce moment sur la saga Rocky. Je l’ai d’ailleurs délibérément acheté dans l’édition 2009 parue chez Belfond pour sa couverture, sur laquelle on voit une petite photo en pied de l’écrivain, dos à nous, le corps luisant seulement revêtu d’un short et d’une paire de baskets, et qui me rappela immédiatement l’affiche belge du premier Rocky que j’ai chez moi, où Adrian habillée avec une élégance folle se tient main dans la main avec Stallone en tenue de boxeur, prêts à partir au loin comme le couple à la fin des Temps modernes de Chaplin.
| Quels livres marquants avez-vous ​l’un et l’autre découver​​t​s ​ à l'adolescence, et que ​vous possédez toujours ?
STEVEN : Je suis un spectateur avant d’être un lecteur mais je me soigne. Je ne lisais pas beaucoup au lycée sinon ce que tout groupuscule « littéraire » lit à un moment, comme le Werther de Goethe. Pour ne rien arranger je donne depuis plusieurs années partie de mes livres à la bibliothèque d’un squat. Le seul livre auquel je pense c’est le recueil La Rose de Robert Walser.
WARREN : Perceval ou le conte du Graal de Chrétien de Troyes ; Un roi sans divertissement de Jean Giono ; Nadja d’André Breton ; Fin de Partie de Samuel Beckett. En gros, tous les livres du programme à l'époque au lycée ! Comme quoi… En même temps quand j'y pense : l’amour courtois, une parabole sur la Nature anthropophage, le surréalisme et le théâtre de l’absurde, ça ressemble aussi quelque part au programme d’une vie.
| Sans égard pour sa qualité, lequel de vos livres possède la plus grande valeur sentimentale, et pourquoi ?
STEVEN : Je suis un fétichiste de l’objet livre. Tous les livres ont pour moi une valeur sentimentale, encore plus ceux qu’on me donne à lire.
WARREN : Tous les livres que l’on m’a offerts et ceux que j’ai acquis au Regard Moderne, l’antre de feu Jacques Noël, l’archange des libraires parti dans l’autre monde il y a deux ans. Et puis mes premières bandes dessinées achetées par mon père – que j’ai d’ailleurs refilées depuis à mon petit frère – sur lesquelles se trouvent encore au dos l’étiquette avec le prix en francs quasi effacée.
| Lequel de​ vos livres offririez​-​vous à quelqu'un qui vous plaît ?
STEVEN : Je lui offrirais des fleurs.
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WARREN : J’ai hélas arrêté ces ruses-là à la fac. Du reste, je crois bien n’avoir jamais offert à quelqu’un de livre qui ait un sens à percer, une sorte de message secret. J’ai arrêté parce que c’était plutôt moi qui me perdait chaque fois qu’une femme que j’aimais m’offrait quelque chose. Je l’ai en revanche beaucoup fait avec les films, et aujourd’hui peut-être un peu encore avec la musique, les chansons. Avec une chanson, c'est ce qui me plait, plus c’est gros, plus ça passe. Et je me suis rendu compte, paradoxalement, que plus c’est gros, plus c’est insoupçonnable.
| Que trouve-t-on comme livres honteux dans ​vos rayonnages ?
STEVEN : Là où il y a du plaisir, il n’y a pas de honte.
WARREN : Il n’y a pas de livres honteux, il n’y a que des livres que j’ai parfois honte de ne pas avoir encore lus. J’ai même découvert qu’au Japon, il existait un mot pour cette manie d’accumuler les livres et de ne pas les lire : tsundoku. Mais comme avec les rencontres, je me console en me disant que maintes fois certains se sont confirmés être de très bonnes intuitions, même s'ils auront mis du temps pour arriver jusqu’à moi ou moi à eux. Et d’autres qui, au fond, n’étaient dès le début absolument pas des histoires sérieuses.
| Quels livres a​vez-vous hérité de ​vos proches ?
STEVEN : Ceux qu’ils ont écrits et qui m’ont donné envie d’écrire et montré que c’était aussi possible d’écrire comme ça : le livre sur Lost de Pâcome Thiellement, Traum d’Aurélien Lemant, le Rocky de mon frère.
WARREN : Aucun, mais cela s'explique parce que, par exemple, mon père était et est encore davantage un lecteur de journaux que de livres. Je me souviens qu’il les conservait tous à une époque. Lorsqu’adolescent, mon père a déménagé, je revois encore au grenier chez ma grand-mère paternelle les dizaines de cartons d’exemplaires du « Monde », comme de grosses boites inédites d’On Kawara et qu’il mit à la poubelle comme on se débarrasserait d’une vie, mais qui en l’occurrence serait aussi celle des autres, de tout le monde. En ce qui concerne ma mère, son goût s'est toujours principalement porté sur les biographies, ce qui n’était pas mon truc, aussi je ne lui ai jamais piqué un seul bouquin. Elle avait également en évidence sur la bibliothèque le Quarto Gallimard de Marcel Proust, et je me revois me dire, gamin, que jamais je ne passerai mon temps à lire un livre aussi gros, qui plus est sur le Temps perdu.
| Le livre que ​chacun a le plus lu et relu ?
STEVEN : Je relis rarement sinon jamais un livre. Je retourne vers certains passages, je lis d’autres livres du même auteur ou j’explore la constellation qu’il tisse ou que je lui tisse avec d’autres. J’ai beaucoup relu les livres de Philippe Lacoue-Labarthe. J’ai envie de revenir vers Que faire des classes moyennes ? de Quintane.
WARREN : Il y a un livre chez mes grands-parents maternels qui nous a marqué mon frère et moi quand nous étions mômes, qui était un livre relié, ancien et de grand format, aux tranches dorées, sur Léonard de Vinci. Mon grand-père avait appris la reliure en autodidacte et je ne sais pas si ce livre épais en était un de sa fabrication. Je ne crois pas que nous ayons jamais lu ne serait-ce qu’une ligne de cet ouvrage qui, dans mon souvenir, semblait assez technique, mais je sais que nous l’avons beaucoup feuilleté, ouvert au hasard. Il devait, je pense, avoir simplement à nos yeux de gosses la magie du livre d'une Histoire sans fin, ou de ceux prenant vie dans Richard au pays des Livres magiques.
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| Le livre qui suscite en ​vous des envies d'autodafé ?
STEVEN : Je suis incapable de faire du mal à un livre. Je préfère les livres qui brûlent d’eux-mêmes.
WARREN : Je prends soin de ne pas ouvrir les livres qui me dégoûtent d’avance. Question d’hygiène.
| On ​vous propose de vivre éternellement dans un roman de votre choix, oui, mais lequel ?
STEVEN : Ça n’a pas l’air d’avoir trop réussi au narrateur de l’Invention de Morel.
WARREN : Non de vivre mais, comme dans Fahrenheit 451 de Truffaut, plutôt d’en savoir un par cœur, je choisirais Novecento : pianiste d’Alessandro Baricco, un livre que j’ai découvert tout à fait récemment. Tiens, voilà un de ces livres qui a mis pile dix ans à arriver jusqu’à moi alors que c'est la femme avec qui pourtant je vivais qui me l’a offert et dédicacé en décembre 2008. Et puis celui-ci serait facile à apprendre puisqu’il s’agit d’un monologue.
| Quel est l'incunable que ​vous rêvez de posséder, votre saint Graal bibliophilique ?
STEVEN : Je suis bien trop paresseux pour courir après un livre.
WARREN : Je ne rêve pas de livre. Le livre rêvé est toujours celui que l’on me mettrait entre les mains et dont je ne soupçonnais pas qu'il était fait pour moi, qu'il était celui que j'attendais exactement au moment où j'en aurais besoin. Cela m'est arrivé de nombreuses fois, par hasard ou grâce à des amis, et chaque fois ce miracle est une façon tellement puissante de vous reconnecter avec le monde.
| Au bout d'une vie de lecture, et s'il n'en restait qu'un ?
STEVEN : Je suis nul en devinettes.
WARREN : Le dernier que je serai en train de lire avant de fermer les yeux, et si possible sans avoir pu en connaître la fin.
Crédit photos : Vladimir Vatsev
Le Feu Sacré sera présent au vernissage de TROPIQUE DU SPLENDID, le mardi 12 février 2019, à la librairie LE MONTE-EN-L’AIR (PARIS) dès 19h. La soirée sera présentée par notre ami Pacôme Thiellement, maître de cérémonie.
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Pacôme Thiellement ou la transcendance des obsessions
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Comment est-ce que je me suis retrouvée à lire un bouquin sur Jésus ? Durant les premières pages de "La victoire des Sans Roi. Révolution gnostique", qui passent en revue différentes appropriations par les apôtres de la pensée de Jésus, j'ai eu le temps de me poser la question. Je n'ai pas le moindre rapport avec la religion et un intérêt en dessous de zéro pour le christianisme. Mais il a fallu deux phrases, en fin de chapitre, pour que craque l'allumette de la curiosité et que je me souvienne ce que j'étais venue faire là.
"Dieu est le pire ennemi de Jésus et Jésus est le pire ennemi de Dieu. Et c'est là que les problèmes commencent."  
Si je viens de finir un bouquin sur les Gnostiques, les premiers adversaires du christianisme, fidèles de Jésus mais dissidents de l'Eglise chrétienne, c'est de la faute de Pacôme Thiellement.
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J'ai rencontré ses écrits autour de 2012-2013. Je lisais à l'époque avidement le site qui a le plus bâti ma conscience politique, Les Mots Sont Importants, créé par Sylvie Tissot et Pierre Tevanian. Les articles de Pacôme Thiellement portaient sur "Céline et Julie vont en bateau", le film de Jacques Rivette. Je me souviens, je n'y comprenais rien. C'étaient parmi les textes les plus ésotériques, confus et colorés que j'avais pu lire. Mais il élaborait une analyse qui avait créé en moi une petite déflagration. Sa proposition consistait à dire que les films dans lesquels les femmes sont amies, collaborent entre elles et ne sont pas punies pour ça, sont rarissimes. "Céline et Julie" en est le parangon. Le film, que j'ai fini par découvrir lors d'un mini ciné-club féministe, compte depuis parmi ce que j'ai vu de plus ésotérique, confus et coloré. Et les bouquins de Pacôme Thiellement me happent peu importe le sujet.
Il parvient à écrire avec suspense des essais qui articulent une mosaïque d'objets culturels populaires et des enseignements théoriques et spirituels qui, on l'aura compris, peuvent remonter à perpète. Il a l'art de semer des graines qui font lever un sourcil, tendre l'oreille, et qu'on ne comprendra pourtant que deux ouvrages plus loin. Il parle de gens, de lieux, en énonçant des noms qui ne sont pas toujours explicités. Sans nécessairement de contexte ni de pédagogie, le lecteur doit accepter de ne pas savoir où il va, où il est. Pour la blague, j'ai lu tout "Tu m'as donné de la crasse et j'en ai fait de l'or" et un bon tiers de "La victoire des Sans Roi" en pensant que le lieu de la découverte des textes des Gnostiques en 1945, la bibliothèque de Nag Hammadi, appartenait à quelqu'un. Je pensais que Nag Hammadi était une personne. (C'est une ville égyptienne proche de Louxor). Mais quand bien même on est souvent paumé, quand bien même la langue, les correspondances et les symboles sont parfois obscurs, je n'ai jamais été passionnée par des essais de cette façon. A part chez Mona Chollet, ce n'est jamais un type de littérature que je n'arrive pas à lâcher. Pourquoi est-ce que j'aime autant les livres de Pacôme Thiellement ?
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Je partage peu de ses obsessions culturelles. Il y a bien Lynch, Philip K. Dick, The OA... Mais je ne suis ni proche de Franck Zappa, ni des Beatles, ni de Beaudelaire, ni de Blake, ni de Shakespeare. Je n'ai fini ni Lost, ni Buffy, ni The Leftovers. Mais ce n'est pas un problème. J'ai mes propres obsessions et je sais ce que ça peut faire à l'âme. De ça découle ma fascination pour le travail d'alchimiste qu'il opère, connectant des séries TV à des préceptes datant du début de la chrétienté, reliant au divin des récits de science-fiction et tirant de pop songs des enseignements existentiels. Il me semble être l'un de ceux qui parviennent le mieux à penser avec ses obsessions culturelles. Et il fournit généreusement la possibilité de penser avec lui. Son appropriation des œuvres, l'exégèse qu'il en fait, consiste à en retirer ce qui peut s'appliquer à l'existence. Ce qui peut résonner dans des petits bouts d'histoires personnelles, pour les connecter, les réconcilier ou en adoucir les contours. Il réussit à aller très haut dans l'abstraction, à nous égarer dans des circonvolutions vaporeuses, pour ensuite revenir tout en bas, l'appliquer au plus concret. Pacôme Thiellement nous dit littéralement comment l'art aide à vire.
Je suis parfois déstabilisée par sa façon de connecter des choses qui semblent n'avoir rien à voir. Chez Thiellement, si deux choses renvoient le même éclat, c'est qu'elles ont une essence en commun. Il a une façon de planter des connexions entre les idées avec un aplomb qui leur donnerait presque de l'objectivité. Avec une habileté d'illusionniste, Il fait apparaitre un pont entre deux rives avant de vous regarder droit dans les yeux : "Evidemment qu'il a toujours été là, ce pont. Vous ne l'aviez jamais remarqué ?". La pratique n'est pas pour autant sans rigueur. Il y a bien des références aux Sans Roi dans les discours de John Lennon, quand bien même la lecture des paroles d'une chanson ne nous semble pas immédiatement probante. Mais si la pratique trouble, c'est que le fait de plaquer ses propres conceptions sur un contexte différent, de tisser une narration entre des évènements indépendants, est considéré dans des domaines comme les sciences humaines comme un écueil. Mais là, il le peut. Il y a dans la pensée critique sur l'art une liberté d'un autre ordre. Ce qu'il y a de chouette, quand on parle de forces supérieures, de pop culture et de prescriptions spirituelles (avec le même sérieux) c'est qu'on peut se permettre de bâtir des ponts qui finissent par ressembler à des tourbillons arachnéens. La sensibilité n'obéit à aucune autre loi que la subjectivité.
Même si on n'a pas les mêmes codes ou les mêmes interprétations de l'univers, on peut se retrouver dans ce que Pacôme Thiellement garde du monde pour en faire une planche de salut : "l'art, l'amour et la politique".
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jakonews · 5 years
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🚨SPOILER ALERT 🚨 Vous avez peur qu'on vous spoile #GameofThrones ? #GOT Voilà pourquoi vous avez tort, selon l'écrivain spécialisé dans la pop culture PacomeThiel. pic.twitter.com/fPXt0RlFgv
— Le JAKO de l'île! 🇭 (@TwitJAKO) April 15, 2019
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lefeusacre-editions · 8 years
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JACQUES NOËL : IN MEMORIAM
Jacques Noël nous a quitté — Paris a perdu un de ses derniers lieux saints
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Photo | Muntz Termunch — illustrant l’article que lui avait consacré Gonzai en 2012
Comme le dit Warren Lambert ci-dessous, ‘Jacques a semé dans l’âme de beaucoup. Et avec lui, les livres servaient à se connaître vous et lui’. Tout le monde a son anecdote à raconter sur Jacques Noël. Le lieu et le personnage étaient propice à cela. Ce lieu, c’était plus qu’une librairie — cet homme, c’était plus qu’un libraire. Cet endroit avait quelque chose de mythologique [juché au cœur d’une rue elle-même mythique]. L’antre et la grotte convenaient mieux pour évoquer Un Regard Moderne que le mot librairie. Et aujourd’hui, la disparition de Jacques m’évoque moins le décès d’un homme que l'extinction du dernier des Korrigans — ou de la dernière des fées. C’est véritablement une page qui se tourne. Dans l’underground. Dans le milieu du livre. Dans l’histoire de Paris — de ce Paris avec qui nous tombons chaque année un peu plus en désamour.
Un certain nombre d’hommages très émouvants à Jacques Noël ont été spontanément publiés sur les réseaux sociaux ces dernières heures, parmi lesquels ceux de Warren Lambert, Pacôme Thiellement & Pierre Pigot. Avec l’accord de leurs auteurs, j’ai décidé de les compiler ici afin de les rendre public. Certains devraient se rajouter à la liste dans les heures qui viennent. 
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| WARREN LAMBERT |
          Un ami, un ami cher est parmi nous la veille. Et disparu le lendemain...
          J’ai vu Jacques pour la dernière fois il y a seulement quelques semaines, je venais lui amener, fier comme un gosse, un exemplaire du Livre des trahisons sur le quinquennat de la gauche, à lui qui, à chacun de mes passages depuis deux ans, me demandait plutôt l'état d’avancement de mon essai sur Le Splendid’. J’ai eu le temps de lui dire que je l’avais achevé. J’ai eu le temps de lui remettre, à la place, le premier ouvrage dans lequel je venais d’être publié. Je n’aurai pas eu le temps, en revanche, de lui exprimer encore ma reconnaissance éternelle ; combien il est, a été et continuera d’être pour moi un des rares cas vivants de sainteté que j'aurais eu la chance et le bonheur immenses d'aimer et de côtoyer : une intransigeance, une persévérance et une foi infinies mêlées à des rires espiègles fracassant les maux, de furtives caresses dans le dos guérissant l’accablement de notre époque, et des cafés ou des sucreries pour ponctuer nos échanges comme autant d’ambroisies bienfaisantes. Un des derniers livres, ce jour-là, avec lequel je suis reparti dans ma poche avait été Socialisme-Satanique de Jean-Louis Costes, un opuscule de quelques feuillets à peine qui, je le pressentais, ridiculiserait notre pensum de quatre cent pages que je venais de lui offrir sur le gouvernement Hollande. Ce dur et stimulant retour de bâton de l’humilité et de la simplicité, voilà ce qui manquait rarement de vous sauter au visage en vous aventurant dans sa librairie pleine des choses les plus invraisemblables et bariolées que vous puissiez rêver.
          Jacques a semé dans l’âme de beaucoup. Les livres servaient à se connaître, vous et lui. Il les disposait entre vos mains en pensant à chaque fois que les vôtres seraient les bonnes ; celles pour qui ce livre, cette revue, cette bande-dessinée, ce fanzine, avaient été imprimés. Il se trompait rarement ; parfois il était seulement trop en avance.
          Son antre troglodyte exiguë, si les touristes aimaient au grand dam de son hôte la prendre en photo sans même y entrer, sans même y ouvrir un livre, c’est qu’elle était faite pour le collé-serré, les battements de cœur palpables avant tout dans les yeux. Jacques aura, au fond, moins vendu de livres qu’il n'aura été le foyer centrifuge d’amitiés indéfectibles, car il avait compris depuis longtemps que les livres restaient avant tout eux-mêmes des sortes de rencontres.
          De moins en moins de gens se déplaçaient à sa librairie depuis les récents attentats, et cette apoplexie générale l’emmerdait beaucoup. Les temps étaient de plus en plus durs, mais surtout de moins en moins cléments pour un Mohican tel que lui. Mais si le fauve était parfois las, il n’en avait pas pour autant perdu son mordant, tout particulièrement pour congédier les vautours innombrables qui se pressaient pour lui proposer, sous couvert de prolonger le « prestige » du lieu, de lui racheter son commerce, son fonds et ses murs.
          Quand on arrivait à l’angle de la rue Gît-le-Coeur, on avait une chance sur deux de voir sa silhouette noire rehaussée de sa crinière blanche en train de lire ou de fumer un clope sur le seuil de sa librairie. Il n’attendait pas, bien qu'il attendait beaucoup : il guettait. Quand il vous apercevait, le voilà qui rentrait presque immédiatement à l’intérieur, comme par pudeur.
          Sa librairie m'évoquera toujours la boutique intrigante et magique de cette BD de Fred, L’histoire de la dernière image, et lui, le Baron Tzigane qui prenait le héros par la main dans un voyage halluciné de sa propre psyché. Dedans, ça dansait, ça fouettait le regard ; c'était l'anti-caverne de Platon. Plutôt un long film ininterrompu, un mash-up sans cesse plus affolant dont les dessins, les images, les mots procrastinaient les limites de votre âme. Il y régnait une gloutonnerie enfantine. On se retrouvait bel et bien entre gosses dans une piaule qu'on savait ne jamais être rangée... alors qu'elle l'était. Chaque chose exactement à sa place, vous y compris.
          Cette échoppe avec son requin en vitrine de la bande-dessinée de Fred, c’est ça pour moi « Un Regard Moderne ». Chesterton écrivait que les plus belles pages de Robinson Crusoé étaient l’inventaire des objets qui avaient réchappé au naufrage. « Le plus beau des poèmes est un inventaire », concluait l'auteur anglais. A chacun le sien désormais ; inventaire et poème. Car leur point commun indéfectible à tous sera celui de nos amitiés trouvées ou amenées là-bas.
          Jacques Noël est mort à la suite d’une rupture d’anévrisme dans la nuit du 30 septembre. Cette nuit, j'ai pu le revoir en rêve, j'ai pu encore entendre son rire, et rien que pour ça, ce matin est pour moi un peu moins gris. Si les nerfs ont lâché, jamais son cœur, lui, n'aurait flanché. Ce cœur, comme chacun sait, qu'il avait gros comme un radeau.
https://vimeo.com/40229622
Jacques Noël, par Bernard Décaudin (fin des années 80)
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| PACÔME THIELLEMENT |
          Jacques Noël vient de partir. Il avait inventé la librairie comme porte vers l'autre monde - on entrait au Regard Moderne rue Gît-le-coeur et on basculait dans des univers parallèles. On se perdait dans des espaces entre les espaces. On était comme Alice dans le terrier, tout était toujours trop grand ou trop petit et Jacques - énigmatique et impérial comme un Chat de Chester - nous passait des livres qui officiaient comme des gâteaux ou des boissons qui nous faisaient changer de taille. 
          Je ne sais plus si c'est Jean-Christophe Menu ou si c'est Placid qui m'en a parlé la première fois, tout début 1988. J'avais douze ans. Je suis entré dans sa précédente librairie, Les Yeux Fertiles, rue Dante ou Danton (à l'époque je les confondais, je n'avais pas lu le premier ni étudié le second) à la recherche de ce Graal nouveau : le graphzine. C'étaient des opuscules tirés à des poignées d'exemplaires, avec des images superbes, des visions sidérantes. Je connaissais déjà Bazooka, mais j'ai découvert Pascal Doury,Didier Captain Cavern, Y5/P5, Philippe Lagautrière, Jacques Pyon à travers des livres et des revues achetés chez lui. Autant dire que j'ai découvert la vie à travers les yeux qu'il nous fabriquait... Quels agencements improbables il laissait advenir ou provoquait par ses piles insensées de livres associés. J'ai passé un temps fou à chercher un livre caché derrière une pile de livres et un graphzine perdu dans un infra-rayon entre deux infra-rayons. Entre 1988 et 1991, il n'y avait pas un samedi où je ne me suis pas rendu dans sa librairie. Et je l'ai retrouvé en 1998, quand j'ai fait une autre revue, Spectre. Il est le premier libraire à qui je l'ai apportée. Je lui ai apporté quelques exemplaires de Spectre et je suis ressorti avec une pile de livres liés à Burroughs (mon écrivain-obsession à l'époque, et Jacques Noël en connaissait un rayon sur l'ancien habitant de la rue Gît-le-coeur). On trouvait tellement tout au Regard Moderne que c'était presque trop. Comme des joueurs invétérés ou des hommes en manque, on en aurait laissé notre chemise tant les merveilles et les raretés apparaissaient et semblaient soudain totalement indispensables. Personne n'était capable de nous faire vouloir impérativement un livre comme Jacques Noël, au point de ne plus savoir ensuite comment ce livre avait pu atterrir chez nous. Maintenant j'apprends que "le monde a perdu le meilleur libraire du monde" via le Facebook de Guillaume Dumora du Monte en l'air, autre meilleur libraire du monde. 
          Jacques Noël vient de partir... Je me console en me disant qu'à chaque fois que je ne me souviendrai plus de l'origine d'un livre présent dans ma bibliothèque, je penserai à lui.
Dessin de Jean-Christophe Menu extrait d’un hommage  à Kim Thompson de Fantagraphics — à gauche ; à droite : Chris Ware.
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| PIERRE PIGOT |
          Il y a trois semaines jour pour jour, accompagnant mon ami Warren Lambert, je lui serrai la main, et je lui achetai un livre (un roman épistolaire de Swinburne). « Et si je veux le livre tout en bas en bas de la pile, comment ça se passe ? », lui avais-je demandé avec un air faussement malicieux. "Oh, c'est tout simple", m'avait-il répondu. « C'est une affaire de quelques secondes. On pose dans un coin, et on repose ensuite ». Tout de noir vêtu, calme et tranquille, il était perché derrière une pile-bureau. Nous nous sommes dit au revoir dans la rue Gît-le-Coeur, et je me suis promis de revenir plus souvent. Aujourd'hui, j'apprends la mort de Jacques Noël. Aujourd'hui, confrérie des amis des livres, nous sommes tous comme dans un poème beau et triste de Borges : « Les livres, les comics, les plaquettes, les BD, les catalogues, les raretés, les épuisés, les surprenants, les cornés, les introuvables - ils ne sauront jamais qu'il est parti ». 
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| LAURENT LOLMÈDE |
IMAGINER... ... Paris sans Notre-Dame, la tour Montparnasse ou le Sacré-cœur... oui bon, pourquoi pas... Mais imaginer Paris sans Jacques Noël et sa librairie ‘Un Regard Moderne’, non, là vraiment, les carottes sont cuites.
Texte et dessin de Laurent Lolmède
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| SHIGE GONZALVEZ | 
Voici un court texte que je mettais en ligne il y a dix ou douze mois à propos de Jacques Noël : « Il n’y a qu’une librairie à Paris où l’on trouve la première publication du Lezard Fou au Chacal puant, trois fascicules de Hendrik Hegray d’un coup (le « No Hopes » et deux graphzines dépourvus de mention), les pages en fac-similé d’un carnet de croquis de Krabs, une grande publication sérigraphiée de Pipifax (Zürich), un petit livre aux couleurs chatoyantes de Ben Jones publié par PictureBox à Brooklyn, deux brochures de Thierry Guitard, le dernier Anne van der Linden (Alain Beaulet éditeur), titres dont une partie est épuisée mais qui sont proposés à des tarifs très abordables, cette librairie, c’est « Un regard moderne », rue Gît-le-Cœur, près de la fontaine Saint-Michel. C’est aussi la seule adresse à ma connaissance où le libraire accompagne le client dans ses moindre choix, agît comme un conseiller avisé, titillant la curiosité de l’intéressé, anticipant ses possibles évolutions, faisant en somme son métier. J’ai beau connaître ce lieu depuis des années, je suis toujours frappé par ce luxe : le temps, la disponibilité et la patience du libraire, sa passion inégalée pour l’art et les livres qu’il partage avec plaisir et générosité. Lorsqu’on le connaît un peu mieux, parce que c’est un homme discret, il évoque ses rencontres avec les artistes, leur travail, omettant de dire le plus souvent le rôle qu’il a pu jouer lui-même dans leur reconnaissance, non par modestie, mais parce que, là aussi, cela fait partie de son activité et qu’il ne la conçoit pas autrement. Je repensais à tout cela il y a quelques jours en sortant de chez Jacques Noël, à la chance que j’ai de pouvoir me rendre encore chez lui, aux trésors qui m’attendent dans les piles inexplorées qui menacent de s’effondrer à chaque instant. »
Jacques Noël avec Daniel Azélie le 5 août 2016 | Photo : Shige Gonzalvez
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