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#Anne Barbois
selidren · 3 months
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Printemps 1921 - Champs-les-Sims
5/10
Cependant, il faut comprendre que Madame Eugénie est en odeur de sainteté par ici. Je ne sais pas si vous étiez au courant, mais elle fête cette année ses cent ans. Figurez vous donc ! Elle est née en 1821. Cela me semble si loin. Elle est encore plus âgée que la maison où le père de Constantin ont vu le jour. Elle nous enterrera tous j'imagine.
Moi-même je suis souvent admirative devant tout ce qu'elle a traversé. Elle a perdu presque tous ses enfants (la dernière qui lui reste est la prieure de Notre-Dame-aux-Bois, à Ognolles), nombre de ses petits enfants et a vécu une vie conjugale tout bonnement catastrophique. On ne compte plus ses mérites, et c'est pour cela que je ne peux m'empêcher d'éprouver de la culpabilité quand elle m'agace en se mettant en travers du bien-être de mes enfants. J'ai été d'autant plus active dans l'organisation des festivités. Une partie sera réservée à la (très nombreuse) famille, à la maison, et il y aura même un discours de Monsieur le Maire Musclet (l'époux de l'une de vos nièces par Jeanne) sur la place du village. Il remettra à Madame Eugénie une sorte de médaille, mais sans réelle signification légale il me semble.
Pendant ce temps, elle a continué ses missions familiales telle une ambassadrice de la société des nations. Son dernier exploit en date (et qui augmente d'autant plus la brillance de son auréole) est la réconciliation imminente entre Adelphe et ses enfants, même si le conflit est davantage avec Alexandre qu'avec ses filles. Elle a fait reconnaître ses torts à mon beau-frère avec un certain brio, il faut bien l'admettre, et a initié le dialogue entre père et fils. Ce dernier s'est grandement apaisé. De ce que j'entends, il est beaucoup moins sujet à ses accès de colère et de tremblements qu'auparavant, même si il est certain que personne ne l'en guérira. Il a d'ailleurs assuré à son père que c'est à cause de cela qu'il repousse sans cesse son mariage avec Sylvette. Il pense que cela serait mauvais pour elle de devoir supporter ses propres fardeaux, et je partage ses inquiétudes.
Transcription :
Alexandre « Vous devriez aller vous coucher Grand-Mère, la journée de demain ne va pas exactement être de tout repos. »
Eugénie « J’ai été sommée de débarrasser les lieux dans ma propre maison et voici qu’on veut maintenant me mettre au lit et me border comme une petite fille. Je sais bien que je vais fêter mon centenaire, mais je n’aime pas bien qu’on me traite comme si j’étais en verre. »
Alexandre « Ce n��est pas ce que je... »
Eugénie « Allons bon, je te taquine mon garçon ! Je ne vais pas tarder à aller au lit, mais je voulais prendre un peu de temps pour venir te parler en toute tranquillité. Je ne suis pas la seule à me coucher à des heures tardives semble t-il... »
Alexandre « Vous savez que j’ai du mal à dormir, ne revenez pas dessus. »
Eugénie « Non, je l’ai bien compris. Par contre, j’aimerais que nous discutions de cet autre sujet de litige. »
Alexandre *soupire*
Eugénie « Allons, je sais que ton père est passé vous voir aujourd’hui. Avez-vous parlé ? Sans crier, j’entends. »
Alexandre « Oui, mais ce n’est pas pour autant que tout est réglé. »
Eugénie « Vraiment ? Développe donc ! »
Alexandre « Et bien… Il s’est excusé, ce qui me semble être la moindre des choses, puis il m’a détaillé le récit de toutes ses visites précédentes. Comme si c’était à moi qu’il lui fallait rendre des comptes. »
Eugénie « N’est-ce pas le cas ? Il s’est toujours senti énormément coupable pour ce qu’il s’est passé. »
Alexandre « Ne revenez pas là dessus, je sais bien que j’ai eu tort de l’accuser des pires horreurs. Ce n’est pas de cela que nous devions parler. »
Eugénie « Mon garçon, cesse donc de tourner ainsi autour du pot ! Je t’ai connu bien moins casanier. »
Alexandre « J’admets qu’il a fait des efforts. »
Eugénie « Mais ? »
Alexandre « Mais c’est encore un peu tôt pour le pardon. Mais je lui pardonnerai un jour. »
Eugénie « Tu es un bon garçon. »
Alexandre « Arrêtez avec cela, je ne suis plus un enfant depuis très longtemps. »
Eugénie « Certainement, tu as même la moustache que ton père a toujours rêvé d’avoir. Mais puisque tu mentionnes ton âge, il est temps de revenir sur le dernier sujet de litige qui nous concerne. »
Alexandre « Qui nous concerne ? Je… Ah non ! Cela ne vous regarde absolument pas ! »
Eugénie « Tout me regarde dans cette famille, c’est moi qui ait mis ta grand-mère au monde jeune homme ! Tu devrais le savoir puisque tu n’est plus un enfant. »
Alexandre « Au moins vous ne me donnez plus du « mon garçon »... »
Eugénie « Alors donc, quand vas-tu épouser ta bonne amie Sylvette ? »
Alexandre « Heu… et bien je ne sais pas. Ce n’est pas le bon moment pour moi, c’est tout. »
Eugénie « Alors inutile de la faire attendre si longtemps. Si tu ne comptes pas l’épouser, laisse la avant que son honneur ne soit ruiné. »
Alexandre « Mais… je n’ai jamais dit que je ne voulais pas l’épouser ! »
Eugénie « Fichtre, qu’est-ce que c’est que ces histoires de ne pas être prêt alors ? Ce ne sont que des excuses. Quand nous nous marions, nous ne sommes jamais prêt. Nous sommes prêts quand arrive le premier enfant et que nous sommes devant le fait accompli. »
Alexandre « Je ne suis pas en état de me marier maintenant. Par pitié, ne faites pas semblant de ne pas comprendre... »
Eugénie « C’est toi qui ne comprends pas il me semble. Un jeune homme qui a connu toutes ces horreurs, qui a été si courageux, il ne peut pas s’en sortir sans une femme à ses côtés. La petite veuve Barthélémy par exemple, elle serait bien sotte de ne pas épouser cet anglais venu d’on ne sais où mais avec un bon patrimoine. Tous ce dont ils ont besoin, c’est de se marier. Et c’est la même chose pour toi ! »
Alexandre « Je ne pense pas vous voyez. Et si vous vous inquiétez pour l’honneur de Sylvette, sachez que je n’ai jamais rien fait qui puisse l’entacher. J’attends simplement… d’aller mieux, c’est tout. S’il vous plait, ne nous fâchons pas la veille de votre anniversaire, ça ne me ferait pas plaisir. »
Eugénie « Moi non plus mon petit, moi non plus. Nous en reparlerons plus tard si tu y tiens. »
Alexandre « C’est gentil, mais je n’y tiens pas tant que cela. La manière dont je conduis ma vie me satisfait plutôt bien. »
Eugénie « C’est cela, c’est cela… Nous en reparlerons une autre fois. En attendant, il est temps d’aller se coucher. »
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selidren · 3 months
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Printemps 1921 - Champs-les-Sims
2/10
Elle passe presque tout son temps avec Adelphe par la même occasion. J'avais peur qu'elle ne le gêne, mais il m'a assuré qu'elle était au contraire une élève aussi sérieuse qu'indispensable. Quelque part, il est touchant de voir cet héritage se perpétuer à son travers. D'ailleurs, savez vous que cette correspondance entre les familles de nos époux dure depuis plus de cent ans ? J'ai bien du mal à me le figurer.
Cléo est aux anges depuis qu'un mensuel a accepté de publier une de ses nouvelles. Elle ne m'en a pas vraiment parlé avant d'avoir reçu sa réponse, et depuis, elle a exigé que tout le monde lise son texte. Il est très bon, mais après tout je suis sa mère, donc je n'ai pas un avis très objectif. Elle est plus que jamais décidée à devenir "femme de lettres" (ce sont ses mots) et s'imagine déjà en train de fumer dans de grands salons parisiens en écoutant de la musique américaine (ce sont encore ses mots). Notre Sélène est plus discrète, mais comme promis nous lui avons trouvé un professeur de tennis. Un monsieur portugais, Silvio Bragança, bien sous tous rapports, qui vient de s'installer à Séraincourt. Il vient en train trois fois pas semaines pour lui enseigner, sous le regarde vigilant de Madame Eugénie bien entendu. Il a gagné plusieurs grands tournois quand il était plus jeune et il se consacre désormais à enseigner son art.
Transcription :
Arsinoé « Alors, par quoi dois-je commencer ? »
Adelphe « Je ne sais pas vraiment, je me disais que tu pourrais observer mon travail et celui des ouvriers pour commencer. Je ne suis pas professeur après tout. »
Arsinoé « D’accord. Il faudra aller visiter les vignes ? »
Adelphe « Bien sûr. Je te montrerai nos variétés, il faudra apprendre à les reconnaître et à apprendre à les tailler, tu commenceras comme vigneronne en somme. Quoi que… je ne sais pas si ce sera encore pertinent longtemps. »
Arsinoé « Et pourquoi ? »
Adelphe « Nous avons de plus en plus de machines et les ouvriers font déjà la majeure partie du travail. Je ne sais pas si toi, d’ici quelques années, tu descendras encore aux vignes pendant la vendange. Étant donné notre modèle de production, tu auras bien d’autres choses à faire. »
Arsinoé « Mais vous ne disiez pas qu’il est important qu’un chef soit compétent pour avoir légitimité à organiser ses troupes ? »
Adelphe « J’ai dit cela moi ? Peut-être bien… Je le pense, mais l’objectif est de rester dans la course et garder une longueur d’avance sur la concurrence. C’est en autre pour cela que nous ne faisons plus de foulage traditionnel. »
Arsinoé « Vous voulez dire qu’il faut sans doute que je connaisse mieux les machines que l’agriculture en elle-même. »
Adelphe « Exact. Je passe moi-même bien plus de temps à faire de la mécanique et de la paperasse qu’autrefois. Peut-être serait-il opportun que je t’enseigne en premier lieu la comptabilité en définitive... »
Arsinoé « Je peux tout apprendre, tout ce que vous jugerez nécessaire. Et je pense que vous pourrez m’enseigner la pratique aux vendanges. »
Adelphe « Savais-tu qu’autrefois, toutes les femmes de la famille faisaient les vendanges ? »
Arsinoé « Vraiment ? Même Grand-Mère ? »
Adelphe « Ah non. Elle s’était la seule exception. Ainsi que ma tante Lucrèce, car elle avait une santé fragile. Mais mes autres tantes s’y sont mises, ainsi que ma mère, et tes propres tantes, même si c’était occasionnel. »
Arsinoé « Alors pourquoi arrêter ? Vous en parlez comme d’une sorte de tradition. »
Adelphe « Ton grand-père n’aimait pas vraiment cela. Il avait sa fierté, il préférais payer des saisonniers. Mais il ne pouvait rien refuser à ta grand-mère. Quand elle est tombée malade, il est devenu beaucoup plus sévère et s’en était fini. »
Arsinoé « J’aurai bien aimé la connaître. Comment était-elle ? »
Adelphe « C’était une femme incroyablement douce et gentille. Elle m’a élevé comme son propre fils. Je pense qu’elle aurait adoré te connaître, toi ainsi que tous ses petit-enfants. »
Arsinoé « J’imagine. Et si nous allions tous aux vendanges cet automne ? Cléo risque de rouspéter, mais si tout le monde y va, elle suivra. »
Adelphe « C’est une bonne idée. Nous pourrions faire venir tes cousines aussi, elles seraient ravies. »
Arsinoé « Alexandre viendrait ? Je sais que c’est compliqué entre vous. »
Adelphe « Comment tu… peu importe. Je n’en sais rien. Il accepte de me parler mais si la proposition vient de moi je ne sais absolument pas comment il réagira. »
Arsinoé « De toute façon, c’est moi qui m’occuperai d’organiser tout cela. C’est mon rôle après tout. Oh, et Oncle Adelphe ! J’ai oublié de vous dire que je me suis beaucoup entraîné à taper à la machine. Selon Maman, je suis une très bonne dactylographe. »
Adelphe « Merveilleux. Pour tout t’avouer, je n’ai jamais été doué avec cette machine infernale. Mais tu es sur de vouloir tout organiser ? Absolument tout ? »
Arsinoé « Bien entendu. De toute façon vous allez me montrer comment faire. »
Adelphe « Encore une fois, quel enthousiasme ! Tu es bien consciente que tu n’as rien à me prouver, n’est-ce pas ? »
Arsinoé « J’ai tout à vous prouver mon Oncle ! »
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selidren · 4 months
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Printemps 1919 - Champs-les-Sims
4/4
Par ailleurs, je tenais à vous entretenir d'une affaire qui me touche énormément ces derniers temps, et j'espère que je trouverai en vous une oreille attentive. Vous seriez presque la seule dans mon entourage.
Je ne sais si Jules vous en avait parlé, mais quand ma chère Marie est morte, elle venait de mettre au monde la petite Jeanne, et laissait également derrière elle (en plus de son fils), deux autres filles : Emma et Anne. Adelphe était alors encore hospitalisé à Compiègne et il était si bouleversé qu'à son retour, il est revenu habiter à la Butte-aux-Chênes. Ses filles résident chez leur tante Jacqueline, la soeur de Marie. Quand à Alexandre, il s'est aménagé un appartement dans le petit théâtre où il vit presque comme un reclus. Cet arrangement m'est apparu naturel pendant un temps, sans compter que dès qu'Adelphe et son fils sont dans la même pièce, le ton monte très rapidement. Récemment, les nouvelles rancunes d'Alexandre envers son père sont que ce dernier ne visite pas assez leurs soeurs. Lui-même est à cet égard un frère modèle, et ses soeurs sont la prunelle de ses yeux. Je n'y ai d'abord pas cru, car Adelphe est parti régulièrement de la maison pour les voir, et ce n'est pas son genre de mentir. Mais Jacqueline a pu certifier à Madame Eugénie que cela fait à ce jour des mois qu'Adelphe n'est plus assidu, qu'il manque de nombreuses visites chez ses filles.
Selon Madame Eugénie, Adelphe ne supporte pas de poser les yeux sur la petite Jeanne. Non pas qu'il lui reproche la mort de sa mère, mais plutôt que la petite ressemble tellement à Marie qu'il en a pleuré à plusieurs reprises. Notre matriarche accueille cette situation avec un fatalisme qui est apparemment une sorte d'habitude chez elle. Elle trouve tout cela regrettable, mais gare à qui oserais critiquer Adelphe !
Je pense très sincèrement qu'elle n'en a pas forcément conscience, mais qu'Adelphe est son préféré parmi ses petits-enfants, et au vu de son histoire, c'est compréhensible. Je comprends également que tout cela ait été très dur pour mon beau-frère, et que les expériences qu'il a vécues suffisent à changer un homme, mais je ne reconnais pas le père affectueux qu'il était, celui qui s'asseyait avec son fils pour l'aider à faire ses calculs, qui lui ébouriffait les cheveux avec affection, et qui regardait chacun de ses enfants comme si ils étaient les merveilles qui illuminent son existence. Je suis d'autant plus affligée que personne ne lui dit quoi que ce soit, et qu'en plus, il ne s'agirait pas de le remettre sur le droit chemin. A ce titre, même si je n'ai pas son caractère impulsif et colérique, je rejoins le point de vue d'Alexandre. Peu importe à quel point c'est difficile, les filles ont besoin de leur père. La petite Jeanne a à peine deux ans, et elle ne le voit presque jamais ! J'ai donc adopté une certaines distance et un ton assez froid quand je m'adresse à mon beau-frère, afin de lui faire connaître ma désapprobation. Constantin ne l'a bien entendu pas compris (il ne voit même pas en quoi la situation est problématique), mais j'ai enfin réussi à lui faire comprendre qu'il s'agit là de mes rapports avec Adelphe et que cela ne le concerne pas. Quand à Adelphe, il s'est montré blessé par mon comportement, ce qui était le but de la manoeuvre, mais il lui reste assez de dignité pour me le reprocher. Son visage se pare toujours d'un air profondément honteux quand je m'adresse à lui, et j'espère qu'ainsi, j'arriverai à le faire revenir à la raison.
J'ai conscience que cette situation vous parait bien complexe. Figurez vous par exemple que j'ai songé à plusieurs reprises à écrire une lettre à Alexandre pour lui faire savoir que j'étais d'accord avec lui, mais j'ai finalement renoncé, de crainte que Madame Eugénie n'en entende parler. Je ne tiens pas à ce qu'elle me mène la vie dure au nom de ce qu'elle considère comme un tabou. C'est sans doute à ce moment que j'ai définitivement fait le deuil de l'idée que je serai un jour maîtresse en ma propre maison.
Avec l'assurance de toute mon affection,
Albertine Le Bris
Eugénie « Oh comme elle a grandit ! C’est incroyable ! Bonjour Jeanne, reconnais-tu ton arrière-grand-mère ? »
Jacqueline « Cela fait plaisir de vous voir Madame Le Bris. »
Eugénie « De même Jacqueline, vous ne savez pas à quel point je vous suis reconnaissante de vous occuper des petites. Je ne suis plus de première jeunesse et Albertine est dans la période caporal de la maternité. »
Jacqueline « La période cap… ? »
Eugénie « Oui, vous savez. Ce moment où une mère doit régler les conflits entre un groupe d’adolescents geignards et les mettre au pas comme un sergent chef. Comme tu es mignonne Jeanne ! Tu m’appelleras Grand-Mère, ce sera plus simple. »
Eugénie « Quelle adorable petite. Elle ressemble tant à sa Maman... »
Jacqueline « C’est vrai… C’est parfois difficile de la regarder sans voir Marie dans ses yeux. »
Eugénie « Vous savez Jacqueline, si notre petite Jeanne ressemble tant à votre sœur, c’est de famille ! J’ai pleuré tant de fois en voyant le visage de sa mère dans celui d’Adelphe, tant celui-ci ressemble à ma Lazarine. »
Jacqueline « Adelphe oui… Dites-moi Madame Le Bris, quand Adelphe a t-il prévu de venir voir ses filles ? Je sais que ses relations avec Alexandre sont… quelques peu tendues, mais Anne et Emma n’ont pas vu leur Papa depuis longtemps, et elles le réclament. »
Jeanne « Papa ? »
Eugénie « Je ne comprends pas. N’est-il pas venu vous voir la semaine dernière ? »
Jacqueline « Pour être honnête avec vous Madame Le Bris, cela fait presque un mois que je ne l’ai pas vu. »
Eugénie « Un mois ? Mais c’est bien trop longtemps ! Il a du être pris par les affaires du domaine, je ne vois que cela. Adelphe a toujours été un père exemplaire, et je suis bien placée pour le savoir, c’est moi qui l’ai élevé ! »
Jacqueline « Ecoutez. Avant le décès de Marie, j’étais de votre avis. Mais cet événement l’a profondément changé. Lui plus que tous les autres voit Marie en Jeanne, et à chaque visite, c’est comme si il tentait de toutes ses forces de ne pas la regarder. Il n’a pas levé les yeux sur sa fille de deux ans depuis une éternité Madame ! Il vous a toujours écoutée, je vous en prie... »
Eugénie « Je pense que vous me prêtez un pouvoir que je n’ai sans doute pas. Je… je ne savais pas la situation si grave. Mais cette petite n’a déjà pas connu sa mère, elle a besoin de son Papa. Je ferai ce que je peux. »
Jeanne « Papa ? »
Eugénie « Oui, ma petite chérie. Ta Grand-Mère va te ramener ton Papa... »
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selidren · 6 months
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Automne 1917 - Champs-les-Sims
3/4
Adelphe ne vous en parlera sans doute pas, mais depuis son retour, il ne parvient plus à nous cacher ce qu'il est advenu de son fils. Je connais Alexandre depuis son enfance, et en quelques années la guerre l'a changé comme jamais personne ne l'avais imaginé. Quelque part, je suis heureuse que sa pauvre mère, ma chère Marie, ne l'ai jamais vu ainsi. Cela lui aurait brisé le coeur.
C'est un jeune homme qui a aujourd'hui à peine vingt ans mais l'aigreur d'un vieil homme. Il est toujours fébrile, et nous regarde avec une telle méfiance que je m'en suis sentie presque blessée. Ses gestes, mêmes les plus anodins, sont pleins de brusquerie, parfois de violence, et les bruits forts déclenchent chez lui de temps à autres des tremblements de la main. Il ne fait preuve de douceur qu'avec ses jeunes soeurs, en particulier la petite Jeanne. Les ragots glanés par Madame Legens sur ordre de Madame Eugénie sont très inquiétants : le bruit court qu'il aurait levé la main sur sa "fiancée", la petite Sylvette, lors de sa dernière permission (j'utilise les guillemets car si il parlait d'elle autrefois comme tel, cela ne semble plus si évident aujourd'hui) et Madame Legens a confirmé que la pauvre fille ne sort plus qu'avec son fichu bien serré contre son visage. Je sais qu'Adelphe a échangé des mots très durs avec son fils, mais Alexandre a rétorqué avec beaucoup de violence et ce n'est qu'avec l'intervention de Madame Eugénie que les esprits se sont apaisés. Il semblerait qu'il reproche à son père sa mort de Marie, comme si il y pouvait quelque chose. Voilà ce que la guerre a fait d'un jeune homme qui avait toute sa jeunesse devant lui avant qu'on ne lui mettre un fusil dans les mains !
Ici, l'hiver est un peu en avance. Quand j'écris ces mots, la neige s'attache à la pelouse comme pour mettre d'autant plus mon moral en berne.
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selidren · 6 months
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Automne 1917 - Champs-les-Sims
1/4
Très cher cousin,
C'est un bref courrier que je vous adresse, adjoint à celui de ma belle-soeur Albertine. Néanmoins, cela me semblait important de vous écrire.
J'ai quitté l'hôpital il y a de cela quelques mois, et j'ai bien entendu été réformé. Je n'ai conservé aucune séquelle réelle, mis à part une cicatrice bien laide qui marque ma joue et déforme ma paupière droite. Par miracle, je n'ai pas perdu mon oeil. Il me semblait pourtant, quand j'ai perdu connaissance ce jour là sous les balles boches que s'en était fini de moi. Constantin est toujours là-bas. Aux dernières nouvelles, ils l'ont affecté à la boulangerie, près d'Arcis-le-Ponsart (non loin de Reims). Cela me semble absurde, mais au moins le voici le plus loin possible des combats. Ma blessure l'a dévasté, et ses lettres me prouvent que depuis mon départ, il est plus désemparé que jamais. Je prie pour qu'il s'en sorte sans moi et qu'il me revienne en un seul morceau. Il en va de même pour mon fils, mais je n'en dirai pas plus car je risque à nouveau de sombrer dans un accès de panique.
Vous savez bien sur également ce qui est arrivé à ma chère Marie. Je m'en voudrait toujours de ne pas avoir été là en cette funeste nuit à ses côtés. Je ne me fais pas d'illusions, je ne suis pas médecin et je pense que cela m'aurait encore davantage dévasté. Mais au moins ne serait-elle pas partie seule. Encore aujourd'hui, bien que je sache pertinemment qu'elle n'y est pour rien, j'ai du mal à fixer le regard de ma petite Jeanne. Ma belle-soeur Jacqueline a gardé les filles chez elle, je ne suis pas encore capable d'en assumer la charge et je réside ainsi à la Butte-aux-Chênes, le temps que cela sera nécessaire.
Je sais que vous espérez de moi mon récit du front, afin que nous puissions échanger nos impressions et peut-être apaiser le souvenir qu'il nous en reste et qui nous torture parfois dans notre sommeil, quand il ne nous saute pas à la gorge sans prévenir jusque dans nos activités diurnes les plus banales. Je ne m'en sens pas encore capable. Je sens mon esprit encore trop fragile pour une telle épreuve, alors même que je n'ai jamais senti une telle faiblesse. Un jour, quand ces blessures auront commencé à cicatriser, je serai très heureux de m'en ouvrir à vous. En attendant, le récit de vos déboires domestiques me ravit à un point que je n'aurai jamais cru avant le début de la guerre. Vous savoir vivant et en bonne santé me procure toujours un certain soulagement pendant mes accès de panique.
Votre ami,
Adelphe
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selidren · 7 months
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Printemps 1917 - Champs-les-Sims
2/7
Je ne peux m'empêcher de penser à Marie nuit après nuit en me retournant dans mon lit. Elle n'était en définitive pas tant plus âgée que moi (une dizaine d'années il me semble), et la savoir partie si brutalement nous a tous fait un horrible choc. Le seul réconfort que nous puissions avoir est que la petite Jeanne lui a survécut et se porte comme un charme. Elle et ses soeurs ont été recueillies par Jacqueline, la soeur de Marie, qui est elle aussi seule avec une fille depuis que son mari et son fils sont partis au front.
Pour tromper l'ambiance morose nous avons fait l'acquisition d'un gramophone. Les filles en particulier l'adorent, mais avec ce qui vient de se passer, cela a ravivé l'inquiétude des enfants pour leur père. Même Jean-François, qui va avoir six ans cette année (Seigneur que le temps fuit !), sent sans vraiment comprendre le danger et se réveille la nuit après avoir fait des cauchemars.
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selidren · 3 months
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Automne 1921 - Champs-les-Sims
4/10
Il faut dire qu'en ce moment, le regard de Madame Eugénie est davantage braqué sur Adelphe et ses enfants. Figurez vous que mon beau-frère lui a tenu tête il y a quelques temps, il qu'il n'en démord pas. Il s'est finalement complètement réconcilié avec ses enfants et tente de rattraper toutes ces occasions manquées de se comporter comme il aurai du le faire. Il a du être surpris de découvrir que, en son absence, les pressions qui touchent sa progéniture ont changé de source. Le voilà à présent qui bataille contre sa grand-mère pour assurer le bien-être de ses enfants. Je l'admire, mais je suis en même temps morte de jalousie et de honte, car jamais je ne pourrai lui tenir tête comme il le fait.
Transcription :
Eugénie « Tu te souviens de la dernière discussion que nous avons eue ici ? »
Adelphe « Très bien. Cela fait presque trente ans Grand-Mère. »
Eugénie « Trente ans ? Seigneur, que le temps file ! Tu n’étais qu’un adolescent et aujourd’hui, te voici patriarche d’une grande famille. Bientôt grand-père si la chance te sourit. »
Adelphe « Patriarche, quel grand mot. Non, je suis simplement un père de famille, ce qui était déjà sans doute beaucoup à imaginer pour le jeune homme que j’étais. »
Eugénie « Tu n’as pas tant changé que cela ceci dit. »
Adelphe « Vous m’avez bien regardé récemment ? La cicatrice ne cache qu’une partie de mes rides. »
Eugénie « Je parlais de ton caractère mon garçon. Cela fait plaisir de voir ton dévouement et ton sens du devoir intact. »
Adelphe « J’ai consacré ma vie à ma famille. A mon âge, il est trop tard pour changer d’objectif en cours de route, d’autant plus que la routine apporte un certain confort. De quoi pourrai-je rêver encore ? J’ai quatre magnifiques enfants, la plus extraordinaire femme du monde a accepté de partager sa vie avec la mienne, et j’ai même survécut à cette saleté de guerre sans trop de dommages. D’autres n’ont pas eu autant de chance que moi, surtout au regard des cartes qui ont été tirées à ma naissance. »
Eugénie « Tu sembles apaisé, cela me fait extrêmement plaisir. »
Adelphe « J’ai fait mon deuil. Alexandre est un homme fait, mais il a encore besoin de moi, plus qu’il ne saurait l’admettre. Quand aux filles, elles sont encore jeunes, en particulier notre petite Jeanne. Je ne remercierai jamais assez leur tante de s’être occupée d’elles alors que le dernier parent qui leur restait les négligeait. »
Eugénie « Tu as eu une mauvaise passade. Le plus important, c’est que tu sois revenu à la raison. Même Alexandre finira par te pardonner. »
Adelphe « Nous verrons. Et cessez donc de ne lui parler que de mariage quand vous le voyez, je ne pense pas que cela l’incitera à faire sa demande. L’obstination est un trait de caractère qu’on retrouve beaucoup dans notre famille. »
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selidren · 11 months
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8/10
Il est heureux que vos enfants soient eux mêmes trop jeunes pour se lancer de leur plein grès dans une telle folie. Quelque part, votre arrivée imminente m'emplit d'espoir, car avec de bons renforts, peut-être pourront nous renvoyer l'ennemi de l'autre côté des frontières et cette guerre prendra fin. Ainsi, mon fils sera de nouveau en sécurité et, si Dieu le veut, n'aura pas été trop abimé par ce qu'il a vécu.
J'ai des nouvelles bien sur, mais sporadiques et atrocement vagues. Il me cache beaucoup de ses pensées et de ses peurs (je le connais trop bien pour ne pas m'en rendre compte), et parfois ses lettres me parviennent toutes raturées de noir, ce qui augmente ma frustration. Il est certain qu'il ne veut pas m'inquiéter (lui aussi me connait trop bien ignorer ma peur) ni inquiéter sa mère et ses soeurs. Il aura bientôt une permission, ainsi je pourrai respirer sans l'étau qui me serre la gorge. Il reverra sa mère qui saura s'occuper de lui, et ira rendre visite à sa chère Yvonne (son amoureuse, comme vous l'aurez deviné). Je ne lui souhaite rien d'autre. Parfois, mon esprit torturé en vient presque à lui souhaiter une blessure quelconque, afin qu'ils le renvoient à la maison. Vous devez me juger monstrueux d'avoir de telles pensées mais ce sont les miennes depuis trop longtemps pour qu'elles en viennent à me choquer.
Transcription :
Constantin : Adelphe, tu m'as toujours dit que les rêves étaient les rêves, ils ne sont pas la réalité. Alexandre va bien, j'en suis sur !
Adelphe : Je n'en peux plus, tu comprends ? A bruit sourd ou fracas, je vois dans ma tête son corps sans vue. Je m'imagine le ramenant à la maison dans une housse mortuaire, le mettre dans un cercueil pour l'enterrement. Et je n'y peux rien... Je suis mort de peur. Que ferai-je si cela devait arriver ? Je ne pourrai pas... je ne pourrai pas continuer je crois...
Constantin : Adelphe, je... pardonne moi.
Adelphe : Ce n'est pas ta faute, bien au contraire. Tu as eu raison de me pousser à dire ce que j'avais sur le coeur, cela m'a fait du bien je crois.
Constantin : Tu n'as plus peur ?
Adelphe : Si, mais tu m'as rappelé que j'ai la chance d'avoir mon Tintin avec moi pour me soutenir, et ça, ce n'est pas rien.
Constantin : ...
Adelphe : Qu'y a-t-il ?
Constantin : Tu penses vraiment ce que tu disais ? Tu vas... Tu pourrai te tuer ?
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