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Hiver 1944-1945, Hylewood, Canada (2/27)

J’ai moi-même écrit à votre mère. Je n’ai pas eu de réponse. Je ne lui en tiens pas rigueur. Je sais les services postaux éminemment perturbés. La Libération n’a rien dû arranger. Je vous donne donc quelques nouvelles, au risque qu’elles soient répétitives. Lucien se trouve actuellement quelque part en Océanie. Je sais qu’il a été transféré, mais puisque je ne sais même pas où il était à l’origine, cela me fait une belle jambe.

▼ Transcriptions et traductions vers le français sous “Afficher davantage”. ▼

[Transcription] Terence Everett : Come, I’ll show you around and introduce you to everyone. (Viens, je vais te faire visiter. Il faut que je te présente à tout le monde !) Lucien LeBris :Are the other here? (Les autres sont là ?) Terence Everett : Of course! The whole crew, plus some extras to replace the ones we lost. (Bien sûr ! Tout l’équipage, plus quelques extras pour remplacer les gars qu’on a perdu.) Terence Everett : Actually, you’ve already met one of them. (D’ailleurs, tu en as déjà rencontré un.) Lucien LeBris : Which one? The one who welcomed us so warmly, or the one who looked like he wanted to kill me with his stare? (Lequel ? Celui qui nous a accueilli si chaleureusement, ou celui qui me fixait comme si il voulait me tuer ?) Terence Everett : Yeah, that one. (Ouais, celui-là.) Lucien LeBris : That guy was one of yours? He sounds like a real peach. (Ce type était l’un des vôtres ? Il a l’air absolument charmant.) Terence Everett : He’s our new radio operator. Don’t pay attention to him, he’s cranky. (C’est notre nouvel opérateur radio. Fais pas attention à lui, c’est un grincheux.) Terence Everett : I’m so glad you guys are here, I didn’t think we’d ever see you again. Oh, the others are going to be thrilled! (Je suis content que vous soyez là, je pensais pas qu’on retomberait sur vous un jour. Oh, les autres vont être jouasses !)

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Hiver 1944-1945, Hylewood, Canada (1/27)

Chère Sélène,

J’ai bien reçu votre lettre contenant le courrier de Noé. J’en ai envoyé une copie à Lucien. Avez-vous plus de nouvelles depuis la Libération ? Lucien a dû envoyer au moins dix courrier mais il n’a toujours pas eu de réponse. Je ne vais pas m’épancher encore une fois sur la qualité du service postal, mais je n’en pense pas moins…

▼ Transcriptions et traductions vers le français sous “Afficher davantage”. ▼

[Transcription]

Linus Lancaster : Hey, look, the Canadians are here. We’re saved! (Hé, regardez, voilà les Canadiens. On est sauvés !)

Linus Lancaster : Don’t you have some iceberg to guard or something? Nah, I’m joking. That’s real nice of you to hold the line for us. (Alors quoi, vous n'avez plus d'iceberg à garder ? Nan, je blague. C'est sympa de votre part de venir nous tenir la ligne.)

Terence Everett : LeBris, is that you? (LeBris, c'est toi ?)

Lucien LeBris : Terry!

Linus Lancaster : You know these guys? (Tu connais ces types ?)

Terence Everett : Hell yeah, they saved our lives last year. (Un peu que je les connais, ils nous ont sauvé la vie l'année dernière.)

Baylee Patterson : Did they, now? (Tiens donc ?)

Terence Everett : Yeah! They were escorting us. Without them, we’d be cooked somewhere in the middle of the desert. What are you guys doing here? (Ouais ! C'était notre escorte. Sans eux, on serait encore en train de cuire quelque part au beau milieu du désert... Qu'est-ce que vous venez faire ici ?)

Lucien LeBris : My squadron just got transferred from Strauss! (Mon escadron vient d'être transféré de Strauss !)

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7/7

Il y a tant de regrets dans cette maison que j'oublie même de te raconter ce qui se passe au village. Et bien, la vie est au ralentis, car nombreux sont ceux qui ████████████████████████████.

█████████████████ a été élu maire après █████████████ ██████████████████████, bien que je soit persuadé que peu ont voté pour lui. Il se pavane dans le centre, sous les yeux réprobateurs des anciens, et il ne manque jamais une occasion de me narguer. Je commence à vraiment croire qu'il n'a pas de coeur, et je regrette de ne pas être un homme pour pouvoir le ████████. Je rêve qu'un jour ██████████████████████████████████ ████████████████████████ et ainsi rendre justice. Sa femme est bien moins insupportable, je lui donnerais même un certain crédit car elle se montre assez peu véhémente. Je sais qu'██████████ ne pouvait pas la sentir, mais quitte à choisir, je préfère l'épouse. Quelle honte que leur fils █████████████████ █████████████████████████. Voilà pourtant une famille pour laquelle ███████████████████████.

Avec toute mon affection, et avec l'espoir de pouvoir ██████████ ██████████████████████████████████, mon cher ██████████. Cléo te salue également.

Noé

Transcription :

Eugénie « Assez jeune fille ! Je ne peux tolérer que ma descendance s’avilisse à pratiquer la sorcellerie pour de tels motifs ! Nous avons tous souffert, tous. Et tu as près de toi une famille tout aussi meurtrie que toi. Il est regrettable que je sois partie si tôt, je n’aurais pas toléré pareil égoïsme ! Tu vas cesser séance tenante de pratiquer ces diableries et me faire le plaisir de faire bruler tous ces livres remplies d’horreurs. »

Anna « Mais... »

Eugénie «  C’est bien trop dangereux ! J’admets que la jeunesse excuse beaucoup d’erreurs, mais je ne tolère pas l’entêtement ! Il faut cesser avant de te détruire à poursuivre des chimères. Ton père ne franchira pas le voile, cela n’arrivera jamais ! Jure-moi que tu vas cesser. »

Anna « Mais j’étais si proche… »

Eugénie « Jure le moi ! »

Anna « Oui, je le jure. »

Eugénie « Oh, ma chère petite… Je dois te paraître si autoritaire et cruelle envers toi. Mais je te jure que je ne penses qu’à tes meilleurs intérêts, comme je l’ai toujours fait avec les membres de ma famille. Tu dois accepter ta peine, faire ton deuil. Tous les beaux moments passés avec ton Papa n’ont pas disparus, ils sont toujours dans tes souvenirs. Ne les laisse pas être entachés par une obsession stérile qui ne fera que t’empêcher de vivre ta vie. Ce n’est pas ce qu’Ange voulait pour toi. Toi et ta s��ur, il vous voulait heureuse, et il a été pour vous un père merveilleux. Garde bien ces souvenirs chéris au coeur de ta mémoire. Tu le feras ? »

Anna « Oui, je le ferai. »

Eugénie « J’aurais tant aimé rester davantage, mais ce n’est malheureusement pas possible. Le voile va se refermer sous peu, je le sens. Vas-donc dormir ma fille, et laisse cette rencontre te paraître comme un rêve. »

Eugénie « Au revoir chère Anna... »

Anna « Tout ça pour rien… La magie est réelle mais… tout ça pour rien… »

Anna « Peu importe ce qu’a dit cette vieille peau ! Si la magie ne peut pas ramener Papa, alors elle le vengera. »

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6/7

Notre coeur n'a pas envie de dire adieu. Il se contorsionne pour élaborer des histoires alternatives où tout finit mieux. Il nous torture jusque dans notre sommeil. Qui n'a jamais rêvé que la lettre se trompe ? Que le corps enterré ne soit pas le bon ? Ou que tout ne soit qu'un mauvais rêve ? Dans ces instants, je me rappelle les histoires de fantômes d'Antoine et Aurore, celles du chat, ainsi que celles de Grand-Mère. Ironique que ceux qui croient aux fantômes soient ceux partis si tôt. Elle racontait à qui veut l'entendre que feu son mari lui apparaissait parfois ou que sa belle-mère hantait la chambre d'enfants. Que ne donnerais je pas pour que cela soit vrai ? Pour que je puisse apercevoir l'ombre d'Ange dans le reflet de mon miroir ou celle d'Antoine passant le perron ? Sans doute tout ce que j'ai pour que tous ces enfants ne grandissent pas orphelins.

Transcription :

Eugénie « Tu ne te souviens sans doute pas de moi. Je suis Eugénie. J’ai mis au monde ton arrière-grand-père. Je l’ai élevé, ainsi que ton grand-père, puis ta mère. Oh, ma petite Anna. Laisse moi te regarder… Bon sang ne saurais mentir ! Tu es le portrait de ta chère Maman et, fort heureusement, il n’y a presque rien du voyou en toi. Enfin, peu importe. Ma lignée a besoin de moi, alors me voici. »

Anna « Je crois que je me souviens de vous… Mais, ce n’est pas vous que j’ai appelé. »

Eugénie « Je le sais. J’ai malgré tout décidé de venir. Nous devons parler ma chère petite. »

Anna « C’est mon père que je veux voir ! Mais pas son esprit, je veux le revoir vivant. »

Eugénie « Ce n’est malheureusement pas possible. »

Eugénie « Aucune âme n’ayant franchi le voile ne peut revenir à la vie. Il est possible, comme tu viens de le prouver, d’écarter ce voile du bout des doigts afin de parler aux vivants. Mais rien de plus. Les morts appartiennent au passé Anna, il faut les laisser en paix. »

Anna « Alors écartez vous, que je puisse parler à mon père ! »

Eugénie « Mais quelle impertinente ! Ton père ne viendra pas. Il faut te faire une raison. »

Anna « Mais… c’est injuste ! Il n’avait rien demandé, il est mort trop tôt ! »

Eugénie « Et d’autres sont partis bien trop tard. La vie comme la mort sont injustes, mais ce que tu fais est bien trop dangereux pour un bien petit bénéfice. »

Anna « Dangereux ? Vous voulez rire ? Si ça m’a pris un peu de temps, ça a été un jeu d’enfant de réunir de quoi invoquer les morts. Je n’étais même pas sure que ça marche mais… la magie est réelle. J’essaierai jusqu’à ce que Papa réponde ! »

Eugénie « Un tel art peut paraître facile, mais enfreindre les lois de la nature se retournera inéluctablement contre toi. Sans compter qu’il te maintiendra dans le passé, tu ne pourras pas avancer. Il faut accepter de faire ton deuil. »

Anna « Il est hors de question que je renonce ! Si je peux, ne serait qu’échanger quelques mots avec Papa, je dois persévérer ! »

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5/7

Faire son deuil est compliqué. Quand nous avons perdu Grand-Mère, nous savions que la fin était proche. C'était une vieille dame d'un âge vénérable, avec une vie bien remplie, qui aspirait au repos. Quand la mort frappe sans prévenir, je trouve le deuil bien plus difficile à accepter. Je comprends qu'il soit compliqué pour de jeunes enfants de faire le deuil de leurs parents.

Transcription :

Anna « Bon… Un objet cher ayant appartenu au défunt… »

Anna « Un objet cher de l’invocateur lui évoquant le défunt… Je crois que tout y est. »

Anna « Papa, je t’en prie… Fais que ça marche ! Reviens auprès de nous… »

Anna « Nous sommes partis… Hum, hum… J’appelle la triade lunaire, maîtresses du cycle vital des mortels, messagères des dieux, entremetteuses des forces cosmiques. »

Anna « J’appelle Artémis, la lune croissante. Par toi bourgeonnent les âmes et les corps, par toi ils s’incarnent. Je te supplie d’accorder à nouveau un souffle à cette âme trépassée. »

Anna « J’appelle Séléné, la lune pleine. Par toi croissent les chairs et les pensées, par toi elles maturent. Je te supplie d’accorder à nouveau une enveloppe à cette âme trépassée. »

Anna « J’appelle enfin Hécate, la lune noire. Par toi fanent hommes et femmes, par toi ils s’échappent vers l’inconnu. Je te supplie de déchirer à nouveau ton voile et de permettre à cette âme trépassée de franchir à nouveau la frontière. »

Anna « Ange de Chastel, père parti trop tôt, je t’invoque. Que le destin qui te faucha si vite t’accorde une nouvelle aube ! »

Eugénie « Je t’ai entendue ma chère enfant… »

Anna « Bon sang ! Le rituel fonctionne ! Mais… Qui êtes-vous ? »

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4/7

Il y a tant de mauvaises nouvelles que je n'ai le coeur de t'annoncer car elles pèsent encore sur moi. Ce qui est certain, c'est que ma nièce Louise, orpheline aussi bien de père que de mère, est d'un comportement exemplaire. Comme je te l'écrivais il y a un temps, elle ne se vêtit plus que de noir, comme le faisait Grand-Mère autrefois, et semble mettre un point d'honneur à s'occuper de ses deux petits frères. Elle n'a que neuf ans, mais j'ai parfois le sentiment de croiser le regard d'une adulte. Elle me rappelle tant son père que cela me donne les larmes aux yeux. Elle a le même air sérieux que lui à son âge, la même fossette qui apparait au creux de ses joues quand elle contracte la machoire. Et elle commence même, sans s'en rendre compte, à adopter son phrasé. Rends toi compte, elle a tiré les larmes à Cléo qui m'a confié voir notre frère en la petite Louise à chaque instant qui passe, et qu'elle craint ce qui sera quand nous pourront également reconnaitre les traits d'Antoine dans le visage des jumeaux.

Cléo me parle souvent de lui. Ceci elle ne le dit pas, mais je pense qu'elle a beaucoup de regrets pour les disputes qu'elle a eu avec notre frère.

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3/7

Mon Anna, si prompte à prendre de la place et à s'affirmer, est devenue une ombre. Je ne la vois presque plus. Elle a sans doute été celle qui a été le plus durement touchée par la mort de son père, et elle se mure dans un silence pesant. Il me semble impossible de l'atteindre. Contrairement à tous les enfants qui se sont agrégés autour de moi après être devenus orphelins, elle, au contraire, semble rejeter le réconfort que je veux lui offrir.

Elle passe ses journées au grenier, à lire je ne sais quoi. Même Elisabeth n'arrive à rien avec elle, pas même à savoir ce qu'elle fabrique. Ce qui est certain, c'est que mon aînée s'y jette à corps perdu.

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2/7

Cher ████████,

Je n'ai plus de nouvelles de toi depuis longtemps, et je t'avoues que je m'inquiète. Je sais que là où tu es, les turpitudes de la guerre ne t'ont sans doute pas atteint, mais tout de même. J'espère que toi et ta famille vous portez bien.

Je ne te mentirai pas, les temps sont durs. J'ai tant de choses à faire et je suis si fatiguée ! A présent, même si Cléo et Elisabeth m'aident beaucoup, je dois m'occuper des plus jeunes et ils ont grand besoin d'amour. Malgré son courage, mon Elisabeth n'a que seize ans, et je me sens coupable de tant me décharger sur elle. A son âge, les jeunes filles aident leur mère bien sur, mais elle a aussi ses soucis d'adolescente et j'aimerais qu'elle se concentre là-dessus en priorité.

Transcription :

Arsinoé « Merci de tant m’aider. Tu n’es vraiment pas obligée de le faire Elisabeth, ta Tante m’est déjà d’un grand secours. »

Elisabeth « Bien sur que si Maman. Avec tous les petits, je vois bien que tu es complètement débordée. Je ne veux pas que tu te surmène, alors laisse moi m’occuper de Charles et des cousins s’il te plait. Concentre toi sur l’affaire. »

Arsinoé « Heureusement qu’Oncle Adelphe est là. Sinon je ne saurais pas où donner de la tête. Mais Dieu que ton oncle Antoine me manque... Ainsi que ton père bien sur. Le petit Charles lui ressemble tellement…  »

Elisabeth « Papa me manque beaucoup à moi aussi Maman. C’est pour cela que tu dois me laisser t’aider. »

Arsinoé « Ce n’est pas ton rôle ma chérie… »

Elisabeth « On s’en fiche Maman ! Tu as le droit d’avoir de mauvais moments, comme tout le monde. Ce n’est pas parce qu’Anna ne fait attention à rien et reste dans son coin que je suis forcée de faire la même chose. »

Arsinoé « Ne sois pas trop dure avec ta sœur… »

Elisabeth « On ne la voit presque plus ! Elle ne fait plus attention à nous et quand j’essaie de la faire sortir du grenier, elle me dit de la laisser tranquille. Tout le monde est malheureux ici, et j’en ai assez qu’elle se comporte comme si elle était la seule à avoir perdu Papa ! Le monde continue de tourner et nous avons un petit frère et des cousins qui ont besoin de nous ! »

Arsinoé « Personne ne vit son deuil de la même façon. Ta sœur a toujours paru plus dure, mais elle est tout aussi sensible que toi, si ce n’est plus. »

Elisabeth « Cela fait deux ans qu’elle est comme ça ! Et que peut-elle bien faire là-haut de toute façon ? Elle refuse de m’en parler ! »

Arsinoé « Tu es en colère contre ta sœur, Elisabeth. Donnez vous du temps, ça passera. »

Elisabeth « Elle me manque Maman. Avant, elle ne voulait pas me quitter, et maintenant, elle me fuit comme si j’étais une étrangère. »

Arsinoé « Ne le prends pas ainsi. Vous avez toujours été inséparables, je le sais, mais même des sœurs aussi fusionnelles que vous ont besoin de leurs secrets. Tu ne dois pas lui en vouloir de cultiver son jardin secret. Et puis, si tu veux qu’elle vienne t’aider, demandes lui, peut-être qu’elle comprendra que tu lui manques. »

Arsinoé « Tu n’as vraiment aucune idée de ce qu’elle fait ? »

Elisabeth « Elle lit je crois. Elle a dégoté je ne sais quel livre qui a appartenu à Tante Rose je crois… Et elle commande aussi des caisses par catalogue, mais je n’ai aucune idée de ce que ça contient, si ce n’est que ce sont des livraisons approuvées. Je devrais peut-être ouvrir la prochaine… »

Arsinoé « Non, tu ne risques que de déclencher une dispute. »

Elisabeth « Et tu la laisse faire sans même vérifier ce que ça contient ? »

Arsinoé « Il faut laisser ta sœur faire ce dont elle a besoin. Je lui fais confiance, tu devrais en faire de même. »

Elisabeth « Parfois, elle fait des promenades seules. Si j’avais le temps, je l’accompagnerais bien, mais elle refuse de toutes façons. Je devrais peut-être… »

Arsinoé « Encore une fois, c’est une mauvaise idée ! Il faut que tu fasse confiance à ta sœur et que tu la laisse tranquille. Elle reviendra vers toi d’elle même, tu verra. Tu veux bien me promettre de faire ça pour moi ? Tu m’aiderais beaucoup. »

Elisabeth « Bien Maman... »

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Eté 1944 - Viana do Castelo (Portugal)

1/7

Cher Cousine Irène,

Voici à nouveau pour vous une lettre de ma soeur Noé confiée à mes bons soins. Elle est dans un meilleur état que la dernière fois, et j'espère qu'elle vous parviendra en temps et en heure. Malheureusement, il est difficile de savoir quand elle a été écrite exactement, la date faisant défaut. Mais je ne pense pas qu'elle soit si ancienne que cela. J'ai entendu dire que, comme chez nous, le Canada a été épargné. Aussi, je vous souhaite que votre mari vous revienne vite, et en bonne santé.

Ma mère a bien reçu votre lettre et en a été très touchée. J'espère que vous recevrez sa réponse bientôt.

J'ai assez peu de nouvelles de mon frère Antoine ces derniers temps, et ses lettres sont assez évasives. Au moins, je le sais en sécurité en Angleterre à ronger son frein parce qu'il n'est pas "sur le terrain" comme il le souhaiterait. Mieux vaut être frustré que mort selon moi.

Amitiés,

Sélène Bragança, née Le Bris

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Hiver 1943-1944 - Londres, Angleterre

7/7

Comme j'ai davantage d'espoirs qu'auparavant, je pense de plus en plus à l'après. Comment revient on à une vie normale après quelque chose qui nous marque aussi profondément ? Je sais que je me suis déjà longuement appesanti sur mes questionnements personnels dans mes courriers, mais à présent, cela devient de plus en plus concret. J'imagine que ce qu'il me restait d'innocence est mort depuis un moment déjà, mais j'espère pouvoir fonder une vie nouvelle avec ma famille, élever mes enfants et me consacrer à tout ce que je n'ai pas pu être pendant ces plus de quatre années : être le père dont les autres ont besoin et qui leur a sans doute si cruellement manqué.

Avec toute mon affection,

Votre fils, Antoine

Transcription :

Adelphe « Tu peux rester chez moi le temps le temps que tu voudras, mais je t‘interdis de sortir ou de contacter qui que ce soit d’autre au village. »

Marc-Antoine « Bien, mon Oncle. »

Adelphe « D’ailleurs, tu ne m’as toujours pas dit ce que tu venais faire ici. J’imagine que ta visite n’est qu’un petit détour. »

Marc-Antoine « Si ça ne vous dérange pas, je préfère garder cela pour moi pour l’instant et… je pense que je vais aller me reposer. »

Adelphe « La soirée a été plus éprouvante que tu ne l’escomptais. J’en suis désolé. Mais… »

Marc-Antoine « Vous avez bien fait. Au moins, je l’aurais appris de vous et pas de quelqu’un d’autre. C’est juste tant, et si soudain. Mais… Pourquoi êtes-vous seul ? Où est Alexandre ? »

Adelphe « Reste autant de temps que tu le souhaites. Alexandre est parti s’installer dans la maison achetée avec l’héritage de sa mère. Mes filles sont parties à Séraincourt dans la famille de mon gendre Jean. Je serai seul encore quelques semaines. »

Adelphe « Je suis content de t’avoir avec moi. Si tu as besoin de parler, ou de n’importe quoi, je suis là pour toi. »

Marc-Antoine « Vous avez toujours été là pour nous, Oncle Adelphe, et je vous remer… Oh non, je suis désolé. Je n’ai même pensé à vous donner des nouvelles de Papa ! »

Adelphe « Comment va ton père ? »

Marc-Antoine « Il a… cassé ses lunettes… »

Adelphe « Mmh… Sacré Constantin… Tu me parleras de lui demain. Vas donc te reposer… »

Marc-Antoine « Oui… Merci pour tout. »

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Hiver 1943-1944 - Londres, Angleterre

6/7

Je ne doute cependant pas de la victoire. Bien que l'Allemagne se voile le face, il est de notoriété publique qu'elle est en difficulté sur le front de l'est et qu'une retraite est entamée depuis un moment. Les soviétiques ont la réputation d'être féroces et endurants, j'imagine que cela se confirme avec ce qu'on entend en Angleterre. Bientôt, nous serons prêts à rentrer, à chasser les envahisseurs, et à punir les traîtres.

Transcription :

Marc-Antoine « Louise… Rémi et Jean-Claude… »

Adelphe « Ils s’en remettent difficilement. Mais Noé et Cléo s’en occupent très bien, ce sont des enfants très forts. Ils auront déjà la chance de voir leur Papa revenir quand la guerre sera finie. »

Marc-Antoine « Qui a dénoncé Aurore ? »

Adelphe « Il n’y a pas eu de dénonciation à proprement parler… »

Marc-Antoine « Elle n’a jamais eu aucune fonction politique ni même adhéré au parti. Qui ? »

Adelphe « A ton avis ? »

Marc-Antoine « Ce salopard de Jacqmarcq… Jamais je… »

Adelphe « Antoine, où comptes tu aller ? »

Marc-Antoine « Cette ordure ne peut pas voir le soleil se lever encore une fois... Il en est hors de question, vous m’entendez ? Il faut qu’il paie ! »

Adelphe « Tu commettrais un meurtre de sang-froid ? Non, ça ne te ressemble pas mon garçon. »

Marc-Antoine « Laissez-moi le soin de décider ce qui me ressemble ou pas ! Vous n’allez quand même pas pleurer pour lui ? C’est de sa faute si Aurore est… Seigneur… »

Adelphe « J’essaierais bien de t’en empêcher, mais ce n’est pas nécessaire. Quelqu’un s’est chargé de lui avant toi… »

Marc-Antoine « Quoi ? »

Adelphe « La Kommandantur est sur les dents en ce moment… Daniel Jacqmarcq, sa femme… »

Marc-Antoine « Cette salope d’aryenne… »

Adelphe « Ne dis donc pas du mal des morts Antoine ! Pas sous mon toit ! Il y a eu plusieurs Allemands aussi. Tous retrouvés morts sans que l’on sache vraiment comment… »

Marc-Antoine « Qui s’en est occupé ? J’imagine qu’ils blâment les terroristes qui suivent De Gaulle... »

Adelphe « C’est ce que dit la version officielle. Mais nous sommes nombreux à ne pas y croire. Ils n’ont pas été abattus par balles, ni par aucune arme pour ce que l’on sait. Ils sont morts, juste comme ça. Tous. »

Marc-Antoine « Ce n’est pas une coïncidence n’est-ce pas ? »

Adelphe « Non. Je ne pense pas en tous cas. Il doit y avoir quelqu’un derrière tout cela. »

Marc-Antoine « Qui qu’il soit, je le remercie. Cela fera moins de nazis sur cette Terre. »

Adelphe « Antoine, le petit Adolphe Jacqmarcq a perdu ses deux parents alors qu’il n’avait même pas deux ans. On ne peut pas se réjouir de cela. »

Marc-Antoine « Qui s’occupe du petit ? »

Adelphe « La famille de sa mère. Il est orphelin, comme tes enfants.»

Marc-Antoine « Des Valin donc. On ne pourrait espérer meilleur cadre pour y élever un enfant, il y sera bien mieux qu’éduqué par un couple de nazis. Peu importe ce que vous en pensez, Oncle Adelphe, mais je compte bien me réjouir que quelqu’un ait réglé leur compte à ceux qui ont envoyé mon Aurore à la mort. Et sachez bien que si personne ne s’en était chargé, je l’aurais massacré de mes mains ce soir même. »

Adelphe « Je te crois, mon garçon. La douleur fait dire et faire bien des horreurs. »

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Hiver 1943-1944 - Londres, Angleterre

5/7

Comme de coutume, je ne cesse de broyer du noir. J'en ai assez de sentir la peur prendre possession de moi dès que mon esprit est au repos, et il y est de plus en plus en ce moment. Georges tente de me rassurer et de m'apaiser, mais je vois aussi dans ses yeux toute l'inquiétude qu'il a pour Cléo. Il n'a pas peur qu'il lui soit arrivé malheur selon moi, car c'est une force de la nature comme le fut Grand-Mère à mon avis. Mais il craint de ne pas la revoir avant longtemps, et que la distance et l'éloignement ne gâche leurs relations. Je comprends son sentiment. Je ne sais pas ce que je ferais si Aurore et moi ne nous comprenions plus, ou si nous devions cesser de nous aimer. Tout a toujours été si évident entre nous.

Transcription :

Marc-Antoine « Ange ? Non, ne me dites pas que... »

Adelphe « Il a été fauché par une rafale de mitrailleuse dans les Ardennes. Ils nous ont rendu son corps une semaine avant le tiens. »

Marc-Antoine « Merde ! Je… j’imaginais qu’il était prisonnier en Allemagne, jamais je n’avais pensé que… Bon sang ! Il faut je vois Noé, mon oncle, il faut qu’elle sache que moi je suis toujours là !»

Adelphe « Antoine, je sais que c’est dur à encaisser pour toi, mais tu n’en feras rien. Tu ne ferais que la mettre en danger. »

Marc-Antoine « Oui… Vous avez raison, je dois faire attention. »

Adelphe « Il y a une autre mauvaise nouvelle dont il faut que je te fasse part. Je n’en ai pas la moindre envie, mais je préfère que tu l’entendes de ma bouche plutôt qu’ailleurs… C’est à propos d’Aurore... »

Marc-Antoine « Quoi ? Non, non, non… Oncle Adelphe, par pitié… Non, pas elle... »

Adelphe « Je suis tellement navré, mon garçon, tellement navré… »

Marc-Antoine « Co… Comment ? »

Adelphe « Elle a été arrêtée quelques semaines après l’arrivée des Allemands. Elle n’a pas été la seule. Ils ont pris Kléber aussi, et Michel Valin. »

Marc-Antoine « Et Raoul ? »

Adelphe « Tué dans la Somme. »

Marc-Antoine « J’aurais du m’en douter… J’aurai du… »

Adelphe « Tu n’aurais rien pu faire. Ils ont emmené Aurore dans un camp de prisonniers quelque part dans l’est, en Allemagne ou en Pologne. Nous n’avions presque pas de nouvelles. Noé et Cléo lui envoyaient des colis toutes les semaines. Elle est tombée malade le premier hiver et… enfin, elle n’a pas survécu. »

Marc-Antoine « Non, ce n’est pas possible… »

Adelphe « Ton retour est déjà un miracle, je doute qu’il y en ai un deuxième. Nous avons reçu l’urne contenant ses cendres et les avons enterrées près de celui que nous pensions être toi. »

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Hiver 1943-1944 - Londres, Angleterre

4/7

Cette guerre est interminable. J'étais bien jeune lors de la dernière, alors les années m'avaient semblé passer bien plus vite. Ici, être exilé loin de ma famille étire le temps de manière exponentielle. D'un autre côté, je me sens vieillir prématurément, comme si ce temps qui glisse sur mon esprit s'appesantit sur mon corps. Je pense avoir enfin quitté ce que je pensais être ma jeunesse pour entrer dans le plein âge adulte, là où les illusions se défont et ne nous reste plus que la certitude que le monde est atrocement laid.

Transcription :

Adelphe « Antoine, mon garçon… Tu m’as fichu une de ces trouilles ! J’ai bien cru devenir sénile pour de bon à imaginer des fantômes… Tout le monde te croit mort par ici, et ce depuis des années. »

Marc-Antoine « Je sais bien mon oncle. Une erreur stupide de ma part. »

Adelphe « Mmh… Pas si stupide si tu veux mon avis. Tu as toujours été un garçon intelligent. Mais, vois-tu, en apprenant la nouvelle, j’ai imaginé un peu naïvement que tu avais trouvé un moyen de t’en sortir. Après tout, j’ai accompagné Noé et Aurore au funérarium, car elles voulaient te voir. Le corps était méconnaissable, cela aurait pu être n’importe qui. Peut-être devrais-je avoir davantage confiance en mes délires de vieil homme… »

Marc-Antoine « Vous en avez parlé à quelqu’un ? »

Adelphe « Bien sur que non ! J’ai encore toute ma tête, mais je n’avais pas envie que tout le village pense le contraire. Tu as eu droit à un bel enterrement, crois-moi. Cléo s’est chargée de l’oraison funèbre... »

Marc-Antoine « Mon Dieu... »

Adelphe « Ce fut beau et très lyrique, mais d’une inattendue sobriété, ne t’inquiète pas. Cléo sait se tenir, et elle était très malheureuse. »

Marc-Antoine « Et… les autres ? Comment ont-ils pris la nouvelle ? »

Adelphe « Très mal, comme tu l’imagines. »

Marc-Antoine « Grâce à Sélène, j’ai pu avoir quelques nouvelles, mais la lettre a été censurée de partout, et tout ce qui semblait important a disparu. Je n’en sais pas plus. »

Adelphe « Anna et Elisabeth y ont veillé. Elles ont raturé elle-même la lettre, sans doute de façon un peu excessive, afin d’être certaines qu’elle soit bel et bien envoyée. Je suis heureux d’apprendre que tu as pu la lire. Chacun a fait son deuil, entre autres tes garçons, mais ils étaient trop petits pour vraiment comprendre. C’est ta petite Louise qui a été inconsolable. Mais j’admets que cela nous a tous fichu un sacré coup. Notre pauvre Noé en a été presque achevée, surtout après Ange... »

[selidren]

Hiver 1943-1944 - Londres, Angleterre

3/7

La vie londonienne m'avait manquée, bien plus animée qu'au fin fond de la campagne anglaise où l'essentiel de mes connaissances étaient de très jeunes hommes. Je peux aussi en profiter pour voir davantage Georges comme j'ai bien davantage de temps libre. Néanmoins, la maison me manque toujours autant, et je n'en peux plus d'attendre de revoir ma famille et mon village.

Transcription :

Adelphe « Hé là ! Qui est là à cette heure ci ? »

Adelphe « C’est encore vous les jeunes ? Le couvre-feu est en place depuis un bon quart d’heure, rentrez vite chez vous avant que vos parents n’aient à vous récupérer à la Kommandantur demain matin ! Ce n’est pas vraiment le moment de batifoler ! »

Marc-Antoine « Mon oncle ! C’est moi... »

Adelphe « Comment ? Mais… »

Marc-Antoine « C’est Antoine, Oncle Adelphe ! »

Adelphe « Seigneur tout puissant ! Comment… Bon sang, rentre vite avant qu’on ne te voie ! »

[selidren]

Hiver 1943-1944 - Londres, Angleterre

2/7

Mes chers parents,

Je suis revenu à Londres récemment, la plupart de mes élèves ayant été congédiés pour partir en opération. Ce sont des hommes désormais, bien jeunes, mais des hommes tout de même. Je les envie de pouvoir ainsi aller défendre leur patrie, même si le danger est réel.

Transcription :

Marc-Antoine « J’appréhende. Mais j’ai tellement hâte. Avec un peu de chance, cette guerre sera bientôt finie. Nous pourrons tous rentrer à la maison. »

Georges « Moi aussi, j’attends ce jour avec impatience. »

Marc-Antoine « Pardonne moi si ma question peux te sembler maladroite, mais où comptes tu rentrer ? Quand tu penses à ton foyer, qu’est-ce qui te vient à l’esprit ? La France, ou le Sénégal ? »

Georges « Tu es bien le premier blanc à me poser la question. »

Marc-Antoine « Pardonne moi, je ne voulais pas t’offenser. »

Georges « Ce n’est rien. Il faut dire que tout le monde considère que mon pays est le Sénégal, car j’y suis né, mais aussi parce que… je ne pense pas avoir besoin de t’expliquer. En ce qui me concerne, si je resterai toujours attaché à la terre qui m’a vu naître, j’ai passé assez de temps en France pour m’y sentir chez moi. Tout simplement car je sais que mes amis y sont, mais aussi la femme que j’aime. »

Marc-Antoine « Je suis certain que Cléo serait prête à venir vivre à Dakar avec toi si tu lui demandais son avis. »

Georges « Antoine… C’est à croire que tu ne sais pas de quel bois est fait ta sœur. Bien sur qu’elle diras oui si je le lui demande, mais nous savons tous deux qu’elle ne peut pas rester loin de Paris très longtemps. Ma Cléo est un feu follet qui a besoin d’une lumière éblouissante, de fêtes jusqu’au bout de la nuit, d’un public pour déclamer ses tirades… Ailleurs, elle s’étiolera. Mais bien sur, je ne laisse pas tomber ma terre, et je peux la servir même au loin. On peut être l’enfant de deux pays, tu sais ? »

Marc-Antoine « Deux pays… »

Georges « Quand nous aurons libéré la France au nom de la liberté, un autre combat commencera pour moi. »

Marc-Antoine « Bien entendu. A ce moment, tu pourras compter sur mon aide. »

[selidren]

1/7

Notes de A. Le Bris :

La série de lettres d'Antoine qui va suivre n'est pas vraiment passionnante. Il ne raconte rien de particulier, si ce n'est des banalités, dont nous savons à présent qu'elles sont fausses. En revanche, grâce à ce que j'ai découvert, elles en deviennent paradoxalement bien mystérieuses.

D'après les archives que j'ai pu consulter, Antoine est parti en mission d'agent de liaison à la fin de l'année 1943 et n'est jamais retourné en Angleterre. Il n'a pas été le seul, et même si ce n'est jamais précisé sur aucun des papiers (dont certains avaient l'encre tellement passée que je n'ai pu les déchiffrer que grâce à l'historienne dont je t'ai parlé), j'imagine qu'il s'agissait de préparer le terrain pour le débarquement de juin 1944. Antoine était apparemment affecté à l'ouest de Paris, où on peut supposer qu'il a aidé à coordonner des mouvements de résistance locaux en vue de la prise de Paris. Cela m'a permis de lire beaucoup de choses sur le sujet au passage, et c'est passionnant.

La question que je me pose, c'est comment il a pu continuer à poster des lettres qui portent le tampon de la poste britannique tout en risquant sa peau en zone occupée. Personnellement, je pense que c'est Georges qui s'en est chargé à sa place. Un homme aussi méticuleux et prévoyant que devait l'être Antoine a sans doute pensé à tout. J'imagine qu'il a écrit à l'avance plusieurs lettres et indiqué à son ami quand les poster. Ou si ce n'est pas lui, il s'agit peut-être du fameux M.C. Je vais tout de même poser la question à ma cousine dakaroise, on ne sait jamais.

Transcription :

Georges « Antoine ! »

Georges « J’ai eu ton mot, ça semblait urgent. Tout va bien ? »

Marc-Antoine « Oui, assieds toi. »

Marc-Antoine « J’ai eu ce que je voulais. Je pars en opération dès demain. »

Georges « Dès demain ? Mais… enfin, félicitations j’imagine. Mais où… ? »

Marc-Antoine « Je ne peux pas t’en dire plus. »

Georges « Bien évidemment. »

Georges « Tu as peur ? »

Marc-Antoine « Je suis terrifié. Mais aussi extrêmement impatient et excité. J’ai énormément pensé à ma famille depuis que je suis en Angleterre, mais je réalise également que mon pays m’avait énormément manqué. »

Georges « Antoine… Je suppose qu’ils ne t’ont pas envoyé pour que tu puisse revoir ta famille. »

Marc-Antoine « Georges... »

Georges « Je t’en supplie, ne désobéis pas. Ne fais rien qui puisse t’envoyer en cour martiale. Tu réalises que c’est une très mauvaise idée de faire savoir à ta famille que tu es vivant, n’est-ce pas ? »

Marc-Antoine « Ne crains rien. J’ai promis à Noé de survivre à la guerre coûte que coûte, et je le dois à Aurore et aux enfants. Par contre, j’entends bien avoir de leurs nouvelles, et j’ai déjà un plan. »

Georges « Je n’en doute pas une seconde. Mais promets moi d’être prudent. »

Marc-Antoine « Je te le promet. De toute façon, je ne peux pas me permettre d’être imprudent. »

[selidren]

Automne 1943, Hylewood, Canada (6/6)

J’aimerais avoir davantage de nouvelles à vous partager la prochaine fois que je vous écrirai. Je sais que les régions pacifiques sont chaudes et Lucien n’a pas de vêtement adapté. Il aurait certainement besoin que je lui renvoie des chaussettes neuves, des sous-vêtements dans des matériaux légers. L’armée fournit-elle ses soldats en vêtements ? S’il manquait de quoi que ce soit, je ne suis pas certaine que cela ne serait pas censuré dans ses lettres. J’aimerais lui envoyer un colis mais j’ai peur qu’il se perde.

J’espère que votre famille se porte bien. Je vous quitte en vous priant de transmettre toutes nos pensées à Sélène ainsi qu’à vos fils si vous êtes en mesure de leur écrire.

Votre cousine,

Irène LeBris