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arnaud-cendrin · 2 months
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(Arnaud Laurent)
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arnaud-cendrin · 2 months
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arnaud-cendrin · 2 months
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arnaud-cendrin · 1 year
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arnaud-cendrin · 1 year
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 La porte par laquelle on accédait au sous-sol était située en face du local à poubelles. Je l’ouvris et descendit l’escalier sombre qui menait en ligne droite jusqu’à une autre porte faite d’un bois vermoulu, rongé par l’humidité, défoncé par endroits, et couvert de graffitis tracés au feutre, tellement anciens qu’ils en étaient devenus indéchiffrables.
Là, je m’arrêtai sur le seuil, tendant l’oreille. Les coups s’étaient arrêtés. Puis ils recommencèrent, plus faiblement.
Je tournai la poignée, et le panneau de bois s’ouvrit avec un grincement lugubre sur un étroit couloir de béton qui tournait un peu plus loin, s’enfonçant dans les ténèbres. Les portes des caves étaient alignées tous les trois mètres de chaque côté du mur.
Le cœur battant, une sueur froide coulant le long de mes tempes, je sortis la clef anglaise, la brandit fermement devant moi, et je m’élançai, dans une obscurité absolue, vers ce que je pensais être l’origine du bruit.
Je n’éprouvais plus que la sensation du sol sous mes pas et celle du mur sur lequel je posais mes doigts, éprouvant la réalité de ses aspérités comme ultime témoignage de l’existence du reste du monde.
J’entendis à un moment quelque chose de furtif et de reptilien caracoler le long des murs, en émettant une sorte de chuchotement animal. Puis plus rien.
Après le premier virage, il y en eut un autre, puis encore un autre. Puis, je ne sais comment, il n’y eut plus rien sous mes doigts. Le mur avait disparu, comme happé par la nuit.
J’eus la terrible impression que tout l’univers s’était éteint. Comme si j’avais franchi en un souffle des milliers d’années-lumière. Comme si j’avais gravi toutes les limites de l’espace et du temps. Il n’y avait plus que moi et cette phosphorescence, qui venait d’apparaitre, s’échappant de derrière la porte de cette cave qui se dressait au milieu – au milieu de quoi ?
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arnaud-cendrin · 1 year
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Au Royaume du Néant
J’avais vingt ans à l’époque. Je préparais une licence d’anglais, à Paris. J’étais en colocation avec Edgar Prigent et Katsuhiro Ichida, un Japonais qui passait deux ans dans la capitale pour parfaire sa maitrise de notre langue, qu’il parlait pourtant déjà couramment. Son père était PDG d’une grande entreprise japonaise de hautes technologies, et cherchait un directeur commercial pour la France, pays stratégique. Il admirait notre culture, et il avait chargé son fils, après l’avoir éduqué dans une francophilie qui, à ce niveau d’intensité et de classicisme, ne se rencontre plus guère que dans ce pays, de prendre la place en question.
J’ai toujours entendu dire que les jeunes Japonais subissent une pression familiale, quant à la réussite de leurs études, que ne pouvons même pas imaginer ici, et que beaucoup d’entre eux se suicident après avoir échoué à leurs examens. Katsuhiro, lui, avait l’air de s’en foutre complètement. Quand je rentrais après les cours, je le trouvais assis sur son siège à roulettes devant l’ordinateur, les pieds sur le rebord du bureau, les yeux au plafond, écoutant une chanson des Doors en battant mollement du pied pour marquer le rythme, laissant se consumer négligemment dans sa main un énorme joint qui emplissait toute la pièce d’un parfum ignoble. Dès que j’ouvrais la porte, il se poussait en arrière avec ses pieds, le siège roulait plus loin, il se levait péniblement en s’étirant et me serrait la main en me soufflant à la figure une haleine immonde faite de relents de bière et de haschich.
Son livre fétiche était Les Caractères, qu’il relisait fréquemment dans le canapé du salon, entre deux roulages de joint. Il n’y a qu’un Japonais pour s’intéresser à La Bruyère. Chez nous, c’est juste un nom de gymnase ou de lycée technique. Katsuhiro, lui, lui vouait un véritable culte, c’est d’ailleurs le premier auteur qu’il avait réussi à lire en français dans le texte.
Sa grande hantise, j’avais fini par le deviner, était une visite de son père en provenance directe de Tokyo. Cette menace avait été agitée sournoisement à plusieurs reprises par papa Ichida lui-même, qui soupçonnait – à juste titre - que le fiston prenait son rôle un peu à la légère. Il avait déjà été clairement question qu’il s’installe quelques semaines dans un hôtel tout proche, officiellement pour voir Katsuhiro et visiter Paris, en vérité dans le cadre d’une procédure évaluation/rapport/sanction ; sanction, puisqu’il serait évidemment très difficile pour lui de ne pas se rendre compte que son fils était un dilettante, un jeanfoutre, un Jules-de-chez-Smith-en-face, une merde, un parasite drogué ; et là, adieu pognon, l’ex-futur héritier se retrouverait en un battement de cils livreur de sushis dans l’Essonne.
Ce dimanche de Juillet, nous étions à Roissy pour réceptionner Edgar à sa descente d’avion. Il revenait de République tchèque, où il s’était rendu dans le cadre de ses études d’archéologie. Un village celte y avait été récemment exhumé, d’après ce que j’avais compris.
Edgar c’était, comment vous expliquer ? Un Barbare, voilà, je crois que c’est le mot qui convient, un Barbare caché derrière le vernis de l’étudiant gentiment dégénéré et camé juste comme il faut. Leur grand jeu, à Katsuhiro et lui, consistait à arpenter les rues du 18ème arrondissement, la nuit, un couteau à cran d’arrêt dans la poche de leur blouson. Ils faisaient exprès de passer dans certains quartiers et de parler fort en fixant bien dans les yeux les bandes de dealers qui tenaient la rue. Alors, les ennuis commençaient, jusqu’à sortir les lames, et ça se finissait généralement en garde à vue ou aux urgences, ou les deux.
Edgar était taillé pour ça. Depuis dix ans, il pratiquait avec acharnement la boxe française, et soulevait régulièrement de la fonte. Physiquement, il en imposait. Katsuhiro, par contre, avec sa raie sur le côté, sa petite moustache d’adolescent imberbe, ses mains de poupée et son mètre soixante-six, avait l’air de tout sauf d’un foudre de guerre, et, là encore, les apparences correspondaient à la réalité. Il était pourtant doté d’une agressivité au moins égale à l’incapacité qui était la sienne de riposter dans les cas –plus que fréquents- où les individus victimes de ses insultes éthyliques et cannabiques se trouvaient être plus grands, plus gros, et plus nombreux. On peut raisonnablement émettre l’hypothèse selon laquelle, sans Edgar, il aurait depuis longtemps rejoint l’Autre Monde, si bien sur les Japonais en ont un, ce qui reste à démontrer.
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arnaud-cendrin · 2 years
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Au Royaume du Néant
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Au-dessus de moi, il n’y avait plus que le ciel étoilé. Un croissant de lune se penchait au-dessus de cette seine immense qui sépare Donnemont des vastes étendues de la campagne vexinoise. Quand j’étais enfant, j’imaginais que ce paysage de collines qu’on voyait sur l’autre rive n’était que le début d’un autre pays, aussi éloigné de nous qu’une autre planète, un pays de cocagne infini, parcouru de vergers et de villages, de vallées luxuriantes irriguées par des ruisseaux au cours paisible, où des jeunes filles aux hanches douces transportaient des paniers dans des chemins creux, en chantant des comptines d’un âge révolu.
En réalité, il n’y avait rien, rien du tout ; rien d’autre que la grisaille et la désespérance de ce monde latin où, un beau jour, on avait décidé qu’il fallait capturer les anges des anciens temps jusqu’au dernier et leur arracher les ailes.
Je m’étais réfugié dans les livres, dans l’imaginaire. J’avais peu à peu abandonné l’espoir qu’un autre monde était possible. Je ne pouvais qu’essayer de ne pas voir celui-ci s’enfoncer peu à peu dans l’horreur. L’idée que, quelque part, subsistait quelque chose qui n’était pas encore souillé, l’idée qu’il pouvait y avoir quelque chose derrière l’horizon, l’idée que le reste de notre existence pourrait ne pas se résumer à une interminable chute dans le vide, que nous ne verrions pas seulement la fin de ce royaume mais peut-être aussi le début d’un autre, subsistait malgré moi quelque part au fond de mon cœur, comme une minuscule braise mourante. Quand je rencontrai Edgar, je vis, à ma grande surprise, que son cœur à lui se consumait perpétuellement, qu’il était dévoré par une flamme gigantesque qui semblait ne jamais devoir s’éteindre ou faiblir.
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arnaud-cendrin · 2 years
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Au Royaume du Néant
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Quand nous arrivâmes là où s’arrêtaient les lumières artificielles, nous nous rendîmes compte que ce n’était pas le fond de la grotte, mais sa deuxième moitié. Deux rangées parallèles de statues, trônant chacune sur un piédestal,  formaient une allée qui, de toute évidence, était censée mener rituellement les ouailles de Langevin à la cérémonie de la Renaissance.
Aucune de ces statues n’était d’apparence humaine. Leurs bouches s’ouvraient en des rictus démesurés,  faits d’interminables rangées de dents pointues surplombées par des yeux ronds comme des boules de billard. D’énormes pénis en érection, hérissés de piquants, surgissaient au milieu de pattes de gargouilles. Le front de certaines d’entre elles s’ornait de cornes, d’autres portaient dans leur dos des ailes hideuses et presque rectangulaires. Leurs langues étaient peintes en rouge et leurs yeux en noir et blanc.
Voilà donc ce qu’elles étaient devenues, ces anciennes idoles mésopotamiennes  disparues il y a vingt ans de cela, lors de l’invasion de l’Irak. Elle était là, l’explication de tous ces vols dont on n’avait soi-disant jamais retrouvé les auteurs. Ce n’étaient pas les islamistes, et ce n’étaient pas non plus des pillards qui auraient cherché à revendre leur prise au plus offrant. Ce n’est pas pour l’argent que Langevin et ses mercenaires s’étaient rendus à Bagdad lors de la seconde guerre du Golfe et s’étaient emparées de ces statues, mais pour édifier un temple à la gloire de Satan.
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arnaud-cendrin · 2 years
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Quand nous arrivâmes là où s’arrêtaient les lumières artificielles, nous nous rendîmes compte que ce n’était pas le fond de la grotte, mais sa deuxième moitié. Deux rangées parallèles de statues, trônant chacune sur un piédestal,  formaient une allée qui, de toute évidence, était censée mener rituellement les ouailles de Langevin à la cérémonie de la Renaissance.
Aucune de ces statues n’était d’apparence humaine. Leurs bouches s’ouvraient en des rictus démesurés,  faits d’interminables rangées de dents pointues surplombées par des yeux ronds comme des boules de billard. D’énormes pénis en érection, hérissés de piquants, surgissaient au milieu de pattes de gargouilles. Le front de certaines d’entre elles s’ornait de cornes, d’autres portaient dans leur dos des ailes hideuses et presque rectangulaires. Leurs langues étaient peintes en rouge et leurs yeux en noir et blanc.
Voilà donc ce qu’elles étaient devenues, ces anciennes idoles mésopotamiennes  disparues il y a vingt ans de cela, lors de l’invasion de l’Irak. Elle était là, l’explication de tous ces vols dont on n’avait soi-disant jamais retrouvé les auteurs. Ce n’étaient pas les islamistes, et ce n’étaient pas non plus des pillards qui auraient cherché à revendre leur prise au plus offrant. Ce n’est pas pour l’argent que Langevin et ses mercenaires s’étaient rendus à Bagdad lors de la seconde guerre du Golfe et s’étaient emparées de ces statues, mais pour édifier un temple à la gloire de Satan.
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arnaud-cendrin · 2 years
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arnaud-cendrin · 2 years
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Mon roman "Wild boys" en promotion de lancement exceptionnelle disponible à l'achat pour 0,89 €
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Pour la publication de mon premier roman, j'ai décidé de frapper fort : jusqu'au 31 aout, "Wild boys" dont j'ai publié ici de larges extraits, est disponible pour 0,89 €.
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arnaud-cendrin · 2 years
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Mon roman Wild boys disponible sur Amazon
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arnaud-cendrin · 2 years
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Le châtiment russe
Ce soir, la lune tombe sur un monde en perdition. La Vieille Europe sombre, et son agonie est comme un sinistre feu d'artifice que le reste du monde contemple avec stupéfaction.
Nous sommes comme les anciens Romains, qui n'avaient plus la volonté de lutter pour sauver leur Empire. Ils attendaient les Barbares presque comme une princesse attend son prince charmant. Et ils sont venus, les Barbares, comme une bile vomie par le Rhin gelé. Ils étaient blonds, et leur brutalité était extrême. Mais, génération après génération, ils oublièrent leur langue et leur religion. La Rome antique, abattue militairement, mourut et ressuscita, comme une nuée de fantômes, avec cet empire virtuel qu'on appelle l'Eglise catholique, ses évêques, ses archevêques, ses cardinaux et son Pape.
Aujourd'hui, les Barbares ne viennent plus de Germanie et ne sont plus blonds. Mais les héritiers des Romains les attendent tout de même, en leur faisant des yeux de femelle éplorée, les craignant et les espérant tout à la fois. Et jettent au contraire des regards de haine pure en direction de l'ancien Empire d'Orient et de ses héritiers, ces slaves des steppes convertis à l'Orthodoxie et à l'alphabet cyrillique. Qui ont gardé ce qu'eux-mêmes ont perdu, qu'on appelle abusivement la virilité, et qui est simplement la volonté de se battre et de ne pas mourir.
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arnaud-cendrin · 2 years
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Manu militari
la vie sexuelle d'un homme célibataire est constituée de 100% de masturbation. La vie d'un homme marié est constituée de 90% de masturbation. Pour accéder aux 10% de différence, l'homme doit accepter de signer pour la maison, le chien, la voiture, les enfants...
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arnaud-cendrin · 2 years
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Edgar
Edgar prétendait professer la religion des anciens Celtes. Fondamentalement, il n’y avait pour lui ni futur, ni présent, ni passé. Toute chose était appelée à revenir et à se répéter éternellement. Il croyait au Kali-Yuga. Il croyait qu’un fleuve sans fin serpentait au milieu de terres fantasmagoriques, et que dans l’eau de ce fleuve s’entremêlaient toutes les périodes de l’histoire des hommes. Il appelait notre temps : les Âges Sombres.
Selon lui, une guerre effroyable allait avoir lieu, ensanglantant la France, l’Allemagne et les autres pays qui avaient jadis colonisé le monde. Depuis toujours, aussi dément que cela puisse paraître, Edgar se préparait à cela, en sculptant son corps et son esprit. Il ne cherchait pas seulement à assurer sa survie : il attendait le moment où toute forme d’Etat et de pouvoir structuré s’effondrerait en Europe occidentale, pour instaurer de nouveau, sur ses ruines encore fumantes, le règne du druidisme et du paganisme.
Mais d’autres que lui, plus organisés, attendant depuis au moins aussi longtemps l’avènement des mêmes prophéties, s’étaient dressés en travers de sa route.
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Extrait de mon roman "Wild boys" disponible sur kindle
https://www.amazon.fr/dp/B0B5PSX9TP...
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arnaud-cendrin · 2 years
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Aller simple pour l'éternité
Combien de fois avais-je maudit le sort, au cours de toutes ces années ? Combien de journées s’étaient-elles écoulées, de larmes et de lamentations ? Combien de soirs ne m’étais-je pas senti, de tous les proscrits, le proscrit le plus abandonné ? Combien de poings n’avais-je pas tendus vers le ciel, ce ciel dans lequel je flottais à présent, le cerveau en ébullition, nageant droit vers le croissant de lune qui éclairait cette chaude nuit d’été, comme si je voulais quitter l’atmosphère terrestre ?
Et pourtant, l’homme que j’avais laissé en bas, végétant dans son petit pavillon, mortel, commun, comme je le méprisais maintenant ! Comme je le trouvais petit, insignifiant ! Comme sa vie et sa mort me semblaient de peu d’importance ! Soudain, je réalisai combien j’avais été fou : fou de penser que mon existence physique, c’est-à-dire la faculté de boire, de manger, de faire l’amour, de sentir un corps charnel témoigner aux yeux des autres et aux miens de ma présence concrète en ce monde, valait le cadeau qui m’avait été fait.
Car c’était un cadeau, je le comprenais maintenant.
Qu’aurais-je eu à faire d’une vraie vie, comme celle que cet imbécile s’était choisi ? Je n’étais plus qu’un pur esprit. L’univers entier s’ouvrait devant moi, ses secrets étalés au grand jour comme les boyaux d’une baleine éventrée. Qu’aurais-je eu à faire d’une vraie vie, puisque toutes les vies possibles s’offraient à moi ? Un jour je pouvais pénétrer les arcanes du pouvoir le plus occulte, un autre jour observer les drames intimes d’un paysan de la Beauce, un autre jour encore plonger tout au fond de l’océan, ou au confins des galaxies, et en ramener toutes les réponses à toutes les questions. Un jour ou un siècle, si je le désirais. Le temps n’avait plus d’importance. J’avais déjà compris, avec une certitude que je ne peux expliquer, que la mort ne me concernait plus.
Au-dessous de moi s’étalait une grande ville qui faisait à mes pieds comme un tapis de lumière. Aucun nuage ne troublait l’horizon. Je tendis les bras comme pour toucher l’infini plafond d’étoiles qui s’étendait de toute part. Je humai un instant l’air chargé d’azote. Puis, voguant au milieu du ciel, je repris ma route vers l’éternité.
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arnaud-cendrin · 2 years
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Taïeb
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Taïeb ne paraissait pas trop saoul ce jour-là. Il arpentait les chemins de terre d’un pas énergique, écartant sans ménagement, à l’aide d’une machette qui paraissait dater des guerres coloniales, les broussailles qui se dressaient sur son chemin. Nous nous extirpâmes peu à peu de cette anarchie végétale et parvînmes à un plateau dégagé où nous pouvions marcher côte à côte.
En bas du plateau s’étendait à perte de vue un paysage préhistorique de nature vierge. En portant le regard vers l’horizon, on apercevait, juste avant les montagnes couvertes de sapins, quelques maisons disposées comme au hasard. Sans ce hameau, nous aurions pu nous croire revenus à l’aube de l’humanité. Quand le monde était fait d’une matière molle, encore malléable. Avant que les continents ne se referment, avant que les langues et les frontières ne nous emprisonnent, avant que les religions ne nous asservissent.
Taïeb me fit signe de m’arrêter et s’alluma une cigarette. Il ne s’était pas rasé depuis plusieurs jours, s’était laissé pousser les cheveux et le double menton, et ses yeux étaient rouges derrières ses petites lunettes cerclées.
- Vous le connaissez depuis longtemps, l’autre, là, le Japonais ?
- Depuis très longtemps. On a fait les quatre cents coups, avec lui et Edgar.
- Ah oui, Edgar… ! Personnage très étrange, également. Et on ne sait toujours pas ce qu’il est venu faire chez Langevin avec cette épée, et ce que cette épée semblait avoir de tellement important.
C’était donc pour ça qu’il voulait me voir. Il avait deviné quelque chose. En mon for intérieur, je me jurai de continuer à ne rien dire à personne à ce sujet, et surtout pas à lui. C’était une décision que je n’arrivais pas vraiment à m’expliquer moi-même. Comme un as caché dans ma manche.
- Moi non plus, dis-je.
Taïeb m’observa de ses petits yeux perçants, comme s’il essayait de voir à travers moi.
- Je n’essaie pas de vous baiser, Gauthier. Moi aussi, je veux coincer Langevin. C’est vrai, peut-être que je ne dis pas tout ce que je sais. Mais je ne peux pas. Et vous savez pourquoi ? Parce que ce que je sais est, au sens propre du terme, incroyable. Ceccaldi le savait aussi, mais il est mort. Je suis le dernier.
Il aspira une longue bouffée de sa cigarette et dit :
- Venez, on va marcher.
Il continua, élevant la voix pour qu’elle parvienne à mes oreilles alors que je marchais derrière lui :
- Vous savez ce que ça fait, d’avoir cru toute votre vie que vous luttiez pour la justice, l’humanisme, l’égalité, et de comprendre, vingt-cinq ans plus tard, que quelqu’un vous a manipulé pour faire exactement le contraire ?
- Non, avouai-je en trébuchant sur une pomme de pin.
- Ecoutez-moi, Gauthier, dit-il en s’arrêtant de nouveau. Je me descends une bouteille de whisky et trois paquets de gitanes par jour. Faire ça, c’est comme téter le sein de sa mère. C’est une mère sadique, bien sur, et son lait empoisonné vous tue petit à petit… Mais si je fais ça, c’est parce que, chaque jour depuis que j’ai eu dix ans, j’ai été lâché au milieu d’une meute de hyènes. Si je fais ça, c’est pour crier à cette bande de salopes : « vous voyez, vous ne m’aurez pas ; je vais être mon propre prédateur, mon propre charognard ». La gnole et la clope, c’est comme une capsule de cyanure, en plus vicelard.
« Vous connaissez Richard Matheson ? Il a écrit un livre, L’homme qui rétrécit. Le mec de l’histoire est atteint d’une maladie extraordinaire, incurable, qui le fait rapetisser, jour après jour. A un moment, il devient aussi petit que l’araignée qui rode dans sa maison. Il a perdu sa femme, ses enfants, tout le monde l’a oublié, et évidemment il n’y a plus aucun espoir de rémission. Dans son état, il pense sérieusement à se suicider. Et pourtant, il lutte de toutes ses forces pour échapper à l’araignée. Bizarre, non ? Matheson explique ce paradoxe sans y prendre garde, par cette phrase : "c’était une forme de vie trop étrangère".
Le mec refuse de finir comme ça, dans le ventre d’une telle horreur vivante. Et bien vous voyez, moi c’est pareil : je refuse de me laisser bouffer par l’araignée. Je ne finirais pas comme elle veut que je finisse.
- Je ne comprends pas. Qui est l’araignée ?
- Vous ne le savez pas ? Alors c’est que vous en faites partie. Vous êtes une de ses pattes, un de ses poils, un de ses yeux. Vous ne vous rendez pas compte, évidemment. Le Système fonctionne parfaitement. Il n’a d’autre fin que lui-même, sa survie et sa reproduction, exactement comme un organisme biologique. On ne peut absolument rien faire.
Si, il y a bien une chose : on peut cesser de lui servir de nourriture. Pour cela, il faut avoir la volonté de pratiquer sur soi-même la tactique de la terre brulée. Se rendre inutilisable, incomestible. Le monstre passera à coté de vous sans vous prêter attention, tout au plus en vous jetant distraitement un regard de mépris. Evidemment, vous vivrez une existence misérable, écourtée. Mais vous cesserez de lui servir de garde-manger. Qui sait ? Peut-être réussira-t-on un jour, de cette façon, à commencer à l’affaiblir, à le faire chanceler. S’il arrive qu’il tombe, étourdi, dans les feuilles mortes, les huit pattes en l’air, alors il faudra se jeter sur lui avec toute la sauvagerie des animaux. Il faudra profiter de ce moment de fragilité pour le massacrer. Sans aucune pitié. Car nous n’avons pas affaire à quelque chose d’humain, ni à un chien, ni à un sanglier, ni à quoique ce soit que nous pourrions comprendre. Nous avons affaire à quelque chose qui n’est pas de notre monde.
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Extrait de mon roman "Wild boys".
https://www.amazon.fr/dp/B0B5PSX9TP...
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