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PJ Proudhon's "Bank of the People"
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Xavier Dupret, Dis, câest quoi le capitalisme ?, Postface : Dialogue entre Paul Jorion et Vincent Burnand-Galpin
Xavier Dupret, Dis, câest quoi le capitalisme ? Waterloo : La Renaissance du Livre, vient de paraĂźtre. Ouvert aux commentaires.
Postface : Dialogue entre Paul Jorion et Vincent Burnand-Galpin
Quand Xavier Dupret nous a proposĂ© de prĂ©facer cet ouvrage, nous avons acceptĂ© avec enthousiasme. Son initiative ne pouvait ĂȘtre que soutenue de rendre accessible Ă tous une notion clĂ© dâĂ©conomie. Que ce soit dans la position dâanthropologue et Ă©conomiste de Paul, professeur associĂ© Ă lâInstitut catholique de Lille, ou de Vincent en tant quâĂ©tudiant en Ă©conomie et statistique Ă lâENSAE ParisTech, nous regrettons que lâenseignement des sciences Ă©conomiques soit un discours opaque mais surtout formatĂ©. Contrairement Ă nombre de nos contemporains, Xavier Dupret met ici en relief, avec clartĂ©, les dĂ©bats qui peuvent (et doivent !) traverser lâĂ©conomie et son mode de production dominant aujourdâhui, le capitalisme.
Ă notre sens, prĂ©facer cet ouvrage aurait Ă©tĂ© une source de distraction inutile, car il dĂ©crit mĂ©thodiquement lâĂ©tat prĂ©sent du capitalisme et met le doigt sur ses enjeux clĂ©s. Câest pourquoi nous avons proposĂ© Ă Xavier Dupret, plutĂŽt quâune prĂ©face, une postface pour prolonger ce dialogue entre les gĂ©nĂ©rations. Si un demi-siĂšcle nous sĂ©pare, les mĂȘmes interrogations pourtant nous rapprochent.
VBG : Jâai beaucoup appris en lisant cet ouvrage, mais jâai le sentiment que la discussion nâest pas allĂ©e jusquâau bout de la logique. Le capitalisme est ici prĂ©sentĂ© comme une bombe Ă retardement à cause de la multitude de ses limites actuelles (concentration des richesses, financiarisation accrue du systĂšme, rarĂ©faction du travail, crise de solvabilitĂ© des ĂtatsâŠ). Le capitalisme va-t-il nĂ©cessairement imploser ? Et si oui quand ?
PJ : Rappelons dâabord quelques vĂ©ritĂ©s de base. Le capitalisme, câest le systĂšme Ă©conomique qui donne lâavantage sur le plan politique au capitaliste, le dĂ©tenteur de capital. Or, quâest-ce que le capital ? Ce sont les ressources qui, manquant Ă la place oĂč elles seraient nĂ©cessaires pour permettre la production, la distribution ou la consommation des biens et des services, doivent ĂȘtre empruntĂ©es. Si les ressources manquent Ă la place oĂč elles sont nĂ©cessaires, câest que la propriĂ©tĂ© privĂ©e y fait artificiellement obstacle. Parce quâil y a eu emprunt des ressources faisant dĂ©faut, il y a rĂ©munĂ©ration par une rente que lâon appelle les « intĂ©rĂȘts » quand il sâagit dâun prĂȘt de particulier Ă particulier ou bien a Ă©tĂ© accordĂ© par une banque, mais aussi le « coupon » quand câest lâĂtat qui emprunte sous la forme de lâĂ©mission dâune obligation, et les « dividendes » quand les entreprises empruntent en Ă©mettant des actions de sociĂ©tĂ©s. Quâil sâagisse dâintĂ©rĂȘts, de coupon ou dâactions, ce sont lĂ autant de variations sur le mĂȘme thĂšme : celui dâune formule traditionnelle du partage des revenus et du risque entre le prĂȘteur (dĂ©tenteur de capital) et lâemprunteur (bĂ©nĂ©ficiant provisoirement de lâusage de ce capital) dans un systĂšme « à la part », plus connu sous son nom ancestral de « mĂ©tayage ». Dans ce type de contrat, lâemprunteur sâengage Ă reverser au prĂȘteur une part de la richesse quâil aura pu crĂ©er grĂące Ă lâemprunt, le montant de la part Ă©tant dĂ©fini conventionnellement par contrat. Ainsi, dans la formule fifty-fifty, le mĂ©tayer conserve pour lui la moitiĂ© de la moisson et verse lâautre au propriĂ©taire de la terre quâil a exploitĂ©e.
Le systĂšme tĂ©moigne de son efficacitĂ© si la situation permet quâune vĂ©ritable richesse soit crĂ©Ă©e en tirant parti de lâopportunitĂ© quâautorisent ce que Proudhon appelait les « aubaines » : la gĂ©nĂ©rositĂ© que la nature autour de nous manifeste Ă notre Ă©gard et qui nous permet dây jouer le rĂŽle de modestes « catalyseurs » grĂące Ă lâapport de notre travail. Quand une vĂ©ritable richesse nâest pas crĂ©Ă©e Ă partir de lâemprunt â dont le crĂ©dit Ă la consommation offre le meilleur exemple â, le versement des rentes sâassimile Ă une pompe siphonnant lâescarcelle des pauvres en direction des coffres des riches. Câest lĂ que nous en sommes dans notre sociĂ©tĂ© contemporaine. Notons que ce que lâon appelait « usure » au Moyen Ăge â et qui Ă©tait interdit â nâĂ©tait pas comme on lâentend aujourdâhui un taux dâintĂ©rĂȘt excessif, mais lâexigence dâun versement dâintĂ©rĂȘts, alors que lâemprunteur Ă©tait forcĂ© au crĂ©dit par la nĂ©cessitĂ©, Ă savoir prĂ©cisĂ©ment ce que nous appelons « crĂ©dit Ă la consommation ».
Quant Ă lâimplosion du capitalisme, jâai rappelĂ© dans Le capitalisme Ă lâagonie (Fayard, 2011) que la date du 18 mars 2009 serait retenue par lâhistoire comme celle qui signalerait la fin du capitalisme. Ce jour-lĂ , la Federal Reserve Bank, la Banque centrale amĂ©ricaine, avait annoncĂ© son intention de racheter des bons du TrĂ©sor (dette Ă long terme des Ătats-Unis) en quantitĂ©s considĂ©rables (pour un montant de 300 milliards de dollars), sans jamais disposer du moyen de retirer ces sommes, toute tentative en ce sens Ă©tant condamnĂ©e Ă provoquer une crise obligataire du fait de la remontĂ©e des taux qui en rĂ©sulterait, dĂ©prĂ©ciant alors lâensemble des obligations en circulation.
Pareil au serpent ouroboros dĂ©vorant sa propre queue, les Ătats-Unis avalaient dĂ©sormais leur propre dette, un processus dĂ©signĂ© par lâeuphĂ©misme sympathique de « quantitative easing ». La Banque centrale europĂ©enne suivrait le mĂȘme exemple Ă partir de mai 2009.
Le dollar cessa de disposer dâun Ă©quivalent or quand, en 1971, le prĂ©sident Nixon mit fin Ă la paritĂ© du dollar avec ce mĂ©tal. En 2009, le prĂ©sident Obama, en permettant Ă la Fed dâimprimer autant de dollars quâelle le jugea bon, mit fin Ă la paritĂ© du dollar avec quoi que ce soit, faisant de lâarrogance de la nation amĂ©ricaine la seule mesure restante de la valeur de sa devise.
Anticiper une reprise de lâĂ©conomie par une injection massive de liquiditĂ©s aurait eu un sens si une garantie existait que les sommes faramineuses injectĂ©es se soient retrouvĂ©es dans lâĂ©conomie sous la forme de pouvoir dâachat des consommateurs, mais dans un monde Ă©conomique oĂč les salaires stagnent depuis la fin des annĂ©es 1970 â ayant dĂ©crochĂ© Ă cette Ă©poque des gains de productivitĂ© â, elles nâeurent dâautre exutoire que dâalimenter des bulles spĂ©culatives, fragilisant lâĂ©conomie au lieu de lui rendre la santĂ©.
VBG : Presque dix ans aprĂšs le 18 mars 2009, le capitalisme est pourtant toujours bel et bien le systĂšme Ă©conomique dominant aujourdâhui.
PJ : Oui, mais le processus est en marche. Les grandes crises se dĂ©roulent par phases apparaissant sur un graphique comme une baisse en dents de scie, la situation se rĂ©tablissant toujours quelque peu avant que ne reprenne le dĂ©clin. Câest un processus quâon appelle « fractal » du cĂŽtĂ© des mathĂ©maticiens et des physiciens.
VBG : Si je vous comprends bien, serait-ce en quelque sorte le chant du cygne que nous observons aujourdâhui ? Le dernier sursaut avant la mort dĂ©finitive du capitalisme ?
PJ : Tout Ă fait ! Il suffit maintenant dâun grain de sable pour faire basculer le tout.
VBG : La future crise de solvabilitĂ© des Ătats que dessine Xavier Dupret, peut-elle ĂȘtre lâĂ©lĂ©ment dĂ©clencheur ? La prochaine crise Ă©conomique sera-t-elle fatale pour le capitalisme ? Quel autre « grain de sable » peut-on imaginer ?
PJ : La spĂ©culation gangrĂšne lâĂ©conomie depuis son autorisation (en 1860 en Suisse, en 1867 en Belgique et en 1885 en France). Elle est la principale source de risque systĂ©mique : quâun Ă©tablissement financier provoque, par sa chute, celle de la finance dans son ensemble. Les Ătats se sont endettĂ©s Ă lâautomne 2008 pour combler les pertes considĂ©rables qui avaient Ă©tĂ© essuyĂ©es. Mais il ne sâagissait pas que de pertes Ă©conomiques : la moitiĂ© environ des sommes perdues lâavaient Ă©tĂ© Ă lâoccasion de paris spĂ©culatifs entre eux par des banques et des hedge funds (appelĂ©s Ă juste titre en français « fonds spĂ©culatifs »). Les contribuables de toutes les nations rĂ©glĂšrent lâardoise causĂ©e par lâhĂ©morragie, sans mĂȘme quâun seul banquier fĂ»t inquiĂ©tĂ©.
VBG : Mais aprĂšs, quâadviendra-t-il ? Aujourdâhui, on voit progresser les populismes dans le monde entier, que ce soit Donald Trump (prĂ©sident des Ătats-Unis), Viktor Orban (Premier ministre de la Hongrie) ou encore Jair Bolsonaro (prĂ©sident Ă©lu du BrĂ©sil). Tous, malgrĂ© leurs spĂ©cificitĂ©s particuliĂšres, prospĂšrent sur les ruines du capitalisme. Est-ce le conservatisme moral, le repli sur soi et la haine de lâautre lâavenir de notre monde ?
PJ : Non. Le problĂšme est que nos dirigeants sont Ă la fois frileux, car sans imagination, et infĂ©odĂ©s aux schĂ©mas de pensĂ©e que vĂ©hicule la prĂ©tendue « science » Ă©conomique : un dogme se parant des plumes de paon de la scientificitĂ© grĂące Ă un recours caricatural â exagĂ©rĂ© et hors de propos â Ă des modĂ©lisations mathĂ©matiques coupĂ©es de toute rĂ©alitĂ©, idĂ©ologie dont le principal usage est de servir aux financiers Ă terroriser intellectuellement la classe politique et la population dans son ensemble Ă sa suite.
Une sortie par le haut des impasses prĂ©sentes sâimpose. Il faut pour cela que les institutions internationales cessent de se prĂ©occuper essentiellement de problĂšmes marchands. Il convient aussi, sans plus tarder, de remettre entiĂšrement Ă plat la question du travail en rapide disparition (pas simplement celle de lâemploi) du fait des progrĂšs de lâautomation sous toutes ses formes, pour dĂ©connecter une fois pour toutes le travail effectuĂ© des revenus perçus par les mĂ©nages.
VBG : Les populismes nâapportent pas non plus de rĂ©ponses aux vĂ©ritables enjeux auxquels le capitalisme ne sait pas faire face. Concentration accrue des richesses, rarĂ©faction du travail, destruction de lâenvironnement, et ainsi de suite⊠que faire face Ă tous ces dĂ©fis ?
PJ : En effet. Si, comme le rappelle Xavier Dupret, lâun de mes ouvrages sâintitule Se dĂ©barrasser du capitalisme est une question de survie, la solution ne viendra pas pour autant des populismes !
Pour commencer, il faudrait rĂ©diger collectivement une constitution pour lâĂ©conomie. On entendra cette constitution au sens oĂč les constitutionnalistes parlent de « constitution cosmopolitaire ». Ă savoir une constitution au niveau le plus global, comme peut lâĂȘtre une dĂ©claration universelle, mais qui vaudrait ici pour lâĂ©conomie et la finance.
Son principe fondamental devrait ĂȘtre la prĂ©servation non seulement de lâoutil monĂ©taire (le « systĂšme sanguin » dâune Ă©conomie, nĂ©cessaire Ă son dĂ©veloppement), mais aussi la prĂ©servation de lâhomme et de la nature qui lâenvironne et Ă laquelle il appartient. Aujourdâhui, lâĂ©conomie est tournĂ©e vers le profit Ă dĂ©faut dâĂȘtre axĂ©e sur la survie de lâespĂšce humaine reposant bien entendu, comme sa condition, sur la prĂ©servation de lâenvironnement.
Une constitution devrait ainsi stipuler quâil existe trois Ă©lĂ©ments Ă conserver Ă tout prix : la monnaie, lâhomme en tant que tel (et non en tant que prĂ©tendu « capital » humain !) et la nature dans son ensemble, comme environnement de lâhomme, car il nây a pas dâĂ©conomie florissante sans interaction harmonieuse entre les trois. Alors que la thĂ©orie nĂ©oclassique considĂšre lâargent, lâhomme et la nature comme des capitaux quasiment convertibles les uns dans les autres, une constitution pour lâĂ©conomie devrait affirmer que ces trois entitĂ©s â systĂšme monĂ©taire, homme, nature â sont incommensurables. En effet, si lâhumanitĂ© entend persister, les trois doivent ĂȘtre nĂ©cessairement prĂ©servĂ©s comme sources dâavances Ă lâĂ©conomie : le travail humain constitue des avances dans la production et la distribution, la gĂ©nĂ©rositĂ© de la nature constitue la source des avances, qui rend fĂ©condes celles provenant des deux autres sources.
VBG : Donc, si je comprends bien, lutter contre la concentration des richesses et faire face au dĂ©fi de la rarĂ©faction du travail, câest prĂ©server lâhomme. Comme le rappelle Xavier Dupret, aujourdâhui, lâenrichissement des plus aisĂ©s passe avant tout par la stratĂ©gie dâaccumulation par dĂ©possession que modĂ©lise David Harvey : les 90 % les plus pauvres sâappauvrissent, alors que les 10 % les plus riches sâenrichissent. Et la concentration des richesses est en lien Ă©troit avec la rarĂ©faction du travail : les individus les plus « employables » (les plus dĂ©sirables sur le marchĂ© du travail) sont statistiquement les plus diplĂŽmĂ©s, et cette catĂ©gorie se recoupe avec les plus aisĂ©s. Les individus les moins employables sont les moins diplĂŽmĂ©s et donc, statistiquement, les plus pauvres, et le chĂŽmage de masse les touche en prioritĂ©.
PJ : Exactement, et quand le taux de chĂŽmage atteindra 30 ou 40 %, un abysse sĂ©parera ceux qui auront un emploi de ceux qui nâen auront pas, Ă©tant donnĂ© que, Ă lâexception de celui Ă mĂȘme de vivre aujourdâhui de ses rentes, un emploi est indispensable Ă assurer une vie dĂ©cente. Il faut donc dissocier travail et subsistance et câest pourquoi je propose la gratuitĂ© pour lâindispensable (Ă©ducation, santĂ©, alimentation, logement, habillement, transport et mĂȘme connectivitĂ©).
Pour ce qui est de la prĂ©servation de lâenvironnement, la rĂšgle verte devrait ĂȘtre respectĂ©e : ne pas prendre Ă la nature plus que ce quâelle peut produire dans son renouvellement naturel. La destruction de la nature est irrĂ©versible. Pour certains de ses composants, la nature se reconstitue trĂšs lentement et par elle-mĂȘme. VoilĂ plus de trente ans que nous vivons Ă crĂ©dit sur la planĂšte Terre. Chaque annĂ©e, le « jour du dĂ©passement » se rapproche du dĂ©but de lâannĂ©e. Ce jour correspond Ă la date, calculĂ©e par lâONG amĂ©ricaine Global Footprint Network, Ă partir de laquelle lâhumanitĂ© est supposĂ©e avoir consommĂ© lâensemble des ressources que la planĂšte est capable de rĂ©gĂ©nĂ©rer en un an. PassĂ©e cette date, lâhumanitĂ© puiserait donc de maniĂšre irrĂ©versible dans les rĂ©serves non renouvelables de la Terre. En 1986, la date du dĂ©passement Ă©tait le 31 dĂ©cembre, en 2018, câest le 1er aoĂ»tâŠ
VBG : Je comprends quâil y ait urgence, mais la dimension des enjeux me dĂ©passe ! Ă mon Ă©chelle de lycĂ©en, dâĂ©tudiant ou de jeune actif, que puis-je faire ?
PJ : Taper du poing sur la table ! Vous faire entendre : faire comprendre que cela ne se passera plus ainsi, et coordonner les efforts en vue de rĂ©tablir un monde viable et prospĂšre, ce qui ne pourra ĂȘtre le cas que sâil est juste !
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Le programme du Blog de PJ pour les Ă©lections europĂ©ennes. Transformer lâessai ?
Ouvert aux commentaires.
Bon, ce programme pour les Ă©lections europĂ©ennes que Vincent mâa aidĂ© Ă Ă©crire, plaĂźt. Tant mieux ! Et pas seulement ici parmi vous, mais aussi en haut lieu si jâen crois un coup de tĂ©lĂ©phone (inopinĂ©ment) reçu tout Ă lâheure, venant sâajouter Ă un rendez-vous dĂ©jĂ prĂ©vu dans la semaine qui vient.
Jâai dĂ©jĂ dit ce que je pensais du statut de « membre du Parlement europĂ©en » : je ne me fais aucune illusion sur ce quâil y a moyen de faire, et ce quâil nây a pas moyen de faire Ă partir de lĂ .
Jâai dĂ©jĂ Ă©tĂ© membre de deux commissions consultatives « de haut niveau », en France (Commission Attali sur lâĂconomie positive) et en Belgique (Commission sur lâavenir du secteur financier belge), les deux pays dont il est prĂ©cisĂ©ment question dans mon cas, et je ne regrette pas de lâavoir fait : cela ne fait pas de vous un dĂ©cideur, mais cela vous offre un gros mĂ©gaphone pour gueuler que câest maintenant ou jamais, et une grande table pour taper du poing dessus.
Ătre sur une liste en France ou en Belgique, ça câest lâessai. Ătre en position Ă©ligible, ça câest transformer lâessai. Et là ça ne dĂ©pend plus de moi : ça dĂ©pend de vous ! Si vous pensez que câest une bonne idĂ©e, Ă vous de le dire maintenant partout !
Le programme du Blog de PJ pour les élections européennes, par Paul Jorion et Vincent Burnand-Galpin
Quel modÚle économique pour une société écologique ?
LâavĂšnement dâune sociĂ©tĂ© Ă©cologique est impossible sans un changement radical de modĂšle Ă©conomique. La politique actuelle du gouvernement en est lâexemple a contrario : concilier, sur le plan politique, libĂ©ralisme Ă©conomique et prĂ©servation de lâenvironnement dĂ©bouche nĂ©cessairement sur lâinaction Ă©cologique. Lâenvironnement est sacrifiĂ© sur lâautel de la sacro-sainte Ă©quation « business + croissance = emploi + Ă©lection ».
Ce qui nous conduit à notre perte : le modÚle économique capitaliste et néolibéral
Le capitalisme : un rapport de force en faveur du détenteur de capital
Le capitalisme, câest le systĂšme Ă©conomique qui donne lâavantage sur le plan politique au capitaliste, le dĂ©tenteur de capital. Or quâest-ce que le capital ? Ce sont les ressources qui, manquant Ă la place oĂč elles seraient nĂ©cessaires pour permettre la production, la distribution ou la consommation des biens et des services, doivent ĂȘtre empruntĂ©es. Si les ressources manquent Ă la place oĂč elles sont nĂ©cessaires, câest que la propriĂ©tĂ© privĂ©e y fait artificiellement obstacle. Parce quâil y a eu emprunt des ressources faisant dĂ©faut, il y a rĂ©munĂ©ration par une rente que lâon appelle « les intĂ©rĂȘts » quand il sâagit dâun prĂȘt de particulier Ă particulier ou bien a Ă©tĂ© accordĂ© par une banque, mais aussi « le coupon » quand câest lâĂtat qui emprunte sous la forme de lâĂ©mission dâune obligation, et « les dividendes » quand les entreprises empruntent en Ă©mettant des actions de sociĂ©tĂ©s.
Le systĂšme tĂ©moigne de son efficacitĂ© si la situation permet quâune vĂ©ritable richesse soit crĂ©Ă©e en tirant parti de lâopportunitĂ© quâautorisent ce que Proudhon appelait « les aubaines » : la gĂ©nĂ©rositĂ© que la nature autour de nous manifeste Ă notre Ă©gard et qui nous permet dây jouer le rĂŽle de modestes « catalyseurs » grĂące Ă lâapport de notre travail. Quand une vĂ©ritable richesse nâest pas crĂ©Ă©e Ă partir de lâemprunt â dont le crĂ©dit Ă la consommation offre le meilleur exemple â le versement des rentes sâassimile Ă une pompe siphonnant lâescarcelle des pauvres en direction des coffres des riches. Câest lĂ que nous en sommes dans notre sociĂ©tĂ© contemporaine.
Le néolibéralisme : les moyens justifient la fin
Le « nĂ©olibĂ©ralisme » dĂ©signe une version dĂ©rivĂ©e du libĂ©ralisme, que certains assimilent au paroxysme de la logique libĂ©rale. Le nĂ©olibĂ©ralisme abolit les rĂšgles macro-prudentielles Ă©dictĂ©es dans les annĂ©es trente et conduit Ă dĂ©manteler, en Europe, les grands monopoles dâĂtat.
La fin ne dĂ©finit plus les moyens, câest la minimisation des coĂ»ts et la maximisation des profits qui deviennent des fins en soi. Les rĂ©sultats ont cessĂ© dâĂȘtre un objectif visĂ© initialement, pour devenir « pragmatiquement » quoi que ce soit que lâon constate Ă lâarrivĂ©e.
La logique nĂ©olibĂ©rale gangrĂšne lâĂ©conomie mais aussi le comportement des Ătats. Les entreprises doivent maximiser le volume des dividendes pour les actionnaires. Les Ătats doivent minimiser leurs dĂ©penses dans le seul objectif dâessayer de rĂ©duire la dette publique. Ni les entreprises, ni les Ătats ne sont aujourdâhui guidĂ©s par une fin, un horizon idĂ©al.
Lâobjectif de la prĂ©servation de la planĂšte nâa pas sa place dans le systĂšme Ă©conomique actuel.
Pour une société écologique : vers un socialisme authentique
Pour pouvoir intĂ©grer lâurgence Ă©cologique au sein dâun modĂšle Ă©conomique, voici les huit ingrĂ©dients dâun programme authentiquement socialiste.
1° Faire de lâĂtat-Providence une institution irrĂ©versible et intangible, en mettant fin Ă la dĂ©pendance qui le lie aujourdâhui Ă la croissance et subordonne son existence aux caprices de celle-ci, et en inscrivant la nĂ©cessitĂ© de leur consubstantialitĂ© dans la Constitution.
2° Casser la machine Ă concentrer la richesse qui conduit aujourdâhui 62 personnes Ă disposer dâun patrimoine Ă©quivalent Ă celui de la moitiĂ© la moins riche de lâhumanitĂ© : 62 dâun cĂŽtĂ©, alors que 3,5 milliards, cela reprĂ©sente 3,5 x 1.000 x 1.000 x 1.000 ĂȘtres humains, ce qui â on en conviendra â dĂ©passe lâimagination !
3° Promouvoir la gratuitĂ© pour tout ce qui fait partie de lâindispensable (alimentation, santĂ©, Ă©ducation, vĂȘtement, logement, transport). Distinguons le nĂ©cessaire du superflu et faisons-les relever de deux rĂ©gimes Ă©conomiques distincts. Dâun cĂŽtĂ©, le rĂ©gime Ă©conomique de lâindispensable serait fondĂ© sur la mise en commun des biens, et leur gestion par la collectivitĂ©. De lâautre cĂŽtĂ©, en parallĂšle, le rĂ©gime Ă©conomique du « superflu » restera fondĂ© sur les mĂ©canismes de prix.
Dans le premier, nâayant plus le prix comme source dâinformation Ă©conomique Ă la gestion de lâoffre, ce serait ainsi une gouvernance dĂ©libĂ©rative en charge de la gestion de lâoffre (comme lâĂtat dĂ©jĂ aujourdâhui en ce qui concerne une partie de lâĂ©ducation et de la santĂ©). En fonction des Ă©volutions de nos sociĂ©tĂ©s, la distinction entre indispensable et superflu pourra ĂȘtre modifiĂ©e pour correspondre aux besoins dâune Ă©poque particuliĂšre. Ainsi, aujourdâhui, la connectivitĂ© (lâabonnement tĂ©lĂ©phonique, lâaccĂšs Ă internetâŠ) pour tous semble devenir un besoin fondamental car, entre autres, lâaccĂšs internet est maintenant indispensable pour un certain nombre de dĂ©marches administratives.
Si la gratuitĂ© rĂ©pond Ă des exigences sociales, elle peut Ă©galement rĂ©pondre Ă des exigences Ă©cologiques : la gratuitĂ© peut ĂȘtre un puissant outil de redirection des habitudes de consommation des individus vers des comportements plus Ă©cologiques. Ainsi, pour lâalimentation, les « restaurants municipaux » servant de la nourriture gratuite Ă tous, pourraient choisir des aliments biologiques et locaux ; pour le transport, lâaccent serait mis sur les transports en commun les plus efficaces au niveau Ă©nergĂ©tique (bus hybride, train, vĂ©lo, trottinetteâŠ) ; pour le logement, les nouveaux logements sociaux seraient construits selon les meilleurs standards Ă©nergĂ©tiques, etc.
4° Mettre lâhomme et lâenvironnement au passif de la comptabilitĂ© des entreprises. Au premier abord, nous aurions tendance Ă dire quâil sâagit avec nos rĂšgles comptables de catĂ©gorisations purement « techniques ». Mais une telle reprĂ©sentation est erronĂ©e. Les codes admis, les formulations admises ne sont pas neutres : elles portent en elles des valeurs, des jugements, reflĂ©tant rien de plus que les rapports de force existants entre les diffĂ©rentes catĂ©gories sociales composant nos sociĂ©tĂ©s.
Le principe fondamental des rĂšgles comptables devrait ĂȘtre la prĂ©servation non seulement du capital financier mais aussi la prĂ©servation de lâhomme et de la nature qui lâenvironne et Ă laquelle il appartient. Dâun point de vue comptable, nâest pris en compte seulement, que le capital financier en dissimulant la dĂ©tĂ©rioration des conditions de vie et de lâenvironnement naturel. Une Constitution pour lâĂ©conomie devrait ainsi stipuler quâexistent sur un plan comptable trois Ă©lĂ©ments Ă mettre au passif : le capital financier, lâhomme en tant que tel et la nature dans son ensemble, en tant quâelle est lâenvironnement de lâhomme, car il nây a pas dâĂ©conomie florissante sans intĂ©gration harmonieuse de ces trois Ă©lĂ©ments.
5° Imposer le travail des machines, robots ou logiciels, en lui appliquant le mĂȘme barĂšme que celui qui vaut pour les ĂȘtres humains quâils remplacent. Le gain de productivitĂ© apportĂ© par la machine est visible aussi longtemps quâelle travaille au cĂŽtĂ© dâun ĂȘtre humain, mais aussitĂŽt quâelle le remplace purement et simplement elle cesse dâĂȘtre visible : lâĂȘtre humain quâelle complĂ©tait autrefois a disparu, tandis quâelle travaille dĂ©sormais dans lâombre, sa valeur ajoutĂ©e Ă©tant absorbĂ©e dans des chiffres statistiques globaux, sans ĂȘtre comptabilisĂ©e en tant que gain de productivitĂ©. Les sommes rĂ©coltĂ©es par lâimposition de la machine reflĂ©teront les gains pour lâhumanitĂ© dans son ensemble dus Ă la mĂ©canisation ; ils pourront ĂȘtre mis au service du financement pour tous de la gratuitĂ© sur lâindispensable. Il sâagira lĂ pour ces sommes dâun bien meilleur usage que le financement dâune allocation universelle, dont le montant quel quâil soit serait aisĂ©ment capturĂ© par le systĂšme financier ambiant. Ainsi, pour rappeler une actualitĂ© rĂ©cente, lorsque les Ătats-Unis sâefforcĂšrent en 2009 de relancer le secteur du bĂątiment en allouant une somme de 4.000 $ aux mĂ©nages accĂ©dant pour la premiĂšre fois Ă la propriĂ©tĂ© de leur logement, le prix de lâimmobilier rĂ©sidentiel amĂ©ricain bondit immĂ©diatement de ce mĂȘme montant.
6° Restaurer lâinterdiction de la spĂ©culation au sens purement technique du terme de « paris sur les mouvements Ă la baisse ou Ă la hausse des titres financiers », telle quâelle Ă©tait en vigueur en Suisse jusquâen 1860, en Belgique jusquâen 1867 et en France jusquâen 1885. Les gigantesques flux financiers qui sont aujourdâhui divertis de lâĂ©conomie rĂ©elle par le biais de la spĂ©culation retrouveraient ainsi leur vĂ©ritable destination (entre autres, financer la transition Ă©cologique !). Par lâinterdiction de la spĂ©culation, les investisseurs de long terme seraient valorisĂ©s et se tourneraient donc naturellement vers les investissements dâavenir comme ceux en faveur de la transition Ă©cologique.
7° Faire de lâeuro lâembryon dâun nouveau systĂšme monĂ©taire international, en remplacement de celui nĂ© Ă Bretton Woods dans le New Hampshire en 1944 et mort en 1971 dans les soubresauts dâune guerre du Vietnam excĂ©dant les capacitĂ©s budgĂ©taires des Ătats-Unis. Depuis 1971, le monde vit dans un dĂ©s-ordre monĂ©taire international, que lâinvention des produits financiers dĂ©rivĂ©s (sous la forme initiale du swap de change) nâest pas parvenue Ă corriger. Ce nouveau SMI permettrait de stabiliser les monnaies entre elles et notamment mettre un coup dâarrĂȘt aux spĂ©culations sur les taux de change. Le climat Ă©conomique serait alors plus serein pour permettre les investissements en faveur de la transition Ă©cologique.
8° Mettre les Ătats au centre des investissements vers la transition Ă©cologique. Par manque de volontarisme politique, cela fait bien longtemps que la planification Ă©tatique nâest plus de mise. Mais remettre sur pied un Ătat stratĂšge est indispensable pour construire une sociĂ©tĂ© Ă©cologique. Jamais le nuclĂ©aire nâaurait pu se dĂ©velopper autant en France sâil avait dĂ» satisfaire les mĂȘmes conditions que les Ă©nergies renouvelables aujourdâhui. Le temps presse, les incitations financiĂšres Ă la marge que lâĂtat libĂ©ral propose aujourdâhui ne sont pas suffisantes : si nous voulons dĂ©velopper les Ă©nergies renouvelables, il faut le faire exactement comme nous lâavons fait dans les annĂ©es 1960 pour le nuclĂ©aire. Ă savoir se fixer des objectifs ambitieux (Ă lâĂ©poque, plus dâune cinquantaine de rĂ©acteurs ont Ă©tĂ© ouverts en dix ans !), dĂ©velopper lâĂ©nergie Ă lâabri de la concurrence (avec une sociĂ©tĂ© en monopole et publique) et engager trĂšs fortement lâĂtat.
Mais au vu des montants colossaux pour la transition Ă©cologique, lâinvestissement public ne peut pas ĂȘtre la seule solution. Or, lâĂtat peut Ă©galement ĂȘtre au centre de la rĂ©orientation des capitaux privĂ©s vers la transition Ă©cologique. Inspirons-nous pour cela du plan Juncker Ă lâinitiative du Fonds europĂ©en pour les investissements stratĂ©giques (FEIS) qui, avec une dotation initiale de 21 milliards dâeuros, a permis de garantir pour plus de 335 milliards dâeuros sur trois ans dâinvestissements privĂ©s dans toute lâUnion europĂ©enne grĂące Ă âlâeffet de levierâ. Un mĂȘme mĂ©canisme pourrait ĂȘtre envisageable Ă une Ă©chelle toute aussi importante voire plus grande, au niveau europĂ©en pour garantir les investissements spĂ©cifiquement verts, en particulier des PME.
Tout comme le plan Juncker, en mobilisant uniquement le budget europĂ©en, crĂ©ons le Fonds europĂ©en pour lâenvironnement (le FEE), dotĂ© de 30 milliards dâeuros qui pourront garantir sur 3 ans plus de 500 milliards dâinvestissements verts. Cette garantie permettrait aux PME de se financer Ă des coĂ»ts comparables aux grosses entreprises dĂ©jĂ prĂ©sentes sur les marchĂ©s de transition Ă©cologique. Pour ce faire, la Banque europĂ©enne dâinvestissement (BEI) pourrait jouer le rĂŽle de garant en Ă©mettant des obligations garanties par ce fonds spĂ©cifique.
Mais au-delĂ dâun modĂšle Ă©conomique, câest bien un renversement philosophique vis-Ă -vis de la nature quâil faut mener. Lâindividu doit rĂ©apprendre Ă ĂȘtre Ă lâĂ©coute de la nature, ce que la sociĂ©tĂ© de consommation lui a fait oublier. Passer de lâhomo oeconomicus Ă lâhomo oecologicus sera la principale difficultĂ© !
Lectures complémentaires :
Paul Jorion et Vincent Burnand-Galpin : « Ăviter lâeffondrement : mettre la finance au service de la transition Ă©cologique », dĂ©cembre 2018
Thomas Porcher, TraitĂ© dâĂ©conomie hĂ©rĂ©tique : en finir avec le discours dominant, Pluriel, 2019 [Dans ce livre, Thomas Porcher dĂ©monte Ă un certain nombre dâidĂ©es reçues de la doxa Ă©conomique dans un langage accessible Ă tous.]
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Le programme du Blog de PJ pour les élections européennes, par Paul Jorion et Vincent Burnand-Galpin
Ouvert aux commentaires.
Quel modÚle économique pour une société écologique ?
LâavĂšnement dâune sociĂ©tĂ© Ă©cologique est impossible sans un changement radical de modĂšle Ă©conomique. La politique actuelle du gouvernement en est lâexemple a contrario : concilier, sur le plan politique, libĂ©ralisme Ă©conomique et prĂ©servation de lâenvironnement dĂ©bouche nĂ©cessairement sur lâinaction Ă©cologique. Lâenvironnement est sacrifiĂ© sur lâautel de la sacro-sainte Ă©quation « business + croissance = emploi + Ă©lection ».
Ce qui nous conduit à notre perte : le modÚle économique capitaliste et néolibéral
Le capitalisme : un rapport de force en faveur du détenteur de capital
Le capitalisme, câest le systĂšme Ă©conomique qui donne lâavantage sur le plan politique au capitaliste, le dĂ©tenteur de capital. Or quâest-ce que le capital ? Ce sont les ressources qui, manquant Ă la place oĂč elles seraient nĂ©cessaires pour permettre la production, la distribution ou la consommation des biens et des services, doivent ĂȘtre empruntĂ©es. Si les ressources manquent Ă la place oĂč elles sont nĂ©cessaires, câest que la propriĂ©tĂ© privĂ©e y fait artificiellement obstacle. Parce quâil y a eu emprunt des ressources faisant dĂ©faut, il y a rĂ©munĂ©ration par une rente que lâon appelle « les intĂ©rĂȘts » quand il sâagit dâun prĂȘt de particulier Ă particulier ou bien a Ă©tĂ© accordĂ© par une banque, mais aussi « le coupon » quand câest lâĂtat qui emprunte sous la forme de lâĂ©mission dâune obligation, et « les dividendes » quand les entreprises empruntent en Ă©mettant des actions de sociĂ©tĂ©s.
Le systĂšme tĂ©moigne de son efficacitĂ© si la situation permet quâune vĂ©ritable richesse soit crĂ©Ă©e en tirant parti de lâopportunitĂ© quâautorisent ce que Proudhon appelait « les aubaines » : la gĂ©nĂ©rositĂ© que la nature autour de nous manifeste Ă notre Ă©gard et qui nous permet dây jouer le rĂŽle de modestes « catalyseurs » grĂące Ă lâapport de notre travail. Quand une vĂ©ritable richesse nâest pas crĂ©Ă©e Ă partir de lâemprunt â dont le crĂ©dit Ă la consommation offre le meilleur exemple â le versement des rentes sâassimile Ă une pompe siphonnant lâescarcelle des pauvres en direction des coffres des riches. Câest lĂ que nous en sommes dans notre sociĂ©tĂ© contemporaine.
Le néolibéralisme : les moyens justifient la fin
Le « nĂ©olibĂ©ralisme » dĂ©signe une version dĂ©rivĂ©e du libĂ©ralisme, que certains assimilent au paroxysme de la logique libĂ©rale. Le nĂ©olibĂ©ralisme abolit les rĂšgles macro-prudentielles Ă©dictĂ©es dans les annĂ©es trente et conduit Ă dĂ©manteler, en Europe, les grands monopoles dâĂtat.
La fin ne dĂ©finit plus les moyens, câest la minimisation des coĂ»ts et la maximisation des profits qui deviennent des fins en soi. Les rĂ©sultats ont cessĂ© dâĂȘtre un objectif visĂ© initialement, pour devenir « pragmatiquement » quoi que ce soit que lâon constate Ă lâarrivĂ©e.
La logique nĂ©olibĂ©rale gangrĂšne lâĂ©conomie mais aussi le comportement des Ătats. Les entreprises doivent maximiser le volume des dividendes pour les actionnaires. Les Ătats doivent minimiser leurs dĂ©penses dans le seul objectif dâessayer de rĂ©duire la dette publique. Ni les entreprises, ni les Ătats ne sont aujourdâhui guidĂ©s par une fin, un horizon idĂ©al.
Lâobjectif de la prĂ©servation de la planĂšte nâa pas sa place dans le systĂšme Ă©conomique actuel.
Pour une société écologique : vers un socialisme authentique
Pour pouvoir intĂ©grer lâurgence Ă©cologique au sein dâun modĂšle Ă©conomique, voici les huit ingrĂ©dients dâun programme authentiquement socialiste.
1° Faire de lâĂtat-Providence une institution irrĂ©versible et intangible, en mettant fin Ă la dĂ©pendance qui le lie aujourdâhui Ă la croissance et subordonne son existence aux caprices de celle-ci, et en inscrivant la nĂ©cessitĂ© de leur consubstantialitĂ© dans la Constitution.
2° Casser la machine Ă concentrer la richesse qui conduit aujourdâhui 62 personnes Ă disposer dâun patrimoine Ă©quivalent Ă celui de la moitiĂ© la moins riche de lâhumanitĂ©Â : 62 dâun cĂŽtĂ©, alors que 3,5 milliards, cela reprĂ©sente 3,5 x 1.000 x 1.000 x 1.000 ĂȘtres humains, ce qui â on en conviendra â dĂ©passe lâimagination !
3° Promouvoir la gratuitĂ© pour tout ce qui fait partie de lâindispensable (alimentation, santĂ©, Ă©ducation, vĂȘtement, logement, transport). Distinguons le nĂ©cessaire du superflu et faisons-les relever de deux rĂ©gimes Ă©conomiques distincts. Dâun cĂŽtĂ©, le rĂ©gime Ă©conomique de lâindispensable serait fondĂ© sur la mise en commun des biens, et leur gestion par la collectivitĂ©. De lâautre cĂŽtĂ©, en parallĂšle, le rĂ©gime Ă©conomique du « superflu » restera fondĂ© sur les mĂ©canismes de prix.
Dans le premier, nâayant plus le prix comme source dâinformation Ă©conomique Ă la gestion de lâoffre, ce serait ainsi une gouvernance dĂ©libĂ©rative en charge de la gestion de lâoffre (comme lâĂtat dĂ©jĂ aujourdâhui en ce qui concerne une partie de lâĂ©ducation et de la santĂ©). En fonction des Ă©volutions de nos sociĂ©tĂ©s, la distinction entre indispensable et superflu pourra ĂȘtre modifiĂ©e pour correspondre aux besoins dâune Ă©poque particuliĂšre. Ainsi, aujourdâhui, la connectivitĂ© (lâabonnement tĂ©lĂ©phonique, lâaccĂšs Ă internetâŠ) pour tous semble devenir un besoin fondamental car, entre autres, lâaccĂšs internet est maintenant indispensable pour un certain nombre de dĂ©marches administratives.
Si la gratuitĂ© rĂ©pond Ă des exigences sociales, elle peut Ă©galement rĂ©pondre Ă des exigences Ă©cologiques : la gratuitĂ© peut ĂȘtre un puissant outil de redirection des habitudes de consommation des individus vers des comportements plus Ă©cologiques. Ainsi, pour lâalimentation, les « restaurants municipaux » servant de la nourriture gratuite Ă tous, pourraient choisir des aliments biologiques et locaux ; pour le transport, lâaccent serait mis sur les transports en commun les plus efficaces au niveau Ă©nergĂ©tique (bus hybride, train, vĂ©lo, trottinetteâŠ) ; pour le logement, les nouveaux logements sociaux seraient construits selon les meilleurs standards Ă©nergĂ©tiques, etc.
4° Mettre lâhomme et lâenvironnement au passif de la comptabilitĂ© des entreprises. Au premier abord, nous aurions tendance Ă dire quâil sâagit avec nos rĂšgles comptables de catĂ©gorisations purement « techniques ». Mais une telle reprĂ©sentation est erronĂ©e. Les codes admis, les formulations admises ne sont pas neutres : elles portent en elles des valeurs, des jugements, reflĂ©tant rien de plus que les rapports de force existants entre les diffĂ©rentes catĂ©gories sociales composant nos sociĂ©tĂ©s.
Le principe fondamental des rĂšgles comptables devrait ĂȘtre la prĂ©servation non seulement du capital financier mais aussi la prĂ©servation de lâhomme et de la nature qui lâenvironne et Ă laquelle il appartient. Dâun point de vue comptable, nâest pris en compte seulement, que le capital financier en dissimulant la dĂ©tĂ©rioration des conditions de vie et de lâenvironnement naturel. Une Constitution pour lâĂ©conomie devrait ainsi stipuler quâexistent sur un plan comptable trois Ă©lĂ©ments Ă mettre au passif : le capital financier, lâhomme en tant que tel et la nature dans son ensemble, en tant quâelle est lâenvironnement de lâhomme, car il nây a pas dâĂ©conomie florissante sans intĂ©gration harmonieuse de ces trois Ă©lĂ©ments.
5° Imposer le travail des machines, robots ou logiciels, en lui appliquant le mĂȘme barĂšme que celui qui vaut pour les ĂȘtres humains quâils remplacent. Le gain de productivitĂ© apportĂ© par la machine est visible aussi longtemps quâelle travaille au cĂŽtĂ© dâun ĂȘtre humain, mais aussitĂŽt quâelle le remplace purement et simplement elle cesse dâĂȘtre visible : lâĂȘtre humain quâelle complĂ©tait autrefois a disparu, tandis quâelle travaille dĂ©sormais dans lâombre, sa valeur ajoutĂ©e Ă©tant absorbĂ©e dans des chiffres statistiques globaux, sans ĂȘtre comptabilisĂ©e en tant que gain de productivitĂ©. Les sommes rĂ©coltĂ©es par lâimposition de la machine reflĂ©teront les gains pour lâhumanitĂ© dans son ensemble dus Ă la mĂ©canisation ; ils pourront ĂȘtre mis au service du financement pour tous de la gratuitĂ© sur lâindispensable. Il sâagira lĂ pour ces sommes dâun bien meilleur usage que le financement dâune allocation universelle, dont le montant quel quâil soit serait aisĂ©ment capturĂ© par le systĂšme financier ambiant. Ainsi, pour rappeler une actualitĂ© rĂ©cente, lorsque les Ătats-Unis sâefforcĂšrent en 2009 de relancer le secteur du bĂątiment en allouant une somme de 4.000 $ aux mĂ©nages accĂ©dant pour la premiĂšre fois Ă la propriĂ©tĂ© de leur logement, le prix de lâimmobilier rĂ©sidentiel amĂ©ricain bondit immĂ©diatement de ce mĂȘme montant.
6° Restaurer lâinterdiction de la spĂ©culation au sens purement technique du terme de « paris sur les mouvements Ă la baisse ou Ă la hausse des titres financiers », telle quâelle Ă©tait en vigueur en Suisse jusquâen 1860, en Belgique jusquâen 1867 et en France jusquâen 1885. Les gigantesques flux financiers qui sont aujourdâhui divertis de lâĂ©conomie rĂ©elle par le biais de la spĂ©culation retrouveraient ainsi leur vĂ©ritable destination (entre autres, financer la transition Ă©cologique !). Par lâinterdiction de la spĂ©culation, les investisseurs de long terme seraient valorisĂ©s et se tourneraient donc naturellement vers les investissements dâavenir comme ceux en faveur de la transition Ă©cologique.
7° Faire de lâeuro lâembryon dâun nouveau systĂšme monĂ©taire international, en remplacement de celui nĂ© Ă Bretton Woods dans le New Hampshire en 1944 et mort en 1971 dans les soubresauts dâune guerre du Vietnam excĂ©dant les capacitĂ©s budgĂ©taires des Ătats-Unis. Depuis 1971, le monde vit dans un dĂ©s-ordre monĂ©taire international, que lâinvention des produits financiers dĂ©rivĂ©s (sous la forme initiale du swap de change) nâest pas parvenue Ă corriger. Ce nouveau SMI permettrait de stabiliser les monnaies entre elles et notamment mettre un coup dâarrĂȘt aux spĂ©culations sur les taux de change. Le climat Ă©conomique serait alors plus serein pour permettre les investissements en faveur de la transition Ă©cologique.
8° Mettre les Ătats au centre des investissements vers la transition Ă©cologique. Par manque de volontarisme politique, cela fait bien longtemps que la planification Ă©tatique nâest plus de mise. Mais remettre sur pieds un Ătat stratĂšge est indispensable pour construire une sociĂ©tĂ© Ă©cologique. Jamais le nuclĂ©aire nâaurait pu se dĂ©velopper autant en France sâil avait dĂ» satisfaire les mĂȘmes conditions que les Ă©nergies renouvelables aujourdâhui. Le temps presse, les incitations financiĂšres Ă la marge que lâĂtat libĂ©ral propose aujourdâhui ne sont pas suffisantes : si nous voulons dĂ©velopper les Ă©nergies renouvelables, il faut le faire exactement comme nous lâavons fait dans les annĂ©es 1960 pour le nuclĂ©aire. Ă savoir se fixer des objectifs ambitieux (Ă lâĂ©poque, plus dâune cinquantaine de rĂ©acteurs ont Ă©tĂ© ouverts en dix ans !), dĂ©velopper lâĂ©nergie Ă lâabri de la concurrence (avec une sociĂ©tĂ© en monopole et publique) et engager trĂšs fortement lâĂtat.
Mais au vu des montants colossaux pour la transition Ă©cologique, lâinvestissement public ne peut pas ĂȘtre la seule solution. Or, lâĂtat peut Ă©galement ĂȘtre au centre de la rĂ©orientation des capitaux privĂ©s vers la transition Ă©cologique. Inspirons-nous pour cela du plan Juncker Ă lâinitiative du Fonds europĂ©en pour les investissements stratĂ©giques (FEIS) qui, avec une dotation initiale de 21 milliards dâeuros, a permis de garantir pour plus de 335 milliards dâeuros sur trois ans dâinvestissements privĂ©s dans toute lâUnion europĂ©enne grĂące Ă âlâeffet de levierâ. Un mĂȘme mĂ©canisme pourrait ĂȘtre envisageable Ă une Ă©chelle toute aussi importante voire plus grande, au niveau europĂ©en pour garantir les investissements spĂ©cifiquement verts, en particulier des PME.
Tout comme le plan Juncker, en mobilisant uniquement le budget europĂ©en, crĂ©ons le Fonds europĂ©en pour lâenvironnement (le FEE), dotĂ© de 30 milliards dâeuros qui pourront garantir sur 3 ans plus de 500 milliards dâinvestissements verts. Cette garantie permettrait aux PME de se financer Ă des coĂ»ts comparables aux grosses entreprises dĂ©jĂ prĂ©sentes sur les marchĂ©s de transition Ă©cologique. Pour ce faire, la Banque europĂ©enne dâinvestissement (BEI) pourrait jouer le rĂŽle de garant en Ă©mettant des obligations garanties par ce fonds spĂ©cifique.
Mais au-delĂ dâun modĂšle Ă©conomique, câest bien un renversement philosophique vis-Ă -vis de la nature quâil faut mener. Lâindividu doit rĂ©apprendre Ă ĂȘtre Ă lâĂ©coute de la nature, ce que la sociĂ©tĂ© de consommation lui a fait oublier. Passer de lâhomo oeconomicus Ă lâhomo oecologicus sera la principale difficultĂ©Â !
Lectures complémentaires :
Paul Jorion et Vincent Burnand-Galpin : « Ăviter lâeffondrement : mettre la finance au service de la transition Ă©cologique », dĂ©cembre 2018
Thomas Porcher, TraitĂ© dâĂ©conomie hĂ©rĂ©tique : en finir avec le discours dominant, Pluriel, 2019 [Dans ce livre, Thomas Porcher dĂ©monte Ă un certain nombre dâidĂ©es reçues de la doxa Ă©conomique dans un langage accessible Ă tous.]
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Saint-Etienne, ConfĂ©rence de lâhĂŽtel de ville : « Se dĂ©barrasser du capitalisme est une question de survie » (VII) Concurrence vs. entraide
Je publie en feuilleton la retranscription (merci Ă Ăric Muller !) de ma trĂšs longue confĂ©rence le 29 novembre 2018. Ouvert aux commentaires.
Question de la salle : LâUnion europĂ©enne sâest construite autour du dogme de la concurrence libre et non faussĂ©e. Est-ce vraiment une vĂ©ritĂ© incontournable, ou est-ce quâon peut remplacer « concurrence » par « coopĂ©ration » ?
PJ : Oui, câest tout Ă fait ça. En fait, on nous vend ça essentiellement depuis les annĂ©es soixante-dix. Câest Mme Thatcher en Grande-Bretagne, câest M. Reagan aux Ătats-Unis qui ont Ă©tĂ© les grands chantres de lâultralibĂ©ralisme tel quâil avait Ă©tĂ© conçu. Il est né⊠cette pensĂ©e ultralibĂ©rale est nĂ©e au colloque Lippmann Ă la fin des annĂ©es trente [1938]. Ăa sâest passĂ© Ă Paris, si jâai bon souvenir câĂ©tait au TrocadĂ©ro. Ensuite, il y a eu crĂ©ation, câĂ©tait en 1947 si jâai bon souvenir, de la SociĂ©tĂ© du Mont-PĂšlerin . Il y a une autre sociĂ©tĂ© dont le nom mâĂ©chappe qui a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e en Grande-Bretagne un peu plus tard. Ce sont des gens qui se sont rĂ©unis autour de gens comme von Mises, de gens comme von Hayek, dont il faut bien souligner que ce sont des gens qui ont Ă©tĂ© soutenus, au dĂ©part, essentiellement par le milieu des affaires, et pas par le milieu universitaire. M. Von Mises, câest quelquâun qui a essentiellement bĂ©nĂ©ficiĂ© de bourses dispensĂ©es par des sociĂ©tĂ©s financiĂšres, pour dĂ©libĂ©rĂ©ment crĂ©er un systĂšme de ce type particulier, ce type ultralibĂ©ral dont on ne souligne Ă mon avis pas assez la complicitĂ© que ce systĂšme a avec des rĂ©gimes autoritaires. M. Friedman, M. Milton Friedman qui est un Ă©lĂšve de von Hayek, au moment oĂč Pinochet prend le pouvoir de maniĂšre extrĂȘmement sanglante, vous le savez, au Chili en 1974, et M. Friedman et M. von Hayek vont dĂ©libĂ©rĂ©ment se mettre au service de M. Pinochet (qui nâavait rien demandĂ©) et il y a cette fameuse dĂ©claration de M. von Hayek en visite au Chili, et qui dit « Entre une sociĂ©tĂ© qui serait libĂ©rale et non-dĂ©mocratique et une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique qui ne serait pas libĂ©rale, je choisis la sociĂ©tĂ© libĂ©rale et non-dĂ©mocratique », ce qui Ă©tait affirmer son soutien tout Ă fait bien marquĂ© Ă M. Pinochet, en soulignant le fait que ces gens nâont pas dâallĂ©geance particuliĂšre Ă la dĂ©mocratie. Entre un libĂ©ralisme, câest-Ă -dire en fait le pouvoir de lâargent tout Ă fait dĂ©bridĂ©, et la dĂ©mocratie, ils choisissent eux le pouvoir dĂ©bridĂ© de lâargent. Lâescroquerie, je dirais, Ă partir des annĂ©es soixante-dix mais qui est tout Ă fait prĂ©sente autour de nous, et on nous oppose cela comme Ă©tant la seule solution face Ă des populismes un peu, un peu dĂ©lirants dans leurs suppositions, câest cette idĂ©e que ce qui rĂšgle les sociĂ©tĂ©s humaines câest essentiellement la concurrence, et quâil faut bien veiller Ă ce que cette concurrence soit pure et parfaite. Câest mettre entre parenthĂšses ce que dâautres personnes dans nos cultures ont soulignĂ© â ça commence par Confucius en Chine, puisquâil arrive mĂȘme avant Socrate chez nous â ça apparaĂźt chez Socrate, chez Aristote, ça va apparaĂźtre dans toute la rĂ©flexion du XVIIe siĂšcle : nos sociĂ©tĂ©s fonctionnent essentiellement grĂące Ă la solidaritĂ©. La concurrence rĂšgle des mĂ©canismes ici et lĂ , elle peut ĂȘtre utile dans certaines situations particuliĂšres, mais le fondement mĂȘme câest, dit Aristote, le fondement mĂȘme la sociĂ©tĂ© câest la philia.
Quâest-ce que la philia ? Câest un mot qui dĂ©signe lâamour de maniĂšre gĂ©nĂ©rale en grec ancien, mais chez Aristote spĂ©cifiquement, câest la gĂ©nĂ©rositĂ©, câest la bonne volontĂ© que nous mettons tous Ă faire fonctionner les sociĂ©tĂ©s autour de nous. Câest la bonne volontĂ© que nous mettons dans un embouteillage, câest la bonne volontĂ© que nous mettons Ă tout moment autour de nous. Jâai relevĂ©, dans un de mes livres qui sâappelle Le prix, jâai relevĂ© des exemples de la philia mĂȘme dans le milieu de la finance, mĂȘme dans lâinterview dâun requin, dâun trader vedette, je souligne que dans une certaine situation oĂč il nâarrive pas Ă expliquer son propre comportement, câest la philia, câest la bonne volontĂ©, câest pour sauver le marchĂ© dans son ensemble que ce monsieur se conduit de telle maniĂšre. Dans tous les marchĂ©s que jâai pu Ă©tudier, sur les marchĂ©s de la pĂȘche en Bretagne, dans le domaine artisanal sur les plages africaines, la philia joue Ă tout moment. Ă aucun moment le vendeur nâessaye dâassassiner lâacheteur, Ă aucun moment lâacheteur nâessaye dâassassiner le vendeur : on est tous dâaccord sur le fait quâil faut que lâacheteur puisse acheter, et il faut que le vendeur puisse vendre.
Lâexemple mĂȘme que je raconte lĂ , câest des choses quâon mâa racontĂ©es. Câest une petite anecdote, mais elle est trĂšs amusante : on me dit, dans les annĂ©es 80, « Tu sais, il y a encore, au Croisic, il y a encore un pĂȘcheur qui a fait la pĂȘche Ă la sardine Ă la voile ! Il faut absolument que tu ailles le voir. Il a quatre-vingt-dix ans ». Je vais voir ce monsieur, effectivement â M. Piroton, câĂ©tait son surnom. Je ne me souviens plus de son vrai nom â et ce monsieur me dit dans la conversation « Jâai encore des carnets de pĂȘche de lâĂ©poque », voilĂ , de 1913, 1914, etc. Je dis « Câest formidable ! Est-ce que je pourrais regarder ça ? » Alors, je regarde ses carnets, et puis je reviens vers lui. Je dis : « Comment câest dĂ©terminĂ©, les prix, en particulier pour la sardine, Ă la conserverie ? » « Ah ben, câest la loi de lâoffre et de la demande. » Je dis : « Oui mais, tu mets « taxation ». La plupart des jours, il est mis « taxation ??? » Et il dit : « Oui mais, ça câest lâexception ». Je lui dis « Non, câest dans deux tiers des cas ! Câest pas lâexception, câest comme ça que ça se passait le plus souvent ». « Oui mais, câest lâexception Ă la loi de lâoffre et de la demande ».
Alors, il mâexplique ce quâest la « taxation » : « La taxation, câest quand on nâĂ©tait pas content. Le conserveur mettait, affichait Ă lâentrĂ©e de lâusine, combien il allait payer pour la sardine. Alors, il y a des jours oĂč on nâĂ©tait pas content du tout ! Alors, on allait chez le conserveur. On disait « Non, on ne peut pas faire ça ». Alors le conserveur disait « Bon allez, on se rĂ©unit, on se met dans une salle, on discute », les pĂȘcheurs et le conserveur. Alors le conserveur disait « Combien vous voulez si câest pas le prix que je donne ? », « Ben, on veut autant [X francs du kilo] ! ». Alors le conserveur disait « Non, ça câest impossible. Je ne peux pas donner autant. Si câest ça, je ferme lâusine et je rentre chez moi, etc. je vais aller faire autâ chose, etc. ». On discute. Alors, le conserveur rĂ©pĂšte son prix et les pĂȘcheurs disent « Non, on ne peut absolument pas. On ne peut pas nourrir nos femmes et nos enfants ! on ne peut pas ĂȘtre lĂ demain ! ». Et on se mettait dâaccord sur le prix. »
Câest ça quâon appelait la « taxation ». Et en fait, la taxation, ça rien Ă voir avec la taxe â câest un vieux terme, et apparemment, un terme qui vient de lâantiquitĂ© romaine â Câest lâentente ! Câest lâentente : les deux tiers des jours, Ă la pĂȘche, en 1914, au Croisic, on se mettait dâaccord sur le prix ! Que le prix nâassassine pas lâacheteur, et quâil permette au conserveur dâacheter de la sardine et de ne pas fermer lâusine. On se mettait dâaccord. Câest comme ça que nos sociĂ©tĂ©s fonctionnent. Et mĂȘme je vous dis, dans une interview dâun trader-requin, il admet que sâil nâa pas demandĂ© un prix excessif, câest parce quâil fallait que le marchĂ© continue, quâon continue Ă pouvoir revenir le lendemain matin. Câest comme ça que nous faisons. Malheureusement, Ă partir des annĂ©es soixante-dix, on nous met lâaccent sur quelque chose qui existe effectivement, qui est sympathique dans le sport, la compĂ©tition, etc. mais qui nâest pas le principe directeur de nos sociĂ©tĂ©. Nos sociĂ©tĂ©s nâauraient pas pu fonctionner sans la solidaritĂ© spontanĂ©e, organisĂ©e parfois, qui nous permet de continuer. Comme le disait Proudhon dans une remarque sur lâĂ©rection de lâobĂ©lisque sur la place de la Concorde : « Deux cents artilleurs en une demi-heure ont Ă©rigĂ© lâobĂ©lisque, un seul artilleur pendant deux cents jours aurait Ă©tĂ© bien incapable de le bouger. » Câest ça ! Câest ça quâil y a.
Une partie de la richesse crĂ©Ă©e, disait-il aussi Proudhon, une partie de la richesse crĂ©Ă©e, câest simplement lâeffet spontanĂ© de notre solidaritĂ© qui crĂ©e de la richesse en tant que telle, qui nous permet, en agissant de concert, de produire des choses. Il faut absolument effectivement que nous revenions sur cette idĂ©e que câest la concurrence qui dĂ©cide de tout. La rivalitĂ©, la « compĂ©titivité » nous dit-on. Non, non. Câest essentiellement quand nous nous entraidons, câest la solidaritĂ©, câest ça qui a fait fonctionner nos sociĂ©tĂ©s jusquâici. Ce qui fait que nous avions Ă©tĂ© prĂȘts Ă accepter cette histoire de compĂ©titivitĂ©, de concurrence etc. câest, heureusement, le fait que nous nous sentons davantage coupable en situation de rivalitĂ© que dans les situations de solidaritĂ©. Et câest peut-ĂȘtre ça, malheureusement qui a attirĂ© notre attention lĂ -dessus, câest quâon est conscient du fait, dans des situations de rivalitĂ©, alors que quand on travaille tous ensemble sur quelque chose, on nâen est pas nĂ©cessairement conscient. Câest, dâune certaine maniĂšre, la nature humaine : Aristote le disait dĂ©jĂ â zoon politikon â nous sommes des animaux faits pour vivre en sociĂ©tĂ©.
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Saint-Etienne, ConfĂ©rence de lâhĂŽtel de ville : « Se dĂ©barrasser du capitalisme est une question de survie » (VIII) Comment se dĂ©terminent les taux dâintĂ©rĂȘt ?
Je publie en feuilleton la retranscription (merci Ă Ăric Muller !) de ma trĂšs longue confĂ©rence le 29 novembre 2018. Ouvert aux commentaires.
Question de la salle : Je ne suis pas une Ă©conomiste mais, tout de mĂȘme, sauf erreur, la rente avant 1914 rapportait entre deux et trois du cent. Est-ce que le marasme Ă©conomique actuel ne vient pas, justement, des taux exorbitants que prĂ©lĂšve le capital, et est-ce que ça nâest pas accentuĂ© par le fait quâon a autorisĂ© les banques Ă crĂ©er, en quelque sorte, de la monnaie virtuelle chaque fois quâelles accordent un prĂȘt ?
PJ : Câest vrai que les banques centrales ont pu fonctionner de maniĂšre correcte au fil des siĂšcles parce quâelles produisaient de lâargent supplĂ©mentaire Ă mettre dans le systĂšme au prorata de la richesse vĂ©ritablement crĂ©Ă©e. Pourquoi est-ce quâelles lâont fait ? Et bien, câest parce que leur rĂŽle principal Ă©tait un rĂŽle de stabilitĂ© de la monnaie : il fallait, dans le monde du travail, le monde de la production, il fallait quâil ne faille pas Ă tout moment augmenter les salaires ou les baisser pour que les choses fonctionnent. La stabilitĂ© des prix Ă©tait trĂšs importante, et les banques sont arrivĂ©es Ă le faire, en faisant que les masses monĂ©taires reflĂštent effectivement la richesse crĂ©Ă©e.Â
Il est vrai que pendant des siĂšcles, on a considĂ©rĂ© que le rapport normal dâun prĂȘt Ă©tait de lâordre de 3 % dans le monde occidental, et câĂ©tait sans doute un reflet de la gĂ©nĂ©rositĂ© dâune nature sur laquelle nous nâavions pas une action technologiques trĂšs poussĂ©e. Parce que nous avions des outils mais nous avions surtout la charrue, le moulin Ă vent, etc. et la nature, dans laquelle lâhomme apparaissait essentiellement comme un catalyseur, produisait effectivement dâelle-mĂȘme â câest ce que Proudhon appelait « les aubaines ». On appelait ça aussi « lâĂ©bullition de la nature » qui faisait que la part que lâon pouvait donner aux propriĂ©taires dans la distribution, par exemple dans un contrat 50/50 de mĂ©tayage, impliquait que lâon pouvait faire du 3% sans grande difficultĂ©. Si câĂ©tait de cet ordre-lĂ , ça voulait dire que le rendement devait ĂȘtre 6 %, parce quâil fallait quand mĂȘme quâil nây ait pas uniquement que le propriĂ©taire qui obtienne de la richesse, il fallait aussi que celui qui travaille en obtienne. Donc, câest vrai que la nature a eu des rendements de ce type-lĂ . La difficultĂ© dans laquelle on est maintenant, câest quâil y a deux Ă©lĂ©ments dans la dĂ©termination dâun taux dâintĂ©rĂȘt : il y a, quand tout va bien, le partage la richesse, les parts. Dans lâexemple, la moisson est de lâordre de 6 %, le propriĂ©taire aura quelque chose de lâordre du 3 % et le mĂ©tayer aura de lâordre de 3 %. Ăa, câest quand tout va bien. Quand tout va mal, vous le savez, les taux dâintĂ©rĂȘt augmentent aussi, pas simplement parce que la nature rend davantage ou parce quâune invention technologique permet de tirer davantage de la nature, mais parce quâon introduit un autre Ă©lĂ©ment dans le taux dâintĂ©rĂȘt : câest la prime de risque. Câest la prime de non remboursement, parce que, effectivement, il y a pour celui qui prĂȘte de lâargent, un capital quelconque, il y a un risque, câest que ce capital ne soit pas rendu. Quand câest de la terre, le risque est limitĂ© : la terre sera toujours lĂ . Mais quand il sâagit de sommes dâargent, elles peuvent disparaĂźtre entiĂšrement.
Lâusage sâest introduit quâune part du taux rĂ©clamĂ© est lĂ pour constituer une sorte de cagnotte au cas oĂč les intĂ©rĂȘts ne seraient pas payĂ©s, au cas oĂč le capital, le principal comme on dit, ne serait pas remboursĂ©. Quand on prĂȘte Ă un emprunteur subprime aux Ătats-Unis, et ça câĂ©tait au coeur de mon mĂ©tier, câĂ©tait de dĂ©terminer quels sont les taux dâintĂ©rĂȘt que lâon rĂ©clame sur les diffĂ©rents types de prĂȘts immobiliers. Jâai soulignĂ© tout Ă lâheure que ce ne sont pas des prĂȘts hypothĂ©caires.
On avait inventĂ©, aux Ătats-Unis, ce quâon appelle la cote FICO, le score FICO. Câest une mesure du risque que reprĂ©sentent les emprunteurs individuels. On regarde tous les paiements quâils ont fait aux compagnies de lâĂ©lectricitĂ©, les remboursements quâils ont fait pour de lâĂ©lectromĂ©nager, un prĂȘt sur une voiture, etc. et on regarde si les gens ont payĂ© lâargent quâils devaient payer, et on leur donne un score, et en fonction de ce score, on dĂ©terminait la prime de risque Ă introduire, ou non, dans les taux dâintĂ©rĂȘts quâon rĂ©clamait de ces personnes. Donc, de maniĂšre typique, un emprunteur prime, câest Ă dire quâil avait un score FICO extrĂȘmement Ă©levĂ©, une notation FICO, si vous voulez, trĂšs Ă©levĂ©e, on ne lui rĂ©clamait quâune prime de risque extrĂȘmement faible. Par exemple, il a dĂ» emprunter, comme on voit maintenant, Ă du 1,5 %, mais lâemprunteur subprime, parce quâil y avait quand mĂȘme un risque de non-remboursement mĂȘme si on Ă©tait dans une bulle â une bulle immobiliĂšre qui faisait que la banque pouvait rĂ©cupĂ©rer son argent â mais il y avait quand mĂȘme des frais, voilĂ , il fallait remettre la maison Ă neuf, etc. et la prime de risque de crĂ©dit Ă©tait Ă©norme dans le cas des emprunteurs subprime. Donc, par exemple, au lieu dâemprunter a du 1,5 %, ils emprunteraient Ă du 7 %, Ă du 9 %. Petite remarque quand mĂȘme : Ă lâintĂ©rieur du taux dâintĂ©rĂȘt, il y a aussi la marge de profit que met le prĂȘteur, et lĂ , remarque Ă faire pour montrer dans quelle genre de sociĂ©tĂ© on vit quand mĂȘme : la marge de profit sur les prĂȘts subprime était double. Câest-Ă -dire que quand lâemprunteur subprime payait beaucoup plus en terme dâintĂ©rĂȘts, câĂ©tait pas simplement la prime de crĂ©dit en plus. On lui doublait en douce le profit de la banque en arriĂšre-plan. Ăa, câest un aspect malheureusement rapace de la finance dont on voit la trace tous les jours. Lisez aujourdâhui lâactualitĂ© sur Deutsche Bank ou des choses de cet ordre-lĂ , il y en a malheureusement tous les jours dans les journaux.
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