Tumgik
ticketsfroisses · 7 years
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Le péril jeune
14h. Il est chétif. Regard doux et intelligent. Appareil dentaire très proéminent qui l'empêche de fermer totalement la bouche. Il entre accompagné de sa Maman et de sa petite sœur je suppose, âgée d'une dizaine d'années. - Bonjour, je voudrais avoir des renseignements sur le film "Le procès du siècle" s'il vous plaît. Je lui explique. C'est l'histoire d'un homme qui affirme que l'Holocauste n'a pas eu lieu. Il attaque une historienne en justice. Devant un tribunal, elle doit démontrer juridiquement que les chambres à gaz ont existé. En glissant un regard prudent vers sa mère, j'évoque le fait que c'est un film très actuel puisque des hommes politiques tiennent des propos similaires aujourd'hui en France. - Ah oui c'est des nazis ! - Bin pas exactement, on dit que ce sont des négationnistes, mais c'est tout aussi dangereux. - Ça m'intéresse beaucoup en fait, moi j'adore les films de procès. Et sur ce thème je pense que c'est très très important. On discute un peu. Il aime aussi beaucoup les animés japonais, il est déjà venu en voir ici. Il vient d'avoir quatorze ans. Je lui dis que s'il vient voir le film aujourd'hui, je lui fais un tarif réduit, à 4,5 euros. Il négocie avec sa mère. Aujourd'hui c'est un peu compliqué, tu pourras y aller lundi d'accord ? D'accord. En ce moment, à chaque terrasse de café, chaque arrêt de bus, je me fane les pires âneries à propos des élections, et comme beaucoup de gens je crois je monte un peu plus fort le son de mes écouteurs. J'ai parfois envie de couper le son du monde entier mais c'est sans compter sur les clients eux-mêmes qui viennent me servir leurs opinions, parfois bien puantes et souvent ineptes, toutes déjà entendues. Lui, là, il m'a vraiment fait du bien. Et pendant cinq minutes je n'étais pas en train de penser aux désastreuses conséquences à venir de ces élections. J'étais en train de me demander comme rédiger du mieux possible une description à l'usage de mon collègue caissier, pour qu'il lui fasse son tarif réduit à 4euros50 quand il viendra lundi.
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ticketsfroisses · 8 years
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Brève : Le problème avec les punchlines
Discussion d’au moins cinq minutes avec trois lycéennes qui veulent voir le film “Triomphe Absolu”. Je ne comprends rien, je leur explique qu’on ne passe pas ce film et que j’en ai jamais entendu parler. Elles insistent et m’assurent qu’elles ont vu une affiche sur notre façade. Je finis par perdre patience, elles finissent par partir.
C’est en sortant discuter avec ma collègue devant le cinéma que j’ai compris.
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ticketsfroisses · 8 years
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Mettre les voiles se faire une toile
Il y aurait beaucoup à dire sur la clientèle de ce cinéma. Evidemment ce n’est pas n’importe quel cinéma, donc ce n’est pas n’importe quelle clientèle non plus. C’est un lieu un peu poussièreux et bourgeois, qui se donne des airs, et qui, maintenant que j’y travaille depuis plus d’un an, me semble dépassé, en inadéquation avec notre monde moderne comme une cabine téléphonique devant un Apple Store.
D’ailleurs, la majorité des gens qui viennent ici ont ceci de commun avec l’établissement : ils tombent en ruine. Foule de petits vieux et de petites vieilles, davantage de petites vieilles d’ailleurs. Comme si les vieux messieurs avaient mieux à faire. Ou peut-être parce que les vieux messieurs atteignent moins souvent l’âge où l’on peut aller au cinéma toute la journée, en payant méticuleusement sa place en pièces de dix centimes.
Les petites vieilles. Elles avancent tout doucement, à pas comptés. Elles demandent de répéter plus fort le numéro de la salle. Elles se réjouissent qu’on passe des films en VO parce qu’au moins, même si elles n’entendent plus rien, elles peuvent lire les sous-titres. Pour d’autres c’est l’inverse. Elles préférent les films français, parce que même des lunettes à triples foyers ne leur permettent plus de lire. En général, ce sont les mêmes qui me demandent de prendre l’argent directement dans leur porte-feuille, parce qu’elles n’y voient tellement plus rien qu’elles ne savent plus différencier une pièce d’un euro d’un jeton de caddie.
Elles me font confiance aveuglément, c’est le cas de le dire, alors je suis toujours un peu bouleversée lorsqu’elles me sourient, qu’elles me jettent ce regard absent voilé par la cataracte.
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