Je m’appelle Alexandre Bleus, écrivain passionné et grand lecteur.
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Le synthôme ou la langue trouée du réel selon Lacan (Alexandre Bleus)
Mes chers lecteurs,
S’il est un mot dans l’œuvre lacanienne qui semble sonner faux au tympan du logicien, troubler l’oreille du lettré, dérouter le clinicien, c’est bien celui-ci : synthôme. Le mot heurte et résiste, et c’est justement là, dans ce frottement, que Jacques Lacan logeait son plaisir conceptuel, comme un tailleur d’ombres cisèle le silence de la nuit. Ce terme, volontairement orthographié à contresens du “symptôme”, ne désigne pas seulement une anomalie de la langue, mais une manière de nouer ce que l’on croyait défait : le corps, la jouissance, le savoir. Et, ceteris paribus, il faut bien admettre qu’il n’est pas de pensée lacanienne tardive plus opaque ni plus nécessaire. Le synthôme, dans la bouche et sous la plume de Lacan, surgit non comme une invention pure, mais comme une reprise cryptée de la tradition, augmentée d’un soupçon d’ironie baroque. D’abord, il faut dire ce qu’il n’est pas : le synthôme ne se réduit point au symptôme freudien, cette formation de l’inconscient qui se résout dans la parole, ni ne se laisse totalement capturer par le savoir du psychanalyste. Il demeure, tel un os dans la gorge du discours, irréductible à toute interprétation. Qu’est-ce à dire ? Que le synthôme ne veut pas parler : il persiste.
Il va sans dire que cette persistance ne se donne jamais comme évidence. Elle se tisse, se borde, s’étrangle même autour de ce que Lacan nommait le Réel, ce Réel qui ne cesse pas de ne pas s’écrire. Car là où Freud déchiffrait des symptômes comme autant de messages adressés au sujet, Lacan, dans sa dernière période, propose un renversement : le symptôme n’est plus à lire, mais à habiter. Il devient synthôme lorsque, se liant au nœud borroméen du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire, il cesse d’être porteur de sens pour devenir la solution d’un nouage. Solution idiote, mais efficace. Le contraire eût été étonnant.
Prenons donc, pour mieux situer ce concept, le cas de James Joyce, que Lacan place au cœur de sa réflexion dans le séminaire XXIII. L’écrivain irlandais, dont l’écriture excède toute signification stabilisée, n’est pas simplement un homme à symptôme ; il est le sujet de son synthôme, car sa langue elle-même, disjointe et polyphonique, tient lieu de quatrième rond dans son nœud subjectif. Joyce, par la texture même de son art, réussit là où d’autres échouent : il fait tenir ensemble ce qui menace de se délier. Il est bien clair et évident que l’art, dans sa forme la plus aberrante, devient alors un mode de suppléance du Nom-du-Père.
Je pense que ce déplacement est capital : il ne s’agit plus de guérir ni d’interpréter, mais de maintenir en place. Le synthôme, c’est le bricolage que le sujet élabore pour ne pas sombrer dans la psychose. Et ce bricolage, pour être efficace, ne requiert ni lucidité ni savoir : il suffit qu’il tienne. On peut remarquer avec aisance que la psychanalyse, ainsi revisitée, cesse d’être une herméneutique pour devenir une topologie, où les liens importent plus que les contenus. Le synthôme devient alors un art de nouer. Voilà pourquoi Lacan, avec une malice qui n’exclut pas la rigueur, écrit le mot avec un “th”, comme s’il s’agissait de faire entendre en lui un souffle ancien, médiéval, presque alchimique. In illo tempore, les souffrances de l’âme se gravaient dans les chairs, et l’on croyait que le mot pouvait sauver. Mais Lacan, lui, ne croit pas à la rédemption par le langage ; il en déploie plutôt les trous.
Et c’est là, mes chers lecteurs, que le synthôme prend une valeur tragique. Non point parce qu’il promet la guérison, mais précisément parce qu’il ne promet rien. Il est ce que le sujet ne peut abandonner sans risquer la dislocation de son être. Il ne parle plus de désir refoulé, mais de jouissance captée, compactée, entortillée autour d’un nœud qui ne veut ni se dénouer ni se faire entendre. D’une part, cela pourrait passer pour un échec thérapeutique ; d’autre part, cela constitue peut-être la forme la plus sobre de salut.
Dans le cadre de cette réflexion, il convient d’évoquer le lien entre le synthôme et la lettre. Lacan l’énonce avec netteté : la lettre ne signifie pas, elle insiste. Le synthôme est fait de ces lettres insistantes, trouées, béantes, qui s’accumulent comme des grêlons sur le sens, mais ne l’entament jamais tout à fait. Il n’y a pas de clef au synthôme ; il y a des tours, des ratures, des manques. Ce qui est laissé à nu n’est pas le sens, mais l’os du langage. Le lieu d’un impossible. Et si la cure permet quelque chose, ce n’est point de traduire, mais d’accepter que ce nœud est nôtre. Les corollaires de ce constat nous imposent de conclure ceci : l’inconscient est structuré comme une écriture plutôt que comme un langage. Sub conditione que l’on entende ce que Lacan appelait « savoir-y-faire », il est permis de dire que le synthôme relève d’un art, non d’une science. Art singulier, idiosyncratique, dont nul manuel ne peut établir la règle. L’analysant doit inventer sa manière de tenir son nœud. Non pas se corriger, mais se supporter. Ce qui rend compte, au passage, de cette faute que Lacan voulait toujours du côté de la vérité : il y a, dans le synthôme, une faute nécessaire. Non pas un défaut, mais une manière de faire trace.
Il est bien évident que cette approche rebute les esprits pressés, les esprits qui veulent résoudre, dénouer, purifier. Or, le synthôme n’est pas de l’ordre de la solution mais de la stabilisation. Il ne guérit pas, il tient. Et ce tenir-là, comme un câble tendu entre les registres du sujet, est déjà un exploit. Le thérapeute, dès lors, ne se présente plus comme un déchiffreur, mais comme un partenaire de nouage. Il aide le sujet à serrer son fil, à supporter ce qu’il est, et non à devenir ce qu’il aurait dû être. Il appert que cette humilité du dispositif lacanien tardif rompt avec toute visée normative.
L’on pourrait croire, à ce point du propos, que la psychanalyse s’est retirée du soin. Il n’en est rien. Elle s’y est enfoncée. Mais elle y a découvert autre chose : non plus des maladies à traiter, mais des nœuds à entretenir, à tresser, à remanier parfois. Le synthôme, dès lors, ne désigne pas ce qu’il faut abolir, mais ce qu’il faut servir. Le contraire eût été étonnant, vous en conviendrez.
Et si, dans cette perspective, toute œuvre, toute invention, toute parole qui persiste devenait un synthôme ? Il y aurait, dans chaque création humaine, si petite soit-elle, une tentative de nouage, un effort d’équilibre entre les trois anneaux du sujet. Ce serait là une lecture politique autant que poétique. C’est avec clarté que l’on peut constater que l’angoisse contemporaine ne naît pas tant d’un excès de symptômes que d’une perte de synthômes. Le sujet moderne est peut-être trop fluide, trop malléable, trop interprétable. Il n’a plus de nœud : il se dissout.
Mais, et cela pourrait constituer une énigme plus grande encore, que se passerait-il si le synthôme, à force d’être assumé, se muait en œuvre ? Non plus simple mécanisme de survie, mais manière d’habiter le monde avec style. Qu’on songe ici à ceux que l’on appelle les « fous de Dieu », les artistes brisés, les saints et les ivrognes illuminés : peut-être ont-ils, sans le savoir, donné forme à ce que Lacan n’aura cessé de poursuivre, un savoir-y-faire avec ce qui, du Réel, ne veut pas céder. Là où le langage échoue, une voix s’élève…
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L’espace du refoulement dans la topologie de Lacan (Alexandre Bleus)
Il est bien évident que pour aborder la question complexe du refoulement chez Jacques Lacan, il convient de s’éloigner des conceptions traditionnelles de l’inconscient comme un simple réceptacle de souvenirs oubliés. Lacan, avec sa rigueur mathématique et sa lecture singulière de Freud, nous invite à penser le refoulement non pas en termes de contenu, mais en termes de structure. Qu’ est-ce à dire ? Il s’agit de comprendre comment le refoulement s’inscrit dans l’architecture même de notre subjectivité, une architecture que Lacan décrit souvent à l’aide de modèles topologiques.
I. Les surfaces et le refoulement.
Lacan, dans ses séminaires, notamment dans le Séminaire III : Les Psychoses, utilise abondamment les figures topologiques pour illustrer la structure du sujet et les mécanismes psychiques. Le tore, le huit intérieur, la bande de Möbius, sont autant d’outils conceptuels qui permettent de visualiser des relations complexes et dynamiques. Le refoulement, dans cette perspective, n’est pas un simple acte de “pousser” quelque chose hors de la conscience. C’est plutôt une déformation de l’espace psychique, une manière dont certaines “surfaces” entrent en relation les unes avec les autres.
Imaginez une feuille de papier. Si vous la pliez, certaines parties se rapprochent, d’autres s’éloignent. Le refoulement, d’une part…, pourrait être comparé à ce pliage : certaines représentations, certaines idées, sont “pliées” hors du champ de la conscience, non pas détruites, mais reléguées dans une autre “région” de l’espace psychique. Cette région n’est pas un lieu obscur et lointain, mais une partie de la même surface, accessible sous certaines conditions, par des “chemins” détournés.
D’ autre part…, le refoulement n’est pas un événement ponctuel, mais un processus continu. L’inconscient n’est pas un espace statique, mais une structure dynamique, en perpétuel mouvement. Les représentations refoulées exercent une force constante, cherchant à “revenir” à la conscience. C’ est avec clarté que l’ on peut constater que cette tension est au cœur de la clinique psychanalytique : les symptômes, les lapsus, les actes manqués, sont autant de manifestations de ce retour du refoulé.
Il appert que la topologie lacanienne nous offre un langage puissant pour penser cette dynamique. La bande de Möbius, par exemple, est une surface qui n’a qu’une seule face. Si l’on parcourt cette bande, on finit par revenir à son point de départ, mais sur l’autre “face”, sans avoir jamais traversé de frontière. Cette figure peut nous aider à comprendre comment des éléments refoulés peuvent influencer notre comportement sans que nous en ayons conscience, comme s’ils circulaient sur une face cachée de notre subjectivité.
On peut remarquer avec aisance que le tore, autre figure topologique chère à Lacan, permet de penser la relation entre le dedans et le dehors, l’intérieur et l’extérieur. Le tore a un trou, un vide central. Ce vide, pour Lacan, représente le réel, ce qui échappe à la symbolisation, ce qui ne peut être dit. Le refoulement, dans cette perspective, est une manière de “faire le tour” de ce réel, de le contourner, sans jamais le rencontrer directement. Le tore émerge comme une figure emblématique, un opérateur conceptuel d’une puissance heuristique remarquable pour appréhender la relation dialectique entre le dedans et le dehors, l’intérieur et l’extérieur. Plus qu’une simple surface géométrique, le tore, avec son trou central, son vide primordial, se mue en un modèle topologique de l’appareil psychique et de son rapport au réel. C’est avec clarté que l’on peut constater que ce vide, cette béance fondamentale, est le lieu même où se loge, pour Lacan, ce qui échappe à la symbolisation, ce qui ne peut être dit, ce qui résiste à l’intégration dans l’ordre du langage. Il s’agit du réel, une dimension irréductible, inassimilable, qui se dérobe à toute tentative de saisie directe. Le refoulement, loin d’être une simple oblitération, apparaît alors comme une manœuvre subtile, une danse autour de cette béance. Il est bien évident que le sujet ne peut affronter le réel de front sans risquer la désintégration psychique ; dès lors, le refoulement devient une stratégie d’évitement, une manière de “faire le tour” de ce qui est insupportable, de le contourner, sans jamais le rencontrer directement. Cette circularité, cette torsion inhérente à la structure du tore, reflète la manière dont le désir, toujours en quête de son objet perdu, tourne autour du vide central, se satisfaisant de substituts et de métonymies.
L’analogie topologique du tore est d’autant plus pertinente qu’elle permet de dépasser les dualismes cartésiens et les approches linéaires de la psyché. Le tore, en tant que surface, est à la fois limité et illimité, fini et infini. Sa surface externe se fond dans sa surface interne, sans solution de continuité claire. Il est bien clair et évident que cette topologie particulière nous invite à repenser la notion de limite et de frontière. Le moi, loin d’être une entité close et auto-suffisante, se trouve perpétuellement bordé par l’Autre, par ce qui lui est extérieur et pourtant constitutif. La notion de corps propre elle-même, loin d’être une évidence anatomique, se construit dans cette relation complexe entre l’intérieur et l’extérieur, entre les pulsations internes et les injonctions du monde.
Il appert que la topologie lacanienne, et notamment l’usage du tore, ne se contente pas de fournir des métaphores élégantes ; elle offre des outils conceptuels rigoureux pour penser la clinique. Le symptôme, par exemple, peut être envisagé comme un point de friction ou de pliage sur la surface du tore, là où le réel insiste à se manifester malgré le refoulement. Le fantasme, d’autre part, pourrait être vu comme une tentative du sujet de remplir ce vide central, de construire une scène imaginaire qui donne sens à l’insensé. C’est dans cet espace topologique que se déploie la cure analytique, qui, loin de viser une simple “réduction” des symptômes, cherche à permettre au sujet de reconfigurer sa relation à ce vide central, à articuler autrement son désir et son rapport au réel. Je pense que cette approche topologique offre une perspective d’une richesse inégalée pour comprendre les dynamiques les plus complexes de la subjectivité humaine. Les corollaires de ce constat nous imposent de conclure ceci : la psychanalyse lacanienne est une discipline qui se nourrit de la rigueur mathématique et de la complexité philosophique pour éclairer les mystères de l’inconscient.
Le tore, dans sa simplicité apparente, recèle une complexité vertigineuse. Il figure le lieu où le désir se noue et se dénoue, où le sujet s’aliène et se sépare. Le trou central, ce point d’achoppement du symbolique, est aussi le lieu de l’émergence de la jouissance, de ce qui excède la simple satisfaction du besoin. In illo tempore, cette compréhension du tore aurait pu paraître énigmatique, mais aujourd’hui, sa pertinence est indéniable. La circulation incessante autour de ce vide, cette répétition compulsive, est l’expression même de la pulsion de mort, de cette force irréductible qui œuvre à la dissolution du sujet, mais aussi de la pulsion de vie, qui s’y accroche désespérément. Le refoulement ne serait donc pas une simple suppression, mais une opération complexe qui, en maintenant le réel à distance, paradoxalement, le maintient aussi en vie, sous une forme voilée. Il va sans dire que la cure analytique, en dénouant les plis et les torsions de la surface du tore, vise à ouvrir de nouvelles voies de circulation pour le désir, à permettre au sujet de s’approcher de ce réel sans y être englouti. Qu’est-ce à dire ? La psychanalyse n’est pas seulement un processus de dévoilement, mais aussi de re-création de liens, de re-tissage de la subjectivité. Le contraire eût été étonnant, étant donné l’inventivité conceptuelle de Lacan. Le tore est cette figure qui nous rappelle que l’intériorité est toujours déjà trouée par l’extériorité, que la béance est intrinsèque à la structure même du sujet.
II. Le noeud borroméen.
Plus tard dans son enseignement, Lacan complexifie encore sa topologie en introduisant le noeud borroméen. Ce noeud est formé de trois cercles enlacés de telle sorte que si l’on coupe l’un d’eux, les deux autres se séparent. Ces trois cercles représentent les trois registres lacaniens : le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire. Je pense que le refoulement, dans ce modèle, concerne la relation entre ces trois registres.
Le refoulement, en effet, peut être vu comme une tentative de maintenir une certaine “consistance” du noeud borroméen. Si un des registres est “troué”, si quelque chose “ne tient pas” dans le Symbolique, par exemple, le refoulement peut intervenir pour “boucher” ce trou, pour maintenir l’illusion d’une totalité. Mais cette tentative est toujours vouée à l’échec, car le réel, ce qui ne peut être symbolisé, revient toujours, d’une manière ou d’une autre.
Le contraire eût été étonnant ! Le refoulement, donc, n’est pas une simple opération psychique, mais un élément fondamental de la structure même de notre être. Il n’est pas une pathologie, mais une condition de possibilité de la subjectivité. C’est la manière dont nous gérons l’impossible, ce réel qui échappe à toute prise.
Les corollaires de ce constat nous imposent de conclure ceci : le refoulement n’est pas une simple affaire de souvenirs oubliés, mais une force structurante, une manière dont nous habitons le langage et le monde. Il est cette tension permanente entre ce qui peut être dit et ce qui reste indicible, entre ce qui est conscient et ce qui demeure inconscient. Et c’est dans cette tension, dans ce mouvement incessant, que se déploie notre subjectivité.
Références bibliographiques :
Lacan, J. (2001). Le Séminaire, Livre III : Les psychoses, 1955–1956. Éditions du Seuil.
Ragland, L. (2015). The Topological Dimension of Lacanian Optics or the Real of Structure. Return.
Alexandre Bleus
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Des liens topologiques entre le symptôme et le noeud borroméen (Alexandre Bleus)
Mes chers lecteurs,
Dans le cadre de la poursuite de nos méditations au sujet de la topologie lacannienne, je souhaite aujourd’hui me pencher sur la question du symptôme d un point de vue, si j ose dire, géométrique.
Il appert que la pensée de Jacques Lacan, dans sa constante évolution et son exploration des méandres de la subjectivité humaine, a trouvé dans la topologie, et plus spécifiquement dans la figure du noeud borroméen, un outil conceptuel d’une puissance et d’une fécondité remarquables pour appréhender la structure du sujet et ses manifestations symptomatiques. Loin d’être une simple métaphore, cette imbrication nodale offre un modèle pour penser l’articulation complexe des trois registres fondamentaux de l’être parlant : le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire.
Le symptôme, dans la perspective lacanienne, cesse d’être réduit à un simple trouble à éradiquer pour se révéler comme une formation de l’inconscient, un message chiffré qui, bien que source de souffrance, n’en constitue pas moins une tentative de nouage, une manière singulière pour le sujet de faire tenir ensemble ces trois dimensions souvent discordantes. C’est avec clarté que l’on peut constater que le symptôme n’est pas un corps étranger, une excroissance pathologique, mais bel et bien une modalité d’existence, une solution, aussi insatisfaisante soit-elle, à une impasse structurelle.
D’une part, le Réel, cet impossible à symboliser, ce qui résiste à toute tentative de capture par le langage, se manifeste dans le symptôme comme ce noyau irréductible de jouissance, cette épine qui vient sans cesse troubler l’ordonnancement symbolique et les identifications imaginaires. D’autre part, le Symbolique, ordre du langage, des lois et des signifiants, offre au sujet les outils de son inscription dans le monde et dans le lien social, mais peut également devenir une prison, un carcan rigide source de mal-être lorsque les signifiants maîtres vacillent ou que les identifications aliénantes prennent le pas sur une subjectivation véritable. Enfin, l’Imaginaire, domaine des identifications spéculaires, des images du corps et du moi, bien que nécessaire à la constitution de l’unité subjective, peut aussi être le lieu de mirages et de méconnaissances fondamentales.
Le noeud borroméen, avec sa propriété singulière où le dénouement d’un seul de ses cercles entraîne la désagrégation des deux autres, offre une analogie saisissante avec la structure psychique telle que Lacan la conçoit dans ses derniers enseignements. Les trois ronds, représentant respectivement le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire, ne tiennent ensemble que par leur enchevêtrement même. Si l’un de ces registres vient à se défaire, à ne plus être bordé par les deux autres, c’est toute la structure subjective qui menace de s’effondrer, conduisant potentiellement à des formes de décompensation psychotique où les limites entre les trois instances deviennent poreuses, voire inexistantes.
Le symptôme comme nouage borroméen singulier
On peut remarquer avec aisance que le symptôme, loin d’être un simple dysfonctionnement, apparaît alors comme une tentative, souvent maladroite et coûteuse pour le sujet, de restaurer un certain nouage borroméen, de suppléer à un défaut d’arrimage originel entre le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire. Dans cette perspective, l’analyse ne vise plus tant à faire disparaître le symptôme qu’à en déchiffrer la logique singulière, à permettre au sujet de le défaire en tant que nouage aliénant pour potentiellement en inventer un autre, moins souffrant et plus en accord avec son désir le plus propre.
Il est bien évident que chaque symptôme porte la marque unique de l’histoire du sujet, de ses rencontres avec le langage et l’Autre, des modalités singulières par lesquelles il a tenté de se construire une existence dans un monde fondamentalement marqué par le manque et la division. Le symptôme est ainsi une écriture énigmatique, un palimpseste où se superposent les traces des traumatismes, des identifications et des tentatives de symbolisation qui ont jalonné le parcours du sujet.
Qu’est-ce à dire ? Si le symptôme est cette tentative de nouage, alors l’écoute analytique doit se faire attentive à la manière dont le sujet agence, souvent à son insu, les fils du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire dans la trame de sa souffrance. Il ne s’agit pas de plaquer un modèle théorique préétabli sur la singularité du cas, mais bien de se laisser enseigner par la logique propre au symptôme, par les solutions inventives, bien que parfois délétères, que le sujet a mises en place pour faire face à l’impossible du Réel.
Il est bien clair et évident que la clinique lacanienne, éclairée par le modèle borroméen, nous invite à une lecture renouvelée du symptôme, non plus comme une erreur à corriger, mais comme un témoignage de la lutte incessante du sujet pour exister, pour se nouer au monde et à son propre désir. Cette perspective ouvre des voies nouvelles pour la cure, en mettant l’accent sur la subjectivation du symptôme par le sujet lui-même, sur la possibilité de défaire les nouages aliénants et d’en inventer de nouveaux, plus souples et plus vivables. Ainsi, la topologie du noeud borroméen, loin d’être un simple ornement théorique, se révèle comme un outil clinique précieux pour déchiffrer la complexité de l’expérience subjective et la logique singulière du symptôme. La question demeure alors de savoir comment, dans la cure analytique, accompagner le sujet dans ce travail de dénouage et de renouage, comment favoriser l’émergence d’un nouage moins souffrant, plus authentique, qui permette au sujet de se réapproprier son symptôme non plus comme une fatalité, mais comme une création singulière porteuse d’une vérité subjective à déchiffrer et potentiellement à transformer. Cette interrogation ouvre la voie à de futures réflexions sur les modalités concrètes de l’intervention analytique à l’aune de la topologie lacanienne.
De plus, il est patent que le symptôme, tel que la psychanalyse lacanienne le déchiffre, se présente lui aussi comme une tentative de nouage, une manière singulière pour le sujet de faire tenir ensemble ces trois dimensions qui, dans leur essence même, tendent à la discordance. L’inconscient, ce continent obscur et pourtant si agissant dans nos vies, n’est pas un simple réceptacle de refoulements, mais une structure dynamique où se trament des solutions, souvent énigmatiques et douloureuses, aux impasses de l’existence. Le symptôme, en tant que figure de l’inconscient qui s’actualise dans le champ du conscient, porte en lui la marque de cette tentative de nouage. Il est le résultat d’un certain mode d’articulation, parfois boiteux, parfois étonnamment ingénieux, entre ce qui échappe à la symbolisation (le Réel), l’ordre du langage et des signifiants (le Symbolique), et les identifications imaginaires qui façonnent notre rapport à nous-mêmes et au monde (l’Imaginaire).
Considérons, par exemple, une phobie. Elle peut être lue comme une tentative, certes invalidante, de circonscrire une angoisse diffuse (qui touche au Réel de la jouissance impossible à maîtriser) en la fixant sur un objet spécifique (qui relève de l’Imaginaire, souvent investi d’une puissance symbolique particulière). Le symptôme phobique noue ainsi, de manière certes contraignante, une part d’angoisse non nommable à une représentation objectale, offrant au sujet une illusion de maîtrise et de compréhension de son mal-être. De même, une obsession, avec ses rituels répétitifs et ses pensées intrusives, peut être interprétée comme une tentative de ligoter une certaine jouissance erratique (du côté du Réel) par des chaînes signifiantes rigides (le Symbolique), dans l’espoir de conjurer une menace intérieure ou extérieure. L’obsessionnel cherche, à travers ses rites, à rétablir un ordre symbolique face à ce qui lui échappe, à nouer ce qui tend à se défaire.
Il apparaît donc que le symptôme, dans sa diversité clinique, peut être appréhendé comme autant de modalités singulières de nouage borroméen. Chaque symptôme témoigne d’une manière propre au sujet de faire tenir ensemble les trois ronds, même si cette tenue s’avère source de souffrance et de limitations. La tâche de l’analyse, dès lors, ne saurait se réduire à une simple éradication du symptôme, mais bien à une exploration de cette logique nodale singulière, à un déchiffrage de la manière dont le sujet s’est noué à sa souffrance.
Cette perspective nous amène à considérer le travail analytique comme une tentative de défaire les nouages aliénants, ceux qui entravent le désir et perpétuent la souffrance, pour potentiellement permettre au sujet d’en inventer d’autres, plus souples et plus en accord avec sa vérité subjective. Il ne s’agit pas de viser un idéal de dénouement total, qui serait illusoire au regard de la structure même du sujet divisé, mais plutôt de favoriser une transformation du nouage symptomatique, une réappropriation par le sujet de sa propre manière d’être au monde.
Dans mon prochain article, je me permettrai de vous parler quelque peu de la question du refoulement dans une perspective topologique.
A très bientôt !
Alexandre Bleus
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Le moi et le noeud borroméen : une topologie du sujet chez Lacan (Alexandre Bleus)
Mes chers lecteurs,
Nous savons pertinemment bien et, d’ ailleurs nous avons déjà vu ensemble qu’ aborder la pensée de Jacques Lacan, c’est bien évidemment s’aventurer dans un labyrinthe conceptuel où les termes familiers de la psychologie prennent des acceptions radicalement nouvelles et où des figures topologiques inattendues viennent modéliser l’architecture même de l’être parlant. Parmi ces figures, le nœud borroméen occupe une place singulière et tardive, servant d’outil pour repenser l’articulation des registres fondamentaux — le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire — et, par ricochet, le statut du moi dans cette structure. Il est tentant de vouloir saisir le moi lacanien à travers le prisme d’une psychologie classique, comme une instance unifiée de la personnalité, le centre de la conscience ou le siège de la volonté. Pourtant, cette vision est précisément celle que Lacan s’attache à déconstruire dès ses premiers travaux. Le moi, loin d’être une entité souveraine, est un leurre, une surface illusoire, le produit d’une identification aliénante qui se forge dans le regard de l’autre et se consolide dans le miroir. C’est une méconnaissance fondamentale de la division constitutive du sujet. C’est dans cette perspective que l’introduction de la topologie des nœuds, et en particulier du nœud borroméen, prend toute sa signification, offrant une manière de penser non plus seulement les rapports entre ces registres, mais leur condition même de maintien, et par conséquent, le lieu et la fragilité du moi qui en dépend.
I. La précarité imaginaire du moi dans le Symbolique
Le moi, tel que Lacan le conceptualise initialement, émerge du stade du miroir. C’est ce moment crucial où l’enfant anticipe dans l’image réfléchie — ou dans le regard de l’autre — une unité corporelle qu’il ne possède pas encore réellement. Cette image idéale, cette Gestalt, lui procure un sentiment d’identité, mais cette identité est fondamentalement aliénée, car elle dépend de l’extérieur. Le moi est ainsi d’abord une projection, une identification imaginaire à une totalité anticipée. Il est le lieu de la méconnaissance par excellence, où le sujet se prend pour ce qu’il voit, ignorant la béance de sa division et sa dépendance au langage et au désir de l’Autre. C’est un moi qui se construit dans et par le Symbolique, mais qui reste ancré dans l’Imaginaire, un Imaginaire cependant structuré par l’Autre symbolique. La parole, le langage, les lois du monde social viennent sculpter cette image, lui donnant une consistance relative, mais jamais totale. Le moi est donc cette pellicule qui se forme à l’interface entre le corps fragmenté ressenti et l’image unifiée perçue, une image médiatisée par l’ordre symbolique. C’est une instance de défense aussi, une forteresse illusoire contre l’angoisse du morcellement corporel et de la dissolution dans le désir de l’Autre. On pourrait presque dire, avec un sourire en coin, que le moi est cette belle façade que l’on montre au monde, espérant que personne ne s’apercevra du chantier chaotique qu’il y a derrière, un peu comme ces vieilles maisons bruxelloises aux devantures magnifiques qui cachent des intérieurs… disons, “authentiques”. Sa fonction est de maintenir une illusion de cohérence, de maîtrise et d’identité face aux forces déstabilisantes qui traversent le sujet. Pourtant, cette illusion est perpétuellement menacée, car le moi n’est pas le maître en sa propre demeure; il est subordonné au désir de l’Autre et aux lois du langage qui le constituent.
II. La topologie du lien: le nœud borroméen et la tenue des registres
C’est pour rendre compte de manière plus rigoureuse de l’articulation et de l’interdépendance fondamentale du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire que Lacan recourt à la topologie des nœuds, et en particulier au nœud borroméen. Un nœud borroméen est constitué de trois anneaux tels que si l’on coupe n’importe lequel d’entre eux, les deux autres se libèrent. C’est la particularité cruciale: aucun des anneaux n’est directement lié à un autre, mais c’est le fait d’être lié ensemble qui fait qu’ils tiennent. Cette structure est d’une puissance évocatrice considérable pour penser la structure psychique. Le Réel est ce qui échappe à la symbolisation et à l’imagination, l’irréductible, le traumatique, le corps pulsionnel. Le Symbolique est l’ordre du langage, de la loi, de l’Autre, ce qui permet de nommer, de structurer, de donner sens (même si ce sens est toujours partiel et glissant). L’Imaginaire est l’ordre de l’image, de la ressemblance, de la dualité (moi-autre), de l’identification. Selon Lacan, ces trois registres sont noués borroméennement dans la structure psychique “normale” (ou plutôt, non psychotique). C’est le fait que ces trois instances tiennent ensemble qui assure une certaine consistance au sujet et à sa perception du monde. Si l’un des anneaux lâche, c’est toute la structure qui se dénoue, entraînant des manifestations pathologiques majeures, notamment dans la psychose, où l’on peut situer un défaut dans la tenue du Symbolic (la forclusion du Nom-du-Père), qui entraîne alors le dénouement des autres registres et l’émergence de phénomènes du Réel dans l’Imaginaire (hallucinations, délire). Cette modélisation topologique permet à Lacan de dépasser une conception linéaire ou hiérarchique des rapports entre les registres pour penser leur co-dépendance circulaire. Elle offre une visualisasion de la fragilité inhérente à la structure même, soulignant que la “normalité” n’est pas un état solide, mais une précaire tenue de liens. L’utilisation du nœud n’est pas une simple métaphore; c’est une tentative d’appréhender la structure même du sujet comme un montage, une construction dont la cohésion dépend de la manière dont ces trois dimensions s’articulent.
III. Le moi dans la topologie du nœud
Où se situe alors le moi dans cette configuration borroméenne ? Le moi n’est pas l’un des anneaux. Il n’est pas un quatrième terme fondamental, du moins dans la configuration de base du nœud à trois. Le moi est plutôt un effet, une surface, un point de capiton (bien que ce terme appartienne à une conceptualisation antérieure mais compatible) qui se forme et se maintient à l’intersection des registres, ou plus précisément, dans l’espace délimité par leur nouage. Il est le lieu de l’identification imaginaire, mais cette identification n’acquiert une certaine stabilité que parce qu’elle est prise dans les rets du Symbolique (le Nom-du-Père, le langage) et qu’elle tente de border l’angoisse liée à la confrontation au Réel. Le moi se situe principalement dans l’Imaginaire, mais sa cohésion apparente dépend de la manière dont l’Imaginaire est noué au Symbolique et au Réel. Si le nœud se défait, par exemple en cas de psychose où le Symbolique fait défaut, l’Imaginaire perd sa consistance structurée, et le moi peut se fragmenter, laissant le sujet exposé à un Réel non symbolisé et non imaginé (par exemple, des vécus corporels insensés, des hallucinations). Le moi, cette instance de méconnaissance, est donc paradoxalement ce qui permet au sujet de se maintenir comme une unité perçue, même illusoire, au sein de cette structure tripartite. Sa fragilité est intrinsèque à sa nature imaginaire et à sa dépendance du bon nouage des trois registres. La psychanalyse, dans cette perspective, ne viserait pas à renforcer le moi comme le ferait une psychologie du moi classique, mais à permettre au sujet de reconnaître sa division et de mieux composer avec la fragilité de sa structure, voire à trouver de nouvelles manières de “nouer” les choses, comme le suggère Lacan avec l’introduction du sinthome comme quatrième terme capable de tenir ensemble ce qui menace de se dénouer, offrant une alternative à la tenue par le Nom-du-Père. C’est une perspective clinique qui décentre radicalement le moi comme objectif thérapeutique principal.
Considérer le moi à la lumière du nœud borroméen nous oblige à renoncer à toute conception substantialiste de l’ego. Le moi n’est pas un “quelque chose” en soi, mais un effet de structure, une sorte de “point de vue” depuis l’Imaginaire sur un Réel et un Symbolique qui le conditionnent. C’est le lieu de l’illusion de l’autonomie, un mirage nécessaire à l’exsistence du sujet, mais aussi la source de bien des souffrances et des impasses lorsque le sujet s’y identifie trop fortement. La topologie du nœud borroméen permet de visualiser comment cette illusion se maintient (ou se défait) par la grâce d’une articulation complexe et toujours potentiellement instable des trois registres. Plutôt que de voir le moi comme une entité à renforcer, peut-être faudrait-il explorer plus avant comment les variations dans le nouage borroméen — les différentes manières dont le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire peuvent s’articuler ou se désarticuler selon les structures cliniques (névrose, psychose, perversion) — déterminent la nature et la fonction spécifiques du moi dans chaque cas ? Et comment l’analyste peut-il intervenir pour aider le sujet à “mieux nouer” sa propre structure, non pas en consolidant le moi imaginaire, mais en permettant un rapport différent, moins aliéné, aux trois registres fondamentaux qui le constituent ?
La topologie nous offre ici un outil pour penser la clinique non plus en termes d’instances (Ça, Moi, Surmoi), mais en termes de liens et de dénouements, ouvrant la voie à une compréhension plus fine des souffrances psychiques et des possibilités de leur résolution, non pas en réparant une instance défaillante, mais en modifiant la structure même du nouage qui sous-tend la subjectivité. N’est-ce pas une perspective libératrice pour la pratique analytique, éloignée de la tentation d’une psychologie du moi adaptative qu’ avait formellement condamnée Lacan ? je pense bien que la réponse à cette question relève de l’ évidence immédiate….
Si vous souhaitez approfondir ce sujet absolument central, je vous conseille particulièrement la lecture du vingt-deuxième séminaire de Lacan.
A très bientôt !
Alexandre Bleus
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De l’Inconscient dans ses rapports à la topologie borroméenne (Alexandre Bleus)
Mes chers lecteurs,
Relu à la lumière de la structure topologique borroméenne, la compréhension de la nature de l’inconscient connaît un saut paradigmatique qui éclaire, d’une nouvelle lumière, d’une nouvelle perspective, la découverte freudienne. Nous avons déjà vu précédemment que ‘est dans le cadre de son enseignement tardif, notamment à travers les séminaires consacrés à la topologie et au nouage, que Jacques Lacan a cherché à appréhender et à présenter ce qui, par essence, échappe à la représentation discursive ou imaginaire classique. Cette tentative de formalisation mathématique vise à cerner la structure de la structure psychique, en déplaçant l’accent sur la relation entre les registres du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire, et en interrogeant la place qu’y occupent des concepts fondamentaux tels que l’inconscient, le symptôme et l’angoisse.
L’articulation de ces concepts à travers le nœud borroméen à trois cercles initiaux (R, S, I) constitue un point de départ essentiel dans cette élaboration. Toutefois, la dynamique de cette pensée s’avère complexe et sujette à des rectifications, soulignant la difficulté de cerner la consistance de l’inconscient. Un moment crucial de cette exploration se situe dans le séminaire R.S.I., et trouve un prolongement dans les premières leçons du séminaire sur Joyce, Le sinthome. C’est au cours de ces périodes que Lacan opère un remaniement de la relation entre l’inconscient et le symbolique, ainsi qu’entre le symbolique et le symptôme. Si, initialement, l’inconscient pouvait être envisagé comme une surface distincte, attenante au cercle du Symbolique — faisant écho d’une certaine manière aux propos de Freud en 1938 qui concevait la psyché comme “étendue” –, Lacan en vient à opérer un “rabattement” de cet inconscient-surface sur le Symbolique lui-même. Cette réconfiguration atteint un point nodal lors de la séance du 15 avril 1975 du séminaire R.S.I., où, dans un mouvement audacieux et mesuré, Lacan pose l’équivalence entre l’inconscient et le Réel, affirmant qu’il n’existe pas d’autre définition possible de l’inconscient. Pourtant, presque immédiatement après cette assertion, il procède, sur le schéma du nœud R.S.I., à ce “rabattement” sur le Symbolique. Cette opération topologique identifie alors l’inconscient à la corde S du Symbolique, non pas en tant que plénitude, mais en tant que ce qui fait trou. L’inconscient lacanien, celui qu’il distinguera plus tard de l’Unbewußte freudien, est ainsi défini comme le Réel en tant qu’il est troué, un lieu où le sens fait défaut. Cependant, sa dimension borroméenne propre est bien le Symbolique. Cette identification de l’inconscient au Symbolique représente une réduction majeure et spécifiquement lacanienne.
D’où procède ce “rabattement” que Lacan présente comme une conséquence imposée par la pratique analytique, et dont il invite à juger la fécondité ? L’examen des premières approches topologiques dans R.S.I. et dans la conférence antérieure “La Troisième” (Rome, 3 novembre 1974) éclaire cette évolution. Au début de R.S.I. (séance du 10 décembre 1974), Lacan inscrit le ternaire freudien Inhibition-Symptôme-Angoisse (I-S-A) dans l’espace topologique généré par le nœud R.S.I. I, S et A apparaissent alors comme trois empiètements, chacun s’immisçant respectivement dans les ronds S, R et I. Leurs surfaces s’entrelacent de manière complexe sur la mise à plat du nœud, leurs frontières s’étendant à l’infini pour se refermer à l’intérieur des cercles R, S, I. Chaque “frontière” ainsi dessinée correspond en fait à l’ouverture d’un des cercles fermés du nœud borroméen, faisant ainsi “ex-sister” l’espace ouvert correspondant. L’ouverture du rond symbolique fait “ex-sister” l’espace ouvert de l’inconscient.
C’est dans ce contexte que se pose la question de la localisation du symptôme. Initialement, dans “La Troisième”, Lacan avait défini le symptôme comme “ce qui vient du réel” et l’avait situé topologiquement dans l’angle ouvert par la transformation du rond du Réel en demi-droite infinie, c’est-à-dire au niveau du plan d’”ex-sistence” du Réel. Cependant, en l’espace de quelques semaines, cette position est rectifiée. Dans la séance de R.S.I. du 10 décembre 1974, Lacan précise que le symptôme ne vient pas du réel (c’est la jouissance qui procède du réel), mais qu’il est un “effet du symbolique dans le réel”. Il s’immisce à l’intérieur du cercle du Réel, si bien qu’il peut devenir pour certaines personnes “ce que beaucoup de personnes ont de plus réel”, au point que l’on pourrait décrire leur structure par le “symbolique, l’imaginaire et le symptôme”. Le symptôme est ainsi repositionné comme ce par quoi l’inconscient (désormais lié au symbolique troué) vient marquer le réel de la jouissance. Cette rectification se poursuit et se confirme lors de la séance du 21 janvier 1975, où Lacan inscrit dans le plan d’”ex-sistence” du Réel, non plus le symptôme, mais le phallus. Le phallus est dès lors appréhendé comme ayant la consistance du Réel, précisément en tant qu’il est élidé, qu’il échappe à la saisie pleine et entière. L’angoisse est alors ce qui, de ce réel voilé du phallus, prend corps dans l’Imaginaire. Le réel du phallus, insaisissable comme “l’âme-à-tiers” (concept développé dans le séminaire L’Une-bévue), ne donne pas matière à l’”ex-sistence” directe de la jouissance, mais plutôt à son élision ou son voilement.
Une autre distinction significative apportée par Lacan, notamment lors de “La Troisième”, concerne le préconscient freudien. Il est positionné, avec la représentation, sur le plan d’”ex-sistence” de l’Imaginaire, tandis que l’inhibition est présentée comme son effet dans le Symbolique — un effet d’arrêt du fonctionnement imaginaire causé par l’immixion du corps dans le trou du Symbolique. Ce domaine du “mental”, de la mens, correspond à ce par quoi l’être humain est sujet à ce que Lacan nomme la “débilité mentale”. Par contraste, l’inconscient lacanien, dans cette présentation topologique, se trouve coincé entre le plan imaginaire du mental et le plan réel de l’”âme-à-tiers”. Sa consistance est celle du Symbolique, en tant qu’”ex-sistant” entre ces deux plans, et son fondement réside dans lalangue, cet Un primordial du Symbolique. L’inconscient de Lacan n’est donc plus la psyché étendue de Freud ; l’âme est tierce et la pensée (liée au préconscient/mental) se situe en position seconde. Ce qui prime, concernant l’inconscient, c’est l’Un de lalangue, la matière même du Symbolique.
L’effort topologique de Lacan, qu’il a exposé jusqu’à son dernier séminaire La topologie et le temps (ouverture le 10 novembre 1978), visait explicitement à “présenter” l’inconscient d’un ordre mathématique, en se servant du nœud borroméen comme modèle. Présenter l’inconscient, dans cette perspective, équivaut à présenter la position relative du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel sur le plan de leur mise à plat. À la différence d’autres nouages R.S.I. qui pourraient privilégier la prééminence du Réel (associés par Lacan à la “vraie religion”), la présentation du réel de l’inconscient, telle qu’elle se dégage de cette élaboration, part de la prééminence du Symbolique sur le Réel, avec l’Imaginaire assurant leur liaison. L’inconscient est alors le Symbolique imposant sa loi au Réel, mais cette imposition s’accompagne de la reconnaissance de l’impossible pour le langage de régir entièrement le Réel. Ce qui noue ensemble ces dimensions dans cette “présentation”, c’est la topologie elle-même. La topologie creuse des chemins complexes qui permettent à la pensée de glisser, de se déplacer conceptuellement, du Symbolique (lié à l’inconscient comme langage) vers le Réel (lié à l’inconscient comme impossible). Cette approche offre une grille d’analyse structurelle qui s’efforce de rendre compte de l’impasse de la représentation pour saisir l’essence de l’inconscient, en mettant en avant les relations de nouage et d’ex-sistence entre les registres fondamentaux de l’expérience humaine.
(https://www.alexandre-bleus.org/de-l-inconscient-dans-ses-rapports-a-la-topologie-borromeenne/)
Alexandre Bleus
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Le Surmoi et le noeud borroméen (Alexandre Bleus)
Mes chers lecteurs,
C’est avec une joie renouvelée que nous poursuivrons ensemble notre chemin en présence de la pensée du vénérable Jacques Lacan. Notre exploration va se concentrer aujourd’hui, et ce de manière approfondie, sur les articulations que le nœud borroméen vient intégrer à sa théorie. Cette innovation topologique, introduite par Lacan dans ses séminaires ultérieurs, redéfinit en profondeur les liens qu’entretiennent les différents concepts hérités de la seconde topique freudienne au sein de son propre édifice théorique. Elle transforme la manière dont la théorie analytique est pensée, puisque celle-ci est réarticulée à la lumière d’une discipline géométrique moderne. La question fondamentale qui guidera notre propos sera donc de savoir comment réarticuler le concept du surmoi freudien dans le cadre de l’introduction de cette entité topologique au sein du discours de Jacques Lacan.
Comme je l’ écrivais précédemment, je pense que pour saisir pleinement l’impact de l’introduction du nœud borroméen dans la théorie lacanienne et sa répercussion sur la conception du surmoi, il est essentiel de comprendre pourquoi Lacan a eu recours à cet outil topologique. Après avoir initialement structuré sa théorie autour du triptyque Réel, Symbolique et Imaginaire (RSI), Lacan a ressenti la nécessité d’un modèle plus sophistiqué pour rendre compte de leur intrication et de leur consistance. Le nœud borroméen, avec sa propriété unique où la rupture d’un seul anneau entraîne la désolidarisation des deux autres, offrait une métaphore puissante pour illustrer cette interdépendance essentielle des trois registres psychiques : ce fut le tournant conceptuel des années 1974 et 1975.
Mais avant d’examiner la réarticulation du surmoi, rappelons nous brièvement la seconde topique freudienne (Freud, 1923). Celle-ci distinguait trois instances psychiques : le ça, réservoir des pulsions ; le moi, instance médiatrice entre le ça et le monde extérieur, ainsi qu’avec le surmoi ; et le surmoi, instance morale issue de l’intériorisation des interdits parentaux et des normes sociales. Si cette topique a marqué une avancée considérable dans la compréhension de l’appareil psychique, Lacan a progressivement montré ses limites, notamment dans sa capacité à rendre compte de phénomènes cliniques complexes, en particulier les psychoses. L’introduction du nœud borroméen permet une redéfinition des concepts freudiens à travers le prisme des trois registres RSI. Le Symbolique, l’ordre du langage et des signifiants, vient restructurer la notion d’inconscient freudien. L’Imaginaire, le domaine des identifications et des images spéculaires, éclaire la formation du moi et ses illusions. Quant au Réel, il désigne ce qui résiste à la symbolisation, le traumatique, ce qui se situe au-delà du sens et de l’image. C’est dans ce nouveau cadre topologique que le concept du surmoi freudien va être profondément remanié. Dans la perspective borroméenne, le surmoi ne se réduit plus à une simple instance morale intériorisée. Il est plutôt envisagé comme une fonction qui s’articule de manière spécifique avec chacun des trois registres.
Considérons d’abord le rapport du surmoi au Symbolique. Dans la théorie lacanienne, l’accès au Symbolique est conditionné par l’opération du Nom-du-Père, la métaphore paternelle qui introduit la loi et l’ordre symbolique. Le surmoi, dans sa dimension normative et prohibitive, est indéniablement lié à cette fonction paternelle. Cependant, comme nous l’avons évoqué précédemment (et comme Lacan l’a souligné à maintes reprises), le surmoi lacanien ne se limite pas à la loi. Il se manifeste également par une injonction paradoxale à la jouissance, un « Tu dois jouir ! » qui excède les limites de la loi symbolique (Lacan, 1969–1970). Cette dimension du surmoi, souvent qualifiée d’« obscène », témoigne de son emprise au-delà des simples interdits. Si nous examinons maintenant l’articulation du surmoi avec l’ Imaginaire, nous constatons que ‘idéal du moi, cette image idéalisée à laquelle le sujet cherche à se conformer, est une construction imaginaire. Le surmoi, en tant qu’instance critique et jugeante, se nourrit de cet idéal et confronte le sujet à l’écart inévitable entre son être et cet idéal. Les identifications imaginaires jouent un rôle crucial dans la formation du surmoi, car le sujet intériorise non seulement les interdits parentaux, mais aussi les images idéalisées de ses figures d’autorité. Le surmoi peut alors devenir le gardien impitoyable de ces images, engendrant des sentiments de culpabilité et d’inadéquation.
Enfin, abordons, si vous le voulez bien, le rapport du surmoi au Réel. C’est peut-être ici que l’apport de la topologie borroméenne est le plus éclairant. Le Réel, en tant qu’impossible à symboliser, est le lieu de la jouissance en tant qu’excès, au-delà du principe de plaisir. L’injonction surmoïque à la jouissance, dans sa dimension la plus radicale, peut être interprétée comme une tentative, toujours vouée à l’échec, de forcer le Réel, de le soumettre à la symbolisation ou à l’imaginarisation. Cette tentative se heurte inévitablement à l’impossible, engendrant angoisse et parfois des manifestations pathologiques. Le surmoi, dans cette perspective, n’est pas seulement une instance qui interdit ou qui idéalise, mais aussi une force pulsionnelle qui pousse le sujet vers une jouissance impossible à atteindre. Quel paradoxe, n’ est-ce pas ?
L’introduction du nœud borroméen permet ainsi de complexifier considérablement la conception du surmoi freudien. Au lieu d’une instance relativement homogène, le surmoi lacanien apparaît comme une fonction hétérogène, traversée par les tensions et les spécificités de chacun des trois registres. Il n’est plus seulement l’héritier de l’Œdipe, mais une structure complexe dont le fonctionnement est intrinsèquement lié à l’articulation RSI. Cette réarticulation a des implications majeures pour la théorie analytique. Elle permet notamment de mieux comprendre les différences structurelles entre les névroses, les psychoses et les perversions. Dans le cas des psychoses, par exemple, la forclusion du Nom-du-Père, une rupture au niveau du Symbolique, a des répercussions directes sur la formation du surmoi, qui peut alors se manifester de manière délirante et persécutrice. La solidité du nœud borroméen est compromise, et les liens entre les trois registres sont distendus. Voilà un bel exemple d’ expression topologique de la pathologie. La topologie borroméenne offre ainsi un modèle dynamique et complexe pour penser la structure psychique et le rôle du surmoi en son sein. Par ailleurs, elle met en évidence l’interdépendance des différents registres et la manière dont les dysfonctionnements au niveau de l’un peuvent affecter l’ensemble de la structure. La réarticulation du surmoi dans ce cadre permet une compréhension plus nuancée des processus psychiques et des enjeux cliniques.
Mes chers lecteurs, vous pouvez apercevoir sans hésitation que la géométrisation des concepts freudiens à laquelle procéda Lacan permet d’ voir un abord scopique des nosographies permettant, si j’ ose écrire, une vision.
Alexandre Bleus
(https://www.alexandre-bleus.org/le-surmoi-et-le-noeud-borromeen/)
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Mes chers lecteurs,
Je suis ravi de partager avec vous plusieurs nouvelles qui, je l’espère, enrichiront davantage notre communauté et notre compréhension de la pensée du génie qu’ était Jacques Lacan.
Tout d’abord, je suis actuellement plongé dans la rédaction de mon deuxième livre. Cet ouvrage sera consacré à un domaine qui me passionne particulièrement et qui, je crois, est essentiel pour une appréhension approfondie de l’œuvre de Lacan : la topologie. Ce livre ambitionne d’être une étude assez complète de ce sujet, intégrant des innovations qui, je l’espère humblement, apporteront un éclairage nouveau. Il s’agira également d’un approfondissement personnel de la théorie lacanienne, fruit d’une étude méticuleuse de ses écrits et des éléments de topologie mathématique nécessaires pour non seulement les comprendre, mais aussi, modestement, les prolonger. Je serai heureux de pouvoir partager le fruit de ce travail avec vous prochainement.
Ensuite, j’ai une excellente nouvelle à vous annoncer concernant la fréquence de nos rencontres sur mon site. Ayant désormais un peu plus de temps à consacrer à notre passion commune, je suis heureux de vous annoncer que la fréquence de publication de mes articles va légèrement augmenter. Nous pourrons ainsi continuer à explorer l’univers lacanien, et plus particulièrement la série d’articles actuellement consacrée à la topologie, avec une régularité accrue. J’espère que cette nouvelle cadence vous permettra de nourrir encore davantage votre intérêt pour cette pensée essentielle d’ un point de vue anthropologique.
Chers lecteurs, permettez moi également de lancer un appel à vous ! Je suis à la recherche de collaborateurs passionnés par la psychanalyse lacanienne. Mon ambition est d’étendre nos études sur ce sujet fascinant et, pourquoi pas, de créer une association dédiée à la réflexion et à l’approfondissement de la pensée de Jacques Lacan. Si cette idée résonne en vous et que vous souhaitez vous investir dans une telle aventure intellectuelle, n’hésitez surtout pas à me contacter. Vous pouvez le faire facilement via mon site web ou mes différents réseaux sociaux. Votre enthousiasme et votre expertise seraient des atouts précieux pour enrichir nos échanges et faire progresser notre compréhension collective de l’œuvre de Lacan.
Je vous remercie enfin de votre fidélité et des messages que vous me faites aimablement parvenir ! Vous me permettez ainsi de progresser !
À très bientôt !
(https://www.alexandre-bleus.org/editorial-avril-2025/)
Alexandre Bleus
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Existe-t-il une topologie chez Sigmund Freud et celle-ci est-elle à l’origine de la théorie topologie développée par Jacques Lacan ? (Alexandre Bleus)
Cher lecteur,
En guise de préalable, la question de l’existence d’une topologie chez Sigmund Freud et de son rôle éventuel comme origine de la topologie lacanienne est une interrogation plus que légitime. Il est tentant de chercher une continuité, une filiation directe entre le maître et le disciple, mais une analyse attentive révèle une distinction cruciale entre l’usage freudien de métaphores spatiales et l’introduction par Jacques Lacan d’une topologie formelle et mathématique.
Pour aborder cette question, il est essentiel de revenir à l’œuvre de Sigmund Freud. Vous le savez sans doute, Freud a fréquemment eu recours à des métaphores spatiales pour décrire l’appareil psychique. Des termes tels que “inconscient”, “préconscient”, “conscient”, ou encore les concepts de “première topique” (conscient, préconscient, inconscient) et de “seconde topique” (ça, moi, surmoi) témoignent de cette spatialisation de la psyché. Ces “topiques” freudiennes, comme on les nomme, sont en réalité des modèles descriptifs qui utilisent un langage spatial pour illustrer le fonctionnement psychique, les relations entre les différentes instances, et les dynamiques de refoulement et de conflit. Il est crucial de souligner ici que ces topiques freudiennes demeurent fondamentalement métaphoriques et descriptives. Elles ne constituent pas une topologie au sens mathématique du terme, mais plutôt un cadre conceptuel utilisant des analogies spatiales pour rendre compte de la complexité de l’esprit humain. Comme l’ont soulignés Laplanche et Pontalis dans leur Vocabulaire de la psychanalyse, le terme de “topique” chez Freud désigne avant tout une “théorie qui classe les processus psychiques selon un certain nombre de systèmes doués de caractères ou de propriétés différents” (Laplanche & Pontalis, 1967, p. 495). Il s’agit donc d’une organisation théorique, et non d’une formalisation mathématique.
Jacques Lacan, quant à lui, a introduit une rupture épistémologique majeure en intégrant la topologie mathématique au sein de la psychanalyse à partir des années 1950 et 1960. Lacan ne s’est pas contenté d’utiliser des métaphores spatiales ; il a emprunté des concepts formels et des figures géométriques issues de la topologie mathématique, telles que la bande de Möbius, le tore, la bouteille de Klein, et les nœud borroméen, pour modéliser la structure de l’inconscient, la subjectivité, et les relations entre le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire. Et vous savez à quel point je considère le noeud borroméen comme le coeur de la théorie analytique lacanienne. Pour Lacan, la topologie n’est pas simplement une illustration, mais un outil conceptuel fondamental pour penser la structure même de l’inconscient. Il considérait que la structure du langage et de l’inconscient était intrinsèquement topologique. Comme l’explique Ragland-Sullivan dans Lacanian Psychoanalysis: Direction in Theory and Practice, Lacan a vu dans la topologie un moyen de dépasser les limites du langage descriptif et de saisir la structure même du sujet et de son inconscient (Ragland-Sullivan, 1986). La topologie lacanienne se veut une formalisation de la structure psychique, utilisant des outils mathématiques pour représenter des relations complexes et des configurations spatiales spécifiques.
La différence fondamentale réside donc dans la nature même de la “topologie” en question. Chez Freud, nous sommes face à une topique, c’est-à-dire une description des lieux psychiques à travers des métaphores spatiales, un modèle descriptif. Chez Lacan, il s’agit d’une topologie mathématique, utilisant des concepts formels et des figures géométriques pour représenter des structures psychiques d’une manière qui se veut plus rigoureuse et formelle. L’objectif diffère également : pour Lacan, la topologie est un outil pour penser la structure même de l’inconscient et du sujet, tandis que pour Freud, les métaphores spatiales sont davantage des outils heuristiques pour comprendre et communiquer ses concepts psychanalytiques.
Peut-on alors affirmer que la “topique” freudienne est à l’origine de la topologie lacanienne ? Il serait plus juste de dire que les métaphores spatiales freudiennes ont pu constituer un point de départ ou une inspiration pour Lacan. Freud, en spatialisant l’appareil psychique, a ouvert la voie à une réflexion sur la structure et l’organisation de l’inconscient. Cependant, Lacan a opéré un véritable tournant en important la topologie mathématique, transformant une simple métaphore en un outil conceptuel et formel. La topologie lacanienne n’est donc pas une simple continuation ou un développement direct de la topique freudienne, mais plutôt une rupture et une formalisation radicale. Comme le souligne Fink dans The Lacanian Subject: Between Language and Jouissance, Lacan utilise la topologie pour aller au-delà des limites du langage et des représentations linéaires, cherchant à saisir la structure complexe et paradoxale du sujet (Fink, 1995). La topologie lacanienne représente par conséquent une innovation théorique majeure, marquant une rupture épistémologique au sein de la psychanalyse, et il est essentiel de comprendre cette distinction pour appréhender la spécificité de la pensée lacanienne.
Dans mon prochain article, je vous parlerai des rapports qu’ entretiennent le Surmoi, le Moi et l’ Inconscient (soit la deuxième topique freudienne) avec le noeud borroméen.
(https://www.alexandre-bleus.org/existe-t-il-une-topologie-chez-sigmund-freud-et-celle-ci-est-elle-a-lorigine-de-la-theorie-topologie-developpee-par-jacques-lacan/)
Alexandre Bleus
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Un nœud : Un lieu ! (Alexandre Bleus)
Mes chers lecteurs,
Nous allons, si vous le voulez bien, continuer notre exploration du monde étrange qu’ est à lui tout seul celui du nœud borroméen. Mes propos seront quelque peu topologiquement… enchevêtrés !
Le mot “nœud”, dans son acception commune, évoque probablement des lacets de chaussures ou des cordes emmêlées. Mais en mathématiques, et surtout en topologie, un nœud est quelque chose d’un peu différent. Imaginons une boucle de corde dont les extrémités sont jointes : elle représente parfaitement ce qu’ est un nœud topologique. Le nœud borroméen est un spécimen particulièrement spécial dans ce zoo des nœuds. Ce n’est pas un nœud simple, mais un entrelacs de trois anneaux. Et, de surcroît, ce n’est pas n’importe quel entrelacs. Voici l’ intrigue, si je puis dire : ces trois anneaux sont liés de telle manière que si vous coupez ou retirez n’importe lequel des trois, les deux autres se retrouvent… déconnectés ! Comme par enchantement, ils se séparent, comme s’ils n’avaient jamais été liés. C’est un peu comme une amitié à trois qui ne tient qu’à la présence des trois amis : si l’un disparaît, le lien entre les deux autres s’évapore. Étrange, n’est-ce pas ? Pas si l’ on considère que ce noeud ne peut subsister qu’ en trois dimensions.
Regardez bien, s’ il vous plaît, la représentation du noeud borroméen que j’ ai mise en en tête de mon article. Voyez vous ces trois anneaux ? Ils sont clairement liés. Mais si vous essayez d’en défaire un, vous constaterez qu’il n’y a pas de “nœud” au sens traditionnel du terme dans chaque anneau individuellement. C’est leur configuration collective qui crée le lien.
Mais quelles sont donc les propriétés mathématiques qui rendent ce nœud si spécial ?
Cette structure topologique possède un indice de liaison zéro par paires: c’est un point crucial. Si vous prenez deux anneaux quelconques du nœud borroméen et que vous essayez de calculer leur indice de liaison, vous trouverez… zéro. L’indice de liaison, en gros, mesure combien de fois un anneau “tourne autour” de l’autre. Un indice de zéro suggère qu’ils ne sont pas enlacés deux à deux ; et c’ est justement ce que nous venons de dire un peu plus haut. Et pourtant… ils sont bel et bien liés collectivement ! C’est cette tension entre l’absence de liaison par paire et la liaison collective qui rend le nœud borroméen si fascinant pour les mathématiciens.
On constate également que cette structure possède la propriété de non-séparabilité collective. C’ est à dire que même si chaque paire est non-liée, l’ensemble des trois anneaux forme une liaison non-triviale. Cela signifie qu’il est impossible de les séparer en trois anneaux distincts sans couper au moins un des anneaux. Imaginez-vous essayant de défaire ce nœud dans l’espace tridimensionnel… vous allez vite comprendre que c’est impossible sans tricher en coupant ! C’est là toute la puissance de la topologie : elle s’intéresse aux propriétés qui restent inchangées même lorsqu’on déforme les objets (sans les déchirer ou les coller). Et le nœud borroméen, topologiquement parlant, est une structure indéformable dans son état lié !
Le noeud borroméen fait également partie du groupe des noeuds complexes. Pour ceux qui sont familiers avec un peu d’algèbre abstraite, je pourrais mentionner que le groupe de nœud du nœud borroméen est non-trivial et reflète sa complexité. Mais afin de ne pas nous perdre dans les méandres des groupes et des présentations, disons simplement que ce groupe encode de manière algébrique la manière dont l’espace est “déformé” par la présence du nœud. Et ce groupe, pour le nœud borroméen, est plus riche et complexe que celui d’un simple nœud trivial (un anneau non noué).
On peut donc conclure que deux grandes caractéristiques signent la nature du noeud borroméen si cher à Jacques Lacan : la fragilité de la liaison et une modélisation de la dépendance mutuelle de chaque élément vis-à-vis de l’ autre. En effet, la fragilité du lien est sa caractéristique topologique la plus frappante. La suppression d’un seul composant détruit la structure. Cela contraste fortement avec des liens plus robustes où, même en enlevant un élément, les autres peuvent rester liés (pensez à des chaînes). Le nœud borroméen est donc une sorte de forteresse fragile, une construction délicate qui s’écroule si l’on retire une pierre angulaire. La dépendance mutuelle, quant à elle, est souvent utilisé, en dehors des mathématiques, comme une métaphore pour illustrer des concepts de dépendance mutuelle et d’interdépendance dans divers domaines, de la psychologie sociale à la physique des particules. L’idée que des entités puissent être liées collectivement sans être liées par paires est un concept puissant qui décrit bien la modalité du rapport entre les trois éléments de la deuxième topique freudienne.
Je terminerai en vous laissant méditer sur cette impérieuse nécessité de la tridimensionnalité du noeud borroméen. Que ce type de nouage soit rigoureusement impossible à réaliser en deux dimensions signifie que nous avons bien affaire à une logique toute particulière lorsque nous abordons les rapports qu’ entretiennent le Surmoi, le Moi et l’ Inconscient. Notre Etre de langaqe semble bien fonctionner selon une logique non binaire… A réfléchir et à suivre…
(https://www.alexandre-bleus.org/un-noeud-un-lieu/)
Alexandre Bleus
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Introduction à la structure du nœud borroméen (Alexandre Bleus)
Les dernières années de l’enseignement de Jacques Lacan, de 1972 à 1981, ont été marquées par un tournant majeur : l’introduction de la topologie, et plus particulièrement du nœud borroméen, comme outil conceptuel central. Cette période, souvent qualifiée de “dernier Lacan”, se distingue par une approche toute particulière de la psychanalyse, où la structure et l’agencement des éléments psychiques sont appréhendés à travers des modèles mathématiques de type topologiques. Le nœud borroméen est devenu l’emblème de cette mutation, offrant à Lacan un paradigme géométrique pour penser l’inconscient, le sujet et la clinique. Il me semble ici que Lacan qui, comme nous le savons déjà, était un grand admirateur des penseurs et des rhéteurs du XVIIème siècle, se place exactement dans les pas de René Descartes (1596–1650) effectuant la géniale synthèse entre le langage algébrique et la géométrie. Figurer l’ esprit humain de manière tridimensionnelle afin de mieux saisir sa structure et sa dynamique soit donner toute son ampleur au signifié après avoir été un grand lecteur de Freud, c’ est à dire, un passionné du dépôt des signifiant, tel fût le chemin inachevé qu’ emprunta Jacques Lacan dans la dernière décennie de son existence.
Le nœud borroméen est une structure topologique constituée de trois anneaux entrelacés de telle manière que si l’un d’eux est coupé, les deux autres se séparent. Cette propriété de cohésion et de dépendance mutuelle a très tôt intéressé Lacan qui y a vu une métaphore puissante de la structure de la subjectivité. Il me semble qu’ il faut interroger l’ aspect trine de cette structure topologique choisie par Jacques Lacan. Pourquoi trois ? Ce chiffre n’ est certainement pas innocent au sein d’ une culture européenne qui a été pétrie pendant de si longs siècles par un paradigme chrétien assignant, par définition, une structure trinitaire à l’ intimité de son principe suprême. Certes, bien des voix vont s’ élever et souligner avec vigueur que cet aspect trine émane directement de la triade interne des deux topiques freudiennes. Mais, il faut là reposer la question et la régresser dans le chef même de Freud qui n’ échappe lui-même en aucune manière à la civilisation dans laquelle il s’ est développé conceptuellement. Je n’ irai pas ici plus loin dans ce débat délicat qui nécessite certainement un séminaire entier d’ étude.
Pour Lacan, les trois anneaux du nœud borroméen représentent les trois registres fondamentaux de l’expérience humaine dont nous parlâmes au cours de l’ année passée dans nos précédents articles : Le Réel, l’ Imaginaire et le Symbolique. Ces trois registres sont intimement liés et interdépendants, mais aucun ne peut être réduit aux autres. Leur entrelacement complexe, à l’image du nœud borroméen, détermine la structure de notre psyché et notre façon d’être au monde comme êtres de langage.
L’origine exacte du nœud borroméen reste incertaine. Si son nom est indéniablement associé à la famille Borromée, on retrouve des figures similaires dans des cultures et des époques variées, notamment dans la culture indienne, l’art bouddhique afghan ou dans la symbolique celte…
Cependant, c’est bien la famille Borromée qui a popularisé et associé son nom à cette figure. Cette famille noble milanaise, dont l’ascension a débuté au XIVe siècle, a joué un rôle politique et culturel majeur en Italie dans le cadre de la Renaissance. Marquée par une habile stratégie matrimoniale, qui leur a permis d’étendre leur influence et leur richesse, cette famille, au fil des alliances avec d’autres familles nobles, telles que les Visconti et les Sforza, a tissé un réseau de relations puissant, consolidant sa position au sein de la société italienne. Encore une fois, le nouage est la clef de fonctionnement dès l’ origine… Ainsi, le nœud borroméen, adopté comme symbole familial, est devenu l’expression de cette union et de cette puissance. Il représente donc l’interconnexion des trois branches principales de la famille, leur solidarité et leur force collective.
Mais, au-delà de sa fonction d’emblème familial, le nœud borroméen a acquis au fil du temps diverses significations symboliques. Il a été interprété comme un symbole d’ unité, de cohésion et d’ indissolubilité. Sa structure, où chaque anneau dépend des autres pour maintenir l’ensemble, a été vue comme une métaphore des liens sociaux et de l’interdépendance des individus.
Traversant les siècles, laissant son empreinte dans l’art et la culture, il se retrouve encore dans des blasons, des sculptures, des peintures et des objets décoratifs.
Il est donc évident que le choix ce symbole où plutôt cette structure n’ est pas le fruit arbitraire de l’ imagination de Jacques Lacan mais, bien au contraire, la mise en évidence d’ un puissant motif traditionnel qui porte, au-delà de sa géométrie tridimensionnelle, un concentré polysémique de significations. Ainsi, à l’ instar de Freud, Lacan puisa dans le symbolique immémorial de la civilisation.
(https://www.alexandre-bleus.org/introduction-a-la-structure-du-noeud-borromeen/)
Alexandre Bleus
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Des rapports qu’entretiennent le Symbolique et l’Imaginaire chez Lacan | Alexandre Bleus
Mes chers lecteurs,
Nous allons aujourd’hui terminer notre exploration des rapports entre Imaginaire, Symbolique et Réel par une courte étude des liens qui articulent le Symbolique et l’Imaginaire. Ces deux registres, bien que distincts, sont intimement liés et entretiennent une dialectique complexe qui structure la psyché humaine.
Précédemment, nous vîmes que le Symbolique, ordre du langage et des significations partagées, offre un cadre structurant au sujet. Il l’inscrit dans une chaîne signifiante qui le précède et le dépasse, le définissant ainsi comme un être parlant. La loi du père, instance symbolique par excellence, introduit une interdiction fondamentale qui fonde l’ordre social et symbolique. Le complexe d’Œdipe est l’expérience par laquelle l’enfant s’y soumet, renonçant à l’objet d’amour incestueux pour accéder à l’identité sexuelle et à la place du sujet. L’Imaginaire, quant à lui, est le registre de l’image, des identifications et des relations duales. Il se constitue dès les premiers âges de la vie, lors du stade du miroir, où l’enfant se reconnaît dans une image extérieure et unifiée, qui lui donne l’illusion d’une identité stable. L’Imaginaire est aussi le lieu des rivalités et des luttes pour la reconnaissance, où l’autre est perçu comme un double avec lequel le sujet entretient une relation ambivalente. J’ ose ajouter que, selon moi, l’ Imaginaire est topologiquement le miroir du Symbolique : le lieu ou le signifié émerge du signifiant !
Ces deux registres, le Symbolique et l’Imaginaire, bien que distincts, sont intimement corrélés et entretiennent une dialectique complexe qui structure l’expérience subjective. Le Symbolique, en tant qu’ordre du langage et des significations partagées, impose une structure au désir, le canalise et le symbolise. Il offre un cadre signifiant qui permet au sujet de se situer par rapport à l’Autre et à la réalité sociale. La fonction paternelle, pilier central de l’ordre symbolique, introduit une interdiction fondamentale qui vient limiter le désir et le soumettre à la loi. Ainsi, le Symbolique, tout en structurant, castre le désir, le rend impossible à satisfaire pleinement. Voilà l’ origine de l’ errance des êtres contingents que nous sommes in hac lacrymarum valle !
L’Imaginaire, quant à lui, est le registre de l’image, des identifications et des relations duales. Il est le lieu d’une quête illusoire d’unité et de complétude, où le sujet se méprend sur son propre désir, le confondant avec l’image qu’il se fait de lui-même et de l’autre. L’Imaginaire est le siège d’une dynamique narcissique qui pousse le sujet à se référer constamment à l’image spéculaire de soi et à chercher dans l’autre un double ou un idéal du moi. Cette quête est vouée à l’échec, car l’image est toujours partielle et déformante. Le désir, moteur de la psyché, est à la fois produit et entravé par cette dialectique symbolique et imaginaire. Il naît de l’insatisfaction fondamentale du sujet face à la réalité et à l’impossibilité d’atteindre un objet de désir stable et définitif. Le désir est ainsi un désir de l’Autre, un désir d’être reconnu et aimé par l’Autre. Or, l’Autre, dans la perspective lacanienne, est lui-même scindé entre l’Autre de la demande, qui représente l’ordre symbolique, et l’Autre du désir, qui renvoie à l’inconscient et à l’imaginaire. Cette scission de l’Autre rend le désir impossible à satisfaire pleinement, le condamnant à circuler indéfiniment dans un circuit fermé. Ainsi, on peut constater que l’ arrivée dans le langage de celui qui va s’appeler sujet constitue une réduction dirimante.
Le symptôme névrotique, loin d’être un simple désordre fonctionnel, sera alors une formation de compromis qui témoigne de l’impasse dans laquelle se trouve le sujet. Il représente une tentative de résolution, certes défectueuse, du conflit entre les exigences du Symbolique et les pulsions de l’Imaginaire. Le symptôme est ainsi une métaphore de l’inconscient, une manière pour le sujet de dire ce qu’il ne peut pas dire directement. Il est le résultat d’une élaboration inconsciente qui vise à maintenir un équilibre précaire entre les différentes instances psychiques.
Ainsi, la subjectivité humaine émerge d’un processus dialectique incessant entre le Symbolique et l’Imaginaire, un entrelacement complexe où l’ordre du langage et des significations partagées se confronte à l’ordre de l’image et des identifications. Cette dialectique constitue le cœur même de la psyché, un champ de tension où se jouent les enjeux de l’identité, du désir et de la reconnaissance. Le sujet, loin d’être une entité unifiée et autonome, se constitue dans un rapport incessant à l’Autre, à la fois comme instance symbolique et comme objet d’un désir imaginaire. La psychanalyse lacanienne, en interrogeant les méandres de cet entrelacement, vise à déceler les mécanismes inconscients qui sous-tendent l’expérience subjective. En effet, le sujet n’a pas un accès direct à son inconscient, cet envers de la psyché où se nichent les pulsions, les fantasmes et les affects refoulés. C’est à travers l’analyse du langage, des actes manqués, des rêves et des symptômes que le psychanalyste peut tenter de déchiffrer les énigmes de l’inconscient et de mettre à jour les signifiants qui structurent le désir du sujet.
Le génie de Lacan fut de traduire cette subtile dialectique topologiquement. Et c’ est bien ce sur quoi nous nous pencherons dans notre prochain article. A bientôt !
(https://www.alexandre-bleus.org/des-rapports-quentretiennent-le-symbolique-et-limaginaire-chez-lacan/)
Alexandre Bleus
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Quels sont les rapports qu’entretiennent le Symbolique et le Réel chez Lacan ? (Alexandre Bleus)
Suite à notre précédent article du 25 septembre dernier intitulé : “Quels sont les liens entre l’ Imaginaire et le Réel dans la perspective lacanienne ?“, nous nous voyons logiquement invité à poser la même question relativement aux liens qu’ entretiennent le Symbolique et le Réel. et, bien sûr, dans notre prochain article, nous serons, en toute cohérence, convié à nous interroger au sujet des rapports entretenus entre le Symbolique et l’ Imaginaire. Chers lecteurs, vous vous doutez bien qu’ il s’ agit là d’ une préparation à l’ analyse du noeud borroméen qui est, de fait, la structure la plus aboutie de la topologie lacanienne.
Qu’ est-ce donc que le Symbolique lacanien ? Le Symbolique constitue un pilier central de sa théorie psychanalytique, incarnant l’ordre structurant de la réalité humaine. Il se définit comme le domaine du langage, des signes, des symboles et des lois qui régissent la société et se pose en tant que matrice intersubjective au sein de laquelle le sujet se construit et s’inscrit en relation à l’Autre et à l’ autre en tant que mon semblable qui est être de langage. Cependant, je pense que l’ on pourrait réduire totalement le Symbolique au champ du langage car les signes, les symboles et les lois qui régissent la sociétés ne sont que des conséquences de l’ existence des signifiants au même titre que l’ écriture qui n’ en est que le dépôt. Le Symbolique, en tant que système de représentation et de communication, permet l’émergence de la pensée, la construction de l’identité et l’établissement de liens sociaux. Il offre au sujet la possibilité de s’inscrire dans un réseau de significations partagées, lui permettant ainsi de se situer et de se reconnaître au sein du monde. Le sujet parvient donc à la cogitation grâce au Symbolique. Cependant, cette accession au Symbolique s’accompagne d’une perte fondamentale : la perte de l’objet du désir originel, impossible à retrouver. Ce manque constitutif, inhérent à la condition humaine, est le prix à payer pour l’entrée dans l’ordre symbolique. Le sujet est dès lors confronté à une absence irréductible, une béance au cœur de son être, qu’il tentera de combler tout au long de son existence. La vie n’ est autre que ce parcours…
Le Symbolique, en tant que système de représentation, opère donc une séparation entre le sujet et le monde, introduisant une distance entre le signifiant et le signifié. Cette distance entre le signifiant et le signifié correspond naturellement a la fin de la bienheureuse fusion où, par définition, il n’ y a aucun signifiant qui existe. Tout n’ est là que signifié inexprimable… Voilà une thèse qui pourrait faire l’ objet de nombreuses controverses… Le Symbolique, en tant qu’ordre de la loi, impose des interdits et des limites au sujet. La loi du père, qui structure l’Œdipe, introduit la castration symbolique, marquant la fin de la toute-puissance infantile et l’acceptation des règles sociales. Le sujet est ainsi soumis à un ensemble de normes et de conventions qui régissent ses désirs et ses comportements. Les troubles liés à l’ ordre symbolique sont donc traductibles en termes de nosographie et, bien entendu, l’ analyse des troubles mentaux renvoie à l’ analyse des troubles du langage.
Il apparaît que le Symbolique, dans la théorie lacanienne, représente l’ordre structurant de la réalité humaine, le lieu de la culture, du langage et de la loi. Il permet au sujet de se construire et de s’inscrire dans le monde, mais il introduit également une perte fondamentale et une soumission à l’ordre social. Le rapport du sujet au Symbolique est donc complexe et ambivalent, marqué à la fois par la nécessité et la contrainte.
La relation entre le Symbolique et le Réel, loin d’être harmonieuse, est marquée par une tension constitutive, une dialectique incessante où chacun des deux registres cherche à la fois à s’imposer à l’autre et se trouve limité par lui.
Le Symbolique, avec son arsenal de langage, de lois et de représentations, aspire à maîtriser et organiser le Réel, à le rendre intelligible et gérable. Il cherche à circonscrire l’expérience humaine dans un cadre de sens, à domestiquer le chaos et l’angoisse inhérents à l’existence. Cependant, le Réel, par nature insaisissable et irréductible à la symbolisation, résiste à cette entreprise de domestication. Il fait retour, de manière imprévisible et disruptive, sous forme de symptômes, de lapsus, d’actes manqués, rappelant au sujet l’existence d’un au-delà du langage, d’un impossible à dire. Le Réel est, en soi, irreprésentable car il est la logique qui est sous jacente à la réalité qui, elle même, n’ est qu’ un fantasme.
Cette résistance du Réel face aux tentatives de maîtrise du Symbolique souligne les limites intrinsèques de ce dernier. Le langage, aussi puissant soit-il, ne peut jamais tout englober, tout représenter. Il y a toujours un reste, un hors-sens, qui échappe à sa prise. Le Réel, en tant qu’impossible à symboliser, marque ainsi la faille, le point de rupture du Symbolique, rappelant au sujet son incomplétude, sa finitude, sa castration. Paradoxalement, c’est précisément cette confrontation au Réel, à l’impossible à atteindre, qui constitue le moteur du désir. Le manque engendré par l’entrée dans le Symbolique, la perte de l’objet originel, crée un vide, une absence que le sujet cherchera sans cesse à combler. Le désir, selon Lacan, est toujours désir de l’Autre, désir de ce qui manque, de ce qui est inaccessible. Le Réel, en tant qu’impossible, devient ainsi l’objet insaisissable de la quête du sujet, le but ultime, toujours fuyant, de son désir. C’ est ce qui le fera courir durant toute son existence… Courir en vain !
En creux, nous écouterons donc le livre de l’ Ecclésiaste et son fameux : “Vanitas vanitatum et omnia vanitas” !
(https://www.alexandre-bleus.org/quels-sont-les-rapports-quentretiennent-le-symbolique-et-le-reel-chez-lacan/)
Alexandre Bleus
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Quels sont les liens entre l’ Imaginaire et le Réel dans la perspective lacanienne ? (Alexandre Bleus)
Avant d’ aborder la structure même du noeud borroméen dont nous parlâmes à la fin du mois de mai, nous devons continuer à creuser les différentes articulations qui structure le trio R-S-I soit le trinaire Réel-Symbolique-Imaginaire. On notera que les deux registres de l’ Imaginaire et du Réel semblent à première vue s’opposer, l’un renvoyant à l’impossible à symboliser et l’autre à la sphère des représentations et des identifications mais Lacan montre qu’ils sont en réalité intrinsèquement liés et interdépendants.
Il s’agira donc ici d’interroger la manière dont Lacan conçoit cette articulation. Comment le Réel, en tant qu’impossible à saisir par le langage et l’image, vient-il perturber et limiter la construction imaginaire du sujet ? Comment l’Imaginaire, en tant que tentative de maîtrise et de représentation du monde, cherche-t-il à voiler et à contenir l’angoisse suscitée par le Réel ? Quel rôle joue le Symbolique, en tant qu’ordre du langage et de la loi, dans cette médiation entre le Réel et l’Imaginaire ?
Tentons de mettre en lumière la complexité de la pensée lacanienne et de saisir les enjeux cliniques et théoriques de cette articulation fondamentale entre le Réel et l’Imaginaire.
Chez Lacan, le Réel se présente comme une limite infranchissable pour l’Imaginaire. Si l’Imaginaire permet au sujet de se construire une image cohérente de lui-même et du monde, le Réel, en tant qu’impossible à symboliser, vient sans cesse rappeler l’existence d’un au-delà de la représentation. Il s’agit d’une dimension qui échappe à la maîtrise du sujet, un noyau de résistance qui fait obstacle à toute tentative de totalisation imaginaire. Je pense que, d’ un point de vue topologique, le Réel est au bord de la perte de l’ objet petit a qui n’ en laisse que la trace à celui qui, de part son entrée dans l’ ordre symbolique, est à jamais séparé de lui. Le sujet n’ est plus que sous l’ autorité de la logique qui articule un Réel devenu invisible.
Le Réel, cependant, se manifeste de différentes manières, notamment à travers l’angoisse, le traumatisme, ou encore la jouissance. Ces expériences, en mettant le sujet face à un manque fondamental, à une perte irréparable, viennent fissurer l’illusion d’unité et de complétude offerte par l’Imaginaire. Elles révèlent la fragilité de la construction imaginaire du moi et renvoient le sujet à une dimension d’existence qui le dépasse, une altérité radicale qui ne peut être intégrée à son image de soi : c’ est à dire à une faille permanente qui est de l’ ordre de l’ irreprésentable.
Ainsi, le Réel agit comme un rappel constant des limites de l’Imaginaire : il est au bord de celui-ci ! Il vient perturber la cohérence du monde imaginaire du sujet, le confrontant à l’impossibilité de tout symboliser, de tout maîtriser par le langage et l’image. Cette confrontation au Réel est une expérience déstabilisante mais elle est aussi essentielle pour le sujet, car elle lui permet de prendre conscience de sa propre finitude et de la dimension tragique de l’existence humaine. Le Réel est le rappel permanent de la contingence, de l’ immanence et de la finitude du sujet qui n’ est que dépendance à l’ être du Réel. On se croirait presque ici dans l’ ordre d’ une démonstration de l’ Aquinate…
L’Imaginaire, chez Lacan, ne se contente pas de construire une image du moi et du monde. Il fonctionne également comme un mécanisme de défense contre l’angoisse suscitée par le Réel. Face à l’impossible à symboliser, à l’insaisissable, l’Imaginaire tisse un voile de représentations, d’illusions et d’identifications qui permet au sujet de se protéger de l’expérience déstabilisante du manque et de la perte. L’ angoisse n’ est-elle pas générée par ce qui ne peut point se figurer ? Cette tentative de voilement du Réel par l’Imaginaire se manifeste de multiples façons. Le sujet peut par exemple se réfugier dans des fantasmes, des idéalisations ou des identifications narcissiques pour maintenir une image cohérente et valorisante de lui-même. Il peut également chercher à combler le manque fondamental par la consommation, l’accumulation de biens ou la quête de reconnaissance sociale. Cependant, ce voilement n’est jamais totalement efficace. Le Réel, en tant qu’impossible à symboliser, ne peut être entièrement contenu par l’Imaginaire, et ce, pour des raisons toujours et encore topologiques. Il revient toujours hanter le sujet, sous la forme de symptômes, d’angoisse ou de répétitions. Ces manifestations du Réel viennent rappeler l’échec de la tentative de maîtrise imaginaire et renvoient le sujet à la dimension irréductible de l’inconscient. Oui, le Réel vient toujours se replacer au même endroit !
Ainsi, l’Imaginaire, tout en cherchant à voiler le Réel, révèle paradoxalement sa présence.
Venons en maintenant au symptôme qui, dans la perspective lacanienne, occupe une place privilégiée en tant que point de rencontre, voire de collision, entre le Réel et l’Imaginaire. Il se présente comme une formation de l’inconscient qui échappe à la maîtrise du sujet et résiste à toute tentative de réduction à une signification univoque. En tant que manifestation du Réel dans l’Imaginaire, il révèle l’échec de la tentative de voilement du Réel par l’Imaginaire. Il signale la présence d’un manque, d’un impossible à symboliser qui fait retour dans la vie du sujet, perturbant son équilibre et sa cohérence imaginaires. Le symptôme, en ce sens, est un rappel constant de la dimension irréductible du Réel, de ce qui résiste à toute intégration symbolique. Cependant, le symptôme n’est pas seulement un signe de souffrance ou de dysfonctionnement. Il peut également être vu comme une tentative de solution, une formation de compromis qui permet au sujet de maintenir un certain équilibre psychique face à l’angoisse du Réel. Le symptôme, en tant que formation de l’inconscient, porte en lui une signification, un message chiffré qui renvoie à l’histoire singulière du sujet et à ses conflits psychiques. Freud y faisait déjà allusion dès ses premières oeuvres : le symptôme comme langage codé soit comme métaphore.
La cure analytique, dans cette perspective, vise à déchiffrer le sens du symptôme, à traverser la dimension imaginaire pour accéder à la vérité du Réel qui s’y manifeste. Il s’agit pour le sujet de reconnaître la part de Réel qui l’habite, d’accepter les limites de sa maîtrise et de se réconcilier avec la dimension de manque qui le constitue.
Dans notre prochain article, nous serons évidemment amené à nous exprimer au sujet des rapports entre le Symbolique et le Réel. A très bientôt !
(https://www.alexandre-bleus.org/quels-sont-les-liens-entre-l-imaginaire-et-le-reel-dans-la-perspective-lacanienne/)
Alexandre Bleus
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L’implacable Réel ! (Alexandre Bleus)
Chers amis,
Dans la topologie élaborée par Jacques Lacan, nous vîmes que le Réel ne saurait être appréhendé isolément mais plutôt qu’ il s’inscrit dans une relation dialectique avec les deux autres registres de l’expérience humaine : le Symbolique et l’Imaginaire. Ces trois ordres, inextricablement liés, constituent la structure même de la subjectivité et déterminent les modalités d’interaction du sujet avec le monde et avec lui-même.
Pour faire bref, on peut dire que le Symbolique, pour Lacan, est le domaine du langage, de la loi, de la culture. Il est l’ordre de la signification, là où les mots et les symboles organisent notre expérience et lui donnent un sens. C’est par l’entrée dans le langage que l’enfant accède à la dimension symbolique et devient sujet. Le Symbolique est aussi l’ordre de l’interdit, de la castration, qui limite le désir et le soumet à la loi du père.
L’Imaginaire, quant à lui, est le domaine de l’image, de la représentation, de l’identification. C’est l’ordre du moi, où le sujet se construit une image de lui-même à travers le regard de l’autre. L’Imaginaire est aussi l’ordre du fantasme où le sujet tente de combler le manque et de retrouver une unité perdue.
Face à ces deux ordres, le Réel se présente comme ce qui résiste à la symbolisation et à l’imaginaire. Il est l’impossible à dire, l’irreprésentable, l’irréductible à toute forme de maîtrise. Le Réel est le lieu du trauma, de la perte, de la castration. Il est ce qui fait retour dans notre vie sous la forme du symptôme, de l’angoisse, de la répétition.
Ces trois ordres (Réel, Symbolique et Imaginaire, le fameux trio RSI) ne sont pas séparés mais s’interpénètrent et se conditionnent mutuellement. Le Symbolique structure l’Imaginaire et tente de maîtriser le Réel. L’Imaginaire donne une forme au Réel et cherche à le combler. Le Réel, quant à lui, fait irruption dans le Symbolique et l’Imaginaire, les déstabilisant et les mettant en crise. Cette dialectique des trois ordres est au cœur de la formation du sujet et de sa relation au monde. Le sujet est pris dans un jeu constant entre ces trois ordres, cherchant à trouver un équilibre précaire entre le désir et la loi, entre l’illusion de la maîtrise et la confrontation avec l’impossible.
Le Réel, en tant qu’impossible à symboliser et à imaginer, constitue un point de butée pour le sujet. Il est ce qui résiste à toute tentative de totalisation, de clôture, de maîtrise. Le Réel est ce qui nous rappelle notre finitude, notre incomplétude, notre contingence. Si la réalité, comme le dit Lacan, n’ est qu’ un fantasme, le Réel en est le bord irréfragable !
C’est dans cette confrontation avec le Réel que le sujet peut accéder à une véritable subjectivation. En acceptant l’impossible, en reconnaissant la limite, le sujet peut se dégager des illusions de l’Imaginaire et des aliénations du Symbolique. Il peut alors accéder à une forme de liberté, une capacité à inventer sa propre réponse face à l’incontournable réalité du Réel. Toute pathologie trouve sa genèse dans un dérangement du sujet relativement au Réel, à cette limite qui signe, en fait, la contingence de l’ existant qu’ est l’ humain. L’ humain est malade de sa finitude et le Réel, dans son inflexible logique, vient lui rappeler qu’ il n’ est qu’ un être contingent.
Le Réel, s’il est un point de butée, est aussi une source de création. C’est dans la confrontation avec l’impossible que le sujet peut inventer de nouvelles formes de symbolisation, de nouvelles modalités d’existence. Le Réel est ce qui pousse le sujet à se dépasser, à créer, à innover. Et c’est dans cette perspective que Lacan parle de la sublimation comme une manière de transformer la jouissance du Réel en une création artistique, intellectuelle, ou sociale. La sublimation est une façon de répondre au Réel, non pas en le niant ou en le fuyant, mais en le mettant au travail et en le faisant servir à une production qui enrichit le sujet et le monde. Le Réel est donc bien ici la cause efficiente de plusieurs symptômes : de la psychose causée par la forclusion, de la névrose causée par un désir irrationnel de maîtrise totale, enfin, de la sublimation menant à la création.
Il me semble que l’ humain n’ est finalement toujours malade que d’ un défaut de logique. En effet, si le Réel est la logique (au sens hégélien du terme), tout ce qui s’ en distancie (le symbolique et l’ Imaginaire) en violant ses règles implacables est d’ ores et déjà pathos.
(https://www.alexandre-bleus.org/limplacable-reel/)
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Si pour Lacan le Réel est la logique, ne peut-on y voir une conception hegelienne introduite dans le corpus analytique ? (Alexandre Bleus)
Mes chers lecteurs,
Continuons nos pérégrination dans la majestueuse forêt des concepts lacaniens et allons aux sources de ses concepts afin de mieux comprendre la construction du noeud borroméen. Comprendre cette construction topologique toute particulière ne peut se faire que si l’ on s’ interroge sur la question du Réel chez Lacan ainsi que sur l’ inspiration hégelienne qui participe de celle-ci.
La question de l’influence de Hegel sur Lacan, en particulier concernant la conception du Réel comme logique, est une interrogation absolument légitime qui, selon moi, mérite d’ être posée afin de mieux appréhender les outils conceptuels qui permirent à Lacan de façonner sa théorie. En tant que lecteur attentif du corpus lacanien, je m’attacherai ici à examiner cette hypothèse, en m’appuyant sur les écrits de Lacan et de Hegel, ainsi que sur les interprétations proposées par d’autres chercheurs.
Pour commencer, il est essentiel de rappeler que le concept de “Réel” chez Lacan est complexe et polysémique. Il ne s’agit pas d’une simple réalité objective, mais plutôt d’une dimension de l’expérience humaine qui échappe à la symbolisation et à l’imaginaire. Le Réel est ce qui résiste à toute tentative de représentation, ce qui est impossible à intégrer dans le langage et dans les images. Il est l’indicible, l’insaisissable, l’impossible à nommer. Rappelons que dans ses Ecrits datés de 1966, Lacan affirme cependant que “La structure, c’est le réel.” Cette déclaration suggère que le Réel est structuré comme un langage et qu’il est donc régi par une logique propre. Il ne faut point voir ici de contradiction chez Lacan mais plutôt une subtile distinction car le Réel est conçu comme structuré, il n’ est pas affirmé qu’ il est un langage. Il est aussi affirmé que cette structure est la logique. La structure du Réel est donc logique ou est donc la logique elle-même. Lacan affirme ainsi à plusieurs reprises que le Réel est structuré comme un langage, qu’il est régi par une logique propre. Cette affirmation semble faire écho à la philosophie de Hegel, pour qui la réalité est le déploiement d’un Logos, d’une Raison universelle qui se manifeste à travers l’histoire et la pensée. Pour Hegel, la logique n’est pas seulement un outil de la pensée, mais la structure même du réel. Ainsi le philosophe affirme t’ il clairement en 1821 que “Le réel est rationnel, et le rationnel est réel.” (Principes de la philosophie du droit, § 1) Cette citation illustre la conception hégélienne de la réalité comme étant intrinsèquement logique et rationnelle.
On pourrait ainsi voir dans le Réel lacanien une sorte de Logos hégélien, une logique immanente à la réalité qui échappe à notre saisie symbolique et imaginaire. Tout comme le Logos hégélien, le Réel lacanien est ce qui structure le monde, ce qui donne sens à notre expérience. Cependant, il est important de noter que Lacan ne se contente pas de reprendre la conception hégélienne de la logique. Il va plus loin en affirmant que le Réel est une logique paradoxale, une logique qui se dérobe à notre entendement. Le Réel est une logique de l’impossible, de l’incomplétude, de la contradiction.
Cette dimension paradoxale du Réel est absente de la philosophie de Hegel. Pour Hegel, la logique est certes complexe, mais elle est toujours rationnelle et compréhensible. Elle est le déploiement d’une Raison universelle qui se manifeste dans le monde. Ainsi, si l’on peut voir dans le Réel lacanien une certaine filiation avec la logique hégélienne, il faut également souligner les différences importantes qui les séparent. Le Réel lacanien est plus qu’une simple logique, il est une logique paradoxale qui échappe à notre compréhension. Il le dit lui-même dans son deuxième Séminaire : “Le réel, c’est l’impossible.”
Il est nécessaire de souligner que Lacan introduit la dimension de la jouissance dans sa conception du Réel. La jouissance est cet excès qui échappe à la symbolisation, cet impossible à dire qui pourtant se fait sentir dans le corps et dans la parole. Cette dimension de la jouissance est absente de la philosophie hégélienne, qui se concentre sur la raison et la logique. Voilà une seconde distinction entre les deux penseurs.
La conception lacanienne du Réel comme logique est bien influencée par la philosophie de Hegel à ceci près (et ce n’ est pas rien) que Lacan va plus loin que Hegel en affirmant que le Réel est une logique paradoxale soit une logique de l’impossible. De plus, comme nous l’ avons vu, Lacan introduit la dimension de la jouissance dans sa conception du Réel, une dimension absente de la philosophie hégélienne. Mais, au fait, pourquoi Lacan introduit-il la Jouissance comme partie essentielle de son Réel ? Ne faut-il point y voir une volonté de décrire un symptôme dont la cause efficiente serait de l’ ordre de l’ indicible ? Le Réel serait donc une faille au sein de la réalité mais une faille symptomatique.
(https://www.alexandre-bleus.org/si-pour-lacan-le-reel-est-la-logique-ne-peut-on-y-voir-une-conception-hegelienne-introduite-dans-le-corpus-analytique/)
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Qu’est-ce que le Réel chez Lacan ? (Alexandre Bleus)
Poser la question du Réel chez Lacan, c’est mettre en lumière, me semble-t-il, un concept central de la pensée de ce grand maître qui n’est jamais loin de Kant et de Hegel. C’est que le réel lacanien est une notion complexe et polysémique qui a évolué tout au long de son enseignement. Il ne s’agit pas d’une réalité objective, tangible, mais plutôt d’un concept limite, d’un impossible à saisir, d’un manque inhérent à la structure même du sujet et du langage. On voit là la marque laissée par les concepts kantiens de noumène et de phénomène.
Dans mes premières explorations de la pensée lacanienne, j’ai été frappé par l’ambiguïté de ce terme. Lacan lui-même le qualifie d’”impossible à dire”, “d’impossible à supporter”. Il s’agit d’un concept qui échappe à toute tentative de définition précise, qui résiste à la symbolisation et à l’imaginaire. Le Réel n’est pas ce qui est, mais ce qui n’est pas, ce qui fait défaut, ce qui manque, ce qui n’est toujours que de nous échapper et, paradoxalement, ce qui reviendra sans cesse à la même place dès lors que l’on tentera de l’éviter.
Pourtant, ce Réel lacanien n’est pas un simple vide, une absence : il s’agit d’une présence insistante, d’une sorte de force pulsionnelle qui se manifeste dans les failles du symbolique et de l’imaginaire. Il est ce qui perturbe, ce qui dérange, ce qui fait trou dans l’ordre du langage et de la représentation. Il est la rencontre avec l’impossible, l’irruption de l’imprévu, l’expérience de la contingence. Notons également que le Réel de Lacan est intimement lié à la notion de trauma. Il est ce qui ne peut être intégré dans l’ordre symbolique, ce qui reste en dehors du langage, ce qui ne peut être dit ni représenté. Le trauma est une rencontre avec le Réel, une expérience de l’impossible qui laisse une trace indélébile dans le sujet. Le choc traumatique est une sorte de “black out”, un “sans image” si j’ose dire.
Le Réel est également lié à la jouissance. Il est ce qui échappe à la prise du symbolique, ce qui ne peut être réduit à la signification. La jouissance est une expérience de l’excès, de la démesure, qui dépasse les limites du langage et de la représentation. Elle est une rencontre avec le Réel, une expérience de l’impossible qui procure une satisfaction intense mais éphémère ! Le Réel, enfin, est lié à la question du sujet. Il est ce qui résiste à l’identification, ce qui ne peut être assimilé à l’image du moi. Le sujet est divisé par le Réel, il est marqué par un manque fondamental qui le pousse à chercher une complétude impossible. Le Réel est la source du désir, il est ce qui pousse le sujet à aller au-delà de lui-même, à chercher ce qui lui manque. La lecture attentive et lente des œuvres de Lacan nous fait petit à petit comprendre que le Réel n’est pas une entité extérieure au sujet, mais une dimension constitutive de son être. Il est ce qui fait de chaque sujet un être singulier, unique, irréductible à toute catégorie ou définition. Le Réel est ce qui donne à chaque existence son caractère contingent, imprévisible, ouvert à l’inattendu.
Permettez-moi dès lors de comparer le Réel lacanien à une sorte de trou topologique comparable au signifiant insignifiable qu’est le Nom du Père. Insignifiable et irreprésentable mais source et cause de toute la structure et de sa cohésion.
(https://www.alexandre-bleus.org/quest-ce-que-le-reel-chez-lacan/)
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L’articulation du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire chez Lacan : prélude à la topologie du noeud borroméen. (Alexandre Bleus)
Continuons, chers lecteurs, si vous le voulez bien, notre périple au pays de la topologie lacanienne et, après avoir abordé deux figures centrales au sein de nos précédents articles, penchons nous un instant sur la structure qui est aussi et d’ abord le symbolique, le réel et l’ imaginaire.
Dans son exposé fondateur de 1953, “Le symbolique, l’imaginaire, le réel”, Lacan introduit la triade RSI comme cadre conceptuel pour appréhender la réalité humaine. RSI désigne trois registres distincts mais interdépendants qui structurent notre expérience du monde et de nous-mêmes. Sans compréhension profonde de ces trois concepts opératifs, on ne peut saisir correctement la pensée du maître.
Le Réel (R) représente l’insaisissable, l’impossible à symboliser, ce qui se situe hors du champ du langage et de la représentation. Il est souvent décrit comme “l’inconscient réel”, la dimension brute et chaotique de l’existence. Chez Hegel comme chez Lacan, il est irreprésentable car il est la logique. C’ est à dire la trame invisible, pour ainsi dire nouménale, qui organise la réalité.
Le Symbolique (S) est l’ordre structuré par le langage et les conventions sociales. Il englobe les systèmes de signification, les lois et les codes qui régissent notre communication et notre interaction avec le monde. Il est le champs du langage qui a définitivement altéré le rapport naturel de l’ humain au monde.
L’Imaginaire (I) est le domaine de la perception, de l’illusion et de la formation de l’identité. Il se caractérise par la relation duelle entre le sujet et l’Autre, et par la constitution d’une image de soi souvent idéalisée. Il est le lieu du fantasme car il est d’ abord le lieu des représentations.
Lacan va utiliser l’image d’un nœud borroméen pour illustrer l’articulation entre ces trois registres. Les trois anneaux du nœud sont entrelacés de manière telle que si l’on coupe l’un d’entre eux, les deux autres se détachent également. Cette métaphore met en lumière l’interdépendance fondamentale des trois dimensions : la structure de l’expérience humaine repose sur l’intrication du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. On notera que l’articulation entre ces registres est complexe et mouvante. Le sujet navigue constamment entre eux, et ce,en fonction de ses expériences et de ses interactions avec le monde. Il est important de noter que cette articulation n’est jamais harmonieuse : il y a toujours une tension, une faille entre les registres, ce qui peut générer des conflits psychiques et des symptômes. D’ ailleurs, la cure analytique vise à dénouer cette articulation pathologique et à permettre au sujet de reconstruire un rapport plus harmonieux au Réel, au Symbolique et à l’Imaginaire. Il s’agit d’un processus long et complexe qui implique de travailler sur les différentes dimensions de l’expérience du sujet en tenant compte de son histoire personnelle et de ses structures inconscientes.
L’introduction de la triade RSI par Lacan a, non pas révolutionné la théorie et la pratique psychanalytiques, mais plutôt porté les travaux relatifs à la seconde topique freudienne vers un nouvel accomplissement en les rendant visibles dans l’ ordre très spinozien de la géométrie. Elle a permis de conceptualiser de manière plus précise la complexité de l’expérience humaine et d’offrir un cadre pour comprendre les processus psychiques inconscients. Cependant, il est important de souligner que la conception de RSI a évolué au fil du temps dans l’œuvre de Lacan. Il n’a jamais cessé de revisiter et d’approfondir cette notion, en explorant ses différentes facettes et ses implications cliniques.
Ainsi, avant d’ aborder en profondeur la topologie borroméenne, permettez moi de revenir encore sur cette délicate articulation entre le Réel, le Symbolique et l’ Imaginaire.
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