VISAGES BRULES
Avant propos
Prendre le visage de l’autre
En de nombreuses circonstances, je ne m’identifie pas aux stéréotypes et aux
conditionnements prescrits par le référentiel occidental contemporain.
La notion d’identification m’est souvent étrangère.
Le visage de l’autre m’est un appui plus sûr pour partager un moment.
Le visage de l’autre découvre la familiarité étrange d’un écho.
Cet autre se fait le semblable, le même, le différent : l’autre versant,
la part d’inconnue que je tente de saisir en la vêtissant de mots visages.
Le mouvement se fait dans l’espace de la page,
à la surface du papier,
quelque chose apparaît.
Le temps de l’écriture, cet autre devient le masque qui me saisit.
Le temps d’un voyage, il me projette dans des pays lointains,
des espaces connus
d’autres inconnus.
Les univers agrègent les segments du réels : rêves,
fantasmagories, échanges et sensations.
Le tout unit
des parcours-récits,
lieu d’apprentissage
lieu d’initiation
d’aller et de retour,
bruissement des alentours possibles
et de voies fermées.
Madre
de
Ana
.......................................................................................................................................................
4
Joachim
del
Sur
..................................................................................................................................................
13
Don
Imperissable
.............................................................................................................................................
26
Sigismond
............................................................................................................................................................
32
Tolède
....................................................................................................................................................................
44
Demesia
................................................................................................................................................................
52
Nouvelle
Aube
....................................................................................................................................................
59
Madre de Ana
Mousseline de nuages.
Lune d’automne.
Nuit bleue.
Le pied droit enfoui dans le creux d’un banc de sable moite, la jeune fille au regard de sel
s’éveille.
Mosaïques brutales de peurs graves en devenir maigres.
Coquilles de couteaux.
Tessons de flacons de verre brun.
Carcasse de cylindres d’aluminium.
Senteur de rouille.
Elle pose ses doigts à la surface de son visage.
Elle ouvre sa besace, sort une boîte d’allumettes.
Elle craque un morceau de bois.
La flamme feule et s’assoupit.
La seconde aussi.
La troisième s’échappe.
A la quatrième tentative, le crépitement préserve le soufre et brûle les dernières
inscriptions.
Elles disparaissent au gré de sa danse.
5
Elle se lève, met sa pèlerine.
Elle jette un coup d’oeil à l’étendue, suit la contre allée et prend la direction du centre de la
ville.
Arrivée à hauteur du café du port, elle s’arrête et s’assoit à terre.
Elle se couche.
Son corps se détend.
D’une azalée jaillit une nymphe.
Sa chevelure noire tombe en cascade au creux de ses reins.
Une mélopée sort de ses clavicules.
Ses lèvres couvertes d’une poussière sont fermées.
L’écho de sa pensée soupire par ses doigts.
6
« Ne pars pas avec ceux que tu n’aimes pas. Ils seront toujours mauvais compagnons,
pleurant à tes côtés quand tes peines te broient le coeur, plongeant dans les abysses de ces
tristes enfers où tu demeures prisonnière. »
Un serpent attaché à ses côtés crache des épines et des queues fourchues.
Ana s’éloigne.
Elle s’abrite derrière un feuillage.
Elle se met à courir.
Sa course s’arrête au bord d’un ruisseau.
7
Une jument dort.
« Pourquoi passer ton temps à t’égarer ? Par quel étrange maléfice garnis-tu tes oreilles de
paille ? Sourde à la grâce de cette Vénus auréolée de pourpre, tu fuis dans la bauge d’un
rire dédaigneux rencontrant d’autres démons gras qui dévorent leurs enfants. Dis-moi quel
étrange souci est le tien pour que tu retiennes si bien le parfum des Danaïdes, et que tu
demeures dans l’alcôve de ces clameurs violentes qui s’abandonnent aux golems de glaise ?
Petite fille du soleil, Saturne te prend en son sein. Tète. Tète avidement. Le puits sans fond
derrière toi est le secret. Regarde-toi en la flaque, regarde au plus profond et ne laisse nul
autre te faire le récit funeste de tes errements et les contrées de ces méduses. Les cris
jaillissent. Langue de feu. Crache regret.»
8
La nymphe cache son front.
Elle couvre ses joues.
Elle disparaît sous la terre.
Ana ouvre les yeux.
Une vieille dame frotte sa manche.
« - Vous allez prendre froid mademoiselle, levez-vous. »
Les deux femmes entrent dans le café.
Le percolateur vrombit.
« - Un peu de paix ?
- C’est pas pour moi.
- Tu t’habitueras. On s’habitue à tout. Même au meilleur. Ca prend un peu de temps. Après
y a plus que ça qui compte. »
9
Elle dépose sa cuillère sur la soucoupe.
« - La peur c’est pas de la compagnie.
- Germain s’est tué. Je sais plus faire.
- C’est qui ?
- Mon homme.
Il s’est jeté. »
Une boule de flipper est lancée.
« - Je fais que coucher avec d’autres gars.
- Et ?
- C’est mal »
La vieille dame sourit.
10
« - Je connais les hommes. J’ai tout pris ce qui leur faisait mal. Dans mon corps à moi. »
La vieille dame décrit les bruits.
Râle rocailleux.
Spasme de veines.
Clapotis de peau.
Elle décrit des parties.
Encolure des reins.
Pubis.
Fesses.
Sexe.
«-T’avais besoin de chaleur dans ton coeur. Et puis, si y a du plaisir ça réchauffe mieux. »
11
La vieille se lève et part en direction du comptoir.
Ana regarde sa montre.
Elle se lève.
Elle va vers le cimetière.
Sur une dalle de marbre, elle couche son visage.
Sa grand-mère lui apparaît.
Ses mâchoires, ses yeux, ses mains, son anneau doré.
« Vis ma loupiote.»
Elle reste au pied de la tombe de Germain.
12
Elle va vers le café.
Le serveur lui sourit.
« - Un autre café ?
- Non merci, je cherche une vieille dame.
- Personne, désolé. »
13
Joachim del Sur
A cette heure du jour le soleil brûlait la peau et la clameur de femmes en gésine soufflait
les fétus de paille laissés par les célébrations de la veille.
Les hommes encore alourdis par l’alcool peinaient à déplier leurs paupières, tandis que
les animaux remuaient sous les tôles déjà brûlantes.
Joachim del Sur entra par la porte ouest de la ville. Son cheval assoiffé par le pénible
voyage marqua l’arrêt. La bosselure de sa cheville ne cessait de s’infecter et le contact de la
poussière le préservait de tout soulagement.
Il attacha la bête, étreignit son museau, arma son revolver et lui glissa une balle de
plomb par la cavité de l’oreille. Le coup de feu résonna dans la cité encore endormie.
Seuls les oiseaux s’échappèrent.
Un homme appuyé sur un bâton à la tête de bélier lui fit signe d’entrer dans l’église.
14
La porte poussée, il sentit la fraîcheur.
Il retira son chapeau, s’agenouilla, et posa son regard sur la statue nichée au pied de
l’autel.
Le bloc d’albâtre façonné par un sculpteur émut le vagabond.
Encore immobile quelques instants plus tôt, la statue se pencha sur celui qui avait voulu
oublier toutes ses années passées loin de son village natal.
Elle lui murmura de se diriger vers le côté droit du transept.
Il approcha.
Un seau d’ébène.
Une eau visqueuse à la senteur de rose.
15
« Ce sont là toutes les larmes que les mères ont pleuré. »
Elle enfila un doigt dans sa narine, y glissa une poudre.
Joachim s’endormit.
La cloche sonna de nouveau.
Deux hommes secouèrent sa maigre carcasse.
Depuis vingt ans, Joachim n’avait plus été appelé. Depuis vingt ans, il avait oublié les trois
syllabes.
« Pars.
- Je veux voir ma mère.
- Elle est morte.»
Le deuxième saisit Joachim par l’épaule.
« Crève. »
Veines du cou apparentes.
Convulsion spasmodique.
La rage bavait visqueuse aux bords des bouches.
16
Joachim quitta l’église.
Il partit en direction d’une bâtisse blanche.
La maison de son enfance.
Le fourneau, les chaises et la petite table en bois de thuya n’avaient pas changé de place.
Le portrait de son père.
La porte du cellier.
Une cruche de terre cuite.
Une chaleur prit place dans sa poitrine.
La chambre où son père était mort.
17
Il s’allongea sur le matelas et ferma les yeux.
Un dais de lumière. L’espace du lit. Les murs tapissés de mauve.
L’ armoire en face du lit attira son attention.
Il se leva et tourna la clé dans la serrure.
La pêne se retira.
Les robes à fleurs d’organza.
Il les respira toutes.
Aucun parfum, aucune fragrance.
Un carré d’ambre entre les couvertures.
Relâchant le bloc, sa main effleura un crêpe noir.
18
Lui revinrent en mémoire des paroles que sa mère avait sarmouré au cours de sa dixième
année.
« Nous sommes peu de choses et le temps passe vite. Servir le bon, cultiver le jour.
Dieu en chaque visage et en toute chose. »
Il retourna dans la pièce principale, ouvrit le tiroir de la commode et saisit des feuillets.
19
« Servir la caodïo. Lui seul connaît la grandeur de l’Espagne. Tous ces pantins dupés par ces idéaux
moribonds de fraternité inféodés aux froids sibériens de ces barbares russes n’ont rien compris à
l’alliance pure d’une race qui se joint pour s’extraire de la fange boueuse d’une égalité vouée à la
débauche. La seule ligne d’une direction nette, née de la légitimité du Très Saint est le seul
commandement qu’il nous faut suivre. Le Caodïo nous y mènera.
Cette putain débraillée nourrie et aimée par cet homme si grand. Aux bras du premier venu, elle s’est
jetée.
Les travaux des champs terminés, il la trouva grosse de quatre mois.
Impavide devant ce ventre fécondé par la semence de satan, il endossa la honte.
Jour après jour, il subit le dédain qui se pose sur les maris trompés.
Préservé de ce récit funeste jusqu’à mon départ pour la Phalange je continuais à regarder sa grâce et
sa beauté jusqu’à la servitude tendre et aimante qu’elle avait toujours su fécondée. La flétrissure de son
âme m’était encore voilée.
Dans les maquis ombragés, je devins cette machine ensanglantée. Les anarchistes brûlèrent et
dépecèrent une à une les soeurs du carmel. Ils leurs arrachèrent leur innocence comme d’autres sarclent
un champ de blé au coeur de l’été asturien. Ils brûlèrent tout, ne laissant rien derrière eux.
Il nous fallut peu de temps pour organiser la riposte et châtier ces crimes. Un à un nous les
trouvâmes. Certains avaient trouvé refuge chez les meilleurs espagnols dupés par l’ombre de leur discours
promettant le progrès comme les cartomanciennes d’un village préfigurent l’avenir en croyant déceler un
chemin dans les paumes de main.
Conduire de nouveau le regard vers le Saint et le Beau prendrait le temps qu’il nous serait donné.
La gloire nous couronnait chaque jour. La certitude de nos coups lancés par le feu de la poudre
confortait nos élans. Notre course ralentie par les vents nous menait grâce aux forces nées de l’autre côté
des Alpes, aux portes de la vérité de Dieu, témoin vénéré de nos exploits. Nos corps investis de l’ alacrité
angélique nous conviaient aux chants. En ces moments où nos mains dégageaient les chaires rendues au
créateur, nos poitrines entamaient les chants divins.
Au – dessus des dépouilles perforées par le plomb, nous prenions le temps de prier. »
20
Sa lecture terminée, lui revint en mémoire ce jour d’octobre maudit.
Sa mère trouvée nue sur le lit. Cet homme inconnu.
« - Reste Joachim.
- Reste ? Tu me demandes de rester. Ciel pourquoi m’avez vous donné cette mère couverte
d’infamie. Mon père est mort sous le poids de la honte. Mon père est mort et elle me
demande de rester … Comprendre ? Oublier peut-être. Retire de ma mémoire toutes les
douleurs que ce coeur qui loge encore ici puisse encore être désigné par le mot coeur. »
Le vieil homme frappa à la porte. Joachim tourna le menton.
Il se leva et il marcha.
Il n’alla pas plus loin que le perron.
Les ronces piquaient la terre asséchée.
21
« - Pars. »
Il marcha en direction du hameau.
Il visita chaque maison et ordonna à chacun de sortir.
Les uns après les autres, ils furent menés au pied de l’autel.
« Le nino de dona Esperanza. Je suis revenu. Elle est partie sans que je ne la vois morte.
Joachim tira sur l’assemblée.
Impact de plomb.
22
Les crânes ouverts en corolle.
Quelques râles entre les pierres de grès.
Trois femmes et un nouveau né avaient été épargnés.
« Vous marcherez avec moi. »
Les yeux rivés sur le sol les femmes avancèrent.
23
Elles tombèrent.
A de multiples reprises.
Leurs forces diminuaient.
A l’orée du bois de sycomores ils s’arrêtèrent.
Joachim regarda l’une des femmes.
Ses chevilles étaient ensanglantées.
Elle posa le genou à terre.
Une plaine s’ouvrait devant eux.
« Rien ne pourra nous sauver. »
24
Joachim saisit sa gorge.
Entre ses deux mains, il serra.
Jusqu’au craquement.
Placées de part en part de l’épouvantail de chaire, les deux femmes le tiraient en arrière.
De nouveau, il tira.
Il prit le nouveau-né et la nacelle.
Il se mit à courir.
Bosquets de genêt.
25
Aux bords d’un ruisseau, il respira.
La statue apparut.
Elle déposa un rameau de laurier dans sa main.
Buena Suerte mi nino. Buena Suerte.
26
Don Imperissable
Un tintement de clochette murmura à une lune gauche de se plier à la lourdeur de sa
charge.
Elle se faufila si bien que la dame aux rondeurs blondes prit son envol pour laisser place au
jour nouveau.
A l’aide d’une plume biseautée, Jacques achevait de griffonner la surface d’un papier.
27
Gris d’une nuit aux nuages lourds, il se leva, s’étira et se dirigea vers la fenêtre.
Les rangées rectilignes des vignes familiales s’ouvraient en tapis secrets de nectars à venir,
s’arrêtant pour border une forêt aux accents de murmures indiscrets.
Il huma le spiritueux versé dans une amphore glacée et s’assit avec précaution, révérant de
la main le cuir d’une méridienne au velours côtelé de rouge.
Son carnet de notes était encore ouvert.
Il s’y replongea quelques instants quand son attention fut attirée par le tableau ceint d’un
encadrement à la dorure craquelée.
La mâchoire crispée d’un aïeul capitaine d’industrie sucrière l’appelait dans le silence moite
du petit matin.
Il plaqua son oreille tout contre la toile et entendit un murmure. Le son se distinguait
toujours plus nettement et il lui sembla entendre le récit d’une femme.
28
« … Et elle me regarde et je sens déjà ce regard omniprésent, au-dessus de toi au-dessus de
nous. Elle nous regarde mon amour, elle nous regarde et me juge. Elle m’a réveillée ce
matin. Son regard, sa peau, ses ongles. J’ai tout de suite su que c’était elle, je l’ai tout de
suite reconnue. Elle nous regarde mon amour, elle nous regarde attentivement. Elle est
calme et paisible, elle nous sourit par instant. C’est le moment disent ses mains aux doigts
repliés, c’est le moment. Il n’y pas plus de place pour moi. Il est temps de partir me dit-elle,
il est temps, je m’en vais. Je vous quitte me dit-elle, vous laisse savourer votre amour
retrouvé. Je suis triste et pâle. Votre joie m’appelle déjà et je sais que je ne suis que la
misère de la résignation. Plus votre joie grandit, plus je m’affaiblis … Je crois que je meure,
tranquille.. Mes bagages sont faits. Je ne vous regarde plus. Je sais que vous m’aimez. Moi
seule me blesse en restant. Vous me regardiez, souffrante, immobile. Vous avez su, vous
avez pu. Aimez-vous sans moi. Aimez-vous. Vous avez franchi la porte. »
29
Jacques regarda de nouveau la toile. Une lionne affamée lui sauta au visage et s’affaissa de
tout son poids sur son corps.
« Cette odeur de manque cette envie de toi sur ma peau. »
La bête quitta Jacques et se faufila à travers la forêt.
30
Une vestale à la lourde poitrine au cou paré d’un collier de perles d’ébène, le visage
surmonté d’un diadème de lapis-lazuli prit Jacques par la main et lui tendit une chemise de
satin.
Il l’enfila, reprit son souffle et écouta la Vénus noire.
« - Les hommes ont besoin de nous. Nous déposons la tendresse d’une juste direction.
- Quelle étrange danse millénaire agit nos mouvements ?
- Apprends la nuit, apprends le temps.
- J’ai été abusé trop de fois. »
Saveurs entêtées de murmures mensongers.
Parfum de regret.
Servile impuissance.
Les bras ne consolent pas. »
31
Jacques sentit de nouveau le whisky et revint à lui.
« - Assez pour ce matin. »
32
Sigismond
Désert nu.
Plaines mouillées.
Les frères veillaient.
Le volcan.
Dans l’attente d’une éruption prochaine le plus jeune s’agenouilla.
33
Sa voix parée de roches et de voyelles suspendues entre deux courants de calcaire unissait
les vents.
Sous l’amas des particules rouges sa main saisit une poignée de terre.
Il souffla chaque grain.
La terre en courbes d’air.
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Un général romain adossé à sa monture apparut.
Il se dirigea vers l’enfant.
« - Tu es arrivé. »
35
« Quelle injure ai-je fait à la face du monde pour qu’ainsi je me livre en pâture aux forces
de la mort. Les hommes n’ont rien compris au pouvoir, l’esclavage en lequel il nous place et
les forces prodigieuses qui dispersent celui qui le convoite.
Celui qui en moi l’admirait a tout fait, tout donné pour le conquérir. Et voilà qu’après tant
d’efforts, cé désir me quitte.
Tous ces combats menés, tous ces coups donnés par vanité, orgueil et rage.
Tout cela m’est bien fade aujourd’hui.
L’attente en laquelle je suis demeuré a forgé ce monstre belliqueux.
Mes plans machiavéliques et les dessins de conquête, l’ombre d’une gloire portée par le
glaive.
Je n’ai pas compté le nombre des corps laissés sur les champs de bataille. Je ne me
souviens plus des visages encore moins des regards, le bruit seulement, celui de la peau
trouée par la lame, une silhouette apparaissant derrière mon épaule et ce besoin
intarissable, chasser la peur.
En chaque instant, elle reparaissait.
O fille du malheur tu auras été mon épouse la plus fidèle.
Jamais tu ne m’as quittée moi qui ai tant cherché à te lâcher.
Les plans préparés dans ce palais aux courtisans souffreteux sans vision pour la gloire de
l’empire. Je les ai laissés mourir du saccage de maudire, s’entretuer net à la saillis d’un
discours tranchant. Ils n’ont rien compris au fer, à son alliage, la caresse de la mort et le
crâne d’un enfant perforé sous les coups des sabots.
36
C’est encore se donner une place inutile que de plier au songe de pouvoir sauver ceux qui
demandent secours.
Revenant du désert, j’ai rencontré celle qui semblait me dire que je n’étais responsable de
rien.
« Laisse-leur le chemin et pleure leur destin quand ton coeur se serre mais laisse les libre de
choisir.
Là réside le mystère de l’homme.
Une liberté totale.»
37
A travers elle, je revivais chacun de mes amours et retrouvais le point.
L’équilibre.
La possibilité d’une île.
Chaque larme déposée disparaissait auprès de sa présence plongée dans ce matin calme au
parfum net.
La passion de soumettre par le verbe et la force de mes muscles brandis contre le temps
s’engouffraient dans le taffetas de sa robe.
Moi qui l’avais pris pour une courtisane, je vis enfin qu’elle était reine.
Cette nuit j’entrais au temple.
Chacune de ses portes me proposaient d’ouvrir le livre de mes gestes assénés sans jour.
Une nuit encore passée à ses côtés, je m’ouvrais à l’enchantement de ses doigts dorés
repassant le cuir de mon front brûlé.
Je n’eus d’autre choix que de me laisser faire par le dessin de ses hanches où me
maudissaient tous ces hommes qui n’avaient jamais étanché leur soif. Ruisseau d’ébène,
38
arbre de vie, tu m’as laissé connaître les forces de l’interdit et la folie de ceux qui resteront
au-dehors.
Mes généraux me susurrèrent la faiblesse en laquelle cette union me plaçait. Hicaton me
dit sans ambages un soir que j’allais rejoindre le service des lois :
« Choisir ce chemin t’inflige l’extase d’un moment qui viendra mourir dans une aigre larme.
Il n’y a pas assez de place dans ce coeur. Ce calme apparent précipitera la fin tes services
auprès de l’empire. »
Le soir venu, j’entrais de nouveau sous la tente.
Elle m’accueillit d’un visage aux traits noués par l’attente de ma venue tardive.
Je retirai les peaux, la ceinture et défis le mousqueton
Elle me fit allonger sur un tapis de copeaux de liège, m’invita à m’étendre.
Une après l’autre, elle appliqua des pommades sur des entailles mal fermées.
J’inspirai profondément.
Ces larmes enfouies au plus profond jaillissaient, déferlaient en torrent.
Ses mains cueillirent les gouttes une à une. Elle les déposa dans un flacon d’ivoire et les
déposa au pied du feu. Les flammes dansèrent l’hymne de mes victoires.
Les cris des généraux transperçaient mes tympans.
39
La crête des montagnes s’ouvrait.
Envol d’étournaux.
Les hurlements arrêtaient nos glaives, les muscles tonnaient de plus belle.
Les chants des esclaves capturés durant la traversée Lybienne m’accrochaient le visage.
Je tombai dans la brûlure de ma chaire. Chaque parcelle de peau tombait. Les uns après les
autres, mes os se détachaient.
Une hyène un loup un vautour hurlaient.
Le spectacle de mes saccages transfigurés terminé, elle déposa mes mains le long de mon
corps.
Je sentis de nouveau mon souffle et entrai dans un second temple.
Je m’approchais d’une étrange gravure.
Sur le front d’une femme apparut une méduse.
40
Elle me cracha au visage.
Je ne distinguai plus la lumière du jour.
Je m’abritai derrière une fenêtre, poursuivis sur le côté et me concentrai sur l’air alentour.
Elle reparut quelques instants dépliant le mouvement de ses bras.
« -Quel étrange maléfice m’as-tu jeté ?
- Aucun sort, c’est toi qui me donne vie. »
J’ouvris de nouveau mes paupières.
41
Ma douce me fit revenir au son d’une berceuse.
D’un battement de cils, elle m’apaisa.
« Dépose cette épée. Tu as suffisamment combattu. Le temps de te connaître celui que tu
portes est venu. Rome t’a façonné dans le marbre de Mars. »
42
L’accrétion de cette terre tourbeuse et la majesté de cette femme ouvraient le chemin d’une
aube nouvelle profilant cette contrée où l’alchimiste noie la visqueuse dame en ange
éclatant.
Une guerre intérieure à mener et s’élever au-dessus de mes mains encrassées.
Elle me demanda si je préférais placer mes plaies sur le trône de ma gloire.
Cette lourde couronne de clous.
Le souffle du vent.
Je sortis de la tente et scrutai le levé du jour.
« - Cette couronne que tu vois là, cet Esprit, c’est toi. Quand les hommes te feront le récit
de leurs surfaces : leur vanité, leur orgueil, et leur rage, elle te guidera.
43
Le volcan préserva l’aurore.
Les étoiles nues tapissaient ses dédales.
Diurne tendu en passable sage.
44
Tolède
Nymphes écheveaux, séraphins noués, mèches tressées.
En volée feinte
La douceur des couleurs et la caresse des traits vigoureux enivraient les journées de Pedro
Sanchez, peintre à la solde de l’Eglise et du royaume de Castille.
Les formes qui, sous sa brosse graissée se délivraient, tapissaient la toile de ses journées.
La dernière peinture confectionnée par l’artisan le plus doué de la cité attendait son dernier
dépôt afin que de fêter le retour de don Blasco Ramirez de Guzman.
En remerciement de sa dévotion, l’archidiacre se voyait distinguer par les alcaldes et les
regidores de la ville.
45
Les façades des modestes bâtisses s’étaient parées des étendards de la maison de Castille et
des armoiries de la maison de Habsbourg pour accueillir le meilleur questionneur d’âmes
et inventorier que cette terre ait porté.
Encore plongé dans les vapeurs du raisin, l’archidiacre s’endormait à mesure que l’aube
naissait. Les nuages encore gorgés de chaleurs ralentissaient les quelques habitants chargés
de nettoyer les ruelles.
De stature moyenne, l’archidiacre arborait une moustache drue surmontant des lèvres
violacées tandis que son nez s’avançait comme un roc domine menaçant la nappe calme
d’un étang.
La modestie chez lui n’était qu’un fard, derrière lequel, calme et non moins affamée, se
terrait la convoitise d'être adulé.
Si par quelque hasard un interlocuteur le contredisait, il se faisait un plaisir de le railler
passant à la louche toute parole sensée.
Le malheureux encerclé prenait alors les atours monstrueux d’un scélérat dépourvu d’âme,
ou, selon l’humeur meurtrière chevillée au colt langagier du jour, d’un pense creux à la
solde des catalans.
La cour à l’échine courbée qui auprès de lui s’agitait, n’osait faire état de ses erreurs de
distinction élémentaire. Quand un jour, confondant un dimanche de palmes avec celui de
Pâques, il avait pris soin de venir avec des rameaux, tout le monde s’était tu.
Lui indiquer sa confusion aurait exposé l’impétrant contradicteur à de vives rabrouements.
Marqué du sceau de la traîtrise la plus abjecte, il aurait creusé le sillon de son
excommunication.
Sous son administration spirituelle, faux dévots et avides courtisans avaient trouvé leur
paradis et leur gardien dévoué.
Réveillé par le vicaire de la cité, Don Guzman concéda à se lever. Il se rendit sur la place
d’armes. Une estrade sertie de fleurs encadraient le promontoire.
Un siège de velours rouge carmin avait été déposé au centre. Des reliques d’une sainte
supposée avaient pris place à la droite. Les hauts fonctionnaires de la ville attendaient
patiemment l’arrivée du notable ecclésiastique ainsi que celle du Prince.
A l’heure de le célébrer donc, Pedro Sanchez arriva au pied de la scène.
46
Le regard perdu dans les nuages, le petit artisan s’approcha des notables
Arrivé à la hauteur du Prince et de Don Blasco, il dévoila la toile.
Un retable d’à peine quinze centimètres de long et de trente centimètres de large fut
présenté aux yeux des convives.
« - Est-ce ici une farce ?
Nous t’avions demandé un tableau pour honorer notre invité et voilà que tu nous montres
cette …
- J’y ai mis tous les élans que mes pinceaux m’ont donnés Prince.
Toutefois, j’ai besoin de temps encore.
J’aimerais arrondir certains angles, épaissir certains traits.
- Qu’importe le temps. La grandeur est absente du bavardage de tes crayons.
Le Prince se tourna vers Don Blasco et se courba.
Pour s’excuser de l’affront il organisa une fête.
47
La danseuse la plus douée du pays danserait pour lui et effacerait ce souvenir détestable.
48
Le lendemain, une jeune femme arriva dans la cours du palais et se mit à danser.
La psalmodie de ses mouvements achevés, elle salua.
« - Avant de partir, fais-nous le récit de cette étrange danse. »
La danseuse le regarda sans répondre.
A demi, elle écarta ses lèvres.
Les tonalités ombragées de souvenirs dissouts se baladaient.
49
Ce que la langue une a uni
Nul ne peut le diviser
Il fit quelques pas vers la jeune femme et révéra son visage.
« - Quel est ton nom ? »
Sa gorge déplia de nouveaux vers.
C’était un temps où les hommes
La couleur ébène autour des coeurs
Conversaient avec les femmes
Parés de sourire et de perles
En force s’écoulait
« - Poétesse aux pieds nus donne-moi ton secret. »
50
Aux confins du rivage
Là où les terres se gardent
51
Le Prince se mit à danser.
Ses hanches fouettaient l’air et circonscrivaient l’espace de l’instant.
De nouveau, il regarda la toile.
Il regarda une fois.
Il regarda deux fois.
Et il tomba.
52
Demesia
« Diriger sans attendre en retour.
Atteindre la gloire.
Fardeaux lourds sans promesse.
Un venin qui ne laisse aucune autre trace, sinon celle du désarroi, convoiter.
La fortune a déposé à mes pieds la bassesse qu’accompagne l’exercice d’un pouvoir cru.
J’ai pourtant toujours su.
La force est le seul guide.
Dignité d’un regard.
Soeur de justesse.
Tapie derrière le fiel fécondé par le parjure, elle se dérobait.
Une peine inutile est longtemps restée accrochée à cette vanité de l’endeuillée après
qu’Hacatar t’ait suivi.
La servilité à nos douleurs est l’une de nos plus étranges passions.
Ce veuvage interminable, je l’ai expié dans les bras de ces tendres fétus de peau. Ils ont
accueilli les perles de mes gênes et fécondé la blanche candeur que j’abandonnai pour cette
armure que tu vois gire ici.
Chaque besoin accueilli dans la couleur vivifiante d’un plaisir nu, abandonné à sa rêverie,
vécu enchanté sous la pulpe de doigts aux alliances mûres.
Une audience pour chacun, renouvelée, un cycle de lune durant.
53
La caresse du regard d’Emran, sa main donnée avec douceur m’enroba un soir d’un
croissant blond tendu par deux servitudes de nuages lourds d’un orage à venir.
Les cérémonies organisées pour louer ma divinité ne ressemblaient en rien à ce que mon
corps avait reçu jusqu’alors. Il veilla la nuit durant, prépara chaque motif, dissimula chaque
détail.
Dessiner à même la terre le lit de l’étrangère.
Rehausser la beauté de mon visage.
Révéler la délicatesse de chaque trait, un à un, souligné d’un rai de jour ombragé par une
toile de soie maintenue entre deux piquets de bois sec.
Il n’eut d’autre choix.
Se mettre au service de ma force endolorie.
Servir un peuple désorienté par la disparition de l’empereur.
Les convives repus, je l’accueillis dans les appartements impériaux.
J’avais réveillé en lui le feu d’un amour sincère.
Le souffle.
Ses lèvres.
Sa poitrine en son centre.
Frappé.
Tout se livrait à la mince cascade de ses volontés suaves et murmurées.
Ses élans déliés enchantaient la mélodie de mes doigts déposés sur un visage à la mâchoire
creusée par le jeûne de ce mois lourd de chaque parole délivrée aux pieds des dieux.
Les harmoniques chauds du feutre de nos peaux l’un contre l’autre ânonnés, j’entrais dans
une conscience à demie, opâline démesure où les ombres s’accrochent en danses cascades.
Je m’engouffrais.
Supplices de nymphes et de sirènes.
Les premières léchant une main lourde de pailles souillées, les secondes cassant les os d’un
oiseau tout juste mort, une odeur lourde de chaire, la narine frémissante sous la pulsation
d’un coeur battant sa dernière mesure.
Les lèvres entr’ouvertes, une salve d’air.
54
Je vis de nouveau son visage.
L’expression.
Plissée à l’union de l’accent de ses yeux.
Un trouble tout juste survenu.
« Parle.
Ces femmes qui t’ont mordu au visage, ces soeurs avides d’étancher leur peur dans la bauge
infecte où leurs mots se déversent dans les jarres souillées de leurs conventions stériles.
Dis-moi les replis de leurs blessures qu’elles ont cadenassées, livrées en pâture à leur vanité
suffocante. »
-°©‐ Tout est pardonné .
Je regardai le feu, me réchauffai les mains.
« Dis-moi la maîtrise en laquelle elles étouffent les hommes, les mouvements de leurs
hanches pour les garder autour de leurs ventres, la force du chantage et les ensorcellements
qu’elles intriguent dans l’alcôve de leurs ressentiments.»
Il prit ma main et embrassa le revers de la main.
La majesté et la grâce qui paraît ces dépôts n’avaient d’autre pareil que la beauté des chants
qu’il entama. Les harmoniques graves enchantaient chacune de ces notes tandis que sa
bouche caressait les syllabes.
Jusqu’au levé du jour.
La nuit mourut au petit matin.
Une horde de soldats fomentant une conspiration l’arrachèrent à mes voiles.
Assurer le règne du sang et des larmes.
55
Encore et toujours.
Du sourire d’Helior, je reçus la déflagration portée par la plume.
Son corps tuméfié par l’arrogance de ses précédents maîtres.
A même le dos, ils avaient incrusté la cruauté sourde de ce rituel où le sang danse avec
l’inconstance des éclats sauvages.
Les pages ont ceci de commun avec les poètes qu’ils laissent les anges leur souffler la
beauté cachée des mondes.
Ils ne se courbent pas devant la brutalité.
Au coeur du Connu, se laisse respirer.
Portée par la clameur de Philon, je reçus le don des prêtresses qui tissent leur force de
l’accueil des tirs et des cris libérés.
Cette nuit passée à ses côtés, l’opium ne sut accompagner l’onde du sommeil.
Cette nuit-ci, je demeurai aux portes des mondes.
Son lobe effleuré, l’océan s’ouvrit en mon bassin.
Des monstres marins affublés de tête de chiens fuyaient à travers un ban d’hippocampes
tandis que ma main s’engouffrait dans la moisissure d’un corail.
C’est au chant de ces mouvements souffreteux que je repris l’air.
Son étrange danse susurrait le bruit d’une annonce engoncée dans un fourreau de doutes.
« Es-tu déjà allée au pays de la folie où la sagesse millénaire se révèle à celles qui ont
l’audace échevelée de franchir leurs caps. »
Projetée dans les flots déchaînés.
Roches ombragées.
Il était temps pour moi.
Reconnaître.
56
Ce dernier m’apprit l’illusion des premiers temps de l’amour, sa nécessaire présence, la
sensation vibrante et éternelle qu’elle fécondait au jour d’amitié.
Devant le coffre de ma vie.
Les uns après les autres, chaque fard quittait ce front lourd.
La plus âgées des soeurs Ombrons m’accueillit, pointa une jarre, me demanda d’y déposer
bague et collier.
Elle retira mes sandales et me fit asseoir auprès d’une pierre affutée qu’elle me demanda de
caresser.
A mesure que mes doigts passaient et repassaient, mes mains se recouvraient de
grésillements.
Elle me convia à me lever.
Elle me montra le spectacle des cris des courtisans, la douleur, leur attente.
A travers ma peau, l’impératrice.
Leurs cris mués en gémissements.
La soeur me désigna une poupée dansant au gré de ces bruits martelés par les gorges
serrées.
« Telle est ta danse depuis les premières années de ton règne. Il est temps pour toi
d’apprendre la justesse. »
Elle me montra de nouveau les flaques et les brûlures d’un fantôme édenté, les crevasses
des jambes sous les corps de vieilles villageoises d’un pays inconnu.
« Telles sont les mouvements que tes hanches engendrent dans la cécité de leur berceau.
- Hacatar mort j’avais besoin d’écorces. »
Les épaules dévêtues de leurs noeuds.
Le mouvement de l’eau.
La poudre d’ambre.
57
Une libellule encerclée de taureaux vint se posa.
Sur mon front.
Je reçus quelques coups de sabots et rejoignis l’insecte volant.
« Chaque jour tu dresses tes geôles.»
Au visage, il me souffla la poudre.
« Calme toi douce impératrice, quand tu te retournes avec peur, c’est elle qui devient le
centre du mouvement. »
58
Revenue dans le premier cercle, la soeur m’enseigna les mouvements de l’humilité.
« - Est-il temps le temps du départ ? »
59
Nouvelle Aube
Treize heures venait de sonner. Il était temps pour Marc. Il était temps d'aller.
Il gara sa voiture le long d'une chaussée abritée du vent, défit sa ceinture et coupa le
contact.
Descendu de l’Autobianchi, il se dirigea vers le temple de la ville.
Une porte de métal.
Il entra dans l’édifice.
« Puis-je vous aide ?
- Oui, je cherche le pasteur.
- Vous l'avez trouvé. »
60
Table en formica.
Deux mazagrans, du sucre et de la chicorée.
« Je ne sais pas pourquoi je suis né.
Peut-être, simplement, ai-je été aimé trop fort et trop tôt ?
On a tort de croire que l’amour est une chance, c’est une condamnation lourde.
Ce que l’âge apporte à l’expérience, c’est la nécessité d’une conscience, la possibilité d’un
regard.
Ecorce batônnée.
Plus rien ne peut m’atteindre si ce n’est un amour sincère, détaché de toute convoitise, de
toute urgence, un amour qui s’offre sans réfléchir.
Un amour qui se donne sans mesure ni raison.
Un amour prêt à sourire. »
La pasteur l’invita à retirer sa veste.
61
« Quelle étrange difficulté à voir ce commencement qui ne débute jamais.
Rien ne commence jamais.
Je me couche dans les ombres, je me laisse happer par des bras qui ne me cherchent pas.
Je finis par me croire coupable. Je m’accuse des troubles qu’elles ressentent. C’est moi,
c’est elles, je sais plus.
Je n’ai jamais su au fond.
- Peut-être ne faut-il pas savoir… »
62
« - Notre pays me navre, notre continent me navre. Ses attitudes, ses prétentions de
conquêtes, ses vues qu’elles imposent. Hier au soir, j’ai quelque peu abusé d’une bière
blanche bien trop lourde pour mes espérances. Et le soir, au moment du coucher, voici ce
que j’ai pu voir à demi endormi. Une lyre m’invitait à danser dans le silence de sa vibration.
J’ai bougé l’épaule gauche l’épaule droite.Je me suis bercée dans les creux des
mouvements. A la fin, je ne voyais plus mes mains. Elles avaient été emmurées. Un
mamelon dodu m’est apparu. Je m’y suis engouffré. Il me susurra la cruauté de chacun.
Des visages aux joues enflées. Des crépitements de feux glauques. Des mots assénés par
une serpe rouillée.
Je tentais de dissimuler mon tourment en me cachant les yeux.
- D’où vous vient cette tristesse ?
- La vie est un miracle et elles ne le savent pas. Elles restent aux portes de leur vie et ne
cessent de s’aventurer vers le noeud de voeux prématurés.
- Que faites-vous dans la vie ?
- Je suis écrivain. Du moins, c’est ce que je crois. J’écris des histoires avec des mots.
- Quelle chance.
- Vous croyez ?
- Oui, c’est un beau métier que d’offrir des perspectives sur la vie.
- C’est que mes livres n’en proposent pas. Ils sont le réceptacle de mes doutes. J’y dépose
chaque souci. Tous, ils sont là. Je suis las. Et pourtant …
- Et pourtant ?
- J’aime une femme, une jeune femme. Mais …
- Mais …
- Je n’arrive pas à m’approcher. Cet amour me met au supplice. Moi qui ai coupé tout
espoir couchant dans mon premier écrit les âffres de l’amour, son vertige, ses simulacres de
présence et le renouvellement perpétuel de ces narcissismes creux et sans esprit … Tenez,
regardez ce que j’écris. »
63
Cette vie amère est que noce de sang. Je suis un martyr. J’en construis le mythe brusque et bruyant. Mes
roues de voiture sont faites pour cet asphalte brun qui perce les monticules de terre. Je franchis les lignes
et attends qu’on m’arrête.
La pasteur éclata d’un rire généreux.
« - J’aimerai vous offrir l’espace de mes bras pour que vous puissiez pleurer. »
Il s’exécuta en se blottissant contre elle.
« - Je n’ai plus une minute à moi. Je sais qu’un jour, il faudra me confronter à autre chose
que cette fuite. J ‘ai du mal à vivre. Dites-moi simplement comment faire et quel regard
poser sur ce qui nous unit pour réunir tous ces morceaux qui nous découpent et me
manquent. J’ai du mal à vivre. J’ai peur d’aimer. J’ai peur de promettre.
Elle m’a envoyé une lettre, regardez. »
64
Chaque je t’aime que - - tu découpes en mon coeur.
Ma vie durant, j’ai attendu cet amour.
Tu entres dans ma vie comme la promesse d’une aube nouvelle.
Tous ces autres m’ont mené à toi.
Il y a quelques chose d’une volupté triste de l’attente chez l’amoureux qui, non encore assuré du retour de
sa vibration, tisse le motif d’espérer son retour et annule dans le même temps son possible don.
Ce doute inquiet s’instille à la manière d’un filet d’eau ou bien encore il est opération de fermentation de
levures qui donnent le goût et le parfum du breuvage que l’amoureux prépare au coeur de l’ attente.
Tu n’as pas compris, je le crois.
Ce n'est pas mon envie de toi encore moins l'attente de former un monceau de parentalité qui m'a fait me
frayer un chemin à travers la peur, mais, plus certainement la demande que tu prennes ma main et que
tu déposes ta paume sur ma joue, que tu te laisses aller à ta tendresse et que tu loges depuis le velours de
tes lèvres un baiser.
Laissons mûrir l'absence de l'attente .
Il n'y a plus une seule illusion qui en mon coeur ne puisse trouver refuge.
Ce soir d'été m'appelle à vouloir te combler, à m'occuper du plus petit détail pour que ton confort soit
serviteur de quiétude.
65
« - Voici ce que j’ai répondu. Je n’ose pas lui envoyer. »
Après tant de délices couchés devant mes yeux, je te demanderai de garder le silence, de ne pas t’approcher.
Simplement de garder. Chercher encore et enfin rester sans ombres. Celles qui s’abattent sur moi depuis
si longtemps me jurent que je ne suis pas celui que je prétends être, que ma vie reste couchée au pied de cet
autel où j’ai sacrifié tant de perles. Les bêtises, leurs turpitudes et la confusion de mes blocages ingénus,
je dois les accueillir pour laisser place à autre chose dans ma vie. Je la partagerai avec toi dès que j’y
verrai plus clair. Sois assurée que je t’aime. Je t’aime petite fée aux doigts jolis. A bientôt, je l’espère.
« - Rentrez chez vous et prenez un bain. Déposez quelques clous de girofle, une pincée de
sel et une cuillère de miel. Faufilez-vous dans ce bain et laissez vos pensées aller. Vous
joindrez vos deux doigts l’un à l’autre en les posant à l’endroit de votre coeur. »
Il quitta la pasteur et le temple.
66
Arrivé dans sa chambre d’hôtel, il quitta chacun de ses vêtements, ouvrit le robinet.
Il s’allongea dans l’eau et déplia ses jambes. Il inspira profondément et sentit la chaleur
fumer de ses narines. Ses paupières se fermèrent et il laissa les images vagabondées.
Celle qui habitait l’espace de ses pensées les plus amoureuses lui apparut.
« - J’ai besoin de vous, je veux connaître le monde, je veux connaître les mondes.
- C’est par ici mademoiselle, je vous ouvre la voie lactée. Pouvez vous prendre un peu de
temps pour m’aimer ?
- Avec plaisir. »
Dans le même temps qu’il ouvrait le rideau pour distinguer les étoiles, son ancienne
compagne lui apparut sous la forme d’un chat apeuré :
« - C’est donc elle que tu as choisi.
- Oui, elle a besoin de moi, et moi, je l’aime, ça me suffit.
- Fonce, tu as trouvé ton étoile. »
La jeune femme revint à lui.
« - J’ai envie de partir loin avec vous : au pays de l’enfance où mes joueurs préférés
inscrivaient trois buts par match : le tarif maison ; quand mon grand-père me fourrait les
poches de bonbon m’empêchant d’avoir faim le soir venu. Il y a cet élan qui me donne envie
de tirer la langue à la voisine et de mettre un pétard dans la gamelle du chat pour voir si
c’est drôle. Et demain ça recommencerai encore, des croûtes plein les bras, les genoux
écorchés. Il n’y aurait plus de place pour la nuit.
Les super héros seraient toujours sur la route et nous avec. Il n’y aurait plus de frontière,
plus de limite, juste vous et moi à la tombée du jour et jusqu’au bout de la nuit. Ca ne
s’arrêterait jamais. Tous les jours, ça recommencerait et l’espace serait découpé par la
vibration du moment, la réverbération de l’instant et jamais, jamais, jamais plus il n’y aurait
de distance entre l’espace et le temps, jamais plus que l’instant et aussi … »
Il revint à lui, s’aspergea d’eau et sortit du bain.
67
Ses muscles noués s’étaient détendus, son souffle se déployait.
Il regarda son visage dans le miroir.
Le visage d’Eden.
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