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L'Horizon des jours cléments
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Bonjour, bonjour ! :D Ce blog sera principalement dédié à ma fanfiction du jeu Amour Sucré Campus Life, publiée sur Wattpad et Fanfic.net que je souhaite partager une nouvelle fois sur une nouvelle plateforme. Grande nouveauté pour moi qu'est Tumblr, je pense prendre le temps de découvrir le site tout en alimentant mon blog d'histoires autour du personnage de Rayan, principalement, mais surtout de ma première Fanfic d'AS, "L'Horizon des jours cléments". Des fanarts seront également publiés, qui accompagneront soit les chapitres, soit seront postés à part comme simples fanarts. Je vous souhaite à tous et à toutes une bonne visite et merci pour votre curiosité ! :D
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devonis · 6 years ago
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Chapitre 5: Par Lui
Tumblr media
Rayan
Ce que j'aimais le samedi matin en salle des professeurs, c'était qu'il n'y avait jamais trop de monde. Je devais assurer trois heures de cours ce matin, et savoir que la première heure était souvent la plus exécrable, j'appréciai ne pas avoir à supporter les commérages de mes collègues. Dit comme ça, je ressemble à un ours… Vraiment, j'avais du mal à les cerner dans cet établissement. Je me demandai comment cela se passait dans la salle des professeurs des autres bâtiments, mais ici, ils étaient soit tous pompeux, soit pet-sec. Cela ne faisait pas d'eux de mauvaises personnes, mais j'avais simplement beaucoup de mal à dialoguer avec.
Soudain, l'on vint frapper trois coups à notre porte. Un élève demanda l'accès à la salle pour pouvoir déposer un document dans le casier d'un de ses professeurs. Derrière lui, se trouva une de mes collègues qui patientait pour entrer. Intimidé, l'étudiant se décala pour la laisser passer.
-Faut pas avoir peur, on ne va pas vous manger ! rit-elle en incitant l'étudiant à faire ce pourquoi il était venu ici.
-On lui a dit, renchérit un autre collègue, installé à une table dans le fond de la salle.
-Ah, ces premières années ! soupira l'autre en refaisant son chignon : là-dessus, c'est plus facile d'interagir avec les Masters, quoi que, dès la L3 ils ont un peu plus de personnalité.
-Il faut laisser le temps au temps, Marine !
Du coin de l'œil, j'examinai l'étudiant qui peinait à trouver le bon casier parmi tous ceux encastrés au mur. Sûrement à cause des commentaires de mes collègues, il s'était mis à rougir comme une pivoine et ses gestes parurent bien nerveux. Ils savent qu'il doit tout juste sortir du lycée… me dis-je en m'approchant de l'étudiant. Je vins tapoter sur la porte du bon casier pour lui indiquer où il devait déposer ses documents. Il me remercia, et ne perdit pas de temps pour tout déposer et s'en aller à la hâte !
-Ce n'est pas en leur tenant la main qu'ils vont grandir, hein ! pesta ma collègue qui prit en main sa cup de thé. Je reconnus le logo sur le carton. C'est le café où travail Tallulah…
-T'as jamais eu besoin d'un coup de main ? rétorquai-je, dans un soupir excédé.
Levant les yeux au ciel, Marine me sourit narquoisement avant d'ajouter :
-Chacun sa manière de procéder. Ils sont en faculté, ils doivent apprendre à se débrouiller. S'ils ne sont déjà pas capables de venir en salle des profs pour déposer un devoir ou n'importe quoi d'autre, qu'est-ce que ça doit être pour un rendez-vous administratif !
-Si chez toi l'organisation et l'assurance sont innées, tant mieux, pour d'autres, il leurs faut de l'expérience et du temps. Nous sommes leurs professeurs, on doit autant être présents pour eux par rapport à l'enseignement pour les soucis qu'ils peuvent rencontrer pendant leur scolarité. PPE ça te parle ?
-Ah, Rayan marque un point ! pouffa l'autre en se retournant vers nous : on doit les accompagner du mieux qu'on peut dans leur vie au sein de la fac.
-Oh, bah excusez-moi, la prochaine fois je prendrai rendez-vous pour savoir à quelle heure je dois les border ! s'indigna ma collègue en jetant sa cup vide à la poubelle.
-T'exagères pas un peu là ? Surtout ne songe pas à superviser un étudiant de Master pour son mémoire, c'est bien trop de temps à lui consacrer qui l'empêcher de murir ! lâchai-je un peu avec dédain avant de quitter la salle.
Je soupirai avec le désagréable sentiment que ce samedi n'allait pas être terrible. Repensant à la cup en carton, je remarquai que beaucoup de mes collègues s'arrêtaient prendre leur petit-déjeuner là-bas. Puis, ma conversation de la veille au soir avec ma cadette et sa proposition de m'offrir un verre. Le soir où je l'eus aidé à ranger le café, c'était également un samedi. Peut-être pourrai-je y aller de nouveau ce soir, mais plus tôt, afin de ne pas tomber à l'heure de fermeture ? Cette idée me redonna un brin de sourire et ce fut avec cette idée réconfortante que j'assurai mes cours.
Même si ma collègue Marine et moi nous étions évités tout le long du repas, l'ambiance resta agréable en salle des profs du réfectoire, et les discutions furent plus légères que ce matin. Certains semblaient aussi emballés que les étudiants vis-à-vis de la compétition de surf qui approchait.
-Nos élèves se sont bien classés au premier tour, on en quatre encore en lice ! s'enjoua l'un des coachs qui participait à l'organisation du tournoi.
-Ce qui intéresse surtout les étudiants, c'est la soirée au bungalow juste après, haha !
-J'irai sûrement y faire un tour moi aussi, tiens. (Ma collègue me toisa) Et toi Rayan, tu vas y aller ?
Avalant ma bouchée, je secouai la tête puis dis :
-Honnêtement je ne sais pas encore. Les examens approchent, il y a encore beaucoup de choses à préparer…
Elle me donna une tape amicale dans le dos.
-Détends-toi un peu, t'es le plus jeune d'entre nous, ça doit bien te chatouiller un peu d'aller à ce genre d'évènement !
Mes collègues se mirent à rire et j'esquissai un sourire en coin. Miss Paltry, qui venait d'arriver ajouta :
-Ah parce que nous autres on est trop vieux pour aimer faire la fête ? railla-t-elle avec sarcasme : Meh, je prends les paris qu'il y en aura plus d'un autour de cette table qui auront la gueule de bois le dimanche qui suit la soirée !
-On est démasqué…honte sur nous !
Le fou rire fut général et tout le monde profita de cette bonne humeur pour s'inviter les uns les autres à la soirée du week-end prochain. Je préférai refuser les invitations pour le moment, n'étant même pas certain d'avoir le temps d'y aller, d'autant plus je n'étais pas très friand des plages… Quoi qu'aller danser me tente bien, m'avouai-je en mon for intérieur. M'installant dans un amphithéâtre inoccupé, je me remis à organiser mes cours en plus de la planification d'un prochain contrôle continu. Avec les prochains débats qui vont s'enchaîner ils devront être prêts pour cette date. Les heures passèrent et je me retrouvai prêt à imprimer le sujet du prochain devoir. Je ne pris que ma mallette où j'eus mis ordinateur portable et quelques manuels et laissai le reste de mes affaires sur le bureau dans l'intention d'y revenir plus tard et je me rendis à la BU.
Je passai devant la table où se trouvait une de mes étudiantes. Oh mais c'est…
-Bonjour Monsieur, me sourit Chani tandis que je m'approchai d'elle.
-Bonjour à vous, je vois qu'on révise dur.
-C'est-à-dire qu'avec le mémoire et les examens qui approchent, faut trouver le temps de s'organiser pour ne pas décrocher d'un coup. (Elle secoua la tête, presque stupéfaite) Je me demande comment Tallulah fait pour gérer entre les cours et son job.
-Vous travailliez ensemble ? ne pus-je m'empêcher de demander.
-Oh, oui elle est…
Chani se tourna sur son siège en cherchant son amie du regard.
-… volatilisée ! Je sais qu'elle avait besoin d'un manuel d'art moderne et contemporain, elle était partie en chercher un comme elle a oublié le sien.
-Ah, eh bien si ça peut l'aider…(Je sortis mon propre manuel) Dites-lui qu'elle peut l'utiliser, je dois faire des photocopies je serais juste dans l'arrière salle.
Je posai le livre et remarquai une page word ouverte sur l'écran d'un ordinateur allumé sur la table. Curieux par les travaux de mes élèves, je commençai à y jeter un coup d'œil et demandai si c'étaient les recherches de Chani.
-Pas du tout, ce sont celles de Tallulah. (Elle désigna les classeurs ouverts autour de l'ordi) C'est sacrément lourd comme recherches, mais on sent que ça lui tient à cœur. Je ne me serais jamais douté, elle qui est si réservée, de s'intéresser autant aux droits et à la protection des artistes dans le monde entier.
Ce fut plus fort que moi, mais je me mis à scruter les différentes pages de recherches que je défilai sur l'écran. Je vis différentes problématiques qui comportaient des annotations écrites en différentes couleurs, critiquant ce qui fonctionnait ou non dans la formulation ou l'analyse. « Est-ce seulement possible d'imposer des limites à l'Art ? » « L'Art peut-il être jugé ? » « L'Art est-il affranchi de toute loi ? » « L'Art, coupable de révolter les esprits ? » « La société peut-elle punir l'Artiste ? » « L'Art, victime ou coupable d'obscurantisme moderne ? »
Je remarquai un bon nombre de documentations au sujet de procès de grands auteurs des deux derniers siècles à nos jours. Puis, je vis la photo d'une vieille dame, une auteure, exilée de son pays et réfugiée au Québec depuis un certain nombre d'années maintenant. Je compris, au fil de ma lecture, que son mémoire était construit autour de l'expérience de cette artiste.
-Curieux ? souligna Chani qui me toisait du coin de l'œil.
Me rendant compte de ce que j'étais en train de faire, je me redressai vivement en sentant mes joues prendre feu.
-Si je peux me permettre, reprit-elle un peu hésitante : Tallulah appréciera plus en parler avec vous plutôt de savoir que vous lisez ses recherches dans son dos…
-B-Bien sûr, je suis entièrement de votre avis et je m'excuserai auprès d'elle lorsque nous nous verrons.
-Oh, je peux aller voir ce qu'elle fait si vous voulez ?
Je refusai poliment. Je me souvenais encore de ma conversation de la veille avec elle, et je ne sus si j'allais être capable d'agir calmement en la voyant maintenant. Surtout pas après avoir épié ses recherches…
Saluant mon étudiante, je partis donc faire mes photocopies dans l'arrière salle. Mon portable se mit à sonner alors que je n'avais pas encore branché mon ordi à l'imprimante. Leigh ?
-Allô ?
« Bonjour Rayan, tout va bien, je te dérange pas ? »
Je fixai l'imprimante.
-Hmm, non, je faisais des photocopies pour mon prochain cours, rien de bien passionnant. Et toi ça va ? Un souci ?
« Oh ! Non, non je vais très bien ! (J'entendis une voix féminine derrière lui) On…va très bien. »
-Haha, bonjour à Rosalya, souris-je en enclenchant les premières vagues d'impression.
« Voilà, Rosa et moi, on aimerait t'inviter à la soirée qui se déroule au Bungalow après la compétition de surf, samedi prochain. T'es libre ? On va fêter la grossesse de Rosalya d'abord en privé, avec toi et deux autres amis à nous. Pour l'instant vous êtes les seuls au courant. D'autres personnes risquent de nous rejoindre plus tard, mais on aura largement le temps de passer un moment entre nous cinq. »
Si les propositions de mes collègues ne m'eurent guère emballé, je me sentais bien plus d'attaque à faire la fête avec Leigh. Je songeai à mon travail… Si je gère bien la semaine prochaine, je peux me permettre une soirée quand même !
-Rosalya sait que je suis un professeur de sa fac, m'inquiétai-je subitement : t-tu lui as dit que j'étais au courant pour vous ?
« Oui, m'assura-t-il d'une voix plutôt réconfortante : ne t'en fais pas, elle ne l'a pas mal pris elle était même plutôt rassurée que j'ai quelqu'un à qui en parler. »
-Je garde ça pour moi, ne vous en faites pas…
« Haha, je me doute bien ! Mais tu sais, dans quelques mois tout le monde le saura ! Mais je te remercie pour tout Rayan »
Je souris. Enfin, il se fana lorsque je constatai qu'il me manquait un document à imprimer. Le portable d'une main, et mes copies dans l'autre, je me dépatouillai comme je pus pour tout rassembler et repartir en direction de l'amphi où j'eus laissé le reste de mes affaires.
-Je viens. Rétorquai-je enfin à mon ami : donne-moi juste l'heure et notre point de rendez-vous.
« On aimerait s'installer au Bungalow pour dix-huit heures, on se rejoint tous là-bas, ça te convient ? »
-C'est parfait, Leigh. Merci pour l'invitation ! m'enjouai-je sincèrement.
« Mais c'est qu'on va se reconvertir fleuristes à force de se lancer des fleurs ! On se voit dans la semaine quand même ? »
-Bien sûr, allez, à plus.
« A plus tard. »
Bon, ce Samedi n'était pas si mauvais que ça finalement. Et ce fabuleux regain de bonne humeur m'incita d'autant plus à prendre les devants et passer faire un tour au café pour passer du temps avec Tallulah. Le rapport dans tout cela était mince, mais passer du temps avec un personne qu'on appréciait était toujours agréable… Pour une fois, je regardai l'écran de mon téléphone sans regretter de ne pas vouloir tenir ma promesse. Je n'y peux rien Dana, c'est plus fort que moi j'ai envie de voir Tallulah. J'espérai juste que cela ne termine pas comme à l'époque.
Dans un élan de courage, je voulus changer mon fond d'écran mais l'on m'interpella depuis l'entrée de l'amphi. Je stoppai mon geste et rangeai mon portable dans ma mallette pour voir mon assistante dévaler les marches
-Mélody ? Que faites-vous là ? l'interrogeai-je, réellement surpris.
-Je passai en salle des professeurs pour savoir si vous aviez besoin d'un coup de main dans l'organisation de votre planning aux vues des examens qui approchent, et justement, le responsable administratif m'a chargé de vous donner ça. (Elle me tendit deux feuilles agrafées en coin l'une à l'autre) ça y est, le planning des examens est tombé.
-Je vous remercie, c'est très gentil de me l'avoir apporté. M-mais comment saviez-vous où j'étais ?
-Oh, j'ai l'habitude de vous voir travailler dans cet amphi, alors…
Hochant la tête d'un air entendu, je préférai ne pas relever ceci. J'examinai en silence les dates pour lesquelles j'allais être de surveillance, ou de juge pour les oraux. Ah, je suis également de correction pour cette matière…
-Ah, je vois que travailliez sur nos prochains contrôles ! Un coup de main pour les polycopiés ?
Je fis volteface et l'arrêtai tout de suite.
-Mélody, reposez ça s'il vous plaît, dis-je en essayant de ne pas me montrer trop sec. Je l'ai assez houspillée pour sa conduite de la dernière fois.
-P-pardon, je ne voulais rien déranger.
Je secouai la tête, et sourit gentiment.
-Vous ne dérangez rien, mais je ne peux pas vous laissez vous occuper de ça. Ce sont des contrôles pour toute votre classe, y compris vous Mélody. Je dois me montrer impartial, et même si j'ai confiance en votre bonne foi, je ne peux vous laisser organiser les contrôles continues au risque que vous ayez de l'avance sur vos camarades vis-à-vis du sujet.
-O-oui, je n'y avais pas songé… répliqua-t-elle, semblant nerveuse. Elle se tordit les doigts en abaissant son visage rougit.
Ai-je été trop dur ? Je ne savais plus vraiment comment parler avec mon assistante. Soit elle en faisait beaucoup trop, au point de me remplacer en tant que professeur, soit elle s'effaçait en se braquant subitement. Cela me laissait toujours confus. Je devrais peut-être en parler avec Tallulah, elle connait Melody depuis plus longtemps que moi… me dis-je en me massant la nuque.
-Je vous remercie de m'avoir apporté cela, mais pourquoi ne pas profiter de votre week-end pour vous reposer un peu ?
-Et l'organisation de votre planning ? Ça, je peux m'en occuper, je peux-
-Je veux vous voir vous détendre, Mélody. (Je ris) Vous, on ne pourra jamais vous reprocher de mal assister un professeur.
Elle me sourit en lissant les plis de son manteau.
-Bon d'accord, je vais vous laisser dans ce cas. Mais n'hésitez pas à m'envoyer un mail en cas de besoin.
J'opinai du chef, et la saluai poliment. Une fois seul, je soupirai longuement avant de me retourner vers tout le travail qui me restait à faire. Après avoir organisé mon planning avec celui des examens je me remis à trier les contrôles que j'eus préparé et me souvins qu'il me manquait un document pour terminer les photocopies. Je pris tout dans ma mallette cette fois et repartis à la BU. Le temps que les impressions ne sortent, je jetai un coup dans la salle d'étude où j'eus croisé Chani avec une Tallulah cachée dans les rayons, mais je constatai qu'elles n'étaient plus là. Je restai un moment à la fac pour terminer mon travail et envoyer des mails pour prévenir de la date du prochain contrôle. Le soleil déclinait à l'horizon, et je décidai que j'avais suffisamment travailler en ce Samedi.
Bon, je vais la voir ou pas ? Tapotant nerveusement sur la table, je pris une profonde inspiration en entamant un compte à rebours silencieux dans ma tête…Il fallait que je me décide. Etais-je prêt à jouer cartes sur table avec Tallulah, ou bien devais-je poursuivre de jouer celle de la prudence et nous éviter une éventuelle catastrophe émotionnelle ? Je ne veux pas qu'elle rate son année à cause de mes conneries…
Je resongeai à son sourire. Après quoi, je bufflai d'exaspération face à ma faiblesse et pris le chemin pour le Cosy Bear Café. Et il y avait déjà beaucoup de monde. Je reconnus même quelques collègues enseignant dans les bâtiments voisins. Trouvant qu'il faisait un peu trop froid en terrasse je m'engouffrai à l'intérieur. Mais je n'eus à peine le temps de pousser la porte qu'on me l'ouvrit en grand pour me laisser entrer et me saluer avec entrain et chaleur.
-Bonsoir Monsieur ! Merci d'avoir choisi le Cosy Bear Café p- Oh…
Visiblement surprise de me voir, Tallulah se tut mais ne perdit pas pour autant son éclatant sourire. Peut-être disait-elle au revoir à son amie, car je vis Chani qui semblait sur le point de quitter le café.
-Re-bonsoir Mademoiselle, lui dis-je avec le sourire. Elle me répondit tout pareil et lorsque je voulus saluer mon autre cadette, je fus interrompu par des remerciements qui me rendirent très confus. Oh, elle parle du manuel.
Mon cœur fit un bon dans ma poitrine alors que son visage s'illuminait. Ses tâches de rousseurs qui parsemaient tout son visage et sûrement le reste de son corps… semblaient plus sombres sous la lumière artificielle du café, tout comme ses yeux bruns qui frôlaient le noir. Seules les petites tâches bleue et grise à son iris gauche scintillaient sous le jour.
Chani chuchota quelques mots à son amie avant de sortir. Tallulah sembla soudainement plus tendue et je l'interrogeai du regard avant qu'elle ne me demande où je désirai m'installer. Aurai-je dû lui prévenir que je passai la voir ? Mais comment… ? Mettant son semblant de malaise sur le compte de la surprise, je lui indiquai qu'au comptoir, je serai très bien.
Aussitôt, elle me demanda ce que je désirai boire sans même me regarder. Mon engouement de tantôt redescendait peu à peu, quelque chose n'allait visiblement pas chez ma cadette et j'ignorai complètement ce que c'était. Je n'ai quand même pas mal compris, elle voulait bien qu'on se voit au café, non ? J'essayai de taire mon début d'anxiété et lui commandai un café serré avec un sucre. Pour essayer de la détendre un peu, j'engageai la conversation :
-De rien pour le manuel, dis-je en réponse à ses précédents remerciements.
Je la vis tressauter avant de croiser mon regard. Elle le soutint d'une moue chagrinée et me chuchota presque, qu'elle était désolée d'être partie avec.
-J'avais un rendez vous important, et comme je ne vous trouvai pas…(Elle le sortit de son sac, sûrement posée derrière le comptoir) Tenez. Et encore merci…
Je le pris avec moi et le rangeai dans ma mallette. Espérant qu'elle se détende un peu plus encore, j'avouai avoir souhaité l'aider pour ses recherches après que j'y eus jeté un coup d'œil. Une teinte pêche enroba le coin de ses pommettes, se mariant allègrement avec le chocolat de ses cheveux et le beige naturel de ses lèvres, légèrement gercées par le froid. J'ajoutai que si elle le désirait, j'accepterai volontiers de l'aiguiller dans ses prochaines recherches.
-Tous vos conseils seront les bienvenus, me dit-elle dans un souffle chaud alors qu'elle faisait couler mon café. Je fis mine de m'intéresser à la déco du café, afin de cacher au mieux mon propre embarras.
De son côté, Tallulah sembla plus prompt à converser et je fus ravi de la voir un peu plus détendue. Elle m'expliqua un peu comment cette idée de sujet pour son mémoire, que je trouvai engagé, lui était venue et ce qu'elle désirait faire pour la suite. Alors que je m'apprêtai à lui répondre que je pourrai sûrement l'aider, la voix d'un homme que je retins plutôt bien, m'interrompit :
-Mais qu'est-ce que tu fais ?
Je tournai ma tête à demi pour croiser le regard du jeune serveur que j'eus rencontré l'autre soir. Autant il fut surpris lors de notre première rencontre, autant je le sentis très hostile en cet instant. Il fit de gros yeux à Tallulah que je vis littéralement virer à un rouge vif. Je fronçai un sourcil et arquai l'autre avec incompréhensions. Pourquoi j'eus l'impression qu'elle venait de faire quelque chose de mal… ?
Son collègue vint prendre sa place en la poussant doucement avec sa hanche, et lui demanda de s'en aller. « Je n'ai pas encore parlé à Clémence pour tes heures sup', rentre chez toi avant qu'elle ne te voie » Entendis-je de leur conversation. Je devais avouer que pour le coup, je ne faisais aucun effort pour me boucher les oreilles. J'eus senti que quelque chose n'allait pas dans l'attitude ma cadette, et je commençai à comprendre ce que c'était… Elle n'était pas de service. Mon regard jongla entre elle et lui, et je remarquai que seul le serveur portait un uniforme. Bon sang, mais pourquoi ne m'a-t-elle rien dit ? Elle aurait très bien pu me demander de repasser la voir un autre jour, j'aurai compris quand même…
A moins que j'eusse alors bien mal saisi sa demande de l'autre fois et qu'elle ne fit qu'une invitation au professeur que j'étais et non à l'homme que je crus qu'elle voyait. Peut-être n'avait-elle simplement pas osé m'informer qu'elle ne pouvait pas passer de temps avec moi, pour faire bonne figure devant sa patronne et servir le client que j'étais ? Un peu déboussolé, je regardai le café que venait de me servir le jeune homme, et demandai :
-Puis-je avoir un sucre avec mon café ?
-Bien sûr.
Il me le donna très poliment, mais sa froideur était palpable. Il se tourna vivement vers Tallulah qui ne me regardait plus du tout et dit :
-On se voit Lundi ?
Après quoi, il s'en alla et nous laissa seuls au comptoir, non sans me mitrailler d'un regard assassin. J'espérai pour lui qu'il ne regardait tous ses clients ainsi, au risque de se faire du mal ! De son côté, j'entendis Tallulah soupirer en rassemblant ses affaires.
-Tallulah, je vous avais pourtant dis que je ne voulais pas vous ajouter plus d'heures que vous n'en avez, repris-je d'une voix qu'elle seule put entendre. Puis, exaspéré, je me passai une main dans les cheveux et renchéris : J'aurai pu m'en douter aussi, vous ne portiez pas d'uniforme…
-Je sais, mais je ne m'attendais pas à vous croiser et j-j'ai…
-Il ne fallait pas vous sentir obligée, l'interrompis-je plus sèchement que je ne l'aurai voulu. Quand je le remarquai ce fut trop tard. Son visage venait de se fermer de toute émotion, et sans que je puisse me rattraper, elle me tourna le dos.
-Passez une bonne soirée Monsieur Zaidi.
L'air glacé s'engouffra dans la salle lorsqu'elle ouvrit les battants de porte qu'elle relâcha une fois le seuil passé. Je vis sa silhouette se fondre dans l'obscurité des rues, accompagnée de Chani qui l'avait donc attendue. Elle n'était absolument pas de service…
Si elle me considérait vraiment sur un pied d'égalité, elle ne se serait pas forcée. Je bus mon café avec amertume, et je fus dans cet état d'esprit tout le week-end. Même si j'eus pris la résolution d'avoir une discussion claire avec Tallulah, je ne parvenais pas à faire abstraction de mes sentiments, et j'avais peur de me montrer trop émotif et de sortir des mots qu'il était encore trop tôt de prononcer.
Lundi, habillé dans un chaud manteau trench qui m'arrivait un peu au-dessus des genoux, j'arrivai au travail la tête légèrement ailleurs. En chemin, j'étais passé devant le café, où je la vis, affublée de son tablier, faire des allers-retours entre la salle principale et la terrasse. Elle travaille vraiment tôt… Me dis-je en tournant au coin de la rue sans m'arrêter. Une fois dans la cour, je fus interpellé par le Directeur qui se trouvait en présence de la petite camarade de Tallulah. Tiens ? Je m'approchai d'eux en essayant d'afficher un sourire polit qui ne se croisait pas trop avec de la grimace. Je serrai la main à mon supérieur et adressa un hochement de tête à mon élève qui me le rendit avec un sourire bien moins faux que le mien. Je compris qu'ils partageaient une même passion et qu'ils conversaient sur un livre qu'ils eurent tous deux lu. C'était étrange, je les enviai un peu…Rien de bien affectueux ne se dégageait de leur conversation, pourtant ils semblaient si détendus qu'on aurait dit des amis de longues dates. Pourquoi n'est-ce pas aussi simple avec vous ? songeai-je en pensant à Tallulah.
Me sentant de trop dans ce dynamisme qui ne m'habitait guère, je voulus prendre congé, mais mon supérieur m'arrêta.
-Attendez Rayan, j'ai les plannings des étudiants à vous donner. La plateforme informatique a été en maintenance tout le week-end et ça risque de perdurer jusqu'à demain.
-Encore des fraudes ? m'inquiétai-je, sachant que certains étudiants avaient la fâcheuse manie de pirater le système pour obtenir d'avance les sujets des contrôles. J'ai vécu ça dans mon ancien lieu de travail.
Soudain, des éclats de rires attirèrent notre attention à nous trois. Mon cœur se serra à la vue de cette jeune femme pour qui je compris mon cœur s'être amouraché d'elle trop vite pour que je puisse l'ignorer désormais. Elle semblait bien moins morose que moi, dans les bras de son collègue qui chahutait avec elle. Les regards qu'il lui lance… Bien sûr qu'il l'aimait. Et je compris aussi, en le voyant muni d'un sac de cours, qu'il était étudiant à Antéros, tout comme elle. Je l'envie… me dis-je subitement. Il travaille auprès d'elle, étudie auprès d'elle…
Et ils pouvaient s'étreindre ainsi, personne n'irait les sermonner. Au contraire, j'entendis plusieurs étudiants qui passaient près de nous et qui eurent vu la scène, se demander s'ils sortaient ensemble. Je sentis l'agacement m'assaillir à nouveau… Ils s'installèrent sur un banc tandis que je vis Chani pianoter sur son portable.
-Ils sont en formes ! s'exclama-t-elle en regardant dans leur direction.
-Ah, des camarades à vous ? lui demanda le Directeur.
-Tallulah est une bonne amie, mais je ne connais pas très bien Hyun.
Au loin, je vis Tallulah dresser la tête en direction de Chani qui lui fit un signe de la main. Tous deux se joignirent à nous. Ce fut idiot, mais je me sentis un peu vexé de la voir perdre son sourire en me remarquant. Ma cadette fit la bise à son amie et nous salua très simplement et poliment mon supérieur et moi. De même que ledit Hyun, à qui je ne fis qu'un hochement de tête. Son regard ne se baissait pas, et je ne fus pas d'humeur à le détourner non plus.
Je me souvins avoir dit à Tallulah que son collègue faisait bien de s'inquiéter de mes intentions envers elle. Et en ce jour, mes paroles prenaient de plus en plus de sens…
-Quelle fougue ! Il y a des jours ou j'aimerai avoir la même énergie, s'exclama mon supérieur en riant.
-Surtout avec une matinée de boulot au café, je ne sais pas si je vais avoir la même énergie quand j'irai bosser demain, souleva Chani.
-Ah oui ? En voilà des jeunes gens courageux. Vous êtes également en Art ? s'interrogea le Directeur au sujet du jeune serveur. Sûr et certain que je me serais souvenu de lui si ça avait été le cas, je répondis pour lui :
-Non, il n'est dans aucun de mes cours.
Mon cadet m'adressa un regard lourd de sous-entendus et renchérit :
-Je suis en info. Com. En M2, comme Tal'.
Tal'… Il prononça avec plus d'appui le surnom de ma cadette, envers qui je devais me contenter de l'appeler « Mademoiselle » et la vouvoyer. Prenant une profonde inspiration, je fis mine d'avoir froid et cachai le bas de mon visage sous le col de mon manteau, non sans serrer les dents. Il ne fallait surtout pas que je fasse d'accro aujourd'hui, pas après avoir annulé le cours l'autre jour. Mes états d'âmes attendraient la fin des cours.
Subitement, Tallulah se tourna vers son ami, qui se rapprochait d'elle en gravissant les marches qui les séparaient. Elle baissa le ton, ce qui rendit leur proximité plus intime encore, mais non pûmes entendre :
-D'ailleurs, tu vas être en retard Hyun… C'est toujours toi qui m'accompagne, la prochaine fois ce sera mon tour, promis.
Et l'instant d'après, mon sang ne fit qu'un tour dans mes veines et je sentis le reste de mon corps se tendre. Avec délicatesse, et une affection loin d'être amicale, ce Hyun aux privilèges que je n'avais guère, déposa un baiser tendre sur le front de Tallulah. Après quoi, il s'en alla en saluant les deux jeunes femmes d'un signe de la main. Mais s'il pensait que je n'eus pas remarqué son regard en coin, c'était raté…
-Ah, l'amour…un soutien indéniable en cette période difficile de vos études.
Lâcha le Directeur avec entrain. Pour ma part, je fis mine de regarder ailleurs en restant muet. Et si…s'ils étaient vraiment ensemble ? J'eus un peu de mal à le croire. Pourtant, Tallulah ne démentit pas non plus les mots de notre supérieur. Elle fixait le sol, peut-être pour tenter de voiler au mieux son visage empourpré.
Nous prîmes tous les quatre le chemin en direction de l'amphithéâtre où j'assurerai mon cours. Si devant, Chani et le Directeur eurent repris leur précédente conversation, ce fut plutôt le silence religieux entre ma cadette et moi. En revanche dans ma tête, c'était l'apothéose. Aurai-je un jour la liberté d'avoir de telle geste envers elle ? Me le rendra-t-elle ? A quel point puis-je encore tenir sans lui parler ? C'est trop tard…on doit éclaircir la situation maintenant.
Nous nous séparâmes, moi partant vers l'estrade en compagnie de mon supérieur, et Tallulah, en compagnie de son amie, partit s'asseoir à la même place que vendredi dernier.
-Tenez, surtout dites leur bien que c'est nominatif, et qu'ils ne pourront pas avoir de doublon !
-Bien entendu, je vais leur distribuer attentivement, assurai-je en prenant l'enveloppe qui contenait le planning des examens de mes élèves. Il repartit après de derniers mots et je pus débuter mon cours.
Je n'eus même pas besoin de réclamer le silence que les élèves se montraient déjà fort attentifs. Une chose de moins à régler. J'en profitai pour les saluer et leur informer que je détenais leur planning nominatif pour les examens de décembre à janvier, hors contrôles continus qui eux se déroulaient toute l'année.
Les appelant un par un, je finis par tomber sur le planning de Tallulah qui se déplaça vers moi tout comme je m'avançai vers elle. Elle me remercia avant même qu'elle n'obtienne son planning, et lorsqu'elle le pinça de ses doigts fins, je baissai volontairement le ton, le dos tourné au reste de l'amphi pour que personne ne me voit lui parler.
-J'aimerai vous parler…
J'enchaînai aussitôt avec l'étudiant suivant. Tallulah ne m'accorda aucune parole ni un regard alors je l'eus cherché du mien. Un peu troublé, je terminai de distribuer les fiches et grimpai à nouveau sur l'estrade pour véritablement entamer mon cours. Enfin, ce fut après avoir calmé un peu mes étudiants qui s'excitaient devant leur planning. Je repensai à l'invitation de Leigh à la soirée qui se déroulerait après la compétition de surf.
-Allez, reprenez votre calme ! Si j'étais vous, je profiterais du week-end prochain pour me détendre une dernière fois avant la dernière ligne droite !
L'Anxiété se changea peu à peu en une ambiance plus légère et une élève demanda si nous allions reprendre directement le débat de la semaine dernière ou si nous passions à une autre problématique.
-On creuse encore celle de vendredi ! Elle vous est primordiale pour comprendre l'insertion de l'œuvre de George Raymond Richard Martin comme une œuvre d'Art moderne à part entière du XXIe siècle malgré son aspect médiéval.
Mon attention fut bien souvent portée vers Tallulah qui n'eut presque rien dit de tout le cours. Je ne m'étais pas senti le cœur à l'interroger, me questionnant silencieusement si ce qui s'était passé Samedi y était pour quelque chose ou non. Chani aussi détournai parfois ses yeux de l'estrade pour observer sa voisine qui devenait étrangement pâle. Si cette situation la dérange à ce point, autant y mettre un terme maintenant… m'étais-je dit, le cœur lourd.
Les deux heures furent aussi dynamiques que ceux de vendredi, bien que nous n'ayons absolument pas eu le droit à la spontanéité de celle envers qui je m'étais langui d'entendre le point de vue. Lorsque j'annonçai la fin du cours, je me précipitai peut-être avec trop de hâte, au point de me recevoir des regards curieux de certains élèves qui sortaient, pour obtenir une réponse de la part de Tallullah. Elle veut parler ou pas … ?
Je la trouvai plaquer contre le mur de l'escalier, laissant ses camarades quitter la rangée, en compagnie de Chani à qui j'adressai d'avances mes excuses. Je m'adressai ensuite à Tallulah.
-Puis-je vous parler un instant ?
Elle acquiesça. Toutes deux s'arrangèrent aussitôt, se promettant de se rejoindre au réfectoire plus tard. J'eus un brin d'espoir que les choses n'étaient peut-être pas encore catastrophiques lorsque je la vis accepter ma demande, mais je désenchantai bien vite en la voyant si fermer à me parler.
Ma cadette n'avait pas bougé d'un iota alors que j'eus pris la direction de l'estrade, pensant que nous serions plus à l'aise pour converser.
-Ecoutez, je ne veux pas paraître désobligeant mais il serait peut-être temps que l'on discute sérieusement de ce qu'il se passe entre nous en ce moment, commençai-je en revenant vers elle.
Elle soutint mon regard par le sien fort troublé par un sentiment presque agacé que je crus être provoqué par ma faute. Finalement, il n'en est rien, elle ne veut absolument pas que l'on parle… Désabusé par l'attitude de Tallulah, qui, je crus plus honnête que cela, je pris un ton plutôt désinvolte et lui dit que ce n'était pas la peine de rester si elle ne désirait pas parler avec moi. Je voulus ajouter que mon statut de professeur n'aurait dû en aucun cas la faire se sentir obligée de rester…mais elle m'interrompit avec une véhémence que je ne lui connaissais pas encore. Rien de bien violent, mais je retrouvai sa spontanéité et son naturel qui m'eut charmé dès le premier jour.
-Ok, là je vous arrête de suite !
Bon nombre de professeurs lui auraient sûrement rappelé qu'elle n'était qu'une étudiante, adulte certes, mais qu'en aucun elle n'avait le droit de prendre un tel ton avec une personne de mon « statut ». De mon côté, ça me rassura un peu qu'elle se montre ainsi en cet instant où je voulais discuter de tout sauf de nos différents échelons au sein de cet établissement : Certes vous êtes plus âgé, vous êtes mon professeur, en sommes vous avez tous les statuts de la personne proclamant « l'autorité ». (Je sentis son sarcasme) Mais je suis encore capable de savoir ce que je veux sans qu'on me prenne par la main. Vous vouliez parler, j'ai accepté car j'estime qu'il est également temps de le faire. Pour tout vous dire, j'ai un peu de mal à vous suivre, alors parlons.
Me laissant littéralement sans voix, je la détaillai des pieds à la tête et mes yeux se firent emprisonner par les siens, dont la profondeur du brun sembla noyer la lumière autour de nous. Ce qui m'inquiéta, était cette tension qui semblait l'entourait, et alors que je me fus dit plus tôt que nos affaires auraient pu la tarauder ainsi, je commençai à me demander s'il n'y avait pas une autre raison à ce malaise palpable. Essayant de reprendre contenance, je détournai le regard à la recherche d'un point qui me permettrait de faire redescendre la pression qu'elle me mettait en me toisant ainsi.
-J-je…je ne voulais pas vous blesser, dis-je alors d'une voix qui chevrota. Je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses, si mes mots vous ont paru présomptueux. Pour dire vrai, quand j'ai compris que vous ne travailliez pas samedi soir, je me suis dit que vous aviez simplement voulu faire bonne figure et j-je…
-Bonne figure ? répéta-t-elle d'un ton aussi tranchant que son air fut outré, elle reprit, et la suite de ses paroles me rendra bien plus troublé encore : Si la subtilité ne fonctionne pas, alors autant être claire : ça me fait plaisir de vous voir, et ce n'était certainement pas pour faire bonne figure que j'ai accepté de vous servir un café samedi. J-je voulais simplement… ah !
-Tallulah ! m'exclamai-je, totalement alarmé de la voir s'effondrer au sol. Hé ! Tallulah, que se passe-t-il ?
Je sentis son corps trembler alors que je l'aidai à se relever. Presque aussitôt, elle vint se maintenir le bas de son ventre en se pliant vers l'avant en grimaçant de douleur. Elle me repoussa gentiment, m'assura que ce n'était rien et se mit à rassembler le reste de ses affaires. Bien trop inquiet pour elle, mais en même temps très déconcerté, je restai à côté d'elle au cas où elle referait une chute.
-Pardon de ne pas l'avoir remarqué avant, vous étiez bien silencieuse en cours, je pensai que ça avait un rapport avec nous mais c'était parce que vous étiez malade, n'est-ce pas ?
Visiblement pressée de s'en aller, je vins la maintenir par le bras pour l'aider à gravir les marches menant à la sortie. Je me sens si stupide, et très égoïste ! Ma cadette était en détresse, je l'eus vu tout le long du cours, et je n'eus rien fait d'autre que de penser à discuter de ce qui me « chagrinait » depuis Samedi.
-Pas vraiment…je-
Tallulah se tourna subitement, les jambes tremblantes et les mains plaquées derrière elle comme pour me dissimuler quelque chose. Il me vint alors une explication à son embarras si virulent, sans pour autant que je sois sûr, je demandai :
-Vous avez de quoi vous changer… ?
Sa mine affligée et son regard fuyant vinrent confirmer mes doutes, et d'instinct, je retirai ma veste afin de l'enrouler de sa taille et dissimuler ce qui la rendait si anxieuse. Je me souvins alors d'une camarade du collège, qui vécut une journée ignoble sous les moqueries, à cause d'une tâche à l'arrière de son pantalon qu'elle ne put absolument pas éviter. Si je ne fus pas participant aux moqueries, je ne fis pas non plus d'efforts pour que cela cesse. J'eus observé, impuissant, la détresse de cette jeune fille qui subissait déjà les métamorphoses de son corps, et le regard abruti des autres, de tous genres et sexes confondus.
En revanche, ce qui me marqua, fut le geste qu'eut cet élève de troisième qui revenait d'un entraînement de l'UNSS. Il avait sorti son sweat de sport et l'eut enroulé autour de la taille de cette petite fille qui l'eut remercié par des larmes de soulagement. Cet élève, me fit alors réaliser, que malgré ma différence, je n'étais pas si impuissant que cela et que j'aurai tout à fait pu aider cette fille à surmonter son embarras. Aujourd'hui, je peux le faire.
Tallulah se montra réticente, mais j'insistai, en lui faisant comprendre que ce n'était qu'un vêtement et que son confort à elle m'importait bien plus que la propreté d'un morceau de tissu. Tête basse, elle me remercia alors que je prenais ses mains dans les miennes. Ses doigts étaient glacés, et je me fis violence pour ne pas la prendre dans mes bras. Je songeai alors à son collègue, ce Hyun, pour qui ce genre de geste n'avait rien de contraignant tant que Tallulah le consentait. L'aime-t-elle ? me mis-je à me demander sans la quitter des yeux.
-Cela m'embête de ne pouvoir rien faire, murmurai-je sincèrement désolé : Si ce n'est vous raccompagner au dortoir, proposai-je sans aucune arrière-pensée. Tout ce que je souhaitai, c'était l'aider à se sentir mieux.
Ma cadette choisit ce moment pour retirer ses mains des miennes desquelles je ne desserrai pas l'étreinte, en espérant qu'elle comprenne que j'étais là pour elle.
-J-je vais appeler Chani. Je ne suis pas bête, je sais très bien que ça risque de jazzer si jamais l'on vous voit entrer au dortoir avec une étudiante, me dit-elle alors.
Comment fait-elle pour penser à moi dans un moment pareil ? Je n'insistai pas, refusant de la rendre plus anxieuse qu'elle ne l'était.
-D'accord, fis-je dans un souffle de capitulation : Je vais rassembler mes affaires et attendre avec vous l'arrivée de votre amie. Vous tenez à peine sur vos jambes et je n'aimerai pas que vous vous retrouviez au sol une fois parti. Installez-vous là en attendant.
Après l'avoir aidée à s'asseoir sur un siège du dernier rang, au plus près de la sortie, je dévalai les marches avec hâte pour récupérer ma mallette et mon manteau que j'enfilai par-dessus ma chemise maintenant séparée de son veston. J'entendis, par écho, des bribes de sa conversation en n'ayant bien évidement que sa propre répartie. Je remontai en essayant de ne pas faire trop de bruit, mais je ne pus m'empêcher de rire à l'écoute d'une expression bien singulière pour parler de ses règles. « Le débarquement de Normandie…Pas sûr que les profs d'Histoire soient très friands de la comparaison. » Pour ma part j'appréciai son humour face à cette situation.
En rien, cela n'aurait dû être une gêne de m'en parler, mais les mentalités faisaient que je comprenais enfin son hésitation de plus tôt ainsi que ce malaise qui ne l'eut pas quitté pendant que nous parlions.
Lorsque je l'entendis mentionner son mémoire, je sortis avec précipitation de la documentation que j'eus faite de mon côté pour étoffer ses recherches.
-J'ai quelque chose pour vous ! chuchotai-je suffisamment fort pour que Tallulah m'entende.
La laissant terminer sa conversation, je vins m'installer à côté d'elle et triturai les recoins de mes feuilles distraitement. Elle coupa rapidement, avant de soupirer longuement. Remarquant mon sourire, elle me demandait ce qui me prenait…
-« Le débarquement de Normandie », hein ?
Ma cadette partit dans un rire nerveux et tenta de se cacher dans ses bras croisés sur la table. Nous pûmes noter que l'ambiance entre nous s'était légèrement détendue, mais le fait était que je me sentais toujours aussi coupable de l'avoir coincée alors qu'elle se sentait si mal. Nous échangeâmes sur le fait qu'elle aurait pu m'expliquer ce qui lui arrivait, peu importe que je sois un homme ou son professeur.
Puis, alors que nous échangions un sourire complice, je profitai du fait que nous fûmes encore seuls pour lui demander, un peu timidement :
-V-vous travaillez quand, au juste ? Au café je veux dire…
« Ça me fait plaisir de vous voir ! » au moins maintenant j'étais fixé. Nous profitions mutuellement de la présence de l'autre. Même si je ne pus entendre jusqu'au bout ce qu'elle voulut me dire, je me dis que nous aurions désormais bien d'autres occasions de discuter plus intimement. Et cette fois-ci, ce sera sans bavure, m'eussé-je promis. Mais je n'osai plus croiser son regard pour l'instant…
-Le lundi matin, déjà ! rit-elle. Je me souvins de l'échange de ce matin.
-Oui, déjà…, Le Mardi soir et le Jeudi soir, je suis de fermeture. J'ai demandé des heures supplémentaires aussi, peut-être aurai-je d'autres soirs de fermeture, m'expliqua-t-elle comme pour me faire comprendre que j'étais libre de venir la voir quand je voulais à ces heures-là. Et plus encore si elle avait des heures sup'…
-Vous repasserez ?
Bon sang, ce qu'il devenait difficile pour moi de garder un soupçon de bienséance en la sachant si rentre-dedans et impatiente.
-Pourquoi vous demander vos horaires, si ce n'est pas pour venir vous voir ? rétorquai-je alors en oubliant un moment la subtilité.
Tallulah me sourit, non sans rougir et je sentis ma poitrine se gonfler de tendresse. Finalement, je m'étais pris la tête pour peu et il n'y eu aucun malentendu dans ce qu'elle m'eut proposé l'autre soir. Elle aussi, désirait bien me revoir…
Chani arriva, et nous nous séparâmes non sans qu'une pointe d'inquiétude ne m'accompagne tandis que je les regardai s'éloigner. Néanmoins, l'esprit plus serein que ce matin, je partis prendre un déjeuner. Je n'avais pas de cours à assurer juste après, je pris donc mon temps pour manger en relisant certaines recherches pour mon travail. Je pourrai utiliser ça pour le prochain cours, tiens… l'après midi passa plutôt calmement, du moins, jusqu'à ce que Monsieur Lebarde ne revienne de son cours avec une mine agacée, accompagné de Marine, une autre de mes collègues avec qui j'avais vraiment du mal à m'entendre.
-Je sais bien qu'ils sont assez grands pour savoir ce qu'ils font, mais je n'aime pas l'idée qu'une forte tête entraîne de bons éléments dans leurs bêtises ! Si Mademoiselle Loss veut rater sa dernière année, qu'elle le fasse sans entraîner sa camarade avec elle !
Je tiquai aussitôt avoir entendu le nom de famille de ma cadette. Qu'est-ce qu'il lui reproche encore ? Me dis-je en faisant mine de ne pas écouter leur conversation.
-Haha, tu te fais du mal André ! Je sais que tu es superviseur pour le mémoire d'un de tes élèves mais tu ne dois pas te sentir obligé d'être derrière tous les autres. Laisse-les donc apprendre de leurs erreurs.
-Je suis là pour essayer de leur faire éviter d'en faire, justement ! Et je trouve ça scandaleux, de voir cette étudiante entraîner une personne aussi sérieuse et curieuse que Chani dans sa déchéance.
Marine rit aux éclats tandis que je redressai la tête pour croiser le regard de mon collègue qui touillait rageusement sa cup de café.
-La déchéance, à ce point … ? fis-je, quelque peu abasourdi. C'était sorti tout seul, mais je trouvai bien grossier la manière dont il parlait de Tallulah.
-Tiens, le preux chevalier qui vient au secours de ses chers étudiants sur son cheval blanc ! pesta Marine en ouvrant l'un de ses manuels de cours. Je passai outre sa remarque et attendis que Monsieur Lebarde me réponde.
-C'est vrai quoi, à un moment il va bien falloir intervenir ! Chani porte beaucoup d'attention au cours d'art antique et médiéval, elle m'a déjà posé beaucoup de questions pour l'aider dans son mémoire, on voit qu'elle veut réussir, elle ! (Il grogna) Tallulah…hein, ce n'est pas pareil.
Sachant au combien ma cadette se donnait avec passion pour sa thèse, je ne me sentis pas le cœur à ignorer la remarque de mon aîné et dit :
-Parce qu'elle ne vous pose pas de question à la fin du cours et qu'elle n'a pas choisi d'introduire vos cours à son mémoire ferait d'elle une étudiante ne visant pas la réussite ? Sans vous offenser, Tallulah se donne beaucoup de mal dans l'aboutissement de ses recherches. Pas plus tard que ce matin, nous avons échangé à ce sujet.
-Oh, elle a donc commencé à chercher ? rit-il dans une toux étouffée.
-Avec toute la documentation qu'elle détient, cela doit faire un long moment qu'elle bosse dessus, vous savez.
-Et sur quoi porte-t-il ? Non parce que pour le moment elle ne donne pas l'impression de travailler beaucoup et je vais finir par la soupçonner de tricher lors des contrôles continus.
Je fronçai les sourcils et serrai le poing sous la table en essayant de contenir la colère qui m'envahissait.
-La protection des artistes est un sujet qui lui tient beaucoup à cœur. Elle a-
Il rit de plus belle en m'interrompant sans aucune gêne.
-« La protection des artistes ! » s'esclaffa-t-il avec un soupçon de dédain : Voilà un sujet bien engagée pour une personne ne respectant pas son emploi du temps !
-Mais que diable a-t-elle fait pour que vous parliez ainsi d'elle !? Un retard n'est pas si terrible, vous savez que certains étudiants bossent à côté de la fac !? m'exprimai-je pour de bon, le ton un peu haut.
-Sauf qu'un job étudiant ne doit pas interrompre ses études et n'excuse en rien ses retards, le règlement est le même pour tous ! Et encore, un retard de plus de sa part, ça ne m'aurait pas étonné mais là c'est d'une absence de deux heures dont on parle ! Deux heures ! En M2, on ne se permet pas de sécher les cours, Rayan ! Pas pour un cours d'un si lourd coefficient ! Et comme disait Marine, les étudiants font ce qu'ils veulent avec leurs études, mais je ne tolèrerai pas qu'elle incite sa camarade à tomber avec elle, pas en sachant que son mémoire porte sur mon cours !
Je compris alors que Tallulah et Chani ne s'étaient pas montrées au cours de mon collègue après le déjeuner. Elle devait se sentir trop fatiguée… me dis-je, en me demandant si son amie n'était pas restée avec elle pour ça. Peut-être va-t-elle plus mal que cela ? La voix de Monsieur Lebarde me sortit de mes inquiétudes, lorsqu'il ajouta à mon propos :
-Vous comprendrez vraiment ce que c'est de s'investir pour le bien des étudiants lorsque vous serez plus vieux. Je ne peux vous en vouloir de vous exprimer ainsi, votre manque d'expérience fait que vous êtes encore trop dans la peau d'un étudiant. Laissez le temps se faire, et vous verrez que votre façon de penser changera et qu'il faut avant tout écarter les mauvais éléments des bons !
-Mon manque de…balbutiai-je effaré par ce que je venais d'entendre.
-Ça, c'est dit, pouffa ma collègue sans détacher ses yeux de son manuel.
-Ne soyez pas choqué par mes paroles, Rayan. Reconnaissez que votre petite crise de l'autre fois ne vous fait pas honneur ! Qu'un étudiant quitte un cours ne concerne que lui, mais un professeur excusez-moi c'est un peu…
-Je reconnais avoir fait un faux pas, mais oserez-vous me regarder droit dans les yeux en me disant que cela ne vous ait jamais arrivé de ne pas vous sentir capable d'assurer un cours ? Si c'est le cas, grand bien vous fasse, André !
Sur ces mots, j'attendis qu'il me réponde mais il ne fit que me détourner le regard. Évidemment, on a tous déjà annulé un cours pour des raisons personnelles ! hurlai-je au fond de moi, mais il n'y en avait que peu qui l'assumait à ce que je voyais.
Agacé, je pris mes affaires et quittai la salle des professeurs en leur adressant de polies salutations mais de très brèves également. Je savais que ce n'était pas en explosant ainsi à chaque fois que quelque me contrariait qui m'aiderait à créer des liens avec mes collègues. Mais ils semblaient tous être munis d'une insensibilité qui me révoltait ! Et la manière dont ils parlaient des étudiants comme s'ils les connaissaient au point de les avoir faits…Non mais j'vous jure !
Et la manière dont il voyait Chani se faire manipuler par Tallulah. Bonjour l'estime qu'il portait envers cette jeune femme dont il semblait pourtant admirer le sérieux et l'investissement dans son cours ! Bien sûr, je connaissais les raisons qui eurent sûrement poussées les deux jeunes femmes à sécher, mais comment expliquer cela à mon collègue ? Cela ne le concernait en rien, et ce n'était sûrement pas à moi d'apporter de telles explications. Mais que cela était rageant de ne pouvoir défendre dignement quelqu'un que l'on appréciait.
A suivre…
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devonis · 6 years ago
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Chapitre 4 : Par Elle
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Tallulah
Lundi matin, je me levai de bonne heure pour commencer mon service au café. Mon premier cours de la journée était avec Monsieur Zaidi, mais ne commençait qu'à neuf heure et demie. Le café, lui, ouvrait à six-heures trente. Cela me faisait une bonne matinée remplie quand même ! J'appréhende quand même de revoir Hyun. J'eus bien compris que de me voir avec Monsieur Zaidi l'eut alerté l'autre soir, au point d'en faire part à Morgan. En revanche, samedi, c'était la première fois que je voyais mon ami adresser un regard si glacial à un quelqu'un, et cela me surprit d'autant plus que ce fut envers un client.
Quand je posai un pied au café, je saluai Clémence et celle-ci le fit à sa manière. Toujours un peu brusquement et sans joie de me voir. Hyun n'était pas encore arrivé. Tandis que je préparai les tables et que Clémence arrangeait la vitrine avec nos produits, je lui touchai deux mots au sujet de ma demande d'heures supplémentaires. Apparemment, Hyun ne lui avait rien dit mais étrangement elle ne parut pas réticente face à cette suggestion.
-Je ne peux nier que ça me soulagera un peu. Je dis bien, un peu, t'as encore beaucoup à apprendre mais les clients sont plutôt satisfaits de tes performances. (Elle prit un ton plus sec) J'espère que ce sont bien tes services et non l'ourlet de ta jupe qui les impressionnent.
Là elle va trop loin. Je me redressai pour croiser son regard. Nous nous jaugeâmes un moment, et je vis un sourire amusé apparaître au coin de ses lèvres. Comprenant son petit jeu, je lui fis un de mes sourires les plus éclatants et me remis à préparer les tables après avoir rétorquer posément :
-Eh bien nous verrons bien ce matin ! Je porte un jean et un adorable col roulé pour protéger ma gorge de ce froid hivernal. (Je fis mine de m'inquiéter pour elle) Faites attentions à vos bronches, je sais que le café est chauffé, mais tout de même.
Alors que j'allais en terrasse, je pus l'entendre gronder dans sa barbe mais n'ajouta rien de plus. Je refermai la porte pour ne pas laisser le froid entrer, et je pus en profiter pour libérer ce semblant de colère qui m'eut envahie plus tôt. Je fis tout de même attention à ne pas trop élever la voix.
-Mais quelle pétasse celle-là ! Va falloir qu'elle se détende un peu l'oignon…
-Quelle vocabulaire fleurie !
Piquant à fard à l'idée que l'on eut pu m'entendre jurer contre ma patronne, je me dressai vivement et lâchai un profond soupir de soulagement en voyant que ce n'était que mon ami qui arrivait enfin.
-Hyun…tu m'as fichue une de ces trouilles !
-Haha ! J'ai comme l'impression que tu as essuyé une nouvelle dispute avec Clémence ?
Je fis le tour de la table que je nettoyai pour lui faire la bise.
-Boh, pas vraiment, mais ses remarques deviennent de plus en plus déplacées…avouai-je en me remettant au travail. Je ne pus m'empêcher de jeter un regard noir à Clémence à travers la fenêtre. Elle repartait en cuisine.
-Hé, m'appela-t-il d'une voix douce tout en s'accroupissant à côté de moi, les bras posés au bord de la table : Tu veux que j'aille lui parler ?
-Tu l'as suffisamment fait, Hyun. Assurai-je en posant mes yeux sur lui : Maintenant, elle profite de tes absences pour me descendre…Elle trouvera toujours un moyen de me rabaisser. (Je pris une profonde inspiration) M'enfin, elle a quand même admis que mes performances la soulageaient un peu. A tel point qu'elle a accepté de m'ajouter des heures sur mon emploi du temps.
-A-ah oui ? J'ai oublié de lui en parler, désolé.
-Ce n'est pas grave, maintenant c'est fait, lui souris-je : Vas-y avant qu'elle ne me saute à la gorge en pensant que je t'aguiche avec l'ourlet de mon jean !
-Q-Quoi ?
Je ris, oubliant un instant ma colère de tantôt à l'encontre de Clémence.
-Rien oublie, haha !
Lorsque les premiers clients arrivèrent, nous fûmes tous sur le qui-vive. Hyun trouva tout de même le temps me sortir quelques blagues entre deux de mes passages au comptoir pour lui déposer des commandes. Comme tous les lundi matin, je croisai le responsable administratif qui réclamait toujours le même café avec sa goutte de lait ainsi que d'autres professeurs d'Antéros. Hyun en reconnut deux de son bâtiment.
-Tu vois celle avec la veste moumoute ? C'est un tyran ! pesta-t-il en prenant un faux air mauvais.
Je pouvais dire que c'était de la comédie pour l'avoir maintenant vu deux fois avec une véritable expression dure et défiante. Peut-être l'eussè-je dévisagé trop longtemps alors que j'attendais qu'il me prépare les commandes, mais il me demanda s'il avait fait quelque chose de mal.
-Hein ? Pourquoi ?
-Je ne sais pas, je te trouve plus souriante d'habitude…
Ne voulant pas remettre sur le tapis ce qu'il s'était samedi soir, je détournai le regard en lui assurant que tout allait bien. Ce fut à son tour de me dévisager longuement, avec une expression assez suspicieuse. Il déposa la tasse de thé sur le comptoir, et au moment où je voulus la prendre pour la poser sur mon plateau, Hyun glissa timidement sa main sur mon poignet comme pour attirer mon attention.
-Tu me parles quand ça ne va pas d'habitude, qu'est-ce qui a changé Tallulah ? s'inquiéta-t-il sérieusement.
Mon cœur rata un battement…Je me voyais mal lui dire que je ne comprenais pas sa méfiance envers mon professeur. Si la première fois je parvins à faire semblant de ne pas être intéressée par Monsieur Zaidi, plusieurs jours s'étaient écoulés depuis, et je ne me sentais plus aussi sûre et certaine de pouvoir mentir à mon ami.
Redressant le menton, je lui souris aussi sincèrement que possible et pris sa main dans la mienne.
-Tout va bien, Hyun.
Il sourit en coin, pas très convaincu de ce que je pus voir, mais il n'insista pas. Mon collègue termina de préparer les commandes et je pus les apporter en terrasse. Les heures passèrent et il était bientôt l'heure pour Hyun et moi d'aller en cours. J'essayai de garder bonne figure jusqu'au bout même si je me sentais un peu fatiguée. De nouveaux clients vinrent s'installer à l'intérieur, et je souris de toutes mes dents, retrouvant un regain d'énergie en voyant Rosalya et Leigh.
-Bienvenu à vous ! les accueillis-je en leur donnant une rapide étreinte : T'as fini t'es cours ? demandai-je à Rosa en les guidant jusqu'à une table libre et propre.
-Mon cours est reporté, comme Leigh ne travaille pas le lundi matin, on en a profité pour sortir un peu.
-Très bien, dans ce cas qu'est-ce que je vous sers ?
-Ooh, une grande cup de chocolat chaud avec de la guimauve et un croissant aux amandes s'il te plaît. (Elle me regarda de haut en bas) Je ne m'y ferais jamais à ce tablier.
-Haha, mais si, regarde j'y arrive bien moi ! Leigh, que prendras-tu ?
-Un thé vert avec un sucre et un croissant comme Rosa. Au fait, mes félicitations, Rosalya m'a dit pour le studio.
-Attends, ne me félicite pas trop tôt je n'ai pas la confirmation encore !
Je leur fis un clin d'œil et filais donner la commande à Hyun. Depuis le comptoir, je pus entendre les bribes de leur conversation.
-J'espère que ça ne te pose vraiment pas de souci…
-Mais non chéri, toi aussi t'avais besoin d'évacuer ! Tout le monde à le droit à un confident. Et je te l'ai dit, je suis même rassurée que tu aies trouvé quelqu'un à qui parler. Je sais que c'est dans ta nature, mais être trop réservé n'est pas bon à ton âge.
-A mon… ? Peu importe, haha ! J'avoue que le courant passe très bien avec Rayan. Depuis Juillet maintenant qu'on se côtoie, j'ai bien envie de l'inviter à dîner un soir.
-Bien sûr, on fera ça quand vous on aura tous un soir de libre. Mais déjà, il vient avec nous Samedi, histoire de fêter avec nous la nouvelle !
Hyun déposa tout ce qu'il fallait sur un plateau et me prévint qu'il partait se changer et qu'il m'attendrait dehors. J'opinai d'un hochement de tête et apportai ma commande à mes amis.
-Voilà pour vous ! Et en plus je clôture ma matinée avec les meilleurs clients qu'on puisse souhaiter.
-Ah, la belle-sœur nous quitte déjà, plaisanta Leigh en remuant son thé.
-Leigh… rouspéta gentiment Rosalya mais cela me fit plus rire qu'autre chose.
-Pas de problème Rosa.
Je les embrassai tous les deux et partis à l'arrière-boutique prévenir Clémence que je m'en allais. Puis, une fois mon uniforme rangé dans mon sac de cours, je filai rejoindre Hyun qui sautillait sur place pour se réchauffer. Le bousculant gentiment, je courus devant lui en criant qu'il ne serait jamais assez rapide pour me rattraper. S'entama une course poursuite jusqu'à la fac que Hyun perdit de peu. Une fois dans la cour, je le vis foncer sur moi pour me chatouiller et me punir d'avoir triché. Je lâchai un cri alors qu'il me portait sur son épaule en me secouant comme un prunier. Je ne m'attendais pas à ce qu'il ait autant de force, j'étais plutôt lourde…
-Haha ! H-Hyun Haha, arrête ! Repose-moi haha !
-C'est ta punition pour avoir triché, mwahaha !
-M-mais non ! ris-je : C'est toi qu'est nul !
Entre la course et mes rires, j'avais du mal à reprendre mon souffle. Hyun décida enfin à me poser sur un banc alors que tout le monde nous regardait avec des yeux étranges, parfois amusés, moqueurs ou attendris. Me tenant les côtes, je soupirai d'aise maintenant que j'étais libérée de son emprise. Je ressentis une petite douleur à mon bas ventre et me dis qu'il me secoua peut-être un peu trop fort.
-J'te jure…j'ai perdu cinq kilos !
-Oh bah oui, au moins ! se moqua mon ami en s'installant à mes côtés. Il passa son bras derrière moi tandis que je répondais à un message que Chani m'eut envoyée à l'instant. Apparemment, elle n'avait rien loupé du spectacle et se trouvait sur les marches du bâtiment d'art. Curieuse et empressée de retrouver mon amie, je tournai la tête et la cherchai des yeux tout m'avançant vers le bâtiment. Mon sourire se fana aussitôt que je croisai les yeux perçant de Monsieur Zaidi qui se tenait juste à côté d'elle et du Directeur.
-Quelle fougue ! Il y a des jours où j'aimerai avoir la même énergie, fit le Directeur en s'adressant à Hyun et moi. Lui non plus, n'avait rien raté de notre entrée.
-Surtout avec une matinée de boulot au café, je ne sais pas si je vais avoir la même énergie quand j'irai bosser demain, souligna Chani à qui je fis la bise.
Je saluai poliment le Directeur ainsi que mon professeur qui ne me lâchait pas des yeux.
-Ah oui ? En voilà des jeunes gens courageux. Vous êtes également en Art ? demanda le directeur à mon collègue. Ce dernier n'eut pas le temps de répondre que Monsieur Zaidi le fit à sa place.
-Non, il n'est dans aucun de mes cours.
Hyun plissa un œil, comme agacé et ajouta :
-Je suis en info. Com. En M2, comme Tal'.
Il sourit au Directeur, mais n'omit pas de lancer un lourd regard à mon professeur qui arqua un sourcil. Je vis les muscles de sa mâchoire se crisper… Qu'est-ce qu'il leurs prend !? Chani ressentit visiblement le malaise et m'interrogea en silence. Souriant à mes aînés, je me tournai vers Hyun qui avait gravi une marche supplémentaire pour arriver à ma hauteur.
-D'ailleurs, tu vas être en retard Hyun… Chuchotai-je : C'est toujours toi qui m'accompagne, la prochaine fois ce sera mon tour, promis.
Son visage se radoucit et j'en fus soulagée. Alors que je me penchai pour lui faire la bise, Hyun prit mon visage en coupe et se pencha au-dessus de moi pour déposer un baiser, aussi léger qu'une brise, sur mon front qu'il eut avec douceur dégagé dessous mes cheveux. Cela lui fut déjà arrivé de m'embrasser à cet endroit, tout comme moi, comme je le faisais un peu à tous mes amis…mais je sentis une différence dans celui-ci qui me surprit à un point que j'eus un certain temps de latence avant de retrouver mes esprits. Déjà au loin, je vis mon ami trotter jusqu'à sa section et nous saluait Chani et moi d'un signe de la main.
-Ah, l'amour…un soutien indéniable en cette période difficile de vos études.
Jamais je ne m'étais sentie rougir aussi nettement qu'à ce moment-là. Le Directeur ne pensait bien évidemment pas à mal, et semblait même fier de sa remarque. Pour ma part, les mots me manquaient, et le courage de croiser leurs regards respectifs aussi. En baissant les yeux, je remarquai alors la main de Monsieur Zaidi, serrer avec force l'anse de sa mallette avec tant de force que ses phalanges blanchirent.
Si le Directeur et Chani reprirent à converser allègrement tout en se dirigeant vers l'amphi, le silence fut palpable entre Monsieur Zaidi et moi qui marchions en retrait. Je lui jetai un coup d'œil furtif, son regard restait fixe, porté droit devant lui. Une fois dans l'Amphi, Chani et moi nous installâmes aux mêmes places que la semaine dernière, bien que j'eusses peut-être préféré être cachée dans le fond de la salle. Il fallait avouer que l'on entendait bien mieux devant, d'autant plus que Monsieur Zaidi n'utilisait pas de micro, comme la plupart des autres profs lors d'un cours magistral.
Les élèves entrèrent petit à petit tandis que le Directeur et lui continuaient vivement à discuter. Le plus âgé donna une enveloppe assez épaisse à l'autre, puis repartit. Le professeur n'eut même pas besoin de réclamer le silence que tout le monde se tut.
-Je vais distribuer le planning des examens. Nous les avons reçus ce week-end, malheureusement la plateforme informatique est en maintenance pour quelques temps, nous vous fournissons donc des polycopiés. Attention, il n'y a qu'un seul exemplaire par étudiant d'autant plus que c'est nominatif. Merci de prendre pour les absents.
Nom par nom, Monsieur Zaidi commença donc à distribuer les feuilles. Les élèves les plus éloignés descendaient en toute hâte pour ne pas faire déplacer le professeur à chaque fois. Me trouvant à une extrémité, je fis de même et alors que j'attrapai mon planning, il ne le lâcha pas aussitôt et murmura au plus bas : « J'aimerai vous parler ». Comprendre : Pouvez-vous rester à la fin du cours ?
Cette fois-là, je n'en avais pas du tout envie. Pas après ce qu'il m'avait dit samedi. « Fallait pas se sentir obligée » Vraiment, je ne savais pas pour qui il se prenait… Je retournai à ma place, le cœur serré en jetant un rapide coup d'œil à mon planning. Après que tous reçurent leur emploi du temps personnel des examens, un brouhaha général s'initia dans l'amphi, mais notre aîné parvint malgré tout à faire retrouver son calme à tout le monde. Sur le ton de la plaisanterie, il nous invita à profiter des festivités qui se déroulaient à la plage, ce week-end, car elles risquaient d'être nos dernières avant la prochaine ligne droite.
Je m'efforçai de maintenir ma concentration à son paroxysme, mais la fatigue de tantôt revint au galop avec un mal de crâne qui ne donna le tournis, même en étant assise. Plus d'une fois, je pris ma tête entre mes mains en essayant de comprendre ce que racontaient mes camarades en plein débat autour de la problématique de la semaine dernière, que nous devions approfondir, pour la conclure ensuite au prochain cours.
-Tout va bien ? me murmura Chani qui posa une main réconfortante sur mon genou. Je me redressai et lui souris.
-Cela va passer, juste un coup de fatigue.
Mes notes furent très brouillonnes… Mes camarades avaient encore plus de peps que vendredi et leurs voix semblaient raisonner dans mon crâne. Puis, un élan de panique me prit lorsqu'une une vive douleur s'enclencha au plus bas de mon ventre, et cette fois je sus que ce n'était pas à cause de Hyun. Oh non… Je priai pour que je me fasse de fausses idées, mais en réalisant que nous étions en fin de mois je me frappai intérieurement de ne pas avoir était plus prévoyante.
Entre les cours, le boulots et mes recherches pour un nouveau logement, j'eus complètement oublié l'arrivée de mes règles qui étaient pourtant du genre à se pointer à date fixe. Par automatisme, je serrai les jambes alors que je sentais mon visage s'enflammer d'embarras. Si ma mère vivait très bien ses menstruations, pour ma part, c'était une véritable torture. Les crampes étaient insupportables et je sentais déjà mes jambes trembler. Je comprenais mieux d'où venait cette subite fatigue et atroce migraine…
Monsieur Zaidi me lança plusieurs coups d'œil en coin, et je priai pour qu'il ne m'interroge pas. Ma concentration était aux abonnées absentes, et mes camarades semblaient avoir plus d'aplomb que moi de toutes façons. Le reste du cours fut des plus stressants, et une fois la fin annoncée, Chani se tourna vivement vers moi et me sonda sérieusement.
-T'es pâle comme jamais…tu vas me dire ce qu'il ne va pas ?
-Je t'en prie, dis-moi que dans ton sac t'as des-
Je m'interrompis en voyant des élèves derrière mon amie qui essayaient de sortir de la rangée. Je m'écartai avec précaution, vins coller mon dos au mur des escaliers et les laissais tous passer. Monsieur Zaidi choisit ce moment pour s'avancer vers moi. Oh non, allez-vous-en ! Voulus-je lui hurler.
Chani l'interrogea du regard et notre aîné s'excusa auprès d'elle, lui informant qu'il aimerait discuter un moment avec moi. Il semblait attendre une réponse et je compris que ce qui s'était passé Samedi devait beaucoup le tracasser. Préférant mettre les choses au clair une bonne fois pour tout, j'acquiesçai en espérant que ça ne s'éternise pas non plus. Je n'ose pas me retourner de toute façon…
-Je t'attends en salle de repos ? me demanda Chani, toujours aussi soucieuse.
J'eus tellement envie de la rejoindre, mais clairement je n'osai plus bouger. En me mettant debout, j'eus senti la catastrophe vaginale arriver. Ne voulant pas pénaliser mon amie d'aller déjeuner, je lui souris en lui assurant que ça ne serait pas long -car non, je n'avais pas le temps pour lui en cet instant- et que je la rejoindrai directement à la cafétéria.
Elle salua notre professeur qui s'excusa une nouvelle fois. Ah là mon pote tu peux t'excuser !  Rageai-je, prise d'une bouffée de chaleur. La douleur au bas de mon ventre persistait et ça en devenait insoutenable…
Monsieur Zaidi allait pour retourner à son bureau, mais, ne me voyant pas bouger il prit appui sur le bord de la table où je fus précédemment installée et soupira.
-Ecoutez, je ne veux pas paraître désobligeant mais il serait peut-être temps que l'on discute sérieusement de ce qu'il se passe entre nous en ce moment.
Et moi j'ai sérieusement besoin d'aller aux toilettes ! me retins-je de lui balancer. Mais je restai d'accord avec lui, nous avions réellement besoin de dialoguer.
-D'accord, dis-je simplement en essayant de calmer les tremblements dans mes jambes.
Monsieur Zaidi arqua un sourcil tout en me dévisageant longuement. Puis, semblant excédé, il me sortit les mêmes mots que samedi…
-Bon, ne vous sentez pas obligée de discuter si vous ne le voulez pas, ce n'est pas parce que je suis votre professeur que-
-Ok, là je vous arrête de suite ! lâchai-je un peu sèchement. Mais l'urgence du moment et son attitude un brin prétentieuse me hérissaient le poil : Certes vous êtes plus âgé, vous êtes mon professeur, en sommes vous avez tous les statuts de la personne proclamant « l'autorité ». Mais je suis encore capable de savoir ce que je veux sans qu'on me prenne par la main. Vous vouliez parler, j'ai accepté car j'estime qu'il est également temps de le faire. Pour tout vous dire, j'ai un peu de mal à vous suivre, alors parlons.
Et faisons vite, pitié ! J'essayai vraiment de faire abstraction de mes vertiges mais mes jambes flagellaient de plus en plus sous la douleur des crampes. Mon aîné se redressa en m'adressant un regard fort surpris. Ne sachant que faire de ses mains, il en glissa une derrière sa nuque et l'autre dans la poche de son pantalon. C'est bien la première fois que je le sens vraiment déstabilisé.
-J-je…je ne voulais pas vous blesser. Je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses, si mes mots vous ont paru présomptueux. Pour dire vrai, quand j'ai compris que vous ne travailliez pas samedi soir, je me suis dit que vous aviez simplement voulu faire bonne figure et j-je…
-Bonne figure ?
Ce fut plutôt en cet instant que j'essayai de le faire, mais pour de toutes autres raisons.
-Si la subtilité ne fonctionne pas, alors autant être claire : ça me fait plaisir de vous voir, et ce n'était certainement pas pour faire bonne figure que j'ai accepté de vous servir un café samedi. J-je voulais simplement… ah !
N'y tenant plus, mes jambes se coupèrent sous la douleur des crampes.
-Hé ! Tallulah, que se passe-t-il !?
Oh non… Monsieur Zaidi s'était précipité pour me relever tandis que l'inquiétude se peignait sur son visage.
-Ça va passer, ne vous en faites pas… marmonnai-je en serrant les dents. Les mains tremblantes sous la crainte qu'il ne remarque quoi que ce soit, je rassemblai le reste de mes affaires et m'excusai auprès de lui. Mais je n'osai pas non plus traverser le hall ni la cour… Et si j'avais une tâche ?
J'ignorai ce qui m'agaçait le plus dans cette situation, le fait de me retrouver ainsi devant Monsieur Zaidi, ou simplement que je me morfonde autant pour quelque chose de naturel et inévitable pour la femme que j'étais. J'aurai dû y penser ! J'aurai dû ! me répétai-je en m'en voulant tellement pour cet oubli. Je n'avais rien sur moi, tout était dans ma chambre…
Me saisissant fermement par le bras, mais sans aucune brusquerie, mon aîné m'aida à marcher jusqu'en haut de l'amphi où se trouvait la sortie.
-Pardon de ne pas l'avoir remarqué avant, vous étiez bien silencieuse en cours, je pensai que ça avait un rapport avec nous mais c'était parce que vous étiez malade, n'est-ce pas ?
-Pas vraiment…je-
D'instinct, je vins placer mes mains derrière moi afin de camoufler d'éventuelles tâches de sang. Ce fut à ce moment que Monsieur Zaidi, semblant comprendre, me demanda avec hésitation :
-Vous avez de quoi vous changer ?
Penaude, je secouai la tête sans pouvoir le regarder. Soudain, il retira hâtivement sa veste qu'il enroula autour de mon bassin. Paniquée, je commençai à la retirer en lui expliquant que je ne voulais pas la salir. D'un geste bienveillant, il attrapa mes mains et renoua les manches autour de ma taille.
-Ce n'est qu'un vêtement, Tallulah. Et puis, ça m'embête de ne pouvoir rien faire… Si ce n'est vous accompagner au dortoir.
-J-je vais appeler Chani. Je ne suis pas bête, je sais très bien que ça risque de jazzer si jamais l'on vous voit entrer au dortoir avec une étudiante.
Mon aîné serra plus fort mes mains qu'il eut gardées dans les siennes. Mes doigts glacés se réchauffaient contre les siens. Cependant, consciente du lieu où nous nous trouvions, je les retirai à contre cœur bien qu'il usât de la même pression jusqu'au bout des doigts.
-Comme vous voudrez. Sa voix ne fut qu'un souffle : Je vais rassembler mes affaires et attendre avec vous l'arrivée de votre amie. Vous tenez à peine sur vos jambes et je n'aimerai pas que vous vous retrouviez au sol une fois parti. (Il me guida jusqu'à un siège qu'il déplia) Installez-vous là en attendant.
Il dévala les escaliers sous mon regard attendri. J'en profitai pour appeler Chani qui décrocha bien rapidement.
« Hé bien ? Pourquoi il s'excuse cette fois, pour ne pas t'avoir assez interrogée ? »
Je ris malgré moi, et souris.
-Non, il voulait simplement me voir pour mon mémoire, mentis-je en me souvenant que mon aîné avait jeté un coup d'œil à mes recherches, samedi à la BU. Alors qu'il remontait les marches je l'entendis me souffler qu'il eût quelque chose pour moi à ce sujet-là. Je lui souris : En fait je t'appel car j'ai un petit souci d'ordre féminin.
« Oh… C'est pour ça que t'étais patraque tout à l'heure. Je me disais bien que tu avais un souci »
-Je mal géré ce mois-ci, d'habitude je prépare toujours de quoi me protéger, ainsi qu'une boîte de médicaments mais entre le boulot, les cours et l'appart'…(je pouffai d'exaspération) J'ai oublié le débarquement de Normandie !
J'entendis Monsieur Zaidi étouffer un rire. Me pinçant les lèvres, je me trouvai bête d'avoir sorti ça devant lui.
« T'es où ? Je t'apporte de quoi te sauver ! »
-J'aurai surtout besoin de revenir dans ma chambre, mais j'ai les jambes en coton à cause des crampes… Tu peux venir s'il te plaît ? demandai-je, un peu gênée de déranger tant de monde.
« Je suis déjà dans la cour, tu me vois dans quelques secondes. Ne bouge-pas, je connais ça aussi ! »
-Merci, t'es un amour Chani.
Nous raccrochâmes. Vive la solidarité féminine ! me hurlai-je en mon for intérieur. Assis à côté de moi, Monsieur Zaidi, recouvert de son long manteau noir, examinai un petit paquet de feuilles en souriant en coin.
-Pourquoi vous souriez ? osai-je demander.
-« Le débarquement de Normandie », bien la première fois que j'entends une telle expression pour parler des règles !
Achevée, je cachai mon visage entre mes bras croisés sur la table et gloussai nerveusement. Je repris contenance, relevai la tête bien que je sus d'avance que mon visage devait être rouge comme une tomate.
-Ma mère répétait ça à chaque fois que j'avais mes règles et que la douleur me clouait au lit. (Je soupirai) Bon sang que c'est gênant…
-Pourquoi ? Parce-que je suis un homme ? demanda-t-il avec sérieux.
-Oui et non, avouai-je : la situation en elle-même est gênante, pas le fait que j'ai mes règles, ça je n'y peux rien. Je n'ai pas été assez prévoyante.
-Un oubli, peu importe pour quoi, ça arrive à tout le monde Tallulah. Et surtout, ne soyez pas gêné par ça parce que je suis un homme. Ce n'est pas parce que je ne suis pas fait comme vous que je suis ignare sur le sujet. (Il se massa la joue) Je me sens juste idiot de vous avoir retenue alors que vous vous sentiez si mal. Je n'ai fait qu'empirer la situation…
-Même sans être ignare, il était difficile pour vous de deviner ce qu'il m'arrivait. Et puis…ce n'est peut-être pas grand-chose pour vous, mais c'est vraiment gentil, dis-je en triturant sa veste autour de ma taille.
Nous échangeâmes un sourire complice. Puis, prenant une moue hésitante mon aîné demanda :
-V-vous travaillez quand, au juste ? Au café je veux dire…précisa-t-il.
Si la question pouvait paraître bien banale aux yeux d'autres personnes, les sous-entendus que Monsieur Zaidi y enfouit me touchèrent bien plus qu'il ne pouvait l'imaginer.
-Le lundi matin, déjà ! ris-je en repensant à notre échange en compagnie du Directeur.
-Oui, déjà…, sourit-il, mi- amusé mi- amer. Je me demandai à quoi il pouvait bien songer en cet instant. Passant outre, je lui donnai mes autres horaires mais en précisant : Le Mardi soir et le Jeudi soir, je suis de fermeture. J'ai demandé des heures supplémentaires aussi, peut-être aurai-je d'autre soir de fermeture.
Il sa racla la gorge, et hocha la tête d'un air entendu.
-Vous repasserez ?
Je ne le lâchai pas des yeux, attendant sa réponse avec patience et sérieux. Mon aîné se mit à rire nerveusement, et croisa à nouveau mon regard avec un air évident. Dans un murmure, il avoua :
-Pourquoi vous demander vos horaires, si ce n'est pas pour venir vous voir ?
Si je n'avais pas ces crampes qui tordaient mon bas ventre, j'aurai pu croire que je flottai sur un petit nuage. En même temps, avec mes jambes en coton j'n'en suis pas loin ! Me fis-je remarquer. Chani arriva enfin et se précipita vers moi, armée d'une petite boîte en métal que beaucoup de femmes devaient connaître !
-Désolée, j'ai dû repasser dans ma chambre je n'avais aucune protection, moi non plus… (elle eut un air surpris) Oh ! Vous étiez là ?
-Oui, je n'ai pas osé la laisser seule.
Monsieur Zaidi se leva de son siège et me tendit le petit paquet de feuilles qu'il triturait depuis tout à l'heure.
-C'est pour vos recherches. J'ai pensé que ça pourrait vous être utile.
-Merci Monsieur, dis-je sincèrement en croisant son regard : Pour tout.
Il m'adressa un dernier sourire avant de nous ouvrir la porte et nous laisser sortir de l'amphi.
-Prenez-soin de vous, Tallulah.
Nous le saluâmes une fois pour toute tandis qu'il refermait l'amphithéâtre derrière lui. C'était l'heure du déjeuner, et le hall était désert. Ma démarche n'était pas très confortable, même en sachant que la veste de mon aîné me cachait. Malgré sa petite taille, Chani me soutenait avec beaucoup de force et m'accompagna jusqu'aux toilettes où je pus constater les dégâts.
-Rah, c'est pas vrai…
-Ça a tâché ? demanda-t-elle derrière la porte.
-Pas qu'un peu… Tu vas pouvoir garder tes serviettes, je vais me changer dans ma chambre. (Je grimaçai) Bon sang, ce que je peux avoir mal… me plaignis-je dans un murmure.
Même si je n'étais pas très friande des ascenseurs, je devais bien avouer que dans ces moments-là c'était très utiles.
-Imagine si ça nous arrive et qu'on doit monter toutes les marches de l'immeuble de Monsieur Castillon ? ironisa Chani.
-Je ne suis pas prête de refaire un nouvel oubli ! ris-je avec une pointe d'horreur dans la voix.
Une fois dans ma chambre, je proposai à Chani de s'installer sur mon lit ou à mon bureau le temps pour moi de faire un tour dans ma salle de bain.
-Je peux te piquer des gâteaux ? me demanda-t-elle depuis l'autre côté.
-Vas-y, fini-les même. Je parie que je t'ai coupé pendant ton repas… soulevai-je, l'air coupable.
-J'ai eu le temps d'engloutir mon omelette et ma salade de tomates ! Il n'y a que le dessert que j'ai dû reposer.
-T'as reposé le dessert ? J'ai pensé que tu l'aurais amené avec toi, haha !
-C'était une compote, j'aime bien mais sans plus. (Je l'entendis croquer dans un gâteau) Je préfère tes gâteaux !
Revenant dans ma chambre, propre et enfin protégée de toute catastrophe vaginale, je sortis une plaquette de comprimés de ma trousse de produits de beauté posée sur mon bureau et en avalais deux. Après quoi, je me laissai tomber sur mon lit en serrant un oreiller tout contre mon ventre. Chani me proposa un gâteau mais je ne pouvais rien avaler.
-A quelle heure commence le prochain cours ?
-Dans quarante minutes. Tu te sens capable d'y aller ? Je peux te passer mes notes tu sais.
-Je sais, lui-souris-je en prenant sa main dans la mienne : mais je vais essayer d'y aller. Je vais bien voir si les crampes passent un minimum.
Soudain, Chani fit le tour pour se positionner derrière-moi. Se blottissant contre mon dos, elle passa ensuite ses mains sous mon sweat à capuche (que j'eus troqué avec mon pull de ce matin) et se mit à masser mon ventre. « Je ne peux faire que ça ma chérie… » me disait Lysandre.
-Je ne peux faire que ça, j'espère que ça ne va pas te torturer toute la journée.
Ma gorge se noua. Lysandre faisait la même chose…songeai-je avec une douloureusement nostalgie autour de mon cœur. Il s'allongeait derrière moi, ses bras autour des miens, et une serviette chaude en main il massait mon ventre jusqu'à ce que la douleur s'apaise. « Tu l'aimes encore ? » Les paroles de Rosa firent écho dans mon esprit jusqu'à ce que la fatigue et la migraine aient le dessus sur moi et me plongent dans un profond sommeil. Ce fut la sonnerie de mon portable qui me réveilla, ainsi que Chani qui s'était également endormie. Je dus bouger dans mon sommeil, car je m'étais retrouvée face à elle, l'étouffant presque contre ma poitrine.
L'esprit dans la brume, je décrochai sans regarder le nom affiché sur l'écran.
-Allô ?
« Eh bien, on sèche ? »
-Priya ? questionnai-je d'une voix endormie.
« Houlà, je te réveille ? »
-Hm…grognai-je : ça va ?
« Haha, moi très bien, mais toi ? Comme je ne t'ai pas vu au cours de développement personnel, je me suis demandé si tu avais finalement succombé à l'envie de sécher. »
-Non, pas du tout, j'ai juste eu un coup fatigue. Chani et moi, on s'est allongées sur mon lit entre midi et deux et on a fini par s'endormir. Ton coup de fil nous a servi de réveil.
-Ça veut dire qu'on a raté le premier cours de l'après midi en plus de DP, me murmura Chani qui se frottait les yeux.
« Ah… pardon d'avoir dérangé votre sieste alors ! »
-Je te remercie surtout, grâce à toi on va pouvoir aller au dernier cours quand-même. C'était quoi le sujet en DP aujourd'hui ?
Je mis le haut-parleur afin d'entendre ce que Priya me racontait tandis que je me rafraichissais le visage. Mes jambes étaient encore très faibles, un peu comme le reste de mon corps, mais la migraine et les crampes avaient finalement plié bagage. Lorsque nous fûmes prêtes toutes les deux, je laissai mon amie sortir la première pour fermer à clé derrière elle, le portable toujours en main. Mais avant cela, je posai un regard affectueux sur la veste de Monsieur Zaidi que j'eus posée sur le dossier de ma chaise. Je me promis de l'amener au pressing avant de lui rendre.
En chemin, je terminai ma conversation avec Priya sur les explications du déroulement de mon rendez-vous avec Monsieur Castillon, et notre projet de se mettre en colocation avec Chani si tout se passait bien. Le dernier cours dura une heure et demi mais passa plus rapidement que nous ne le pensâmes. Sûrement parce-que nous nous étions permis deux heures de sieste juste avant…
Le soleil commençait à se coucher lorsque nous quittâmes le bâtiment d'art. N'allant pas au café ce soir, je proposai à Chani de réviser à la BU avant de prendre notre repas à la cafet'. En chemin, je pensai à la veste de Monsieur Zaidi.
-Te casse pas la tête avec le pressing, ça met trop de temps et tu risques de te retrouver avec un vêtement abîmé.
-Oh, ça sent le vécu !
-Haha ! Oui, et crois-moi, mieux vaut que tu la laves toi-même. T'as de la lessive dans ta chambre ?
-Oui, pour des lessives à la main au cas où je n'aurai pas le temps d'aller au lavomatique.
Une fois au chaud à la BU, nous nous trouvâmes un coin tranquille où nous pûmes réviser comme il se devait. J'en profitai pour lire les documents que mon professeur m'eut donnée pour m'aider dans mes recherches.
Il a réussi à dégoter des informations exclusives sur l'artiste dont on parlait samedi ! Emportée par l'enthousiasme et l'inspiration, je sortis des surligneurs de différentes couleurs pour récolter les informations qui me semblaient les plus pertinentes. Quand l'estomac de Chani cria famine, nous jugeâmes qu'il était l'heure de nous arrêter et d'aller manger. Il n'y avait pas grand monde, la plupart des étudiants mangeaient soit, plus tôt ou dehors. Chani et moi fûmes rejointes par des étudiants de notre classe qui nous reconnurent. Enfin, surtout la retardataire des deux. Mon amie sympathisa grandement avec l'un des garçons qui semblait en connaître un rayon sur les bars à ambiance Rock/Métal de la ville.
-Vous allez à la compétition de surf samedi ? demanda une des filles.
Chani et moi nous regardâmes avec un petit air confus, et secouâmes la tête en chœur. Nous en avions entendu parler, mais comme le surf n'était pas non plus ce que je préférai dans la vie…Et Chani non plus si j'eus bien compris.
-La compétition a commencé en octobre et se termine en février. Sa touche plusieurs villes, et chaque année depuis trois ans maintenant, notre ville prépare la deuxième partie de la compétition, nous expliqua-t-elle en sortant son téléphone.
-J'ai toujours cru que c'était un sport d'été…avouai-je sans vraiment trop savoir de quoi je parlais.
-Haha, t'es mignonne toi ! Le surf, c'est un sport de toute l'année, mais les meilleurs vagues sont en automne jusqu'au printemps. On pense souvent à tors que c'est un sport d'été car ça se fait sur les plages et qu'on relie la plage à la période estivale, mais ce n'est pas notre faute si la mer se trouve le plus clair du temps au bord des plages, expliqua un autre garçon.
-En fait, l'été les vagues ont même tendance à être plates. Du coup, le fun n'y est pas vraiment, renchérit la fille.
-Je vois qu'on fait face à des connaisseurs, souligna Chani.
-On fait parti du club de surf d'Antéros. Kelly a déjà fini deuxième il y a deux ans de cela !
-Woh, et tu participes encore cette année ?
Bien qu'on eût tous fini de manger depuis un moment, l'ambiance était si agréable que l'on resta jusqu'à la fermeture, à discuter autour de la table. Quand nous fûmes « chassés » de la cafet', certains proposèrent de terminer la soirée dans le salon du dortoir, ouvert 24h/24. Il arrivait qu'on nous propose des soirées films par moment, jeux vidéo ou jeux de société, organisées par l'association évènementielle liée au dortoir. Chani sembla hésiter entre aller se coucher ou continuer sa conversation avec ce fameux garçon, prénommé Charly, qui semblait lui avoir grandement tapé dans l'œil. Elle me lança un regard interrogateur et je ris en la poussant vers le groupe.
-Vas-y, moi je vais me coucher, mes crampes reviennent…
-Tu m'abandonnes ? plaisanta-t-elle tandis que nous échangions une étreinte.
-Moui…fatiguée.
-Bonne nuit dans ce cas, à demain.
-Merci, passe une bonne soirée.
Croisant les bras autour de mon buste et mon sac suspendu à mon bras, je me dirigeai vers l'escalier lorsqu'une voix m'interpella dans le couloir.
-Attends !
Je reconnus l'un des garçons du groupe. Camille, je crois… me dis-je en redescendant les quelques marches gravies pour m'avancer vers lui. Il était un tout petit peu plus petit que moi, une peau assez halée et tout aussi parsemée de taches de rousseurs que moi. Ces cheveux cendrés étaient courts mais sa frange était épaisse et coiffée un peu en pétard sur sa tête. Cela lui donnait un air assez décontracté et s'accordait très bien à ses yeux gris sombre emplis de malice. J'ai du mal à l'imaginer sur un terrain de rugby… me dis-je en me souvenant qu'il était capitaine du club de Rugby d'Antéros.
Je mis mon doigt devant mon sourire, pour l'inciter à parler moins fort, étant donné que des chambres se trouvaient au rez-de-chaussée.
-Ouais…euh, désolé. T-Tu ne viens pas avec nous au salon ?
-Désolée, je suis vraiment fatiguée… dis-je en toute sincérité.
-T'excuse pas ! C'est juste dommage, j'aurai bien aimé parler un peu plus avec toi. (Il haussa une épaule en se massant la nuque) Du coup, je me demandai si c'était possible qu'on s'échange nos numéros ?
Je baissai la tête pour cacher mon sourire gêné. Pas très subtil… Mais je trouvais ça flatteur, et mignon dans la façon de faire. Il remarqua sûrement mon rictus, car je le vis s'agiter et demander :
-Trop direct ? essaya-t-il en fermant un œil sceptique et m'adressant un sourire inquiet.
Je ris de bon cœur, attendrie. Il se mordit la lèvre inférieure en attendant ma réponse. Son visage s'éclaira avec un large sourire lorsque je sortis mon portable. De mon côté, je voulais simplement apprendre à le connaître en toute amitié, je n'étais jamais contre de nouvelles rencontres. Même si je sentis son approche enjôleuse, cela ne mènerait pas forcément à de l'amour. Je me souviens très bien d'amis que je connus en licence que j'eus abordés de la même façon mais d'où absolument rien d'autre qu'une très bonne amitié n'eut abouti.
-Vas-y, donne ton numéro Camille.
Il me regarda, surpris. Merde, je me suis trompée ?
-T'as bonne mémoire dis-moi ! s'exclama-t-il gaiement avant de me dicter son numéro.
Ouf ! J'aurai eu l'air bien bête sinon. Et ça suffisait pour la journée que j'eus passée. Une fois enregistré, je lui envoyai un smiley pour qu'il ait bien mon numéro.
-Par contre, tu peux m'épeler ton prénom s'il te plaît ?
-Ha ha ! Déjà, voyons si t'as bonne mémoire, plaisantai-je en le poussant gentiment avec mon pied.
-Talula ! il me sourit de toutes ses dents, fier de lui.
-C'est bien, fis-je en hochant la tête, faussement impressionnée : T-A-L-L-U-L-A-H, terminai-je tout en remettant mon portable dans mon sac.
-Ah, ouais, dans ma tête c'était plus simple quand même…pouffa-t-il en pianotant sur son portable.
Mes crampes devenaient à nouveau douloureuses, et je lui fis comprendre que je voulais aller me coucher.
-On se voit demain en cours ?
-Bien sûr ! Bonne nuit Tallulah, chantonna-t-il presque en courant rejoindre les autres au salon.
Amusée, je gravis les marches jusqu'à ma chambre. Je m'entraîne pour mon nouvel immeuble ! J'ouvris doucement la porte, et éclairai l'intérieur avec la lumière de mon portable. Lorsque je vis que Yeleen n'était pas là, j'ouvris la lumière et m'installai à mon bureau. Je préparai mes cours pour demain, lorsque mon portable se mit à vibrer. J'écarquillai les yeux en voyant déjà un message de Camille.
« Il y a une soirée jungle-speed mercredi, tu y seras ? »
Je ne répondis pas tout de suite, et terminai de préparer mes cours. En me tournant pour reposer mon sac, ma main effleura la manche de la veste de Monsieur Zaidi. Fermant les yeux, je vins coller mon front contre le dossier sa ma chaise, et humai le parfum qui imprégnait le vêtement. Notre conversation m'a tout de même laissée un goût d'inachevé…
Je me sentais si mal sur le moment, que j'ai du paraître plus bornée et capricieuse qu'autre chose. J'avais honte de la façon dont je m'étais adressée à lui. Pourtant, c'était ce que j'avais sur le cœur… J'avais tant voulu lui dire que mon attitude de samedi n'avait rien à voir avec un geste poli d'une serveuse aimable prête à faire « bonne figure » pour le service quitte à s'ajouter quelques minutes de boulot. Non, derrière ce geste, je voulais…
Je voulais simplement rester avec vous.
Lavée à la main avec délicatesse pour ne pas abîmer le tissu, je posai la veste sur un cintre que j'accrochai sur le porte serviette de la salle de bain. Le lendemain, je profitai de commencer les cours tard pour repasser le vêtement. J'inspectai le moindre centimètre carré de tissu, à la recherche d'un accro ou d'une tâche oubliée. Mais rien, la veste était nickel et après l'avoir pliée je la glissai dans un sac en papier qui provenait de la boutique de Leigh. J'étais du genre à les accumuler, peu importe de quelle boutique je sortais, pour y ranger des bibelots qui traînaient.
J'ignorai si Yeleen était rentrée cette nuit, en tout cas, son lit était intact. Je profitai du temps qu'il me restait pour nettoyer la chambre et la salle de bain. Avant de quitter définitivement la chambre, je vérifiai si j'eus bien mis mes protèges slips et mes médicaments au fond de mon sac. C'est bon !  Je n'avais pas cours avec Monsieur Zaidi aujourd'hui, mais je pris quand même sa veste avec moi au cas où je le croiserai. Je peux toujours aller en salle des profs, ce n'est pas comme si les élèves ne pouvaient pas y aller. Comme je voulais également lui demander comment il avait pu avoir autant d'information au sujet de l'artiste qui inspirait mon mémoire, cela ferait une bonne excuse pour le voir et lui rendre sa veste en catimini.
Je me sentais vraiment de bien meilleure humeur qu'hier ! Mon portable vibra, je crus alors que c'était un message de Chani qui m'attendais pour le petit déjeuner.
-Mince ! J'ai oublié de répondre à Camille !
« Coucou toi ! Toujours au lit ? Chani est à la cafétéria avec nous, tu nous rejoins bientôt ? »
Je lui répondis que j'étais en chemin, et que je réfléchissais encore pour la soirée jeu de société de demain soir.
« On te garde une place. »
J'allais pour ranger mon portable dans mon sac, lorsque je reçus un appel. Décidemment…
-Hyun ? fis-je d'une voix guillerette.
« Oh, j'en connais une qui a bien dormi ! Tu vas bien ? T'es au dortoir là ? »
-Alors, oui j'ai bien dormi, oui je vais bien mais non je ne suis pas au dortoir j'allais au réfectoire pour petite déjeuner. Et toi ? Ça va ?
« Très bien merci, par contre on peut déjeuner ensemble ? Je dois te donner ton nouvel emploi du temps, Clémence me l'a transmis hier soir, je n'ai pas eu le temps de te l'envoyer je devais réviser mon oral… »
-Oh, pas de souci je t'attends dans la cour. (Je soupirai) Elle aurait pu me l'envoyer au lieu de t'embêter, sérieux…
« Haha, ce n'est rien va ! Allez, à toute' ! »
Nous raccrochâmes et je me retrouvai à l'attendre dans le froid. Le soleil n'était pas encore levé, ça me faisait toujours étrange d'aller en cours les matins hivernaux. Heureusement, Hyun ne tarda pas tellement à arriver. Je le vis courir sous les lampadaires qui éclairaient la cour. M'avançant vers lui avec le sourire, nous nous fîmes la bise mais cela eut pour réflexe de le faire frissonner.
-Brr, t'es gelée !
-Oui, bah… fait pas chaud très cher !
-Viens-là, (il passa un bras autour de moi et me frictionna vigoureusement) Go manger !
-Chani et les autres nous attendent, dis-je alors que nous passions les portes.
-Les autres ? répéta Hyun, curieux.
Je désignai une table assez peuplée depuis laquelle Camille et Chani nous firent un coucou de la main.
-Ce sont des étudiants de ma classe, on les a rencontrés hier soir avec Chani et je crois qu'il y a du coup de foudre dans l'air, souris-je en prenant un plateau.
-Ah oui ?
Je lui racontai notre soirée avant de lui demander comment se passer les révisions pour son oral.
-J'ai demandé à Morgan de m'aider pour mes révisions, mais il n'avait absolument pas la tête pour ! pesta-t-il : Il ne prenait rien au sérieux hier soir, j'te jure ! Il m'a presque conseillé de réviser tout nu devant un miroir, ça me décomplexerait paraît-il…
-Haha !
-Et ça te fait rire ? Quelle femme cruelle tu es…plaisanta-t-il en prenant un faux air blessé.
-Tu n'as toujours pas compris que je n'étais pas fréquentable ? Oh, Hyun…écoute un peu Clémence, voyons !
Mon ami rit aux éclats alors que nous étions en train de rejoindre la table de Chani et cie. « Je ne vais pas déranger ? » me chuchota Hyun. Un peu brusquement, je le poussai vers la table, l'empêchant de faire demi-tour.
-Je vous présente Hyun, ça ne vous dérange pas qu'il vienne manger avec nous ?
J'avouai ne pas leur avoir donné trop le choix. Chani s'en amusa alors qu'elle se décalait pour que je puisse ajouter une chaise à Hyun. Mon ami semblait un peu embarrassé, mais son sourire m'assura qu'il me remerciait de ne pas l'avoir rejeté.
-Merci, murmura-t-il avant de s'assoir.
-Je te connais depuis longtemps qu'eux, s'ils avaient refusé je serais partie… répondis-je sur le même ton.
Une fois que nous fûmes tous deux assis, nous fîmes de rapide présentation avant de commencer à manger. Les autres avaient déjà bien entamé, un peu normal vu le temps que nous mîmes à les rejoindre. La plupart s'étaient remis à parler de la compétition de surf et de la soirée dansante qu'organisait le restaurant de plage juste après. Pendant le repas, Hyun en profita pour me donner mon nouvel emploi du temps.
-Il prend en compte quand ?
-La semaine prochaine, pour que tu puisses t'organiser.
Je croquai dans ma clémentine.
-Hm, c'est toi qui lui a proposé où ça vient d'elle ?
-Ne soit pas si méfiante ! rit-il en reposant son portable.
Je vins poser mon menton sur son épaule et le défiai du regard.
-Ce n'est pas toi qui disait que je ne méfiai pas assez justement ?
Il approcha son visage dans l'espoir de confronter également mon regard, mais ne sachant pas quoi répondre, il capitula et baissa les yeux sur ses céréales. Un peu chipie, je lui tirai la langue avant de me remettre à manger. Ce que je partageai avec Hyun me rappelait beaucoup ce que je vécus avec Stéphan, dans mon ancienne fac. Ce dernier sembla en joie lorsque je lui eus parlé de l'appartement que je venais de visiter avec Chani. « On se voit bientôt, hein ! » Me fit-il promettre.
Nous discutâmes avec tout le monde mais fûmes tout de même les derniers à rester à table. Chani avait proposé à Charly de retourner au salon en attendant le début des cours, et les autres s'étaient éparpillés. Je regardai mon amie partir du coin de l'œil, un sourire en coin.
-Tu sais que tu fais peur avec cette tête-là ?
-Oh, avoue qu'ils sont mignons.
Hyun tourna la tête dans la direction des portes. Le petit « couple » avait déjà disparu de notre vue.
-Il n'y avait pas que pour eux que ça sentait le coup de foudre, souligna-t-il sans pourtant comprendre de quoi, ou plutôt à qui il faisait allusion.
-Une fille t'a tapé dans l'œil ? essayai-je, et il se mit à froncer les sourcils. Qu'est-ce que j'ai dit ?
-Non, je pensai plutôt à celui qui n'arrêtait pas de nous regarder de travers. Ou plutôt, me regarder de travers…
-Lequel ? Je vais lui parler moi, il va voir qu-
-Tal', rit Hyun un air désabusé : S'il me regardait ainsi ce n'était pas pour me provoquer, mais il devait peut-être me voir comme une gêne. Enfin, je l'ai senti comme ça.
-C'était peut-être quelqu'un de timide qui préfère observer dans son coin…T'as retenu son nom ?
Il se massa la nuque d'un air pensif.
-J'veux pas dire de bêtise comme je sais que c'est un prénom de fille… Mais Camille, je crois…
Oh…
J'avalais ma bouchée de tartine beurrée, puis repris :
-Ah, oui, lui. (Je hochai la tête) C'est bien son prénom oui, mais c'est unisexe. Je n'ai pas fait gaffe s'il te regardait étrangement.
Hyun haussa les sourcils avec stupeur.
-Pourtant j'ai bien senti son relent de testostérones s'abattre sur moi.
-Oui bon, je crois savoir pourquoi il t'a regardé comme ça, rétorquai-je en repensant à hier soir. Je poursuivis en reprenant d'une voix plus basse : On a échangé nos numéros. Bon, même s'il ne m'intéresse pas au premier abord, je veux bien apprendre à le connaître, je n'ai pas de souci avec ça. Mais là, ce que tu me dis confirme mes doutes : il avait bien des petites intentions cachées en me demandant mon numéro.
-En même temps, qui n'a pas « d'intentions cachées » en demandant le numéro à quelqu'un ? lâcha-t-il, un peu acerbe.
Je fronçai les sourcils et lui dis :
-Pardon, je ne pensai pas que tu voulais coucher avec tous les contacts de ton répertoire !
-Mais non, soupira-t-il en rougissant : Mais dans sa façon de demander, t'as bien du voir quelque chose, non ?
Je haussai une épaule :
-J'avais bien un doute, mais je n'allais pas non plus me faire des films. Si je dois m'inquiéter des arrières pensés de toutes les personnes qui me demandent mon numéro je n'ai pas fini. Je ne le donne pas à n'importe qui non plus, si c'est ça qui t'inquiète…
Sans vraiment le vouloir, je pris une moue renfrognée. Hyun se montrait de plus en plus sec avec moi ces temps-ci.
-Je n'ai pas dit ça, Tal', c'est juste que…(Il soupira) Oublie.
Il se remit à manger, et un silence un peu lourd s'installa entre nous. Je n'aimai pas ça du tout, Hyun et moi avions pris l'habitude de parler ouvertement, mais j'eus l'impression que depuis ce fameux soir au café où me trouva en compagnie de Monsieur Zaidi, Hyun avait dévoilé un aspect de sa personnalité que je ne lui connaissais pas encore. Jamais je ne lui demanderai de changer, je voulais simplement savoir si c'était bien qu'il s'ouvrait justement de plus en plus à moi et se décidait à me montrer son côté soupe au lait, ou bien si ce n'était qu'une passade due à quelque chose que j'eus dite ou faite…
Tout ce que je souhaitai, était que ça s'arrange.
A suivre…
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devonis · 6 years ago
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Chapitre 3 : Par Elle
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Tallulah
Je me réveillai de bonne heure, bien avant que mon réveil ne sonne. Je pouvais toujours entendre Yeleen dormir profondément alors je me préparai sans faire de bruit. Une fois dehors, je me dirigeai vers mon lieu de travail. Clémence n'arriverait que dans l'après-midi, nous nous retrouvions donc seuls avec Hyun pour tenir le café.
-Wah, t'es matinale dis-moi, s'enjoua mon ami qui vint me faire la bise.
-Bonjour Hyun ! Oh…je n'ai pas cessé de me retourner dans mon lit. Je pense à mon rendez-vous, j'ai appelé le propriétaire de l'annonce, tu sais.
-Morgan m'a dit, oui. Je n'ai pas eu le temps de te contacter j'ai passé beaucoup de temps à réviser.
-Pas de souci…fis-je, peu sûre de moi. J'enfilai mon uniforme.
-Euh, tout va bien ?
-Disons que j'essaie de me souvenir quand est-ce que j'en ai parlé à Morgan, avouai-je en comprenant peu à peu qu'Alexy avait dû lui en parler. Je commençai à préparer les tables.
-Oh…t-tu ne voulais pas en parler ?
-Justement, si, mais j'aimerai bien qu'on me laisse le TEMPS de parler, rétorquai-je d'une voix enrobée d'un rire nerveux. Je soupirai avant de reprendre : Enfin bon, du coup, je vais visiter l'appartement avec Chani. Comme ça, si l'annonce s'avère être la plaisanterie du diable, elle saura quoi faire !
-Q-quoi !?
Hyun stoppa son geste tandis qu'il préparait l'écriteau à l'entrée. Je ris face à son air ahuri.
-Haha ! Désolée, une blague entre elle et moi !
-J'aurais bien voulu t'accompagner, mais je suis de service toute la journée. Tu me tiendras au courant pour la réponse ?
-Bien sûr ! En espérant qu'Alexy ne joue pas la commère haha !
Nous continuâmes à discuter dans la cuisine, le temps de préparer les pâtisseries et autres collations que proposait notre enseigne. Nous dérivâmes sur nos inquiétudes au sujet des partiels qui arrivaient à grand pas. Hyun préparait un oral pour le début du mois de décembre, et semblait en stress.
-Je devrais être habitué depuis le temps, mais c'est plus fort que moi, peut-être que si ça s'appelait autrement qu'un « oral », je ne sais pas…
-On ne croirait pas en te voyant si à l'aise au café, avec les clients, que tu balises à l'idée de passer un oral.
-Ma prestation au café n'a pas de répercussion sur mes crédits ! s'agita-t-il en tirant désespérément sur les bretelles de son tablier.
Je ris aux éclats tout en apportant les pâtisseries en salle de service. J'examinai l'heure sur ma montre, les clients n'allaient pas tarder à arriver. Même si je m'habituai au sale caractère de Clémence, je devais bien avouer que je me sentais vraiment plus à mon aise sans l'avoir sur mon dos. Mon service se passa sans encombre, je reconnaissais même les clients familiers avec l'établissement tout comme eux qui m'appelaient par mon prénom. Hyun se sentait moins seul et cela donnait un côté un peu famille. Ça me plaisait bien !
-Ma serveuse préférée ! entendis-je tandis que je préparai un chocolat chaud.
-Priya ! Comment vas-tu ? m'enjouais-je en voyant mon amie prendre place au comptoir.
-Mais très bien merci, et toi ? Je pourrai avoir un cappuccino à la vanille ?
-Tout de suite ! (Je sortis une tasse que je posai à côté de moi avant d'aller servir mon autre client) Bah écoute, ça va, je suis sur un coup pour m'évader de prison !
-Haha ! Toujours à la recherche d'un autre logement ? J'ai des contacts si tu veux, je peux toujours demander.
-Figure-toi que j'ai trouvé un appartement qui semble valoir le coup, (je parlais plus fort) mais comme je me fais traiter de naïve… !
-Je n'ai pas dit ça ! intervint Hyun presque outré qui s'en aller servir des clients en terrasse : Je te dis juste que tu ne te méfies pas suffisamment des gens…
Sa silhouette disparut.
-J'ai raté quelque chose ? osa demander Priya. Je lui servis son cappuccino : Merci ma belle.
-Tiens, attends…On a trouvé cette annonce au supermarché avec Alexy.
Priya s'accorda quelques instants pour la lire en silence.
-Il n'y a pas de photo ? Juste ce papier ? Hmm…j'veux pas faire mon Hyun, mais essaie de poser un maximum de question, histoire d'être sûre et certaine dans quoi tu t'engages.
-C'est gentil de t'inquiéter, mais oui je vais tout passer au peigne fin. Et puis c'est juste une visite, je n'ai encore pris aucune décision.
Priya me sourit, les lèvres pincées sur le rebord de sa tasse. Mon service se termina à quinze heures, et après avoir salué Hyun je décidai de passer un coup de fil à mes parents à qui je n'avais pas pris le temps de parler de mon rendez-vous. Je conversai, tout en me rendant à la fac, ma main libre dans la poche de ma veste en similicuir. Le froid mordait de plus en plus, et le vent avait décidé de se lever aujourd'hui. Mon crâne frissonnait sous Les parties tondues très coutes de mes cheveux, même voilées sous le reste de ceux bien plus longs. Je ne vais peut-être pas retourner arranger ma coupe tout de suite, me dis-je en écoutant mes parents se disputer sur qui viendrait m'aider pour le déménagement si je trouvai un appartement.
-Mais ne vous dérangez pas, je peux toujours louer un camion pour la journée.
« Ah oui ? Et ta voiture, tu comptes la laisser chez nous encore longtemps ? Là t'étais au dortoir, donc j'étais d'accord pour que tu la laisses ici et que tu utilises les bus pour tes courses et les trains pour revenir nous voir. Mais bichette…imagine que tu te trouves un studio trop loin des bus ? Puis avec les manifestations, on ne sait jamais, tu pourrais ne pas pouvoir prendre de train pour les vacances ! Non, ton père et moi te ramenons ta voiture ! Pourquoi t'être payée le permis sinon ? »
-Ouais…ta raison Moune…Mais et vous ?
« Il faudra bien qu'on te ramène tes affaires, le garage commence à être petit depuis que tu as ramené ce qu'il y avait dans ton ancien studio. Du coup, ton père hésite à prendre les deux voitures plutôt de repartir en train. »
-Je vous referais un plein. Sinon, t'as lu mon message au sujet de la bourse ?
« Ouiiii ! Rah, bah oui on s'y est pris tard, va falloir que tu gères avec tes économies des deux dernières années et ton salaire ma puce…Bon, t'as été sérieuse l'année dernière, je sais que ça va bien se passer. (Elle renifla bruyamment, un peu agacée) Mais je savais que tu n'aurais pas pu rester au dortoir cette année ! Ecoute ta mère ! »
-Oui moumoune…marmonnai-je d'une moue penaude.
Nous restâmes à discuter ensemble jusqu'à ce que je passe le portail de la fac.
-Bon, je vais bosser mon mémoire, je te recontacte après le rendez-vous, d'accord ?
« Avec plaisir ma chérie, allez, ton père et moi on t'embrasse ! »
Je pus entendre au loin la voix de mon père qui m'embrassait. Le sourire aux lèvres, je rangeai mon téléphone dans mon sac et me rendis dans ma chambre récupérer mes cours.
-Tu quittes la chambre ? me lança subitement Yeleen, laquelle je pensais être occupée à lire son manuel.
-Je vais réviser à la BU, pourquoi tu veux savoir ça ? demandai-je, sincèrement surprise de la voir s'intéresser à moi autrement que pour me faire un reproche.
-Mais non…(elle désigna la pile de catalogues sur ma table de chevet) Tu t'en vas ? Sa voix se fit étrangement mielleuse. Un peu comme la fois où elle s'était mise en tête de décaper notre chambre ! Méfiance Tallulah, méfiance…
Je croisai son regard un instant sans rien dire. Je répondis avec prudence, pour le coup, je n'avais pas l'impression qu'elle ressentait l'envie d'entamer un nouveau conflit.
-Je vie mal la transition entre mon indépendance de l'an dernier et cette année. Je pensais que le dortoir me suffirait mais j'ai besoin de mon espace…
-Dis tout de suite que je prends trop de place !
Ça y est, les conclusions hâtives ! Et elle se dit être ouverte d'esprit ? Je terminai de rassembler mes affaires et ouvris la porte pour m'en aller. Avant de partir définitivement, je lui dis :
-Non, mais tu fais trop de bruit avec tes commentaires intempestifs !
Je refermai la porte derrière moi, et partis en direction de la BU. Ma démarche énervée raisonnait dans tout le couloir. Jusqu'au bout on ne parviendra pas à s'entendre ! me dis-je en bourrinant le bouton d'appel de l'ascenseur. Je me demandais vraiment comment Yeleen ne pouvait pas comprendre que je décide de partir. Et qu'est-ce que ça peut lui faire de toute façon ? Elle qui répète chaque jour que ma présence est indésirable !
-Tallulah, attends !
Je fis volte-face et bloquai les portes sans même savoir qui venait de m'appeler. Jusqu'à ce que je voie sa frimousse !
-C-Chani ?
-Je t'ai appelée mais tu semblais sacrément remontée, encore une dispute avec ta futur ex' colocataire ?
-Noon, fis-je en prenant un air détaché : Mais on arrive au bout de notre début de relation.
Dire que j'ai quand même pris sa défense devant sa mère l'autre jour ! Pas que j'eus fait cela pour attendre quoi que ce soit en retour, mais elle qui ne cesse de clamer qu'elle sait faire preuve de bon sens, elle en manque cruellement ! Je chassai Yeleen de mon esprit et reportait mon attention sur mon amie.
-Alors alors, bientôt l'heure fatidique ! Je comptai réviser à la BU, tu veux venir avec moi ?
-Haha, nous étions faites pour nous rencontrer dans ce cas !
Je souris, comprenant qu'elle s'y rendait également. Mes tracas avec Yeleen se volatilisèrent en moins de deux grâce à Chani. Nous nous posâmes sur une table dans le fond. Je sortis mon ordinateur portable afin de poursuivre l'avancée dans l'organisation de mes recherches.
-Je dois absolument me trouver un superviseur…marmonnai-je pensivement.
-La même, mais il faudrait déjà que je me décide.
-Tu hésites encore sur ton sujet, c'est ça ?
-Oui…(Elle se pencha vers mon écran) Je peux voir tes recherches ?
-Oui vas-y, je vais trier mes fiches en attendant… dis-je, le nez déjà plongé dans mon sac : Mince ! J'ai oublié mon manuel. Je vais voir s'ils en ont un en stock dans les rayons.
-Il y a beaucoup de couleurs dans tes cours, j'aime bien ! me fit mon amie qui se remit à lire ses propres cours. T'as déjà vu tous les documentaires là ? Chani désigna les vidéos que j'avais stockées sur mon ordi pour consolider ma thèse.
-Oui, j'en ai besoin pour mes fiches, ris-je doucement en m'éloignant de notre table. Et non, pas toutes encore, il m'en reste trois je crois et leur analyse à faire.
Les bras croisés, je jetai un coup d'œil dans la section d'art moderne. Allez, juste un seul ! Je passai ma tête entre les rayons pour chuchoter à Chani.
-T'as pas le tiens par hasard ?!
Elle me sourit d'une mine désolée en secouant la tête. Je lui fis comprendre que ce n'était rien et me remis à chercher.
-Pff…bon bah je vais faire sans.
-Un souci ?
Surprise, mes épaules tressautèrent et je plaquai ma main contre ma bouche pour atténuer mon couinement. Ce fut nerveux, mais je me mis à glousser en levant les yeux sur Castiel qui me regardait étrangement.
-T'es pas possible.
-Oh ça va ! râlai-je un chouïa trop fort. Nous entendîmes quelqu'un demander le silence. Je rougis, mais mon sourire toujours aux lèvres. Je fis la bise à mon ami et lui demandai s'il était venu réviser lui aussi.
-Oui et non, je cherchai un livret de références musicales pour m'aider à compléter un cours, mais je ne comptai pas non plus attaquer tout de suite. Puis j'ai reconnu ta silhouette. Alors, qu'est-ce qui t'arrive ?
-Oh, rien de grave, j'ai oublié mon manuel je voulais simplement voir s'il leur en restait. Mais visiblement ce n'est pas le cas.
Nous sortîmes du rayon et mon regard vint aussitôt se poser sur la carrure d'un homme qui se tenait dos à nous. Posté debout face à notre table, Monsieur Zaidi discutait avec Chani. Mes yeux restaient fixés sur lui. Peu importe où il se trouvait, j'avais l'impression que c'était tout bonnement impossible pour moi de l'éviter ou l'ignorer. J'étais tellement tiraillée entre le désire d'aller lui parler et celui de mettre bien plus de distance…
Bon sang, nous avions beau être tous les deux des adultes nos statuts parvenaient à introduire le doute et l'hésitation en nous. En tout cas, j'ai beau me dire qu'on ne fait rien de mal, je sais qu'il risque beaucoup si je commettais un faux pas dans l'enceinte de la fac. Et je lui avais peut-être demandé qu'on se voit en dehors des cours…mais ce n'était pas comme si nous pouvions également aisément se rencontrer. Pas de numéro, pas d'adresse… Mais je déraille ! Agacée par mon comportement, je fis mine de chercher dans un autre rayon sans même regarder où j'allais. Je ne veux pas qu'il me voie. Non, la vérité était que je ne voulais pas lui parler, de peur d'aller trop loin.
-Tu joues à quoi ?
-Hein ?
Castiel faisait des allers-retours du regard entre moi et la table où se trouvaient Chani et Monsieur Zaidi.
-C'est quoi le souci, ça fait peut-être quelques années qu'on ne s'est pas vu, mais t'as toujours les mêmes mimiques quand t'as un pépin.
Je souris, malgré moi. M'adossant contre le mur, je croisai les jambes et fixai mes pieds.
-T'es déjà tombé amoureux d'une personne inaccessible ? demandai-je sans vraiment réfléchir.
-C'est quoi cette question ? fit-il, confus. Il prit ensuite un air amusé : On a le petit cœur brisé ? En fait ton histoire de manuel c'est du bidon.
-Mais non, j'ai vraiment oublié mon livre ! Laisse tomber, je ne sais pas pourquoi je t'ai posé cette question, excuse…
Je lui souris gentiment et pris un roman au hasard. Je le feuilletai et me rendis compte que c'était écrit en Russe ! Je suis bilingue mais faut pas pousser…
-Je ne sais pas ce qui t'arrive, mais ce n'est pas en restant là que tes révisions vont avancer.
-Castiel ? T'as de la fièvre ? me moquai-je en posant une main sur son front. Il me pinça les côtes.
-Hé, tu m'as dit que t'étais là pour bosser, je te le rappelai simplement fillette.
Je levais les yeux au ciel en le contournant.
-T'as raison, t'as qu'à te poser avec nous ?
-Nous ?
-Je suis avec une amie, viens je vais te présenter.
-Euh, attends…
-Ne t'en fais pas, Chani n'est pas du genre à créer un scandale. Elle aime bien ce que tu fais mais elle a du savoir-vivre.
-Toi, t'as vraiment pas peur de te faire mordre.
-Quoi ? Par une hyène aux hormones échauffées ? J'ai connu pire au lycée… dis-je en me souvenant du comportement exécrable d'Ambre.
-Haha, pas faux ! Au fait, t'as retrouvé tes marques ?
Je haussai une épaule.
-Pour être franche, pas vraiment. Je ne suis restée qu'un an et demi finalement, et revenir ici quatre ans après… Je me sens un peu paumée par moment. Et toi, tu t'en sors entre les tournées et les révisions ?
-J'ai parfois l'impression de manquer d'espace, entre mes devoirs de chanteur et ceux d'étudiants mais je parviens à gérer pour l'instant.
Je lui souris avec tendresse en ayant une petite pensée pour Lysandre. Je ne préfère pas parler de lui devant Castiel… Je savais que ce fut tout aussi dur pour lui de le voir quitter la ville. Je me souvins qu'ils avaient gardé contact, et que Castiel était parfois venu voir son meilleur ami à la ferme, mais le manque de temps avait fini par prendre le dessus. Se parlent-ils encore ?
Lorsque nous rejoignîmes Chani, je fis les présentations entre eux deux. Castiel resta un peu froid, tiré entre l'indifférence et la fascination. Chani joua de son charme naturel avec sa répartie propre à elle et je crois que cela intrigua un tantinet notre Rockeur ! Je revins à ma place en constatant que notre professeur n'était plus dans les parages. Mon cœur se mit à battre plus fort dans ma poitrine quand je sentis les effluves de son parfum qui flottaient encore sur son passage. Je me raidis sur mon siège en voyant un manuel d'art moderne et contemporain…
-Ah ! Monsieur Zaidi passait par là, et on est venu à discuter du fait que je révisai avec toi mais tu cherchais un manuel. Il a bien voulu laisser le sien, il doit repasser bientôt, il est parti faire des photocopies.
Le cœur amouraché, j'effleurai le livre du bout des doigts. Ce n'était peut-être pas grand-chose, mais sa bienveillance me toucha. Ce n'est pas comme ça que je me le sortirai de la tête. Tous les trois nous poursuivîmes nos révisions. Ma problématique avançait pas à pas, mais je n'étais jamais satisfaite de mes formules. Je m'éparpillai par moment, entamant la rédaction d'autres paragraphes pour lesquels je me sentais plus inspirées. Puis ma concentration s'égarait parfois. Mon regard se posait en direction de l'arrière pièce où se trouvait les imprimantes. Il ne revient pas. Et ça allait bientôt être l'heure de mon rendez-vous avec Monsieur Castillon.
-J-je reviens, les prévins-je en me levant sous leurs regards curieux.
Le manuel de Monsieur Zaidi en main, je me rendis dans l'arrière salle. La porte était entrouverte mais personne ne s'y trouvait. Il est parti ? Mal à l'aise, je glissai une mèche de cheveux derrière mon oreille et observait le reste de la salle. Pas là. Je ne peux pas garder son livre quand même ! Je revins vers Chani qui rangeait ses affaires en parlant avec Castiel.
-On va y aller ? Je vois que c'est bientôt l'heure, le temps qu'on trouve l'adresse…
-O-oui, justement tu ne saurais pas où Monsieur Zaidi est passé ?
-Euh, non, enfin je sais qu'il devait faire des photocopies mais…(elle regarda le manuel entre mes mains) Tu lui rendras Lundi. S'il en avait vraiment besoin, il ne te l'aurait pas prêté.
J'inspirai en pesant le pour et le contre. Je devais vraiment y aller si je ne voulais pas rater une chance de trouver un nouveau logement. Mais je ne voulais bloquer mon aîné dans la préparation de son cours…
-Respire fillette, c'est un prof, il va savoir se débrouiller sans ce genre de manuel, intervint Castiel en refermant son classeur : C'est quoi cette histoire de rendez-vous ?
-Oh, je compte quitter le dortoir, et j'ai une visite à passer bientôt.
-Bah vas-y, c'est quand même plus important que de rendre un livre. (Il se leva) Moi je vous laisse, à plus.
-Ça m'a fait plaisir de te voir, lui dis-je en le saluant d'une main.
Avant de passer les portes, il me sourit en coin.
-Je suis d'accord avec lui, allez, t'as autre chose à faire que de penser à Monsieur Zaidi. Go, go !
Chani me poussa vers l'extérieur tout en portant mes affaires. Je ris avec légèreté en récupérant mon sac. Je rangeai précautionneusement le manuel de mon professeur dans mon sac, et ressortis l'adresse de l'immeuble. Je lui rendrai Lundi.
-Bon, on va prendre la ligne B, ce bus dessert l'arrêt le plus proche de l'immeuble. Par contre on va devoir marcher longtemps après.
-Un peu de sport ça ne va pas nous tuer, me sourit Chani. Quoi que, j'ai des petites quilles, des petits poumons et une petite endurance…(Elle me fit des yeux de chiens battus) Tu me porteras ?
-Invoque un démon ou deux, j'ai déjà du mal à traîner ma couenne ! ris-je en m'asseyant sur le banc dessous le porche de l'arrêt de bus.
J'ignorai si mon amie s'en doutait mais j'étais vraiment contente de la savoir avec moi pour la visite. Bon, pas que je paniquai vraiment pour ce rendez-vous, -même si je redoutai de plus en plus que ça ne soit une arnaque- mais le simple fait qu'elle soit là pour partager cela avec moi, ça me comblait !
Pendant le trajet du bus, Chani me montra des photos de l'endroit où elle avait prévu de s'aventurer. Je lui eus dit que je trouvai l'espèce de « cabane » assez glauque et elle rit avec une pointe de moquerie. « L'urbex, ce n'est pas visiter le salon du chocolat ! » Certes, mais je la trouvai bien courageuse quand même…j'étais également très curieuse, et nous nous promîmes de planifier cela ensemble une autre fois.
Une fois que le bus nous déposâmes au bon arrêt, j'inscris l'adresse de l'immeuble sur le GPS de mon téléphone et je pris la marche en tête.
-Ça à l'air d'être plutôt loin de la fac quand même.
-Mes parents doivent me ramener ma voiture, et puis l'arrêt de bus n'est qu'à 5 minutes à pieds. (Je fis mine de réfléchir) J'ai juste à installer trente réveils autour de moi !
-Haha ! Je t'appellerai tous les matins à cinq heures, comme ça je suis sûre que tu ne seras pas en retard, plaisanta mon amie.
-Houlà, c'est rude cinq-heures ! Et sinon, à quand ta première journée de boulot ? Pas trop angoissée ?
-Angoissée ? Surexcitée surtout ! Je commence mardi prochain, je n'ai pas les mêmes options que toi, et je n'ai rien l'après-midi. Ensuite, c'est le jeudi après-midi, le samedi toute la journée et le dimanche matin. La boutique est fermée le lundi et n'ouvre pas de bonne heure les autres jours.
-J'ai hâte de te voir à l'œuvre ! Et tu m'as bien aguichée avec tes articles vintages.
-Je m'en doutai tellement, haha !
« Vous êtes arrivées à destination. »
Chani et moi nous stoppâmes net en plein milieu du trottoir, et fixâmes mon portable qui venait d'annoncer notre arrivée. Nos regards se croisèrent dubitativement, puis, lentement, nous les levâmes sur l'immeuble à côté de nous. C'est là… Je regardai autour de nous plus attentivement, et remarquai que nous étions proches de la grande place de la ville où se dressait le marché de Noël et les autres événements festifs. Trois autres immeubles entouraient celui-ci, mais finalement, l'aire restait vaste et pas trop envahie par le trafic.
-Il est magnifique… murmurai-je dans un souffle, tout bonnement stupéfaite.
-Tu m'ôtes les mots de la bouche, renchérit Chani sur le même ton.
L'immeuble arborait une architecture assez classique des façades en pierre blanche mais se mêlait à une touche de gothique avec ses hauts vitraux fenêtres. Elles semblaient toutes représenter quelques choses de différents. Le toit était plat, et l'on semblait pouvoir y accéder par un escalier de secours. Des gravures ressortaient timidement de la pierre, disposées sur chaque balcon, et représentaient un héron en pleine envolée. Ma fascination se ternit un peu lorsque je constatai, vers les appartements plus en hauteur, que deux fenêtres étaient cassées et que des plaques abîmées avaient été disposées.
Mon amie et moi échangeâmes un regard suspicieux, puis, nous nous décidâmes à entrer. Quelques marches étaient à gravir pour atteindre le porche d'entrée. A l'instar de dessus les balcons, un héron était gravé sur les deux battants de portes et il se scindait en leur milieu.
-L'Architect de cet immeuble devait avoir une sacrée passion pour cet oiseau !
-J'ai cru comprendre, (je désignai le carrelage marbré en vert d'eau strié de liserés blancs) j'ai vraiment du mal à croire que le bas loyer vaut la beauté des lieux.
-L'immeuble ne semble pas tout jeune non plus, la façade est salle et marquée par le temps. Puis, le plafond semble d'époque, regarde les craquelures.
-En effet, tout comme l'escalier en pierre. Les rambardes ne semblent pas très solides non plus…
Pour confirmer mon hypothèse, je m'appuyai un peu sur la plus proche barrière, faite de bois, qui grinçait et remuait légèrement sous ma poigne.
-Ce n'est pas du tout adapté pour les personnes handicapées. Ni même pour une personne âgée.
-Ça peut jouer sur le loyer, et puis, t'as vu les fenêtres des étages supérieurs ? me demanda-t-elle avec une pointe d'appréhension.
J'opinai. Nous avions beau parler à voix basse, le silence presque religieux qui régnait dans le hall, le haut plafond et l'espace peu occupé par des installations diverses exposaient librement l'écho de nos voix.
-Nous sommes un peu en avance, je vais appeler le propriétaire pour le prévenir.
Monsieur Castillon me prévint qu'il était déjà arrivé depuis quinze minutes et qu'il m'attendait dans l'appartement. Je fis signe à Chani de me suivre, je ris en la voyant soupirer face à cette ribambelle de marches que nous devions gravir ! Quoi que, une fois arrivées au troisième étage, je fus la première à m'asseoir sur le palier en lâchant un long soupire.
-Allez, allez ! m'encouragea-t-elle, hilare.
-Ah oui, je commence à comprendre pourquoi le loyer est bas ! râlai-je en me relevant comme un vieux robot rouillé.
-C'est quel numéro ?
-Le 21…mais ça ne rapprochera pas l'étage, tu sais ?
J'entendis Chani glousser avec une voix complètement désespérée.
Lorsque nous atteignîmes le bon étage, nous soufflâmes un bon coup avant de nous engager sur le palier.
-Une porte est grande ouverte, c'est là-bas.
J'arrivai devant l'appartement 21 quand je ne sentis plus la présence de Chani près de moi. Je fis volteface et la retrouvai devant la porte de l'appartement d'en face.
-Chani ?
-J-j'arrive !
Je lui souris en lui demandant ce qui n'allait pas mais elle ne fit que secouer la tête en m'incitant à entrer. Bon, c'est l'heure ! Je frappai quelques coups à la porte grande ouverte et osai un premier pas à l'intérieur. L'entrée était séparée par un mur de plus ou moins deux mètres trente de long de ce qui devait être le séjour. La fraîcheur des lieux nous assaillit et je tapotai mes mains pour les réchauffer un peu. Timidement, je passai l'arche qui menait au séjour, et un autre s'ouvrait directement sur notre droite sur un long couloir qui devait mener aux chambres.
-Monsieur Castillon ? hélai-je. Ma voix se répercuta entre les cloisons. Je fis un tour sur moi-même pour avoir une vue d'ensemble et manquai de faire une véritable syncope lorsque mes yeux tombèrent sur…
-Une cheminée ! Chani regarde, regarde il y a une cheminée !
-Tu n'as pas fait attention aux évacuations qui dépassaient du toit ?
-Mais pas du tout ! Oh m…une cheminée…
-Vous devez être Tallulah Loss ?
Une voix sage et aimable m'interpella. Tressautant, je refis demi-tour pour me retrouver face à un homme d'un grand âge, qui se tenait à deux mains sur le pommeau d'une canne en bois lustré. Il était aussi grand que moi, mais se tenait légèrement voûté sur lui-même. Malgré son âge, il gardait une belle toison blanche sur son crâne ! Tallulah, t'as pas autre chose à faire que de regarder ses cheveux !?
-Ahem, oui ! Bonjour, Monsieur Castillon c'est ça ? (Je tendis une main pour le saluer) Enchantée ! Je ne suis pas trop en retard ?
Il me serra la main avec autant de force qu'il pouvait tandis que son sourire dégageait beaucoup de chaleur.
-Enchanté Mademoiselle, et ne vous en faites pas, vous êtes pile à l'heure ! Mais comme vous avez pu le constater par vous-même, nous sommes au dernier étage et les marches sont rudes pour mes vieilles jambes. Je suis arrivé un peu plus tôt pour prendre le temps de monter l'escalier.
Oh, bon sang…j'aurai dû proposer un lieu de rendez-vous !
-Nous redescendrons ensemble si vous le voulez bien, dis-je d'une voix rassurante.
-Avec nous deux vous serez bien entouré, renchérit Chani qui se présenta au propriétaire.
-J'ai proposé à mon amie de m'accompagner, ça ne vous dérange pas ?
-Pas du tout, pas du tout ! Et puis, cet appartement et idéal pour deux personnes.
-Oh, je ne suis pas là pour visiter, assura Chani avec douceur.
-Je vois, (Il me sourit) donc tout repose sur vous ? Haha ! Bon, si nous commencions ?
J'acquiesçai d'un timide hochement de tête.
-Bon, en soit cet appartement n'est pas très vaste. D'autant plus qu'en refaisant l'électricité, nous avons dû doubler le plafond et l'abaisser. A cet étage, le froid et l'humidité sont plus ressentis, mais grâce à l'isolation refaite il y aura une petite amélioration. Vous avez vu l'entrée ? Vous avez de la place pour installer un meuble à chaussures, le mur est simplement là pour séparer le seuil avec le séjour. (Il se tourna vers un carré de pièce situé entre le mur de l'entrée et la cheminée, je vis une bibliothèque encastrée) Je ne l'ai pas précisé, mais il y a déjà quelques meubles dans l'appartement. Ce n'était pas très pratique de tout transporter en dehors. Je ne voulais pas les jeter non plus, je préfère laisser les locataires voir sur place.
-Oui, j'ai vu la table et les chaises là-bas.
Dans un angle de la pièce, derrière un demi mur assez haut, se trouvait une table en bois massif entourée de quatre grosses chaises assorties à son design. Sur notre gauche, au fond de la vaste pièce, une grande porte fenêtre donnait sur le petit balcon. La lumière qui s'infiltrait à l'intérieur faisait se refléter sur le parquet laqués les couleurs du vitrail dont les lignes représentaient une immense carpe koï colorée. Cela jurait un peu avec le bois gris perle des cloisons haussmanniennes. Mais ce mélange décalé s'harmonisait avec le concept de l'immeuble. Puis cette cheminée…Tallulah, concentration !
-La cheminée est d'époque, mais elle est toujours aussi vaillante ! s'exclama-t-il en tapotant fièrement la pierre légèrement couverte de suie. Son regard se fit plus tendre et j'eus l'impression qu'il se laissait submerger pas ses pensées. Sa voix tremble lorsqu'il me décrit les pièces… Cet endroit devait abriter de bien précieux souvenirs.
Nous continuâmes la visite et Monsieur Castillon me montra la cuisine, pour laquelle j'eus un véritable coup de cœur ! Elle n'était vraiment pas large, mais tout en longueur. Il y avait une gazinière et même un réfrigérateur en plus des autres équipements. Les comptoirs au plan de travail blanc et aux meubles laqués de couleur émeraude ressortaient parfaitement bien avec le mur du fond briqué ! Les trois autres murs étaient peints en un jaune très pâle. Il n'y avait pas de fenêtre, juste deux gros néons plafonniers qui s'épousaient parfaitement avec le style rétro de la pièce en guise d'éclairage.
Toute en joie, je tirai sur la manche de mon amie en sautillant à côté d'elle.
-J'ai vu, j'ai vu ! rit-elle.
-La pièce vous plaît ? Ce n'est pas du tout d'époque, on a refait la déco il y a quelques années maintenant en plus de la tuyauterie récemment. Vos prédécesseurs n'étaient pas très attirés, la cuisine et très petite et le fait de devoir acheter une bouteille de gaz n'intéresse plus personne de nos jours.
-Pourtant l'espace est bien utilisé, fit remarquer Chani qui découvrait avec moi les lieux, ouvrant les placards, inspectant la gazinière et le reste des équipements.
-Et vous laissez un réfrigérateur, renchéris-je abasourdi par les dires de mon aîné : L'appartement est bien équipé pour le loyer que vous proposez ! (Je croisai le regard de Chani) Je vois nos chambres au dortoir, c'est quasiment ce prix-là et on n'a pas le même espace.
-Ah pas du tout ! rit mon amie.
-Vous êtes toutes deux étudiantes, c'est ça ? A Antéros ?
-Oui, en Art, et on peut vous assurer que le bâtiment nous a charmé !
-Je suis content de l'apprendre, j'ai passé une grande partie de ma vie ici, et je sais à quel point c'est atypique mais ça n'a fait qu'égailler davantage nos vis à ma défunte épouse et moi.
J'allais répliquer, mais je restai sans voix à l'entente de cela. Chani sembla aussi troublée que moi et se frotta nerveusement le bras en fixant le sol. Monsieur Castillon remarqua notre malaise et nous adressa un sourire bienveillant en nous assurant qu'il allait bien.
-Cela fait des années maintenant, ma Dame n'aurait pas aimé vous voir faire ces tristes mines. Elle adorait cet appartement et regrettait ne pas pouvoir y passer plus de temps. Son travail de journaliste lui demandait de faire beaucoup de voyages. Ce ne fut qu'une fois à la retraite qu'elle s'est entièrement investie à la copropriété. Quant à moi, je suis bien trop vieux pour ces escaliers, je ne peux plus me déplacer si vivement qu'autrefois. J'ai déménagé il y a peu, mais je me refuse de vendre l'appartement. Comme je sais qu'il n'est pas facile pour des jeunes gens comme vous de trouver des logements, j'ai préféré le mettre en location en espérant qu'il fasse le bonheur de quelqu'un d'autre…
Bon sang, c'était fichu, je sentais mon émotivité m'assaillir au grand galop. Plus la visite avançait, moins j'eus l'impression que ceci était une arnaque. Les pièces n'étaient pas grandes, mais comme l'eut fait remarquer Chani, tout l'espace était très bien utilisé, et cela donnait l'impression que tout était spacieux. Le couloir avait effectivement besoin d'un coup de peinture, tout comme la pièce qui servait de bureau. Au fond du couloir, une penderie était incorporée au mur, seulement, les portes ne fermaient plus et des traces d'humidité noircissaient les plaques et les étagères.
-Vous pouvez toujours installer un petit radiateur dans le couloir, vous avez une prise ici (il pointa son doigt plus loin) et une autre là-bas. En revanche, elles se trouvent près du sol. Vous avez des enfants ? me demanda-t-il subitement.
-Oh là ! N-non…
Je ne pus m'empêcher de penser à Rosalya. Même si j'étais très heureuse pour ma meilleure amie, de mon côté, je me voyais très mal être maman à cet âge-là. Nous terminâmes par les toilettes, la salle de bain et la chambre.
-Oh ce lit ! s'époustoufla Chani qui fonça la première à l'intérieure de la pièce : Et la coiffeuse assortie !
Quand je pus enfin entrer dans la pièce, je compris aussitôt d'où provenait l'émerveillement de ma petite camarade. Trois meubles se trouvaient dans la pièce, et tous étaient assortis aux autres. Le lit, bien trop lourd à déplacer -et compliqué à démonter d'après les dires de Monsieur Castillon-, arborait une tête de lit capitonné, entouré d'un cadre au bois épais aux gravures baroques. Les pieds formaient des pattes de lion. Lysandre aurait adoré lui aussi, ne pus-je m'empêcher de me dire. La table de chevet à sa droite et la coiffeuse en face étaient du même aspect. Le tout, peint en un noir profond et laqué.
On pouvait tout de même voir quelques marques d'usure, des écorchures, dues au temps et au manque d'entretien. La pièce avait été repeinte en blanc, mais la moisissure s'était installée également ici. Tout comme pour le bureau et le couloir, le parquet était abîmé. Ici, les courbes sur la fenêtre représentaient le profil d'un papillon nuancé de mauve et de bleu sombre.
Voir Monsieur Castillon et Chani échanger énergiquement et joyeusement au sujet du mobilier me donna une idée qui mec contredirait sûrement vis-à-vis de la conversation que j'eus avec Morgan, Alexy et Hyun…Ne restait plus qu'à trouver le bon moment pour en faire part à mon amie. Nous finîmes notre visite et nous retrouvâmes tous les trois au séjour. Chani continua son éloge au sujet de la chambre ainsi que la salle de bain qui avait également eue raison d'elle. Elle est mignonne… Ne pus-je m'empêcher de me dire en souriant.
-Vous vous entendez vraiment bien ! Bien mieux que les précédents visiteurs que j'ai pu avoir. Ils n'ont pas cessé de se plaindre de tout et même d'eux même, haha. Je sais que cet appartement a ses défauts, mais en tant que propriétaire, je suis prêt à voir avec vous ce que vous désirez changer. Tout ce que je demande c'est que vous y preniez soin et animiez cet endroit isolé des autres logements.
J'ai tellement envie de lui faire un câlin ! me hurlai-je intérieurement. Chani et moi nous échangeâmes un regard complice. Puis, la voyant se pincer soucieusement les lèvres, je l'interrogeai.
-Tu veux rentrer au dortoir peut-être ?
Il était tard, la nuit pointait déjà le bout de son nez et je me dis qu'elle voulait peut-être se mettre au chaud sous sa couette avec un bon livre.
-Après avoir vu un tel endroit, difficile de vouloir rentrer dans un tel box que le dortoir, marmonna-t-elle en balayant de nouveau des yeux le séjour.
Mon cœur se mit à battre plus vite…Je me demandai si ce n'était pas le bon moment pour lui faire part de mon idée.
-Pourquoi ne pas faire une colocation mesdemoiselles ?
-Hein ? fîmes-nous en cœur en portant notre attention vers notre aîné. Ah, il a été plus rapide.
Si au début Chani avait précisé qu'elle ne faisait que m'accompagner, cette fois-ci, je la sentis hésitante. Curieuse, elle m'adressa un regard.
-Honnêtement, j'y ai songé lorsqu'on a vu la chambre, avouai-je en me passant une main dans les cheveux. La partie longue recouvrit la partie tondue : Après, s-si tu ne me veux pas comme colocataire, j-je peux comprendre…baragouinai-je en triturant nerveusement la pointe d'une mèche. Je m'adressai ensuite à Monsieur Castillon : Pour ma part, l'appartement me plaît beaucoup et pour en avoir parlé avec eux, mes parents sont prêts à se porter garants.
-Je dois passer trois autres visites la semaine prochaine. Je vais être honnête, le courant passe bien entre nous, je serais prêt à vous dire oui si je n'avais pas déjà ces rendez-vous. Cela pourra laisser le temps à votre amie de…
-C'est ok.
Monsieur Castillon et moi fixâmes étrangement Chani qui rougissait.
-Franchement, je serais bête de refuser une telle proposition. Certes, je n'ai pas les mêmes soucis que toi par rapport à nos coloc' au dortoir, mais je commençai à me demander si on ne pouvait se faire un arrangement entre nous, changer de chambre tu vois. Mais là…se partager un tel loyer, et avec toi, c'est clairement notre bonne étoile qui nous envoie un signe où j'vois pas ce que c'est !
-A-Alors…tu accepterais d'emménager avec moi si Monsieur Castillon venait à dire oui ?
Avec bien plus de confiance, mon amie hocha la tête et nous sourit à notre aîné et moi. Cette fois, mon trop plein d'émotions prit le dessus sur le peu de calme qu'il me restait et je me jetais sur elle pour l'enlacer avec force. Elle rit aux éclats en répondant aussi vigoureusement à mon embrassade, puis, nous ouvrîmes nos bras pour enlacer également le propriétaire qui ricana gaiement. Nous fîmes tout de même attention à ne pas trop le brusquer…
Après avoir tous repris contenance, Chani et moi vînmes à poser d'autres questions à Monsieur Castillon. Au sujet de la caution, des charges, des règles de la copropriété… Nous sûmes que les charges étaient prises en compte dans le loyer, et que, bien évidemment, il y aura une première avancée de loyer. Mais avant de nous inquiéter de tout ça, nous devions attendre la semaine prochaine pour avoir sa réponse. On ne sait jamais, il pourrait rencontrer des locataires avec des finances plus importantes que nous deux… Je ne pourrai que comprendre son choix s'il changeait d'avis pour cela.
-Et les voisins ? demanda Chani tandis que nous aidions notre aîné à refermer les volets.
-Oh, votre étage n'est pas habité, les autres appartements sont à vendre ou à l'abandon.
Chani oscilla un coup de tête, l'air entendu, et je poursuivis :
-On a vu des fenêtres cassées…
-Au quatrième ? Oui, il y a eu du grabuge, ces appartements aussi sont vides. Lors d'une réunion, nous nous sommes mis d'accord pour améliorer la sécurité, d'ici le mois de Janvier, un boitier devrait être installé pour entrer dans l'immeuble avec un code… là…(il agita sa main déductivement en cherchant le mot) mince…
-Un digicode ? tentai-je.
-Oui ! Ah…fichue mémoire.
-Vous allez bientôt vous reposer, vous habitez loin ?
-Des amis m'hébergent le temps de finir mes visites. Ensuite, je repartirai chez ma petite fille.
J'espérai sincèrement que les prochains locataires potentiels aient l'idée d'aider notre aîné à descendre les marches. Après quelques pauses, nous parvînmes à rejoindre la sortie. Chani et moi restâmes avec Monsieur Castillon, le temps que le taxi qu'il eut appelé vienne le chercher. Après quoi, j'explosai au milieu du trottoir.
-Je n'en peux plus, je n'en peux plus ! Oh, bon sang Chani j'ai tellement hâte d'être à la semaine prochaine !
Sautillant sur place, mon amie vint agripper mon bras et m'entraîna avec elle pour rejoindre l'arrêt de bus.
-Je dois avouer que l'idée de quitter le dortoir m'emballe de plus en plus. J'espère juste que tu ne m'as pas trouvé trop envahissante…
-Hein, pourquoi ça ? demandai-je, sincèrement étonnée par ses propos.
-C'est quand même toi qui as trouvé l'annonce. De base, je ne faisais qu'accompagner.
-Et alors ? Je te l'ai dit, j'y ai pensé pendant la visite. Je ne savais pas comment aborder le sujet, j-je crois que moi aussi…j'avais peur d'être envahissante avec mon caprice.
-Haha, tu parles ! (Elle soupira de bien être) Quelle journée… Tu comptes l'annoncer aux autres ?
-Bien sûr, en fait on va le faire toutes les deux. On va se poser en salle de repos et appeler tout le monde un par un ! Enfin, on va d'abord appeler nos parents je crois…
-Bonne idée oui, les miens ne s'y attendaient pas du tout.
Nous continuâmes à discuter ainsi et je profitai du trajet pour expliquer à mes parents comment la visite s'était déroulée. Chani en fit de même, mais sa conversation dura plus longtemps que la mienne. En même temps, quitter le dortoir n'était pas dans ses projets avant ce jour. Nous passâmes devant mon lieu de travail, où je vis Hyun nettoyer quelques tables sur la terrasse presque vide de monde. Je le désignai du doigt, sans dire un mot pour ne pas déranger Chani qui comprit où je voulais en venir.
Nous avançâmes vers le café, et nous installâmes à l'intérieur. Hyun nous vit une fois de retour au comptoir. Tout sourire, il trottina à notre table.
-Le boulot te manque à ce point ? plaisanta-t-il en sortant son carnet : Bonjour, Chani je suppose ?
Mon amie sourit, acquiesça du menton. Hyun s'excusa presque aussitôt tandis qu'elle raccrochait enfin.
-J-je n'avais pas vu, désolé…
-Pas de souci. Donc oui, je suis bien Chani. On n'a jamais eu l'occasion de se rencontrer mais Tallulah m'a déjà parlé de toi. Hyun ?
Il opina à son tour, semblant intimidé.
-Je vous sers quelque chose ?
-Oh que oui ! m'exclamai-je en tapotant sur la table : mais on va y aller doucement ce soir, en espérant pouvoir se lâcher la semaine prochaine ! Hiii !
-Haha, j'ai comme l'impression que ton rendez-vous s'est bien passé.
Je nous désignai Chani et moi en étirant un petit sourire malicieux. J'expliquai ensuite que « mon rendez-vous » avez fini en « notre » et que, tout déprendrait de la réponse de Monsieur Castillon la semaine prochaine, Chani et moi avions de fortes de chances de devenir colocataire.
-Honnêtement, même s'il venait à changer d'avis et à donner les clés à d'autres personnes, je parlerai à ma coloc' actuelle de ma proposition de changer de chambre, pour que Yeleen soit avec elle, et toi avec moi. Elle peut toujours refuser bien sûr, mais ça ne coûte rien de demander.
Les mots de Chani me touchèrent plus qu'elle ne pouvait le savoir. Nous commandâmes deux cappuccinos à mon collègue qui s'empressa de nous les ramener. Clémence passa dans le coin en me demandant en quoi s'était productif de rendre mon salaire en consommant ici pour le récupérer à la fin du mois. Je n'eus pas le temps de répondre qu'elle repartit en cuisine.
-C'était qui ? osa demander Chani avec une pointe de méfiance dans le regard qu'elle eut posé en la direction que venait de prendre Clémence.
-Ma patronne ! Maintenant tu connais tout le monde au café.
-Décidément, tu sais comment t'entourer toi ! rit-elle.
Pendant que nous buvions nos boissons, Chani m'informa du fait que ses parents pourraient venir nous aider à transporter nos affaires du dortoir jusqu'à l'appartement si les choses se concrétisaient. Elle n'entra pas plus dans les détails de leur conversation, mais cela me suffit de savoir que cette idée un peu soudaine ne soit pas une source de conflit entre elle et sa famille.
Après quoi, nous saluâmes Hyun et prîmes la direction de la sortie. Au même moment, un client voulut entrer. Par reflexe je me glissai sur le côté et ouvris la porte en grand, afin de l'accueillir comme il se devait et ce, avec le sourire.
-Bienvenu Monsieur, merci d'avoir choisi le Cosy Bear Café pou-…Oh…
Il est donc venu… Souriant d'un air charmé, Monsieur Zaidi passa le seuil en me remerciant.
-Quel accueil ! (Il vit Chani) Re-bonsoir.
-Re-bonsoir, oui.
C'est vrai qu'ils se sont vus à la bibliothèque. Je réagis aussitôt, tandis qu'il allait prendre la parole, je l'interrompis.
-Bonsoir à vous Ta-
-Merci pour votre livre ! m'empressai-je, d'une voix sûrement trop forte, puisque tous les clients présents à l'intérieure détournèrent leur attention sur nous. Reprenant un ton normal, je fis comme si de rien n'était et le saluai aussi calmement que possible : Bonsoir Monsieur.
Le portable de Chani se mit à sonner. Pour ne pas déranger les clients, elle sortit en me disant qu'elle m'attendrait devant la terrasse.
-Q-quoi ? mais…
Elle m'adressa un clin d'œil dont je ne compris pas vraiment le sous-entendu, mais j'eus l'impression que ça avait un lien avec notre aîné qui se tenait toujours debout devant la porte. Je me décalai un peu plus, puis, machinalement je lui demandai où il désirait s'installer.
-Au comptoir, ça sera très bien.
-Bien…
Alors que je n'étais absolument pas de service, voilà que je me retrouvai à tenir le comptoir. Mais je n'osais lui dire, j'avais presque envie que Clémence me hurle qu'elle avait besoin de mon aide pour ce soir.
-Qu'est-ce que je vous sers, Monsieur ?
-Un café serré, avec un sucre s'il vous plaît.
-Tout de suite.
Je ne l'avais même pas regardé en répondant. Mes bras et mes mains bougeaient tous seuls et je ne parvenais absolument pas à rester calme face à lui. Il m'a prise au dépourvu, j'aurai tant voulu être de service et lui offrir ce verre que je lui ai promis ! ne pus-je m'empêcher de me dire à regret. Je désirai tant passer un moment avec lui.
-De rien, pour le manuel, me dit-il soudainement.
Je relevai le nez de ce que je faisais, et repris d'une voix que lui seul put entendre :
-Pardonnez-moi d'être partie avec, mais j'avais un rendez-vous important et comme je ne vous trouvai nulle part… (je m'accroupis pour fouiller dans mon sac et sortir le manuel) Tenez. Et encore merci.
Il le rangea dans sa mallette. Il doit tout juste quitter la fac.
-J'aurai bien voulu vous accorder plus de temps à bibliothèque, tout à l'heure, me confia-t-il : Je dois avouer que j'ai jeté un coup d'œil à vos recherches, je pourrai peut-être vous aiguiller. Non, en fait c'est mon rôle de vous aider, mais seulement si vous le désirez. En tout cas, ça me semble très engagé…
-Tous vos conseils seront les bienvenus. (Je sortis une tasse) Pour être honnête, j'aimerai interviewer l'artiste qui m'a inspirée pour ce sujet. Dans son pays, la liberté des artistes est bridée au point qu'elle a dû fuir sa propre patrie pour s'exiler au Québec. Et sans entrer dans la comparaison pompeuse, j'aimerai établir un lien avec nos propres artistes du 19e et de leurs œuvres engagées qui ont résulté sur un bon nombre de procès qui apporteront finalement la gloire qu'ils ne connurent qu'après leur mort.
-Ahh, j'ai peut-être de quoi v-
-Mais qu'est-ce que tu fais ? l'interrompit une voix derrière lui.
Hyun se tenait au milieu de la salle, un plateau vide dans les mains alors qu'il venait déposer une commande en cuisine. Enfin prêt, j'allais pour servir son café à Monsieur Zaidi mais Hyun fit rapidement le tour du comptoir pour me rejoindre. Mon professeur porta aussitôt son attention sur lui. Mon ami le remarqua également et je le vis arborer la même expression défiante que l'autre nuit. Doucement, il me bouscula d'un coup de hanche et chuchota :
-Je n'ai pas encore parlé à Clémence pour tes heures sup', rentre chez toi avant qu'elle ne te voie.
-M-mais je dois encore lui servir son ca-
Hyun versa le breuvage chaud dans la tasse que j'eus sortie et la déposa sous le nez de Monsieur Zaidi qui me toisait en fronçant les sourcils. Il ne semblait pas comprendre ce qu'il se passait et c'était normal. Il devait croire que je travaillai…
-Puis-je avoir un sucre avec mon café s'il vous plait ?
-Bien sûr, sourit Hyun aussi poliment qu'à son habitude. Il se tourna ensuite vers moi : On se voit Lundi ?
-O-Oui, bien sûr.
Mon ami repartit en cuisine non sans fustiger des yeux mon professeur. Tandis que je récupérai mes affaires d'une mine penaude, ce dernier m'interpella doucement.
-Tallulah, je vous avais pourtant dis que je ne voulais pas vous ajouter plus d'heures que vous n'en avez. (Il se passa une main dans les cheveux, l'air agacé) J'aurai pu m'en douter aussi, vous ne portiez pas d'uniforme…
-Je sais, mais je ne m'attendais pas à vous croiser et j-j'ai…
-Il ne fallait pas vous sentir obligée, coupa-t-il un peu froidement.
Si mon sang ne fit qu'un tour à l'écoute de ses paroles, mes mains elles, devinrent moites et ma gorge nouée. Je soupirai, ne sachant que dire de plus.
-Passez une bonne soirée Monsieur Zaidi.
Je n'ajoutai rien d'autre qu'un sourire forcé et partis. Me sentir obligée ? Je retrouvai Chani, encore au téléphone qui m'accueillit par un regard curieux. Peut-être était-ce l'expression de mon visage qui l'inquiétait. Honnêtement, je ne savais même pas quelle tête je pouvais tirer, mais ça ne devait pas être très guilleret… Il me croit si influençable que ça ? Il n'a vraiment pas compris ?
Désabusée par ce qu'il venait de se passer, je reconnus avoir besoin de réconfort. Tandis que Chani était au téléphone, nous reprîmes notre chemin en direction de la fac. Le nez fourré dans le col de mon pull, je me demandai qu'elles eussent bien pu être les intentions de mon aîné à me dire cela. Et plus j'y repensai, plus je me trouvais ridicule d'essayer de le comprendre. Mon comportement avait dû le déstabiliser, mais finalement, il ne me voyait que comme une étudiante lambda. En même temps, c'est ce que tu es ma petite Tallulah !
Ça y est, je sentais que la déprime allait me rendre visite. Je sus que pour éviter cela, je devais m'efforcer de faire comme tous mes autres camarades, et ne le voir comme un professeur. Oh pire, je pouvais toujours agir aussi vulgairement que certaines filles de ma classe, qui lâchai parfois deux-trois commentaires libidineux en cours en reliant son physique attrayant à la problématique abordée. Ce n'est pas vraiment dans mes habitudes d'agir ainsi… Mais il était peut-être temps pour moi et mes faux espoirs d'être moins naturels avec lui.
Soudain, une petite main glacée vint enserrer la mienne. Tressautant sous le contact, je posai de grands yeux tout étonnés sur mon ami qui s'apprêter à raccrocher. Une fois cela fait, elle m'adressa un sourire plein de chaleur qui gonfla ma poitrine d'affection.
-T'es bien morose depuis qu'on a quitté le café. Le prof t'en a voulu d'avoir kidnappé son manuel ?
-C'est ça…pouffai-je en ne regardant pas vraiment le route.
Chani serra plus fort ma main. Ce que je pouvais apprécier, la faculté qu'elle avait de savoir quoi faire ou dire pour me sortir de mes sombres pensées sans pour autant imposer sa curiosité. Là-dessus, je devais admettre que Rosalya était parfois épuisante. Mais je ne tenais pas non plus à imposer mes soucis à Chani pour le moment…
Une fois de retour au dortoir, nous nous séparâmes un peu à contre cœur, mais l'épuisement de la journée riche en émotions appelait nos lits. De retour dans ma chambre, je saluai Yeleen qui était penchée sur un catalogue. Elle me salua d'abord brièvement, puis, après quelques minutes de silences, elle m'interpella :
-On peut discuter ?
Assise à mon bureau, je stoppai mon activité pour croiser son regard. Elle s'était retournée entièrement dans ma direction, mais son regard me fuyait.
-Alors, on peut parler ou pas ? reprit-elle un peu sèchement. Mais j'eus l'impression que ce fut son embarras qui l'eut poussée à paraître ainsi. Un peu fatiguée, je lui demandai de quoi elle voulait qu'on discute : Eh bien, ces catalogues d'agences immobilières je suppose que ce n'est pas pour ton mémoire…(Elle croisa enfin mon regard) Tu quittes vraiment le dortoir ?
Pour une fois que je ne la sentais pas mesquine, je ne me sentis pas le cœur à dresser des barrières. Calmement, je lui expliquai donc la vérité.
-L'an dernier, j'étais dans un studio avec une amie. En venant ici, j'ai pensé qu'une chambre de dortoir me suffirait mais…pas vraiment, non. Je ne sais pas si tu as déjà eu un studio, mais clairement l'intimité y est différente.
Elle secoua la tête.
-Non, j'ai fait toutes mes années fac ici, ma mère…(sa voix vrilla un peu) n'a pas jugé utile que j'ai mon un chez moi, à proprement parler.
Je grimaçai un sourire désolé, en repensant à sa mère et l'attitude presque acerbe qu'elle eut avec sa fille l'autre jour.
-Mais t'as déjà trouvé quelque chose ? reprit-elle, semblant à la fois soucieuse et intriguée.
-Peut-être. A vrai dire, j'ai passé une visite aujourd'hui, je dois avoir une réponse la semaine prochaine. Ne t'en fais pas, si jamais c'est positif, tu seras la première au courant et le responsable administratif aussi. (J'eus un rire sarcastique) Tu pourras fêter ça dignement.
-J-je ne m'inquiète pas ! s'offusqua-t-elle en fronçant les sourcils. Et je ne vois pas en quoi je m'en réjouirai, hein.
Elle est sérieuse ? Haussant les sourcils d'une mine stupéfaite, je dévisageai Yeleen longuement en me demandant ce qui avait changé chez elle. Désinvolte, je haussai une épaule et repris :
-J'sais pas, tu n'arrêtes pas de dire que tu serais mieux sans m'avoir dans tes pattes. Je m'attendais à ce que tu sautes au plafond.
Elle ouvrit la bouche comme pour parler mais sa voix resta coincée. Détournant à nouveau les yeux, je la vis secouer la tête, l'air désabusée, et se retourna face à son bureau. Le silence s'installa à nouveau entre nous et dura le reste du week-end.
A suivre…
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devonis · 6 years ago
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Chapitre 2 : Par Lui
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Rayan
Je rangeai des documents dans mon casier en salle des professeurs, lorsque je surpris une conversation entre mes collègues. Ils discutaient du remue-ménage que provoqua le retour du groupe Crowstorm en ville. Apparemment, les racines de leur groupe se trouvaient ici, et le fait que certains membres étudiaient à Anteros n'améliorait pas la concentration des fans.
-Attends, la compétition de surf arrive, je ne t'explique même pas le raffut dans les amphis. Encore en TD, dans les classes, on parvient plus facilement à gérer l'ambiance, mais quand deux-cents voire cinq-cents élèves ont décidé de foutre en l'air le cours magistral, t'as plus vraiment la main.
-Et encore, on s'en sort plutôt bien en Art, les élèves ne sont pas aussi nombreux qu'en LEA et LC. J'ai croisé Maria l'autre jour, elle venait de clôturer son cours un bon quart d'heure avant la fin tant les élèves étudiants étaient ingérables. Beaucoup réclamaient le silence mais beaucoup d'autres étaient simplement là pour grapiller des points…
-Ouais, mais là tu parles de ses premières années, c'est normal ils sont en pleine transition entre le lycée où c'est au prof de calmer le jeu et la fac où là t'es confronté à des élèves plus vieux que toi, même s'ils sont aussi en première année, et qui sont plus rudes envers leurs camarades afin d'étudier au calme. C'est ça que j'aime aussi en fac, les élèves ont leur responsabilité quant au bon déroulement du cours. Comme ils doivent travailler beaucoup plus par eux même qu'au lycée, ils ne peuvent pas se permettre d'avoir un cours entrecoupé. Après, t'auras toujours deux trois petits malins, mais ceux-là partent vite en général.
-C'est sûr, intervint Monsieur Lebarde. Pour ma part, je n'ai pas à me plaindre, les élèves sont attentifs, mais alors, j'ai une sainte horreur des retardataires ! Et il y'en a une qui m'agace particulièrement ces temps-ci.
-Oh ! T'es plutôt laxiste habituellement, que se passe-t-il ? Si ce n'est qu'une seule élève, tu devrais être en mesure de la virer de ton cours.
Toujours dans mon coin, je déglutis en me demande de qui mon collègue pouvait bien parler. Même si j'ai ma petite idée… Il s'en est déjà plaint l'autre jour. J'eus un petit sourire crispé en coin, en repensant à ma rencontre avec mon élève, plus tôt dans la journée. Si c'est d'elle dont il parle, c'est un peu ma faute si elle est arrivée en retard… me dis-je en refermant mon casier.
-Bah, ça reste une bonne élève, ses comptes rendus sont étoffés et au dernier contrôle continu elle a eu une excellente note, mais elle dérange tout le monde avec ses retards ! (Il but son café d'une traite) Tallulah Loss n'est pas une mauvaise personne, mais je ne pense pas pouvoir tolérer un retard de plus.
Donc, il parlait bien d'elle… Je me sentais coupable dans un sens. Je savais qu'elle avait cours, et mon collègue était du genre à être là bien avant ses étudiants, il commençait sa leçon rapidement.
-Elle est dans ton cours aussi, non ?
Personne ne répondit, j'ignorai à qui il venait de s'adresser.
-Rayan ?
Je posai aussitôt mon attention sur lui, l'air curieux.
-Tallulah est bien dans ton cours aussi, non ? Elle a beau avoir un bon potentiel, son attitude est un peu dérangeante je trouve, pas toi ?
Je haussai un sourcil, mais tentai au mieux de ne pas paraître trop impliqué dans cet échange.
-De mon côté, je n'ai pas à me plaindre. Une participation un peu timide, mais une fois lancée elle sait défendre sa position par de solides arguments.
-Elle n'a donc jamais interrompu ton cours inutilement ?
Inutilement… Je trouvais qu'il y allait fort. Un retard ça arrivait à tout le monde, à croire qu'il avait oublié ses années fac. Je secouai la tête en guise de réponse et replongeai mon nez dans mes cours, penché au-dessus d'une petite table près de la fenêtre. J'entendis Monsieur Lebarde dire qu'il demanderait aux autres professeurs de ce qu'ils feraient des retardataires indésirables. Du coup, ils se mirent tous à lister les élèves qu'ils avaient dans le collimateur. Finalement, professeurs et étudiants étaient très similaires quant à la critique qu'ils se portaient les uns envers les autres.
En contrebas, à travers la fenêtre, mon regard fut hâtivement attiré par la silhouette d'une femme trottinant dans la cour, un portable plaqué contre son oreille. Mon cœur fut enserré par un sentiment chaudement affectueux et je souris, sûrement l'air béat. Talullah s'en allait hors de la fac, et je me demandai bien où elle pouvait se rendre avec tant d'empressement. Au café ? A cette idée, je ne pus faire autrement que me remémorer ce soir, où je l'eus aidé à ranger les tables. Ce qu'il s'est passé ensuite…Le geste que j'ai eu.
Il fallait que je fasse attention. La savoir si accessible envers moi me troublait, je ne faisais qu'être tirailler entre les limites que je m'imposais et mon attirance pour elle. Franche dans ses mots, franche dans son regard. Une timidité qu'elle enfouissait en elle une fois sa spontanéité farouche évadée. « On ne fait rien de mal… » m'eut-elle dit.
Dans un sens, c'était vrai, rien ne nous interdisait de discuter plus intimement. Mais les esprits ne sont pas si ouverts que cela dès qu'un amour sort du lot. Je risquai mon poste autant qu'elle risquait de passer l'année la plus exécrable de sa vie si nous décidions de ne pas faire abstraction de notre fascination mutuelle. Puis, cet air égaré qu'elle pouvait arborer en regardant dans le lointain de ses pensées. Que pouvait-elle y voir ? A qui pouvait-elle songer ?
Mon portable vibra et mon écran s'illumina en affichant le début d'un message. Mon regard se posa sur l'arrière-plan. Tu devrais pourtant m'avoir servi de leçon… Je m'efforçai de chasser mes sombres pensées avant de lire le message que je venais de recevoir. Leigh ?
« Bonjour Rayan ! Ta commande est bien arrivée, il faudrait cependant que tu passes me voir pour effectuer des retouches. J'ai bien l'impression que les manches seront un peu grandes. Préviens-moi quand tu seras dispo'. Leigh. »
Je lui prévins aussitôt que je ne pouvais passer qu'en soirée.
« Ce n'est pas un problème, je pars de la boutique vers 21h, tu peux toujours passer samedi, mais ce sera mon employé qui s'occupera des retouches… »
-Hm, je vais plutôt passer ce soir.
Je lui répondis aussitôt, puis m'installais plus confortablement à la table pour avancer dans mon travail. Je me mis à vérifier l'heure une fois que le soleil se couchait, la nuit tombait de plus en plus tôt, je ne voulais pas passer voir Leigh trop tard. Je terminai par envoyer les notes que me réclamaient les élèves au sujet du cours que j'eus annulé au dernier moment. Plutôt que de prendre du retard dans le programme, j'eus volontiers accepté leur demande en envoyant le cours en plusieurs partis.
Une fois cela fait, je rangeai mes affaires et constatai que j'étais le seul encore présent en salle des professeurs de ce bâtiment. Je n'avais pas fait attention aux départs de mes collègues. Je vais essayer de faire plus d'efforts pour échanger avec eux… me dis-je en fermant la lumière puis la porte. Certaines salles diffusaient de la lumière à travers les fenêtres. Notamment à la BU, où quelques élèves restaient tard pour réviser.
Cela m'était arrivé de la voir, penchée sur ses fiches, se balançant distraitement de droite à gauche sur sa chaise. Cela suffisait à me faire sourire tout le long du chemin jusqu'à ce que je n'entre chez moi. Me ce soir ce n'était pas le cas. Je me demandai si elle était au café…J'avais envie d'y passer, mais je ne voulais pas faire attendre Leigh plus que de raison.
Depuis mon retour dans cette ville en fin Juin, je ne m'étais jamais vraiment senti à mon aise. Tout avait tant changé ! Je reconnaissais certains commerçants qui avaient parfois mal vieillit, ainsi que leurs enfants qui étaient désormais de mon âge. Mais nous étions redevenus des étrangers pour les uns et les autres, et mon seul véritable lien vers une vie social était ce modiste, Leigh, un homme de deux ans mon cadet, mais qui dégageait une sagesse déconcertante que je n'avais nullement. Et une incroyable sympathie !
Sans non plus acheter des centaines de magazines de mode ou d'accessoires, j'aimais les beaux habits et je choisissais minutieusement les boutiques où je comptais faire des achats aussi fréquemment que possible. Sa boutique n'existait pas du temps où j'allais au collège et lycée ici, mais je n'eus de cesse d'en entendre parler. Curieux, je me décidai un soir à m'y rendre et je fus agréablement conquis pas ses créations et autres collections qu'il semblait ramener de loin, de ce qu'il m'eut dit.
De visite en visite, et à force d'échanger allègrement avec lui, nous finîmes par échanger nos numéros et prendre un café pendant notre temps libre. Une sympathie mutuelle naquît très rapidement.
Il était vingt heures trente quand j'arrivai dans son établissement. Il ne restait que peu de clients et la plupart patientaient en caisse. Je cherchai Leigh du regard mais ce dernier sembla m'avoir vu arriver aux vues des grands signes qu'il me faisait depuis l'entrebâillement d'une porte qui menait à une salle réservée aux personnels. Je l'y rejoignis, sous les regards curieux des clients et employés. Après une poignée de main et une bise il m'incita à venir avec lui dans l'atelier du fond de sa boutique.
-J'ai bien reçu la chemise que tu as commandée, mais j'ai eu beau leur avoir envoyé tes mensurations, rien n'y fait, j'ai l'impression que ça va bailler au niveau des manches ! Comme c'est du surmesure, je préfère te la faire essayer et faire des retouches moi-même.
-Pas de problème, lui souris-je en posant mes affaires dans un coin. Je me mis torse nu, tandis qu'il me demandait comment s'était déroulé ma journée tout en repassant les micro plis dessus ladite chemise. Avoir autant de passion pour un tel art était admirable, doublé à cela sa bienveillance, je ne doutais pas du bonheur de sa compagne. Quoi qu'avec ses voyages, ça ne doit pas être facile non plus…  Me dis-je avant de me recentrer sur sa question.
-On est tous en alerte, profs comme étudiants, les contrôles continues sont en marches, et les partiels de fin d'année approchent. Décembre et Janvier ne vont pas être de tout repos !
-J'ai cru comprendre oui, Rosalya reste tard le nez dans ses bouquins. Elle dort mal, et au lieu de se rendormir, elle profite de ses insomnies pour réviser.
-Elle va se rendre malade, j'ai eu une période comme ça, et le résultat n'était pas très concluent.
Leigh m'aida à enfiler la chemise et commença à examiner les manches.
-Ah, oui…même au deuxième cran ça ne me tient pas les poignets, dis-je en constatant la largeur des manchettes.
-Rah, pas vrai ça, pesta-t-il en pinçant des épingles à des endroits précis sur les manches et épaulettes : Je suis rassuré, ce soir elle m'a promis de lâcher ses fiches et d'aller voir sa meilleure amie à son lieu de travail. Faut qu'elle s'aère l'esprit…
J'allais répliquer lorsque je vis ses mains trembler légèrement, mais suffisamment pour en faire tomber une éguille. Lui d'ordinaire si calme, je le trouvai très anxieux.
-On peut faire ça une autre fois, Leigh. C'est bientôt l'heure de fermer la boutique, tu veux sûrement rentrer chez toi.
-O-oh, non, ne t'en fais pas ce n'est pas…(il désigna la chemise avant de croiser mon regard, soucieux) Je peux te poser une question plutôt indiscrète ?
Pris au dépourvu, je restai un moment silencieux puis, accompagné d'une certaine hésitation je lui accordai sa question. Je voyais bien que ça n'allait pas, et même si cela ne faisait que quelques mois qu'on se côtoyait, j'appréciai beaucoup mon cadet.
-T'as déjà eu des enfants ?
Autant je ne trouvais pas la question si indiscrète que cela, mais il était clair pour moi que je ne m'y étais pas du tout attendu. Reprenant contenance, je rétorquai enfin :
-Non, pour tout te dire je suis célibataire.
-Ah…
Ma réponse n'eut pas le don de le détendre. Je passai outre mes doutes et demandai finalement :
-Pourquoi cette question… ? Rosalya et toi avez des projets ? Si c'est le cas, je ne pense pas être le meilleur conseiller, vu ma situation amoureuse du moment !
Je terminai avec une pointe de légèreté et cela eut pour mérite de le faire ricaner. Après nous être adressé un mutuel sourire sincère, il se remit à la tâche en me demandant de ne pas bouger et de garder pour moi ce qu'il s'apprêtait à me dire. Aussitôt, je compris ce qui allait suivre.
-Rosalya est enceinte de trois semaines. Les insomnies qu'elle a en ce moment, le médecin pense que c'est à la fois dû à son début de grossesse mais aussi aux partiels à venir. Elle doit l'annoncer à ses meilleurs amis ce soir, de mon côté, je ne savais pas à qui en parler…j'ai cru que j'allais exploser ! (Il se râcla la gorge) J'espère juste, ne pas t'avoir mis dans l'embarras.
-Bien sûr que non, Leigh. Je vais sortir une phrase un peu clichée, mais c'est la vie. Certes, elle est parfois pleine de rebondissement !
-Haha, crois-moi, des rebondissements dans ma vie j'en ai connu et mon petit frère aussi. Je sentis son rire jaune à travers ses paroles.
-Lysandre, c'est ça ?
Il opina du chef.
-Je n'sais pas comment je vais lui annoncer ça. Je ne sais même pas comment il va prendre le fait d'être oncle …
Je l'incitai à se stopper dans les retouches de ma chemise et l'obligeai à me regarder.
-Déjà, comment toi tu prends la nouvelle ? le questionnai-je, d'une voix qui se voulait rassurante.
-Oulà ! fit-il en haussant les sourcils : Je suis…(il pouffa, le regard perdu dans le vague) confus, perdu…mais en même temps tellement heureux. Je veux dire… Rosalya c'est toute ma vie, notre relation n'a pas été toute rose au début, pour la simple et bonne raison que je suis quand même plus âgé qu'elle ! Mais c'est une femme tellement forte, et déterminée dans tout ce qu'elle entreprend, si courageuse face à ce que la vie lui réserve ! Et savoir que c'est cette même femme, Rosalya, qui va porter en elle pendant neuf mois une partie de mon être j-j'suis…
Il s'interrompit lorsque sa voix se mit à trembler d'émotions. Les manches chargées de pinces et d'éguilles m'empêchaient d'étreindre mon ami aux bords des larmes. Puis zut ! Je m'extirpai tant bien que mal du vêtement épineux et passa un bras autour des épaules de Leigh en les frictionnant vigoureusement.
-T'as intérêt à préparer une collection enfant avant l'été prochain ! plaisantai-je. Je parvins à le faire rire sincèrement. Je sentais ses muscles se détendre d'un coup, j'étais certain qu'il venait de se soulager d'un poids. Même si cela ne semblait pas une mauvaise nouvelle à ses yeux, garder tout ça pour lui semblait être trop imposant. Cela me toucha d'avoir été son confident. D'autant plus que ce n'était pas une légère révélation. Cela va être un grand changement dans sa vie.
-Je vous souhaite du bonheur à tous les trois, déclarai-je avec enthousiasme et franchise.
-Merci de tout cœur, Rayan.
Finalement, nous passâmes un peu plus de temps que prévu ensemble et quittâmes sa boutique tous les deux, ses employés déjà rentrés.
-Bon, les clés sont là, les lumières sont éteintes, la caisse vide, la réserve et le bureau fermés, les stores baissés, l'alarme mise. On peut y aller ! J'ai reçu un message de Rosalya, elle va rentrer tard, j'aimerai t'inviter à boire un verre, tu as encore un peu de temps ?
Je me voyais mal refuser son offre après ce que nous venions de partager, et je n'en avais pas vraiment l'envie. Nous trouvâmes un bar de nuit, et terminâmes notre soirée autour d'un cocktail. Cela faisait un moment que je n'avais pas quitter le nez de mon travail, c'était agréable, notamment de passer ce moment avec une personne comme Leigh.
Néanmoins, je ne fus pas mécontent de retrouver mon lit. Je pris soin de ranger ma nouvelle chemise avant de me déshabiller et me lover sous mes couettes. J'ignorai si les confidences de Leigh avaient un lien avec ça, mais je rêvais de faire un cours à trois-cents bébés assis sur des chaises hautes en plein amphi. A mon réveil, il ne me fallut pas moins d'une seconde pour aller me faire couler un café avant de prendre une douche revigorante.
-Trois-cents bébés…c'est fini les verres avec Leigh après le boulot !
Après avoir petit déjeuné, je terminai de me préparer et rassembler mes cours. Deux heures avec elle… Je me trouvai ridicule, je n'avais pas encore posé mes yeux sur Tallulah qu'elle accaparait déjà mes pensées. J'espérai la savoir enthousiaste vis-à-vis du sujet d'étude que j'avais concocté. Du moins, je passais vite par la déception et l'inquiétude. J'étais arrivé plutôt avance, certains étudiants étaient déjà là, mais pas celle avec qui je m'impatientai à débattre en cours.
Son amie Chani semblait également nerveuse, elle se tournait sur sa chaise en regardant les portes du fond. Mais Tallulah ne se montra toujours pas. Quand l'heure de démarrer mon cours arriva, je réclamai le silence général et obtins l'attention de tout le monde. Enfin, de toutes celles et tous ceux qui étaient présents. Tout en demandant si tout le monde avait bien pu récupérer les parties du cours annulé, je resongeai à la discussion qu'eurent mes collègues la veille au sujet des retardataires. Je préfèrerai qu'elle soit en retard qu'absente. J'ignorai si le destin en avait décidé ainsi, mais mon vœu fut exaucé. Clairement, je n'entendis absolument rien. Debout face au tableau j'écrivais quelques notes en lien avec mon cours et de la problématique du jour.
Quand je refis face à mon auditoire, je la vis. J'eus tellement envie de rire, la voir si essoufflée et embarrassée, j'en déduis qu'elle avait dû courir pour arriver le plus vite possible ici. Mon cœur s'emballait de joie, et je me sentis plus en forme que jamais pour tenir mon cours. Bien vite, les étudiants se mirent à réfléchir de leur côté. Bien que j'eusse préféré qu'ils me partagent leur idée à haute voix, ils s'entêtaient à les rédiger sur les blocs notes et autres post-it que je leur avais autorisés à prendre avec eux.
Le visage encore rougi par sa course, et ses cheveux chocolat négligemment attachés qui retombaient sur sa nuque parsemée de sombres tâches de rousseurs, Tallulah semblait absorbée dans ce qu'elle écrivait. Aujourd'hui, je veux vous entendre débattre. Sautant de mon perchoir, je déambulais dans les rangés en prenant au hasard le carnet de mes élèves. Quoique le sien, je devais bien avouer que ce fut plus volontaire qu'autre chose…
Je les feuilletai tous en silence, sous les yeux ahuris de mes victimes. Du coin de l'œil, je pus voir Tallulah qui me reluquai d'un air tétanisé. Ça va bien se passer, prenez confiance en vous bon sang ! Voulus-je lui dire, mais je me contentai de noter les idées les plus pertinentes et qui pouvaient avoir un lien avec la problématique. Bien développé, ils peuvent comprendre.
Maintenant je leur demandai en quoi toutes ces idées pouvaient nous être utile. Les étudiants chuchotèrent entre eux, puis, deux élèves commencèrent à débattre à haute voix, l'un ne comprenant pas la présence des nouvelles technologies et l'autre expliquant que ce n'était qu'un lien indirect pour relier le tout à notre problématique.
Puis, la main de celle dont j'attendais le plus la participation, réclama la parole. Si ce fut une intervention timide au premier abord, le fait que le jeune homme insiste sur « l'inutilité » de l'idée sembla avoir échauffer son esprit. Sans que je puisse en placer une, Talullah démontra qu'à travers cette idée on pouvait en ressortir le fait qu'un artiste qui se retrouve face à des contraintes, doit se creuser d'avantage les méninges pour alimenter son imagination, que seule l'inspiration venue du saint esprit et les muses n'étaient pas suffisantes.
Lorsque je la sentis s'enflammer sur un autre sujet, je décidais d'intervenir pour passer au débrief. Après quoi, les élèves furent bien plus disposés à débattre tous ensemble en reliant chacune des idées inscrites au tableau avec les démarches de l'auteur de Game of Thrones dans la réalisation de son œuvre. Les deux heures passèrent à une vitesse folle, et je fus plutôt fier de voir les trois quarts des élèves déçus de ne pas pouvoir poursuivre le cours. J'étais vraiment satisfait de leur performance ce matin-là !
Seuls les étudiants à qui j'eus pris les carnets de notes vinrent à mon bureau les récupérer. Ce fut plus fort que moi, mais je vins glisser quelques mots au creux de son oreille. Je fis une plaisanterie au sujet de son retard, mais elle ne s'en amusa que peu et s'affola. Je la rassurai d'une part elle n'avait pas eu beaucoup de retard, et d'autre part, elle n'avait dérangé personne. Je repensai une nouvelle fois à ce que disait Monsieur Lebarde au sujet de ne plus l'accepter en cours au prochain retard. Tout comme lui, je m'occupai de beaucoup de classe, et il fallait tout de même faire preuve d'objectivité : il y avait des élèves pires que Tallulah. J'ignore si je suis réellement objectif, mais je ne soutiens pas sa véhémence.
-Votre amie semblait désespérée de ne pas vous voir arriver. Elle se retournait sans cesse jusqu'à ce que je n'écrive la problématique au tableau, l'informai-je tandis que nous nous éloignâmes de la file.
-C'est un amour, déclara-t-elle sans demi-mesure, un sourire éblouissant aux lèvres. Mon cœur bondit à nouveau. Le timbre si chaleureux de sa voix me charmait. Attendri et conquis, je ne pus retenir mon propre sourire de s'étirer : gentille est passionnée, c'est une jeune femme vraiment adorable, termina-t-elle les yeux remplis d'admiration à l'encontre de son amie.
Elancé par mes émois, je m'apprêtai à lâcher le fond de mes pensées qui risquaient de dévoiler certaines choses que les étudiants encore autour de nous ne devaient en aucun cas savoir. « Vous l'êtes tout autant à mes yeux. » Je déglutis difficilement et changeai rapidement le tournant de ma phrase.
-C'est toujours bon d'avoir un soutien en cette période de votre dernière année. Quoi que, comptez-vous viser plus haut ?
J'essayai de garder une voix la plus posée possible.
Ma cadette m'avoua avec une moue soucieuse qu'elle n'avait pas encore de projet. Au fond de moi, je sentis que mon rôle de professeur était de la rassurer sur ce point. Elle devait loin d'être la seule dans ce cas.
-Concentrez-vous sur le présent, votre mémoire doit déjà bien accaparer votre esprit, laissez le temps au temps. Ne voulant pas paraître trop intrusif, j'ajoutai, non sans rougir un tantinet embarrassé : Enfin, ce n'est qu'un conseil, v-vous faites ce que vous voulez.
Elle eut un petit rire mais m'adressa un regard, vraisemblablement touchée par mes mots.
-Merci, vos conseils sont comme un soutien à mes yeux.
Sa voix chaude et grave sembla me couvrir avec sensualité. Je retins mon souffle alors que nos yeux se croisaient. Ce regard atypique… la couleur brune dominait mais deux tâches nuançaient son iris gauche. Une tâche grise et l'autre bleue qui se trouvaient juste sous la pupille et le reste était marron, comme l'entièreté de l'autre iris. Les teintes restaient sombres, ce qui accentuait la force de son regard qui me captivait.
Tallulah fut celle qui interrompit cet échange aussi intense que silencieux. Je crus voir une ombre voiler son regard et j'eus l'impression de la sentir désenchantée, pourtant elle me sourit et me souhaita une bonne journée.
Dans un souffle, je l'appelai d'une voix aussi sourde que fébrile. Mais la foule fit disparaître sa silhouette, et je décidai d'en faire autant. Une fois seul, perdu dans la cour, je sortis mon portable et me mis à fixer mon fond d'écran dont la vue ne put que faire se serrer mon cœur… On le sait, nous deux, que ce n'est pas une bonne idée d'essayer d'aller plus loin.
Il fallait à tout prix que j'étouffe l'intérêt que je portais à ma cadette avant que je ne me remette à jouer à un jeu dangereux pour elle. Voilà ce que je me répétai avec fermeté toute la journée, ce qui m'étais facile à faire tant que je ne la croisai pas. Et justement… Un soir de plus, nous tombâmes de nouveau sur l'un l'autre. Presque littéralement d'ailleurs, pressé de rentrer chez moi après cette journée éreintante, nous nous fonçâmes dessus, tandis que je sortais de la cour et qu'elle y entrait.
Tallulah parut aussi surprise que moi, mais m'adressa un sourire rayonnant quoi qu'un peu gêné. Celui-ci suffit à me désarmer et je lâchai un ricanement.
-Décidemment ! fis-je, en me mettant sur le côté. Pour une étudiante vivant dans le dortoir vous êtes souvent dehors.
J'eus préféré voiler mes profondes inquiétudes à la savoir de nouveau dans les rues en pleine nuit et surtout seule, par une touche de sarcasme. Les fois précédentes, elle m'eut clairement fait comprendre qu'elle était à même de gérer cela. Pas que je doutais d'elle, mais ce fut surtout en ce qui pouvait lui arriver, dont je me méfiai…
De fil en éguille nous vînmes à discuter avec légèreté, peut-être trop, au point que je gouttai à nouveau à sa spontanéité déconcertante. Tallulah venait clairement de m'inviter à prendre un verre avec elle, et je ne sus quoi répondre si ce n'était que ce n'était pas convenable. J'essaie juste de faire bonne figure face à mes résolutions… Mais à chaque fois qu'elle se trouvait en face de moi, mes barrières tombaient et il m'était bien difficile de réfréner mes envies de passer plus de temps avec elle. C'est moi-même qui voulait discuter plus amplement avec elle sans interruption l'autre fois dans l'amphi… Il semblait que mes mots n'étaient pas tomber dans l'oreille d'une sourde ! Je souris, non sans me mordre les lèvres, aimant à croire qu'elle désirait également passer plus de temps en tête à tête avec moi.
Finalement, ce fut plus fort que moi mais je cédais autant à son invitation qu'à mes envies. Je lui promis d'aller la voir à son travail pour me faire offrir ce verre et discuter avec elle. On s'était mis d'accord pour attendre encore un peu, avant de se voir dans un autre contexte.
Soudain, un de ses amis nous interrompit. Tallulah se raidit autant que moi, mais à l'inverse de ce qu'il s'était passé la première fois que nous fûmes surpris ensemble, elle ne laissa pas le temps au nouveau venu de poser une quelconque question. Je sentis bien qu'elle jouait la comédie, mais cela sembla tout de même fonctionner et son ami s'excusa platement pour son retard. Il était temps pour moi de prendre la poudre d'escampette ! Je voulus les saluer, lorsqu'une remarque faite par le jeune homme m'interpella et me coupa net dans mon action.
-Bah voyons, si je connaissais l'adresse de Rosa, je serais partie mon vieux !
-Et te laisser féliciter le futur papa Leigh toute seule ? Rêve ma fille ! Allez, on est parti !
Le futur papa Leigh ? Est-ce que ça ne serait pas…
Je restai quelques secondes à les observer se chamailler, jusqu'à ce que Tallulah ne lance un regard plein de reproches à son ami qui venait visiblement de gaffer. Sentant clairement que j'étais de trop, je préférai partir pour de bon. Je les saluai et pris le chemin du retour. Néanmoins, je ne pus que très difficilement mettre de côté mon hypothèse que Tallulah et Leigh se connaissaient.
Si c'était le cas, alors je sentais qu'il allait être difficile pour moi de respecter les résolutions que je peinais déjà à honorer.
A suivre…
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devonis · 6 years ago
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Chapitre 1 : Par Elle
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-T'as vu le prix de celui-là… C'est aberrant quand même, on n'est pas à Paris non plus, soupirai-je.
-La nouvelle Maire est du genre gourmande en taxes, rit Alexy en tournant la page du catalogue.
-Oh m…ferme-moi ça, je vais trouver un autre bouquin.
Mon ami se mit à rire aux éclats en reposant le magazine immobilier que nous feuilletions depuis quelques minutes déjà. Nous nous trouvions au supermarché près de la fac, venus dans l'optique de trouver de quoi manger rapidement ce midi entre nos cours, nous finîmes par nous arrêter au secteur libraire, dans le rayon des magazines d'agences immobilières. En effet, depuis quelques temps, je ressentais l'urgence de quitter le dortoir. En revenant en ville, je m'étais d'abord dite que cela me suffirait, après avoir passé trois ans chez mes parents, puis une année en colocation avec une amie de mon ancienne fac, pour ma dernière année, je ne pensais pas que vivre en dortoir me saperait autant le moral.
-Mais si tu quittes le dortoir, tu vas devoir faire une demande de bourse, non ? Enfin, tu l'as peut-être déjà faite pour le dortoir d'ailleurs, si ce n'est pas trop indiscret.
Je secouai la tête en lui souriant.
-Oui, j'en ai déjà discuté en privé avec Miss Paltry, elle m'a dégotée un numéro de téléphone que je dois rapidement contacter pour formuler ma demande avant la fin du semestre. Après quoi, cela risque de traîner et je n'aurais aucune aide avant mars prochain.
-Ah ouais…il ne te reste pas vraiment beaucoup de temps, souligna Alexy avec une petite mine.
-Comme tu dis Henry ! C'est bien pour ça qu'il faut que je me trouve un logement rapidement…
-Tu ne peux pas faire ta demande avec l'adresse du dortoir ? Je veux dire…Morgan a une aide lui, déjà.
-Je n'ai pas envie de perdre du temps avec le changement d'adresse. Je préfère d'abord trouver quelque chose, et même si je leur ai déjà assurés que je pouvais payer le premier loyer avec ce que j'ai mis de côté de mon travail au café, mes parents vont se charger de payer une partie de mon loyer jusqu'à ce que le dossier soit validé et que je perçoive le premier versement, rétorquai-je en faisant glisser mon ongle vernis sur le rebord de l'étalage des magazines, tout en vérifiant les cotes.
Alexy s'était arrêté à quelques mètres, et cherchait de son côté. Nous dûmes arrêter lorsque Morgan lui envoya un message pour lui demander ce que nous faisions avec les casse-croûtes. Ah oui, nous avions plus que nos propres bouches à nourrir. Rosalya n'avait pas cours cet après-midi, donc était rentrée chez elle, mais Morgan est Hyun nous attendaient toujours à la fac. Je regardai l'heure sur ma montre.
-Bon sang, le prochain cours commence dans trente-cinq minutes, le temps de payer et de revenir à la fac on va perdre déjà un bon quart d'heure.
-Pas si tu bouges ton cul !
Il me donna une tape sur ledit « cul » et riant comme un grand gamin, il courut vers le rayon alimentaire. Je ris malgré moi et pris au hasard des catalogues que je lirai tranquillement après les cours. Je retrouvai mon grand escogriffe devant l'étalage de snacks frais. Je m'occupai de mettre les articles qu'il choisissait dans le panier.
-Pourquoi t'as pas fait de demande de bourse avant ? me demanda subitement Alexy.
-Et toi, pourquoi ne pas en avoir fait ?
-Parce que je suis toujours à la charge de mes parents et vu de ce qu'ils touchent avec leurs deux salaires je ne peux rien percevoir, il faudrait que je…il se tut et me toisa du coin de l'œil. Je l'observai d'un air amusé. Il reprit : Toi aussi ?
-Toujours, mes parents s'en occupent à l'heure actuelle, c'est pour ça, (répétai-je en agitant un des magazines), que je dois vite trouver quelque chose ! Parce qu'une fois détachée d'eux, tout va aller vite, je ne veux pas embêter mes parents jusqu'au semestre prochain…
-Tu paries combien qu'ils vont débarquer chez toi une fois que tu seras installée, gloussa mon ami alors que nous nous rendions aux caisses rapides.
-Pff…m'en parle-pas, quand j'en ai informé ma mère, elle n'a pas été longtemps réticente, crois-moi qu'elle a vite compris qu'on ferait une crémaillère.
Le rire d'Alexy se fit plus bruyant et il vint aussitôt plaquer sa main libre contre sa bouche. Nous reçûmes quelques regards intrigués. Pinçant mes lèvres pour contenir mon rire, je le poussais vers une caisse libre où nous scannâmes nos articles, sous le regard peu vigilant de la gérante qui feuilletait un catalogue de bricolage.
-Au revoir, nous lui dîmes, mais un simple grognement sortit de sa bouche. Alexy et moi n'en fîmes pas plus de cas et trottâmes jusqu'à la sortie. Un peu avant d'atteindre les portes automatiques, mon regard fut attiré par le panneau de petites annonces en tout genre.
-Attends, attends ! Juste une seconde ! prévins-je mon ami qui glissa sur quelques centimètres lorsqu'il freina sa foulé. Revenant à reculons vers moi, Alexy posa son menton sur mon épaule droite et fixa le panneau.
-Quoi ? T'as trouvé le numéro d'un gigolo ?
-Mais non ! pouffai-je en examinant du regard et d'un geste de la main les annonces de locations. J'arrachai celle d'un certain « Monsieur Castillon » qui louait un appartement de 45m² à un prix qui nous fit tomber des nues.
-C'est vraiment…commença Alexy en prenant l'autre partie du papier dans ses mains comme s'il avait peur que ce dernier ne tombe.
-…pas cher, terminai-je en sentant mes épaules tomber. Même sans la bourse, avec le salaire que je touche et l'aide au logement c'est largement vivable.
-« Appartement 40 à 45m², 1 salle de bain, 1 toilette séparée, cuisine rénovée, séjour, 1 chambre + une pièce pouvant être refaite pour chambre d'ami ou un bureau. Bon pour un couple ou personne seule ».
Alexy avait relut l'annonce d'une voix sourde, presque lointaine tant il n'y croyait pas non plus. Jusqu'à ce que nous voyions en même temps, les petits écrits en bas de l'annonce, non loin du numéro et adresse du propriétaire. « D'autres rénovations seront sûrement nécessaires, à constater sur place. »
-Houlà, ça sent l'arnaque ma bichette.
-Attends, je peux toujours essayer de visiter ? Il n'y a pas de frais…c'est un particulier.
Mon grand ami renifla bruyamment non sans me lancer un regard sceptique.
-« D'autres rénovations seront sûrement nécessaires », ça veut tout dire ! Doit être un vieux grippe-sou qui veut simplement profiter de la crédulité d'une étudiante en art, désespérément à la recherche d'un toit avant la fin du semestre !
-Alex'…pestai-je en lui lançant un regard lourd de sous-entendus.
-Quoi !? s'offusqua-t-il d'une voix suraigüe, je te jure que Rosa te dira la même ! (Il prit en photo l'annonce et pianota sur son portable) Je lui envoie par mms.
-Pff…
Bien que je comprisse les inquiétudes de mon ami, je ne parvenais pas à détacher mes yeux de ce petit bout d'annonce qui signifierait pourtant beaucoup pour moi, si rien de tout cela n'était une arnaque. Je le froissai et le glissai dans la poche de ma veste et fis signe à Alexy de reprendre notre route. De retour à la fac, nous fûmes impatiemment accueillis par un Hyun et un Morgan, affamés ; le premier assis sur un banc en tapotant nerveusement du pied en fixant sa montre et le second, assis sur le sol, la tête reposant sur le l'assise du banc. Après nous avoir demandé pourquoi nous prîmes tant de temps pour quatre sandwichs et des boissons, nous en vînmes à parler de ma petite annonce, aux allures fortes aguicheuses.
-Je rejoins l'avis d'Alexy, me fit doucement Hyun entre deux bouchées, c'est à la fois trop beau et évidemment louche. Tu crois qu'il aurait parlé des rénovations s'il avait désiré les faires à ses frais ? Non, à tous les coups c'en est un qui va accepter tous les changements que tu voudras chez lui, mais ça devra être payé de ta poche ! D'accord le loyer est bas, mais les rénovations…
Hyun me rendit mon annonce, que je toisai un peu tristement.
-M-Mais rien ne te coûte de lui téléphoner et d'en savoir plus ! se reprit-il en bafouillant légèrement en évitant soigneusement mon regard.
Même si je ne trouvais rien de dérangeant dans notre relation, je voyais bien que Hyun avait des vues sur moi. Tant qu'il ne voulait pas en parler, je ne préférai pas lui poser de questions et le mettre inutilement dans l'embarras. Je tenais à notre amitié naissante, et je préférai conserver les choses tel quel plutôt que de tout perdre. J'étais heureuse d'avoir retrouvé Rosalya, Alexy, Priya, Melody, Leigh, Nathaniel et Castiel, mais je devais avouer que mes nouvelles rencontres m'étaient tout aussi précieuses, notamment Chani et Hyun.
-Chani…
Ma petite camarade m'avait récemment parlée de sa recherche d'emploi. Je me souvins l'avoir entendu rire aux éclats lorsque je lui eus annoncées que je comptais quitter le dortoir et que je faisais toutes les agences du coin pour trouver un nouveau toit. « Déjà le divorce entre Yeleen et toi ? Trop de mauvaises ondes ? » m'eut-elle dit. Quant à elle, ces envies de faire de l'urbex avaient pris le dessus sur son porte-monnaie, et pour pouvoir continuer ses loisirs, elle s'était mise en tête de décrocher un emploi, tout comme moi. Je me demande ce que son entretien a donné… Pour que Chani sèche un cours, c'était qu'elle était vraiment motivée à trouver de quoi se faire de l'argent de poche !
La voix de Morgan me sortit de transe.
-C'est bien beau la demande de bourse, mais t'es au courant que ton détachement du fisc familial ne sera pris en compte par l'organisme que l'an prochain…Genre, après tes études sauf si tu veux viser encore plus haut que le Master. (Il eut une petite moue) Ou que tu redoubles.
Tous, posâmes des yeux ronds sur sa personne, tandis qu'il croquait goulument dans son sandwich.
-T'es sérieux ?
Morgan mâcha rapidement sa bouchée, avala et me répondit :
-Miss Paltry t'a pas prévenue ? Genre, il fallait te détacher plus tôt pour que tu puisses toucher quoi que ce soit. Dans mon cas, ça fait depuis le début de mes études que je suis détaché, j'ai un an de plus que vous, j'ai redoublé ma première au lycée, donc j'étais majeur en terminal, et mes parents avait déjà prévu le coup, compte tenu du fait que, leurs salaires ne suffiraient pas à payer mes études, mais qu'ils seraient de trop pour toucher la bourse. Morgan eut dit cela d'une traite en agitant son sandwich d'un bout invisible à un autre comme pour faire le lien entre tout ce qu'il disait.
Hyun soupira : « j'aurai pu te prévenir également, ça ne fait que deux ans que je touche la bourse, je n'ai pas capté lorsque tu m'as parlé de ton projet l'autre jour. »
Je le rassurai en glissant une main réconfortante dans son dos.
-C'est gentil, mais c'est principalement ma faute, je me suis précipitée et je n'ai pas posé suffisamment de question à Miss Paltry.
-N'empêche, ça pourrait être un bon sujet pour le cours de développement personnel, renchérit Hyun en époussetant son pantalon recouvert de miettes de pain.
Je haussai les sourcils pour appuyer la perspicacité de ces dires, quand Morgan reprit :
-En revanche, je pense qu'entre ton aide au logement et ton salaire du Cosy Bear Café tu devrais pouvoir gérer si tu te trouves un coloc'.
-Donc, t'es en train de l'encourager à visiter cet appart' ? rétorqua aussitôt son petit copain d'un air fort surpris : Si c'était une arnaque ?
-« Si ceci, si cela… » Si j'n'étais pas le coloc' de Hyun on n'sortirait peut-être pas ensemble ! On refait tout un monde avec des si, Alex', fit remarquer Morgan et jetant un coup d'œil à mon ami qui était assis sur le bord du dossier du banc, les pieds de part et d'autre, l'encadrant de ses genoux. Moi je suis prêt à l'accompagner si elle ne veut pas s'y rendre toute seule, termina-t-il.
-Oh, c'est gentil Morgan mais ça devrait aller, lui souris-je en me levant du banc. Je ramassai nos emballages de sandwich et les jetai dans la poubelle juste à côté : Par contre, ton idée de coloc' me tente moins. Certes ça diviserait le loyer en deux, et là… (je m'étouffais presque) ça reviendrait vraiment pas cher. Mais je n'ai clairement pas envie de me retrouver avec une Yeleen bis ou un gars aussi aimable que le responsable administratif.
Alexy manqua de s'étrangler dans un rire étouffé par sa dernière bouchée de sandwich.
-Imagine qu'il tombe sur l'annonce et décide de faire une coloc' avec toi ! V'là les rumeurs qui vont pourrir ta dernière année !
Je manquai de décéder juste en imaginant la scène. Morgan le suivit dans son fou rire tandis que Hyun me demanda si cela ne me dérangeait pas de faire une colocation avec un garçon.
-Pas plus que ça, tant qu'il est sympa, franchement ça me va ! (Je tiquai aussitôt) Pourquoi, tu voudrais qu'on se fasse une coloc' ?
-Ouais, on s'appellerait les Cosy Bear Coloc ! s'enjoua-t-il en levant les points comme un cheerleader.
Il m'arracha des éclats de rire.
-Clémence me tuerait sur place…mieux vaut ne pas tenter. Je tiens à mon job et à ma vie, surtout à ma vie ! Plus sérieusement, fis-je en me positionnant debout devant eux trois : Je crois que je vais tenter un coup de fil. Puis, si je me rends compte que ça ne vaut pas le coup (je désignai les catalogues qui dépassaient de mon sac de cours) je continuerai les recherches.
Alexy remit les pieds sur terre, et me montra l'heure d'affichée sur son portable.
-T'as pas le temps d'appeler, les cours vont reprendre, me dit-il avant de déposer un baiser sur ma joue : Tu me tiens au jus ?
Morgan prit Alexy par la main, nous salua Hyun et moi, et ensemble, ils partirent en cours sous l'engouement d'Alexy qui semblait avoir hâte d'être à ce week-end. Je crois qu'ils ont prévu un ciné…tentai-je de me souvenir en rassemblant mes affaires en compagnie de mon collègue.
-Cela a l'air de vraiment te tenir à cœur cette histoire de logement, souleva Hyun qui regardait ses pieds tandis que nous marchions en direction du bâtiment d'art. C'était le plus proche par rapport au sien qui se trouvait derrière.
-Normal, non ?
-Eh bien, t'as déjà ta chambre au dortoir. Je sais que les relations entre Yeleen et toi ne sont pas toutes roses, mais…on n'est qu'en novembre, tu devrais laisser le temps se faire non ?
-Il n'y pas que cela…l'an dernier, j'étais déjà en appartement avec une camarade et on avait des chambres séparées par la pièce de vie. C'est vraiment autre chose que de vivre dans une petite chambre où tu n'as pas vraiment de vie privée.
-Je crois que je peux comprendre, rit-il subitement : Mes sœurs sont de grandes fouineuses, mêmes si ma chambre est loin des leurs, rares sont les choses que je peux cacher, haha ! La chambre du dortoir, c'est un véritable paradis comparé à ça !
-Haha, à ce point ? Je suis fille unique, je n'ai pas de point de comparaison. En tout cas, tu crois que Clémence accepterait de m'ajouter quelques heures de boulot ?
-Elle l'a bien fait pour moi, ça ne devrait pas lui poser de problème, après je peux lui en parler ce soir.
-Ce soir, c'est moi qui suis de fermeture Hyun, lui rappelai-je. Nous atteignîmes le bâtiment d'art, duquel je gravis les premières marches tandis qu'il restait en contre-bas.
-Pas faux ! Mais j'aurais le temps de lui en parler en début de services, je commence avant toi. Je lui expliquerai aussi pour la cafetière, avant qu'elle ne se fasse des films.
-T'es gentil, assurai-je en lui souriant. (Je fixai l'heure sur ma montre, et le troupeau d'étudiant qui se ruait vers les amphis) Bon, je te laisse. A tout à l'heure au café ?
-Ouais, bon courage.
Nous nous fîmes de derniers signes de la main avant de définitivement se séparer. En slalomant parmi les étudiants éparpillés dans le hall, je finis par être bousculées et par réflex, je m'agrippai au premier venu.
-Pardon ! Je ne voulais te faire mal, ça va ? je levais le nez pour croiser le regard de l'étudiant de qui je venais d'agripper la veste. Oh m…Je ne voulais pas vous t-…enfin je croyais que c'était…
Monsieur Zaidi se tenait pile devant moi, l'air parfaitement stupéfait. Nos yeux se posèrent sur ma main froissant sa veste. Je lâchai aussitôt prise, et tapotai les pliures pour essayer de lisser le tissu. Je l'entendis rire aux éclats avant de m'assurer que ce n'était trois fois rien.
-Il n'y a pas de mal de mon côté, et vous ?
-Oh, heu…(je m'éloignai de quelques pas), votre veste m'a évitée une belle chute je pense, merci.
Le sourire de mon professeur s'étira de plus bel, tandis que j'essayai de reprendre contenance. Je n'ai pas fait exprès non plus, je dois me détendre ! Me hurlai-je. J'allais m'excusai de devoir le laisser ainsi pour que je rejoigne le cours de Monsieur Lebarde, quand d'autres étudiants me poussèrent une nouvelle fois.
-Oh, faut se calmer maintenant ! ne pus-je m'empêcher de pester en cherchant du regard ceux qui venaient de me bousculer.
-Pour une fois qu'on est pressé de venir à mon cours Lilian, fit subitement Monsieur Zaidi d'une voix portante. Le groupe d'étudiants se retournèrent et l'interpellé se mit à rougir. Tous s'excusèrent de m'avoir poussée avant de s'engouffrer dans l'amphi. Mon aîné avait toujours le regard rivé sur les portes qu'ils avaient passés, l'air sévère.
Ce fut idiot, mais un sourire se dessina sur mes lèvres. Il le remarqua et m'interrogea d'un haussement de sourcil. Je secouai la tête et désignai la porte de l'autre amphi, là où le cours d'Art antique et médiéval allait commencer. Le hall était désormais vide de monde, il ne restait plus que nous deux qui nous dirigions vers deux cours bien distincts. Lui, celui qu'il allait enseigner, et moi celui que j'allais apprendre. Je stoppai ma main pile devant un des deux battants de porte, et glissai rapidement avant qu'il n'entre à son tour dans sa salle, et d'une voix tout juste audible pour lui :
-J'aurai peut-être dû utiliser la bombe au poivre, ça aurait été bien plus simple de passer.
Je l'entendis pouffer tout en rétorquant :
-Ils ont déjà du mal à ouvrir les oreilles, il ne faudrait pas abîmer leurs yeux.
Secouant la tête une dernière fois avec un air sincèrement amusé et tendre, j'ouvris la porte avec la ferme attention d'entrer. Mais une fois de plus, mon geste se stoppa. Monsieur Zaidi m'interpella encore, quoi que d'un ton plus soucieux :
-Tallulah…
Ma tête se tourna par automatisme en sa direction. Sa voix guidait mon attention…
-Avez-vous eu besoin de vous en servir ?
Je compris qu'il parlait de la bombe au poivre. Je sortis cette dernière de la poche avant de mon sac, et l'agitait doucement.
-Toujours pleine, le rassurai-je en souriant timidement.
Il m'en adressa un tout aussi fugace, mais ajouta :
-Tant mieux.
Puis, sa silhouette disparut derrière les battants de son amphi. Je restais quelques secondes à me souvenir de sa posture, avant de m'installer discrètement dans celui où Monsieur Lebarde avait déjà entamé son cours. J'aperçus Chani, tout devant, complètement entourées d'étudiants. Les seules places de libres se trouvaient au cœur de la rangée centrale, et je me maudissais de devoir déranger les élèves pour me laisser m'asseoir. J'avais horreur de ça.
-Soit on vient à l'heure soit on reste dehors mademoiselle ! me réprimanda le professeur qui me remarqua finalement. Que vous soyez là ou non m'importe peu, ce n'est pas moi qui ai des examens en fin d'année. Mais ne dérangez pas tout le monde je vous prie.
-O-oui…veuillez m'excuser.
Je me fis la plus discrète possible jusqu'à la fin du cours, en prenant bien soin de tout noter. C'était l'un des cours qui m'emballait peut-être le moins, je devais donc redoubler d'efforts pour ne rien mettre de côté. A la fin du cours, je rejoignis Chani qui m'eut repérée grâce à mon entrée très remarquée de plus tôt, et ce fut accompagnée d'un grand sourire qu'elle agita une feuille sous mon nez. Je reconnus assez vite les allures d'un contrat et pus en déduire que son entretient s'était très bien passé.
-Oh, viens là !
Je l'étreignis avec force et elle me le rendit bien ! Nous rejoignîmes la salle de repos, ayant une petite pause avant le cours d'Anglais, celui qui clôturait notre journée.
-Une boutique d'antiquité ? répétai-je avec curiosité en détaillant le flyer de la boutique dans laquelle elle venait de se faire embaucher.
-Tu traverses toute une frise historique de rayon en rayon, t'as même des articles vintages ! Je sais que c'est un style que tu aimes, je n'ai pas cessé de penser à toi tout le long de l'entretien ! J'étais là, « si je parviens à grapiller des réduc' pour Tal', c'est bon, elle m'épouse sur le champ ! »
-Hé, méfies-toi je suis capable de te prendre aux mots !
Nous rîmes aux éclats, couvrant l'entrechoquement des queues sur les boules de billard, découvert de son drap de protection par d'autres étudiants en pause.
-Non, mais vraiment, il y a une de ces ambiances dans cette boutique ! Tous ces objets chargés d'un voire plusieurs passifs, après être passés de propriétaire en propriétaire puis retapés pour être vendus à une nouvelle génération. Je trouve ça presque poétique… Ça dégage un parfum à la fois de mystère et d'exploration. (Elle sirota son thé chaud, pris au distributeur) Conquise, je te promets.
-Vu ton engouement je veux bien te croire, haha !
Chani posa sa cup sur le sol et s'assit en tailleur sur l'un des poufs, essayant de me faire face correctement.
-Et toi, tes recherches pour ton logement ?
Je pris une profonde inspiration, mêlé d'une grimace incertaine.
-Bah écoute, moi aussi j'ai trouvé quelque chose de mystérieux à explorer !
Je lui tendis l'annonce froissée qu'elle lut en détails non sans hausser des sourcils d'un air choqué tandis que je lui racontai tout notre débat avec les garçons.
-Ah oui…pas tous les jours qu'on tombe sur ce genre d'annonce. 40 à 45m² à ce prix-là ? (Elle soupira d'admiration) hé, fonce ma fille. Tu peux possiblement avoir deux chambres en plus. Je ne sais pas ce qu'il te faut davantage pour l'appeler, là.
-Bah, déjà je sais que je n'aurais pas de bourse, je m'y suis prise trop tard pour me détacher de mes parents.
-T'as pas mal d'économies à ce que tu m'as dit, et ton salaire plus l'aide au logement ça devrait suffire non ? Après, si tu veux jouer la sécurité, comme a dit Morgan, une colocation ne serait pas trop mal. C'est juste un conseil, hein !
-Oui, oui, et c'est vraiment gentil, assurai-je avec un sourire qui l'était un peu moins.
Après quelques secondes de silence, Chani vint attraper mes mains pour attirer mon attention.
-Bon, plutôt que de t'imaginer le pire et t'inquiéter si tu risques d'être arnaquée ou non, dis-toi que tu y vas pour visiter, inspecter les lieux et t'es pas obligée de lui donner une réponse aussitôt tu sais. (Elle sortit son téléphone) Si tu ne l'appelles pas pendant la pause, je te vole cette opportunité sans vergogne !
-Hé ! ris-je, en me montrant faussement outrée. Je sortis mon portable et examinai l'annonce avant de reporter mon attention sur mon amie : Merci Chani.
Elle me répondit par un clin d'œil, et m'incita à ce que je passe ce satané coup de fil en désignant mon portable d'un geste concis du menton. M'éloignant du brouhaha, je m'exécutai avec un peu moins d'inquiétude qu'auparavant. Après une longue attente qui me poussa à penser que je tomberai sur le répondeur de ce Monsieur Castillon, ce dernier se décida à décrocher. Le timbre de sa voix m'informa qu'il semblait d'un certain âge. Un vieux grippe-sou ! » Les paroles d'Alexy me revinrent en mémoire et mes doutes refirent aussitôt surface.
Je lui expliquai ma situation, lui assurai également que mes parents se portaient garants. Nous discutâmes un moment, il semblait vraiment gentil ! Il m'eut expliquée qu'après le décès de sa Dame, il n'avait pas gardé l'appartement qu'ils avaient achetés ensemble et qu'il préférait le louer. Se situant dans un immeuble plutôt ancien, il dut remettre aux normes certaines choses, telle que l'électricité, les conduits d'eau et en eut profité pour remettre un coup de neuf à la cuisine et les toilettes. Le reste, il m'avoua qu'un bon coup de peinture, de nettoyage pour retirer la moisissure et lustrer le vieux parquet massif du couloir ne serait pas de refus. L'isolation semblait également précaire, de ce que je compris, l'humidité et le froid entraient rapidement mais qu'il avait prévu des rénovations pour le début du mois de décembre. Le reste, il préférait voir avec les locataires. Pour le moment, je ne trouve rien d'anormal.
-Des problèmes de voisinage ? Le trafic dérange-t-il ? essayai-je, car la pollution sonore pouvait bien être une raison pour baisser le prix d'un loyer.
Mais il m'affirma que je ne serai pas entourée de voisin, son appartement se trouvait au cinquième étage, soit le dernier, et que sans ascenseur, ce vieil immeuble n'intéressait pas grand monde, seuls le rez-de-chaussée le premier et second étage semblaient réellement habités. L'entrain que j'eus en découvrant l'annonce revint au triple galop ! Bon, l'idée de gravir plusieurs étages ne me réjouissait que moyennement, mais n'ayant jamais été une fan des ascenseurs, je pensais pouvoir m'y faire. Kim sera contente, je ferai ma dose de sport matin et soir !
Chani me fit signe que le cours allait bientôt commencer, j'essayer d'écourter la conversation, mais le Monsieur semblait vraiment partant pour la poursuivre. Il sembla retrouver ses esprits lorsque je lui demandai s'il était possible de venir visiter l'appartement. Il m'assura qu'il serait en ville ce week-end. Nous donnâmes donc rendez-vous pour dix-sept heures, ce samedi qui arrivait.
Lorsque je raccrochai, je pivotai sur moi-même sur le bout de mes pieds avec un sourire aussi large que mon visage.
-Alors, alors… ? Louche à cent pour cent, ou bien, il y a moyen à ce que ce soit une offre honnête ?
-J'ai un rendez-vous avec lui, ce samedi à dix-sept heures ! Bon, si j'ai bien compris ce n'est pas un appartement flambant neuf, maiiiis….il y a moyen à ce que ce soit mon futur chez-moi !
Tout en nous dirigeant vers notre salle de classe, j'expliquai à Chani tout ce que Monsieur Castillon m'eut décrit au sujet de l'appartement. Et cela sembla la charmer.
-Si ça ce n'est pas toucher le gros-lot, sérieux joue au loto ce soir, haha ! J'ai bien envie de t'accompagner, j'aime beaucoup l'architecture des immeubles du siècle dernier, je pourrai en profiter pour le croquer le temps que tu passes ta visite.
-Ce n'est pas de refus, ça me donnera un peu d'assurance de te savoir avec moi, dis-je sans hésitation.
Tandis que nous entrions dans la petite salle de classe, je reçus un message de la part de Rosa. Tout en m'installant avec Chani, je l'ouvris : « Alors, Alexy dit vrai, t'as trouvé un appart' ? Tu as eu un rendez-vous pour la visite ? On pourra peut-être le faire tous les trois, j'aimerais bien vous parler Alexy et toi… »
Le concert de Castiel était passé depuis une bonne semaine maintenant, et depuis, je trouvais mon amie vraiment étrange. J'avais l'impression de ne l'avoir que peu croisée en cours, de même pour Alexy qui avait tenté de la ramener au parc avant-hier pour que l'on puisse se promener avec Chani, Morgan et Priya, mais rien du tout…Rosalya avait refusé, prétextent ne pas avoir le temps. Elle qui trouve toujours le temps de faire une virée shopping entre les cours, c'est étonnant…
Je lui répondis rapidement, indiquant également que je passai ma visite en compagnie de Chani mais que je ne voyais aucun problème à ce qu'elle nous rejoigne avec Alexy. Je reçus sa réponse dix-minutes avant la fin du cours ou me demandait de l'appeler. Avant de me rendre au Cosy Bear Café, je saluai Chani chaudement, lui souhaitai une bonne soirée tandis que je me dirigeai vers le portail. En chemin, j'en profitai pour passer un coup de fil à Rosa. Cette dernière ne mit que quelques secondes avant de décrocher.
« Enfin je peux te parler ! »
-Woh… ! T'es plus vivace qu'un asticot ! ris-je avant de reprendre : Bon, pourquoi tu ne veux pas venir visiter l'appart' avec moi ? (Je haussai les épaules et pris une petite voix hésitante) Je ne sais pas, est-ce parce-que Chani y sera ?
« C'est…rah, oui, c'est en parti pour ça, mais pas pour les raisons que tu penses ! J'aime beaucoup Chani, tout comme j'apprécie beaucoup Morgan et nos autres potes, mais j'ai vraiment besoin de vous parler en privé Alex' et toi. »
Son ton presque désespéré m'inquiéta grandement. Pour qu'elle tienne à ce point à ce qu'on s'isole des autres pour discuter c'était que le sujet devait vraiment être sérieux pour elle.
-Bon, tu sais quoi, ce soir je suis de fermeture. Passe vers 22h – 22h30 avec Alexy, ça marche ?
« Super ! (Elle soupira, semblant soulagée) Merci Tal', vraiment, j'ai besoin de vous voir ! A ce soir, bisou. »
-Bisou.
Je raccrochai, le sourire aux lèvres et accélérai le pas pour ne pas arriver au retard au café. Sur place, je vis la terrasse déjà bien surpeuplée. Des tables avaient été rapprochées pour que les clients venus en groupe important soient les uns à côtés des autres. C'était bien la première fois que je voyais Hyun soupirer en me voyant arriver. Le pauvre avait les bras chargés de trois plateaux. Je filai à l'intérieur pour déposer mon sac sous le comptoir et mettre ma tenue de serveuse. Clémence qui s'occupait des repas pour le service du soir, m'ordonna de tenir le bar à sa place. Heureusement que Hyun m'eut bien coachée ces dernières semaines et que les boissons que nous proposions n'étaient pas trop compliquées. Même si aucun client ne s'était encore plaint, j'avais toujours l'impression de rater leur préparation.
J'ignorai si je m'étais habituée à son caractère, où si Clémence n'avait effectivement pas eu le temps de s'occuper de mon cas, mais je n'eus pas vraiment l'impression de m'être faite beaucoup sermonner. Comme convenu, Rosa et Alexy s'étaient pointés au café à vingt-deux heures. Le café commençait à se vider, je savais que certains clients aimaient essayer de pousser notre heure de fermeture. Hyun s'apprêtait à partir lorsque nos amis s'installèrent à une table nettoyée et rangée.
-Oh, salut Rosa, j'ai l'impression que ça fait un moment que je ne t'ai pas vu, fit Hyun : Tout va bien ? J'ai un peu de temps, je vous sers quelque chose ?
-Oui, merci Hyun, lui sourit mon amie : Un thé chaud au citron, s'il te plaît.
-Je veux bien une mascotte s'il en reste, et un thé chaud comme Rosa, suivit Alexy.
-Très bien, je donne tout ça à Tallulah.
Mes amis me firent un petit « coucou » de la main tandis que je servais une bière pression à un client installé au bar. Hyun me donna la commande, et se pencha par-dessus le comptoir pour me parler tout bas :
-J'y vais, ça va aller pour le reste ?
-Oui, par contre, je vais un peu traîner avec Rosalya et Alexy après la fermeture. Mais promis, on ne dérangera rien !
-Clémence est déjà partie, je n'lui dirais rien ! m'assura-t-il en m'adressant un clin d'œil complice.
Je me penchai pour lui faire la bise, puis, après avoir servi nos amis, il déposa son tablier et sa casquette. Hyun s'habilla de son manteau et de son écharpe avant de combattre le froid de fin d'automne. Lorsque je prévins que le café allait fermer ses portes, la plupart des clients demandèrent l'addition, payèrent promptement et partirent sans demander leur reste. Rosa me donna un coup de main à rassembler les verres et assiettes vides laissés sur les tables, tandis qu'Alexy nettoyait celles-ci.
Après que j'eus terminé la plonge, rangé la cuisine, nettoyé les sols et le comptoir, placé la vaisselle essuyée, je pus m'installer à la seule table que nous avions laissée tel quel pour discuter calmement. Il n'était pas loin de vingt-trois heures, et je sentais la fatigue m'assaillir.
-J'te jure, Morgan ne comprend pas pourquoi je ne suis toujours pas de retour au dortoir. Pourquoi tu fais tant de mystère, tu aurais pu me le dire pendant qu'on mangeait ! signala Alexy en pianotant rapidement sur son portable. Sûrement un message pour l'élu de son cœur.
-Roh, Morgan ne va pas s'envoler ! se plaignit Rosa en lui arrachant son portable des mains.
Vu son air outré, Alexy sembla vouloir rétorquer mais j'intervins après avoir rapproché ma chaise de celle notre amie.
-Rosa, que se passe-t-il, tu t'es faite bien discrète cette semaine…dis-je, d'une voix qui se voulait douce : on s'inquiète tu sais.
Rosa eut un sourire en coin, puis après avoir longuement soupiré, elle se redressa, sortit une feuille de son sac à main qu'elle déplia et posa sur la table. Nous ne comprîmes pas pourquoi au premier abord, mais Rosalya se mit à pleurer tout en affichant un sourire rayonnant.
-Appelez-moi « Mama Rosa », lâcha-t-elle avec un semblant d'accent espagnol.
Si Alexy ne put faire autrement que de rester silencieux et figé sur son siège, le regard fixé sur Rosa, je parvins, d'une main un peu tremblante, à prendre la feuille qu'elle nous avait tendue et lire son contenu. Je redressai ma tête vivement, les yeux écarquillés au point d'en amuser Rosalya qui séchait ses larmes, et je murmurai tout à fait abasourdie :
-T'es…enceinte ?
-Oui, souffla-t-elle en reprenant ses résultats de prise de sang. Depuis trois semaines… mais je ne l'ai su que la semaine dernière, après le concert de Castoche. (Elle posa lourdement ses coudes sur la table avant de prendre avec lassitude sa tête dans ses mains) bon sang…j'espère que je n'ai pas fait de mal à ce petit être avec mes bêtises.
De mon côté, je ne savais par où commencer, ni quoi lui dire. Pourtant, en me rappelant de ce tendre sourire qu'elle afficha en nous annonçant qu'elle était enceinte, je compris que les seuls mots qu'elle pouvait attendre de nous n'étaient autre que…
-Mes félicitations, Mama Rosa ! ris-je tout en me levant de ma chaise pour venir derrière son dossier, et la serrer fort par les épaules. Elle éclata de rire à son tour en se lovant contre ma poitrine : Mes félicitation ma puce ! renchéris-je en embrassant ses cheveux. Et Rosalya, surtout ne te fais pas trop de mourrons pour cette soirée, tu crois que t'es la première dans ce cas-là ? Ma mère faisait de l'escalade avec mon père pour des vacances en amoureux à la montagne avant qu'elle n'apprenne qu'elle avait un polichinelle dans le tiroir. Et regarde ! J'suis pas cassée !
Versant pourtant d'autres larmes, que je sus être de soulagement, elle se remit à rire à gorge déployée.
-T'es pas toute neuve non plus, ajouta-t-elle entre deux rires.
-Alors ça, ça va se payer ma vieille !
Nous sentant étrangement seules dans notre délire, nous posâmes des regards curieux sur Alexy toujours figé sur sa chaise, les yeux perdus dans le vide.
-Regardes donc ! repris-je en me postant derrière Alexy : c'est lui qu'est tout cassé.
-Alex' ? Chaton ? tenta Rosa en caressant sa joue.
J'ignorai si ce fut ce contact ou bien nos voix appelant son prénom qui le ramenèrent à lui, mais il secoua légèrement la tête avant de grimacer drôlement. Puis, cachant son visage d'une main, nous l'entendîmes renifler bruyamment avant d'éclater en sanglots.
-Oh, mon bébé chat pourquoi tu pleures ? s'inquiéta Rosa en s'asseyant sur ses genoux. Alexy m'attrapa par la taille pour me rapprocher d'eux et serra notre amie fort contre lui.
-J-je…, commença-t-il en bafouillant : je vais être tonton… !
Dans une exclamation attendrie, Rosa et moi l'embrassâmes sur le crâne d'un geste bienveillant. Ce ne fut qu'après une très grosse étreinte qu'Alexy reprit ses esprits. Nous retrouvâmes nos places respectives et Rosalysa nous expliqua en long en large et en travers comment elle en était venue à faire ses analyses.
Malade après le concert, elle pensait s'être mal remise de cette soirée. Puis, Leigh fit le rapprochement entre son important retard sur ses menstruations et la baisse de régime de sa compagne. Un soir, en rentrant du boulot, il lui avait acheté un test de grosses qui s'avérait être positif. Rosalya prit aussitôt rendez-vous à l'hôpital pour faire sa prise de sang, et cela faisait bientôt une semaine qu'elle tentait de nous révéler ce qui était pour elle, une véritable merveille.
Elle admit néanmoins, que sur le moment, la crise de panique l'eut prise d'assaut. Mais elle ajouta que cela ne semblait nullement dû au fait d'être enceinte par « surprise », comme elle aima dire en formant des guillemets avec ses doigts. Mais que justement, elle espérait au fond d'elle qu'elle le soit vraiment. Elle nous expliqua qu'elle avait voulu opter, tout comme moi, d'un stérilet plutôt que de continuer à prendre la pilule qui ne lui convenait plus.
Cependant… elle fit traîner en longueur la prise de rendez-vous avec son gynécologue, et nous avoua qu'avec Leigh, ils avaient par moment amené l'idée d'agrandir leur couple d'une personne, pour fonder une famille bien à eux. Rosalya remarqua que son compagnon ne se souciait plus aussi souvent de l'achat de préservatifs, et elle-même, ne lui rappelait plus tellement d'en racheter. Sans vraiment se l'avouer, ils s'étaient déjà mis d'accord sur le fait d'avoir un enfant.
-Peut-être ne m'attendais-je simplement pas à ce que je tombe enceinte si vite. Je veux dire, je connais des personnes qui essaient depuis plus d'un an d'avoir un enfant et ça ne fonctionne pas. Comme quoi, nous sommes bien tous uniques.
-Et le futur papa, comment il a réagi ? demandai-je, à la fois curieuse et euphorique.
-Tu prends la même réaction qu'Alex', mais tu changes le « je vais être tonton ! » par, « j'suis papa ! Papa ! » ajouté à ça un affaissement direct sur une chaise de la salle d'attente. A quelques jours de son anniversaire en plus…Je suis tellement heureuse de le savoir si impatient par l'arrivée de ce bébé. Et vous voir ainsi en rajoute une couche, j'appréhendai un peu de vous en parler…
-Oh bah tu sais, repris-je avec une pointe d'humour : au moins tu vas pouvoir t'occuper de quelqu'un d'autre que nous !
-Haha ! C'est ça en fait, elle s'entraînait à faire la maman relou avec nous ! m'accompagna Alexy.
-Oh, bande de saletés ! J'suis pas prête de l'oublier celle-là ! bouda faussement Rosalya en croisant les bras sous sa poitrine.
Nous continuâmes à discuter jusqu'à minuit passé, de tout ce que Rosalya se sentait apte à gérer avec la grossesse. Pour elle, sa dernière année en psycho n'était pas une entrave et que sa détermination et son entêtement à aboutir les projets qu'elle entreprenait, en plus de la présence de Leigh et nous autres, serait plus que suffisant à aller jusqu'au bout de son année. Elle n'omettait cependant pas la possibilité d'une mauvaise passe durant la grossesse, mais touchait du bois pour que tout aille pour le mieux.
Alexy et moi accompagnâmes Rosa jusqu'à l'arrêt de bus et attendîmes avec elle son arrivée. Une fois sûrs et certains qu'elle était en route pour chez elle, nous prîmes le chemin inverse jusqu'au campus. Nous hésitâmes à prendre l'autre ligne, je fis remarquer qu'attendre le prochain bus mettrait plus de temps que de rejoindre les dortoirs à pied. Si j'eus été fatiguée après avoir fermé le café, la conversation de ce soir me redonna de l'énergie. Alexy et moi sentîmes la nuit agitée arriver à plein nez.
Puis, il y avait cet appartement que je visiterai bientôt. Après-demain, me répétai-je au fond de mon lit, en discutant sans sérieux avec Alexy sur notre conversation à trois avec Rosa. Sûrement endormie, elle ne donnait plus de réponse.
Le réveil fut rude, mon portable sonnait à tue-tête et, le brouillard collé à mes yeux, je décrochai accompagnée d'une voix groggy.
-Hmm…allô ?
« Eh bien, on sèche les cours ? L'amphi est presque plein, je t'ai gardée une place pour éviter que tu galères comme hier mais Monsieur Zaidi ne devrait pas tarder à arriver. »
Quoi … ? Mais il est quelle heure ? me dis-je en attrapant ma montre posée sur le bord de mon bureau près de mon lit. L'heure de bouger mon gras !
-Oh bon sang ! Chani t'es un amour, je te jure que je te paie un japonais très bientôt !
« Haha, je retiens et crois-moi j'ai bonne mémoire ! Allez, à tout de suite, mais cours vite ! »
Elle raccrocha. Je fonçai dans la salle de bain, brossai mes cheveux et encore, pour aller plus vite je fis un horrible chignon à tête de champignon atomique qui s'écrasait sur le haut de mon crâne. La brossa à dents d'une main et le tube de dentifrice dans l'autre je fis en sorte d'avoir au moins une haleine fraîche et les dents propres tout en cherchant des vêtements rapides à enfiler. Un jean skinny, trop chiant ! Un short troué, trop froid ! Une jupe longue, merde… pas repassée ! Une robe pull à grosses mailles arrivant aux genoux, PARFAIT !
Je jetai la robe couleur café sur le lit tandis que j'enfilai des bas en laines, des bottes montantes à bas talons et une petite culotte propre. Ce fut dans cette tenue que je rinçai ma bouche, terminai de me rafraichir en nettoyant mon visage, mes oreilles et mon cou. Puis après m'être séchée, j'enfilai ma robe en ne prenant pas vraiment la peine de mettre un soutien-gorge en dessous. Je devais avouer que je me sentais plus à l'aise ainsi.
-Sauf pour courir ! Rah bordel de… !
Mon sac de cours sur l'épaule et ma veste sous le bras (je me demandai bien pourquoi je l'avais prise, je ne l'avais pas enfilée !) je courais aussi vite que mes pauvres capacités sportives me le permettaient.
-Kim ! Donne-moi ta force ! me plaignis-je en gravissant les marches.
Heureusement que je m'étais dite en arrivant que c'était pratique d'avoir le dortoir près du bâtiment d'art et que j'aurai peu de chance d'arriver en retard. He bien, je suis décidément chanceuse ! Le hall était vide, les cours avaient commencé. Seul le brouhaha venant de la salle de repos créait un voile d'ambiance. Je poussais la porte de l'amphi en essayant de ne pas faire bruit…
Monsieur Zaidi était dos aux élèves, en train d'inscrire quelques notes au tableau. J'en profitai pour chercher Chani du regard quand je vis la porte se rabattre à toute vitesse. Je me précipitai pour la retenir et la fermer très doucement afin qu'elle ne claque pas. Le professeur écrivait toujours tout en énonçant le déroulement de ce cours ci. Je vis enfin Chani, qui me remarqua également. Elle est vraiment tout devant ! Je rasai le mur en me courbant pour que le prof ne me voie pas.
Techniquement, je gérai mon emploi du temps comme je le voulais, mais j'étais d'accord sur un point que souligna, la veille, Monsieur Lebarde : On vient à l'heure ou pas du tout. Et je ne voulais décemment plus gêner mes camarades, et puis ça donnerait un élément de plus à Yeleen pour me critiquer. Même s'il fallait que Chani choisisse le premier rang de tables, elle eut la bonne idée de me garder la place proche des escaliers. Personnes n'avaient donc à se lever pour Miss Tallulah, pro du retard !
-J'y croyais plus, me sourit Chani.
-J'suis morte…j'ai perdu un poumon en chemin, chuchotai-je en sortant mes affaires. Soit un porte-mine et un mini carnet de note ligné. Je notai la problématique du jour : « Qui de la contrainte ou de l'inspiration fait naître en l'artiste l'imagination ? »
Pensante, je m'adossai au fond de ma chaise et fronçai les sourcils en essayant de déterminer ce que pouvait bien chercher Monsieur Zaidi avec cette problématique. Puis, plutôt que de chercher ce qu'il avait en tête, je me dis qu'il fallait plutôt que je trouve que cela m'évoquait. Je vins annoter quelques mots comme : besoin quotidien – brainstorming – conceptualité – incohérence scénaristique – déformation de réalité…
-Pfff… j'écris que des conneries, murmurai-je en m'apprêtant à gommer mes idées. Mais une main plus grande, et plus rapide, m'ôta le carnet dessus la table. Monsieur Zaidi semblait piocher parmi différents élèves ayant, tout comme moi, apposé leurs idées par écrit, et une fois sa récolte faite il revint sur l'estrade et commença par écrire sans grand lien au premier abord, certaines de nos idées.
-« Besoin quotidien, nouvelles technologies, incohérence scénaristique, développement audio/visuel, sources historiques », cita-t-il tout en époussetant ses mains salies par la craie. Qui peut me dire, en quoi ces groupes de mots, sont en lien avec notre problématique, mais aussi, notre sujet d'étude, Game of Thrones ?
Je me ratatinai sur mon siège. Certes, deux de mes idées se trouvaient au tableau, mais je ne me sentais pas capable de prendre la parole en première. Un garçon au fond de la salle s'exprima, en ne voyant pas le lien entre les nouvelles technologies et Game of Thrones dont l'histoire se déroulait clairement dans un univers médiéval.
Une fille rétorqua que c'était un lien indirect, puisque cela pouvait répondre à la problématique.
-Très bien, mais comment les nouvelles technologies peuvent-elles apporter une aide à cette problématique ? insista le professeur en s'appuyant sur son bureau. Bon sang, lance-toi Tal' !
Prenant une grande inspiration, je levais une main hésitante et attendis l'approbation de mon aîné.
-Oui ?
-« Les nouvelles technologies » sont le fruit de recherches basées sur le « déjà-vu », la plupart du temps sur une contrainte qui touche tout le monde, nos besoins constants qui évoluent au fil des années. Si on part du principe que le consommateur va pousser le producteur à inventer, lui, va pousser le consommateur à consommer plus, et va créer de nouveaux besoins qui le pousseront à devoir vendre un produit encore mieux. A partir de là, on sort du chemin de l'invention pour entrer dans celui de l'innovation. Prendre du « déjà-vu » pour le vendre en « mieux ». Mais ce « déjà-vu » crée de la contrainte chez le producteur. Par exemple, il ne pourra pas se permettre de vendre le même produit qu'un concurrent. Enfin, il pourra, mais ça n'apportera aucune « innovation ». Il va donc devoir utiliser cette contrainte pour imaginer un produit « déjà-vu » bien « mieux » que celui de son concurrent.
Monsieur Zaidi voulu rétorquer, mais le garçon de tantôt me répondit du tac au tac.
-D'accord, merci, tu nous fais un cours de techno, mais le rapport avec Game of Thrones il est où ? L'auteur n'a jamais eu le culot de vouloir proposer un « produit » déjà-vu, « mieux » que ses concurrents. Il a créé un univers d'une richesse aussi déconcertante que celui de J.R Tolkien !
-Sans parler du côté télé/commercial de la série, on peut débattre sur sa conceptualisation ! Tu dis qu'il a créé un univers, mais dans le fond, n'a-t-il pas fait qu'innover des idées et des thèmes préconçus ? Sa première contrainte, était justement de savoir employer le « déjà-vu » pour le moderniser, et ce, tout en intégrant paradoxalement des thèmes médiévaux présents dans notre chronologie historique ! Un simple exemple : les complots pour obtenir le trône de Fer sont nettement inspirés du conflit entre la maison royale de Lancastre et celle d'York. Mais ça, ce n'est que pour l'histoire de la série, les personnages et leurs rôles quant à eux, ont un côté plus proche de notre modernité, de notre actualité, déjà en débridant le stéréotype féminin au cinéma. A nos jours, les femmes ont plus de pouvoir qu'au siècle dernier, leurs rôles dans les films vont donc prendre une ampleur plus réaliste aux vues de sociétés plus développées.
Mon camarade semblait prompt à répondre mais ce fut le professeur qui nous interrompit cette-fois ci.
-Je vous arrête tous les deux, on va débriefer sur ce qui a déjà été dit ! Intervint notre aîné en riant d'un air enthousiasmé : je vois qu'il y en a au moins deux qui ont de l'énergie ce matin. Déjà, je pense que Tallulah nous a clairement démontré que le réel est un aliment principal à l'imagination. C'est un fait que vous deviez savoir, mais une piqûre de rappel semble de mise par moment. L'art n'a pas que l'Abstrait pour ami, si l'on donne des titres aux courants historiques c'est justement parce-que l'art est véritablement érigé par le Concret. De nombreuses œuvres engagées ne font qu'accentuer ce fait.
-J'ai frôlé le hors-sujet, dis-je à Chani en massant mes joues en feu. Rares furent les fois où je me fus montrée si éloquente.
-Pour quelqu'un à peine réveillée, j'avoue que je te trouve plutôt en forme, haha. T'es une fausse timide en fait, j'ai plutôt l'impression que tu te forces à te taire pour éviter de faire des « hors sujets », mais finalement, tout le monde passe à côté de ta spontanéité et de tes idées, c'est bête… T'as capté le reste de l'amphi. Même Yeleen a acquiescé de la tête sur certains de tes dires. Quant à Monsieur Zaidi, lui, buvait tes paroles.
Ma tentative de calmer les rougeurs sur mes joues échoua, j'étais presque sûre qu'on pouvait faire cuire un œuf sur ma tête tant mon visage bouillait. Monsieur Zaidi m'intriguait, c'était un sentiment que je ne pouvais malheureusement pas refouler. Et sa réciprocité avoué ce soir-là, où je revenais du concert de Castiel avec Chani, puis cette autre fois dans l'amphi quand le cours fut repoussé, n'arrangeait en rien mon intérêt pour lui. Je voulais tellement le voir comme un prof banal, juste le voir comme un professeur déjà… Mais à mes yeux, il sortait du lot, et je ne le voyais que trop souvent comme un « simple homme ».
-J-je n'aime pas vraiment être le centre de l'attention, c'est tout, baragouinai-je.
-Va dire ça à Monsieur Lebarde, il te dira d'arriver à l'heure ! se moqua mon amie en essayant de réduire le débit de son rire.
Je fis mine de pleurer face à sa cruauté. Une élève demanda à récupérer ses notes, et je réagis aussitôt, me souvenant que je faisais parti des élèves qui furent séparés de leurs fiches.
-Vous semblez plus productifs sans, vous pouvez toujours prendre en photo le débrief inscrit au tableau. Vous viendrez les chercher à la fin de l'heure.
-Je te passerai mes notes, me glissa Chani.
-Merci.
Je lui souris. La suite du cours se poursuivit avec la même énergie que précédemment. Plus nous décortiquions la problématique, et plus nous entrions dans le vif du sujet, Game of Thrones. Monsieur Zaidi se fit huer pour avoir confondus deux personnages de la série.
-Mea culpa ! J'ai encore des choses à revoir sur la série, je l'avoue ! rit-il avec nous les mains mises en évidence comme pour soulever son innocence. Allez, ça fait cinq minutes qu'on empiète sur la fin du cours, filez vite et laissez-moi terminer mon visionnage !
-On a trente minutes de pause avant le prochain cours ! lança une étudiante, on peut rester.
-Ah non, je veux prendre l'air, insista un étudiant déjà aux portes de sortie.
-Personne ne te retient, lança sa camarade.
-On continuera Lundi, mais merci pour votre engouement je veux exactement la même ambiance la semaine prochaine ! Bon week-end, clôtura pour de bon le professeur.
L'Amphi se vida, et Chani me prévint qu'elle m'attendait dehors, une envie pressante l'appelait depuis quelques minutes.
-Va, je te rejoins en salle de repos ?
-Ça marche !
Et elle fila à toute allure tout en faisant s'entrechoquer des breloques accrochées à son sac de cours. Comme d'autres de mes camarades, je faisais la queue pour récupérer mon carnet de notes. Monsieur Zaidi passa à côté de moi et glissa :
-Je ne pensais qu'il n'y avait qu'au cours de Monsieur Lebarde que vous arriviez en retard.
-Oh non, j'ai fait du bruit… m'alarmai-je en grimaçant.
-Haha, non du tout. Mais je sais que la place était vide avant votre arrivée. Difficile de ne pas le voir au premier rang.
-Chani…je savais que ce n'était pas une bonne idée, marmonnai-je en cachant une partie de mon visage honteux d'une main. De l'autre, je récupérai mon carnet.
-Votre amie semblait désespérée de ne pas vous voir arriver. Elle se retournait sans cesse jusqu'à ce que je n'écrive la problématique au tableau.
-C'est un amour, lâchai-je sans demi-mesure dans mon admiration pour Chani. Cela dû se sentir, vu le sourire attendrit que mon aîné arborât : gentille est passionnée, c'est une jeune femme vraiment adorable.
Je le vis entrouvrir les lèvres comme pour parler, mais il resta muet, et m'incita à me diriger vers la sortie. Sa mallette en main, il nous imita, mes camarades et moi, et quitta l'amphi.
-C'est toujours bon d'avoir un soutien en cette période de votre dernière année. Quoi que, comptez-vous viser plus haut ?
-Non, dis-je honnêtement en souriant en coin. Je sens que j'arrive à mes limites vis-à-vis des études, mais je n'ai pas encore de réel projet comme ma colocataire, où d'autres personnes de mon entourage qui entament également leur dernière année de Master.
-Concentrez-vous sur le présent, votre mémoire doit déjà bien accaparer votre esprit, laissez le temps au temps. (Il rougit, et se massa l'arrière de la nuque d'un air gêné) Enfin, ce n'est qu'un conseil, v-vous faites ce que vous voulez.
-Merci, vos conseils sont comme un soutien à mes yeux, lui assurai-je avec peut-être plus de suavité que je ne le voulais.
Nous stoppâmes notre marche en plein milieu du hall de nouveau bondé de monde. Nos yeux se perdirent dans ceux de l'autre, tandis que la foule recouvrait par vague d'ombres et de corps nos silhouettes. Je me remémorai cette fin de journée où il m'aida à ranger les tables du café. La caresse de son pouce sur mes lèvres ne me revenait qu'en mirage. Mais l'attitude de Hyun me rappela à l'ordre…un rien pouvait faire basculer les choses... Je ne veux pas lui causer de tort. Souriant face à mon sentiment d'abandon à mes désirs, je saluai mon professeur avant de partir de mon côté. Je crus, l'espace d'un instant, l'entendre prononcer mon prénom, mais je ne le vis plus lorsque je me retournai.
En salle de repos, je vis Chani en attente de son café chaud que semblait peiner à faire couler le distributeur. Je l'ai rejointe et donnée un petit coup de pied à la machine.
-Tu ferais mieux de venir au café, je t'en servirai de meilleurs ! m'exclamai-je en lui adressant un clin d'œil.
Mon ventre, qui n'avait reçu aucune nourriture depuis hier soir, gronda subitement, tel un ours enragé incapable de pécher son saumon. Chani récupéra son café en riant, puis me proposa d'aller faire un tour au réfectoire avant le début du prochain cours. Cours, qui se déroula aussi bien que le premier, et le reste de la journée resta tout aussi agréable. En revanche, je ne vis ni Rosa, ni Alexy et je décidai de lui envoyer un message pour savoir s'il était libre et désirait faire un coucou à Rosa et Leigh, et en profiter pour féliciter le futur papa par la même occasion.
Sa réponse ne se fit pas attendre : « Un peu que je veux ! Je dois passer à la BU, et on se rejoint devant le portail ? »
J'acquiesçai dans ma réponse et raccompagnai Chani jusqu'à sa chambre Je n'en revenais toujours pas qu'on soit si proche l'une de l'autre.
-Mais pourquoi c'est pas toi ma coloc' ! râlai-je en la serrant dans mes bras et nous faisant basculer de droite à gauche en plein milieu du couloir. Mon amie ricana en m'étreignant à son tour.
-Allez, bientôt ton calvaire sera terminé ! Toujours ok pour demain ?
-Of course ! J'ai une espèce de boule au ventre, j'te dis pas…J'aimerai tellement que ça ne soit pas un taudis. Mais avec la poisse que j'ai, pas sûre que tout tourne à mon avantage.
-Tu as toujours la pierre que je t'ai donnée ? me demandai-t-elle en s'éloignant un peu de notre étreinte.
Je réagis aussitôt, et sortis un pochon bleu en suédine duquel je vins déverser dans ma main libre sa pierre d'aventurine.
-Toujours ! Je me dis que plus je ferais confiance en ses vertus et plus elle me portera chance, avouai-je timidement.
J'ignorai quelle effet mes paroles eurent sur Chani, mais elle se mit à sourire avec une infinie douceur. Je ne pus m'empêcher de la serrer une nouvelle fois dans mes bras. Vraiment, Chani faisait partie de mes plus belles rencontres cette année. Et je me promis de faire plus attention à elle et essayer de l'intégrer au groupe. Les autres l'appréciaient déjà après le peu de temps qu'ils avaient passé en sa compagnie. Je ne savais pas si ça existait, mais pour moi, Chani était dotée des ondes de l'amitié.
-Tout ira bien demain, j'en suis certaine, reprit-elle en me faisant ranger le pochon. A demain ?
-Oui, bonne soirée Chani.
-Merci, toi aussi passe une bonne soirée Tallulah.
Nous nous échangeâmes un dernier au revoir de la main, puis je partis déposer mon sac de cours dans ma chambre, ne prenant avec moi que mon portefeuille, ma clé et mon portable. Passant ma veste autour de mes épaules sans pour autant introduire mes bras dans les manches, je trottai jusqu'au portail en espérant ne pas avoir fait attendre longtemps mon ami.
-Ah bah, il n'y a personne…
Je prévins Alexy par message de mon arrivée au point de rendez-vous, puis, nonchalamment, je m'adossai au mur en fixant mes bottes. Maintenant que j'y pense, je ne suis jamais venu chez Rosa. En même temps, cela ne faisait que peu de temps que j'étais revenue, et quatre années nous avaient tout de même éloignées. Même si nous pûmes passer quelques week-ends ensemble, ce fut à l'époque où Rosa vivait encore chez ses parents, et de même pour Alexy. Puis, lors de ma dernière année de licence et première année de Master, nous ne nous vîmes quasiment pas, seuls nos messages maintinrent cette amitié, laquelle je pouvais enfin pleinement profiter.
Mon option se trouvait dans d'autres villes, mais apprendre que je pouvais revenir ici me mit en joie, et quitte à quitter les amis de mon ancienne Fac, autant retrouver mes anciens du Lycée. Je dois répondre à Stéphan d'ailleurs, j'ai reçu un courriel de lui cette semaine.
Stéphan…il fut mon premier ami à la faculté, de même pour moi envers lui. Notre cercle d'amis s'agrandit assez rapidement, mais nous avions eu la chance de nous retrouver dans les mêmes groupes lorsque notre emploi du temps eut divisé notre classe. Finalement, nous étions toujours les premiers à se retrouver mais les derniers à se séparer. Avoir un appartement me permettra de l'inviter pendant les vacances.
Une brise glacée me sortit de ma rêverie. Je décidai de porter plus chaudement ma veste en simili cuir et je soupirai, commençant à être agacée d'attendre dans le froid et sous la nuit qu'Alexy daigne me rejoindre. S'il ne pouvait pas, il n'avait pas à se forcer non plus… Je m'approchai du Portail pour inspecter la cour en espérant le voir, mais ma vue fut cachée par un buste que je commençai à très bien connaître.
Je levais le nez pour croiser une nouvelle fois depuis ce matin, le regard de Monsieur Zaidi. Confus, il papillonna des yeux en me fixant drôlement. Je lui souris de toutes mes dents, trouvant un peu comique les façons que nous avions de nous retrouver à chaque fois en dehors des cours. Il se mit à ricaner en regardant vaguement ailleurs.
-Décidemment…pour une étudiante vivant dans le dortoir, vous êtes souvent dehors.
-Faut s'aérer l'esprit de temps en temps !
-Je suis bien d'accord, je suis jaloux de vous d'ailleurs. Vous pouvez sécher les cours de temps en temps, personne ne vous dira rien, me dit-il non sans ajouter un léger soupir.
Il avait les traits tirés, et aux vues des feuilles qui dépassaient de sa mallette mal zippée, je compris qu'il devait avoir beaucoup de travail pour ce week-end. En cette période de l'année, les contrôles continus commençaient, ma promo était également concernée. Soucieuse, mes pensées s'échappèrent de mes lèvres.
-Vous me semblez vraiment tendus, vous devriez passer au café je m'occuperai de vous.
-H-hein ? fit-il dans un souffle surpris.
-E-enfin je veux dire, ce soir je ne bosse pas…donc non ! Mais je vous offrirai volontiers un verre le prochain soir que je travaille au café, tentai-je tant bien que mal de me rattraper.
-Haha, vous n'offrez des verres que pendants votre service ?
-Euh…
Ce fut à son tour de se reprendre, il passa une main sur son visage et détourna le regard.
-P-pas que je veuille boire un verre dans d'autre condition que pendant votre service.
-Vous n'accepteriez pas si je vous invitai dans un autre contexte ?
-Ça ne serait pas convenable, Tallulah, me fit-il avec un air pourtant désolé. Sa voix rauque et sourde accentua sa fatigue.
Reprenant mon calme, je dis avec une voix qui se voulait rassurante :
-Vous demander d'annuler votre cours pour sortir avec moi faire un tour, ça c'est inconvenable. Savoir si vous seriez intéressé de passer un moment avec moi après le travail, ça c'est ce que font la plupart des gens.
Prenant une profonde inspiration, il passa une main nerveuse dans ses cheveux. Le front dégagé de cette manière, il semblait être une autre personne. Je le vis observer autour de nous, et je compris aussitôt ses raisons. Nous étions encore proches de la fac, et il pouvait sortir un étudiant ou un membre du personnel à tout moment.
-Vous ne me rendez pas la tâche facile, vous savez…chuchota-t-il en croisant à nouveau mon regard. Je lui souris en coin. J'eus l'impression de le revoir aussi hésitant que cette fois-là, dans l'amphi où il me confia que Hyun avait des raisons de devoir me méfier de ses approches. Tout comme les miens, chacun de ses propos à mon égard n'étaient pas sans sous-entendus.
Mais combien de temps cela pourra-t-il durer ? Je me répétai sans cesse que je ne voulais pas lui faire du tort, cependant mes pensées venaient de m'échapper ce soir. Difficile de revenir en arrière. Lui non plus, ne parvenait jamais à éloigner cet intérêt commun que nous éprouvions envers l'un l'autre.
-Je veux bien commencer par un simple service au café, me confirma-t-il enfin : Mais uniquement pendant vos heures de travail, je ne veux pas vous en donner plus ! reprit-il avec un franc sérieux.
-Va pour ça dans ce cas, lui dis-je alors que je sentais mon sourire s'agrandir sous la joie. Je serais votre serveuse attitrée ! plaisantai-je en prenant une expression snobinarde.
Mon aîné se mit à rire à gorge déployée. La pression semblait être légèrement descendue, j'étais plutôt fière de mon coup.
-Tal' ! Vraiment désolé de t'avoir faite attendre, j-je… ! Bonsoir Monsieur !
-Bonsoir jeune homme.
Alexy venait de débarquer en trombe et semblait tout étonné de nous voir, mon professeur et moi. Je pouvais comprendre, et pour le coup je regrettai qu'il n'ait pas plus de retard. Avec ce qu'il avait sorti l'autre jour, après que Hyun s'était confié à Morgan, il fallait que je trouve quelque chose pour sauver les apparences. Mais cela pouvait également apporter la suspicion… Dans ce cas, plutôt que lui laisser le temps de poser des questions, je pris les devants :
-T'abuses ! Trente minutes de retard et je parie que c'était à cause de Morgan, boudai-je faussement en lui tournant le dos.
-Tal', j'suis vraiment désolé ! I-il voulait qu'on se voie rapidement mais…on n'a pas fait gaffe à l'heure.
-Bah voyons, si je connaissais l'adresse de Rosa, je serais partie mon vieux !
-Et te laisser féliciter le futur papa Leigh toute seule ? Rêve ma fille ! Allez, on est parti !
Je fis les gros yeux à Alexy et désignai notre aîné qui était toujours à côté de nous. Mon ami se masqua la bouche d'une main, puis, levant les yeux au ciel, dit que ce n'était pas trop grave d'avoir dit cela en face de Monsieur Zaidi. « C'est un prof, c'est bon… »
Le tact et Alexy…
-Je vais vous laisser, intervint le professeur en s'éloignant doucement.
-Oh bien sûr, bonne soirée Monsieur.
Il nous salua poliment tous les deux, puis partit de son côté. Alexy semblait bien trop excité de rendre visite au futur papa Leigh et Mama Rosa, et ne fit aucun commentaire au sujet de ma rencontre avec Monsieur Zaidi.
Rosa sembla surprise de nous voir débarquer chez elle, mais évidemment heureuse au point de nous étreindre avec force. Elle nous fit ensuite visiter, enfin, surtout à moi qui n'avais jamais mis un pied dans sa demeure. Et…il y eut une pièce, dont je fus certaine de connaître l'ancien occupant. Nous passâmes devant l'entrebâillement de la porte qui laissa entrevoir une chemise posée sur le dossier d'une chaise de bureau.
-Haha, je vais finir par croire qu'il ne l'aime pas cette chemise.
-Pardon ? m'interrogea Rosa en ouvrant en grand la porte : Ah ! Oui, Lysandre l'a oubliée la dernière fois qu'il est venu dormir ici. (Elle alla la chercher et me la montra) C'est ton père qui lui avait offerte, c'est ça ?
-Oui, pour s'excuser d'avoir renverser de l'huile sur l'une des siennes, rétorquai-je avec un sentiment de douce nostalgie dans la poitrine. Mon père avait tapé juste au niveau de ses goûts, Lysandre aimait beaucoup le jabot. Mais Dieu sait qu'il l'eut souvent oubliée chez mes parents !
-Comme quoi, il la porte trop souvent, renchérit mon amie en reposant la chemise sur le lit fait et froid : On lui a gardé cette chambre pour les fois où il est de passage. Mais les affaires ont vite repris à la ferme, il a moins de temps.
Rosalya referma la porte et se pencha comme s'assurer qu'Alexy était toujours occupé à regarder les nouvelles créations de Leigh.
-En parlant de Lysandre, je me suis toujours demandé…reprit-elle non sans une pointe d'hésitation dans sa voix. Pour l'encourager, et lui faire comprendre que j'allais bien, je passai mon bras autour du sien et l'incitai à poursuivre autant sa visite que sa phrase : Eh bien, Lysandre n'a pas été surpris lorsque je lui ai annoncé que tu étais de retour en ville. Quand je lui ai demandé comment il pouvait savoir ça, il m'a simplement répondue que tu lui avais déjà dit…du coup je voulais savoir si vous étiez de nouveau…
Comprenant où elle voulait en venir, je secouai néanmoins la tête pour réfuter ses suppositions.
-On a mis du temps pour réellement mettre un terme à notre relation, mais c'est définitif, il ne peut plus rien y avoir entre nous. Tu dois déjà savoir, que pour chaque vacance je me rendais à la ferme pour rester avec lui, et qu'il rendait visite à mes parents aussi souvent qu'il le pouvait, mais j'étais celle qui pouvait faire plus souvent les déplacements.
-Oui…je me souviens de cette soirée qu'on a faite tous les cinq, avec Castiel, dans la grange avec les lapins, j'ai cru que Lysandre allait devenir fou lorsque tu as essayé de grimper sur une poutre pour récupérer ce fichu gilet.
Son rire fut communicatif, et alors qu'elle me montrait sa salle de bain elle nous fit s'asseoir sur le rebord de sa baignoire.
-Après ça, je n'ai plus jamais pris une goutte de vin rouge de ma vie ! Je ne supporte vraiment pas ça ! ris-je en repensant de bon cœur à ce souvenir. Le pire c'est que je ne sais même plus comment mon gilet s'est trouvé là-haut ! avouai-je en posant ma tête contre son épaule. Après un petit soupire, je repris : Les sms n'étaient pas tellement son truc, on s'est vite mis à s'envoyer des lettres. Ça a refait vivre le romantisme qui nous avait tant rapproché.
-Des lettres ? Son âme de poète a dû nager dans le bonheur ! (Elle tourna la tête pour croiser mon regard) Je sais que ce sont des choses qui arrivent, mais vous deux…pourquoi vous deux ? Tu sais que Leigh a du mal à ne plus t'appeler belle-sœur ! Il est là : « alors, t'as vu la belle-sœur aujourd'hui ? Ça fait longtemps qu'elle n'est pas passé au magasin, j'ai des tenues à lui proposer. »
-A ce point ? fis-je d'un rire nerveux. C'était notre délire de s'appeler beau-frère et belle-sœur.
-Et vos lettres ? Vous avez continué ?
Je secouai la tête.
-Après deux ans et demi, on a senti du changement. Je pouvais encore venir le voir pendant les vacances, sans délaisser mes cours, mais il était si occupé…il ne voulait pas de mon aide à chaque fois que je lui demandai, je voyais bien qu'il avait déjà son train de vie à lui. Alors tu sais…faire l'amour c'est bien hein, mais si on doit passer nos journées à ne se parler que pour se dire « bonjour, je t'aime à ce soir ». Mais nos lettres, bon sang nos lettre nous liaient encore tellement. Et lorsqu'on a compris, que seules nos lettres ne retenaient notre couple en nous faisant souffrir à chaque fois qu'on se voyait, on a fini par en parler et pour notre bien on a préféré se séparer.
Ma voix diminua au point de n'être qu'un murmure au fur et à mesure que j'eus révélé cela. Rosalya avait les yeux brillants et me toisait avec une intense attention. Sûre qu'elle ne put contenir ses pensées, elle lâcha telle une bombe :
-Tu l'aimes encore ?
Je crois que c'était ce qu'on appelait « rester sans voix ». Mes lèvres se mirent à trembler, mais avant même que je dise quoi que ce soit, on vint frapper trois coups à la porte de la salle de bain.
-Les filles ? Tout va bien ? Alexy m'a dit que vous étiez enfermées là-dedans…
-Leigh ! m'écriai-je en me levant du rebord de la baignoire. J'ouvris la porte et accueillis le futur papa que je pus enfin féliciter : Hé bien, je vois qu'on ne chôme pas ! On dépasse la trentaine et on conçoit un petit bambin ! Mes félicitations !
Mon ami rit avec légèreté tout en me serrant dans ses bras.
-Merci beaucoup, Tallulah. Je suis content de te voir.
-Et moi ? Moi non plus j'ai pas chômé, et j'ai encore neuf mois devant moi ! s'exclama Rosa, faussement outrée.
Leigh arbora un sourire aimant et vint déposer un baiser sur le front de sa compagne qui aurait pu ronronner si elle avait pu tant elle semblait heureuse. Mon cœur se serra, leur complicité était touchante mais aussi privée. Je m'en allais retrouver Alexy qui était accoudé à la table du salon, les dessins de Leigh sous les yeux.
-Ah bah ça c'était de la visite, vu le temps que vous avez mis j'espère que t'es au point sur la pose des canalisations !
-Hmm, comment tu m'as dit tout à l'heure ? Que tu devais discuter avec Morgan et que vous n'avez pas vu le temps passer ?
Alexy me regarda en coin, me détailla de la tête aux pieds avec un air suspicieux qui me fit glousser.
-Tu ne sais plus quoi dire, hein ?
-Tss, bon ça va. Sans rancune, fit-il en ajoutant un clin d'œil. Il ouvrit un bras pour m'inciter à me blottir contre lui et me montra les dessins : Je te vois bien dans cette robe, un blanc cassé légèrement satiné, ça irait bien avec tes cheveux chocolat.
-Moui, c'est vrai qu'elle est jolie.
Je feuilletai les pages, mais mes pensées étaient restées à ma conversation avec Rosalya. Et sa question me restait particulièrement dans mon esprit. « Tu l'aimes encore ? » Si j'aimais encore Lysandre ? Ce n'était pas facile de répondre à cela…
Nous restâmes encore quelques temps, mais après sa journée de travail, Leigh manifestait des signes de fatigue et en ce moment, Rosalya et lui avaient sûrement besoin de rester aussi souvent que possible en tête à tête. Alexy et moi rentrâmes donc au dortoir. Je m'endormis la tête pleine de préoccupations et de visages qui s'embrouillaient.
A suivre…
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