The King of Marvin Gardens & Atlantic City
Atlantic City, new Jersey. Lâautre grande ville du jeu, bien moins iconique que celle du Nevada pour les europĂ©ens. Une ville amĂ©ricaine pour les amĂ©ricains, un rĂ©servoir dâimages nationales. Une Las Vegas plus ancienne, moins fausse, bien que frauduleuse elle aussi, et plus mystique peut-ĂȘtre, couleur mĂ©lancolique que lui donne certainement lâAtlantique contre laquelle elle se tient. Une ville en oscillation Ă©galement, marqueur des grandeurs et dĂ©cadences amĂ©ricaines : aprĂšs tout, nâest-ce pas lĂ le sujet dâun pan entier du cinĂ©ma Hollywoodien ? Au dĂ©but des annĂ©es 1970, Atlantic City est morte, elle est une ruine qui nâabrite plus que lâombre dâune gloire passĂ©e, et dont on sâapprĂȘte Ă anĂ©antir les derniers vestiges, comme pour conjurer, et mieux reconstruire. Cette collection de ruines vides, câest The King of Marvin Gardens qui vient le documenter en 1972, quelques mois avant que les destructions en chaine ne commencent. En 1980, Atlantic City de Louis Malle vient faire le bilan de cette dĂ©cennie, dans une ville en ruine qui sert encore de refuge Ă ses derniers fantĂŽmes. Deux films aux extrĂ©mitĂ©s de la dĂ©cennie 70, un rĂ©alisateur amĂ©ricain dâun cĂŽtĂ©, français de lâautre, des acteurs et histoires diffĂ©rentes, et pourtant, une ville qui dĂ©vore les deux films, cannibalise le fond et la forme : Atlantic City sâoffre un merveilleux dyptique, une oeuvre bicĂ©phale, aux relans ocĂ©aniques et mystiques dâune ville fantĂŽme.Â
En premier lieu, les faits. Atlantic City est une citĂ© du plaisir, une station balnĂ©aire redoublĂ©e dâun Ă©den du jeu. Le front de mer, sa large et longue promenade en bois, ses grands hĂŽtels et casinos sont les images de sa grandeur. La ville est irrĂ©mĂ©diablement associĂ©e aux roaring twenties, aux annĂ©es de prohibition et de mainmise mafieuse qui font dâAtlantic City une citĂ© du vice. Câest cette pĂ©riode quâillustre la sĂ©rie Boardwalk Empire de Martin Scorsese : richesse, grandeur florissante, foisonnement. Puis câest une longue dĂ©chĂ©ance, lâĂ©conomie sâeffondre, la ville dĂ©pĂ©rit et symbolise les problĂšmes sociaux qui frappent lâAmĂ©rique, dans un destin dont on trouve aujourdâhui la parfaite correspondance avec Detroit. Pour rĂ©soudre cette crise, on efface pour mieux reconstruire, on lĂ©galise le jeu, et Trump sâinstalle (le Trump Plaza inaugurĂ© en 1984, dĂ©truit en 2021). « Comprenez bien quâAtlantic City est trĂšs diffĂ©rente de Las Vegas. Elle nâa pas Ă©tĂ© crĂ©Ă©e de toute piĂšces pour devenir une capitale du jeu. Non, on lâa dĂ©figurĂ©e pour ça. La vraie Atlantic City nâexiste plus. Je vois les casinos comme un cancer qui a dĂ©truit cette ville. »Â
Atlantic City, câest la ville des dĂ©sespĂ©rĂ©s, des losers. Elle attire les deux frĂšres de The King of Marvin Gardens, deux petits arnaqueurs, dont les ambitions nâont dâĂ©gale que la mĂ©diocritĂ© de leur vie. Ils vivent sous le joug du fantasme, de la possibilitĂ©, ou plutĂŽt de la chimĂšre de la possibilitĂ© de rĂ©ussir. Ils rĂȘvent dâune ile du pacifique, de leur place au soleil, un ailleurs qui se reflĂšte dans les panneaux publicitaires de la ville qui semble encore vendre Ă ceux prĂȘt Ă lâacheter les monts et merveilles de lâAmerican Dream. Les quatres fous (les frĂšres accompagnĂ©s dâune mĂšre prostituĂ©e et de sa fille adoptive) embrassent le rĂȘve, et donnent Ă la jeune enfant ses quelques minutes de gloire dans un ersatz de concours Miss America. La salle est vide, le technicien aux lumiĂšres veut partir, mais lâon continue de croire, on chante, on joue et on fait semblant, comme des enfants. Seulement le jeu dĂ©gĂ©nĂšre, la folie dĂ©borde, lâun des frĂšres est tuĂ©, minable dans sa chambre dâhĂŽtel, le point final dâun destin mĂ©diocre, qui ne se rĂ©alise pas, qui nâaurait pas pu se rĂ©aliser Ă Atlantic City, prison mĂ©lancolique de personnages qui se dĂ©battent sans direction.Â
Atlantic City abrite quelques annĂ©es plus tard un autre rĂȘveur, Lou, Burt Lancaster. Câest un vieil homme que lâon dĂ©couvre dans sa chambre, repassant sa chemise. Quelques secondes avant, les bulldozer qui dĂ©truisent le passĂ© de la ville, ses grands hĂŽtels, ses glorieux symboles. Lou est Ă©videmment Atlantic City : une ruine dâun temps rĂ©volu, lâombre de lui-mĂȘme, un fantasme ambulant. Lui nâest pas venu sâinstaller ici, il y a toujours vĂ©cu, fait « partie des murs ». Câest un ancien gangster, familier de Capone, un tough guy qui vit dĂ©sormais une tranquille retraite, continuant dâarborer ses costumes Ă©lĂ©gants dans les rues rongĂ©es par la pauvretĂ©, une silhouette de colombe dans la crasse. Sauf que Lou raconte ses rĂȘves plus que ses souvenirs : il nâa jamais Ă©tĂ© gangster, une petite frappe tout au plus. Son passĂ© est un mensonge, une farce quâil construit. Comme Atlantic City, Lou est un mystĂšre, une entitĂ© complexe dont on cherche Ă deviner le passĂ© par bribes, en suivant les traces. Câest lĂ la clĂ© esthĂ©tique dâAtlantic City : la trace. Dans lâimage de la ruine se dĂ©voile la terrible stĂ©rilitĂ© dâun prĂ©sent morne, mais Ă©galement, encore et toujours, la trace du passĂ©, la mĂ©moire dâun lieu qui se dit dans les murs, les salles abandonnĂ©es, les vestiges Ă©loquents dâune vie foisonnante. « Itâs a shame you never saw Atlantic City when it had floy boy⊠Yes it used to be beautiful. What with the rackets, the whoring, the guns. (âŠ) The Atlantic Ocean was something then. Yeah you should have seen the Atlantic Ocean in those days. » Une nostalgie absurde de par son objet mĂȘme, mais qui exprime le Zeitgeist propre Ă cette ville Ă©trange, sa propension Ă provoquer lâimagination, Ă tirer ceux qui lâapproche dans une folie amĂšre qui les dirige invariablement vers les vieilles chimĂšres amĂ©ricaines, au vernis patinĂ© par les dĂ©sillusions qui sây sont frottĂ©es.Â
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NOT OUR JERSEY DEVIL BROTHERS! đ
Phaser... you... YOU MONSTER! đĄđĄđĄ
First you lock up innocent aliens, exile our heroes from their homes, turn them into cards, and now this!
I keep using this clip, but it's too accurate!
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