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#Xavière Yancet
aisakalegacy · 2 years
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Printemps 1889, Hylewood, Canada (6/6)      
J’attends, ô cousine des contrées du mûr raisin, que tes nouvelles me trouvent outre-mer. Que Déméter et Bacchus bénissent vos productions et que Hermès conduise devant vous des affaires favorables : je ne manquerai pas de faire un sacrifice pour vous. Une lettre de mon père est jointe au sujet des affaires qui vous occupent.
Virgile
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Ma chère Lucrèce,
Je reprends la plume avec difficultés pour répondre au dernier courrier que vous avez eu l’amabilité de joindre à ma destination. Je suis bien au courant des déboires de mon fils… Ayez l’assurance que je reprendrais cette correspondance moi-même si je le pouvais, plutôt que de le laisser désohonorer mon nom et le sien à chaque ligne qu’il écrit. Son comportement m’épouvante au moins autant que vous. J’en viens à regretter qu’il fût si éduqué : eût-il été fermier, il aurait été plus humble… 
Ce n’est pas par gaité de cœur que je lui délègue ces lettres, dont la réception et la lecture me procure toujours une grande joie. Je vous entretenais il y a quelques années du fait que ma vue avait baissé. Ce qui n’était qu’une simple incommodité s’est transformé en véritable incapacité. C’est bien simple : je ne suis plus même capable de lire, et vous savez pourtant bien quel amour je porte à la littérature. Le médecin m’a diagnostiqué une presbytie et m’a dit que cela ne fera que s’empirer : ma vue proche continuera à baisser de plus en plus et je ne peux rien y faire, ce qui crée en moi un vaste sentiment d’impuissance. Je vous demande donc de pardonner les coquilles éventuelles que je laisserai dans ce courrier : je l’écris sans brouillon et me relire serait trop épuisant… Voilà à quoi vous échappez, ma chère Lucrèce. J’ai ainsi eu la plus grande peine à déchiffrer votre lettre, mais j’ai tenu à la lire seul, car je soupçonnais ses tenants. J’ai dû pour ce faire lutter contre les protestations de ma femme qui tenait à m’aider, ce qui est bien ironique étant donné qu’elle-même a du mal à déléguer certaines tâches et s’évertue à faire la vaisselle alors que nous employons une bonne : le rempart contre la vieillesse est de se tenir active, dit-elle. Que voulez-vous, nous sommes des fortes têtes…
J’ai bien pris note de votre courrier et je vais prendre mes dispositions. Profitant de l’attrait qu’Hylewood a ces dernières années, mon beau-frère a ouvert il y a quelques années un sanatorium dans la partie la plus reculée de l’île, sur le chemin menant au bois. Il accueille toutes sortes de résidents frappés d’afflictions diverses, dont le séjour se prolonge souvent à quelques années. Si vous êtes semblable de quelques façons à ceux de votre genre que j’ai rencontré, votre teint vous fera passer inaperçue. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’en toucher mot à mon beau-frère, mais je doute qu’il se priverait de la compagnie de ses semblables.
J’en profite pour vous toucher quelques mots concernants d’autres affaires familiales qui m’occupent, dont j’ai tenu Virgile éloigné. J’ai tout d’abord la tristesse de vous annoncer le décès de ma sœur Louise. Les circonstances de sa mort sont tout à fait tragiques, puisqu’elle est tombée de barque et s’est noyée dans le Saint-Laurent, entrainée dans l’abysse par sa robe trop lourde. Comme notre père, elle avait cinquante-six ans. Elle venait de se remarier après quatre ans de veuvage et elle laisse derrière elle deux fils célibataires.
Adieu, Lucrèce. Je ne crois pas que je vous réécrirai. Ne soyez pas affligée : nous nous rencontrerons bientôt. Vous trouverez dans cette enveloppe deux roses séchées de mon jardin, à offrir à votre chère Clémence en cadeau de naissance pour sa dernière née. Veuillez agréer l’hommage de mon respectueux dévouement et de ma sincère affection,
Votre cousin, Auguste
[Transcription]
Xavière Yancet : Madame est aimable de m’aider, mais elle a l’air fatiguée et elle devrait aller se reposer !
Jacqueline Le Bris : C’est un non sens, vous êtes de toute évidence occupée. Nous serons bien plus rapide à deux. Et puis…
Xavière Yancet : Madame ?
Jacqueline Le Bris : Ce n’est rien, un vertige. Vous avez raison, je ferais mieux d’aller faire une sieste.
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aisakalegacy · 2 years
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[CW : Réflexions racistes “bienveillantes” et pro-colonisation, utilisation d’un vocabulaire inadapté aujourd’hui concernant les populations natives américaines]
Hiver 1886, Hylewood, Canada (1/6)
Chère Lucrèce,
Je suis très heureux de voir que vos affaires sont bonnes. Je serai très curieux de goûter l’un de vos vins un de ces jours, mais j’ignore si la bouteille survivrait le voyage… 
Je m’étonne toujours de la frilosité française à l’égard des populations d’Europe méridionale. À nos yeux, vous êtes tous Européens, et ce rejet nous paraît curieux. Voilà peut-être ce qui convaincrait Maximilien : la couronne d’Espagne porte son lot de splendeurs et sans elle, le Nouveau Monde serait encore une contrée sauvage et inhospitalière ; on doit par ailleurs à l’Italie une grande partie de la culture chrétienne et la civilisation européenne. Ses aïeux viennent peut-être du Midi, dont la langue et la culture ont abreuvé une large partie des belles lettres médiévales. Voilà l’héritage de votre Mademoiselle Horideau : que Maximilien lui montre plus de sollicitude, surtout si elle est travailleuse. On ne peut guère en dire autant de la nôtre : je prends souvent Mademoiselle Yancet à bailler aux corneilles, mais comme lui je n’y peux rien, c’est ma femme qui a autorité sur le personnel de maison et je ne souhaite pas déclencher une guerre en m’y opposant…
Depuis aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours souffert d’insomnies que je comblais en lisant jusque tard dans la nuit. Ma vue a baissé avec l’âge et j’ai désormais du mal à lire à la lueur de la lampe ou de la chandelle. Pour palier à la perte de cette occupation, me suis découvert une nouvelle passion : la promenade nocturne. Quand j’ai acquis mon élevage, j’ai consacré tout mon temps au débourrage, à l’entretien et à la vente ; si bien que j’ai fini par perdre mon affection pour ces nobles animaux que je considérais de plus en plus sous l’angle exclusif de la charge. J’avais oublié ce qui m’avait séduit chez eux : la liberté qu’ils prodiguent. Maintenant que j’ai davantage de temps libre et que les affaires tournent seules, j’ai retrouvé cet attrait et je me suis offert une jument Appaloosa de dix ans que j’ai faite importer des Etats-Unis, et que j’ai nommée Comore. Il s’agit d’une rescapée d’un troupeau indien, peut-être l’une des dernières de sa race, puisque l’armée américaine travaille à la faire disparaître depuis une décennie. C’est un animal docile, volontaire et très réactif, dont j’apprécie particulièrement la robe tachetée. J’ai pour idée de me procurer un mâle, afin de continuer d’élever cette race pour mon propre usage. 
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aisakalegacy · 2 years
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⚠️ CW : sexisme ⚠️
Automne 1884, Hylewood, Canada (3/6)
Je vous ai écrit plus tôt qu’en partant à Kingston, j’avais laissé Françoise en charge de la maison, avec Mlle Yancet sous ses ordres. Je me disais qu’étant donné son mariage à venir, cela lui ferait un bon entrainement… Je crains que ce pouvoir lui soit monté à la tête, et qu’elle ait contribué à chasser ce pauvre Virgile de la maison.
[Transcription]
Françoise Le Bris : Qu’est-ce que c’est que cet accoutrement ? Est-ce que ce sont… des feuilles ?! Quelle horreur ! Papa et Maman sont à peine partis, et tu es déjà en train de t’ensauvager ?
Virgile Le Bris : Ton esprit femelle est trop étriqué pour comprendre ma motivation.
Françoise Le Bris : La Loi sur les biens de la femme mariée vient d’être votée. J’ai désormais les mêmes droits légaux que toi concernant les biens matériels ou fonciers. Jeanne est partie, Jules est fou, et toi… N’en parlons même pas. C’est sûrement moi que Papa va choisir comme héritière… 
Françoise Le Bris : En attendant, c’est moi que Papa a chargé de s’occuper de vous, et je t’ordonne d’aller t’habiller. Et si ça ne te plaît pas, tu peux dormir dehors comme le sauvage que tu es.
Virgile Le Bris : Je vais me gêner !
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aisakalegacy · 2 years
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Automne 1883, Hylewood, Canada (2/5)
Señora Garcia ne cuisinait que pour les plus petits. C’était Jacqueline qui faisait la cuisine, assistée par Jeanne quand elle était encore là… Croyez-le ou non, nous n’avons jamais eu de cuisinière, ma femme préférant maintenir au minimum syndical l’étendue de notre domesticité. Elle a visiblement changé d’avis sur le sujet, puisqu’elle a embauché une bonne, une jeune femme de dix-neuf ans qui nous vient de Frankville, un village du comté à une journée de Gananoque. Mademoiselle Yancet parle aussi bien français qu’anglais, et croyez-le, c’est une qualité de plus en plus rare de nos jours. Les communautés francophones se font de plus en plus rares en Ontario, tous les francophones de la région ont tendance de nous jours à migrer vers de grandes villes comme Montréal, car ces dernières présentent bien plus d’opportunités… Irréductible, Hylewood résiste encore, mais pour combien de temps ?
En comptant la mienne, cinq familles vivent à Hylewood : les Bernard, les Le Bris, les Leloup, les Rumédier et les Simmon. Cette dernière est anglophone, et sa nombreuse progéniture masculine me fait craindre le fait que cette tendance s’étende à notre île ces prochaines années. Les Simmon sont une famille riche, installée à Hylewood depuis les années soixante et fondée par John Simmon, un des précurseurs de l’investissement dans l’immobilier pour la construction de villas estivales dans les Mille Îles - un secteur particulièrement florissant ces dernières années. Vous allez penser que je suis mauvaise langue, mais voilà ma théorie. L’aîné, qui a hérité il y a quatre ans, fréquente déjà une fille de l’île. Françoise a donc jeté son dévolu sur le cadet, Charlie, qui rentre tout juste de l’internat…
[Transcription]
Charlie Simmon : I beg your pardon, je vous ai vue au sermon et je n’ai pas pu m’empêcher d’observer que nous empruntions le même chemin. Vous vivez dans la maison près du pier ?
Françoise Le Bris : C’est le cas, pourquoi ?
Charlie Simmon : Oh, vous êtes la fille de Monsieur Le Bris I reckon ? My apologies, vous ne m’avez sans doute pas reconnu. Charlie Simmon. Nous allions à l’école primaire ensemble. Vous avez rejoint notre cours lors de ma dernière année, avant que je parte à l’internat.
Françoise Le Bris : Charlie ! Cela fait des années. Vous êtes de retour sur l’île depuis peu ?
Charlie Simmon : Quelques semaines à peine. À vrai dire, vous tombez bien. Mon frère vous a acheté un cheval l’an dernier. Votre père vend des montures excellentes, rien à voir avec ces rosses que l’on trouve sur le continent. Anyway, j’ai été séduit et je souhaite me procurer un de vos chevaux. Naturellement, j’ai les moyens d’y mettre le prix. 
Françoise Le Bris : … Oh, vraiment ? Faisons la route ensemble, je vous présenterai à mon père.
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aisakalegacy · 2 years
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Printemps 1890, Hylewood, Canada (2/3)
Par son hymen, notre servante a gagné le lit d’un époux, abandonnant ma mère à son triste sort et la contraignant aux démarches nécessaires pour engager une remplaçante, telles les suivantes d’Artémis qui l’abandonnaient pour se donner aux hommes, alors même que la maladie la terrassait secrètement ! Celle qui lui succède est une femme mauvaise, une Bretonne virile qui se moque de moi et m’offense avec des mots grossiers. J'ai honte de décrire sa calomnie et ses injures au sujet de ma façon de vivre ! Hélas ! Je n’ai jamais revu la douce nymphe d’hiver qui avait partagé mon feu : elle, au moins, était charmante et courtoise !
[Transcription]
Tuala Cavalier : Si Monsieur souhaite vraiment assurer le succès de son potager, je conseillerais à Monsieur de ne pas uriner dessus…
Virgile Le Bris : Va-t-en, vipère, hétaïre, femme de petite vertu ! Tu ne sais pas sur qui tu es tombée !
Tuala Cavalier : Je crois que c’est Monsieur qu’on a dû faire tomber…
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aisakalegacy · 2 years
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Hiver 1886, Hylewood, Canada (6/6)
Je suis désespéré concernant mon fils. Il fait le brave à vouloir vivre dehors et à manger des saletés, mais il est comme un renard : attiré à l’intérieur de la maison quand il flaire l’odeur de la nourriture. L’autre jour,  Mlle Yancet avait cuisiné une tarte tatin aux choux-raves et aux navets, qu’elle avait laissé refroidir sur le comptoir. Voilà que je prends Virgile la main dans le sac, à l’intérieur de la cuisine, en train de flairer autour de la tarte… J’en ai profité pour le sermonner, lui pointer les contradictions de son mode de vie absurde, ainsi que les dangers de rester dans cet attirail en plein hiver. Bien entendu, il n’a rien écouté… 
Virgile est mon fils aîné, et pour ne rien vous cacher, le fait qu’il soit celui qui est destiné à reprendre la propriété m’inquiète au plus haut point. Il sait à peine s’occuper de lui-même, alors, s’occuper du patrimoine familial ? Il aura dix-neuf ans l’hiver prochain, et je pense qu’il est temps que je le confronte à ses responsabilités. Par ailleurs, ma vue baissant, écrire devient plus ardu pour moi et j’ai des difficultés à me relire. Je songe à lui demander de reprendre l’écriture de cette correspondance lui-même. Avec un peu de chances, cela le fera sortir de cette phase.
Veuillez agréer avec mille remerciements et mille excuses pour une faute involontaire, mes hommages.
Votre cousin, Auguste Le Bris.
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